L’Encyclopédie anarchiste — E
E
EAU
n. f. (du latin aqua, ou du provençal aiga. Autrefois on disait aige, aigue, ege, ègue)
L’eau est un liquide transparent, sans odeur, très peu élastique et contenant en volume, une partie d’oxygène sur deux d’hydrogène et en poids 88,90 d’oxygène, sur 11,10 d’hydrogène. Elle est incolore en petite quantité, mais bleuâtre ou grisâtre sous grande épaisseur. Elle se solidifie et augmente en volume à une température qui a été choisie pour le zéro du thermomètre centigrade, elle prend alors le nom de glace ; quant à sa température d’ébullition, elle a été choisie pour le degré 100 du thermomètre centigrade.
Les eaux des océans, des fleuves, des rivières s’évaporent continuellement, et cette évaporation forme les nuages, qui, entraînés par le vent, se résolvent en pluie ou en neige, qui retombe sur la surface du globe et en partie s’accumule aux points les plus bas ; le reste s’infiltre plus ou moins dans la terre, ce qui donne naissance aux sources. Enfin, toutes les eaux retournent à la mer par la voie des rivières et des fleuves.
L’eau n’a pas toujours le même goût. Celle de la mer est salée ; l’eau provenant d’un amas de neige est fade, et celle d’un lac a une saveur différente de celle d’une source. Cela provient de ce que l’eau à l’état naturel n’est pas pure, et qu’au contact des terrains qu’elle traverse et au contact de l’air, elle se charge d’impuretés et de matériaux, parmi lesquels on trouve la chaux, des sels alcalins, des nitrates, etc., etc... On peut se rendre facilement compte des impuretés que véhicule l’eau. Si on laisse évaporer quelques gouttes d’eau de puits ou de rivière sur un morceau de verre, lorsque l’eau a disparu, il reste une tache blanchâtre formée par les matières solides que l’eau a déposées.
Toutes les eaux ne sont donc pas, à l’état naturel, propres à la consommation. Une eau potable doit être aérée (30 cm. cubes de gaz environ par litre), et ne pas contenir trop de matières solides (4 décigr. par litre au maximum), et surtout ne contenir aucune matière organique.
On appelle matières organiques des êtres vivants ou déchets d’êtres vivants, des microbes et des bacilles (typhoïde, choléra, dysenterie, etc...), ordinairement très dangereux. Pour libérer l’eau de ces parasites, il faut la faire bouillir. D’autre part, certaines eaux contiennent trop de sels de calcium, durcissent les légumes, et moussent difficilement avec le savon.
Une eau n’est pas purifiée sitôt qu’elle est en ébullition ; pour la rendre potable, il faut la faire bouillir pendant environ 15 ou 20 minutes, afin de bien tuer tous les germes qu’elle peut contenir ; l’ébullition fait disparaître également l’oxygène qui était dissous dans l’eau, et si l’on mettait des poissons dans de l’eau récemment bouillie, ceux-ci périraient asphyxiés.
Les eaux minérales sont celles qui contiennent des sels en quantité notable ; elles sont employées en médecine. Les principales sont : Eaux sulfureuses ; thermales : Bagnères-de-Bigorre ou Enghien-les-bains, contre les rhumatismes, les maladies de la gorge et de la peau. Les eaux chlorurées sodiques contre le rachitisme et les fibromes utérins. Les eaux alcalines (Vichy), contre les maladies de l’estomac, du foie, des reins, etc. Les eaux magnésiennes (Contrexéville), contre la goutte et les affections vésicales. Les eaux ferrugineuses employées contre l’anémie et la chlorose.
Toutes ces eaux bienfaisantes ne sont, hélas, pas destinées à la consommation des pauvres bougres. Elles ont créé une véritable industrie exploitée aux profits des riches qui seuls peuvent se permettre d’en user pour les soins que nécessite leur état. Même l’eau n’est pas gratuite, car il est, en effet, impossible au travailleur d’avoir à son gré de l’eau de Vichy, si son estomac en réclame, et il lui est encore plus impossible de se baigner dans les eaux de Bagnères-de-Bigorre, s’il souffre de rhumatismes.
L’eau n’est pas seulement utile, elle est indispensable et l’on ne peut s’en passer, car elle concourt à tout instant aux commodités et aux besoins de l’existence. Les contrées qui en sont dépourvues sont misérables, et si les philosophes anciens la considéraient comme le principe fondamental de toute chose, ils n’avaient pas tout à fait tort, car elle est une source de richesse, de fertilité et de vie.
En dehors de l’usage que l’on en fait dans le ménage, pour l’alimentation et les soins d’hygiène, l’eau est l’élément indispensable au laboureur, pour que sa semence ne reste pas improductive ; c’est elle qui nous nourrit et qui nous désaltère ; sans eau nous ne pourrions vivre.
Il y a cent ans seulement, lorsque les voies ferrées ne sillonnaient pas le monde, la voie fluviale était la seule qui puisse permettre le transport de grosses quantités de marchandises de manière économique, et c’est encore l’eau qui faisait tourner le moulin qui broyait le grain récolté par le paysan.
C’est grâce à l’eau que l’industrie s’est développée. Lorsqu’en 1615, Salomon de Caus songea à utiliser la pression de vapeur d’eau comme moteur industriel, et lorsque 200 ans plus tard, en 1824, Stéphenson appliqua la chaudière tubulaire à la première locomotive, l’avenir était conquis.
Depuis, le progrès ne s’est pas arrêté. L’eau qui, transformée en vapeur, a permis aux hommes de traverser le monde par terre et par mer, se transforme maintenant en électricité. Demain, toutes les chutes d’eau, naturelles ou artificielles, nous fourniront une puissance et une force électriques suffisantes pour nous chauffer, nous éclairer, nous véhiculer, et le pauvre mineur, qui vit et qui crève au fond de son puits disparaîtra ou apparaîtra plutôt au grand jour et à la lumière ; pour faire un travail aussi utile et moins pénible, et surtout moins dangereux. Où s’arrêteront les découvertes humaines ? Déjà des savants travaillent et espèrent arriver à capter les forces improductives des eaux de l’Océan. Que nous fournirons demain, toutes ces richesses naturelles ? Le bien-être sans doute, car il est impossible que bien longtemps encore, en face de toutes ces richesses, de tous ces facteurs de bonheur, le peuple reste dans l’esclavage et l’insuffisance. Il peut y avoir de la joie pour tous sur la surface du globe, et ce n’est que par l’égoïsme et la méchanceté d’une poignée que nous sommes misérables.
C’est parce que notre société est mal organisée, parce qu’elle va à vau l’eau, que tout est à refaire, pour qu’enfin il n’y ait plus sur cette terre des hommes qui ont de trop alors que d’autres n’ont pas un verre d’eau à boire.
EBENISTE
n. m.
L’ébéniste est l’ouvrier qui construit et façonne les meubles. Il est le successeur spécialisé du charpentier, du huchier et du menuisier. Les tourneurs, sculpteurs, menuisiers en sièges, découpeurs, marqueteurs, tapissiers, ainsi que les ciseleurs et monteurs en bronze, relèvent de l’art de l’ébéniste.
Antérieurement, par le fait des guerres incessantes, les peuples se déplaçaient souvent, vivaient nomades. Pour enfermer et emporter les quelques objets constituant leur avoir, ils se servirent d’abord des coffres, ce fut le plus ancien mobilier.
Si on étudie le huchier sur les œuvres sorties de ses mains, on est dépourvu de documents pour l’époque romane en France, en Allemagne, en Espagne, en Lombardie. Il faut arriver au Moyen Age français, au gothique, pour tabler sur des objets et des écrits qui nous renseignent sur l’artisan que fut le huchier. Les premiers ateliers sont établis dans les monastères et dans les châteaux, pour leur agencement intérieur en bancs et tables, en meubles de sacristie et en boiseries. Dès le Vème siècle, les corporations du bois se détachèrent des charpentiers et se différencièrent en coffriers-huchiers ; dans le milieu du Moyen Age, en huchiers-imagiers, layetiers et menuisiers. Ce n’est que sous Philippe le Bel, à la fin du XIIIème siècle, que s’élaborent les statuts corporatifs qui établissent les métiers. Par décret, les huchiers sont substitués aux charpentiers. Un siècle plus tard, en 1371, le Tiers-Etat les confirme : huchiers-coffriers, bahutiers, layetiers, pour enfin, en 1382, être changés en menuisiers.
Pour ces époques déjà éloignées, ce qui se fit en France ne coïncide pas avec les mêmes dates dans les autres pays.
Aux Indes et en Chine, le travail de l’ébéniste s’exerça à des époques plus anciennes, sur lesquelles nous manquons de documentations exactes. Dans les Flandres, à la fin de la période romane, les sculptures et moulures ne sont pas exécutées par les huchiers (Screenworker), mais par des spécialistes sculpteurs (Boeldesnyder). En Italie, au XIIIème· siècle, on signale des marqueteurs (Intarsiatori), qui emploient divers bois qu’ils teignent.
Au Moyen Age, les huchiers faisaient les coffres en chêne, qui servaient de malles, qui se fermaient par un gros couvercle, faisant aussi office de tables. Une stabilité relative se révéla après les luttes du Moyen Age, elle permit au mobilier de se développer, d’abord par les huches qui étaient des coffres pour pétrir la farine et conserver le pain, puis avec les tables, les bancs, les lits et les bahuts.
Des Chartes corporatives édictées en 1134, accordaient des privilèges à la Compagnie des marchands (hanse). Elle avait des ramifications avec les grandes villes européennes : Hambourg, Cologne, Anvers, Dunkerque, Amsterdam, Riga, Marseille, Naples, etc… Ces Chartes ne touchaient pas encore la corporation des huchiers, en 1290, quand les Statuts corporatifs furent remaniés et élaborés, on tint compte des métiers du bois, les huchiers y furent incorporés. Les statuts visaient la bonne construction du mobilier, les commissions veillaient à leur application et protégeaient les maîtres contre les revendications des compagnons désireux de sortir de leur dépendance et des apprentis qui étaient corvéables. A Paris, vers 1300, les huchiers étaient concentrés près de l’église St-Gervais. Dans les châteaux seigneuriaux, le luxe devint exagéré dès 1350 ; lits somptueux, tables, huches et boiseries sculptées. Alors que, le compagnon huchier et l’apprenti assujettis au maître, qui, lui-même dépendait du Seigneur, ne possédaient même pas un coffre, la paille étalée à terre ou sur des planches était leur lit, les apprentis couchaient dans l’atelier, sur les copeaux.
Les huchiers-imagiers (sculpteurs), façonnaient des huches décorées, pour y mettre les vêtements et le linge.
En 1400 apparaît la spécialité des échiquiers, distincte, pour la construction des tables à jeu d’échecs, des sujets et pions du Tric-trac. Pétrot à la fin du XIVème siècle, et Lucas en 1496, en furent les premiers artisans. Les écriniers qui confectionnaient les petits coffres pour y serrer les bijoux ne se séparaient pas des bahutiers, qui faisaient les cabinets qu’ils incrustaient d’ébène et de marbre. A Venise, au XVème siècle, on fit le filet en os incrusté dans le bois noir ; on fit aussi le piqué (certosino), marqueterie d’ivoire et de bois noirs divers, qui s’imita dans les monastères de divers pays.
Notons une ordonnance et statuts de 1580, contre le tâcheronnat et le travail à façon : « Nul ne pourra bailler à besongner à aucun varlet ou serviteur dedans la ville ou forsbourgs. Ains les pourra embesonqner en sa boutique ou maison, sur peine de confiscation des ouvrages. » Notons plus loin : « Aucun varlet. (compagnon) ne peut sortir de son maître pour travailler chez un autre maître. »
A Paris, sous Louis XIII, apparaissent les premiers meubles en ébène avec des incrustations d’ivoire, c’est de cette époque que se différencient les métiers du bois : les charpentiers construisant le gros œuvre du bâtiment immobilier ; les menuisiers construisant les portes, les auvents, les boiseries, les tables, les bancs ; les menuisiers-ébénistes façonnant tout ce qui est mobilier en bois massif : chêne, noyer, merisier, acajou, ébène. Abandonnant en partie le bois de chêne, presque seul en usage en France, l’ébéniste se servit à la fois de tous les bois massifs et en placages. Puis, s’importèrent du Brésil, des Indes, de Madagascar, etc., le palissandre, l’amaranthe et différentes essences dures et colorées.
C’est en 1642 que la corporation des ébénistes établit son siège quai de la mégisserie. Les armes du blason sont : une varlope d’or à lame d’argent et à manche d’or. La bannière de Ste Anne qui était aussi celle des menuisiers était bénie tous les ans à l’église des Billettes. Sous Louis XIV, les ébénistes formaient une caste avec ses statuts et ses jurés qui veillaient à leur application, auxquels étaient soumis les maîtres, les compagnons et les apprentis. L’esprit exclusiviste des règlements sanctionnait les inégalités dont les obligations les plus lourdes revenaient à l’apprenti. Pour entrer en apprentissage, il fallait payer le maître (patron), consentir six années sans aucune rétribution. A la fin de l’apprentissage exécuter un chef-d’œuvre selon l’ordonnance ; payer pour le droit du roi un écu soleil, pour chacun des jurés demi écu soleil, au receveur du métier six écus et à la Confrérie de Ste Anne un écu.
En instituant dans les Gobelins un atelier pour les ébénistes, un peu plus tard en le transférant, au Louvre, en leur accordant des privilèges, Colbert ne fit que renforcer l’idée de caste corporative. Il en aperçut les défauts quelques temps après. Les familles qui pouvaient laisser leurs fils pendant six ans en apprentissage sans gagner un sou, qui, au contraire, versaient une forte redevance au maître, à la Jurande et à la paroisse en entrant et en sortant d’apprentissage, étaient déjà des familles de condition aisée et bourgeoise.
Cela fit naître chez les compagnons un esprit de supériorité sur le Serf de la plèbe, qui n’avait pas les moyens d’apprendre un métier ; une tendance réfractaire aux idéologies sociales se fit et empêcha le compagnonnage de se mêler aux mouvements sociaux et révolutionnaires. Les rites religieux et les formules absolues compagnonniques détournèrent les disciples d’étudier le rôle humanitaire de I’individu, afin de le perfectionner pour transformer la société, tandis qu’ils se confinaient dans la science réduite à un seul métier.
Par les Etats Généraux qui accordèrent des libertés aux corporations reconnues, le compagnon menuisier-ébéniste, d’abord dépendant d’un couvent ou d’une seigneurie, se libéra en partie des tutelles du travail chez le consommateur, et les compagnons reçus voyagèrent librement.
C’est avec Boule, sous Louis XIV, que la spécialisation méticuleuse de l’ébéniste se confirme dans les meubles plaqués et incrustés de cuivre et de filets.
Sous Louis XV, un besoin d’air, de liberté se manifeste chez les compagnons du meuble, qui traitent d’aristocrates les ouvriers du Louvre et de St Gervais. Se trouvant concentrés et trop esclaves des règlements qui régissent la corporation, ils s’en vont monter des ateliers plus libres, hors la Bastille, dans le faubourg St Antoine. Des hôtesses et des mères pour les Gavots et les Dévoirants s’y établissent. Colbert les protège en les laissant échapper à l’application des Statuts. Les cabarets s’y montèrent aussi. Des historiens racontent qu’un des fils de Boule était poursuivi par les tenanciers auxquels il négligeait de payer son écot et qu’imitaient beaucoup de compagnons qui aimaient la dive bouteille. L’absence d’idéal social, la seule conception du métier, la pseudo indépendance qu’acquirent les ébénistes du faubourg, n’en firent ni des studieux, ni des érudits ; d’une part, parce que les éducateurs étaient des religieux qui n’admettaient pas les recherches au delà de leur dogme ; ensuite, les possibilités de s’instruire n’appartenaient qu’aux classes nobles et privilégiées. Alors, comment s’étonner que les poussières du bois altérant les gosiers, les ébénistes soient ataviquement intempérants ?
Dans les nouveaux Statuts de la corporation des menuisiers-ébénistes de 1743, nous voyons, qu’outre le chef-d’œuvre, pour être reçu compagnon, il faut professer la religion catholique, apostolique et romaine ; être Français. L’apprenti ayant terminé l’apprentissage est tenu de servir le maître comme compagnon encore au moins trois années. Après les six ans d’apprentissage, payer au receveur 250 livres, au bureau 15 livres, à I’hôpital 3 livres, à l’étalonnage 12 livres, à la confrérie 6 livres. Il était difficile d’arriver à la maîtrise si l’on n’était pas fils de maître ; pour l’obtenir, en dehors du banquet, il fallait payer de 12 à 1.500 livres.
En 1776, Turgot abolit les corporations, les maîtrises et les jurandes disant que : « Le droit de travailler était la propriété de tous, et, la première, la plus imprescriptible de toutes. » Les maîtres et les jurés protestèrent, mais ne réussirent pas à conserver tous leurs anciens privilèges.
Après la Révolution et les longues guerres de l’Empire, un malaise général se fit sentir par une grande baisse dans le travail du mobilier, qui contribua au développement de l’artisanat, dans le faubourg SaintAntoine, entre les rues de Charenton, de Charonne, et le couvent de Ste Marguerite. Les gros fabricants n’existaient pas encore ; l’on ne savait pas ce qu’étaient les grèves. Les conflits qui se produisaient s’arrangeaient et n’avaient pas de suites fâcheuses. De 1830 à 1848, des fabriques de meubles occupant jusqu’à vingt ébénistes sont notées dans le faubourg. Un peu plus tard, c’est Krieger qui s’établit dans une cour en face la rue de Charonne, il ne tarda pas à être le plus gros exploiteur de Paris. En 1857, il occupait une cinquantaine d’ébénistes, des scieurs de long, des sculpteurs et des chaisiers. En se détachant du compagnonnage, l’artisan et l’ouvrier ébéniste prirent goût au nouvel affranchissement. Le lundi, ils allaient à la pêche en Seine ou chansonner sous une tonnelle de Charonne ; ils ne dédaignaient pas les boules et les parties aux cartes. Krieger vit d’un mauvais œil cette licence, et le va-et-vient journalier dans ses ateliers. Il décida la pose d’une grosse cloche pour annoncer I’entrée et la sortie des ouvriers ; ce fut fatal, la première fois qu’elle sonna, aucun ébéniste ne rentra. Les ouvriers des alentours s’en rendirent solidaires, comprenant que c’était un retour au servage. La grève fut acclamée ; une barricade de pavés fut dressée devant la porte, et la circulation fut interrompue dans le faubourg. Le maître Krieger eut peur, et la cloche que l’on pouvait encore voir il y a quelques années, fut toujours muette et jamais ne sonna. Quelques années plus tard, JeanseIme, patron ébéniste et chaisier au Marais, voulut aussi avoir une cloche ; elle n’eut pas plus de succès que celle à Krieger. Ces deux faits montrent la mentalité des ouvriers ébénistes.
En 1848, on faisait trois repas : le premier à 9 heures, de une heure ; le deuxième, à 2 heures, de trente minutes ; le troisième après la journée, qui était de douze heures de travail, pour un salaire de 3 fr.50.
En 1857, après une grève, les salaires sont élevés à 4fr.50 pour douze heures. En 1867, le prix à l’heure fut fixé à 60 centimes, le travail aux pièces commença dans les spécialités. La grande grève de 1881 fit obtenir 80 centimes, et un pourcentage sur les anciens tarifs des forfaits. Le travail aux pièces, qui, depuis une vingtaine d’années, avait pris un essor considérable en concurrençant le travail à l’heure, fit diminuer le taux de celui-ci, au point que de nombreux patrons ne payaient que 70 et même 60 centimes l’heure. De 1889 à 1900, se manifesta une intense propagande pour ne travailler que dix heures et pour la suppression des travaux aux pièces ; elle réussit en partie dans les maisons qui fabriquaient le meuble de luxe et le bon commercial de commande. Après 1900, tout en luttant contre le travail aux pièces qui favorisait les forts et les doués, on revendiqua la journée de neuf heures. Quelques maisons anglaises, étant venues s’établir à Paris, y continuèrent la semaine finissant le samedi à midi ; elles facilitèrent la tâche pour les neuf heures. Des améliorations dans ce sens s’obtenaient quand arriva la grande boucherie de 1914, qui arrêta tout ce qui avait été acquis. A la fin de la guerre, par la force des événements et la surexcitation des travailleurs, sous l’influence de la peur, le Gouvernement décréta la loi de huit heures. On sait le regret qu’en eurent les dirigeants et les financiers et comment, unis au patronat, ils essayent, depuis, de la supprimer.
Dans les mouvements sociaux, les ébénistes furent toujours de l’avant ; la Commune de 1871 comptait ses plus ardents bataillons dans les quartiers de Ste Marguerite et de Charonne. La répression de la Commune fit partir de nombreux ébénistes en Belgique, en Angleterre et en Amérique. A Londres, ils introduisirent la marqueterie, les filets et la monture en bronze dans le goût parisien, ce qui ne manqua pas de concurrencer le meuble français.
A Paris, le Syndicat, en gestation en 1869 avec l’Internationale, fondé en 1874, progressa continuellement. Tout d’abord radical-socialiste, il passa par les phases possibilistes pour arriver dans le socialisme autoritaire marxiste. Au début, ce fut la Chambre Syndicale des ouvriers ébénistes.
De nombreux menuisiers entrant dans la fabrication du meuble massif, en 1884, il se forma l’Union corporative et syndicale du meuble sculpté. Ces deux organisations étaient imbues de socialisme et avaient chacune un conseiller prud’homme ; les litiges étaient très fréquents. En 1885, se fonda l’Union syndicale des ébénistes, en opposition de conceptions sociales aux deux autres syndicats. Ce dernier préconisait la grève générale pour la Révolution, I’abolition du salariat et les principes fédéralistes élaborés à St Imier, En 1889, les deux premiers syndicats se réunirent pour n’en former qu’un seul qui est celui qui existe encore aujourd’hui. Après 1906, il adhéra à la Charte d’Amiens, et fit jusqu’en 1914, une saine propagande sociale. A Montmartre où de nombreux ateliers s’étaient montés, se fondait en 1904, l’Union ouvrière de l’Ameublement, elle comptait 200 adhérents. A tendances communistesanarchistes, les questions de salaires étaient reléguées au second plan, pour ne s’occuper que de l’éducation dans le sens libertaire. Aucun fonctionnaire n’étant rétribué, le fond de caisse, provenant des cotisations mensuelles et des réunions, allait à la solidarité et à l’achat de brochures anarchistes qui se distribuaient gratuitement dans les ateliers. Différents journaux, issus des syndicats, aidèrent à l’éducation sociale, des ébénistes. En 1890–91, le Pot à colle tirait à six mille exemplaires, se vendait 5 centimes dans le faubourg et à Charonne, sans aucun bouillonnage. A la fois corporatif et anarchiste, il enthousiasmait et était enlevé par toute la corporation du meuble. A la suite du premier Congrès de l’Ameublement, en 1900, parut l’Ouvrier en Meuble, organe de la Fédération, qui insérait indépendamment tous les écrits socialistes, anarchistes, etc. Les camarades libertaires en profitèrent pour diffuser leurs idées dans toute la France.
De fortes crises de chômage se firent sentir à Paris, conséquences dues à la surproduction et à la décentralisation des ateliers de fabrication. Des usines se montèrent dans les Vosges, pour les meubles massifs de salle à manger. En Saône-et-Loire, dans l’Oise, à Nancy, à Bordeaux, à Nantes, se firent tous les genres d’ébénisterie, concurrençant Paris par le bon marché. Le chômage s’intensifiant dans la capitale, les patrons en profitèrent pour réduire les salaires et allonger la journée de travail.
L’exportation du meuble diminua aussi quand se créèrent, en Allemagne, en Autriche, en Belgique et en Italie, de grandes fabriques qui copièrent les styles français, qui s’exportèrent un peu partout, et qui s’importèrent en France.
Une accentuation très prononcée se généralise dans la spécialisation des ébénistes depuis 1919. Précédemment, l’ouvrier ébéniste était capable d’exécuter un travail d’après le plan, depuis le débit du bois jusqu’au vernissage. Ces connaissances disparaissent chaque jour. Des techniciens qui sortent des écoles centrales et Boule, organisent les divisions en débiteurs, traceurs, corroyeurs, colleurs, plaqueurs, monteurs, ponceurs et vernisseurs. La taylorisation fait que chacun exerçant une spécialité, l’homme est une mécanique, l’esprit d’initiative disparaît. Le travail exécuté comme une corvée est sans aucun goût. Ce qui est un bien pour le capitalisme devient une calamité qui dégrade le producteur.
Dans une société libertaire, l’intense production serait un bienfait, parce qu’elle assurerait la consommation large de tous les produits en donnant l’aisance à toute la communauté. L’ouvrier ne serait occupé que quelques heures au travail mécanique abrutissant ; les autres heures se feraient en travaux plus agréables ou l’esprit s’exercerait. Aujourd’hui, par son âpreté au gain, l’ouvrier ébéniste abandonne le peu qu’il a conquis socialement : les 8 heures et le travail à l’heure. Avec un salaire supérieur à la moyenne des autres métiers, il travaille 9 et 10 heures, il capitalise et devient superficiel en perdant ses véritables conceptions émancipatrices sur la destruction de l’Etat et la suppression du salariat.
Quoique éprises de libéralisme, en général, les conceptions de l’ouvrier ébéniste sont superficielles et manquent de conviction. Peu studieux, impulsif, il s’enflamme d’un discours, d’un écrit de journal, s’influence sans analyse et sans réflexion.
La sympathie des ébénistes fut unanime quand éclata la Révolution en Russie. Ils voyaient dans les Soviets l’embryon du fédéralisme. En aveugles, après, ils approuvaient tout ce qui se passait en Russie et trouvaient méchantes les petites critiques de ceux qui ne pensaient pas comme eux. Ils glissèrent, tout comme par la Nep, la Révolution russe glissa et échoua dans les mains des financiers internationaux.
Leur croyance est fanatique au point de ne croire que ce que disent les quelques journaux à la solde du Comité directeur de Moscou.
Un travail de propagande est à recommencer dans le meuble, souhaitons qu’il aille vite. Déjà nombreux sont ceux qui avouent s’être trompés et avoir trop eu foi dans les manitous. La grande besogne de relèvement incombe aux jeunes syndicats autonomes. Ils remettront les ébénistes dans la bonne voie, en dehors des réformistes et des autoritaires, pour la conquête du travail libre, pour la vie libre, sans Etats et sans lois.
— L. GUÉRINEAU
ECART
n. m.
Action de s’écarter de la bonne direction ; faire un écart. En parlant d’un cheval : se jeter de côté par un mouvement brusque. « Ce cheval a fait un écart. » A certain jeu de cartes : action de mettre de côté une partie des cartes du jeu. « Ne touchez pas à l‘écart. »
Au figuré, le mot écart signifie : digression, divagation, s’écarter du sujet que l’on traite : Le discours de cet orateur est rempli d‘écarts. Les écarts du génie ; les écarts de la jeunesse. Action de s’éloigner de la voie ordinaire de la morale et de la raison. Le mot écart s’emploie également comme synonyme de : variation, différence. Les écarts du thermomètre.
A l’écart, locution adverbiale qui signifie dans l’isolement. Se mettre à l’écart de la politique, c’est-à-dire : se tenir au loin, ne pas s’intéresser à la politique. Mettre quelqu’un à l‘écart, tenir quelqu’un à l’écart, l’empêcher de participer à une action quelconque. Il faut se méfier des vaniteux et des ambitieux et les tenir à l‘écart, car ils sont rarement sincères dans leurs opinions et leurs sentiments. Mettre quelque chose à l’écart, c’est-à-dire la cacher, tenir en réserve. Cet individu simule la pauvreté, car il a mis à l‘écart une grande partie de sa fortune. Mettre une question à l’écart ne pas traiter cette question, ne pas la juger digne d’intérêt.
Faire le grand écart, écarter les jambes jusqu’à ce que les cuisses touchent le sol. Nous voyons que le mot écart a diverses significations ; quant à nous, gardons nous de faire des écarts qui nous éloigneraient du but que nous poursuivons, et que nous voulons atteindre le plus rapidement possible.
ECHAFAUD
n. m. (du celt. Chafod ; de chad, bois ; bod ou fod, élevé)
L’échafaud est une construction provisoire en bois, formant une espèce de plancher, et utilisé plus particulièrement par les maçons et les peintres, pour la construction ou la réfection des immeubles, des monuments, et des édifices. Pourtant, ce terme est peu usité en ce sens, et les constructions en bois utilisées par les ouvriers lorsqu’ils travaillent sur des lieux élevés se désignent couramment sous le nom « d’échafaudages ».
Dans le langage courant, « l’échafaud » est l’appareil de supplice sur lequel on exécute les condamnés à mort. Mourir sur l’échafaud ; porter sa tête sur l’échafaud.
Dans le passé, les exécutions capitales étaient une source de divertissements pour le bas peuple. Selon le mode d’exécution, des échafauds de formes différentes étaient dressés sur la place publique, et c’est au pied de l’échafaud que le bourreau prenait possession de sa victime. En vérité, cela a peu changé de nos jours ; cependant, le peuple n’accourt pas comme jadis pour assister au répugnant spectacle d’une exécution, et autour de l’échafaud on ne rencontre plus que quelques névrosés, plus à plaindre qu’à blâmer, à la recherche de sensations fortes susceptibles de fouetter leur sensibilité maladive.
« Le crime fait la honte et non pas l’échafaud », a dit Thomas Corneille, et ils sont, en effet, nombreux, les malheureux innocents qui montèrent à l’échafaud et furent exécutés par la main criminelle du bourreau. Toute la responsabilité de ces meurtres légaux retombe sur ceux qui, pour perpétuer l’erreur et maintenir le peuple dans l’esclavage, n’hésitèrent pas et n’hésitent pas à tremper leurs mains dans le sang. Quelque horrible et répugnant que puisse paraître l’être vil et abject qui consent à remplir l’ignoble fonction de bourreau, ce n’est pas lui pourtant qui dresse les échafauds ; ce sont ses maîtres. Il n’est, lui, que le bras qui mécaniquement exécute un ordre donné ; le véritable coupable est l’homme qui, en robe rouge, réclame la tête du condamné au nom de la société bourgeoise qu’il représente ; c’est toute la magistrature qui élève des échafauds, pour défendre les privilèges des exploiteurs, des despotes et des tyrans.
Et depuis toujours c’est ainsi ; et lorsque parfois, las de souffrir et de crever, le peuple se lève, et à son tour dresse des échafauds, malgré l’horreur du sang versé, malgré le respect que nous avons de la vie d’autrui, l’on ne peut que constater qu’il agit toujours à l’égard de ses ennemis avec plus d’humanité que ceux-ci en ont eue avec lui, et que jamais, quelque sanglante que puisse être une révolution, elle n’égalera en horreur les crimes de la bourgeoisie.
N’est-ce pas parce que les révolutionnaires se laissent souvent guider par le sentimentalisme, que les mouvements populaires échouent lamentablement ? On a reproché à Robespierre et à Saint Just d’avoir fait périr de nombreuses victimes et d’avoir régné par la terreur. Anarchistes, nous sommes contre toute dictature et adversaires, en principe, de toute violence, mais ce que nous, nous reprochons à Robespierre et à Saint Just, c’est de ne pas avoir su reconnaître les véritables amis du peuple et d’avoir fait exécuter de sincères défenseurs de la Révolution.
Une révolution n’est pas une comédie ; c’est un drame terrible où se joue tout l’avenir d’un peuple, d’un monde, et une erreur ou une indulgence détermine parfois des catastrophes.
La bourgeoisie, elle, ne pardonne pas. Robespierre et Saint Just l’apprirent à leurs dépens. Après avoir fait exécuter les hébertistes dont les tendances leur paraissaient exagérées, à leur tour ils furent condamnés à mort par les conspirateurs du 5 thermidor 1790. Ils moururent avec courage.
Saint Just « vêtu avec décence, les cheveux coupés, le visage pâle mais serein, n’affectait dans son attitude ni I’humiliation, ni fierté. On voyait, à l’élévation de son regard, que son œil portait au delà du temps et de l‘échafaud ; qu’il suivait sa pensée au supplice comme il l’aurait suivie au triomphe, sachant pourquoi il allait mourir, et ne reprochant rien à la destinée, puisqu’il mourait pour sa fidélité à ses principes et à la mission qu’il s’était donnée. Il parut ainsi debout, au sommet de l’échafaud : grand, mince, la tête inclinée, les bras liés, les pieds dans le sang de Robespierre, dessinant sa haute stature sur le ciel éclairé du dernier crépuscule, et mourut sans ouvrir les lèvres, emportant sa protestation dans la mort. Il avait vingt-six ans et deux jours » (Lamartine).
Oh ! non, Ia bourgeoisie ne pardonne pas. Saint Just disait : « Les gens qui font des révolutions à demi, ne parviennent qu’à se creuser un tombeau ». C’est parce que la Révolution française fut une révolution inachevée, que des échafauds se dressèrent encore par les matins blafards et que, de nos jours, les machines sinistres et macabres poursuivent leur œuvre de mort.
Les révolutionnaires sont montés à l’échafaud, et y monteront probablement encore, et jusqu’au jour où la société que nous subissons ne sera pas détruite, il y aura des hommes, qui, pleins d’abnégation et de désintéressement, donneront leur vie, se sacrifieront pour le bonheur de l’humanité. Les anarchistes eurent, eux aussi, leurs victimes ; toutes moururent avec courage, et durant la période tragique qui s’écoula entre 1892 et 95, plusieurs des nôtres eurent leur tête qui tomba sous le couperet de la veuve.
Ce fut d’abord Ravachol, qui, le 10 juillet 1892, gravit les marches de l‘échafaud.
« C’est en souriant », nous dit Henri Varenne, dans son ouvrage « de Ravachol à Caserio », et en jetant des airs de défi à la foule, qu’il marcha vers l’échafaud. A quelques pas de la guillotine, à plein gosier, il se mit à chanter, avec des ricanements, cet étrange couplet :
Il faut tuer les propriétaires,
Pour être heureux, nom de Dieu,
Il faut couper les curés en deux.
Pour être heureux, nom de Dieu,
Il faut mettre le bon Dieu dans la m ...
Arrivé à la bascule, il s’interrompit :
« — Citoyens, cria-t-il... »
Et comme les aides le couchent sur la planche :
« Mais laissez-moi, dit-il. Je veux... »
La planche a basculé. Ravachol crie encore :
« — Vive la Ré... »
Le couperet tombe, coupant le mot avec la gorge.
Ce fut ensuite le tour de Vaillant, condamné à mort pour avoir lancé au Palais Bourbon, le 9 décembre 1893, une bombe qui ne tua personne et blessa légèrement quelques députés. Malgré la campagne de presse et la protection unanime de toute la population, Vaillant fut exécuté.
« Il mourut courageusement, simplement, aussi calme devant la guillotine, qu’il l’avait été devant le jury.
« -Vive l’Anarchie ! Ma mort sera vengée, cria-t-il au moment du réveil. »
« Et au pied de l’échafaud, d’une voix retentissante, il prononça ces quelques mots :
« -Mort à la société bourgeoise et vive l’Anarchie ! »
Il fut enterré au cimetière d’Ivry, et quelques jours plus tard, on trouva sur sa tombe, une superbe branche de palmier à laquelle était attachée une pancarte qui portait ces quelques vers :
A l’heure du soleil naissant,
Rosée auguste et solitaire,
Les saintes gouttes de ton sang,
Sous les feuilles de cette palme,
Que t’offre le droit outragé,
Tu peux dormir ton sommeil calme,
O martyr !... Tu seras vengé.
7 février 1894.
Puis ce fut Emile Henry, qui, à 21 ans, marcha à l’échafaud avec un rare courage pour un enfant de cet âge, et ensuite Caserio, un gamin de 20 ans, qui voulut, en supprimant le président Carnot, venger la mort de Vaillant.
Et tant d’autres que nous ne citons pas, ils sont trop nombreux, ont terminé ainsi leur misérable existence parce qu’ils avaient cru en l’amour et en la liberté.
Et ce n’est pas assez de sang versé, ce n’est pas encore assez de crimes perpétrés au nom de la morale et de la justice. La tragédie continue. De par le monde, pour des raisons et des causes politiques ou autres, les échafauds se dressent, et les miséreux y montent. Quand donc cela finira-t-il ? N’est-ce pas une honte en notre siècle, de prétendu progrès et de civilisation. Tuer pour tuer ! N’est-ce pas un signe de barbarie, et l’homme ne s’est-il pas libéré de sa cruauté ancestrale ? Ne comprendra-t-il jamais qu’il doit détruire les échafauds et ne pas permettre qu’au nom d’un code « infaillible » édicté par les privilégiés de ce monde, on arrache la vie à un être humain ?
Abolir la peine de mort, ce n’est certes pas suffisant, mais, tout de même, ce serait déjà un pas en avant qui nous ouvrirait la route vers l’avenir et nous ferait espérer les jours meilleurs où les murs des prisons s’écrouleront, rendant à la liberté et à la vie, tous les hommes devenus meilleurs dans une société fraternelle.
ECHANGE (Libre)
Le « libre échange » est le nom que l’on donne à une certaine doctrine économique, qui considère comme nuisible aux intérêts directs du consommateur, la protection du commerce et de l’industrie par des prohibitions et des droits de douane.
A première vue, et si l’on ne pénètre pas au fond du problème, il ne viendrait évidemment à l’esprit de personne — à moins d’être particulièrement intéressé au maintien des tarifs douaniers — de contester que le protectionnisme est dommageable aux intérêts économiques d’une population ; et pourtant, les sociétés modernes et le capitalisme sont composés d’éléments si divers et donnent naissance à de telles contradictions, que, selon les époques, les périodes et les régions, le libre échange peut tour à tour être avantageux ou néfaste. D’autre part, le libre échange étant une doctrine reposant sur les principes fondamentaux du capitalisme, il ne peut logiquement être appliqué au sens absolu du mot, car il marquerait la fin d’une portion du capitalisme international et mènerait fatalement l’autre portion à la ruine.
Quelle est la thèse soutenue par les « libres échangistes » ?
« La terre, avec ses innombrables richesses peut et doit satisfaire les besoins physiques, moraux et intellectuels de l’homme ; mais pour obtenir ce résultat, il faut que l’homme s’arme pour la lutte contre la nature, et arrache au sol tout ce qui est nécessaire à son existence : se nourrir, se vêtir, s’abriter, s’instruire et s’éduquer. Or, le monde est divisé en contrées, en nations, ayant chacune une constitution géologique particulière, et produisant des matières différentes. Telle région est riche en blé, en céréales, en or, en argent, en platine, telle autre en fer et en cuivre, telle autre encore en charbon et en pétrole. Tous ces produits gisent à différents endroits du globe, mais sont également indispensables à tous les individus vivant sur notre planète et, pour satisfaire à leurs besoins, les hommes ont organisé un service d’échange — qui s’appelle le commerce — et en se servant d’un intermédiaire qui est l’argent, tel pays riche en blé peut échanger celui-ci contre la surproduction en fer d’un autre pays. »
Présenté de cette façon, le libre échangisme a un aspect assez sympathique, et semble facile à réaliser, car les adeptes de cette doctrine, ou plutôt ses défenseurs, ne réclament nullement la fin du régime capitaliste, la suppression du commerce et la transformation de la Société ; ils demandent au contraire que le commerce soit entièrement libre et qu’aucun produit ou marchandise ne soit frappé d’un droit quelconque à l’entrée ou à la sortie d’un quelconque pays, et que soient abolies les barrières douanières qui gênent l’importation dans certaines contrées de matériaux utiles à la vie de la population. Or, selon nous, un tel système est inapplicable sous un régime capitaliste et nous allons tenter d’en exposer les raisons.
Un industriel ou un commerçant ne sont pas des philanthropes qui traitent des affaires dans le but de pourvoir aux besoins de l’espèce humaine. Ils leur importent peu que la population de la région qu’ils habitent souffre du manque d’un produit, aussi nécessaire soit-il, à la vie quotidienne, et ils se moquent bien que ce produit soit cher ou bon marché. Ce qu’ils veulent c’est faire jaillir de leur entreprise une source intarissable de profits et réaliser que les fonds qu’ils engagent les plus gros bénéfices possibles. Ce ne sont pas des bienfaiteurs de l’humanité ; ce sont des « business men » et la base de toute affaire commerciale ou industrielle est l’argent, et son but unique l’argent.
S’il est vrai que certains pays sont privilégiés en ce qui concerne la production de certains matériaux, il n’est pas moins vrai que les autres pays n’en sont pas absolument dépourvus ; d’autre part, le monde est divisé par frontières et chaque nation à un statut politique, économique et social qui lui est propre ; mais dans toutes les nations du monde, en vertu même des principes sur lesquels repose le capitalisme et en ce qui concerne la répartition des matières nécessaires à la vie de l’individu, plus un produit est rare, plus il est cher. Supposons un instant que la France soit pauvre en avoine et que les demandes soient supérieures aux offres qui se présentent sur le marché. Immédiatement le cours de l’avoine s’élèvera, le commerçant n’étant pas, ainsi que nous le disions plus haut, un philanthrope mais un homme qui veut gagner de l’argent. Supposons encore que les producteurs, les marchands, les courtiers soient — c’est du paradoxe — des commerçants honnêtes qui refusent de se livrer à la spéculation et ne cherchent pas à bénéficier de la rareté du produit qu’ils détiennent et qu’ils maintiennent leurs prix en se contentant d’un bénéfice normal, mais que l’Angleterre ou l’Allemagne très riches en avoine jettent à un prix inférieur une grande quantité de cette marchandise sur le marché français. Voilà le commerçant français embarrassé et dans l’incapacité absolue d’écouler ses produits.
Naturellement le consommateur trouvera un avantage en achetant le blé allemand ou anglais, mais nous savons fort bien que l’intérêt de celui-ci n’entre en jeu que dans une faible mesure dans l’élaboration des lois économiques et plutôt que de tenir compte des bienfaits qui peuvent résulter de l’importation d’un produit à bon marché, les fabricants de lois, députés et ministres, construisent celles-ci afin que les capitalistes nationaux puissent nationalement imposer leurs prix à la population.
Que se produirait-il si le libre échangisme se pratiquait et qu’il soit impossible au producteur français de livrer son avoine au même prix que l’Allemand ? Ce serait pour lui la faillite. Or on n’a jamais vu un gouvernement favoriser la grande majorité de la population d’un pays au détriment de son capitalisme ; c’est toujours le contraire qui se produit. Ce que nous disons pour l’avoine s’applique à toutes autres marchandises naturelles ou manufacturées et c’est ce qui explique les droits prohibitifs qui frappent à l’entrée certains matériaux.
Dans ce premier exemple que nous citons nous présentons la population souffrant économiquement du système protectionniste qui est un facteur de vie chère.
Rappelons une fois encore que le capitalisme est une contradiction et que si le protectionnisme est nuisible, le libre échange ne vaut guère mieux, qu’il a, lui aussi, ses lacunes et qu’il ne peut en aucun cas être un facteur de bien-être universel.
Jetons un coup d’œil sur l’Angleterre, pays du libre échange par excellence, où I’expérience a été tentée et où, à nos yeux, les résultats furent négatifs, tout au moins en ce qui concerne la grande majorité de la population.
Très riche en pâturages, produisant peu de céréales et fournissant abondamment l’industrie du fer et de la houille, possédant le commerce le plus important du monde, la Grande-Bretagne n’est cependant pas un pays manufacturier. En dehors du tissage et de la grosse mécanique, elle faisait, il y a peu de temps encore, appel à l’extérieur et l’industrie de l’automobile, une des plus importantes du monde, y est toute récente. A peine avant la guerre, presque toutes les voitures étaient de provenance française ou allemande.
Possédant un empire colonial très étendu et le libre échange s’exerçant sur une grande échelle, la vie y était relativement bon marché, aucun droit ne venant frapper les marchandises importées. De cet avantage ne bénéficiait cependant qu’une partie de la population, car la production n’ayant pas besoin de bras, il y avait en Angleterre, un trop-plein de main-d’œuvre et le chômage y était intense.
De tout temps, il y eut en Angleterre une armée de sans-travail, formant un sous-prolétariat, et aussi éloigné de ce prolétariat que ce dernier l’est de la bourgeoisie.
Si I’ouvrier qualifié vivait relativement heureux, en comparaison de l’ouvrier français, par contre, l’éternel sans-travail menait une existence atrocement misérable.
Depuis la fin de la guerre, la situation n’a fait qu’empirer. Non seulement le libre échange est devenu un facteur de chômage, mais la devise britannique étant relativement élevée, le commerçant anglais a plus d’avantages à acheter ses produits dans les pays à monnaie dépréciée, et retire de ce fait le travail à son prolétariat national. De là la terrible crise qui sévit de l’autre côté de la Manche et qui se traduit par des conflits continuels entre le Capital et le Travail.
Nous venons de présenter brièvement sous deux aspects différents les conséquences du libre échange et nous avons d’autre part traité au mot « douane » du protectionnisme. Quel système est préférable ? Aucun, répondrons-nous. Il n’y a pas de solution générale et logique au problème posé de la sorte.
Si on demande à l’ouvrier anglais qui crève de misère pour que le commerçant anglais puisse acheter à bon marché des produits étrangers, il sera partisan du protectionnisme ; si l’on demande à l’ouvrier français qui souffre de la vie chère, il réclamera le libre échange ; d’un côté comme de l’autre, c’est comme si l’on demandait à un homme sain de corps et d’esprit s’il préfère qu’on lui coupe la jambe droite ou la jambe gauche.
Protectionnisme ou libre échange ne peuvent nous satisfaire, nous autres anarchistes. L’un comme l’autre sont des facteurs du capitalisme, déterminés par lui et que l’on applique tour à tour selon que les intérêts du capitalisme national sont liés à l’un ou l’autre de ces systèmes.
Le libre échange, pour nous, ne peut s’appliquer qu’en dehors des puissances d’argent et seulement lorsque le vil métal, qui est un objet de corruption, de vol, de rapine, aura disparu et ne servira plus d’intermédiaire entre les humains. Le libre échange, vraiment libre, .existera lorsque la Société sera, non pas réformée, mais transformée totalement, et que le commerce des hommes ne sera pas un puits de richesse pour les uns et de pauvreté pour les autres.
Le libre échange ne verra le jour que lorsque se lèvera la commune libertaire, où chacun pourra travailler selon ses forces et consommer selon ses besoins.
ECHEANCE
n. f.
Terme auquel arrive à expiration une promesse. Date à laquelle doit être effectué un payement ou une dette. L’échéance d’un billet, l’échéance d’un fermage. L’échéance d’une lettre de change.
En matière commerciale ou financière, lorsqu’un effet porte comme date d’échéance : fin courant, ou fin février, mars, avril, etc..., l’échéance est le dernier jour du mois. Si ce jour est un dimanche ou un jour de fête légale, le billet est présenté le lendemain au débiteur. Dans la pratique, du moins en ce qui concerne Paris, un billet qui n’a pas été payé à sa présentation peut être sans frais retiré de la banque jusqu’au lendemain midi ; mais c’est une pure tolérance. Faire face à ses échéances. Etre embarrassé pour ses échéances.
Shakespeare, dans sa célèbre comédie : Le Marchand de Venise, nous présente le Juif Shylock, prêtant 3000 ducats à Antonio, un riche marchand de Venise, à condition que ce dernier souscrive à cette clause terrible : de se laisser couper une livre de chair sur telle partie du corps qu’il plaira au créancier si la somme n’est pas réglée au jour de l’échéance.
Voici bien longtemps qu’on arrache au peuple sa chair et qu’on lui fait verser son sang. Il n’a cependant signé aucun billet. Mais tout a une fin et l’heure de l’échéance arrivera. Ce sera alors à la bourgeoisie et au capitalisme de payer leurs dettes et de répondre de toutes les misères qu’ils ont engendrées et dont a souffert toute l’humanité.
ECLAIRAGE
n. m.
Action d’éclairer, de provoquer un éclat lumineux, de remplacer l’obscurité par la clarté. Un éclairage vif ; un éclairage douteux ; un puissant éclairage. Le meilleur éclairage est celui qui nous est fourni par le soleil ; mais, pour la nuit, le génie humain a dû avoir recours à la lumière artificielle.
Depuis le jour où Prométhée déroba le feu du ciel pour animer l’homme formé du limon de la terre, le mode d’éclairage a bien changé et même nos ascendants les plus directs resteraient interdits devant le flot de lumière qui inonde la vie moderne.
Les anciens utilisaient pour s’éclairer des torches de bois enduites de poix ou de résine, ou encore des lampes de formes diverses, en argile, en bronze, et parfois en argent ou en or, alimentées avec de l’huile. Bien que de forme différente, la lampe à huile et les chandelles de suif furent pendant de longs siècles les uniques modes d’éclairage, et il faut attendre le XVIIIème siècle pour voir apparaître une lampe à éclairage un peu plus intense. C’est en 1784 que le physicien suisse, Argand, inventa la lampe à double courant d’air, où la mèche plate est remplacée par une mèche cylindrique, au centre de laquelle peut passer l’air pour activer la flamme. Cette lampe fut plus connue sous le nom de Quinquet, nom du fabricant, que sous celui de l’inventeur.
Bien que la lampe à pétrole fut introduite en Europe vers 1860, ce n’est que cinquante ans plus tard que I’on vit disparaître la lampe à huile.
La lampe à pétrole est encore en usage de nos jours. Mais, dans les grandes villes, elle cède de plus en plus la place à l’éclairage au gaz et à l’électricité. C’est l’électricité qui triomphera de tous les autres modes d’éclairage, car il est le plus propre, le plus pratique et le moins coûteux. D’autre part, l’électricité se transporte .avec une facilité remarquable et ne nécessite pas comme le gaz des conduits coûteux ; c’est ce qui permet aux grandes entreprises de fournir de l’énergie et de la lumière dans les petites communes, ce qui est presque impossible en ce qui concerne le gaz.
L’électricité nous donne différents genres de lumière :
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la lampe à arc, composée de deux charbons juxtaposés, maintenus à égale distance par un mouvement d’horlogerie, produit une lumière éclatante, et est surtout utilisée par les grands magasins ou encore dans certaines industries, telles l’industrie photographique ou cinématographique.
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La lampe à incandescence est d’usage courant ; elle est composée d’un filament de charbon porté à l’incandescence dans une ampoule de verre dans laquelle on a fait le vide ; cette dernière lampe tend à disparaître, remplacée par la lampe à filament de platine, d’osmium ou par les lampes demi-watt qui donnent un éclairage plus brillant.
-
Enfin, au service de la publicité, l’électricité met les lampes à gaz raréfiés, azote ou non, basées sur la fluorescence des vapeurs au passage d’un courant électrique.
Nous voilà donc bien loin de la lampe à huile préhistorique et de la modeste chandelle de suif. Et pourtant, à nos yeux, le progrès, ou plutôt l’application des progrès de la science, ne sont pas assez rapides.
Certes, nous n’en sommes plus au temps où Paris n’était pas éclairé et où la capitale était plongée dans la plus complète obscurité sitôt que sonnait le couvre-feu. Aujourd’hui, les rues et les boulevards sont éclairés et le flot de lumière qui se répand à la façade des magasins attire le regard en passant. Ce n’est pas suffisant. Nous savons que certaines contrées par exemple sont privées de lumière électrique parce que les intérêts de quelques parasites seraient lésés si on changeait le mode d’éclairage. Et les habitants de cette contrée sont, en conséquence, privés de lumière.
Et il en est, hélas, ainsi de tout. On refuse d’éclairer le peuple ; on ne veut pas lui donner la lumière ; on tient à le conserver dans l’ombre et dans l’obscurité. Or, notre siècle est un siècle d’éclairage intense. Le peuple a droit d’en profiter. Il doit avoir le droit d’éclairer son corps et son esprit. Mais, ce droit, il ne faut pas qu’il le demande, mais qu’il le prenne.
Que les reflets de toutes les lumières qui sillonnent le monde pénètrent en lui ; qu’il s’éclaire enfin, car de la clarté lumineuse produite par son émancipation dépend tout l’avenir des collectivités humaines.
ECLECTISME
n. m. (du grec : eklegein, choisir)
Méthode qui consiste, en philosophie, en science, ou en politique, à essayer de concilier les divers systèmes en prélevant dans chacun d’eux ce qui paraît le plus conforme à la vérité pour en composer un système unique, où se trouveraient réunies, en une synthèse harmonieuse, les données essentielles de tous les autres.
Le protagoniste de cette méthode parait être le philosophe Potamon, qui enseignait à Alexandrie, au troisième siècle avant l’ère chrétienne, et dont les préceptes n’obtinrent qu’une faveur passagère.
Une phrase du philosophe allemand Leibniz fournit à la méthode éclectique la meilleure des justifications :
« J’ai trouvé, dit-il, que la plupart des sectes ont raison dans une bonne partie de ce qu’elles avancent, mais pas tant en ce qu’elles nient. »
C’est seulement en 1828 que cette méthode ancienne fut tirée de l’ombre et mise en valeur par les écrits de Victor Cousin, professeur à la Sorbonne, qui déclara s’être proposé le but suivant : Dégager ce qu’il y a de vrai dans chacun des systèmes philosophiques, pour en fonder un qui les gouverne tous, en les dominant tous, qui ne soit plus telle ou telle philosophie, mais la philosophie elle-même dans son essence et dans son unité.
Une telle proposition permet de supposer chez son auteur de remarquables qualités de tolérance et la recherche impartiale de la vérité. Mais il semble, chef d’école timide, et dépourvu de caractère, s’être appliqué principalement à se ménager les diverses tendances de son époque, et faute d’être parvenu à concevoir une doctrine vraiment personnelle, s’être résigné à prendre dans les œuvres d’autrui les éléments d’une philosophie faite de pièces et de morceaux.
Dans le domaine de la politique, l’éclectisme ne vaut d’ordinaire pas mieux. Il correspond à ces programmes médiocres, dénués de courage autant que d’élévation de pensée, qui protègent à la fois la chèvre capitaliste et le chou prolétarien, et dans lesquels l’habileté diplomatique des candidats découvre aisément de quoi s’adapter aux mouvements les plus divers, selon l’opportunité des circonstances.
Honnêtement considérée, la méthode éclectique vaut pourtant mieux que sa réputation. La remorque de Leibniz vaut d’être méditée. Il est rare, en effet, qu’une doctrine philosophique, scientifique ou sociale soit intégralement fausse. Elle contient presque toujours des observations dignes d’intérêt, ou des critiques fondées, par conséquent une part plus ou moins grande de vérité, dont le chercheur dénué de sectarisme étroit peut faire son profit. L’erreur des doctrinaires consiste, le plus souvent, en ce qu’ils veulent imposer comme une règle générale, absolue, ce qui ne correspond qu’à certains cas particuliers, ou ne résout qu’une partie du problème. Ceci ne doit point nous porter à croire qu’il suffit de coordonner les affirmations des auteurs, tels les fragments d’un jeu de patience, pour que, fatalement, le produit de cette opération représente la vérité. Mais ceci nous montre l’importance qu’il peut y avoir à compléter et, s’il y a lieu, réviser de temps à autre nos propres doctrines, par l’examen bienveillant de celles des autres.
Lorsque l’on pose la question : « Quelle est la cause du mal social ? » :
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les éducationnistes répondent : l’ignorance, les préjugés ;
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les communistes accusent : le régime capitaliste ;
-
les néo-malthusiens dénoncent : le surpeuplement.
Devons-nous accepter seulement une des explications et repousser les deux autres ? Je ne suis point de cet avis. Car il m’apparaît, comme l’évidence même, qu’une société heureuse ne peut exister sans cette triple condition :
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Limitation volontaire de la population aux moyens de subsistance ;
-
Organisation rationnelle de la production et de la consommation, pour le mieux de tous, avec le minimum d’efforts et le maximum de rendement ;
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Développement d’une conscience révolutionnaire, tout au moins parmi des minorités d’élite.
Reconnaître ceci c’est faire de l’éclectisme, non pour se mettre bien avec tout le monde, ni par la conscience que l’on détient une méthode infaillible, mais par un respectueux hommage envers la vérité.
— Jean MARESTAN.
ECLECTISME
Littéralement : qui choisit. L’éclectisme est une méthode des philosophes, des politiques qui prennent dans les divers systèmes de leurs devanciers ou de leurs contemporains ce qui leur paraît être la vérité pour en former un corps de doctrine. Dans l’histoire de la philosophie, « I’éclectisme désigne particulièrement l’école des néo-platoniciens que vit naître Alexandrie au IIIème siècle environ avant J.-C., dont Potamon fut le chef et dont les méthodes furent remises en honneur au XIXème siècle par Victor Cousin et ses disciples.
Il est bon d’étudier tous les systèmes, mais il est également utile de s’en adopter un. Si, en ce qui concerne la philosophie, l’éclectisme est une spéculation ou une gymnastique, il n’en est pas de même en sociologie où il fait de terribles ravages.
« L’éclectisme dit P. Leroux, ne repousse aucun système et n’en accepte aucun en entier. Considéré comme méthode, I’éclectisme ne supporte pas l’examen, car pour choisir entre plusieurs systèmes, il faut un motif de choisir, c’est-à-dire qu’il faut savoir de certaine façon ce que l’on cherche. »
Il est en effet regrettable de constater qu’il existe un nombre incalculable d’individus qui ne savent pas ce qu’ils veulent, qui butinent à droite et à gauche, prennent à l’un et à l’autre, ne sont ni pour ni contre ceci, ne sont ni pour ni contre cela, et promènent leur indifférence en la qualifiant pompeusement d’éclectisme.
Les milieux anarchistes ne sont pas exempts de ces parasites de l’idée, qui passent leur temps à véhiculer leur faux savoir, et dont l’éclectisme consiste à n’être jamais d’accord avec personne. « Eclectiques » ils le sont certes ; d’opinions, ils n’en n’ont guère et c’est en vain que l’on insisterait auprès d’eux, afin de les intéresser à une action quelconque ; ils se dérobent toujours, laissent leurs camarades accomplir le travail, se contentant de critiquer lorsque celui-ci est terminé.
L’éclectisme redevient à la mode. C’est une maladie du siècle, maladie épidémique qui gagne tous les milieux, tous les cercles, tous les individus. Il est un signe de l’égoïsme et de l’indifférence qui se sont emparé des hommes. Méfions-nous de tomber à notre tour dans cette erreur ; elle peut être fatale au mouvement anarchiste car l’éclectisme, en tant que doctrine, est un facteur de division. Il est toujours possible de trouver des lacunes dans une méthode, quelle qu’elle soit ; mais l’homme sincère, qui sait ce qu’il veut, qui à des idées et qui entend lutter pour les soutenir, les défendre et les propager, a besoin de s’associer avec d’autres de ses semblables. L’éclectisme au sens absolu du mot, c’est l’individualisme, le plus étroit, et l’individu ne peut rien par lui-même. Si, philosophiquement, l’éclectisme peut se soutenir, au point de vue social il faut le combattre car il est faux que l’homme seul soit l’homme fort. C’est l’union qui fait la force et, socialement parlant, l’éclectisme ne permet pas l’union.
ECLIPSE
n. f. (grec ekleipsis ; de ekleipein, faire défaut, défaillance, abandon)
Disparition momentanée, totale ou partielle d’un astre par l’interposition d’un autre astre. Les éclipses furent pendant longtemps l’objet de la frayeur des hommes ; les progrès des recherches et des découvertes de l’astronomie ont chassé la crainte qui a fait place à l’intérêt et à la curiosité.
Les éclipses se divisent en lunaires et en solaires ; il y a également des éclipses des planètes secondaires on satellites, et celles des étoiles que l’on nomme plus particulièrement occultations.
II y a éclipse de lune, lorsque la terre se trouve interposée entre le soleil et la lune, et que cette dernière traverse l’ombre que la terre projette derrière elle. La lune étant un corps opaque qui ne nous apparaît que parce qu’elle est éclairée par les rayons du soleil, lorsque ceux-ci sont arrêtés par un autre corps, la lune disparaît aussi longtemps que ce corps s’interpose entre elle et le soleil. C’est le même phénomène qui se produit pour l’éclipse solaire, lorsque la lune, dans sa révolution, s’interpose entre le soleil et la terre ‘et projette son ombre sur notre planète.
Connaissant le temps des révolutions périodiques de la lune et du soleil, il est assez facile de prévoir approximativement la date des éclipses. Le mouvement de ces astres, recommençant de la même manière, les éclipses se reproduiront dans le même ordre.
Les Chaldéens avaient déjà découvert qu’après 223 lunaisons, c’est-à-dire 18 ans et 11 jours les mêmes éclipses se reproduisaient, soit en général 70 éclipses, dont 29 de lune et 41 de soleil. Il ne peut en une année y avoir plus de sept éclipses ; cinq ou quatre de soleil, et deux ou trois de lune ; il y en a au moins deux et s’il n’y en a que deux ce sont des éclipses de soleil.
Le mot éclipse s’emploie au figuré pour signaler la dépréciation d’une chose qui avait une grande renommée, ou l’absence, la disparition subite, inattendue d’un individu quelconque. « Il n’y a pas de gloire éclatante qui ne soit sujette à souffrir de temps en temps de quelque éclipse » (LAVEAUX).
ECLIPSE
Le mot éclipse désigne, en astronomie, le phénomène qui consiste, pour un observateur terrestre, dans la constatation du passage d’un corps astral entre lui et un autre astre. Ce phénomène qui se produit fréquemment revêt surtout un grand intérêt lorsqu’il s agit des éclipses de la lune, du soleil et des satellites de Jupiter.
Il y a éclipse de lune quand celle-ci entre en partie ou en totalité dans le cône d’ombre de la terre, qui se termine en pointe à une distance de 108 fois et demi la longueur du diamètre de la terre qui est de 12.742 kilomètres. L’ombre de la terre étant encore 2,2 fois plus large que la lune à sa distance moyenne de nous, la plus longue durée d’une éclipse totale de la lune peut atteindre deux heures. C’est toujours au moment de la pleine lune qu’a lieu l’éclipse de lune et elle est visible au même instant physique dans tous les pays, où la lune se trouve au-dessus de l’horizon. Ceci veut dire qu’une éclipse totale de la lune qui commencerait, par exemple, à Paris, à minuit, se produirait à New-York non pas à la même heure, mais au même moment physique, c’est-à-dire lorsque les horloges de la capitale américaine marqueraient 6 heures 55 minutes du soir.
La lune, grâce à la réfraction des rayons solaires, demeure plus ou moins visible pendant les éclipses totales. Elle n’est devenue absolument invisible que pendant les éclipses de 1642, 1761, 1816 et celle du 12 avril 1903. Contrairement à la lune qui ne peut s’éclipser qu’au jour de la pleine lune, l’éclipse de soleil ne peut se produire qu’au jour de la nouvelle lune et ne se fait voir qu’aux endroits touchés par le petit cône d’ombre de notre satellite et sur lesquels il dessine un cercle qui voyage sur les différents pays suivant le mouvement de la rotation de la terre.
Les contrées sur lesquelles passe cette ombre de la lune, large de 22 à 300 kilomètres, ont le soleil masqué pour un certain temps.
L’éclipse de soleil peut être partielle, si les centres de la lune et du soleil ne coïncident pas et si la lune ne marque le soleil que par côté ; annulaire, si la lune se trouve dans la région la plus éloignée de son orbite et est plus petit en apparence que le disque solaire ; totale enfin, si la lune se trouve assez rapprochée de nous pour que son diamètre surpasse celui du soleil.
Vus de la terre, les diamètres du soleil et de la lune sont, en moyenne, de 32’ 3’’ et de 31’ 24’’, d’où il ressort que le soleil doit être à son aphélie et la lune à son périhélie, pour qu’une éclipse totale du soleil puisse se présenter dans de bonnes conditions. La plus longue durée possible d.une éclipse totale du soleil ne peut pas dépasser 7 minutes 58 secondes à l’équateur et. 6 minutes 10 secondes à la latitude de Paris. Il y a, en moyenne, en 18 ans 70 éclipses, dont 29 de lune et 41 de soleil. Dans une année il n’y a jamais plus de 7, jamais moins de 2 éclipses. Lorsqu’il n’y a que deux éclipses, elles sont toutes deux de soleil.
L’éclipse totale de soleil sur un lieu donné est un phénomène très rare. Depuis 1140 il n’y a eu à Londres qu’une éclipse totale et cela en 1715. A Paris il ya eu éclipse totale du soleil le 22 mai 1724, le 17 avril 1912, mais elle n’a été totale que pendant 7 secondes et ce n’est que le 11 août 1999, à 10 h. 28 du matin que les environs de la capitale française seront visités par une grande et belle éclipse totale du soleil, dont la durée sera de 2 minutes 20 secondes.
Pour ce qui est des éclipses des satellites de la planète Jupiter auxquelles nous avons fait allusion au commencement de cet article, c’est à une observation attentive par l’astronome danois Olaf Rœmer que nous devons la découverte de la rapidité avec laquelle la lumière se transmet à travers l’espace. Rœmer a, en effet, pu constater en 1675, le premier, que les éclipses retardaient ou avançaient d’environ 16 minutes et demie selon que Jupiter se trouvait en conjonction ou en opposition avec le soleil. Or, le diamètre de l’orbite terrestre étant d’environ 300 millions de kilomètres, il était désormais prouvé que la lumière parcourt 300.000 kilomètres par seconde.
Deux siècles après Rœmer, c’est aussi à la lumière, à l’analyse spectrale, que nous devons la révélation suprême de l’unité constitutive de l’Univers qui nous permet l’affirmation scientifique de cette intuition des meilleurs penseurs d’autrefois : la vie dans l’Univers est illimitée et infinie, toutes les terres du ciel, nos sœurs, sont, ont été ou seront habitées.
— Frédéric STACKELBERG.
ECLIPSER
(verbe)
Au sens propre, cacher, couvrir en totalité ou en partie en parlant d’un astre qui en cache un autre. Au figuré : surpasser, effacer, obscurcir par son talent ou sa gloire, la gloire et le talent d’un autre. « Corneille éclipsa tous les poètes tragiques qui l’avaient précédé » (Voltaire). S’éclipser : s’enfuir, disparaître, faire une fugue, se mettre dans l’ombre, se soustraire aux regards. « Il est préférable que je m’éclipse et que j’attende la fin de l’orage ». « Il s’aperçut bien, à la surprise qu’on fit paraître, que l’on n’ignorait pas pourquoi il s’était éclipsé » (Le Sage).
Les politiciens et les meneurs intéressés du peuple s’éclipsent toujours lorsque l’action les réclame et qu’il y a danger à être au premier rang dans la lutte.
ECOEUREMENT
n. m.
Action d’écœurer : état d’une personne écœurée. Qui soulève le cœur, qui inspire de la répulsion. Une odeur écœurante ; un être écœurant ; un acte écœurant, un crime écœurant, une lâcheté écœurante, une trahison qui provoque l’écœurement.
Lorsque l’on jette un coup d’œil circulaire sur tout ce qui nous entoure, n’y a-t-il pas de multiples raisons d’être saisi d’écœurement ? La société est un bourbier duquel s’échappent des miasmes nauséabonds qui soulèvent le cœur de dégoût. « Un siècle de musc et de merde », disait Octave Mirbeau, en causant du siècle de Louis XIV ; le nôtre vaut-il mieux et les hommes ne se vautrent-ils pas aujourd’hui dans la bassesse et dans l’ordure, comme ils le faisaient au temps du grand roi ? Le courtisan a disparu et le politicien a vu le jour. L’un et l’autre se valent. Le courtisan flattait le roi, le politicien flatte le peuple. Mais pour le peuple c’est la même chose, que ce soit le roi ou lui, c’est toujours lui qui est victime et qui paie.
Comment peut-on ne pas être écœuré, lorsque l’on assiste au spectacle de l’orgie à laquelle se livrent les grands de ce monde, alors qu’il y a quelques années à peine, des milliers de jeunes êtres plein de vie et de santé se faisaient tuer pour bâtir ou consolider les fortunes des mercantis criminels. Comment ne pas être soulevé d’écœurement lorsque l’on sait qu’à l’ombre de la diplomatie se préparent d’autres carnages, que d’autres tranchées seront creusées et que les hommes périront encore dans la boue et dans le sang. N’est-on pas dégoûté lorsque se déroule devant soi la comédie électorale et que les candidats se couvrent d’insultes et d’injures pour arracher à l’électeur naïf la voix qui fera de lui un esclave ?
Mais ce qui nous écœure par dessus tout, c’est la passivité, l’indifférence, la lâcheté avec lesquels le peuple, pressuré, asservi, exploité depuis toujours, accepte son esclavage et se couche comme un chien à la voix de son maître. N’est-il pas lui-même dégoûté de tout ce qui se passe, n’a-t-il pas assez de la tragédie dont il est l’un des acteurs, et n’est-il pas las de souffrir ?
Son écœurement ne va-t-il pas se manifester enfin par sa révolte, et sa répugnance ne va-t-elle pas le conduire à faire le geste qui le libèrera de toutes ses misères en mettant fin à la pourriture parlementaire et au régime abject du capitalisme!...
ECOLE
n. f. (du latin schola)
Il n’est pas nécessaire de définir l’école, mais il est utile de montrer les défauts les plus graves des écoles que fréquentent tous les jeunes enfants et d’indiquer ce qui devrait être fait pour rendre ces écoles meilleures.
Il n’est pas indispensable non plus d’étudier comment les écoles se sont différenciées ; mais il est bon de montrer que la différenciation qui a pour but de séparer les enfants des riches des enfants du prolétariat est combattue aujourd’hui par les partisans de l’école unique. Il nous faut signaler aussi l’influence de l’individualisme sur la différenciation des écoles, comment l’on se propose aujourd’hui de tenir mieux compte des intérêts et des capacités des enfants, pour aider ces enfants à devenir des hommes plutôt que pour en faire des croyants ou’ des citoyens.
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Nul mieux que Roorda n’a su exposer d’une façon claire, et souvent caustique, les défauts des écoles d’aujourd’hui.
« Il y a, dit le pédagogue suisse, deux écoles :
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L’école proprement dite…, où tous les enfants vont pour commencer ;
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L’école spéciale ou professionnelle, où l’on entre plus tard, et où tous les élèves font un même apprentissage déterminé.
Cette école spéciale sera, par exemple, une école de médecine, ou une école d’horlogerie, ou une école de droit, ou une école de commerce, ou une école de dessin, ou une école dentaire.
On comprend que dans une telle école tous les élèves se livrent au même entraînement méthodique ; qu’on propose à tous les mêmes travaux et que, finalement, on exige de tous les mêmes connaissances techniques et un même minimum d’habileté : les uns exécuteront plus facilement que les autres les exercices réglementaires ; mais les exigences du maître ne varieront pas avec leurs aptitudes respectives. En somme, c’est sa science de spécialiste, ce sont ses propres talents, ses propres tours de mains qu’il s’efforce de communiquer à tous ses élèves indifféremment. Si les goûts de l’un de ceux-ci sont trop fortement contrariés par cette discipline uniforme, qu’il s’en aille. Car il y a des règles concernant la résistance des matériaux que doivent connaître tous les futurs constructeurs de ponts. Il faut exiger aussi de tous les élèves d’une école d’horlogerie, qu’en dépit de leurs tendances individuelles, ils fabriquent des montres marchant d’accord. Et je trouve bon que l’on interdise aux jeunes gens qui étudient l’art dentaire une originalité excessive dans la manière d’arracher les dents.
Mais c’est de la première école que je veux parler, de celle que j’appellerai simplement l’Ecole, et dont on oublie trop souvent l’un des caractères essentiels. Dans cette Ecole-là, le maître s’adresse à des enfants qui exerceront par la suite les professions les plus diverses... L’Ecole doit donc se demander : « Est-ce que la science que j’enseigne a une valeur générale?... » Donc, ici, nous ne sommes plus à l’école professionnelle. Ici, en face de son maître, l’écolier n’est plus celui des deux qui doit comprendre l’autre. Il ne s’agit plus d’enseigner à tous les élèves les mêmes procédés et les mêmes formules. Il faut fournir à chacun d’eux l’occasion d’améliorer ce que la nature lui a donné de bon. Car chacun d’eux, en qualité d’être humain, a des aptitudes précieuses dont on pourrait favoriser le développement. Or, tous les enfants ne se développent pas de la même façon ; ils ne peuvent pas progresser tous de la même allure.
…il est admissible que, dans certaines leçons, tous les écoliers fassent la même chose. Mais, à côté de ce domaine où l’instruction peut être obligatoire et uniforme, n’y en a-t-il pas un autre où la diversité et la liberté doivent être admises?...
Il existe beaucoup d’écoles où les jeunes gens peuvent se spécialiser. Mais nous n’avons pas encore celle où l’enfant pourra s’épanouir. »
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Certes, la plupart des écoles méritent encore les reproches que Roorda adresse à l’Ecole. On en comprendra la raison lorsque l’on saura que l’Ecole est née de l’Université et non l’Université de l’Ecole. Par routine, l’Ecole est restée mieux adaptée à la préparation à des études plus complètes qu’à la préparation à la vie.
De plus en plus cependant, l’idée se répand que l’Ecole est faite pour les écoliers, si divers en leurs aptitudes et en leurs intérêts, et que tous les écoliers doivent profiter de l’enseignement d’une école. Sans doute parmi les défenseurs d’une meilleure et plus juste adaptation des écoles aux, écoliers, il en est un certain nombre qui se placent uniquement ou presque uniquement au point de vue social : pour qui les écoles spéciales pour arriérés ont pour but de déterminer les charges sociales, les écoles pour surnormaux de tirer le maximum de profit des élites, l’école unique — pas encore réalisée en France — de recruter toutes les élites. Mais que le but soit ou ne soit pas le progrès social, il n’en est pas moins vrai que les moyens envisagés se résument à peu près tous en une meilleure adaptation de l’enseignement aux individualités enfantines. Le progrès individuel et, partant, l’individualisation de l’enseignement sont les moyens du progrès social.
Le besoin de différencier l’enseignement par la création d’écoles différentes s’est surtout fait sentir à propos des enfants trop différents des autres pour pouvoir profiter de l’enseignement collectif. La première école pour sourds-muets fut créée à Paris en 1760 ; en 1784, à Paris également, on créait la première école pour aveugles ; cependant, l’écriture Braille, la plus usitée aujourd’hui pour les aveugles, ne fut inventée que vers 1829. L’enseignement pour les enfants infirmes et estropiés est encore aujourd’hui trop négligé, sauf peut-être au Danemark et aux Etats-Unis. A New-York, en 1921, près de 2.000 enfants estropiés étaient transportés journellement à des écoles spéciales par deux autobus municipaux et plusieurs véhicules loués ; plus de 500 étaient hospitalisés et 172, non transportables, instruits à domicile par 12 instituteurs volontaires.
Cependant, l’intérêt des enfants n’est pas toujours seul en cause, celui des instituteurs a également influé sur la différenciation des écoles. On comprend que les enfants arriérés, anormaux, vicieux, aient été une gêne pour leurs maîtres. On devine que les élèves particulièrement bien doués n’aient pas été dans le même cas et que les maîtres soient heureux de conserver de tels élèves dans leurs classes. Aussi, alors que la première école spéciale pour arriérés était créée en Allemagne dès 1867, ce n’est qu’en 1905 que des écoles pour surnormaux furent créés aux Etats-Unis. Aujourd’hui encore, l’Ecole unique n’est désirée par la plupart des instituteurs qu’à la condition qu’ils n’y perdront pas leurs bons élèves.
Pour que chaque enfant profite au maximum du temps passé par lui à l’école et du travail qu’il y fait, il faut que l’école tienne compte de la diversité des aptitudes et des intérêts. Parmi les solutions qui ont été proposées pour satisfaire à cette condition, l’une consiste à différencier les écoles et les groupes d’une même école, chaque groupe homogène pouvant ainsi recevoir un enseignement collectif profitable ; l’autre à différencier les travaux dans la même école, à individualiser l’enseignement et à assurer le contrôle, soit directement par le maître, soit indirectement. Il est, enfin, des écoles qui s’efforcent de combiner les deux solutions précédentes. Nous remettons à plus tard un exposé des méthodes employées pour la sélection des groupes ou pour l’enseignement individualisé. La première de ces solutions est employée dans quelques grandes villes, la seconde convient aux petites écoles.
Un modèle de différenciation du premier genre nous est offert à Jackson (Etats-Unis) où, en 1921, on comptait :
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Des ungraded schools pour enfants déficients ;
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Des lower auxiliary schools pour jeunes arriérés ;
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Des upper auxiliary schools pour arriérés plus âgés ;
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Des opportunity schools pour les arriérés qui vont quitter l’école ;
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Des speed schools, écoles rapides pour mieux doués ;
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Des open air schools pour prétuberculeux et anémiés ;
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Des schools for deaf pour sourds ou durs d’ouïe ;
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Des schools for the blind or sight saving scheel pour aveugles ou vues faibles ;
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Des maîtres-répétiteurs (spécial help) pour des enfants normaux mais retardés en quelque matière.
Parmi les autres typés d’écoles spéciales, dont nous n’avons pas encore parlé, nous devons citer celles pour enfants vicieux, vagabonds, délinquants, qui se sont surtout développés en Angleterre et aux Etats-Unis.
Ajoutons encore les écoles destinées aux tout-petits et, parmi elles, les jardins d’enfants de Fröbel, créés en Allemagne dès 1837, les écoles maternelles françaises organisées tout d’abord par Mme Pape Carpentier et la maison des enfants (Case deï Bambini), de Mme Montessori, apparue en Italie, en 1907.
Ainsi, peu à peu, en se différenciant, l’Ecole tient de plus en plus compte des aptitudes diverses des enfants. En est-il de même en ce qui concerne les intérêts enfantins ? Certainement oui, mais si cet autre progrès peut être constaté dans les divers types d’écoles dont nous venons de parler, elle est surtout évidente dans ce qu’on a appelé les Ecoles nouvelles et les Ecoles du travail (Arbeitsschule). Claparède fait naître les premières en Angleterre en 1889 et sur le Continent en 1898, et les secondes aux Etats-Unis en 1896 et en Allemagne en 1907, mais il est certain que l’origine des méthodes mises en application dans ces écoles est bien plus lointaine. Ecoles nouvelles et Ecoles du travail sont aujourd’hui désignées le plus souvent sous le nom d’Ecoles actives.
En résumé, l’Ecole a progressé, soit qu’elle s’efforce de tenir mieux compte du développement mental (Ecoles pour arriérés, sur mesure, de plein air, pour surnormaux) soit qu’elle veuille s’adapter aux intérêts et, en particulier, au besoin d’activité des enfants (Ecole active). Enfin, le souci de sélectionner l’élite, celui de mettre de l’ordre dans l’organisation scolaire et une palissée démocratique visent aujourd’hui le problème de l’Ecole unique. Bien que ces formes du progrès soient inséparables en réalité, que, par exemple l’Ecole active se préoccupe également de la diversité des aptitudes, nous adopterons cet ordre et cette division pour la suite de cette étude que nous terminerons en indiquant ce que doivent être l’Ecole et les Ecoles, selon nous.
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Ecoles pour anormaux et arriérés. Dans les villes comme dans les campagnes, on trouve un nombre considérable d’enfants anormaux et arriérés. Certains de ces enfants qui doivent leurs tares à des parents alcooliques, syphilitiques, ou tarés de toute autre façon, n’ont pas seulement le malheur d’être atteints de quelque infirmité ou d’être simples d’esprit, ils sont par dessus le marché les souffre-douleurs de leurs parents et de leur entourage.
D’autres trouvent leur plaisir dans le vagabondage, la brutalité, les farces stupides ; ils donnent de mauvais exemples à leurs frères et sœurs, dans la famille, à tous les enfants dans la rue et dans l’école où ils sont une source de trouble. Ils gênent l’évolution des autres enfants, l’activité professionnelle de leurs parents et causent à ceux-ci mille tracas.
Les uns coûtent à la société parce qu’ils sont incapables de se suffire, les autres coûtent également parce que nuisibles.
Il est certain que l’injustice sociale, avec ses taudis pourvoyeurs de cabarets, la mauvaise organisation .lu travail : oisiveté voulue ou non voulue (chômage) d’un côté et surmenage de l’autre est en grande partie la cause de la multiplication des anormalités.
Cependant, dans une certaine mesure, il semble que le progrès des uns nécessite la régression des autres, que les sociétés mieux organisées auront sans doute encore leurs déchets, que les progrès de la masse des individus sont à la fois cause et résultat de la formation d’individus dégénérés aussi bien que de la constitution des élites.
Faut-il s’occuper des enfants anormaux et arriérés ? De multiples raisons justifient une réponse affirmative. A côté des raisons de justice et d’intérêt social qui s’explique par ce qui précède, on peut ajouter qu’un régime éducatif spécial, l’apprentissage de certains métiers peuvent alléger les charges sociales qui résultent des enfants inaptes ou dangereux.
On peut aussi faire remarquer qu’un traitement spécial, dans les écoles ou internats spéciaux, en débarrassant les enfants anormaux d’un voisinage nuisible, ne peut qu’être favorable à l’instruction et à l’éducation de ceux-ci.
Non seulement le traitement spécial des enfants anormaux ou arriérés diminue les inconvénients, les dangers et les charges qu’ils constituent, mais encore de ce traitement la médecine et la pédagogie retirent un grand profit pour l’éducation et la préservation des enfants normaux. De même que l’étude des maladies a eu pour effet de permettre les progrès de l’hygiène, de même l’étude des anormaux permet peu à peu de reconnaître et de prévenir les causes de dégénérescence.
Enfin l’étude des méthodes propres à l’enseignement des anormaux ou arriérés nous a déjà permis de reconnaître certains défauts de l’enseignement donné aux enfants normaux et d’améliorer nos méthodes générales d’enseignement.
Comment faut-il s’occuper des enfants anormaux et arriérés ?
D’abord, pour certains, un traitement physique s’impose : régimes, médications, cures de soleil, d’air, etc., selon les cas. Tout ceci est de la compétence des médecins.
Ensuite, un traitement éducatif s’impose également.
Ce traitement éducatif spécial, dont nous reparlerons à propos de l’éducation, est évidemment très variable, car il y a une grande variété d’anomalies et d’infériorités ; aussi il exige le plus souvent des éducateurs spécialisés, ayant la charge d’un petit nombre d’enfants, et des écoles spéciales.
Moins l’hérédité a donné de valeurs latentes à l’enfant et plus l’influence du milieu éducateur devra être intense pour permettre au mieux l’épanouissement de ces valeurs.
Les écoles spéciales pour anormaux et arriérés ont donc en tout premier lien pour rôle de favoriser le développement physique, mental et affectif de ces enfants. Elles s’efforcent ensuite de les préparer à des professions qu’ils soient capables de remplir.
Ajoutons, pour terminer, qu’actuellement, en France, le nombre des écoles spéciales est tout à fait insuffisant et que, surtout dans les campagnes, la plupart des enfants arriérés ou ne vont pas à l’école, ou vont à l’école ordinaire et y font peu ou point de progrès tout en nuisant à l’instruction et à l’éducation de leurs condisciples.
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Ecole sur mesure. En 1900 la ville de Mannheim (Allemagne) introduisit dans ses classes une organisation que l’on désigne tantôt sous le nom d’ « Ecole sur mesure », tantôt sous celui de « système de Mannheim ». Ce système s’efforçait de tenir compte de la diversité des capacités des élèves en fractionnant chaque classe en trois divisions : l’une pour les enfants très intelligents, l’autre pour les moyens et la troisième pour les très faibles. Le système de Mannheim a été l’objet de nombreuses critiques et nous ne le signalons que comme la première tentative sérieuse de réaliser l’adaptation de l’enseignement à la nature de l’écolier.
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Ecoles pour surnormaux. Dès la Révolution Française, les projets d’organisation de l’enseignement public, présentés à la Convention par Condorcet et Lepelletier de Saint-Fargeau, posaient le principe que les enfants qui témoignent d’une intelligence supérieure doivent continuer leurs études aux frais de l’Etat et devenir les « Pupilles de la Pairie ». Plus tard, Napoléon, en fit des « Elèves du Gouvernement ». Aujourd’hui nous avons, en France, le système des bourses. Ce système mérite de sérieuses critiques. D’abord il est une aide imparfaite et par cela-même profite beaucoup plus à la petite bourgeoisie qu’au prolétariat. Ensuite le choix des boursiers se fait à l’aide d’examens qui ont le tort de tenir beaucoup plus compte de l’acquis scolaire que des aptitudes enfantines. Enfin les élèves ainsi sélectionnés se trouvent réunis à des cancres de familles riches et l’homogénéité des classes n’est pas obtenue dans les écoles.
La sélection des mieux doués, sous sa forme actuelle, se fait surtout au profit de la classe sociale privilégiée qui tente d’aspirer les éléments les meilleurs du prolétariat. Il n’en est pas moins vrai qu’il y a un intérêt social évident à ce que l’on découvre très tôt l’élite intellectuelle et qu’on lui permette de se développer. L’intérêt social n’est pas seulement en jeu. Tout comme les anormaux, les normaux causent un déséquilibre des classes dont pâtissent les élèves moyens. Il y a enfin à cette sélection un intérêt individuel trop méconnu : l’enfant surnormal profite mieux d’un travail à sa mesure ; de plus, c’est souvent un enfant à surveiller au point de vue médical.
N’oublions pas qu’il ne faut pas confondre l’enfant précoce, qui devient de bonne heure un petit homme mais s’arrête très tôt dans son développement et l’enfant surnormal exceptionnellement doué. Dès 1905, un allemand : Petzoldt, réclamait des écoles spéciales pour surnormaux. En 1917 la ville de Berlin créa de telles écoles. Son exemple fut suivi en 1918 par Hambourg.
Dans le Northumberland (Angleterre) la sélection des mieux doués a aussi été organisée. Il en est de même en Autriche et en Amérique. En Belgique, une loi du 15 octobre 1921 a créé un « fonds provincial des mieux doués ».
Non seulement la sélection des mieux doués gagna du terrain, mais encore elle perfectionne une méthode : aux examens ordinaires, où triomphent surtout les élèves doués d’une bonne mémoire et gavés de connaissances, on préfère de plus en plus les tests psychologiques, épreuves qui permettent de juger beaucoup mieux les aptitudes des élèves.
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Ecoles de plein air. Ces écoles naquirent en Allemagne et en France en 1904 et se l’épandirent peu à peu : les premières furent celles de Charlottenburg (Allemagne) et de Montigny-sur-Loing (France). Ensuite des écoles analogues furent créées au Danemark et en Hollande (1905), en Italie (1906), en Angleterre et en Norvège (1907), aux Etats-Unis et en Hongrie 11908), au Canada (1912), en Russie (1914), etc.
Un premier Congrès international des écoles de plein air s’est tenu à Paris du 24 au 28 juin 1922.
Ce Congrès a adopté un certain nombre de vœux ainsi que les modifications suivantes :
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La classe aérée est une classe dans laquelle les fenêtres d’un côté ou de l’autre restent toujours ouvertes. II est désirable que toutes les classes deviennent des « classes aérées ».
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L’Ecole de plein air est un établissement d’éducation situé hors des villes dans de bonnes conditions d’exposition et, pour le moment, réservé aux enfants non tuberculeux, mais ayant besoin d’un régime scolaire et hygiénique spécial, sous un contrôle médical. Elle peut être conçue sur le type externat ou sur le type internat ; celui-ci devra être offert à ceux des enfants qui subissent au foyer familial des conditions hygiéniques défectueuses. Il est désirable que ces types d’établissements scolaires se généralisent à l’ensemble de la population enfantine.
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Les Préventoriums sont des établissements situés à la campagne, où des enfants, le plus souvent exposés à la contagion dans le milieu familial, non fébricitants et non contagieux, atteints des formes initiales, latentes et curables de tuberculose non pulmonaire, sont soumis en régime d’internat, à une hygiène spéciale, constituée par une alimentation, surveillée, une aération continue et une association de repos et d’entraînement physique, respectivement dosés par la collaboration d’un médecin et d’un pédagogue.
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Ecole active. Le terme « Ecole active » tend depuis quelques années à prendre la place d’un autre terme « Arbeitsschule » (école du travail), auquel les pédagogues reprochaient un certain manque de précision.
A. Pabst note, dans l’avant-propos d’un ouvrage allemand, consacré à la pratique de l’Ecole du travail, que le terme Arbeitsschule « a eu assez fréquemment le tort d’être mal compris ». D’après lui, Arbeitsschule n’est ni simplement l’école de travail manuel ni l’ennemi de l’étude, Pour lui l’activité manuelle est une des formes les plus importantes de l’activité de l’enfant ; mais il ne faut pas omettre non plus l’enseignement par l’observation et l’expérience, l’enseignement occasionnel et l’enseignement en plein air. En outre « l’emploi des objets (enseignement de la réalité) et l’éveil de l’initiative et de l’activité personnelle de l’enfant doivent surtout être toujours placées au premier plan ». L’Arbeitsschule est une école d’éducation qui « place la formation de la volonté au centre de tout l’enseignement ». On ne peut, dit encore Pabst, « former et améliorer les hommes par le moyen d’un savoir verbal. C’est seulement sur une base de connaissances acquises par le travail personnel, par l’observation personnelle, la manière de faire et la pensée que peut se développer avec valeur la force de la volonté et celle de l’intelligence » ;
Dans le même ouvrage (Aus der Praxis der Arbeitsschule), un instructeur de Leipzig, Karl Röszger, oppose la vieille pédagogie qui, sans souci de l’enfant, organisait le travail d’une façon logique, à la nouvelle pédagogie qui se place au point de vue psychologique et construit ses méthodes eu partant de l’enfant. Par suite, trois questions se posent à l’instituteur de 1’Arbeitsschule : 1° quel degré de développement a atteint l’enfant non encore entré à l’école ; 2° quelle est, dans le développement, la direction qu’il faut prendre ; 3° par quels moyens l’école peut-elle influencer heureusement le développement ?
La réponse à la première question nécessite des épreuves spéciales destinées à juger le développement : corps, taille, poids, des organes des sens (tests), du langage, etc.
C’est l’élève seul, dit-il, qui fait reconnaître la direction qu’il faut prendre, le pédagogue psychologue doit tenir compte des individualités et ne pas exiger la même chose de chacun. Cependant la tendance au mouvement et à l’activité est propre à tous. « C’est pourquoi l’enseignement doit être vivant, c’est dire que les élèves doivent toujours avoir quelque chose à faire, avec les mains et les jambes, avec la, tête et le corps, et non seulement avec l’oreille, l’œil et la bouche ».
« La première parole, dit-il, doit provenir du besoin et non de l’exigence, et le premier succès doit encourager à une action ultérieure ». Il n’importe pas surtout d’obtenir une certaine quantité de résultats en un temps donné, ce n’est pas le maître seul qui doit déterminer le travail ; il n’est « pas là comme le directeur tout-puissant des volontés et des actions, qui ordonne et qui. défend, rien que parce que cela lui plaît », mais il est celui qui, observant les enfants, connaissant leurs intérêts, s’efforce de trouver le moyen de suggérer à ses élèves la direction à prendre pour en retirer avantage ; il ne renonce pas à faire agir sa volonté, il n’oublie pas, que l’on n’apprend pas à lire, à écrire, à calculer sans certains exercices, mais toujours les exercices qu’il propose sont dans « un rapport quelconque avec les intérêts spéciaux des élèves ».
Tous les pédagogues allemands n’ont pas, il est vrai, conçu l’Arbeitsschule comme le font Pabst et Röszger. Avant d’être une école d’activité spontanée, aussi bien intellectuelle que manuelle, l’Ecole du travail fut dominée par les préoccupations professionnelles pures, puis par un souci d’activité trop exclusivement manuelle.
Qu’on la désigne sous le terme d’Arbeitsschule ou sous celui d’Ecole active on voit ce qui caractérise cette école. Elle est celle qui se préoccupe de la liberté, de la spontanéité enfantines. Elle ne veut pas imposer à l’enfant des efforts pour un but qui ne l’intéresse pas, elle se refuse même à tenter de rendre l’étude intéressante pour l’enfant. Ce qu’elle veut : c’est obtenir l’effort en vue d’un but intéressant par lui -même, sans récompense autre que l’obtention du résultat poursuivi, sans punition, sans artifices ; c’est l’organisation d’un milieu scolaire tel, que les enfants soient placés dans des conditions convenables pour qu’ils éprouvent le besoin d’agir, d’observer, d’expérimenter, de se développer corporellement et mentalement.
Tout ceci n’est point vraiment nouveau : Socrate, Rabelais, Montaigne, Luther J.-J. Rousseau, Pestalozzi, Fröbel, furent des précurseurs des écoles actives d’aujourd’hui. Plus près de nous Tolstoï à Jasnaïa Poliana (Russie) ; Giroud, Delon et Robin à Cempuis, Sébastien Faure à La Ruche, M. Vernet à l’Orphelinat d’Epône ; Jean Ligtharten en Hollande ; Mme Montessori en Italie ; le Dr Decroly en Belgique ; John Dewey, Angelo Patri, etc., en Amérique ; Gaudig, Kerschensteiner, Lag, Scharrelmann, Gansberg, etc., en Allemagne ; Seidel, Oertli, Ferrière, Claparède, H. Tobler, etc., en Suisse ; O’Neill, Sauderson, etc., en Angleterre, ont été, ou sont encore, parmi les plus ardents artisans de l’Ecole active.
Le pouvoir soviétique, lui-même, a voulu établir en Russie le régime de l’Ecole du travail, mais il paraît certain que les instituteurs russes, en général, n’étaient pas suffisamment préparés au rôle qu’on a voulu leur faire jouer et d’autre part que la liberté et la spontanéité enfantines ont été trop négligées, pour satisfaire aux préoccupations politiques des dirigeants.
Une place à part doit être faite à ces écoles expérimentales qui s’efforcent d’améliorer l’Ecole et portent le nom d’Ecoles nouvelles. Nous extrayons de « Pour l’Ere nouvelle » des renseignements copieux sur ces écoles :
Elles visent un triple but : satisfaire les besoins psychologiques spontanés de l’esprit de l’enfant ; l’armer pour la vie d’aujourd’hui ou, mieux encore, pour celle de demain ; enfin le mettre à même de s’élever par son effort propre jusqu’aux valeurs universelles de l’esprit, indépendantes du temps et du lieu : la vérité, le bien, la beauté !
Le nom d’Ecole nouvelle — en anglais new school — a été choisi par le Dr Cecil Heddie, qui créa la première institution de ce genre en 1889 à Abbotsholme dans le Derbyshire. Le sociologue Edmond Demolins l’importa en France, où il établit en 1899 l’Ecole des Roches à Verneuil-sur-Avre (Eure). En Allemagne, le Dr Hermann Lietz désigna ses écoles du nom de Land--Erziehungsheime : foyers d’éducation à la campagne. Mais les plus récentes de ces écoles, celles tout au moins qui ont étendu à toute la communauté scolaire la pratique du self-government, portent le nom de Freie-Schulgemeinden.
Il n’est pas facile de caractériser l’école nouvelle.
Nombre d’institutions se dénomment « Ecoles nouvelles » sans ressembler de près ni de loin aux écoles modèles qui ont donné à ce terme sa consécration...
Il est bon toutefois que le public soit averti. « Méfiez vous des contrefaçons », lui crierait-on volontiers.
Mais comment le public reconnaîtra-t-il le vrai du faux, puisqu’il ne s’y entend pas et que les directeurs d’écoles, à l’instar des politiciens de profession, le leurrent de belles promesses et de « plans fort beaux sur le papier... »?...
Des séjours nombreux et prolongés dans les principales Ecoles nouvelles de différents pays nous ont permis de déceler ce qui les distingue des écoles traditionnelles, et cela non plus seulement dans les principes — qui sont en soi invisibles et impalpables et dont le dernier « marchand de soupe » venu peut se réclamer — mais dans les réalités concrètes.
Trente traits caractéristiques, tirés de l’expérience même des Ecoles nouvelles, permettent de « jauger » celles-ci, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Un bref séjour permettra à un père de famille de diagnostiquer si l’école à laquelle il voudrait confier son enfant est, ou non, une Ecole nouvelle. Le procédé a sans doute forcément quelque chose d’un peu arbitraire : toute application d’une théorie à la pratique comporte ce caractère. Mais moins il y a d’arbitraire dans l’établissement de cette norme de valeurs, mieux cela vaut.
C’est à quoi nous avons visé.
CARACTERISTIQUES DES ECOLES NOUVELLES
Organisation
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L’Ecole nouvelle est un Laboratoire de pédagogie pratique
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Pionner des Ecoles d’Etat, elle prépare le terrain en approuvant l’efficacité des méthodes nouvelles.
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Elle s’appuie sur les données de la psychologie de l’enfant et sur les besoins de son corps et de son esprit.
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Elle vise à préparer les enfants à la vie moderne avec ses exigences matérielles et morales.
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L’Ecole nouvelle est un Internat.
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Seule l’influence totale du milieu permet de réaliser une éducation intégrale.
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L’Ecole nouvelle vise surtout les enfants dont la famille n’existe pas ou ne veut pas entreprendre l’éducation selon les exigences de la science moderne.
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Elle tend à faire le pont entre la vie familiale et la vie sociale, en réalisant les groupements par « familles » adoptives, au gré des affections spontanées des enfants.
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L’Ecole nouvelle est située à la campagne.
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La campagne est le milieu naturel de l’enfant. Il y trouve le calme dont son système nerveux a besoin.
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Possibilité de se livrer aux ébats primitifs et aux travaux des champs.
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Pour les adolescents, la proximité d’une ville est désirable pour l’éducation intellectuelle et artistique (musées, concerts, etc.).
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L’Ecole nouvelle groupe les élèves par maisons séparées.
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Les groupes de dix à quinze élèves vivent sous la direction matérielle et morale d’un éducateur et d’une éducatrice.
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L’élément féminin ne doit pas être exclu de l’éducation des garçons, ni l’élément masculin de l’éducation des filles.
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Les habitudes d’ordre et les relations d’intimité ne sont possibles que dans un milieu restreint.
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L’Ecole nouvelle pratique le plus souvent la coéducation des sexes.
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Laissés ensemble depuis leur plus jeune âge, tout en étant élevés selon les besoins particuliers de leur sexe, les garçons et les filles vivent en camarades.
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Les éléments qui ne conviennent pas à la coéducation ou à qui la coéducation ne convient pas sont exclus.
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En évitant les « refoulements » pathologiques, la coéducation prépare des mariages sains et heureux.
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Vie physique
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L’Ecole nouvelle organise des travaux manuels.
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Ces travaux sont obligatoires pour tous les élèves et ont lieu généralement de 2 à 4 heures.
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Ces travaux poursuivent non pas un but professionnel, mais éducatif.
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Ces travaux présentent une utilité réelle pour l’individu ou la collectivité.
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L’Ecole nouvelle attribue une importance spéciale à :
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La menuiserie qui développe :
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l’habileté et la fermeté manuelles.
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le sens 1e l’observation exacte.
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la sincérité et la possession de soi.
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La culture du sol :
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contact avec la nature.
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connaissance des lois de la nature.
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santé et force physiques.
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utilité de premier ordre.
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L’élevage, sinon du gros bétail, du moins de petits animaux :
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protéger et observer des êtres plus petits que soi.
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habitudes de persévérance.
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observations scientifiques possibles.
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utilité.
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L’Ecole nouvelle provoque chez les enfants des travaux libres.
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Concours et expositions de travaux d’élèves.
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Développement des goûts individuels.
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Développement de l’initiative par l’obligation de choisir, mais la liberté de choix.
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L’Ecole nouvelle assure la culture du corps par la gymnastique naturelle.
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Pratiquée le torse nu ou même en bain d’air complet, elle aguerrit et écarte les maladies.
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Elle rend souple et adroit sans ennuyer l’enfant.
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Elle s’associe aux jeux et aux sports.
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L’Ecole nouvelle cultive les voyages à pied ou à bicyclette, avec campement sous la tente et cuisine en plein air.
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Préparation à l’avance de ces voyages et notes prises en cours de route.
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Adjuvant à l’étude : géographie locale ou des pays étrangers, visites de monuments, usines, fabriques, etc.
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Culture de la force physique, aguerrissement apprentissage de l’entraide.
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Vie intellectuelle
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L’Ecole nouvelle entend par la culture générale, la culture du jugement et de la raison.
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Méthode scientifique : observation, hypothèse, vérification, loi.
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Un noyau de branches obligatoires réalise l’éducation intégrale.
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Pas d’instruction encyclopédique faite de connaissances mémorisées mais faculté de puiser dans le milieu et dans les livres de quoi développer, du dedans au dehors, toutes les facultés innées.
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L’Ecole nouvelle ajoute à la culture générale une spécialisation.
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Cours spéciaux périodiques, choix libre mais obligation de choisir.
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D’abord spécialisation spontanée : culture des goûts prépondérants de chaque enfant.
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Puis spécialisation réfléchie : culture systématique développant les intérêts et les facultés de l’adolescent dans un sens professionnel.
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L’Ecole nouvelle base son enseignements sur les faits et les expériences.
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Observations personnelles de la nature.
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Observations des industries humaines et des organisations sociales.
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Essais scientifiques de cultures et d’élevages et travaux de laboratoires — travaux qualitatifs chez l’enfant, quantitatifs chez l’adolescent.
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L’Ecole nouvelle recourt à l’activité personnelle de l’enfant.
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Association d’un travail concret à la plupart des études abstraites.
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Utilisation du dessin comme un adjuvant à toutes les branches d’étude.
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On a dit : savoir, c’est prévoir. On pourrait dire à plus forte raison : savoir, c’est pouvoir.
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L’Ecole nouvelle établit son programme sur les intérêts spontanés de l’enfant.
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Première enfance : 4 à 6 ans : âge des intérêts disséminés ou âge du jeu ;
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Seconde enfance : 7 à 9 ans : âge des intérêts attachés aux objets concrets immédiats. — 10 à 12 ans : âge des intérêts spécialisés concrets ou âge des monographies ;
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Adolescence : 13 à 15 ans : âge des intérêts abstraits complexes. — Préparation du futur père, économiste privé, citoyen et professionnel.
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Organisation des études
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L’Ecole nouvelle recourt au travail individuel des élèves.
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Recherche de documents (dans les faits, les livres, les journaux, les musées).
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Classement des documents (classeurs par catégories, fiches, répertoires).
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Elaboration individuelle des documents (cahiers illustrés, ordre logique des matières, travaux personnels, conférences).
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L’Ecole nouvelle recourt au travail collectif des élèves.
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Mise en commun des matériaux réunis sur un même sujet.
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recherche des associations que suggère le sujet traité dans le temps et l’espace.
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recherche des applications : utilité (chez les enfants), systématisation scientifique (chez les adolescents).
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A l’Ecole nouvelle l’enseignement proprement dit est limité à la matinée.
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De 8 heures à midi, il y a quatre heures. 24 heures par semaine doivent suffire largement pour un travail plus intensif qu’extensif.
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Il y a étude personnelle de 4 1/2 à 6 heures, pas d’étude pour les petits, étude de répétition chez les moyens, étude d’élaboration chez les grands.
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La classe sera d’ailleurs plus souvent une classe laboratoire ou une classe musée, qu’un lieu consacré à l’abstraction pure.
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A l’Ecole nouvelle on étudie peu de branches par jour.
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L’intérêt soutenu n’est pas favorisé par le morcellement des études.
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La variété naît non pas des sujets traités, mais de la façon de les traiter.
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La concentration plus grande assure un rendement très supérieur : plus d’effets utiles pour moins d’efforts inutiles.
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A l’Ecole nouvelle on étudie peu de branches par mois ou par trimestre.
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Système analogue à celui des cours universitaires.
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Horaire individuel de chaque élève.
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Les élèves sont groupés non pas d’après leur âge, mais d’après leur degré d’avancement dans les branches étudiées. Condition de concentration et d’efficacité des études.
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Education sociale
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L’Ecole nouvelle forme, dans certains cas, une république scolaire.
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L’Assemblée générale prend toutes les décisions importantes concernant la vie de l’Ecole.
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Les lois sont les moyens tendant à régler le travail de la communauté en vue du progrès spirituel de chaque individu.
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Ce régime suppose une influence morale prépondérante du directeur sur les « meneurs » naturels de la petite république.
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A l’Ecole nouvelle, on procède à l’élection de chefs.
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Les chefs ont une responsabilité sociale définie qui a pour eux une haute valeur éducative.
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Les élèves préfèrent être conduits par leurs chefs plutôt que par les adultes.
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Les professeurs se trouvent ainsi libérés de toute la partie disciplinaire et peuvent se consacrer tout entiers au progrès intellectuel et moral des élèves.
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L’Ecole nouvelle répartit entre les élèves les charges sociales.
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Collaboration effective de chacun à la bonne marche du tout.
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Apprentissage de la solidarité et de l’entraide sociale.
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Sélection des plus capables qui seront choisis comme chefs.
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L’Ecole nouvelle agit par des récompenses ou sanctions positives.
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Les récompenses consistent en occasions fournies aux esprits créateurs d’accroître leur puissance de création.
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Les récompenses s’appliquent uniquement aux travaux libres et favorisent ainsi l’esprit d’initiative.
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Il n’y a pas de récompenses basées sur la concurrence. Dans les jeux, le seul enjeu est le mérite de la victoire.
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L’Ecole nouvelle agit par des punitions ou sanctions négatives.
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Les punitions sont, autant que possible, en corrélation directe avec la faute commise.
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Les punitions visent à mettre l’enfant en mesure, par des moyens appropriés, d’atteindre le but bon qu’il n’a pas atteint ou qu’il a mal atteint.
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Pour les cas graves, il n’y a pas de sanctions prévues dans le code, mais une action morale personnelle exercée par un adulte, ami du coupable.
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Education artistique et morale
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L’Ecole nouvelle met en jeu l’émulation.
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L’entraide, par appel aux services volontaires, a une efficacité de premier ordre.
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Ce cas est le seul où registre peut être tenu avec notes appropriées.
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Dans tons les cas, il faut comparer le travail actuel de l’élève avec son propre travail passé et non avec celui d’autrui.
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L’Ecole nouvelle doit être un milieu de beauté.
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L’ordre en est la condition première, le point de départ.
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Les travaux manuels, en particulier d’art industriel, qu’on pratique, ainsi que les œuvres de ce genre dont on s’entoure, contribuent à la beauté du milieu ambiant.
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Enfin le contact avec les chefs-d’œuvre de l’art et, chez les élèves les plus doués, la pratique de l’art pur satisfont les besoins esthétiques d’ordre spirituel.
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L’Ecole nouvelle cultive la musique collective :
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Par des auditions quotidiennes de chefs-d’œuvre après le repas du milieu du jour ;
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Par la pratique quotidienne du chant en commun ;
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Par la pratique fréquente de l’orchestre ; ces activités concertées d’ordre affectif, chez ceux qui aiment la musique, contribuent à resserrer les liens collectifs par l’émotion qui émane d’elles.
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L’Ecole nouvelle fait l’éducation de la conscience morale :
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En présentant chaque soir aux enfants des lectures ou récits empruntés à la vie fictive ou réelle.
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En provoquant ainsi chez eux des réactions spontanées de leur conscience morale, véritables jugements de valeur.
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En les liant ainsi pratiquement à ces jugements de valeur qui affermissent leur conscience et les déterminent au bien.
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L’Ecole nouvelle fait l’éducation de la raison pratique :
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En suscitant chez les adolescents des réflexions et des études portant sur les lois naturelles du progrès spirituel, individuel et social.
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En associant à ces réflexions, d’une part, la biologie, la psychologie et la physiologie, d’autre part l’histoire et la sociologie.
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En faisant converger toute la vie de la pensée vers l’accroissement de puissance de l’esprit, ce qui est proprement, qu’on se place ou non à un point de vue confessionnel, l’éducation religieuse.
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Ad. FERRIÈRE, Directeur de la section d’Education
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Dans un autre écrit, le pédagogue suisse se demande comment l’Ecole peut tenir compte des intérêts des enfants, les préparer à l’activité solidariste et à la liberté réfléchie. Voici la solution qu’il recommande et qu’il a fait mettre en application à l’Ecole Internationale de Genève.
Quatre modes d’activité sont conduits de front :
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Travail individuel standardisé, pour l’acquisition des techniques et portant sur un programme minimum. Le programme est divisé en étapes. Les élèves s’efforcent de franchir ces étapes en se servant de fiches ou de manuels. La durée du travail n’est pas indiquée, ce qui permet aux élèves d’avancer selon leurs aptitudes. Les élèves ne doivent passer à l’étape suivante qu’après s’être soumis avec succès à un test, ou épreuve, de connaissance.
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Travail individuel libre, en tenant compte des goûts individuels et des aptitudes, chaque élève avançant à son pas. Au début, les élèves choisissent leurs travaux parmi une liste de travaux proposés par le maître ; dès qu’ils sont capables de plus d’initiative, les élèves soumettent des projets de travaux à l’approbation du maître.
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Travail collectif organisé et leçons collectives se rapportant à un programme de centres d’intérêts : étude des besoins primordiaux de l’homme, de leur satisfaction dans le passé (histoire) et à travers le monde (géographie).
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Travail collectif libre : excursions à but scientifique : organisation de jeux, de pièces théâtrales, de coopératives scolaires, etc…
Comme on le voit il y a tout de même un horaire, un emploi du temps, dans les écoles nouvelles ; mais il faut noter que cet horaire est plus souple et laisse beaucoup plus de liberté aux enfants que celui de l’école ordinaire. Autre remarque : les pédagogues des écoles nouvelles croient que l’évolution de l’individu est une récapitulation abrégée de l’évolution de la race ; par suite, ils pensent que le régime scolaire doit aller de l’autorité avec les tout petits à la liberté avec les plus grands. A l’Ecole nouvelle, on organise ainsi un apprentissage de la liberté.
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Ecole unique. Cette expression nous vient du mot allemand, Einheitschule. Ce que l’on désigne par ce terme, assez peu précis, a été réalisé, au moins partiellement, en quelques pays : Allemagne, Suisse, etc ...
Depuis la guerre, une vive campagne a été menée en France, pour ou contre l’Ecole unique, mais cette campagne répond à des préoccupations diverses et parfois contradictoires que l’on peut résumer ainsi brièvement :
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Réaliser l’égalité réelle des classes sociales devant l’enseignement ;
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Remettre de l’ordre dans une organisation scolaire chaotique ;
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(Pour quelques-uns), préparer le monopole de l’Enseignement et combattre l’Enseignement religieux ;
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(Pour d’autres qui veulent limiter la réforme), aspirer l’élite du prolétariat au profit de la bourgeoisie.
Malgré l’augmentation du nombre des bourses, l’injustice de notre organisation scolaire actuelle est évidente. Il est vrai que l’on justifie la non gratuité de certaines écoles en disant que celui qui peut payer doit payer ; mais le paiement n’est qu’un trompe-l’œil puisque l’Etat subventionne les écoles (collèges, lycées, facultés, etc.) payantes. Il a été calculé qu’en 1910, un père de famille mettant un fils au lycée payait, en moyenne, le tiers de la dépense dont l’Etat fournissait les deux autres tiers. Ce calcul est d’un socialiste (Zoretti) mais nul ne l’a jamais démenti. Par suite du peu d’élèves de certains établissements, du traitement et du nombre des professeurs, etc., un petit bourgeois de dix ans, suivant les cours d’un collège payant, coûtera plus à l’Etat qu’un enfant d’ouvrier fréquentant l’Ecole primaire, soi-disant gratuite.
Ajoutons que, compte tenu des subventions actuelles de l’Etat et de la possibilité de supprimer certains établissements d’enseignement secondaire, la réalisation de l’Ecole unique entraînerait pour l’Etat des charges financières vraiment légères, comparativement à certaines dépenses improductives : plus de quarante millions, a déclaré un adversaire de la réforme.
Un universitaire, hostile à l’Ecole unique, Abel Faivre, réclame un enseignement parallèle, mais le mal est précisément dans le parallélisme actuel :
Gratuit Payant
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1er degré : Ecoles primaires Classes élémentaires des lycées et collèges.
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2ème degré : Ecoles primaires supérieures, écoles normales. Enseignement secondaire. Facultés, grandes Ecoles.
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3ème degré : Ecoles normales supérieures d’enseignement primaire.
L’enseignement primaire ne devrait point se prolonger ainsi dans les 2ème et 3ème degrés et, par contre, l’enseignement du 2ème degré devrait renoncer à cette doublure du primaire que sont les classes élémentaires des lycées et collèges.
Le désordre n’est pas seulement là. Des écoles techniques se trouvent placées sous la direction d’un Ministère du Commerce et de telles écoles s’efforcent parfois de préparer aux Brevets tout comme les Ecoles primaires supérieures, dépendant du Ministère de l’Instruction publique. Il est vrai que ces dernières écoles concurrencent à leur tour les précédentes, en tendant à avoir un caractère technique.
Une différenciation des Ecoles des 2ème et 3ème degrés est nécessaire par suite de la différenciation des études, conséquence elle-même de la diversité des professions ; mais, à une différenciation croissante doit correspondre une spécialisation de plus en plus étroite des écoles et non pas la concurrence et le chaos actuel.
Imaginons qu’une loi décide la suppression de ce désordre et réalise la gratuité de l’enseignement à tous les degrés. Cette simple hypothèse va nous permettre de montrer la complexité du problème. D’abord, peu de petits prolétaires pourront profiter des enseignements des 2ème et 3ème degrés. A cela deux raisons. Raison d’aptitudes d’abord : l’inégalité sociale cause l’inégalité physique et mentale ; l’enfant pauvre, né dans de plus mauvaises conditions, a de moindres chances d’un développement satisfaisant : alimentation, logement, soins, etc. Autre raison, surtout lorsqu’il reste des frères et sœurs à élever : l’enfant pauvre vient assez tôt à l’aide de sa famille.
Il est vrai que divers projets d’Ecole unique prévoient non seulement la gratuité absolue, mais encore des allocations familiales de remplacement pour les parents dont les enfants sont capables de continuer leurs études. On peut donc supposer que le nombre des enfants des classes pauvres devant poursuivre les études sera plus élevé que nous ne l’avons imaginé tout d’abord. Même si l’on pouvait bâtir rapidement des écoles, on ne pourrait trouver immédiatement des professeurs compétents. Si trente petits prolétaires doivent, par leurs capacités, prendre place dans le lycée d’une petite ville, c’est que trente enfants des classes aisées, mais moins aptes, leur cèderont la place. Les exclus iront renforcer l’Enseignement libre, c’est-à-dire religieux dans la plupart des cas, si l’on n’établit pas le monopole de l’Enseignement. Inutile de dire que ce monopole d’Etat ne nous dit rien qui vaille et que nous sommes partisans d’une véritable liberté de l’Enseignement. Cependant, imaginez les résultats d’une Ecole unique sans monopole : tel fils d’usinier se verra sans doute préférer le fils de l’un des ouvriers de son père et sera par suite obligé de poursuivre ses études avec l’aide de maîtres de l’enseignement libre ; au bout de quelques années, il est probable qu’il sera moins capable que l’autre enfant de diriger l’entreprise paternelle ; mais, à moins d’être tout à fait un cancre, il pourra la diriger tout de même tandis que, malgré ses études supérieures, le fils d’ouvrier devra se contenter de postes subalternes, ou faire un déclassé, parce que la plupart des bonnes places resteront dans les mains des fils à papa, des neveux, cousins, etc...
Parfois, cependant, un petit prolétaire parviendra à. une situation mieux en rapport avec ses aptitudes ; mais, presque toujours, ce sera au prix du reniement de sa classé et, en définitive, son accession à la classe supérieure consolidera l’inégalité sociale.
En résumé, il est utopique de croire qu’une société basée sur l’inégalité sociale réalisera une véritable égalité des enfants devant l’instruction, car l’inégalité sociale renforce l’inégalité naturelle des capacités et la fortune, plus que les capacités, ouvre la porte des situations les meilleures.
Cependant si l’inégalité ne peut disparaître tout d’un coup ni tout à fait, on peut espérer qu’elle s’atténuera peu à peu.
A certains égards même, la classe privilégiée nous parait travailler à détruire son privilège. C’est ainsi qu’en s’efforçant de trouver des spécialistes pour ses usines, de réaliser l’orientation professionnelle, la classe capitaliste non seulement fournit un argument en faveur de la sélection des capacités, mais encore contribue à la recherche des moyens d’opérer une telle sélection.
Nous reviendrons plus tard sur la question de l’orientation professionnelle mais nous pouvons faire observer dès maintenant que, bien faite, elle devrait :
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permettre de fournir à chaque profession (manuelle ou non) les travailleurs d’élite dont elle a besoin et à chaque postulant un emploi ;
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guider les mieux doués, aptes à diverses professions vers celle qui exige, avec le plus d’aptitudes spéciales, le maximum d’intelligence.
Ecole unique et orientation professionnelle nouent le problème de la sélection des élites. Quand et comment cette sélection devra-t-elle être faite ?
Certaines aptitudes se manifestent tardivement et ce n’est qu’après la puberté que l’on pourra vraiment juger si des enfants seront aptes à des écoles supérieures.
Devrons-nous donc faire la sélection après 15 ou 16 ans comme le voudraient quelques-uns ?
Il semble raisonnable de croire qu’on devra sélectionner à ce moment, mais ce serait certainement une erreur de croire qu’on ne doit pas sélectionner plus tôt. Non pas seulement parce que certaines études, le latin par exemple, demandent à être connues hâtivement, mais parce qu’il importe qu’avant cet âge les élites ne perdent pas leur temps.
Dans certaines communes de la Suisse romande, une sélection se fait à sept ans, qui permet de trier les élèves des écoles en trois classes : anormaux, retardés et normaux ; les bons élèves des classes de normaux doivent parcourir le programme primaire en 4 années au lieu de 5, si bien qu’à onze ans cette élite doit choisir entre l’école secondaire qui conduit aux facultés et l’école primaire supérieure qui se continue par les écoles techniques.
Cependant, ce dernier mode de sélection ne nous satisfait pas mieux que le premier ; il est beaucoup plus favorable aux enfants précoces qu’aux enfants vraiment bien doués.
Comment donc faire pour ne pas écarter une partie des élites sans perte de temps ?
Evidemment l’individualisation de l’enseignement, l’école sur mesure, fournissent la meilleure solution de ce problème, si, de plus, on procède prudemment par sélections successives et de plus en plus serrées.
Dès l’âge de 6 à 7 ans, on peut écarter les anormaux et les retardés ; une nouvelle sélection s’impose entre dix ou onze ans, pas trop sévère non plus et avec une organisation scolaire assez souple pour permettre d’en corriger les résultats au besoin ; enfin ce n’est que vers 15 ou 16 ans que doivent se placer les épreuves définitives pour les enfants se destinant aux études supérieures.
Je dis épreuves et non examens, car les examens actuels tiennent moins compte des aptitudes réelles que de la mémoire des candidats.
Je touche là à une des difficultés de réalisation de l’Ecole unique. Ce n’est que depuis peu que l’on se soucie vraiment de la préparation de telles épreuves, c’est-à-dire des tests professionnels et des tests psychologiques et il ne s’agit pas seulement de reconnaître les aptitudes de chaque enfant, mais aussi de bien connaître celles qui sont nécessaires pour l’exercice convenable de chaque profession.
Toutes ces questions sont activement étudiées depuis quelques années et leur solution ne sera certainement pas sans influence sur la réalisation de l’Ecole unique.
D’autres causes encore influeront certainement dans le même sens et je veux seulement en signaler une dont l’importance me paraît encore aujourd’hui méconnue. L’école deviendra plus active et en particulier l’activité manuelle y occupera une plus large place. D’abord, parce que, dans un monde plus actif, plus industriel, plus scientifique, l’école ne peut qu’évoluer et s’écarter davantage de la scholastique moyenâgeuse. Ensuite, parce que les progrès de la psychologie et de la pédagogie nous démontrent aujourd’hui l’importance de l’activité et en particulier de l’activité manuelle pour le développement des facultés logiques et de la volonté.
Par suite, la différenciation des études dans l’enseignement primaire devra naître, non plus d’une différence dans les buts poursuivis, professionnels ou de culture, mais de la différence des aptitudes individuelles ; or, c’est précisément là un des buts que poursuivent les partisans de l’Ecole unique.
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L’Ecole de l’avenir. Plus d’un penseur a bâti cette école en utopie et en uchronie.
En 1891, un socialiste anglais, W. Morris, publiait ses « Nouvelles de nulle part », œuvre d’imagination où nous trouvons un tableau de l’éducation des temps futurs. Point d’écoles et cependant « la plupart des enfants, voyant des livres autour d’eux, parviennent à lire quand ils ont quatre ans ». Tout aussi facilement et aussitôt ces enfants apprennent l’anglais, le français, l’allemand, le gallois, l’irlandais, le grec, le latin, etc. Ne croyez pas que cet etc. renferme une langue internationale : espéranto, ido où autre, W. Morris n’a point songé à cela. Incontestablement le socialiste anglais manquait de connaissances psychologiques sérieuses et, au point de vue qui nous occupe, son œuvre d’imagination est tout à fait fantaisiste ;
Un anarchiste belge, Elslander, a lui aussi tenté d’imaginer ce que serait une éducation rénovée. Moins fantaisiste que Morris, il nous trace le tableau d’une école idyllique qu’il baptise Novella. A vrai dire Novella est une ferme dans laquelle les enfants vivent actifs et joyeux. Au contraire des enfants de « nulle part », ceux de Novella n’apprennent pas à lire et à écrire avant dix ans.
Ce seul détail de l’apprentissage de la lecture nous permet de saisir le gros défaut des œuvres dont nous venons de parler brièvement. Ni W. Morris, ni Elslander ne placent l’époque d’apprentissage de la lecture au moment le plus favorable ; l’un fait apprendre à lire à des enfants qui en sont encore incapables et l’autre laisse passer le moment le plus favorable — 6 à 8 ans — pour cet apprentissage.
Avoir beaucoup d’imagination ne suffit donc pas pour imaginer ce que pourra être l’école de l’avenir. Pour cela il faut connaître les progrès qui ont déjà été réalisés ou qui se réalisent peu à peu chaque jour dans tous les coins du globe. Ce n’est pas par souci d’historien que nous avons parlé de ces progrès dans les pages qui précèdent, mais parce que leur connaissance peut aider à imaginer une école meilleure.
Si la psychologie de l’enfant et la pédagogie expérimentale sont des sciences encore trop peu avancées pour nous permettre certaines précisions de détail, elles peuvent cependant nous apporter une aide tout aussi, précieuse que la connaissance du progrès accompli ou en cours.
Il est certain, par exemple, que l’école continuera de tenir de plus en plus compte des intérêts enfantins, que de plus en plus elle s’efforcera d’être l’école sur mesure, celle qui s’adapte à chaque enfant, à ses goûts et à ses aptitudes. Ceci nous permet de penser que les écoles se différencieront de plus en plus, permettant la sélection des élites, l’orientation professionnelle, comma aussi le maximum d’éducation et d’instruction possible pour les plus mal doués.
Déjà et de plus en plus, les éducateurs s’efforcent d’accroître la valeur individuelle de leurs élèves en cultivant leur spontanéité et en favorisant leur initiative.
Mais comment pourra-t-on parvenir à favoriser ainsi ce libre épanouissement des natures enfantines ?
En plaçant les enfants dans un milieu convenable et en leur assurant une bonne éducation par l’action concertée et éclairée des parents et des pédagogues.
Pour le petit enfant, le milieu convenable n’est pas la ville. Les music-halls, les cinémas, les étalages, la circulation, appartiennent à une civilisation trop avancée qui n’est pas à la mesure des enfants.
Ce qu’il faut, c’est un milieu naturel, vivant, qui fournisse aux enfants mille occasions d’agir sans trop de dangers, d’observer et d’expérimenter, où l’éducateur trouvera de nombreux prétextes pour faire penser, parler, dessiner, écrire, lire, calculer, etc.
L’école de l’avenir sera à la campagne, la culture, l’élevage ; les promenades permettront de voir la nature, d’observer les métiers simples, les machines les moins compliquées, les matières brutes, etc...
Dire que ce milieu convient le mieux au développement corporel et mental des enfants, cela suppose que l’école ne sera plus une prison, que le bâtiment scolaire sera un abri contre les intempéries, un atelier pour divers travaux et que la classe se fera souvent au dehors.
Pénétrons dans un de ces bâtiments. Le pédagogue n’étant plus celui qui surveille, commande, punit, fait des leçons, mais le compagnon plus âgé qui observe les enfants pour bien savoir ce qui leur convient, qui met sur leur chemin des occasions d’efforts fructueux, qui stimule et entraîne à l’occasion, ne trône plus dans un de ces massifs bureaux nécessaires aux pions de jadis.
Ici, les élèves sont libres. Les plus jeunes préfèrent travailler seuls le plus souvent ; mais les plus âgés s’associent librement et forment presque toujours de petits groupes qui se répartissent une œuvre collective formant ainsi l’image d’une société en miniature.
Cette organisation vivante et libre suppose un tout autre arrangement des classes, permettant des déplacements faciles, car de temps en temps l’un ou l’autre doit venir trouver le maître pour demander aide ou conseil, ou s’adresser à l’un de ses condisciples, ou aller chercher ailleurs un objet dont il a besoin. Ceci n’est possible qu’avec des locaux vastes et variés. Il en faut pour les travaux de ménage, pour ceux du bois, etc. On écrit, on lit, et on calcule ainsi dans notre école, on y écoute aussi le maître, bien qu’assez souvent ce soit un élève qui, ayant fait des recherches à propos d’un sujet d’étude — dans les livres de la bibliothèque ou au dehors — vient exposer à tous le fruit de ses travaux. Mais tout cela n’est plus l’occupation principale ; aussi, en place des tables de jadis, on a disposé des planches sur des tréteaux et chaque enfant a son siège individuel.
Les tables ainsi faites ne sont plus disposées face à la place du maître. La place du maître est tantôt ici, tantôt là, mais toujours où il y a besoin d’aider ou de stimuler quelqu’un. Ces tables, dis-je, sont placées en fer à cheval ou de toute autre façon, pourvu que leur disposition dans la vaste salle favorise l’activité tranquille des écoliers.
La salle n’est pas seulement vaste parce qu’elle doit permettre des évolutions faciles, mais aussi parce que, devant fournir de multiples occasions d’activité, elle renferme un riche matériel. Je ne veux pas dire par là que ce matériel est coûteux ; sa richesse, c’est son abondance, ce sont ses possibilités d’utilisation qui le font riche et précieux à mes yeux. Tout au contraire les maximes murales et tant de tableaux muraux qui ont fait la fortune de tant d’éditeurs ont été bannis de notre classe.
Cette classe est la salle des enfants et, si des rayons supportent de nombreux volumes, si on y trouve encore quelque matériel acheté, la plupart des objets que nous y pouvons voir ont été trouvés ou fabriqués par les enfants. L’ornementation des murs est leur œuvre Ils ont trouvé la salle presque nue avec des consoles et des étagères nombreuses et facilement accessibles. Ils ont aussi trouvé quelques caisses et les grands ont contribué à enrichir ce mobilier par leurs propres travaux : classeurs où seront recueillis des images et des articles découpés dans des journaux ou des revues, boîtes en carton pour les collections, etc... Tous ces travaux ont évidemment nécessité quelque réflexion, des dessins, des calculs, etc...
Parfois les parents des élèves ont apporté leur contribution : le charpentier une collection de bois, le charron une petite roue non serrée par le fer, etc. ; et ceci a contribué à établir le lien nécessaire entre l’école et la famille. L’Ecole, en effet, loin de vouloir supprimer l’influence, familiale, s’efforce de lui restituer sa pleine valeur. Pédagogues et parents collaborent à l’éducation de la jeunesse.
Je ne veux point allonger inutilement cette étude ; mais cependant avant d’y mettre le point final et de l’envoyer pour compléments aux mots éducation, instruction, etc., je tiens à attirer l’attention du lecteur sur un fait. Cette école de l’avenir, que je viens de dépeindre, n’est pas une utopie. Si, parcourant le vaste monde, le voyageur visitait successivement la Maison des petits de l’Institut J.-J. Rousseau, à Genève, l’Orphelinat rationaliste et l’Ecole de l’Ermitage à Bruxelles, le gymnase de Bogota dans l’Amérique du Sud et d’autres écoles encore qui se multiplient peu à peu, il pourrait constater que je n’ai fait que rassembler, en mon tableau de l’Ecole de l’avenir, des fragments des écoles d’aujourd’hui.
Pour « l’enfance heureuse et libre » que rêva Ferrer, il ne cesse de se créer des écoles et ce nom est une raison d’espérer.
-E. DELAUNAY.
ECONOMIE
n. f. (du grec oikos, maison et nomos, loi)
L’économie est le produit de l’épargne, ce que l’on soustrait de son revenu, du fruit de son travail. Avoir de l’économie. « C’est le travail qui chasse la misère et non l’économie. L’économie est le jugement appliqué aux consommations » a écrit J.-B. Say. Cela dépend comment on l’entend ; car, en réalité, le travail organisé tel qu’il l’est actuellement n’arrête pas la misère, qui pénètre malgré tout dans le foyer plébéien. Du reste il serait vraiment difficile au travailleur de faire des économies : l’exploitation qu’il subit lui permettant tout juste de vivre au jour le jour. L’économie chez le travailleur ne pourrait être vraiment que le fruit de l’avarice ou de privations encore plus grandes que celles qui lui sont imposées.
L’économie domestique est une qualité dont n’est pas dépourvue la femme du peuple, obligée par la force des choses de régler sagement ses dépenses et d’avoir de l’ordre dans la conduite de sa maison ou de son ménage. Cela nous fait sourire lorsque nous lisons à la troisième ou quatrième page des grands journaux bourgeois, les conseils d’économie domestique que donne quelque vieille bourgeoise en mal de copie et vivant probablement grassement de ses revenus. La ménagère qui n’a pour subvenir aux besoins d’une famille, que le modeste salaire de son compagnon, n’a, en vérité, que faire de ces conseils, et sait mieux que quiconque comment elle peut et doit s’arranger. Quant à faire des économies, il ne faut pas qu’elle y songe ; elle se considère déjà comme heureuse lorsque la maladie ne pénètre pas dans le foyer, venant troubler la quiétude relative dans laquelle s’écoule la vie de sa petite famille.
« La richesse et la fortune, disent certains, sont le produit de l’épargne et de l’économie ». Nous savons ce que vaut une telle affirmation, et ceux qui la propagent seraient bien embarrassés de donner des preuves à l’appui de leur assertion. Où est-il donc ce pays rêvé, ce pays heureux, cet Eden où le travailleur a la possibilité de vivre et d’épargner une partie de son salaire ? Il n’existe pas évidemment, c’est un royaume des cieux pour les pauvres d’esprit. Non, la richesse n’est pas le fruit du travail et de l’économie, elle est le fruit de l’oisiveté et de l’expropriation ; elle est le produit du vol et de la rapine, elle est la conséquence du travail de la majorité au profit de la minorité. Si économie est synonyme d’ordre, eh bien ce n’est pas au peuple qu’il faut prêcher l’économie, mais à ceux qui le dirigent, qui le gouvernent, et qui pataugent en plein dans le désordre.
En toute sincérité et sans aucun parti-pris, peut-on qualifier d’ordonnée, l’économie politique et sociale des sociétés modernes ? Si l’économie politique est « la science qui traite de la production, de la répartition des richesses, et l’économie sociale, la science de l’ensemble des lois qui régissent la société et ses intérêts », on peut dire que l’économie politique et sociale actuelle a fait totalement faillite et qu’en conséquence elle est condamnable.
Qu’est-ce que l’économie politique et sociale, ou plutôt que devrait-elle être ? Une science qui étudie les phénomènes découlant des transactions entre les hommes ; qui tient compte des besoins et des aspirations de la collectivité et de l’individu, et qui permette de maintenir l’ordre, au sein de la grande Cité commune que pourrait être l’humanité. Or, une telle science ne peut être féconde qu’à l’unique condition d’être à l’abri de toute autorité officielle, et débarrassée de tout parasitisme gouvernemental. C’est tout le contraire qui reproduit dans l’économie politique et sociale moderne, et c’est au pouvoir central, au gouvernement que l’on confie la tâche économique d’assurer la prospérité de la nation et, par extension, du monde entier. Les exemples sont trop nombreux pour qu’il nous soit utile d’insister sur le rôle que joue un gouvernement. Dans l’entreprise qui lui est confiée et qu’il a la charge de mener à bien, il n’y a qu’une sorte d’intérêts qui le préoccupe, et ce sont ceux du capitalisme ; comment pourrait-il alors travailler utilement à satisfaire aux besoins de la collectivité ? Toute l’économie politique et sociale moderne est basée sur des principes faux et erronés et c’est pourquoi elle ne donne que des résultats négatifs.
D’autre part, la plupart des économistes furent et sont des livresques, qui ne touchent le peuple, le vrai, que de très loin et sont, par conséquent, incapables d’en connaître les besoins. Sans contester la valeur de leurs travaux, surtout au point de vue de la production, et tout en tenant compte de l’apport de leurs recherches, qui compose petit à petit le bagage intellectuel de l’humanité, c’est surtout sur le terrain social que leur économie se manifeste inopérante ; c’est qu’elle ne repose pas sur des bases solides, et que tous les économistes ou presque furent des réformateurs et non des destructeurs d’abord et des constructeurs ensuite.
Turgot, par exemple, fut un grand administrateur et un éminent économiste. Nous ne pousserons pas le ridicule jusqu’à lui reprocher de n’avoir pas été anarchiste. Ce fut pour son temps un homme de progrès. Intendant à Limoges, puis ministre des Finances de Louis XVI, il avait rêvé de grandes réformes et désiré mettre un peu d’ordre dans les caisses du roi de France. Adversaire de la routine — devant laquelle du reste il se brisa — il voulut établir la liberté du commerce et de l’industrie, abolir les corvées par tout le royaume, supprimer les abus de la féodalité…, etc. Ses projets étaient imbus d’une certaine indépendance, et cependant il ne put les réaliser, justement parce que toute son économie politique et sociale reposait sur « la réforme ». Ce qu’il ne put faire, lui, la Révolution française le fit à peine dix ans après sa mort. Le peuple moins instruit, moins éduqué, sut imposer par la violence, ce qui provoqua la disgrâce de Turgot, et pourtant il est probable que Turgot, baron de l’Aulne, noble par naissance, eût s’il avait vécu, soutenu et défendu la monarchie contre le peuple révolutionnaire.
Et c’est l’erreur grave de tous les économistes de chercher à vouloir confondre et associer les intérêts d’une collectivité alors que cette collectivité est séparée à sa base et est appelée à se diviser de plus en plus. Ce fut l’erreur de tous les économistes du passé et c’est encore l’erreur d’un des plus sérieux des économistes modernes : M. Charles Gide.
De nos jours plus que jamais l’économie politique et sociale du monde est dans le marasme. Les conflits sr succèdent ; on leur trouve une solution provisoire, momentanée, mais ils éclatent ensuite avec plus de violence et de ténacité. La guerre entre le travail et le capital devient de plus en plus intense, plus brutale, plus terrible et naturellement, en connaissant les causes, les économistes, cherchent les remèdes. L’unique remède susceptible d’assurer la paix sociale, ils le rejettent avec dédain, bien que toutes les méthodes basées sur le réformisme aient définitivement échoué à leur application. Afin de calmer l’effervescence populaire on lui propose, de temps à autre, certaines modifications dans l’exploitation qu’il subit et c’est ainsi que, dans certaines industries, le travailleur a une participation aux bénéfices, qu’il lui est alloué une somme supplémentaire en raison de ses charges de famille, que se sont créées des coopératives de consommation et de production, etc., etc... Tous ces moyens sont restés et resteront inefficaces et ne peuvent qu’asservir le travailleur et le river un peu plus fortement à sa chaîne.
Dans un ouvrage qu’il fit paraître récemment, un ouvrier, H. Dubreuil, croit trouver dans ce qu’il appelle « la République industrielle » l’apaisement à tous nos maux. Son étude est digne d’intérêt, mais nous ne pensons pas cependant que là soit la solution du problème, car Dubreuil veut, lui aussi, améliorer le sort du travailleur en réformant le mode de production. « La crise économique ne peut être résolue que par le travail, mais ce travail ne peut être fécond que si l’ouvrier a sa liberté. Organisons donc le travail en « commandite d’atelier », tel qu’il existe déjà dans l’imprimerie, et la production en sera intensifiée ».
Telle est la thèse soutenue par Dubreuil qui déclare à l’appui de celle-ci : « Quiconque est né et a vécu dans les couches les plus profondes de la classe ouvrière, sait combien il est commun d’entendre affirmer qu’on aime mieux y vivre de pain et de fromage, dans une situation indépendante, que dans un bien-être relatif en travaillant « chez les autres » » .
Il est évident que la liberté dans le travail mettrait fin à bien des conflits, et si une telle formule était pratiquement matérialisable personne ne s’opposerait — du moins parmi les amis sincères et dévoués de la classe ouvrière — à l’application d’une telle méthode de production. Mais nous la croyons irréalisable en régime capitaliste et l’expérience nous donne raison.
Comme le démontre pourtant avec clarté Dubreuil, dans le premier chapitre de son ouvrage, le droit au travail n’existe pas dans les sociétés modernes. Ce qu’il faut ajouter, c’est qu’il n’existera jamais, qu’il ne peut pas exister, tant que subsistera une parcelle de capitalisme. Le droit au travail n’existant pas, la liberté dans le travail ne peut être que relative, subordonnée à un nombre incalculable de facteurs d’ordres économiques, sociaux et politiques, et l’économie politique capitaliste — j’appelle économie politique capitaliste, celle qui entend régler l’ordre social par voie diplomatique, c’est-à-dire en dehors de toute action révolutionnaire — ne peut trouver pour équilibrer un ordre troublé que des palliatifs temporaires et des pis aller.
Prenons un exemple : dans une petite ville du Sud-est de la France, le travail était organisé de telle façon que chacun était son propre maître. Les industriels — non pas par philanthropie, mais parce que ce mode de production leur paraissait avantageux -, avaient divisé leurs usines en un certain nombre d’ateliers qu’ils sous-louaient aux travailleurs. L’industriel fournissait l’outillage, la machinerie et le travail dont le prix était débattu à l’avance. La plus grande, la plus large liberté était permise, accordée à l’ouvrier, qui était en apparence son propre maître, venait et quittait son travail à l’heure qui lui plaisait, œuvrait selon son bon plaisir, quatre heures ou dix heures par jour et touchait à la livraison de son ouvrage le montant de la somme qui lui était due. La paix la plus absolue régnait au sein de cette communauté. Survient une catastrophe indépendante de la volonté des « ouvriers » et des patrons : la mode des cheveux courts pour les femmes. Or, dans la petite ville en question on ne fabriquait que du peigne et la nouvelle mode déclenche une perturbation sur le marché. Le manque d’ouvrage provoque l’abondance de main-d’œuvre, et l’abondance de main-d’œuvre la diminution du prix du travail ainsi que le chômage. Que devient alors la liberté du travail, alors que le droit au travail n’existe pas ? Et jamais au grand jamais, un capitaliste — ce serait sa fin — ne consentira à employer de la main-d’œuvre lorsque celle-ci lui est inutile.
Lorsque le phénomène est local, il est de faible importance, mais lorsqu’il est national il provoque une énorme perturbation. Que peut l’économie politique moderne ? Pas grand-chose, rien. Le protectionnisme a été condamné de longue date par tous les économistes sérieux ; quant au libre échangisme, il ne donne pas et ne donnera pas les résultats que certains en attendaient. (Voir le mot : Echange libre).
Quant à ce qui concerne l’Etat, son rôle dans tous les phénomènes économiques c’est d’assurer au capitalisme le maximum de bénéfice et le minimum de pertes.
« L’interventionnisme, l’intrusion de l’Etat ignorant, aveugle et brutal dans le jeu des phénomènes économiques, est une conception rétrograde, absurde, barbare », écrit Urbain Gohier, et il a raison ; mais où nous ne sommes plus d’accord, c’est lorsqu’il ajoute :
« L’interventionnisme, c’est proprement le socialisme. Le mot de socialisme ne signifie rien, s’il ne désigne l’intervention de l’Etat dans tous les faits sociaux, spécialement dans les faits économiques. »
« Mais s’il y a une excuse à l’intrusion de l’Etat dans les phénomènes économiques, ce ne peut être que la nécessité de protéger les faibles, de limiter et de réprimer l’avidité des puissants, de rétablir dans l’enfer social une apparence de justice et d’humanité » (Urbain Gohier : « La Révolution vient-elle ? » — Le nouveau pacte de famine).
Qu’Urbain Gohier nourrisse des illusions sur la possibilité d’un Etat indépendant et humanitaire en matière d’économie politique et sociale, nous autres anarchistes, nous sommes fixés à ce sujet et l’expérience russe nous suffit amplement pour affirmer que nous ne nous trompons pas. Nous restons convaincus que seule la disparition du capitalisme et de l’Etat peut donner naissance à une société harmonieuse, et que l’économie politique n’est qu’un tampon entre le capital et le travail, mais que ce tampon ne peut être avantageux que pour le capital.
Que faire alors ? La Révolution ? Mais les économistes sont des pacifistes qui ont une sainte horreur de la violence et qui voudraient que tout se passât dans le calme. Pas tant que les Anarchistes.
« Nous aussi, nous avons horreur de la violence ; nous aussi, il nous répugne de verser du sang ; nous aussi, nous avons l’amour ,de la paix, de la joie et du bonheur, mais lorsqu’on a souffert de cette société, dit Jean Grave, lorsqu’on a vu les siens souffrir de la faim, mourir d’épuisement, certains scrupules disparaissent, et lorsque la force vous opprime, qu’il n’y a plus que la force comme suprême argument, ceux-là qui ne maintiennent leur tyrannie qu’à l’aide de la violence, sont mal venus de se plaindre lorsqu’elle se retourne contre eux.
Lorsque la bête est acculée, elle voit rouge, fonce sur les assaillants, renverse ce qui lui fait obstacle ; tant pis pour ceux qui se trouvent sur sa route. La responsabilité première en est à ceux qui la poussèrent au désespoir. » (Jean Grave : L’Anarchie, son but, ses moyens)
Nous sommes des révolutionnaires parce que nous voulons la liberté : liberté sociale, liberté individuelle et liberté économique. Or, l’économie politique moderne ne peut nous donner satisfaction, puisqu’elle prétend rechercher un terrain d’entente entre le capital et le travail. Qu’elle poursuive ses recherches. Que les économistes bourgeois blanchissent à la tâche, qu’ils découvrent les apparences trompeuses qui retarderont peut-être l’heure de l’échéance, mais quoi qu’ils disent et quoi qu’ils fassent, la révolution viendra, entraînant avec elle le despotisme économique et la tyrannie politique. La société bourgeoise est puissante, elle a l’argent et avec l’argent tout s’achète ? C’est vrai.
« Il est fort l’homme qui dispose de quelques millions ; mais il est redoutable, l’homme qui n’a pas de besoins, qui n’a pas de crainte, et qui garde une âme ferme, une pensée lucide, l’œil juste et la main prompte. » (Urbain Gohier)
Tout passe ; la bourgeoisie a vécu plus qu’elle ne vivra et avec un peu de conscience, de raison et de courage, le peuple aura bientôt fait de se libérer de l’étreinte qui l’oppresse. Il pourra alors organiser son économie, librement, sans le concours des ruffians de la politique qui ne font qu’embrouiller la solution d’un problème qu’il serait si facile de résoudre.
— J. CHAZOFF.
ECRITURE
n. f. (du latin scriptura, même signification)
L’écriture est l’art qui consiste à transmettre ou communiquer à l’aide de signes et de caractères conventionnels, la parole et les idées. Paul-Louis Courrier nous dit que « lorsque l’écriture fut trouvée, plusieurs blâmaient cette invention, non encore justifiée aux yeux de bien des gens ; on la disait propre à ôter l’exercice de la mémoire et à rendre l’esprit paresseux ». L’expérience a démontré une fois de plus que les adversaires du progrès étaient dans l’erreur puisque à tous les points de vue, l’écriture a amplement servi la cause de la civilisation.
L’écriture ne fut pas toujours ce qu’elle est aujourd’hui, et à l’origine pour rendre sa pensée on se servait de ce que nous appelons les hiéroglyphes. L’écriture hiéroglyphique se divisait en hiéroglyphes représentatifs, caractéristiques ou allégoriques. L’écriture hiéroglyphique représentative était la plus élémentaire et la plus simple. Pour transmettre l’idée, d’un chien, d’une table, d’un fleuve, d’une montagne, etc., on peignait simplement cet animal, cet objet ou cette chose de façon rudimentaire. Ainsi que son nom même l’indique, l’écriture hiéroglyphique caractéristique servait à peindre le caractère ; ainsi un lion, un tigre, signifiait la méchanceté, la barbarie ; un hippopotame la cruauté ; enfin l’écriture hiéroglyphique allégorique avait un caractère symbolique ; le soleil annonçait la divinité ; l’œil, un monarque, etc... On conçoit quelle difficulté on rencontrait pour transmettre sa pensée en utilisant de tels procédés, et que seule une faible minorité était capable d’apprendre et susceptible d’écrire.
L’écriture phonétique n’exige, elle, qu’un nombre restreint de signes ou caractères auquel on donne un son conventionnel et dont l’assemblage dans des ordres différents permet à l’individu de transmettre toutes les idées qui germent en son cerveau.
On pense que l’écriture phonétique ou alphabétique est d’origine phénicienne et que ce fut Cadmus, le fondateur légendaire de Thèbes, qui porta aux Grecs les premières lettres. Par la suite, les peuples varièrent la forme des caractères et aussi leurs dispositions, et si les Orientaux écrivent, par exemple, horizontalement de droite à gauche, les occidentaux depuis fort longtemps, écrivent de gauche à droite ; quant aux Chinois, leur écriture est perpendiculaire et ils écrivent de haut en bas.
Quelle que soit la forme des caractères et la façon dont on les utilise, la nécessité de savoir écrire est incontestable, puisque c’est l’unique moyen qui existe de s’exprimer à distance et que l’écriture est un précieux intermédiaire entre les hommes. L’écriture est un facteur d’évolution et il est remarquable que les peuples analphabétiques, c’est-à-dire ceux où la grande majorité des hommes ne savent ni lire ni écrire, sont les plus arriérés au point de vue social.
On pourrait objecter que l’écriture est comme « les langues d’Ésope » la meilleure, mais aussi la plus mauvaise chose qui existe ; que si elle est un facteur d’évolution, elle est aussi un facteur d’asservissement et qu’elle sert à traduire et à transmettre les bonnes et les mauvaises pensées ; que les maîtres, les chefs, les dirigeants, les bergers du peuple, par son intermédiaire, empoisonnent et corrompent la mentalité de ceux qu’ils veulent maintenir dans l’esclavage ; pour mieux profiter du produit de leurs travaux. C’est une erreur. La lumière finit toujours par triompher de l’obscurité et une idée juste d’une idée fausse. Si l’écriture véhicule des idées fausses, elle véhicule également des idées nobles et grandes et petit à petit — c’est une question de temps — l’arbitraire et l’erreur s’estompent, s’effacent et disparaissent devant le flambeau de la vérité.
Et c’est pourquoi il est souhaitable que dans un avenir rapproché, chaque homme sache lire et écrire. Lorsque, sur tous les points du globe, il n’y aura plus un illettré et quand chaque individu sera capable de comprendre ce qu’il lit, alors il sera impossible de maintenir l’être humain dans l’asservissement et il se libèrera de toutes les chaînes qui le tiennent encore rivé à la barbarie ancestrale.
ECRIVAIN
n. m. (du latin scriptor)
Le mot écrivain, bien que peu usité maintenant en ce sens, sert à désigner celui qui fait son métier de l’écriture. Il y a peu de temps encore, alors que quantité de gens ne savaient ni lire ni écrire, il existait des écrivains publics, tenant échoppe tout comme des savetiers, et qui, moyennant rétribution, rédigeaient pour les illettrés, les lettres, les mémoires, les pétitions, etc...
En France du moins, ce métier a presque totalement disparu et le terme écrivain est couramment employé comme synonyme de : littérateur, homme de lettres, romancier. Un grand écrivain ; un bon écrivain ; un excellent écrivain ; un écrivain médiocre.
Pourtant il ne faut pas s’y tromper ; quoique l’on désigne sous le nom d’écrivains tous ceux en général qui se mêlent d’écrire, gardons-nous de confondre : écrivain et littérateur, car il ne suffit pas pour être homme de lettres d’assembler des caractères, de composer un ouvrage, de le faire éditer et d’essayer de le lancer dans le public, faut-il encore dans cet ouvrage exprimer des pensées saines, claires et logiques. Il y a certainement plus d’écrivains que de littérateurs et cela s’explique facilement. Les métiers manuels étant considérés comme inférieurs par les classes possédantes, une partie de la bourgeoisie — tout le monde ne peut pas se lancer dans le commerce, la finance ou l’industrie — se jette dans les professions dites libérales. Or, celles-ci se divisent en deux catégories : premièrement celles qui nécessitent des études sérieuses, profondes et suivies : la médecine, les sciences, etc..., qui fournissent les docteurs, les chirurgiens, les ingénieurs..., et dont l’exercice exige, plus que des diplômes : des capacités techniques ; deuxièmement, les professions libérales indéterminées, que chacun peut embrasser, qui produisent les politiciens, les journalistes, les écrivains, et qui groupent tous les ratés, tous les incapables, tous les rebuts intellectuels de la Société. En notre siècle de mercantilisme, la chance et le culot sont de plus sûrs facteurs de réussite que les connaissances ; mais l’assiette au beurre est relativement petite pour tous les appétits, et bien des affames de gloire, d’honneur et de réputation n’arrivent jamais jusqu’à la précieuse table sur laquelle elle repose. Ils tentent cependant de sortir de l’ombre et comme chacun peut se dire écrivain et coucher sur le papier les idées les plus saugrenues et les plus ridicules, ou encore écrire pour ne rien dire, le monde est infesté d’écrivaillons qui produisent des livres sans intérêt, que bien souvent personne ne lit et qui pourrissent dans les caves des éditeurs et des libraires.
Malheureusement, parmi les littérateurs sans talent, il est une minorité qui, s’assimilant les goûts du grand public d’ignorants, spécule sur cette ignorance, et par une prose infecte — qui obtient un succès retentissant — continue d’empoisonner l’esprit des foules. Ce qui peut de par le monde s’écouler de romans feuilletons est formidable. Le romancier, l’écrivain qui a le courage — ou la lâcheté — de se livrer à un tel sport, sport avantageux au point de vue intérêt, acquiert bien vite la réputation et la fortune ; et comme aujourd’hui tout s’achète et se vend, comme chacun n’a qu’un but : gagner de l’argent et jouir de la richesse ; comme la société n’est qu’un vaste comptoir commercial, l’écrivain stupide, trouve bien vite un éditeur, alors que le savant ou l’homme de lettres sérieux est — à part quelques exceptions qui s’imposent par leur génie — incapable de vivre de sa plume.
Les « Corneille », qui au déclin de la vie et après une existence de travail sont contraints d’attendre chez le savetier, n’ont pas disparu. Il y en a toujours, cependant que des Pierre Decourcelle et des Michel Morphy crèvent sur des montagnes d’or.
Peut-il en être autrement en un siècle où tout se négocie, se marchande, où l’on ensemence le cerveau du peuple, comme on ensemence un champ de betteraves, sans tenir compte de ce qui est bon ou mauvais à l’individu, mais en calculant simplement le rendement de l’opération.
L’écrivain, dont le rôle social devrait être de soigner et de guérir les esprits, comme le médecin soigne et guérit les plaies et les maladies, s’est prostitué à l’argent et n’est plus qu’un objet méprisable entre les doigts crochus du capital..
Mais quoi, « il est des célébrités factices auxquelles on travaille toute sa vie et qui finissent à la mort. Il y a des célébrités qui commencent à la mort et qui ne finissent plus ». L’écrivain médiocre ne sera jamais glorieux si l’on pense avec Voltaire « que la gloire est la réputation jointe à l’estime ». Il peut acquérir auprès des faibles et des ignorants une certaine popularité, mais son nom s’efface de l’histoire à mesure que le peuple s’éduque et comprend, et s’il ne se perd pas dans l’oubli, il ne subsiste que pour signaler une époque de bassesse et de lâcheté et est méprisé comme celui du criminel ou du général qui sont des glorieux sans gloire.
EDILE
n. m. (du latin œdilis, de œdes, édifices)
A l’origine les édiles étaient, des magistrats romains dont les fonctions consistaient à prendre soin des édifices publics et particuliers. Ils furent créés à la même époque que les tribuns du peuple, c’est-àdire en l’an de Rome 160 et étaient tout d’abord choisis uniquement parmi la plèbe. Ils étaient au nombre de deux ; mais à la fondation de Rome, par décret, le Sénat ordonna la création de deux nouveaux édiles choisis parmi les patriciens et il fut ainsi fait. Les édiles subsistèrent jusqu’au règne de l’empereur Constantin ; leurs fonctions et leurs pouvoirs étaient très étendus. Ils avaient la responsabilité de toute la sécurité de la ville ; ils visitaient les édifices, les temples, les bains, les maisons particulières et les immeubles afin de se rendre compte de leur solidité ou de leur état de délabrement et examiner s’ils n’étaient pas un danger à la sécurité du passant. Ce sont eux qui surveillaient les ventes au forum et brisaient les faux poids et les fausses mesures. Ils assuraient également la quiétude publique, condamnaient et bannissaient les prostituées et réprimaient la fraude et l’usure. En un mot leurs fonctions étaient à peu près semblables à celles qu’occupent actuellement un préfet de police et un préfet de la Seine réunis.
A présent on donne le nom d’édiles aux magistrats municipaux ; plus particulièrement à ceux de la ville de Paris et des grandes cités, parce que leurs fonctions comprennent certaines des attributions des édiles romains.
Dans les petites communes, si celles-ci étaient libres et non pas sous la tutelle d’un préfet et par conséquent du Gouvernement, les édiles pourraient être de quelque utilité. Mais actuellement, avec le statut qui régit les municipalités, ils n’ont aucun pouvoir et sont asservis ou écrasés par les puissances d’argent. Quant à ceux des grandes cités on sait que c’est la politique qui les fait agir et que l’on ne peut absolument rien en tirer de bon.
EDUCATION
n. f.
Développement individuel et social. Hérédité et milieu.
Les qualités physiques et mentales d’un individu dépendent en une certaine mesure de ceux qui l’on fait et pour le reste de l’influence d’un second facteur : le milieu.
Depuis fort longtemps, les savants se sont préoccupés de savoir quelle est l’importance respective de chacun de ces deux facteurs : hérédité et milieu, dans le développement des individus.
Il fut un temps où certains théoriciens, Condillac par exemple, nièrent l’influence de l’hérédité sur ce développement. Aujourd’hui, les savants ne discutent plus que sur l’importance respective de ce facteur.
« Personne, dit Duprat, ne soutiendra que les tout petits enfants sont tous semblables au point de vue de leurs dispositions permanentes : les nourrices diront que tel fut plus vif, tel autre plus endormi, tel plus « méchant » ou irascible, tel autre plus souriant et patient ou même endurant. »
« On a souvent remarqué, écrit Elslander, que, chez les races inférieures, les enfants qu’on envoie aux écoles ou qu’on essaie d’instruire montrent d’abord une facilité étonnante, mais qui s’arrête brusquement... Ces esprits sauvages sont comme des terres incultes, que le travail successif des générations seul peut défricher. C’est ainsi que, dans l’Inde, les enfants des brahmanes, issus d’une classe cultivée depuis longtemps, montrent de l’intelligence, de la pénétration, de la docilité, tandis qu’au jugement des missionnaires, les enfants dès autres castes leur sont bien inférieurs à cet égard. »
De son côté le Docteur Govaerts déclare :
« Les populations actuelles de l’Amérique sont, en grande partie, les descendants des nations et des peuples accourus il y a trois siècles de tous les coins du monde, pour coloniser une terre neuve.
Malgré l’égale influence du milieu, chaque peuple a conservé les différences anatomiques, physiologiques et psychologiques particulières à son type ethnique et continue aujourd’hui à montrer une certaine similitude avec les habitants de son pays d’origine.
Si l’influence du milieu avait agi à l’exclusion de l’hérédité, on se trouverait aujourd’hui devant un type uniforme ; or, c’est la variabilité et l’hétérogénéité qui caractérisent les caractères biologiques de ce peuple. »
Il convient de remarquer que le Docteur Govaerts donne au mot milieu un sens étroit ; « Il faut, dit Claparède, comprendre dans l’influence du milieu les circonstances survenues au cours de la gestation (période intra-utérine) », une chute de la mère pouvant, par exemple, avoir comme conséquence l’idiotie de l’enfant.
Précisons le rôle de l’hérédité :
« L’hérédité est, comme le dit Max Auliffe, l’ensemble des circonstances passées qui ont modelé l’être vivant avant sa formation proprement dite ; elle donne à l’individu qui naît, ses tendances, ses aptitudes, sa structure, sa configuration.
Le devenir de l’enfant dépend en grande partie de trois conditions :
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Organisation ancestrale du germe ;
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santé des générateurs ;
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circonstances qui ont entouré le développement embryonnaire.
L’enfant est donc l’aboutissant de toute une lignée.
Il tient de tel ancêtre, la taille ; de tel autre, la chevelure ; de celui-ci, les yeux ; de celui-là, l’esprit ; d’un troisième, le caractère ; d’un quatrième, la tendance professionnelle.
Il naît avec une puissance formée par le passé, avec laquelle il entre en contact avec tout ce qui n’est pas lui, c’est-à-dire le milieu. Il s’y adaptera le mieux qu’il pourra et par cela qu’il fonctionne, il tendra toujours à mettre en harmonie son rythme propre avec celui du monde extérieur.
L’hérédité n’est donc pas une force mystérieuse condamnant l’enfant à l’immobilité et à l’invariabilité, c’est une limite assignée par la nature, limite que peut atteindre l’évolution d’un caractère de l’individu.
L’hérédité a donné à l’enfant le thème dont le milieu forme les variations (Mac Auliffe). » (Docteur Govaerts, L’hérédité, son rôle dans l’éducation, p.p. 51–52).
« Le développement psychique de l’enfant est ainsi la résultante de deux facteurs ; tendance mentale aux cellules cérébrales de se développer ; excitation de ces cellules par les impressions et vibrations extérieures. Le premier est l’éducabilité ou propriété de l’enfant de répondre au système d’éducation ou d’instruction, ou encore possibilité du développement mental.
La deuxième est l’ensemble des influences de l’enfant qui ne lui appartiennent pas et que nous appelons milieu.
Les fonctions mentales ne sont donc qu’une trame sur lequel le milieu brodera un dessin définitif ; elles sont en puissance chez l’enfant et l’étendue de leur développement sera fonction de cette puissance. » (Dr Govaerts, L’hérédité et son rôle dans l’éducation, p. 53)
Ainsi les hommes ne naissent pas égaux et ce serait une faute de vouloir leur donner une même éducation.
L’hérédité limite donc les possibilités de développement des individus mais fournit à ceux-ci un héritage ancestral qui assure le progrès individuel et le progrès social.
« L’homme s’est élevé constamment au-dessus de l’animal parce que chaque génération a pu s’assimiler rapidement les connaissances acquises et les arts inventés par les générations antérieures, et employer l’âge viril à ajouter aux vérités et aux richesses acquises. » (Dr Richard, Pédagogie expérimentale, p. 51)
Il n’est pas inutile de rechercher quelques caractéristiques du progrès individuel et du progrès social. La plus importante à nos yeux est le développement de la personnalité qui caractérise tout à la fois le développement social et le développement individuel.
« Nos sociétés, dit Ch. Blondel, sont complexes. Des groupements familiaux au groupement national, elles se subdivisent en une foule de groupes religieux, politiques ou professionnels. Comme nous faisons tous partie d’un grand nombre de ces groupes sans jamais cependant faire partie de tous à la fois, la diversité des influences subies assure à chacun de nous une certaine individualité. Les sociétés primitives, au contraire, sont étroites et homogènes. Leur action pèse d’un poids à peu près uniforme sur tous leurs membres. Les individus ont peine et ne songent pas à s’y différencier ». D’après un autre auteur, M. Lévy-Bruhl, dans les sociétés primitives les moins évoluées, l’individu aurait bien plutôt la conscience de son groupe que celle de sa propre personnalité. Dans la société primitive, l’homme est esclave de la tradition et la « contrainte sociale annihile autant que possible la part de l’initiative individuelle dans presque tous les domaines de la vie publique et privée. » (G.-L. Duprat)
De même que les primitifs les moins évolués le petit enfant ignore son moi ; « il vit « tout hors de lui » ; il imagine des objets, il voit des êtres humains avant de s’imaginer lui-même » ». Ce n’est que peu à peu, grâce à la vie sociale et au langage que l’enfant prend une conscience de plus en plus claire de sa propre personnalité.
Ce qui précède nous permet de comprendre ces lignes d’un sociologue :
« Le développement mental de l’individu fait suite à la vie embryonnaire dans laquelle on voit unanimement une récapitulation du développement phylogénétique. L’éducation est donc une récapitulation abrégée de la civilisation au profit du développement personnel, et réciproquement toute initiation à la civilisation est une éducation quand elle concourt au développement spontané d’une personnalité. » (G. Richard, Pédagogie expérimentale, p. 92)
Ainsi l’Education est avant tout une modification des individus due au milieu.
A l’encontre de ce que pensent beaucoup de parents cette modification se produit surtout dans le premier âge et par des moyens dont la plupart d’entre nous ne se rendent pas compte.
Il n’est pas sans importance que dans ces premières années l’enfant puisse se débattre et jouer en un milieu qui lui offre des occasions d’exercer ses muscles et ses sens, et nous dirons plus loin ce que nous pensons de cette période éducative, mais ce qui contribue pour la plus large part à permettre à l’enfant de récapituler le développement de la race d’une manière abrégée, c’est le langage.
« Pour apprendre, non pas seulement à juger et à raisonner, mais à sentir et même à percevoir comme nous, il lui faut apprendre à parler. Quels que soient les rapports de l’intelligence et du langage, il est trop évident que l’enfant va beaucoup moins des choses aux mots que des mots aux choses et que l’acquisition du langage lui impose d’accepter du dehors et sans contrôle la vision du monde propre à son milieu et à son temps. » (Ch. Blondel)
Un autre psychologue exprime la même idée en disant que l’être humain doit « penser sa parole avant de parler sa pensée ». L’enfant doit d’abord apprendre le sens des mots et des expressions employés autour de lui et ce sens est fixé par l’usage collectif : le langage, instrument de la vie sociale doit permettre aux individus de se comprendre.
« C’est pourquoi l’humanité civilisée substitue à l’arbitraire de chacun une sorte de décision stable, qu’enregistrent les dictionnaires, et qui fixe pour plusieurs générations au moins le sens des mots... » (Duprat)
Or notre langage, j’entends le langage des peuples, civilisés, est un langage logique qui impose à l’enfant des idées abstraites et générales. Par exemple le nom que nous donnons à un objet ou à un animal est presque toujours un nom commun, ainsi le nom chien donné au toutou familier puis à toutes autres sortes de chiens amène fatalement l’enfant à porter son attention sur les caractères communs à tous les chiens, à concevoir que son toutou, outre certains caractères individuels en possède d’autres qui l’apparentent aux animaux de la même espèce ; le mot bête employé pour nommer non seulement les chiens mais aussi les poules, les lapins, etc., est un pas de plus dans la classification des êtres. Ainsi, « en apprenant à parler, l’enfant se forme à penser logiquement, avant même d’être en âge de comprendre ce qu’est la pensée logique et ce que sont ses lois ». De même donc que la science met partout sa marque dans le monde matériel où l’enfant grandit de nos jours, de même le langage qu’il apprend annonce la science par l’ordre et la distinction que les mots établissent entre toutes choses » (Ch. Blondel).
Pour bien saisir l’importance du langage dans le développement mental de l’enfant il faudrait opposer le langage des primitifs au langage des peuples civilisés. Le langage des primitifs offre lui aussi des classifications et des termes génériques mais alors que les nôtres reposent sur des caractères objectifs, que nous disposons par exemple du mot quadrupède pour désigner toutes les bêtes qui ont quatre pieds, ceux des primitifs sont fondés sur des représentations mystiques : des êtres fort divers mais auxquels les primitifs attribuent des propriétés mystiques identiques sont identifiés, c’est ainsi qu’un Huichol rapproche le blé, le cerf et le hikuli (plante sacrée de son groupe) au point de les identifier.
Il fut un temps, au XVIIIème siècle par exemple, où l’on admirait le « bon sauvage », l’homme primitif et où l’on prêchait le retour à la nature. Une connaissance plus exacte des groupements de primitifs nous permet aujourd’hui d’avoir une opinion toute autre, nos civilisations constituent un progrès, les progrès de la vie sociale permettent aux individus d’avoir une conscience de plus en plus nette de leur individualité et leur forgent un esprit de moins en moins mystique. Certes beaucoup d’individualités sont encore opprimées mais l’individu trouve dans la multiplicité des groupements de multiples moyens de défense ; l’on peut dire que l’oppression actuelle est une survivance du passé et qu’elle prouve seulement que nous ne sommes pas parvenus au terme du progrès. Certes la plupart de nos contemporains croient encore en Dieu, mais ils croient aussi en des lois naturelles.
« Dans un monde auquel il a octroyé une charte, Dieu ne peut plus intervenir qu’exceptionnellement et par des miracles, sorte de coups d’Etat, durant lesquels il suspend la constitution sans l’abolir... Le surnaturel dont nos contemporains retiennent l’idée n’est donc pas dans la nature qui est naturelle toute entière. » (Ch. Blondel)
Tout compte fait nos milieux sociaux sont plus utiles que nuisibles aux individus. Voir seulement l’action oppressive de ces milieux c’est n’apercevoir que le mauvais côté du progrès qui comporte aussi la réaction des individus d’où provient la formation des individualités.
En résumé l’éducation, en son sens le plus ample, comprend :
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L’éducation involontaire de l’enfant par lui-même dont nous reparlerons par la suite ;
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L’éducation involontaire par les choses et les individus — l’exemple que nous avons donné du rôle du langage permet de comprendre que cette éducation qui agit surtout dans les premières années de l’enfant est plus importante qu’on ne le pense d’ordinaire, d’où le devoir pour les parents d’être plus circonspects en ce qui peut agir sur le développement de leurs enfants ;
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L’éducation proprement dite, ou action systématique des adultes sur d’autres individus (d’âge variable mais généralement plus jeunes) en vue de modifier ces derniers ;
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L’auto-éducation volontaire (l’individu à éduquer étant son propre éducateur) qui ne s’applique évidemment pas aux tout jeunes enfants.
Education et milieu. — Les imperfections sociales et individuelles ont, de tout temps, entraîné certaines catégories d’individus à rechercher les moyens les plus efficaces de réaliser un progrès individuel ou social. Fallait-il changer les individus pour rendre le milieu plus parfait où fallait-il changer le milieu pour améliorer les individualités ? Devions-nous être des éducateurs ou des révolutionnaires ?
Dès que l’on aborde ces problèmes, il convient tout d’abord d’examiner ce qu’est l’éducation proprement dite et les limites des possibilités éducatives.
« L’éducation, dit Maurice Imbart, est la formation des esprits ; elle a pour but d’améliorer les mœurs, les caractères, la conduite ultérieure des individus ». Un autre auteur déclare qu’elle « consiste à enseigner à l’enfant l’usage normal et le soin de son corps ». D’autres se bornent à opposer éducation et instruction.
« Le rôle du professeur, écrit Louis Prat, est d’enseigner les vérités qu’il sait ou qu’il croit savoir ; le rôle de l’éducateur est d’expliquer aux élèves l’usage qu’ils feront plus tard, dans la vie, des vérités qu’ils ont apprises ».
Ces définitions et beaucoup d’autres que nous pourrions citer ont le tort d’être incomplètes, celles de M. Imbart et de M. Prat négligent évidemment les points de vue hygiénique et physiologique auxquels se borne la deuxième des définitions citées.
Nous avons déjà dit que l’éducation était un effort des éducateurs en vue de modifier des individus. Ceci veut dire qu’aux yeux des éducateurs les individus soumis à l’éducation sont des produits imparfaits de l’hérédité et du milieu, soit que leur corps soit débile, soit que leur intelligence soit médiocre, au moins par quelque côté, soit que certaines de leurs tendances soient indésirables ou que désirables elles aient besoin d’être stimulées ; c’est donc le développement entier des individus sur lequel doivent porter les modifications : développement mental (intellectuel, affectif et volitif) et développement physique. L’éducation a donc pour but une amélioration des individus, soit en tant qu’individus, soit comme membres d’une société, il en résulte que l’éducateur doit avoir un idéal et si j’ajoute que cet idéal ne doit pas être une chimère, qu’il doit tenir compte des possibilités, il est évident qu’il faut que l’éducateur détermine cet idéal d’après les limites que lui tracent l’hérédité et le milieu.
Reprenant la définition que nous avons donnée précédemment et la complétant nous disons donc :
L’éducation est l’intervention systématique dans le développement mental (intellectuel, affectif, volitif) et physique des individus d’après un idéal fixé en tenant compte du développement de chacun d’eux et des milieux dans lesquels ils sont placés.
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Il y a dans toutes les écoles du monde des éducateurs qui, plus ou moins habilement, s’efforcent de modifier des enfants. Ces enfants sont bien différents et il serait désirable que l’éducation tienne plus compte de ces différences qu’elle ne le fait d’ordinaire.
En moyenne les enfants des classes aisées sont physiquement supérieurs aux enfants des classes pauvres : ils dépassent ces derniers par la taille, le poids, le périmètre thoracique, la force musculaire, la résistance à la fatigue, la circonférence de la tête, la hauteur du front, la capacité du crâne, le poids de l’encéphale, etc. Les causes de l’infériorité physique des enfants pauvres, nous les trouvons dans la mauvaise alimentation, la mauvaise hygiène, les conditions de travail et le surmenage des femmes enceintes ; les logements insalubres, trop étroits (ou bien où vivent trop de personnes), certains soins de propreté difficiles ou impossibles à prendre. En moyenne également, les enfants riches sont intellectuellement supérieurs aux enfants des prolétaires et ceci s’explique par leur supériorité physique comme aussi par les meilleures conditions de milieu dans lesquelles ils se trouvent. De tout ceci nous pouvons déjà conclure qu’en donnant aux petits prolétaires une éducation aussi bonne que celle que reçoivent les enfants des riches on ne ferait qu’apporter un palliatif à l’inégalité sociale, que les modifications physiques et intellectuelles des déshérités limitées par l’hérédité et le milieu resteront partiellement inefficaces. Mais il s’agit aussi d’améliorations morales ; or, allez prêcher la justice aux individus lorsque l’injustice règne autour d’eux, invitez à une pudeur délicate une jeune fille élevée dans un taudis où toute la famille couche entassée.
A plus forte raison lorsque le milieu social assure, comme il le fait aujourd’hui, une meilleure éducation aux enfants des classes possédantes et dirigeantes ; l’éducation donnée aux petits prolétaires reste impuissante et ne peut assurer à ceux-ci l’amélioration désirable. Les possibilités éducatives ne sont pas moins limitées par le milieu que par l’hérédité.
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Le milieu social étant un obstacle au développement convenable de certains individus convient-il d’abandonner le projet de modifier les individus pour changer le milieu social et faut-il transformer ce milieu social pour pouvoir éduquer convenablement les individus.
Remarquons d’abord que ceux qui disent : Faisons d’abord la Révolution, nous ferons de l’éducation après ne nient nullement la nécessité de l’éducation, ils ne sont d’ailleurs ce qu’ils sont que parce qu’ils ont reçu une certaine éducation. Une révolution ne se fait pas sans révolutionnaires et l’individu révolutionnaire est pour une part un produit de l’Education.
A vrai dire, certains soutiennent qu’une toute petite minorité révolutionnaire suffit pourvu que la situation soit révolutionnaire. Pour préparer la Révolution il n’est plus guère question alors d’amener les masses à la conscience de leur servitude ; de développer en elles le désir de plus de justice ; de réfléchir à propos de l’organisation sociale : défauts de l’organisation présente, moyens d’y remédier par une organisation meilleure ; de soumettre leurs sentiments au contrôle de la raison ; de se forger un idéal individuel et un idéal social. Préparer une Révolution c’est alors : 1° s’efforcer d’augmenter le besoin de cette Révolution, donc ne pas tenter d’obtenir des réformes qui sont un replâtrage de la société actuelle mais : demander à grand fracas aux dirigeants de la société bourgeoise ce que ceux-ci ne pourraient accorder, même s’ils le voulaient (ce que les révolutionnaires eux-mêmes n’accorderaient pas aux masses si la Révolution était faite), favoriser discrètement toute action des dirigeants actuels qui aura pour résultat la baisse des salaires, le chômage, la misère ; 2° parler aux sentiments des masses, les tromper (dans leur intérêt), faire appel à l’égoïsme, à la haine — nous aussi nous croyons à l’utilité de faire appel à la haine mais avec cette différence toutefois que cette haine n’est que la conséquence d’un amour très vif pour un idéal : nous ne haïssons pas pour haïr mais parce que l’objet de notre haine est un obstacle à notre idéal.
Evidemment des Révolutions se sont produites qui ont été rendues possibles par l’accroissement de la misère des masses, mais quel rôle les masses ont-elles joué dans ces Révolutions ? N’ont-elles point été un instrument passionné dirigé par des révolutionnaires moins misérables ? Ces Révolutions ont-elles apporté aux masses autre chose que des désillusions ?
Certes, la misère peut amener les masses à piller les marchés, dévaster les boutiques, pendre quelques mercantis, jeter les ingénieurs à la porte des usines mais il n’y a là qu’œuvre de destruction. Une Révolution qui ne sait que détruire et se montre incapable de construire est une Révolution qui fait faillite.
Pour qu’une Révolution puisse amener des changements heureux il faut avant tout qu’une élite révolutionnaire ait préparé le monde nouveau dans les esprits et dans les cœurs. La propagande, la vraie, la seule digne de ce nom, celle qui s’efforce d’améliorer les hommes n’est donc pas chose négligeable, elle est l’Education qui prépare la Révolution.
La Révolution préparée nécessairement par une évolution dans les idées et les mœurs, résultant elle-même pour une grande part de l’Education, est limitée également par l’état du développement des individus comme aussi par les possibilités de réalisations économiques dont ils disposent. Si la vente de l’alcool a repris en Russie, c’est que les masses russes n’étaient pas mûres pour une vie plus sobre et si les ouvriers italiens avaient été capables de faire marcher les usines qu’ils avaient conquises, le sort actuel du prolétariat italien serait tout autre.
Lorsqu’une élite révolutionnaire impose aux masses un progrès qui n’a pas été préparé par l’éducation de ces masses un recul ne tarde pas à se produire et ce recul est d’autant plus important que l’éducation préalable a été insuffisante.
Les possibilités révolutionnaires se trouvent ainsi limitées par les réalisations éducatives qui ont précédé la Révolution.
* * *
Si l’on considère que l’Education ne peut être parfaite en un milieu social imparfait et que la création d’un milieu social parfait sans une éducation parfaite préalable est tout aussi impossible, on peut croire que la question du perfectionnement des individus et des sociétés est insoluble.
En fait ni l’Education, ni les Révolutions n’ont jamais permis d’atteindre la perfection individuelle et la perfection sociale.
Cependant le progrès individuel est un fait, tout comme le progrès social. L’un et l’autre sont même liés étroitement : c’est à une vie sociale plus intense que les individus doivent l’éveil puis l’accroissement des individualités et le développement des individualités est la condition du progrès social. L’individu est tout à la fois effet et cause du progrès social et réciproquement ce progrès est, lui aussi, effet et cause du progrès des individus.
Si l’on cesse de comparer ce qui est à notre idéal (individuel et social) pour le comparer à ce qui fut, on constate qu’une double série d’actions et de réactions ont eu comme résultats des progrès manifestes. Le progrès n’est pas dans l’immobilité, l’état d’équilibre est l’exception ; c’est un mouvement rythmé qui caractérise le progrès.
L’éducation ne se borne pas à préparer l’adaptation des individus à leur milieu social, elle tend à former ces individus en vue d’un milieu social meilleur ; mais cette formation crée une désadaptation au milieu social présent qui se résout tantôt par l’évolution lente des institutions, tantôt par une Révolution.
A son tour la Révolution ne se limite pas à la création d’institutions nouvelles à la mesure de la masse des individus de son temps. Les révolutionnaires appartiennent à une élite et les institutions qu’ils créent dépassent souvent les possibilités éducatives et sont faites à la taille d’hommes plus parfaits.
Le progrès est une suite d’anticipations : tantôt celui des individus appelle un progrès social ; tantôt un progrès social provoque le progrès des individualités.
Ainsi Education et Révolution se complètent, un révolutionnaire conscient ne peut pas se désintéresser de l’Education et un bon éducateur ne peut oublier tout ce que l’Education doit aux Révolutions. Mais pour le progrès du développement individuel comme pour ceux du développement social est-ce l’Education ou la Révolution qui importe le plus ?
Pour nous la réponse n’est pas douteuse : l’Education est plus importante que la Révolution.
L’Education est utile en tous temps et en tous lieux ; la Révolution n’est qu’une crise éphémère qui permet de briser des obstacles que l’on a pu ou su écarter autrement.
Une Humanité plus civilisée aura plus encore que la nôtre besoin d’Education car au fur et à mesure que s’accroissent les progrès croît également l’importance de la récapitulation abrégée des progrès passés, œuvre de l’Education sans laquelle seraient impossibles les progrès futurs. Par contre la connaissance des lois psychologiques et sociales, comme aussi la transformation de l’égoïsme, qui se fait déjà peu à peu, permettront sans doute d’éviter les Révolutions tout comme la recherche scientifique systématiquement organisée rendra les inventions inutiles en les remplaçant par une suite de petits progrès.
N’anticipons pas trop sur un avenir encore éloigné et concluons à la nécessité présente d’une Education révolutionnaire pour assurer les progrès du développement individuel et du développement social.
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LE BUT DE L’EDUCATION.
But de l’éducation et but de la vie.
Il convient de ne pas confondre ces deux buts, le but de la vie est une conception personnelle qui dépend du jugement, des goûts, des intérêts de chacun, l’un désirera être un savant, l’autre un artiste, la plupart accorderont leur préférence à des métiers manuels, etc. ; il n’appartient pas à l’éducation de fixer ce choix. Ce serait une erreur cependant de croire que l’éducateur doit se désintéresser du problème de l’orientation professionnelle, il serait un mauvais éducateur s’il ne s’efforçait pas de faire connaître à l’individu éduqué les carrières que celui-ci peut embrasser avec quelques chances de succès, celles pour lesquelles il n’a pas les aptitudes, la santé, etc., convenables.
Si le but de la vie est quelque chose de fort variable le but de l’Education est par contre quelque chose de très précis. A propos du mot coéducation nous avons déjà défini notre idéal éducatif en ces termes :
« Nous voulons éduquer l’enfant pour qu’il puisse accomplir la destinée qu’il jugera la meilleure, de telle façon qu’en toute occasion il puisse juger librement de la conduite à choisir et avoir une volonté assez forte pour conformer son action à ce jugement ».
Ceci veut dire, ajoutons-nous, que nous sommes respectueux de la personnalité de chaque enfant ; que nous nous refusons à préparer des croyants d’une religion, des citoyens d’un Etat et des doctrinaires d’un parti. Il en résulte évidemment que notre idéal n’est pas de modeler des enfants selon l’idée que nous nous faisons d’un enfant modèle, mais d’aider à l’épanouissement de chaque individualité enfantine en tenant compte de ses intérêts et de ses capacités.
A la vérité, tout ce qui précède peut prêter à confusion pour qui confond le but à atteindre et les moyens d’y parvenir ou oublie que l’Education est une action de l’éducateur qui a pour résultat la modification de l’individu éduqué.
Si respectueux que nous soyons de la personnalité enfantine nous savons bien que chaque enfant a des tendances bonnes et mauvaises et qu’en définitive éduquer c’est favoriser le développement des premières — c’est-à-dire de celles qui peuvent être utiles à la réalisation de l’idéal que nous venons de définir — et étouffer ou dériver les dernières.
Enfin si nous sommes soucieux de former des hommes libres et capables de volonté, cela ne veut pas dire que les enfants doivent être les esclaves de leurs caprices et que nous devons toujours les laisser agir à leur guise. Croire ceci c’est :
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ne pas se rendre compte de ce que sont véritablement la liberté et la volonté ;
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ne pas savoir comment obtenir de tels résultats.
Par contre il est un point qui, nous semble-t-il, ne peut prêter à nulle équivoque ; l’Education est faite dans l’intérêt de l’éduqué et non dans celui de l’éducateur.
C’est dire que ce dernier doit d’abord s’efforcer de ne pas nuire. S’efforcer de ne pas nuire paraît évident et facile, en réalité lorsqu’on y regarde de près on constate bien souvent des effets nuisibles de l’Education donnée aux enfants ; ordres mal à propos, études inutiles ou prématurées ou surmenant les enfants, etc...
Le but de l’éducation et le développement de l’individu.
L’enfant n’est pas un homme en plus petit, il est aisé de voir par exemple que les proportions des différentes parties du corps sont bien différentes suivant qu’il s’agit d’un adulte ou d’un jeune enfant ; ce dernier a proportionnellement une tête beaucoup plus grosse et des jambes beaucoup plus courtes. Mentalement les différences ne sont pas moindres, c’est un fait connu que chaque âge a ses plaisirs et il est évident que les intérêts varient aussi selon les sexes.
L’enfant ne devient un adulte qu’à la suite d’une série de crises, comparables jusqu’à un certain point aux métamorphoses des insectes. Physiquement, il subit une série de crises de croissance entre lesquelles l’accroissement de sa taille et de son poids subit des arrêts ou ne se fait qu’à une allure beaucoup plus lente. La dernière de ces crises surtout est importante ; c’est alors que se produit l’éclosion des fonctions sexuelles, et de grosses modifications dans le caractère. Cette période, à laquelle on a donné le nom de puberté, étant bien connue, nous n’insistons pas.
Non seulement le développement physique varie suivant les sexes mais il varie également suivant les individus.
Le développement mental a lui aussi ses crises de croissance et ses variations dont l’étude pourra être faite à propos du mot enfant.
Ce que nous voulons maintenant c’est montrer que l’enfant n’est pas un adulte en miniature, que les enfants diffèrent selon les âges et les sexes et qu’enfin il est des différences individuelles considérables.
Il en résulte évidemment qu’une bonne éducation ne doit pas traiter les enfants comme des adultes, qu’elle doit présenter des étapes correspondant aux étapes de leur développement et enfin qu’elle doit être aussi différenciée que le sont les enfants eux-mêmes.
But de l’éducation et développement physique.
Pour que l’enfant puisse se développer moralement et intellectuellement il faut qu’il soit en bonne santé physique.
Meumann écrit :
« Il n’existe pas de limite entre le travail physique et le travail spirituel ; tout travail physique est en même temps un travail spirituel… tout travail spirituel est en même temps physique. »
V. Rasmussen qui rapporte cette citation ajoute plus loin :
« Les nombreuses expériences faites sur les enfants démontrent l’importance qu’a pour le développement intellectuel le développement physique.
M. Stanley Hall dit ainsi dans « Adolescence » p. 37 :
« La plupart du temps, les enfants qui travaillent avec le plus de succès en classe sont ceux dont les mesures de tour de poitrine et de tête sont plus élevées que celles des enfants dont les progrès sont moindres »
Et M. Meumann dit dans l’ouvrage cité ci-dessus, p. 52 :
« L’enfant qui est insuffisamment nourri et qui est arriéré au point de vue du développement physique fournit, en général, un travail intellectuel moindre que l’enfant bien nourri et bien développé, et il semble être moins bien doué qu’il ne l’est réellement. »
L’accord qui règne à ce sujet, au moins en théorie, nous permet d’être brefs. Il faut préparer des hommes forts, souples et sains mais non des étalons de force et de vitesse ».
En conséquence le développement physique ne doit pas être sacrifié à la culture intellectuelle.
But de l’éducation et développement mental.
Une question préalable se pose à nous : qui importe le plus des développements intellectuel, affectif et volitif ?
Il serait sans doute exact de répondre que ce qui importe c’est un développement harmonieux de tout l’individu. Un pédagogue américain a écrit :
« Développez exclusivement l’intelligence de l’enfant, il deviendra un être sans cœur ; ne développez que son cœur, il deviendra un fanatique religieux ; ne développez que son corps, il sera un monstre ; ne formez que sa main, il deviendra une machine. L’école de demain doit donner une éducation universelle. »
Cependant une telle réponse ne tient pas assez compte de ce qui manque le plus aux hommes d’à présent du développement mental de l’enfant et de l’importance des divers développements intellectuel, affectif et volitif chez l’adulte.
Il n’est pas besoin de nous reporter à un siècle en arrière et nous pouvons faire appel à nos propres souvenirs pour constater l’immense progrès matériel qui s’est produit dans le monde, la T.S.F., l’aviation, l’automobilisme, la modeste bicyclette même sont des conquêtes récentes et pourtant combien généralisées.
Par contre le progrès moral est presque nul, la grosse masse des prolétaires s’empresse de singer la classe bourgeoise en ce qu’elle a de pis ; on se serre la ceinture pour aller au cinéma, se payer une toilette chic, etc...
Si, cessant d’observer la vie sociale, nous nous efforçons de rechercher les mobiles des actions de chaque individu, nous constatons sans peine la grande importance des sentiments. C’est dans la sphère affective du cerveau, dit Piéron, que se coordonne l’unité biologique de l’organisme et c’est cette sphère affective qui régit l’activité mentale supérieure. Ce sont nos sentiments et nos tendances qui dirigent notre attention, notre logique est toujours affective ; « une suite de raisonnements, c’est-à-dire une pensée véritable, est toujours régie par des tendances ».
Sentiments, intérêts, tendances, constituent le moteur de notre activité. J’aurais beau avoir réfléchi sur toutes ces questions éducatives, je ne m’efforcerais évidemment pas de faire connaître mes idées sur la question, si je n’avais le désir de voir donner une éducation meilleure. Je pourrais en d’autres circonstances écrire ; par orgueil pour voir ma prose imprimée dans un ouvrage, par intérêt pour gagner quelque argent, etc., mais quelque soit le mobile de cette action, ce serait toujours un sentiment, un intérêt ou une tendance.
Par suite, développer l’intelligence d’un individu ayant d’éduquer son affectivité, c’est-à-dire de dériver ses tendances mauvaises ou de les réduire à l’impuissance en favorisant des tendances aux effets contraires, c’est le mieux armer pour des buts mauvais.
Enfin une troisième raison de songer d’abord et surtout à l’éducation de la partie affective de l’individu réside en ce fait que l’individu à éduquer est généralement un enfant dont le développement intellectuel fort peu avancé ne peut être accéléré et dont le développement affectif a besoin d’être surveillé de près.
Ainsi la culture des sentiments est l’essentiel de l’œuvre éducative. Or il est des sentiments dits égoïstes qui se rapportent au bien de l’individu lui-même alors qu’il est des sentiments sociaux qui paraissent opposés aux premiers.
Les uns et les autres sont nécessaires, l’égoïsme donne de la force à la personnalité et le jeune enfant qui a surtout besoin de développer ses forces est naturellement égoïste. Par contre les sentiments sociaux apparaissent plus tardivement, ce n’est que vers huit ans que l’enfant commence à s’intéresser aux jeux collectifs et ce n’est que vers douze ans que sa conscience sociale s’éveille.
Faut-il attendre si tard pour se soucier de l’Education des sentiments sociaux ? Evidemment non, l’amour des parents pour leurs enfants appelle l’attachement de ceux-ci à leurs parents, cet attachement de nature égoïste du début devient une seconde nature, l’enfant s’attache à d’autres individus et peu à peu l’attachement égoïste se transforme en un sentiment altruiste.
Préparer des individus sociaux quoique conservant une forte personnalité est donc à nos yeux l’œuvre éducative la plus importante.
A la culture de la bonté nous rattachons la culture du goût, nous voulons que les individus deviennent autant que possible capables de jouir des beautés musicales, artistiques, etc., cela contribuera à les rendre meilleurs.
* * *
Il ne faut pas confondre l’instruction qui meuble l’esprit et l’Education qui le forme.
Former l’esprit, c’est donner à l’individu « les habitudes solides et efficaces permettant de discerner les opinions dont la preuve est faite, de ce qui n’est qu’affirmation, supposition ou hypothèse... ; des principes de recherches et de raisonnement qui répondent à la nature des problèmes divers à résoudre... » (Dewey).
Former l’esprit c’est le mettre en garde contre toutes les causes subjectives (intérêt personnel, amour propre, paresse, dépendance d’autrui, principes dogmatiques, goût du merveilleux) qui nous empêchent d’observer et de juger ou nous induisent en erreur dans nos observations et nos jugements.
C’est donc mettre l’esprit à même de juger objectivement, le dégager des influences mystiques ; l’habituer à penser qu’il n’est pas de cause sans effet, que la nature a des lois et que tout en lui et autour de lui est soumis à un déterminisme universel.
L’origine de toute connaissance vient de l’observation, c’est-à-dire des sens ; or, nos sens ont le grave défaut de nous tromper parfois ; chacun connaît cette illusion des deux lignes parallèles qui ne paraissent plus parallèles parce qu’en-dessus et en-dessous on a tracé des lignes obliques ; comme aussi ce fait qu’une image noire sur fond blanc ne paraît pas être de même grandeur que la même image, de même dimension, mais blanche sur fond noir. Il en est beaucoup d’autres, et c’est une des raisons pour lesquelles il faut éduquer les sens.
« L’école moderne fait bon marché de l’éducation des sens. Meubler l’esprit de la science des autres semble être l’unique souci de beaucoup d’éducateurs, qui mériteraient plutôt le nom générique de déformateurs. Leurs élèves apprennent à voir par procuration, alors que dans toutes les circonstances de la vie et dans tous les actes d’une profession, ils devront voir avec leurs propres yeux. » (Ch.-Ed. Guillaume)
Or, les sens sont éducables :
« Un marin distingue la forme et la structure d’un navire sur la mer, quand le passager ne voit encore qu’un point trouble et informe. Un Arabe, dans le désert, distingue un chameau et peut dire à quelle distance il se trouve, alors qu’un Européen ne voit absolument rien. » (Dr Emile Laurent)
Il faut amener l’enfant à voir juste, c’est-à-dire à distinguer nettement les formes et les couleurs, vite et beaucoup ; à goûter les beautés musicales ; à se servir habilement de son toucher, de son goût, de son, odorat ; il faut que ces sens soient affinés pour que les enfants ne trouvent pas leur plaisir dans des jouissances grossières qui provoquent des habitudes vicieuses.
Pour bien observer, comme aussi pour bien juger, il faut, avant tout, être attentif. La culture de l’attention est, par suite, l’un des buts principaux de l’éducation.
« L’établissement des connexions entre les organes des sens n’est pas moins important, et il en est, parmi elles, d’étonnamment précises. Alors qu’un joueur de boules appréciera difficilement à un mètre près la distance du cochonnet, il le piquera presque à coup sûr ; son habileté témoigne d’une coordination parfaite entre son estimation visuelle et son sens musculaire, coordination en partie inconsciente, que l’éducation a. réalisée, et qu’utilise, un mécanisme automatique...
Si l’homme a appris à voler dans les airs, ce n’est pas seulement parce qu’il a su construire des machines volantes ; c’est, tout autant, parce qu’il a pris conscience de tous leurs mouvements dans le fluide décevant où elles évoluent. » (Ch.-Ed. Guillaume)
Il ne suffit pas d’éviter les erreurs des sens pour observer le mieux qu’il est possible, il faut encore savoir remplacer nos sens imparfaits : un thermomètre mieux, que notre main nous indiquera si un bain est à la température qui convient à un malade. C’est encore faire de l’éducation qu’habituer les individus à ne pas se contenter de l’approximatif fourni par les sens et à leur substituer la mesure. La science ne se serait pas développée sans les perfections successives de la mesure et il n’est pas moins utile de prendre l’habitude de mesurer pour la vie pratique : le cultivateur qui mesurera les rendements de diverses variétés de pommes de terre, par exemple, aura moins de chances de se tromper en son choix que celui qui se contentera d’une observation superficielle. On fera donc prendre aux enfants l’habitude de la mesure et on les exercera à mesurer avec précision, car ils ne le savent pas naturellement. Lorsque l’occasion s’en présentera, on en profitera pour leur faire constater les erreurs de leurs sens ou pour reporter sur un graphique les résultats observés.
L’observation des faits est, en un certain sens, le résultat du hasard : toute autre est l’expérimentation dans laquelle on modifie systématiquement les conditions dont dépendent les faits pour faciliter les observations. Une expérience est une question posée à la nature. Il est nécessaire d’apprendre à l’enfant comment on pose de telles questions. L’une des règles les plus importantes est celle de ne faire varier à la fois qu’une des conditions dont dépend un phénomène. En pratique, certaines expériences ne permettent pas de satisfaire pleinement à cette condition, mais l’on parvient cependant à un résultat satisfaisant en tenant compte d’un grand nombre de cas. Si, par exemple, je veux juger de l’influence des divers engrais chimiques sur la production du fraisier, je ferai porter mon expérience sur un assez grand nombre de pieds, tous de la même variété, pour éviter les erreurs provenant des différences de rapport qui dépendent de l’individu et de la variété.
Observer des faits n’est pas tout ; il faut encore les interpréter, il faut juger, il faut raisonner.
Faire l’éducation du jugement, c’est, évidemment, exercer l’individu à juger comme il convient, mais c’est aussi le mettre en garde contre tout ce qui peut fausser son jugement.
Pour bien juger, il faut d’abord s’efforcer d’être aussi objectif que possible, c’est-à-dire ne pas se laisser entraîner par la passion, l’intérêt, la colère, l’amour-propre. L’individu éduqué sait que ses sens, sa mémoire, son imagination peuvent le tromper et se défie des jugements où son intérêt est en cause.
Pour bien juger, il faut ensuite ne pas être sous la dépendance des autres. Or, on est sous la dépendance des autres de bien des manières : l’on y est lorsque l’on admet pour vrai les opinions de la masse des individus ou même celle de quelques individus. Combien d’erreurs n’ont-elles pas duré parce qu’au début elles ont eu l’approbation d’un savant en renom dont on n’a pas songé à suspecter le jugement. Le fait que l’éducateur a la confiance de l’éduqué crée au premier un devoir d’autant plus impératif que le second est un individu jeune et, partant, suggestionnable. Nous ne saurions mieux faire, à ce propos, que de citer les paroles d’un camarade au meeting qui suivit le Congrès de la Fédération de l’Enseignement (Brest, 1923) :
« Tout militant se sent porté d’instinct à faire de l’éducation un moyen de propagande en faveur de ses doctrines ; il voudrait faire des enfants autant de disciples ardents, prêts à la rescousse, prêts à remplacer les troupes épuisées ou meurtries.
Eh bien ! Nous pensons que c’est une erreur, nous disons qu’il faut résister à une telle tentation. Il est des vérités qui nous sont chères et que nous croyons certaines ; nous nous efforçons de les répandre partout, nous vivons par elles et nous souffrons pour elles ; nous les défendons avec une énergie farouche tant que nous avons en face de nous des hommes armés pour la résistance, pour la controverse et la discussion.
Mais les enfants ? Quand nous arrive une de ces petites âmes encore vierges, que nous pouvons travailler et féconder presque à notre guise, comprenez-vous le scrupule qui nous étreint ? Comprenez-vous que nous hésitions sur le choix de la semence que notre enseignement doit lui confier avec l’espoir des moissons futures ?
Et nous constatons, avec regret peut-être, qu’il est des vérités profondes, dont nous sommes intimement pénétrés, mais qui n’ont pas, qui ne peuvent pas avoir le caractère de certitude scientifique indispensable aux connaissances sur lesquelles doit se baser une éducation rationnelle.
Et nous ne nous reconnaissons pas le droit d’inculquer aux enfants des notions qu’ils ne sont pas aptes à reconnaître eux-mêmes comme évidentes, ou que nous ne pouvons pas démontrer d’une façon simple et claire. Nous ne voulons pas acculer nos jeunes disciples à des actes de foi. Sur toutes les questions encore controversées parmi les hommes, nous pensons qu’il faut laisser planer le doute. Nous sommes persuadés qu’un esprit ainsi habitué à n’admettre comme vrai que ce qu’il constate ou comprend, à refuser tout ce qui ne s’impose pas de soi-même à la libre intelligence est armé désormais pour la conquête de toute vérité. » (F. Bernard)
Ceci nous amène à la nécessité de combattre le goût du merveilleux et les principes dogmatiques.
« Le goût du merveilleux, écrit H. Le Chatelier, de l’incompréhensible est un besoin irrésistible de l’esprit humain et la source de beaucoup de nos croyances. Si l’homme cesse d’être religieux, au sens strict du mot, il croit aux tables tournantes, aux sorciers, au nombre 13, au quanta, à la relativité, sans, d’ailleurs, essayer, le plus souvent, de comprendre ce que signifient ces mots. Il a la foi du charbonnier ; il croit à quelque chose, mais n’a pas besoin de savoir au juste à quoi. »
Pour combattre cette tendance, il faut apprendre à juger et à raisonner en faisant juger et raisonner des enfants à propos de faits ou d’idées qui ne leur permettent pas — au moins au début de cette éducation — de mêler le sentiment à la raison. L’enfant trouvera, par exemple, sans peine l’absurdité des religions disparues auxquelles les religions actuelles ont emprunté une partie de leurs dogmes.
Il est nécessaire enfin, pour la même raison, de faire connaître aux enfants « l’existence des lois », c’est-àdire de relations nécessaires entre les différents phénomènes. C’est encore par le travail personnel et manuel que l’on s’assimile le plus facilement cette notion. Un enfant qui se donne un coup de marteau sur les doigts comprend très vite qu’autant de fois il recommencera, autant de fois il se fera du mal. Cette notion peut être développée et précisée par des expériences faciles à réaliser avec les leviers, les poulies. De simples observations qualitatives suffisent même pour reconnaître l’existence des lois. Mettez deux haricots, l’un dans du sable sec et l’autre dans du sable mouillé, le premier ne germera jamais ; il y a donc une relation nécessaire entre la germination et la présence de l’eau.
Pour entraîner une foi complète au déterminisme, il faut surtout s’attacher à montrer que les lois ne comportent aucune exception. Toutes les fois qu’une même expérience répétée deux fois donne des résultats différents, c’est que, sans nous en apercevoir, nous avons modifié une condition déterminante sur laquelle notre attention n’était pas attirée » (H. Le Chatelier).
En résumé, une bonne éducation intellectuelle tient beaucoup moins à la quantité des connaissances acquises qu’à la façon dont elles ont été acquises bien plus qu’autrefois, l’éducateur ne peut songer aujourd’hui à apprendre à son élève tout ce que celui-ci aura besoin de connaître pour la vie. Le meilleur éducateur est celui qui apprend le mieux à l’enfant à se passer de lui, qui le rend le plus capable de chercher la vérité lui-même, soit dans les livres, soit sans eux. Pour remplir sa tâche, il a des obstacles à vaincre, dont nous avons indiqué les principaux (intérêt, croyance, etc.) ; mais il trouve dans la nature de l’enfant, des dispositions spontanées utiles (curiosité, besoin d’activité, etc.) qu’il encourage et dont il assure le développement, car il sait que l’éducation se fait beaucoup mieux en aidant à l’épanouissement des tendances utiles qu’en combattant directement les tendances mauvaises.
* * *
Relisons maintenant la définition générale que nous avons donnée de notre idéal éducatif :
« Nous voulons éduquer l’enfant pour qu’il puisse accomplir la destinée qu’il jugera la meilleure, de telle façon qu’en toute occasion, il puisse juger librement de la conduite à choisir, et avoir une volonté assez forte pour conformer son action à ce jugement. »
Il nous reste évidemment à parler de cette partie de l’éducation qui a trait à la liberté et à la volonté des individus.
Mais, pourra-t-on dire, cette étude est superflue car les sciences nous enseignent que tout est soumis au déterminisme, par conséquent liberté et volonté n’existent pas. Il est bien vrai que la liberté absolue n’existe pas mais « il est bon d’envisager le problème de libre arbitre, en distinguant en lui le problème scientifique qui concerne le déterminisme psychologique des actes humains et le problème moral qui se rattache à leur jugement » (F. Enriques).
… en interprétant correctement l’intuition que nous avons des faits volontaires, liberté et déterminisme ne se contredisent pas. La thèse de la liberté de notre volonté, suivant l’attestation de notre conscience, affirme :
-
La possibilité pour chaque homme de faire, dans certaines limites, ce qu’il a décidé (liberté physique ou liberté extérieure) ;
-
La possibilité que chaque homme a d’influer, jusqu’à un certain point, sur le cours de ses pensées et de ses sentiments et de déterminer ou de modifier ainsi ses décisions ultérieures, en inhibant ou en renforçant l’action des motifs.
Cette « liberté de la volonté » opposée à la « liberté de l’exécution », constitue la liberté morale ou liberté intérieure.
Elle a, comme la première, une existence réelle.
En elle, nous puisons notre confiance en nous-mêmes. En elle, nous posons le vrai fondement de notre responsabilité, si bien que nous attribuons le plus haut degré de responsabilité aux actions voulues avec préméditation, comme conséquence d’une délibération mûrie, à laquelle nous avons subordonné une série d’actes, et, par conséquent, en connexion avec les caractères permanents de notre personnalité.
Au contraire, nous croyons avoir moins de responsabilité lorsqu’il s’agit d’actions imprévues, tout en nous inculpant de ne pas nous être prémunis contre la possibilité d’une telle occurrence, en en prohibant l’effet sur notre volonté. Si bien que cette responsabilité s’évanouit presque à nos yeux si l’action fut provoquée par un motif puissant et inattendu » (F. Enriques).
Autrement dit nos décisions personnelles sont toujours déterminées par plusieurs facteurs, notre personnalité toute entière (sentiments, volonté, etc.) étant l’un de ces facteurs. Nous sommes libres dans la mesure du facteur personnel de la décision.
Ainsi, notre liberté dépend de notre développement intellectuel et sentimental d’une part, du développement de notre volonté de l’autre. L’individu qui ne peut prendre de décisions raisonnées ou qui est incapable de conformer sa conduite à son jugement par insuffisance de l’éducation de ses sentiments ou de sa volonté n’est pas libre ; il peut se croire libre mais il est en réalité l’esclave de ses faux jugements, de ses passions, de ses caprices.
Si nous examinons les conséquences de cela pour l’Education, nous constatons d’abord l’erreur de certains théoriciens qui, proclamant le droit de l’enfant à la liberté, croient qu’il faut, en tout, le laisser agir à sa fantaisie.
« Les anarchistes, disait Malatesta, ont tellement souffert de l’autorité, ils en ont une telle haine, qu’ils en arrivent volontiers à penser que la meilleure méthode d’éducation à employer avec leurs enfants, consiste à les laisser grandir dans la liberté la plus absolue. Jamais d’observations, pas de fantaisies qui ne soient tolérées, l’insolence est respectueusement ménagée, la brutalité, la grossièreté même, la paresse est excusée et la gourmandise est absoute. A en croire ces très sincères mais malheureux camarades, cela s’appellerait : respecter l’individualité de l’entant. En réalité, c’est la culture intensive des mauvaises herbes, et l’enfant se mue en grandissant en un parfait égoïste. Son père, croyant former une individualité, n’a réussi qu’à faire un enfant gâté. Malheur à ceux qui plus tard auront commerce avec cette brute. Il sera, selon les circonstances et selon son tempérament, soit un tyran, soit un vaniteux, soit un paresseux, quand il ne sera pas les trois à la fois. »
Une seconde conséquence de ce que nous avons dit de la nature de la véritable liberté, c’est qu’en réalité on ne l’éduque pas. La liberté est le couronnement de l’édifice éducatif. L’individu dont les éducations physique et mentale sont faites est libre. Bien entendu, sa liberté n’est que relative car il doit encore compter avec les contraintes sociales, mais au moins il a acquis toute la liberté qu’il pouvait obtenir par sa propre éducation.
De ce qui précède, il ne faudrait pas conclure que le bon éducateur ne laissera nulle liberté aux enfants. Un pédagogue a dit que la liberté ne consistait pas à faire tout ce qu’on veut, mais à vouloir tout ce qu’on fait. Formule heureuse que l’éducateur prendra pour guide. Ce qui importe le plus dans l’éducation des enfants, c’est d’user de la contrainte le moins qu’il est possible ; or, il est évident, d’autre part, que pour de nombreux actes de sa vie, l’enfant a besoin d’être guidé, commandé et qu’il faut qu’il obéisse. Mais il convient de remarquer qu’en de nombreux cas, l’enfant pourrait choisir entre deux alternatives, ou même plus, sans qu’il en résulte nul inconvénient. S’il pleut et qu’un enfant disposant d’un capuchon et d’un parapluie doive sortir pourquoi ne pas lui laisser la liberté de choisir entre l’un ou l’autre, si’ nulle raison particulière, autre que la fantaisie de l’éducateur, ne s’oppose à ce choix. Il est deux conditions essentielles à ce que l’enfant veuille ce que l’éducateur lui commande et obéisse ainsi sans contrainte : c’est d’abord que l’éducateur ait su gagner l’attachement de l’enfant et ceci n’est possible que s’il aime cet enfant ; c’est ensuite que l’enfant n’attribue pas ces ordres à la fantaisie de l’éducateur, donc que ce dernier ne donne pas d’ordres quand il n’est point nécessaire d’en donner, qu’il donne ces ordres en laissant le plus de liberté possible à l’enfant dans le choix des moyens d’exécution et enfin qu’il ne démontre pas lui-même l’inutilité de ses ordres en donnant des contre-ordres continuels.
Nous avons dit que la liberté de l’individu dépendait en partie de sa volonté ; il importe donc de préciser ce qui caractérise l’acte volontaire. Ce n’est pas seulement l’hésitation, la délibération et le choix, comme certains psychologues le supposent, c’est aussi la conscience qu’a l’individu de la personnalité de sa décision et, par conséquent, des responsabilités qui lui incombent. Faire l’éducation de la volonté ce n’est donc pas seulement faire celle de la pensée (hésitation, délibération, choix) puis appliquer cette pensée aux actes de la vie ; c’est encore préparer des hommes d’initiative et ayant le sentiment de leur propre responsabilité.
* * *
L’Education et la Vie.
Certes, j’admire fort les pédagogues de Cempuis, aussi bien Delon que Robin, mais l’admiration n’empêche point la critique et je veux faire une critique à leur conception de l’éducation. Ce qu’ils voulaient ? Une éducation intégrale, et « Par ce mot d’éducation intégrale, disait Robin, nous entendons celle qui tend au développement progressif et bien équilibré de l’être tout entier, sans lacune ni mutilation, sans qu’aucun côté de la nature humaine soit négligé ni systématiquement sacrifié à un autre ». Jusqu’ici, nous sommes presque d’accord et nous le serions même tout à fait si cette éducation harmonieuse se faisait en un milieu également harmonieux et bien équilibré, mais dans un milieu qui ne réalise pas cet idéal l’éducateur doit agir de telle façon que :
-
de l’action combinée du milieu et de l’éducation résulte une éducation aussi intégrale que possible ;
-
l’éducation rétablisse l’harmonie du milieu (Voir précédemment : « But de l’Education et développement mental »).
Où notre désaccord est plus sérieux, c’est lorsque ces pédagogues proclament la nécessité de l’instruction intégrale « but et moyen de l’éducation ». Figurant l’ensemble des connaissances humaines par un grand cercle, plaçant au centre le point de départ ils figurent la marche de l’instruction par des cercles, ayant tous le même centre, de plus en plus grands. Ainsi, l’instruction intégrale est également développée dans toutes les branches du savoir humain, elle forme un tout sans lacunes, logique, continu, serré.
A une telle instruction, j’aurai à faire des objections de diverses natures, d’abord c’est que les connaissances humaines ne se sont pas développées avec une si belle harmonie : il est des sciences qui depuis des siècles ont acquis un degré relatif de perfection, il en est d’autres qui en sont encore aujourd’hui à leurs premiers pas. De même l’acquisition des connaissances par l’enfant doit tenir compte du développement mental et des intérêts de celui-ci ; l’âge des progrès en calcul est plus tardif que celui des progrès en lecture, par exemple.
Ensuite, de même qu’il y a de multiples façons de faire un bon repas, il y a de nombreuses manières d’assurer le développement de l’esprit. Il y a de multiples sujets d’étude qui éveillent la curiosité, retiennent l’attention, fournissent l’occasion d’observer, de juger, de réfléchir. Ajoutons que ces sujets varient selon les milieux et les individus.
Ainsi, une instruction spécialisée en une certaine mesure peut permettre de donner une éducation intégrale, alors qu’en certaines conditions une instruction intégrale ne le peut pas.
En résumé, ce que je reproche aux pédagogues de Cempuis, c’est de ne pas avoir tenu assez compte des réalités et de la variété des milieux éducatifs.
L’instruction et l’éducation ne doivent pas être les mêmes pour le petit paysan que pour l’enfant des villes parce que l’une et l’autre doivent plonger dans la vie, s’accrocher aux intérêts des enfants et leur faire comprendre leur milieu. Il ne s’agit point — avec des enfants du moins — de les adapter à ce milieu, mais de les rendre capables de s’adapter à des transformations possibles et capables aussi de coopérer à la transformation sociale, c’est-à-dire à l’adaptation de la société à l’idéal qu’ils se seront forgé.
Au point de vue social, l’éducateur, qui ne voit pas en la société une ennemie fatale des individus, mais le moule dans lequel se forgent et se trempent les individualités, a un double rôle ; il doit d’abord préparer les enfants à la vie sociale normale et saine, il doit ensuite leur faire observer la société telle qu’elle est, de façon qu’ils aient un jour le désir de la changer.
Préparer les enfants à la vie sociale, à cette entraide auquel Kropotkine a consacré tout un ouvrage, n’est pas précisément ce que fait l’école d’aujourd’hui, où l’entraide est un défaut, où il ne faut pas aider le voisin mais s’efforcer de le dépasser. Le régime actuel de l’école est la concurrence.
« L’histoire de la pédagogie au cours des cinq derniers siècles présente trois phases principales : celle de la contrainte, celle de la concurrence et celle de l’intérêt spécifique. Ces diverses phases coexistent et se confondent. » (Wells)
Hélas, beaucoup plus d’écoles restent à la première phase que nous n’en trouvons à la dernière. Cependant, « lorsque, dit encore Wells, règne dans un établissement le système du tableau d’honneur, les élèves brillants sont enchantés qu’il se trouve parmi leurs condisciples des paresseux et des sots, qui leur facilitent la besogne en diminuant la concurrence ; mais dans une collectivité dont tous les membres poursuivent le même but, on ne tolère pas les paresseux. L’action stimulante est beaucoup plus profonde et elle va en grandissant ».
Ainsi, comme nous l’avons dit, à propos du mot Ecole, il faut, dès que cela est possible, faire une place aux travaux scolaires libres.
Enfin, il leur faut faire observer la société actuelle dans leur milieu d’abord : les ouvriers qui s’en vont pieds nus, toujours courbés à travers les rangs de betteraves qu’ils sarclent et binent ; plus tard les ouvriers chargeant les lourds tombereaux, l’onglée aux doigts ; ailleurs, les vachères qui s’en vont à travers les prairies couvertes de rosée. « Ce qu’un homme, dit Guieysse, a le plus de peine à connaître intelligemment, c’est sa propre vie, tellement elle est faite de tradition et de routine, le meilleur procédé pratique n’est pas de répandre des idées et des connaissances extérieures et lointaines, mais de faire raisonner la tradition par ceux qui s’y conforment, la routine par ceux qui la suivent ».
Il y a bien quelques parasites en tout milieu ; faisons observer aussi le parasitisme social. Combattons aussi, par des récits ou des lectures appropriées, l’action de ceux qui viendraient dresser les uns contre les autres les travailleurs de l’usine et de la campagne, de leur pays et d’ailleurs, montrons leur que, partout, il est des hommes qui peinent et qui souffrent. Mais ne concluons pas, ne nous mettons pas au service d’un Parti, l’éducateur qui tire des conclusions et s’empresse de les enseigner, manque de confiance en la valeur de ses propres conclusions ou en celle de la nature humaine.
Pour finir, nous ne pouvons mieux faire que de citer toute une page de Roorda :
« Le rôle de l’école est d’entretenir l’idéalisme dans l’âme humaine et, dans ce sens, son action ne peut être que révolutionnaire. Qu’elle ait donc le courage de dire aux puissants défenseurs de l’ordre actuel : « Ne comptez plus sur moi ! »
« Les forces conservatrices qui retardent les changements sociaux (les changements souhaitables comme les autres), sont considérables. Les formes, du passé sont défendues par l’hérédité, en vertu de laquelle les enfants ressemblent à leurs parents ; par l’imitation, qui fait que les êtres nouveaux adoptent les formules et les gestes des anciens ; par la paresse humaine, car il faut plus d’efforts pour innover que pour conserver ses habitudes. Le passé est protégé par les lois et les gendarmes. Enfin, il est défendu par ceux qui défendent l’argent et par leurs domestiques.
« Eh bien ! Il ne faut pas que l’éducateur vienne encore donner son coup de main à toutes ces puissances et mette à leur service la docilité et la crédulité des enfants.
« Donnons aux enfants un élan pour la vie. Et si cet élan doit les porter au delà du point où notre lassitude et notre prudence nous ont fixés ; si, un jour, avec l’ardeur et la liberté d’esprit qu’ils nous devront, ils attaquent les dogmes de notre imparfaite sagesse, tant mieux. » (Roorda, Le Pédagogue n’aime pas les enfants).
* * *
La pratique et les étapes de l’Education.
Cette question, dont nous avions déjà parlé à propos des mots Coéducation et Ecole, que nous avons effleurée, dans les pages qui précèdent, ne peut être étudiée qu’après une étude approfondie de l’enfant, de son développement mental et physique. Nos lecteurs voudront bien se reporter au mot Enfant, à propos duquel nous complèterons le présent travail.
— E. DELAUNAY
BIBLIOGRAPHIE
CRITIQUE DE L’EDUCATION ACTUELLE ET ESQUISSE D’UNE EDUCATION MEILLEURE
H. Roorda : Le Pédagogue n’aime pas les enfants (Payot).
A. Thierry : Réflexions sur l’Education (Librairie du Travail).
Ad. Ferrière : L’Ecole active (Editions Forum), La pratique de l’Ecole active (Forum).
EDUCATION DE LA PENSEE
J. Dewey : Comment nous pensons (Flammarion).
H. Le Chatelier : Sciences et Industrie (Flammarion).
EDUCATION DES SENTIMENTS
Dr Bridou : L’Education des sentiments (Doin).
P.-F. Thomas : L’Education des sentiments (Alcan).
EDUCATION DE LA VOLONTÉ
G.-L. Duprat : L’Education de la volonté (Doin).
EDUCATION SEXUELLE
L’ensemble des moyens ayant pour objet de déterminer, chez les humains des deux sexes, des habitudes d’hygiène rationnelle et de prévoyance sociale, pour ce qui concerne les organes de la génération, et les fonctions de la reproduction. Cette éducation est d’une importance extrême, dont sont encore loin de se douter, au vingtième siècle, nombre de gens pour lesquels les choses de la sexualité ne représentent d’autre intérêt que celui qui s’attache à des sujets grivois. Ce n’est pas seulement la préservation individuelle et le bonheur conjugal qui sont en jeu, mais l’avenir de l’espèce et de la société. Pourtant, jusqu’à présent, cette partie si importante de l’éducation a été la plus négligée, on peut dire : la plus méprisée de toutes, par suite d’absurdes préjugés d’origine religieuse.
En présentant l’acte d’amour hors mariage comme une faute abominable, la nudité jeune et saine comme impudique, les organes de la génération comme honteux, et la volupté telle un divertissement d’enfer, la pudibonderie chrétienne n’a opposé aux excès qu’un faible correctif. Elle a favorisé principalement le vice solitaire, les déviations morbides, et la fourberie. Le rigorisme tout d’apparence qu’elle a engendré dans les mœurs n’a guère contrarié dans leurs ébats privés les gens des classes dirigeantes, mais causé, parmi les faibles et les sincères, une somme incalculable de souffrances inutiles, de remords injustifiés, de suicides et de crimes, à la fois pitoyables et grotesques.
Les données principales sur lesquelles se fonde l’éducation sexuelle, scientifiquement comprise, peuvent être résumées dans les propositions suivantes :
1° Moralités générales.
Il n’est pas, dans l’être humain, de fonction condamnable ni d’organes honteux. Ceux qui assurent la perpétuation de l’espèce ne sont pas moins dignes d’estime que ceux qui assurent la conservation de l’individu. Le désir charnel n’a pas pour origine le vice, mais les exigences physiologiques des organes reproducteurs lesquels, parvenus à maturité, réclament, à l’âge nubile, l’accouplement indispensable à la vie de l’espèce, comme les poumons et l’estomac réclamaient, dès la naissance, les aliments et l’air indispensables à la vie de l’enfant. Le vice n’est pas dans la recherche de l’accouplement à cause de la volupté qui en résulte, mais dans les excès qui peuvent en être la conséquence. Et l’on n’est fondé à prétendre qu’il y a excès que là où sont constatés médicalement, et comme effets durables : un affaiblissement sensible de l’intelligence, une moindre résistance de l’organisme, ou bien une dégénérescence de l’espèce.
Même lorsqu’il n’a pas pour but l’enfantement, l’amour sexuel, lorsqu’il ne nuit à personne, trouve dans le bonheur qu’il procure sa poésie et sa justification. Aimer d’amour sexuel, même sans l’assentiment de la magistrature et du clergé, n’est pas une faute, encore moins un crime. Les suites graves qui peuvent en résulter, particulièrement pour la femme, ne sont pas imputables à l’amour, mais bien à l’hypocrisie féroce et à l’organisation déplorable de notre société.
2° Hygiène individuelle et familiale.
Le mystère fait aux enfants, quant aux fonctions de la génération, a pour conséquence d’exciter leur curiosité, et de les amener à acquérir clandestinement, d’une manière incomplète et dangereuse, auprès de condisciples dépravés, les explications qui auraient pu leur être données scientifiquement, pour leur plus grand bien, en insistant sur le danger de certaines pratiques. Il appartient aux éducateurs d’instruire, progressivement et avec tact, les enfants et les adolescents. D’abord sur l’utilité de la propreté intime ; ensuite sur l’accouchement ; enfin, sur l’acte procréateur, les suites qu’il entraîne, et les dangers de contagion auxquels il expose.
La méticuleuse propreté des organes génitaux, grâce à des lavages journaliers, est une condition de santé. Pour l’enfant, parce que la négligence à cet égard est cause de démangeaisons qui occasionnent, à leur tour, de mauvaises habitudes. Pour les adultes, parce que ce manque de soins est éminemment favorable à la propagation des maladies vénériennes et de la syphilis. Etre parfaitement net, des pieds à la tête, et pas seulement sur le visage et les mains, est — surtout dans les relations amoureuses — une clause élémentaire de respect de soi-même et des autres.
La propreté n’est pas toujours suffisante pour conférer l’immunité, en cas de rapports suspects ou d’accouplements de hasard. Pour obtenir le maximum de garanties, il faut lui adjoindre des moyens de préservation qui sont : l’usage d’un condom pendant l’acte, ou bien, après l’acte, et en cas de rupture du condom, le recours à des injections et lavages avec une solution antiseptique, auxquels on peut ajouter, par surcroît, mais d’une façon occasionnelle, sans excessive fréquence, l’usage de la pommade de Metchnikoff, ou quelqu’un des produits qui en sont dérivés.
Les maladies vénériennes et la syphilis ne sont pas des maladies honteuses. Ce n’est pas la débauche qui les engendre, mais l’infection. Celle-ci est favorisée par les contacts intimes au cours des ébats amoureux. Mais ces derniers ne sont pas indispensables à la transmission du virus, dont peuvent être victimes des personnes parfaitement chastes, et même des enfants nouveau-nés. Apprendre aux jeunes gens des deux sexes à se défendre contre ces maladies, dont les conséquences, lorsqu’elles ne sont pas soignées à temps, peuvent être fort graves pour l’homme, comme pour la femme, et leur progéniture, ce n’est pas pervertir la jeunesse, mais la prémunir contre un redoutable danger.
3° Procréation consciente.
Goûter le plaisir d’amour n’est pas une faute. Ce qui est condamnable, c’est de procréer bestialement, au hasard, sans souci de la santé ou de la sécurité de la mère, ni de ce que deviendront les enfants. La santé et la sécurité de la mère doivent être prises tout d’abord en considération : il est des cas où, par suite soit de maladie, soit de malformation, la maternité comporte, pour la femme, un péril de mort, tout au moins de graves complications. D’autre part, dans notre organisation sociale où la maternité pauvre est si mal secourue, la venue d’un enfant, pour une femme abandonnée, ou bien sans ressources suffisantes, représente trop souvent : pour le nourrisson, la maladie et la mort ; pour celle qui le berce, l’acheminement vers la prostitution, le suicide, ou l’extrême misère. La liberté de l’amour, et la recherche d’un plaisir très légitime en soi, ne doivent point servir de prétexte au rejet de tous scrupules.
Les enfants ressemblent physiquement et moralement à ceux qui les ont mis au monde. Ils héritent de leurs qualités, mais aussi de leurs tares. Ils portent même l’empreinte des dispositions plus ou moins heureuses dans lesquelles se trouvaient les géniteurs au moment de la conception. Il ne faut donc point se mettre dans le cas d’avoir des enfants tant que l’on est malade, affaibli, en état d’ivresse, ou sous l’influence d’une intoxication, si l’on se fait un cas de conscience de ne donner le jour qu’à des êtres sains, utiles et intelligents.
Les jeunes gens, particulièrement les jeunes filles, devraient apprendre de bonne heure quelles sont les conditions nécessaires à une bonne procréation, et de quels soins éclairés doivent être l’objet les tout petits, dont l’existence fragile est si souvent compromise par la persistance de coutumes malpropres et de dictons absurdes. Ils devraient être éveillés à la conscience de leurs futures responsabilités à l’égard de la génération qui leur succédera.
L’amour n’est profitable et pur que lorsqu’il ne sème ni douleurs ni déchéances. La paternité comme la maternité ne se justifient que par le désir de créer à la fois du bonheur et de la beauté.
— Jean MARESTAN.
ÉDUCATION SYNDICALE
L’éducation professionnelle est nécessaire à la formation intellectuelle et manuelle du bon ouvrier. De même l’Éducation syndicale est indispensable à la formation intellectuelle et mo-rale de l’exploité.
Cette Education, il n’a besoin ni de maîtres, ni de patrons pour la lui donner : C’est la vie ouvrière elle-même qui se charge de lui faire une mentalité de revendicateur et parfois même de révolté ; de lui former une conscience de travailleur qui veut son indépendance et cherche la voie de son affranchissement. Il est indéniable que l’Éducation syndicale a su développer chez les syndicalistes l’esprit de révolte et hausser considérablement chez la plupart des ouvriers qualifiés la conscience de leur valeur et chez tous les salariés un besoin d’égalité en tout et pour tout avec leurs semblables, fussent-ils leur exploiteurs, leurs patrons, leurs maîtres. Il ne faut pas confondre cet état d’esprit, produit de l’Éducation syndicale, avec le simple esprit de démocratie bourgeoise. L’Éducation syndicale signifie bien enfin que l’ouvrier, le producteur, tend à vivre « sans Dieu ni maître », sans Etat, sans gouvernement et, par conséquent, sans tyrannie d’aucune sorte et sans tyrans d’aucune espèce.
Il a horreur de la Dictature, de quelque nom dont on la puisse affubler, de quelque masque dont se cache le visage un autoritaire politicien pour tromper son monde.
L’Éducation syndicale a fait des hommes de caractère et de principes. Il est des militants syndicalistes purs auxquels ne vint jamais à l’idée de changer d’opinions, suivant les événements politiques ou sociaux. Dès l’instant que le régime de l’exploitation subsiste, ils restent des révoltés et des révolutionnaires et s’il est impossible ou inutile d’élever la voix, ils savent se taire plutôt que de s’offrir stupidement aux représailles féroces ou de lâchement hurler avec les loups. L’éducation crée le stoïcisme, le généralise.
L’Éducation syndicale fait adopter le principe fameux que ni la guerre, ni la victoire ou la défaite, n’ont pu démentir... au contraire, et qui se traduit simplement par ces mots : « L’ouvrier n’a pas de patrie ». Chaque fois qu’il prend les armes : pour d’autres intérêts que les siens, il est dupe et victime. Une seule guerre le réclame : « la guerre sociale... » un seul combat est le sien, une seule lutte lui convient s’ils se rapportent à la Révolution sociale. Et c’est alors, plus que jamais, que lui aura été nécessaire l’Éducation syndicale susceptible de faire de lui, producteur, l’organisateur d’une Société libre !
— Georges Yvetot
EFFET
n. m. (de effectus, de efficere : faire, causer)
Une des définitions les plus brèves et les plus claires de ce mot, nous semble être celle que nous donne Lachâtre et que nous lui empruntons. « Ce qui est produit par une cause, par un agent quelconque ». Ces deux mots, cause et effet, sont corrélatifs et présentent deux idées qui se déterminent l’une par l’autre. Toute cause n’est rien si elle ne peut être considérée comme productive d’effets, et l’on ne peut concevoir un effet sans cause. L’effet est ce qui est, a été, ou sera, parce qu’une cause s’exerce, s’est exercée ou s’exercera. L’esprit humain ne connaît les causes que par leurs effets. C’est par une appréciation vraie de ceux-ci qu’il s’élève à la notion supérieure des lois générales qui régissent les différents ordres de phénomènes ; c’est par leur étude approfondie, et à force d’inductions successives, qu’il acquiert la science, dont les résultats promettent à l’homme l’empire de la nature. Depuis que le savoir pour le vrai philosophe a signifié prévoir, il a été évident que l’observation des effets était la base, le fondement nécessaire de tout édifice scientifique, et que les causes hypothétiques ne peuvent être sérieusement admises que lorsqu’il y a des effets qui les confirment.
On ne peut, en effet, concevoir de cause sans effets. Mais on ne peut pas plus concevoir d’effets sans cause. Nous dirons alors qu’il n’y a pas de cause en soi, que si la cause détermine l’effet, elle fut elle-même déterminée par une autre cause et est conséquemment elle-même cause et effet. La cause est donc inhérente à l’effet comme l’effet est inhérent à la cause. Si l’on admettait qu’une cause puisse n’être qu’une cause, qu’elle ne fut jamais déterminée par une autre cause : ce serait admettre une cause première, ce qui à notre sens est ridicule, car cela nous entraînerait, ainsi que l’explique lumineusement S. Faure dans son « Imposture Religieuse », à imaginer des « Forces extra naturelles, des Puissances antérieures et supérieures à la nature, un pouvoir réglementant souverainement toute chose ». Ce serait reconnaître l’œuvre de création, le commencement de tout, ce serait sombrer dans l’idée d’un Dieu supérieur et maître absolu de toute chose. Admettre une cause en soi, c’est admettre Dieu.
Au mot « déterminisme » on trouvera le développement beaucoup plus étendu sur ce sujet et une démonstration beaucoup plus limpide des enchaînements de « cause à effet », et disons avec S. Faure :
« Il est impossible de séparer l’effet de la cause dont il procède ; mais il est également impossible de séparer la cause de l’effet qui l’accompagne, qui la suit, qui en découle nécessairement et immédiatement. »
EFFORT
n. m.
Acte par lequel le corps ou une partie du corps ou de l’esprit dépense une activité plus intense qu’à l’ordinaire. Physiologiquement, l’effort est une contraction des muscles dont l’objet est d’opposer une résistance à une puissance extérieure et dont le but est de vaincre cette puissance. Lorsque nous voulons soulever un fardeau, gravir une montagne, parcourir un chemin déterminé, en un temps relativement court ; chaque fois que nous voulons accomplir un geste qui nécessite une fatigue ou une peine, nous produisons un effort.
Lorsque un effort est trop violent et qu’il dépasse la tension que peuvent supporter certains muscles, il se produit diverses modifications organiques, et c’est ainsi qu’apparaissent les hernies, les ruptures tendineuses, etc..., etc...
A côté de l’effort volontaire, il y a l’effort instinctif, qui se manifesté par des mouvements convulsifs qui sont parfois des signes d’affaiblissement ou de maladie. Dans cet ordre, nous pouvons classer la toux, les vomissements, etc..., qui ne sont que des efforts aussi fatigants pour celui qui les produit, que les efforts volontaires.
Nous avons, également, l’effort intellectuel, spirituel.
Lorsque nous voulons nous souvenir d’un événement ancien, nous produisons un effort de mémoire ; si nous voulons résoudre un problème difficultueux, nous dépensons une activité intellectuelle qui est un effort ; lorsque nous essayons d’envisager l’avenir, de le déterminer, d’en tracer les grandes lignes d’après les exemples du passé, nous faisons un effort. Il y a donc peu d’actes dans la vie qui ne nécessitent des efforts.
Individuellement ou socialement, le progrès est la conséquence des efforts particuliers ou collectifs. Ce n’est qu’en faisant des efforts, qu’en employant toutes nos facultés pour atteindre le but que nous nous sommes tracés, que nous obtiendrons des résultats. Sans efforts il ne peut y avoir de progrès. L’homme qui reste passif, qui mène sa vie bestialement, ne faisant que les efforts musculaires indispensables à la conservation animale de son individu est un être incomplet. Pour être effectif, productif, l’effort physiologique de l’homme doit être associé à son effort intellectuel.
D’autre part, lorsque l’individu n’est pas assez puissant pour opposer sa résistance à une puissance extérieure, il joint son effort à celui d’autres individus. « L’union fait la force ». « L’homme fort, c’est l’homme seul » a prétendu certain philosophe. Quelle erreur. C’est de l’effort combiné de tous les individus qu’est fait le progrès et que la civilisation remporte ses victoires sur la barbarie. Les éléments d’asservissement et de domination sociale ont compris qu’ils devaient s’unir pour ne pas être écrasés par la plèbe. Quand les esclaves et les parias auront compris que leur libération ne peut être que le fruit de leurs efforts, qu’ils sauront s’associer pour lutter contre les puissances d’exploitation, ils verront leurs efforts couronnés de succès et pourront partir à la conquête de la société future.
EFFORT COMMUN
Syndicalement parlant, il consiste à savoir ne pas gaspiller sa force en démonstrations aussi individuelles qu’infécondes.
Quand, par exemple, un homme a de bonnes idées, ce n’est pas intelligent de sa part de n’en point faire profiter les autres. S’il a de l’enthousiasme, du courage et de la force, que fera-t-il de si belles qualités s’il s’obstine à ne les point joindre à celles d’autres hommes de sa classe, ayant à vivre et à souffrir comme lui de l’exploitation ?
Au contraire, n’eût-il que peu d’idées et pas beaucoup de force, s’il sait coordonner ce qu’il a de bon avec ses frères de misère, de leur effort commun peut surgir un effet spontané formidablement salutaire.
— G. Y.
EGALITE
n. f.
Lorsque les chefs bourgeois de la grande révolution de 1789 ont mis ce mot dans la trilogie républicaine, ils connaissaient bien les aspirations des profondes masses populaires luttant pour leur affranchissement. De même, dans la récente révolution russe, lorsque les chefs bolchevicks ont pris comme mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux Soviets », ils ne faisaient que traduire dans les mots ce que le peuple en révolte était en train d’accomplir dans les faits.
Que pouvaient, en effet, demander de plus, le serf courbé sous le joug des grands et petits seigneurs, l’ouvrier déjà exploité par la bourgeoisie naissante et tous les meurt-de-faim rivés à leur boulet de misère et à leur chaîne d’esclavage, sous l’arrogance et la domination des maîtres du jour ?
Egalité ! Mais cela voulait dire pour eux la fin de leur sujétion et de leur servitude, la fin de leur esclavage et de leur misère. Ils allaient être enfin les égaux de ceux qui, jusque-là, avaient vécu de leur sueur en les écrasant de leur mépris. Ils auraient enfin les mêmes droits, les mêmes possibilités de vie, la même liberté que ceux qui les avaient toujours asservis et pressurés. Ils pourraient enfin manger quand ils auraient faim, se reposer quand ils seraient fatigués. Ils ne seraient plus astreints à travailler au-dessus de leurs forces pour nourrir dans le luxe et l’opulence le seigneur et le curé. Ils allaient pouvoir eux aussi prendre part au banquet de la vie et du bonheur ! On comprend alors aisément que les sans-culottes aient pu s’enthousiasmer pour obtenir cette égalité. Et on comprend aussi facilement que ceux qui voulaient rester les chefs de la révolution, pour endiguer à temps le flot populaire, aient été contraints d’inscrire ce mot en tête de leur constitution afin de pouvoir plus facilement escamoter la chose.
Quant à ceux qui, avec Marat et Babeuf, ne se laissèrent pas tromper par les mots et voulurent pousser la révolution jusqu’à ce qu’elle ait réalisé cette égalité non seulement dans les mots mais dans les faits, jusqu’à ce qu’elle ait implanté ce sentiment d’égalité dans la vie économique et sociale, dans les moyens de vivre et de jouir de l’existence, leur voix fut vite étouffée par la réaction et la répression que permit le relâchement de l’activité révolutionnaire des masses profondes du peuple, fatiguées déjà de l’effort fourni, et confiantes dans les promesses que faisaient miroiter les grands mots de la devise Républicaine. Hélas, ces trois mots qu’on lit encore sur les murs des mairies, des casernes, des hôpitaux et des prisons ne devaient servir que de paravent à un régime se contentant de remplacer la domination d’une classe par celle d’une autre classe -ou plutôt de réaliser à peu près la fusion de ces deux classes : noblesse et bourgeoisie (car la bourgeoisie prise fort les titres de noblesse et la noblesse ne dédaigne pas du tout les dividendes que procure le régime bourgeois) — sur l’exploitation des sans-propriétés qui allaient devenir ce qu’on appelle aujourd’hui le prolétariat.
Il n’en pouvait être autrement, car aucun gouvernement d’aucun Etat ne peut et ne pourra jamais réaliser l’égalité réelle, l’égalité sociale, l’égalité complète entre les êtres humains. Le principe d’égalité est essentiellement contraire au principe gouvernemental et étatiste. Qui dit : Etat, gouvernement, dit : hiérarchie ; et là où il y a hiérarchie il ne peut y avoir égalité. On peut même dire que ce principe d’égalité est essentiellement anarchiste. Il signifie que, considérés au point de vue social, tous les être humains ont le même droit à la vie et au bonheur et par conséquent à tout ce qui procure la vie et le bonheur, un égal droit de manger à sa faim des aliments sains et réconfortants, de se loger confortablement, de se vêtir, de circuler, d’aller et venir librement, un égal droit de puiser aux sources de la production ce qui leur est nécessaire ou utile pour vivre. Le rôle de l’organisation sociale doit être précisément de permettre à chacun de lui assurer la même possibilité de satisfaire tous ses besoins et de jouir de l’existence sous toutes ses formes.
Dans la société actuelle qui s’impose à l’individu, qui l’embrigade à sa naissance — sans lui demander avis d’ailleurs — et ne le laisse en paix qu’après sa mort, comment peut-on admettre, sans être soulevé par la révolte, qu’il soit dit à l’un : « Tu jouiras de toutes les richesses produites ou à produire sans jamais avoir à travailler, tu n’auras qu’à commander ce que tu voudras pour le voir de suite exécuter » et à l’autre : « Tu travailleras du matin au soir et d’un bout de l’année à l’autre, du commencement à la fin de ta vie ; tu obéiras aux ordres qui te seront donnés sans avoir à les discuter ni même à les comprendre, et tu n’auras droit, pour vivre, qu’à ce que le riche, ton employeur, voudra bien te donner » ? Celui qui se trouve ainsi repoussé du banquet de la vie par une société marâtre qui l’incorpore et le conserve de force dans ses rangs n’a-t-il pas le droit, je dirai mieux : le devoir, de se rebeller et de répondre ainsi à cette société
« Je ne te dois rien, tu m’as pris dans tes griffes pour me torturer tant qu’il te plaise de me tuer, mais je ne veux rien te donner et dès aujourd’hui je te déclare une guerre acharnée. Ce sera entre nous une lutte à mort, car je ne veux pas être ton esclave. L’un de nous succombera. Je tomberai peut-être, d’autres tomberont après moi, mais il viendra bien un jour où sous les coups répétés des compagnons, ta vieille carcasse laissera s’échapper l’attirail de torture qu’elle renferme dans ses institutions scélérates, et où nous pourrons enfin instaurer sur tes ruines un milieu social où tous les individus connaîtront l’égalité ! »
Car logiquement aucune société ne peut exister, sans appeler la révolte de l’individu conscient de lui-même, si elle n’est pas basée sur l’égalité réelle, si elle ne réalise pas l’égalité économique et sociale de ses composants. Si l’égalité est violée au détriment d’un de ses membres, celui-ci ne peut que demeurer en état de révolte jusqu’à ce qu’elle soit rétablie.
Cependant, dans la société capitaliste actuelle où, suivant l’énergique expression de Sébastien Faure, les uns crèvent de faim pendant que les autres crèvent d’indigestion, on ose encore nous parler d’égalité sur les bancs de l’école ; les professions de foi des candidats à la députation sont assaisonnées de ce grand mot, ainsi que de tant d’autres d’ailleurs, qui servent, comme lui, à dorer la pilule et à faire prendre des vessies pour des lanternes ; nos gouvernants ne manquent pas, dans leurs discours, de s’en réclamer ; mais chaque fois qu’un malheureux, las de souffrir des iniquités sociales qui s’acharnent sur lui pour l’empêcher de vivre, essaie de rétablir un peu cette égalité à son profit en prenant sur la part des riches, on a vite fait de l’arrêter et de le mettre en prison en lui rappelant, ironiquement sans doute, que la loi est la même pour tous et que tous les hommes sont égaux devant elle.
Ah ! L’égalité devant la loi ! Cela sonne bien dans les discours de ces messieurs. Mais il nous faudrait savoir où elle commence, cette égalité devant la loi. Est-ce à la naissance des individus en donnant à chacun les mêmes possibilités de vivre et de se développer ? Que non pas ! Ce serait trop beau. Cela pourrait peut-être permettre l’élaboration d’une société où l’exploitation de l’homme par l’homme, d’abord réduite, arriverait à disparaitre. La loi devant laquelle tous les hommes sont égaux commence par mettre d’un côté de la balance, celui du riche, tous les avantages, tout le bien-être, toute la fortune, toute l’instruction, toutes les bonnes places, toutes les faveurs. Puis, de l’autre côté, celui du pauvre, pour faire équilibre sans doute, elle met toutes les misères, toutes les douleurs, toutes les privations, tout l’abrutissement, tous les fardeaux, toute la servitude. Ayant ainsi délimité la part de chacun, elle dit alors à l’un comme à l’autre :
« Allez dans la vie, vous êtes égaux, vous avez les mêmes droits. Pourvu que vous ne preniez pas la propriété d’autrui que j’ai chargé de faire respecter et que vous obéissiez à mes ordres, vous avez le droit de vous comporter entre vous comme vous l’entendrez. Trompez vos semblables pour les rouler ou soyez francs avec eux si le mensonge vous répugne, profitez de leur détresse pour les dépouiller davantage ou venez-leur en aide lorsqu’il sont dans la misère, servez-vous de votre supériorité économique pour les exploiter et les dominer ou laissez s’échapper l’occasion d’arrondir votre fortune sous prétexte d’humanité, utilisez votre ruse, votre platitude et les faiblesses des autres pour vous enrichir à leur détriment ou bien mettez votre franchise et votre dignité au-dessus de l’amour de l’argent, tout cela est à vos risques ou profits. Soyez seulement assurés que si vous conservez ou acquérez la fortune, je vous prêterai mes gendarmes pour la défendre et mes soldats pour l’arrondir. Si vous restez sans fortune ou perdez celle que vous avez, mes gendarmes vous empêcheront impitoyablement de toucher à celle des autres, même s’il ne vous reste rien pour vivre. »
Voilà le point précis où commence l’égalité devant la loi !
Et la loi, devant laquelle tous les hommes sont égaux est ainsi faite que s’il plaisait au capitaliste possédant la terre, l’usine ou le logement de dire : « La terre ne sera pas cultivée, l’usine restera fermée, le logement restera vide », la terre resterait inculte, l’usine ne produirait rien, le logement serait inhabité, le travailleur ne pourrait plus travailler, il ne pourrait plus manger, ni se vêtir, et il coucherait à la belle étoile — que dis-je ? Non seulement cela serait, mais cela est ; cela se voit chaque jour — sans que la loi ait à intervenir. Ou plutôt si, elle intervient, mais c’est pour arrêter le travailleur, chassé de partout, comme vagabond ou comme voleur. Et voilà le point précis où aboutit l’égalité devant la loi ! Il n’en peut être autrement, car la loi n’est faite que pour consacrer et perpétuer les inégalités et les iniquités sociales (Voir Loi). Parler de l’égalité devant la loi, c’est un non sens et une hypocrisie comme de parler d’humanité pendant la guerre.
Le sentiment d’égalité sociale existe à l’état latent dans le cœur des êtres humains et les siècles d’esclavage et de servage qui ont pesé sur lui de toute leur oppression n’ont pas réussi à le tuer. C’est donc dire qu’il ne saurait disparaître. Pour s’en rendre compte il n’y a qu’à voir comment vibre la foule des opprimés lorsqu’on l’invoque devant elle, et comment se défilent ceux qui le combattent lorsqu’on leur demande de s’expliquer en public. On peut le voir encore plus sûrement si l’on éveille, sur ce sujet, le raisonnement de jeunes bambins de 8 à 10 ans sur lesquels la religion ou l’éducation familiale n’ont pas encore réussi à déformer le cœur et le cerveau. Si vous en trouvez, demandez-leur donc à qui la terre que personne n’a créée, à qui l’usine, construite et mise en œuvre par des ouvriers devraient appartenir. Demandez-leur aussi si le droit de manger à sa faim doit être concédé à tous ou à quelques-uns seulement. Raisonnez avec eux, mais sans influencer leur jugement, et vous serez stupéfaits de leurs déductions simplistes, mais qui peuvent résumer toute la question sociale. Il m’est arrivé, en discutant là-dessus avec un patron, de voir son fils âgé de 8 ans, qui n’avait certainement jamais entendu parler de la question sociale, me donner raison contre son père qui le morigéna naturellement et dut lui enlever, par la suite, l’envie de se mêler aux conversations. Il est bien évident que, plus tard, lorsque la religion, le maître d’école, la famille, ont abruti ce jeune cerveau avec les devoirs d’obéissance envers Dieu, envers les lois, envers les riches, il ne reste pas grand chose de ce sentiment et que toutes ses manifestations sont étouffées. C’est ainsi que le régime d’oppression peut durer sans que ceux qui en souffrent en silence n’aient la force de se révolter. De braves gens miséreux s’en consolent philosophiquement en disant que ceux qui les ont dépossédés et les forcent à se priver du nécessaire, n’emporteront pas leurs biens dans l’autre monde, que toutes leurs richesses ne les empêcheront pas de mourir, tout comme les autres et, ajoutent-ils : « C’est bien là que nous l’aurons l’égalité qu’on nous refuse maintenant ». De la même façon que les croyants pauvres espèrent trouver au paradis une place égale à celle des riches.
Mais si cette notion d’égalité devant la mort peut satisfaire de malheureux résignés — de même que le suicide, pour ceux qui ne peuvent plus vivre en respectant la propriété d’autrui, peut être une façon de se libérer de la misère — elle ne saurait empêcher de sentir la criante iniquité qui écrase les êtres humains assoiffés de vie et qui réclament leur place au soleil. La nature, d’ailleurs, qui nous met tous égaux devant la mort, ne nous met-elle pas tous égaux devant la vie, quoi qu’en disent les défenseurs des aberrations sociales ? N’avons-nous pas tous également besoin d’air, de nourriture, de vêtements, de logement, etc. ? Ce n’est pas la nature qui limite ou grandit nos besoins suivant notre position sociale. Elle ne dit pas à l’un : « Tu vivras sans manger », ni à l’autre : « Tu mangeras la part de dix ». Mais au pauvre comme au riche elle ordonne de manger à leur faim sous peine de dépérir et de mourir, de se vêtir sous peine de grelotter de froid et de geler, de se reposer lorsqu’ils sont fatigués sous peine de surmenage, d’abrutissement et de mort prématurée, etc., etc. Et s’il en est qui sont arrivés, par suite des conditions sociales, à se créer une quantité de besoins factices, anormaux, antihygiéniques, des besoins de lucre et d’orgueil que d’autres n’ont pas (voir Besoins), ce n’est pas la nature qui les leur a donnés, mais la société. Ce n’est pas la nature qui a donné à l’ivrogne le besoin de s’enivrer, ni à l’ambitieux le besoin de dominer. Donc, comme le but de toute société rationnelle n’est, ne doit être que de faciliter à chacun de ses membres la satisfaction de ses besoins rationnels, elle doit reconnaître pour tous le même droit à la satisfaction de ces besoins, le même droit à la vie et au bonheur. Nous ne pouvons nous contenter de cette lugubre consolation de résignés et d’esclaves qui attendent l’égalité devant la mort, mais nous proclamons bien haut l’égalité devant la vie. Nous ne voulons admettre comme règles que les limites naturelles des besoins de chacun.
Parmi ceux qui acceptent sans mot dire les inégalités sociales actuelles, il n’yen a plus guère qui le font par admiration, par une reconnaissance de véritable supériorité pour ceux qui commandent, exploitent et dirigent ici-bas. Beaucoup reconnaissent qu’une grande partie de ceux qui s’enrichissent en écrasant les autres sont de véritables crétins ou de sinistres bandits. Mais ils les saluent cependant bien bas soit pour s’attirer leurs faveurs ou pour éviter leur ressentiment et leur vindicte, pour conserver une maigre place, pour ne pas se créer d’ennuis ou encore pour... faire comme tout le monde. Et il y a aussi, il faut bien le dire, ceux qui tout en comprenant les mauvais effets des inégalités sociales, les acceptent et même les défendent avec l’espoir d’arriver à en être les profiteurs et, pire encore, avec la satisfaction de penser que d’autres en souffrent plus qu’eux. Ils trouvent une compensation à faire peser sur d’autres le fardeau des iniquités qu’ils subissent eux-mêmes. Et c’est parce que, dans le régime actuel, il y a une infinité de degrés et d’échelons dans les conditions de vie créés par les inégalités sociales que ce régime est si difficile à jeter bas et à remplacer par une organisation qui permettrait à chacun de jouir complètement de la vie. Les classes possédantes et dirigeantes s’entendent à merveille pour créer et entretenir chez les classes spoliées et exploitées des différences d’exploitation, des inégalités de condition de façon à maintenir la division parmi celles-ci. Dans la classe ouvrière, par exemple, il existe autant de catégories de salaires que de catégories d’ouvriers. Les salaires varient avec chaque corporation, et dans chaque corporation, ils varient encore avec chaque spécialité (ou avec chaque classe, chez les fonctionnaires). Cela est peut-être la plus grande cause d’asservissement de la classe ouvrière, mais celle-ci ne le comprend pas encore suffisamment, et dans ses revendications elle ne fait pas assez entrer ce principe en ligne de compte. Elle ne réclame pas des salaires uniformes pour l’ouvrier qualifié et pour le manœuvre, pour l’intellectuel et le manuel, etc., etc. La lutte engagée dans ce sens indiquerait une mentalité nouvelle, elle la ferait naître au besoin, cette mentalité, elle indiquerait une solidarité plus grande chez les exploités et permettrait d’envisager à brève échéance la fin des iniquités que nous subissons. Comment, en effet, réclamer pour les travailleurs et les spoliés, les mêmes conditions de vie, les mêmes possibilités, les mêmes avantages sociaux que pour les profiteurs si, entre eux, ces travailleurs ne se reconnaissent pas déjà ces mêmes droits, s’ils reconnaissent à un ouvrier qualifié le droit à une vie plus large qu’au manœuvre qui n’a souvent commis d’autre crime que d’avoir eu une jeunesse plus malheureuse, s’ils reconnaissent à l’ouvrier de telle profession une possibilité de vie deux fois, trois fois plus grande qu’à celui d’une autre profession moins favorisée, mais autant, quelquefois plus utile ?
Certes, des revendications posées dans ce sens seraient dures à obtenir et les patrons ne céderaient pas de sitôt, mais le fait de les poser serait déjà un grand pas en avant et resserrerait considérablement les liens de la solidarité ouvrière.
Il reste encore beaucoup à faire pour que le peuple arrive à comprendre le véritable sens que doit avoir le mot égalité. Il porte ce sentiment dans ses instincts, il vibre quand on lui en parle, mais il ne sait pas encore se représenter sa portée sociale. S’il connaît ce mot, il ne comprend pas tout ce qu’il doit permettre de réaliser. Les siècles d’asservissement qu’il a subis lui ont tellement inculqué l’idée de soumission, de résignation, de dégradation, de renoncement à sa personnalité, qu’il doute de lui lorsqu’il se compare à ses maîtres, qu’il doute qu’il puisse être vraiment autant que l’un quelconque d’entre eux. Ceux-ci lui en imposent trop par leur richesse, leur morgue, leur orgueil, leur train de vie, leurs beaux habits, leur luxe, leurs châteaux. Il aime l’égalité, mais ne peut arriver à la concevoir entière, complète, totale. Comme une lumière trop vive pour lui, il ne peut en supporter l’éclat. Il ne peut encore en voyant un riche, un chef, un maître, un gouvernant, se pénétrer à fond de cette idée :
« Je suis autant que cet homme, il n’est pas plus que moi ! »
Cela dépasse ses capacités actuelles, malgré qu’il lui vienne parfois cette réflexion :
« Et pourtant cet homme est fait de chair et d’os comme moi, il est soumis aux mêmes lois naturelles, etc. »
Mais il lui manque la force nécessaire pour se dresser face à face et lui dire :
« Tu n’es pas plus que moi ! J’ai autant que toi droit à la vie ! »
Développons chez tous les asservis, les opprimés, le sentiment d’égalité devant la vie, d’égalité devant le buffet, faisons-leur prendre conscience de leur personnalité, élevons leur dignité, incitons-les à ne plus se courber, à ne plus s’humilier devant l’arrogance des grands ; il viendra un jour où ils se redresseront, ils s’apercevront alors immédiatement que, comme l’a si bien dit La Boétie, les riches et les maîtres ne sont grands que lorsque les pauvres et les opprimés se mettent à genoux devant eux. Le sentiment d’égalité fera alors un tel progrès dans leur cerveau qu’il deviendra une force agissante irrésistible et permettra de faire table rase de la société actuelle et de toutes ses misères, pour instaurer enfin le régime égalitaire où tous les êtres humains pourront jouir pleinement de l’existence.
— E. COTTE
EGALITE ECONOMIQUE
Religion, Mariage, Famille, Patrie, Etat sont les institutions millénaires et sacrosaintes nées de l’ignorance et de la peur qui scindent la nature humaine en deux facteurs hostiles, le corps et l’esprit, établissent une morale d’hypocrisie et de contrainte, perpétuent le passé en maintenant la femme sous le joug de l’homme et les enfants, inégaux en droits selon qu’ils naissent naturels ou légitimes, sous l’autorité des parents, parquent l’humanité en nations et en races ennemies et cimentent artificiellement notre monstrueuse société, par l’organisation méthodique de la répression, de la coercition et d’une tyrannie astucieuse et implacablement féroce.
Toutes les cruautés et toutes les férocités, la soumission et l’esclavage, la misère et la faim, sont déterminées par la hiérarchie sociale et l’inégalité entre les hommes qui a sa source dans l’antagonisme des intérêts, dans le régime de la propriété privée, créateur de gouvernants et de gouvernés, d’exploiteurs et d’exploités, de riches et de pauvres.
La Révolution de 1789, très belle mais trop superficielle, n’a proclamé que l’égalité des droits, l’égalité morale. Elle est restée lettre morte. Elle n’a rien donné et il en sera toujours ainsi jusqu’à ce que l’égalité des droits soit consacrée par l’égalité de fait, l’égalité économique.
Un des précurseurs des moins utopistes et qui fut le plus profondément humain du XVIIIème siècle, l’ami du peuple, Jean-Baptiste Marat, a résumé dans son Plan de Constitution, l’intuition sublime de toute la vérité et de toute la sagesse en écrivant :
« Le but n’est pas de changer le vrai pour du nouveau, mais de le constater par une application toujours plus radicale ».
Et plus loin cette pensée qui, réalisée, assurerait pour toujours la paix, le bonheur et la prospérité pour tous :
« La nature a donné à chacun de ses enfants des aptitudes différentes quant à l’espèce, mais non inégales en valeur sociale ».
La mise en pratique de cette vérité fondamentale sera la fin de tous nos préjugés et de toutes les injustices, parce qu’elle soudera dans une solidarité étroite et universellement consentie, la volonté, l’action et la réalisation humaine par la prise de possession et la mise en commun de la planète, de son sous-sol, son sol, son sursol et de tous les instruments de production, œuvre collective de l’humanité présente et de toutes les générations qui nous ont précédées sur la rondeur de notre monde sublunaire ; par l’équivalence de tous les travaux, manuels et intellectuels qui s’étayent et se complètent mutuellement ; et par l’assurance pour chacun et chacune de recevoir sa quote-part égalitaire sur le rendement social.
Ceci, qui réalisé nous paraîtra aussi simple et facile qu’à Christophe Colomb de faire tenir debout son œuf légendaire, après lui avoir brisé sa coquille, s’accomplira tout naturellement par la solidarisation de la production et de la consommation. Ce sera la fin de tous nos penchants esclavagistes pour une morale imposée, de l’obligation du travail renouvelée de la foi chrétienne de l’apôtre saint Paul et de la pratique du bagne ainsi que du fameux stimulant homicide, qui n’est qu’une forme de l’exploitation humaine, la concurrence.
L’égalité économique, clé de voûte d’une humanité régénérée, porte en elle sa propre loi, assure la continuité du travail volontaire dans l’intérêt de chacun, désormais solidaire de l’effort de tous et élève, également dans l’intérêt de tous et de chacun, le rendement social au maximum.
L’égalité économique, qui est l’Egalité intégrale, ouvrira à l’humanité renouvelée des perspectives insoupçonnées et illimitées de liberté, de prospérité et de bonheur.
— Frédéric STACKELBERG
EGLISE
n. f. (du latin ecclesia ; du grec ekklêsia, signifie étymologiquement : réunion ou assemblée)
Par extension : l’ensemble des fidèles d’un même culte, des personnes qui se rallient exactement à un même système idéologique. C’est dans ce sens que l’on a pu parler d’église socialiste, ou d’église anarchiste, pour indiquer que certains protagonistes de ces systèmes exagéraient dans la voie du sectarisme.
D’après les théologiens, l’Eglise englobe, non seulement le clergé, mais tous les adeptes, tous les croyants, même les plus humbles. Son chef — invisible — est Jésus-Christ. Il y a d’ailleurs une Eglise invisible, qui combat, dans l’ombre, à côté de l’Eglise visible et qui est formée de tous les saints trépassés, des anges, etc. Mais ceci est une autre histoire.
Au point de vue politique et social, la puissance de l’Eglise a toujours été concentrée dans le clergé, c’est-à-dire en la personne des hommes qui font profession de servir la religion. C’est pourquoi, il est d’usage de donner au mot Eglise une signification beaucoup moins étendue que celle que je viens d’indiquer. L’Eglise, pour quiconque ne s’embarrasse pas de théologie, c’est, avant tout, le groupement des prêtres d’un culte donné, avec sa hiérarchie et ses chefs. Combattre l’Eglise, ce n’est pas, à proprement parler, combattre tous ceux qui se réclament des idées de cette Eglise, c’est surtout combattre ses dirigeants et ses profiteurs, c’est combattre les castes sacerdotales.
Je me placerai donc à ce point de vue spécial et j’étudierai surtout la vie de l’Eglise en tant que corporation.
Les corporations de prêtres sont bien antérieures, cela va sans dire, aux religions modernes.
En Egypte (et cette admirable civilisation a vécu 5.000 ans), les villes et les provinces avaient leurs dieux particuliers — et leurs prêtres. Dès l’origine, ce fut le régime théocratique, c’est-à-dire le gouvernement des prêtres. Les institutions évoluèrent, ce fut une sorte de féodalité qui s’imposa. Enfin, l’ère des guerres étant venue (elles amènent toujours un renforcement de l’autorité), ce fut le régime de la royauté despotique. Mais : sous tous ces régimes, les prêtres gardèrent leur puissance. Ces monarques absolus avaient besoin d’eux. Les rois n’étaient-ils pas considérés comme des héros, comme des demi-dieux ? On leur dressait des autels et on les adorait. Le culte des morts avait pris un développement incroyable et le peuple obéissait à une foule de superstitions. Aussi chaque ville importante avait son grand prêtre, chef absolu du clergé, lequel, je le répète, était nombreux et indépendant, même sous le despotisme royal, lorsque le gouvernement théocratique proprement dit eut pris fin.
L’exemple de l’Egypte (la plus vieille civilisation humaine), nous permet de constater que le cléricalisme (domination du clergé), est un phénomène social ancien. Sans doute est-il aussi ancien que la religion elle-même. Les croyances, nées de la peur et de l’ignorance, eurent à peine été formulées qu’il se trouva des hommes, plus subtils et plus adroits que les autres, pour les exploiter et en tirer profit. C’est le sorcier, le faiseur de pluie, celui qui sait conjurer les sorts et qui connaît le secret des destins : mots magiques, amulettes précieuses, incantations et prières,
Que les prêtres, dès l’origine, aient éprouvé le besoin de s’entendre entre eux, on ne peut en douter. Assurément ils étaient rivaux et se disputaient la clientèle mais une concurrence trop vive, en dévoilant aux profanes le secret de leur imposture, eût été très néfaste. Ils avaient le plus grand intérêt à se prêter la main, et ils constituèrent ainsi des associations qui allèrent en se développant, qui fixèrent le dogme, précisèrent les rites et formulèrent les règles selon lesquelles le troupeau des fidèles devait être conduit... et étrillé.
Ouvrons la Bible, au Lévitique. Nous y trouvons exposés les principes les plus rigoureux de la théocratie juive. Le peuple de Moïse était gouverné, et solidement, par ses prêtres (ou lévites). Tout est prévu dans cette charte d’Israël : la nature des offrandes à faire aux prêtres ; les péchés et les crimes réprouvés par Jahvé et les châtiments dont les coupables doivent être frappés. Et tout cela est dicté par Dieu lui-même, afin d’empêcher toute protestation.
Si nous nous transportions chez les Perses (sectateurs de Zoroastre), ou dans l’Inde de Brahma et de Çakya Mouni, nous pourrions faire d’identiques observations. Les Brahmes ont fait peser sur le malheureux peuple indou une tyrannie aussi lourde et aussi cruelle que celle des prêtres de Quetzalcóatl de l’Ancien Mexique — ou du Pérou, ou de vingt autres peuples que nous pourrions énumérer.
Pour rendre nos critiques plus vivantes, bornons-nous à étudier les Eglises de nos pays d’Europe. Nous sommes plus familiers avec leur histoire et ma tâche sera facilitée (en raison du peu de place dont je dispose). Mais, je le répète, en tous les temps et dans tous les lieux, les prêtres ont formé des « églises » avides de pouvoir et d’argent, étroitement solidaires des puissances sociales, comme nous le verrons.
La plus importante — et de beaucoup — des églises qui ont régenté l’Europe (et dont l’activité s’est du reste exercée dans le monde entier) est sans contredit l’Eglise Chrétienne, également nommée Eglise catholique, apostolique et romaine.
Le christianisme, comme toutes les religions, a dû se défendre contre des déchirements intestins, des divisions, des schismes, des hérésies, que je ne pourrai indiquer que brièvement. Certains rameaux se sont détachés du tronc central. Indiquons rapidement, celles de ces « Eglises séparées » qui subsistent encore aujourd’hui (car nombreuses sont les sectes schismatiques qui ont complètement disparu, broyées impitoyablement et supprimées par le massacre et les pires violences).
Les Eglises orientales non catholiques comprennent quatre églises mineures, ainsi nommées parce quelles sont peu importantes. Ce sont : l’Eglise arménienne ; l’Eglise syrienne (ou jacobite) ; l’Eglise chaldéenne (ou nestorienne), et l’Eglise copte (dont le chef est le patriarche d’Alexandrie). Chacune de ces Eglises est indépendante et se dirige selon ses traditions propres.
A côté d’elles, et beaucoup plus importantes, il faut placer les différentes Eglises orthodoxes (ou byzantines, car elles prétendent continuer l’antique Eglise de Byzance). On les divise en trois branches : les helléniques, de langue grecque ; les melkites, de langue arabe ; les slaves, de langue russe. Elles englobent environ 150 millions de fidèles. Contrairement à l’Eglise romaine, l’Eglise d’Orient déclare ne faire aucune politique et se défend d’exercer la moindre pression sur les Etats. On peut douter de la sincérité de ces principes, quand on sait quelle place importante l’Eglise orthodoxe occupait en Russie sous le tsarisme. Les prêtres touchaient 50 millions de roubles par an (soit 150 millions de francs). Le Synode avait en banque 70 millions de roubles en dépôt. Eglises et couvents possédaient d’immenses domaines : 2.300.000 déciatines de terre (soit environ 4 millions et demi d’hectares!) Il y avait en Russie 30.000 écoles paroissiales, avec 20.000 prêtres payés par l’instruction publique. Juifs, Musulmans et Catholiques payaient des impôts pour appointer les prêtres orthodoxes, au nombre de 65.000, sans parler des moines, nonnes et novices, qui étaient plus de 80.000. On voit que l’orthodoxie est une plante aussi envahissante et aussi parasitaire que la catholicité.
La guerre mondiale et la révolution russe ont porté un coup terrible à l’Eglise orthodoxe (dont le tsar était le chef). Le patriarche de Constantinople a été ruiné, lui aussi, et sa situation est restée ébranlée ; il préside toujours l’Eglise grecque, mais celle-ci est divisée en une infinité de petites Eglises nationales ayant leur propre chef. La Papauté s’est appliquée de son mieux à tirer profit de cette situation et à exploiter la déconfiture de ses rivales grecques et orthodoxes.
A côté du schisme grec, qui déchire les chrétiens depuis plus de 1.200 ans, il faut placer le schisme protestant, plus récent mais tout aussi redoutable pour Rome. La réforme est née en réaction contre les crimes et, les turpitudes des prêtres catholiques, elle voulut assainir et purifier la vieille bâtisse et constitua pour l’Eglise une sérieuse menace, que les Papes n’hésitèrent pas à combattre par le fer et par le feu. Elle gagna rapidement l’Allemagne, l’Angleterre, la Suisse ; une partie de la France, les Pays scandinaves, etc. Aujourd’hui, les Eglises protestantes semblent perdre du terrain partout devant l’Eglise romaine, plus habilement organisée.
Les sectes protestantes actuelles (les principales, car il y en a des centaines!) sont les suivantes : d’abord, les méthodistes (secte fondée à Oxford en 1729, par les frères Wesley), qui groupent 20 millions d’adeptes en Angleterre et aux Etats-Unis ; les Anglicans (Eglise anglicane), parmi lesquels se dessinent des courants très différents, les uns sont farouchement attachés aux traditions austères et bornées, les autres ont des velléités libérales et avancées. Cette Eglise renferme 25 millions d’adhérents, la plupart en Angleterre. Viennent ensuite les Luthériens, ou Eglise réformée d’Allemagne. La chute du Kaiser a porté un coup sensible à leur puissance.
Les Eglises réformées de Russie, de France, de Hollande, etc., se réclament plutôt de Calvin que de Luther. Elles sont aussi divisées ; les éléments démocratiques et pacifistes sont mal tolérés par les partisans des traditions réactionnaires. Le protestantisme libéral fait cependant de continuels progrès mais, en réalité, il travaille involontairement pour la Libre Pensée, car il y a incompatibilité entre l’esprit religieux et l’amour de la liberté et du libre examen.
Je n’indique que pour mémoire l’Armée du Salut, les Mormons, les Scientistes (adeptes de la guérison par la suggestion, ou Christian Science). Ce sont les plus connues parmi les innombrables sectes protestantes qui pullulent en Angleterre et aux Etats-Unis.
Un rapide coup d’œil sur l’histoire de l’Eglise catholique nous fera voir comment elle est parvenue à conserver son unité et à briser les tentatives de scission. Les autres Eglises ont pu être aussi intolérantes et parfois aussi brutales que celle de Rome, mais, d’une façon générale, il faut reconnaître que celle-ci mérite la palme de la tyrannie. Son histoire sanglante est entièrement dominée par le souci de s’enrichir, de subjuguer les peuples et leurs dirigeants pour gouverner le monde à son seul profit.
Le développement du christianisme depuis ses origines est un phénomène extrêmement curieux qu’il est intéressant d’étudier avec soin. Nous voyons alors se former lentement et patiemment la plus lourde institution despotique que l’humanité ait jamais supportée.
Au début, les chrétiens se différenciaient à peine des Juifs ; ils demeuraient membres de l’Eglise israélite (comme Jésus lui-même, du reste. Celui-ci priait dans le Temple ; il a critiqué son organisation et il a demandé — d’après les évangiles, il va sans dire, car rien ne démontre qu’il ait véritablement existé — son amélioration, mais il n’a prêché à aucun moment la fondation d’une nouvelle église). Le christianisme serait aussi une petite secte juive, si l’épileptique Paul de Tarse (saint Paul) n’était venu lui donner une impulsion toute particulière.
Les religions romaines s’adressaient surtout aux riches et ne s’intéressaient guère à la plèbe. Celle-ci devait être facilement touchée par les arguments d’une secte qui prêchait l’égalité et le mépris des richesses. Car le christianisme fut, à son début, faute de mieux, un mouvement égalitaire, qui recruta ses adeptes dans les classes les plus humbles.
Paul était ouvrier tapissier et gagnait sa vie par son propre travail. Il disait :
« Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger. »
Il n’y avait pas de prêtres ni d’évêques appointés, chez les premiers chrétiens.
Paul voyageait sans cesse, fondant un peu partout des groupes de fidèles, qui restaient en correspondance entre eux. Les adeptes se réunissaient pour prendre leurs repas en commun ; chacun apportait ses vivres. Des chrétiens dévoués (diacres et diaconesses) servaient leurs frères et leurs sœurs à table : ils le faisaient gratuitement, par pur dévouement. Les premiers représentants de l’Eglise catholique ont donc montré un désintéressement... que nous ne retrouverons plus dans la suite des siècles. Chaque groupe avait une caisse commune, dans laquelle chacun versait librement son superflu ou son obole.
Les Juifs orthodoxes voyaient d’un mauvais œil le développement de la nouvelle secte. Paul faisait appel, ô abomination, à des non-circoncis ; il infligeait plus d’une entorse à la vieille loi hébraïque. On voulut se défaire de lui, et il s’en fallut de peu que le christianisme fût étouffé dans l’œuf. Entre juifs et chrétiens, ces frères ennemis, la querelle allait en grossissant ; on en venait même aux mains. Paul faillit être assommé. Il fut mis en prison, mais sa qualité de citoyen romain le sauva.
Après saint Paul, l’Eglise continua à se développer lentement. Jérusalem avait été détruite et les Hébreux dispersés. A défaut des polémiques entre Juifs et Chrétiens, les Chrétiens vont à présent polémiquer entre eux, avec une âpreté sans précédent jusqu’alors.
Ils formaient alors des associations quasi-clandestines et purement laïques. A côté des diacres et des diaconesses dont j’ai parlé, ils avaient bien des évêques (episcopos), mais ces personnages remplissaient tout simplement un rôle de surveillants dans les assemblées. On les appelait aussi les Anciens. Les Chrétiens se reconnaissaient à l’aide de signes mystérieux et s’entouraient volontiers d’obscurité, bien qu’ils ne fussent pas encore persécutés. On peut même penser que la haine du peuple fut, en partie, éveillée par le caractère secret du christianisme, qui suscita des méfiances et une forte animosité. De là à leur attribuer la responsabilité des événements fâcheux (pestes, incendies, etc.), qui pouvaient se produire, il n’y avait qu’un pas à franchir.
Les premiers chrétiens croyaient la fin du monde imminente. Jésus l’avait annoncée. Ils attendaient son retour d’un moment à l’autre, Cette croyance (dogme de la Parousie) explique leur mépris des choses matérielles, du mariage et de l’amour ; elle explique aussi leur communisme et leur souci de travailler uniquement à leur salut spirituel, afin d’être prêts à comparaître bientôt devant le grand juge.
Les premiers actes d’intolérance furent commis par les chrétiens eux-mêmes, qui allaient la nuit détruire et renverser les statues des « faux dieux », ce qui exaspérait la superstition populaire. Autrement, on était très libéral à Rome, en matière de religion et les cultes les plus différents y voisinaient fraternellement sans se contrecarrer. Tout cela changea avec le christianisme qui ne tarda pas à attirer sur lui de terribles représailles.
L’ère des persécutions est souvent évoquée par les chrétiens modernes. Ils préfèrent nous parler des « martyrs chrétiens » que nous causer... des crimes de l’Inquisition, par exemple. Il faut bien dire que les premiers chrétiens n’ont jamais été persécutés d’une façon aussi odieuse, aussi systématique que le furent les hérétiques par l’Eglise. J’en donnerai une preuve : les chrétiens, en dépit de cette persécution, ont pu résister et développer leur Eglise, tandis que les Vaudois, les Albigeois et beaucoup d’autres ont totalement disparu devant la répression savamment organisée par les catholiques. Plus tard, le protestantisme fut étouffé complètement en Espagne et en Italie, par des moyens aussi barbares.
Une persécution absolue peut tuer une idée et la noyer dans le sang. Une demi-persécution la favorise au contraire, l’exalte et la stimule. Ce fut le cas pour le christianisme. Les Empereurs, menacés par les Barbares du dehors, n’avaient guère le loisir de le combattre assidûment.
Les chrétiens cherchèrent d’ailleurs à échapper à cette répression. Ils utilisèrent certaines lois, très libérales, sur les associations funéraires (Delaisi) et ils purent ainsi posséder légalement, recevoir des dons, etc. L’évêque ne fut plus simplement le surveillant, il devint l’administrateur et le trésorier, et comme il donnait tout son temps à ses fonctions absorbantes, il fallut le payer sur la caisse commune. Telle fut la véritable origine de la caste sacerdotale chrétienne. Les fonctionnaires appointés feront tous leurs efforts pour garder leur situation, augmenter leurs ressources et conquérir des prérogatives toujours plus grandes. C’est l’éternel phénomène que l’histoire de toutes les religions sans exception (et l’on pourrait même dire de tous les partis politiques et de tous les groupements sociaux) permet de constater.
A partir de ce moment, le rôle du clergé devint de plus en plus prépondérant. Mais chaque Eglise (ou chaque groupe) était autonome, obéissait aux prêtres quelle avait librement élus et se dirigeait à son gré. Les divers groupes n’étaient pas toujours d’accord, même en ce qui concernait les dogmes ; il en résultait de continuelles disputes entre toutes ces communautés, qui s’injuriaient de leur mieux.
Pendant les périodes de persécutions, le nombre des abjurations était d’ailleurs considérable. Bien peu de chrétiens avaient l’énergie de tenir tête à leurs persécuteurs. Ils faisaient semblant de se soumettre et attendaient tranquillement que la persécution ait cessé. La plupart des évêques donnèrent l’exemple de cet opportunisme.
Lesdits évêques étaient toujours élus, mais on exigea bien vite qu’ils fussent de « bonne naissance ». Progressivement, l’Eglise perdait son caractère démocratique.
Elle le perdit tout à fait le jour où les persécutions prirent fin. Les Empereurs avaient d’abord essayé de détruire la secte nouvelle, n’y parvenant pas, l’un d’entre eux, Constantin, songea à s’en servir comme d’un moyen de gouvernement.
Ce Constantin, que l’Eglise a longtemps honoré comme un saint, est le type du gouvernant machiavélique et du criminel sans scrupules.
Au IVème siècle, le christianisme existait à peine, en tant qu’Eglise. Il n’y avait entre ses membres aucune unité de dogmes. En particulier, l’arianisme soulevait de perpétuels et violents conflits. Constantin sut exploiter cette situation.
On rougit presque de dire sur quelles insanités reposait la grande querelle arienne, qui retentit durant plusieurs siècles et engendra tant de luttes, souvent sanglantes... Arius se séparait de son collègue, l’évêque de Rome (il ne prenait pas encore le titre de pape : par contre, plusieurs évêques orientaux se faisaient appeler papes, sans y attacher une idée de suprématie sur les autres évêques, prétention devant laquelle personne ne se serait incliné) sur la question de la consubstantialité de Dieu le Père avec Dieu le Fils (Arius ne l’admettait pas de la même façon...) Ces chicanes faisaient la joie des païens, ainsi que les polémiques que les chrétiens se livraient sur la nature et l’origine du saint Esprit, sur l’époque où il fallait célébrer la Pâque ; sur le Baptême (est-il valable lorsqu’il est administré par un hérétique?), sur la personna1ité de Marie qui n’était pas encore promue au rang de mère d’un dieu, etc., etc. Telles étaient les ridicules disputes qui passionnaient la chrétienté. On n’arrivait pas à se mettre d’accord, ni sur les dogmes, ni sur les rites. Un concile (Elvire, 305), ne condamnait-il pas la coutume païenne d’allumer des cierges ? Les chrétiens ont changé d’avis, depuis lors, puisqu’on vend 100.000 kilos de cierges par an, rien qu’à Lourdes.
Bref, Constantin — qui n’était pas chrétien — s’interposa pour remettre un peu d’ordre dans l’Eglise. Il blâma Arius « pour avoir imprudemment initié le peuple à des mystères qui n’étaient point faits pour lui » (?!), il fit appel à la modération des uns et des autres et il convoqua (325), le premier concile œcuménique (c’est-à-dire universel). Il ordonna que les prêtres seraient transportés gratuitement à Nicée, où devait se tenir le Concile. 2048 évêques accoururent, de toutes les provinces, « gens à tel point simples, ignorants et grossiers », mais pleins d’orgueil de se voir protégés par l’Empereur — alors que les persécutions dioclétiennes étaient encore présentes à toutes les mémoires.
Constantin assista au Concile et participa aux discussions — je répète qu’il n’était toujours pas chrétien, c’était en qualité d’Empereur qu’il agissait ainsi, cherchant uniquement à mettre la religion au service de ses intérêts, ainsi que l’ont fait par la suite les monarques de tous les temps et de tous les lieux.
Arius fut exilé et Constantin se rallia aux consubstantialistes. Mais l’arianisme continua de se répandre et le madré Constantin ne tarda pas à rappeler l’hérésiarque, à donner son appui aux idées ariennes et à envoyer promener les orthodoxes.
Nous saisissons là, sur le vif, l’attitude gouvernementale à l’égard des cultes. Elle n’est pas dictée par la croyance ou la foi, mais par les calculs politiques. Ajoutons que c’est seulement à son lit de mort que Constantin se décida à recevoir le baptême. C’est néanmoins grâce à lui et à ses combinaisons intéressées que l’Eglise chrétienne avait été tirée du néant, qu’elle avait acquis quelque puissance et qu’elle commençait à en imposer aux populations crédules.
Il m’est impossible de relater par le détail tous les avatars de l’Eglise, ses luttes avec les pouvoirs établis, ses efforts pour réaliser son unité et développer sa puissance. De plus en plus, l’évêque de Rome chercha à imposer sa tutelle à l’ensemble de l’Eglise ; il ne se contenta plus de détenir une primauté théorique sur les autres évêques, mais il voulut gouverner tyranniquement le clergé et le soumettre entièrement à ses caprices et à ses intérêts.
Bien entendu, c’est le peuple, la masse des producteurs et des opprimés, qui fit toujours les frais de ces compétitions entre évêques, papes, rois et empereurs. Les bergers se disputaient la laine, mais le troupeau était toujours tondu.
Pour arriver à ses fins, l’Eglise se montra toujours intolérante. Les rebelles, les insoumis furent toujours impitoyablement réprimés. Il en fut ainsi dès les origines, puisque Constantin, pour complaire aux catholiques, édicta la peine de mort contre tous ceux qui posséderaient des écrits de l’hérésiarque Arius (en attendant de se réconcilier avec celui-ci, par calcul). Le christianisme donnait donc, dès le IVème siècle, l’exemple d’une férocité doctrinaire à laquelle le monde barbare n’avait pas été habitué.
Les successeurs de Constantin, en particulier Théodose, donnèrent à l’Eglise de Rome un appui très large et l’arianisme fut rapidement étouffé. Quant au paganisme, il subsista plus longtemps et il parvint même à pénétrer et à imprégner profondément les rites de la nouvelle religion.
A l’exemple de leurs empereurs, les riches romains se rallièrent au christianisme — les uns et les autres obéissaient au souci de conserver leurs privilèges. La religion du Christ avait été, au début, favorablement accueillie par les esclaves et les humbles, auxquels elle faisait entendre un langage vaguement égalitaire — se gardant bien, d’ailleurs, de leur conseiller la révolte. Au contraire, Saint-Paul avait dit :
« Esclaves, obéissez à vos maîtres, dans la simplicité de votre cœur, avec crainte et tremblement, comme à Jésus-Christ lui-même. » (Ephésiens, VI, 5)
La plupart des premiers Pères de l’Eglise, Saint-Ignace, Saint-Cyprien, etc., tinrent le même langage et conseillèrent aux esclaves, à l’instar de Saint-Paul, « de servir encore mieux ».
Les nobles romains comprirent qu’ils n’avaient rien à craindre des chrétiens et que leurs privilèges seraient au contraire consolidés par cette religion toute de résignation. Effectivement, sous Théodose, empereur très chrétien, il y a toujours des esclaves et des maîtres, rien n’est changé au sort des opprimés. Plus tard, l’esclavage fera place au servage, mais ce phénomène sera la conséquence de l’évolution économique. Le serf restera attaché à la terre et sera aussi cruellement exploité que l’esclave antique — sous le regard complice de la Sainte Eglise.
Saint-Hilaire de Poitiers, Saint-Basile, Saint-Isidore, ont pris la défense de l’esclavage. Saint-Augustin y voit une juste punition du péché. Le doux Chrysostome lui-même, qui compatit aux souffrances des esclaves, n’en déclare pas l’illégitimité. Saint-Bernard proclame que les possesseurs de serfs ont le droit de les corriger. Saint-Thomas d’Aquin, le grand docteur catholique, dira plus tard que la nature a désigné certains hommes pour être esclaves et Bossuet légitimera l’esclavage par un prétendu droit de conquête guerrière. Touchante unanimité à travers les siècles ! Du reste, l’Eglise possédait aussi des esclaves et des serfs et ce n’étaient pas les mieux traités — on sait que cet état de choses s’est prolongé en France jusqu’à la Révolution de 1789 et que les derniers serfs étaient… dans un monastère.
Tout ceci n’empêche pas certains casuistes d’affirmer que l’Eglise a supprimé l’esclavage !
Non seulement elle n’a rien supprimé, mais elle a permis l’esclavage des noirs, qui n’existait pas avant le christianisme et qui se développa durant plusieurs siècles, sous son aile charitable! ! L’Afrique fut décimée, le Nouveau Monde fut mis au pillage, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants, furent violentés, asservis, torturés par des rois très chrétiens, des soudards et des marchands de chair humaine — tous munis des bénédictions et des encouragements de l’Eglise.
Lorsque l’Empire romain s’écroula définitivement, l’Eglise de Rome, qui s’était appuyée sur lui et sur son aristocratie, demeura un moment désorientée dans le chaos et la confusion qui régnèrent alors en Occident. Elle ne tarda pas cependant à perdre toute inquiétude. L’Eglise était une des rares forces organisées qui n’ait pas été emportée par la tourmente. Elle bénéficia au contraire de cet immense bouleversement. Il n’y avait plus d’empereur à Rome, mais il y avait toujours un pape et il héritait, en partie, du prestige des anciens Césars, aux yeux des peuples habitués depuis si longtemps à obéir aux directives romaines. L’unité romaine impériale était abattue et morcelée, mais l’unité catholique demeurait. C’est au Moyen-âge, et particulièrement au Vème siècle, qu’elle connaîtra l’apogée de sa puissance et qu’elle fera trembler les peuples barbares et leurs chefs grossiers et ignorants, proie plus docile encore, pour le prêtre, que les aristocrates affinés du régime impérial.
C’est également le prestige conservé par Rome, l’ancienne ville des Césars, qui permit à la Papauté de s’imposer à l’Eglise. Les autres évêques durent subir la loi de celui de Rome ; il leur fallait un chef unique, une direction centralisée. Où choisir ce chef, où placer cette direction, sinon dans la ville la plus célèbre du monde ? On ne fit intervenir que par la suite les arguments théologiques ; on fabriqua même de toutes pièces des documents. Par exemple, les fausses décrétales, 94 lettres papales, qui revendiquaient le pouvoir spirituel absolu pour la papauté ; la fausse donation de Constantin, qui fut invoquée pendant tout le Moyen-âge, pour justifier la puissance temporelle des papes (d’après Guignebert ce document aurait été fabriqué dans la seconde moitié du VIIIème siècle). Pour le faux, le mensonge, la duplicité, l’autorité, le charlatanisme, l’Eglise grandissait en puissance et en richesse.
Dès ce moment (750 à 800), les Etats de l’Eglise sont constitués et possèdent à peu près la superficie qu’ils occupaient en 1870, lorsque le pouvoir temporel fut aboli.
En Gaule, l’Eglise n’avait pas tardé à s’appuyer sur les chefs barbares. La conversion de Clovis fut conduite avec habileté. Le roi des Francs fut manœuvré par sa femme Clotilde, dirigée elle-même par Rémi, évêque de Reims. Combien de fois l’Eglise a-t-elle utilisé la femme naïve et dévote ! Combien de crimes ont été commis par les rois et les princes, pour plaire aux confesseurs de leurs femmes !
Ce Clovis, qui fut l’élu des prêtres, était l’être le plus sanguinaire et le plus cruel que l’on puisse imaginer ; il fit assassiner perfidement tous les autres rois francs pour s’emparer de leurs terres. « Tout lui réussissait, dit Grégoire de Tours (qui fut béatifié par l’Eglise!) parce qu’il marchait le cœur devant Dieu ». Les évêques sont les meilleurs courtisans de l’assassin royal — et cela se comprend : à chacun de ses crimes, pour obtenir une facile absolution, Clovis faisait des largesses au clergé. C’est à ce moment qu’il faut placer l’origine de la fortune mobilière du clergé en France. L’Eglise reçut de Clovis des domaines immenses et sa fortune devint scandaleuse.
Elle en fut, moralement, la première victime, car le haut clergé fut profondément gangrené par l’amour du luxe. Il se vautra dans les pires débauches et commit tant d’excès que des efforts seront tentés, à maintes reprises, pour réformer l’Eglise, mais ces efforts seront toujours étouffés par l’oligarchie sacerdotale.
C’est au Vème siècle que se développe en Occident le monachisme. Les couvents, fondés parfois par des âmes sincères et justes, parfois par des fanatiques avides de dominer la société. Des milliers d’hommes et de femmes allèrent vivre dans les couvents et les monastères. Ces institutions étaient d’abord isolées et se gouvernaient elles-mêmes, sous la tutelle de l’Eglise, mais par la suite elles furent reliées et formèrent ces redoutables congrégations répandues dans le monde entier et obéissant à une direction centrale. Les congrégations et le monachisme ont contribué pour une large part à la puissance de l’Eglise. Inutile d’ajouter que la société n’y gagna rien. Le peuple eut à nourrir des centaines de milliers de fainéants et de mendiants qui passaient leur temps dans l’oisiveté ou dans la prière improductive. Trop souvent les couvents étaient le théâtre des pires turpitudes, de folles orgies et de débordements luxurieux.
L’Eglise s’adapta à la barbarie germanique, comme elle s’était adaptée naguère à l’impérialisme décadent de Rome, comme elle s’adaptera tour à tour, par la suite, à la féodalité, à la monarchie absolue, à la république parlementaire même, toujours soucieuse de faire valoir des « droits » et ne s’estimant jamais satisfaite des concessions obtenues.
A partir du Vème siècle, l’audace des Papes ne connaît plus de bornes. Ils veulent gouverner la terre entière et la soumettre à leur loi.
On connaît la théorie des deux glaives, proclamée par saint Bernard. Le glaive spirituel appartient à l’Eglise ; le glaive temporel appartient aux princes, mais sous le contrôle de l’Eglise. Celle-ci revendiquait donc, en somme, la direction absolue des âmes et des corps.
Les rois et les princes se sont toujours appuyés sur l’Eglise et la religion, pour maintenir les peuples dans la sujétion, mais ils ont toujours résisté aux empiétements du monde clérical — qui ne visait à rien moins, en dernier ressort, qu’à les déposséder.
Lorsque Charlemagne fait l’apologie de l’Eglise (« Nous ne pouvons comprendre comment ceux qui seraient infidèles à Dieu et à ses ministres, nous seraient fidèles à nous-mêmes », Laurent I, 195), il raisonne absolument comme Louis XIV dictant ses volontés dernières à son fils :
« Vous devez savoir avant toute chose, mon fils, que nous ne saurions montrer trop de respect pour celui qui nous fait respecter de tant de millions d’hommes. » (cité par l’Action Française, 20 mars 1926)
Les rois ne peuvent se passer des prêtres, ni les prêtres des rois (à moins qu’ils ne soient rois eux-mêmes). Il est vrai qu’on a vu bien des rois se faire prêtres et même dieux... Excellent moyen de se faire adorer et d’imposer ses volontés !
Un grand sujet de querelle entre l’Eglise et le Pouvoir civil a toujours été la question des investitures, la nomination des Évêques. Le pape déclare posséder, de droit divin, la faculté de nommer les évêques. Pourtant, à l’origine, ils étaient élus par les fidèles, comme je l’ai dit plus haut. Mais les rois, à l’instar de l’empereur Charlemagne, voulaient nommer eux-mêmes les évêques. C’était pour eux une source de gros bénéfices et un moyen de caser leurs créatures. Précisément, parce que cette nomination produisait de fructueuses ressources, Rome entendait bien être seule à l’exercer. Le conflit était fatal et renaissait sans cesse. La « Simonie » régnait dans toute la chrétienté et les sièges d’évêques et d’archevêques étaient vendus au plus offrant. Que ce soit en Allemagne, en France, en Angleterre, etc., des luttes longues et rudes furent livrées autour de ces prébendes — et elles se terminèrent souvent... à Canossa -, car les Papes étaient généralement supérieurs aux princes dans le génie de l’intrigue et du machiavélisme.
Le Moyen-âge est l’époque des Conciles. Les évêques se réunissent souvent et prennent d’un commun accord (parfois après de répugnants marchandages et de cyniques comédies) les décisions concernant la vie et l’organisation de l’Eglise, la définition des dogmes. De bonne heure, les Papes virent d’un mauvais œil cette autorité fonctionner à côté (et même au dessus) de la leur. Il y eut des conflits entre Papes et Conciles. Puis les Papes parvinrent à les rendre inoffensifs et à les régenter d’autant plus aisément que leur pouvoir personnel avait grandi et s’était fortifié.
Au sommet de leur tyrannie, les Papes avaient la prétention de déposer les rois, de leur enlever leur royaume pour en faire cadeau à des princes plus méritants. Ce triomphe fut éphémère et l’Eglise dut se montrer moins exigeante. Si elle avait réussi, l’humanité toute entière eut été soumise au régime effroyable d’une théocratie, dont le despotisme n’aurait connu aucune limite et n’aurait été modéré par aucun contrepoids.
Cependant, l’Eglise conserva son indépendance absolue et des privilèges très étendus. Les prêtres étaient exempts de toutes charges ; ils échappaient aux juridictions ordinaires et ne pouvaient être jugés que par leurs pairs, ce qui leur assurait l’impunité, la plupart du temps. L’Etat civil était entre les mains des ecclésiastiques, qui instruisaient également un grand nombre d’affaires laïques, en particulier toutes celles qui intéressaient les « crimes » contre la religion, le blasphème, l’hérésie et même l’adultère.
L’Empereur d’Allemagne, Frédéric Barberousse, soutint une guerre épique contre la Papauté, qu’il dut renoncer à subjuguer.
Le roi de France Philippe le Bel lutta également contre les papes et parvint à leur arracher quelques bribes d’indépendance. (Il fut excommunié et le pape Boniface VIII eut même la prétention de « donner » le royaume de France à Albert d’Autriche). Ce fut le germe du « gallicanisme ». A travers les siècles, d’innombrables efforts seront faits pour assurer au clergé de France (Gallican), une vie indépendante. Ces efforts tiendront en échec, pendant longtemps, la tyrannie romaine. C’est seulement au XVème siècle que celle-ci triomphera et que l’ultramontanisme supplantera le gallicanisme dans notre pays. On doit le regretter car ce dernier obéissait à des traditions plus libérales ; il était moins absurde et moins fanatique. La victoire du romanisme, l’assujettissement des clergés nationaux à la puissance internationale catholique (dirigée en fait par les Jésuites actuellement) a marqué une recrudescence de l’obscurantisme et de l’esprit réactionnaire.
Il est un domaine où l’Eglise et la Royauté surent toujours fraternellement s’entendre : je veux parler de la répression des hérésies. L’Eglise, par une suprême hypocrisie, déclarait ne pas vouloir verser le sang elle-même (elle le faisait pourtant dans les Etats de l’Eglise), et elle remettait les hérétiques au pouvoir civil pour qu’ils soient punis et châtiés. Odieuse comédie, dont personne n’est plus dupe. La responsabilité des hécatombes d’hérétiques incombe directement à l’Eglise et à son intolérance, dont les rois ont été les odieux complices.
Lors de leur sacre, l’Eglise imposait aux rois de France le serment solennel d’exterminer les hérétiques.
Au lendemain du massacre de la Saint-Barthélemy, le Pape fit sonner les cloches à Rome et envoya ses félicitations à Charles IX, avec une médaille commémorative.
Des centaines d’exemples du même genre pourraient être donnés, si l’on n’était fixé sur la mansuétude et la douceur de l’Eglise — de ses inquisiteurs et de ses tortionnaires.
Cette Eglise, qui fera grise mine au mouvement libérateur des communes et cherchera à le contrecarrer partout où elle y aura intérêt, cette Eglise va donner toute sa mesure dans la répression des hérésies apostoliques, vaudoises, albigeoises, etc. Tous ces hérétiques sont des gens qui réclament naïvement la réforme d’un clergé pourri de vices. On les massacre sans pitié et le Pape excite à la dévastation de provinces entières. L’extermination des Albigeois dura 20 ans ; c’est une des pages les plus sanglantes de l’histoire.
C’est également la Papauté qui organise ces guerres imbéciles, ces criminelles expéditions connues sous le nom de Croisades. Elles dressèrent l’une contre l’autre deux civilisations faites pour s’équilibrer et engendrèrent une période de misères et de famines cruelles. Ces expéditions barbares sont la honte de l’Eglise du Moyen-âge.
En 1302, le pape Boniface publie sa bulle Unam Sanctam dans laquelle il déclare que la soumission au pontife romain est pour toute créature humaine une condition de salut. Déjà le Concile de Latran (1215) avait jeté les bases de l’Inquisition, pour briser l’hérésie par le mouchardage et la délation. L’Inquisition est une des institutions les plus néfastes que la malfaisance ecclésiastique ait imaginées.
Mais l’Eglise trop riche et trop puissante va être déchirée et divisée ; en conséquence même de son avidité. Les cardinaux se disputent autour de la tiare divine ; leurs votes sont trafiqués, les compétitions s’enveniment, et c’est le grand schisme d’Occident : deux papes règnent en même temps, l’un à Rome, l’autre à Avignon. Ils ont chacun leurs partisans, rois, cardinaux et évêques, qui les soutiennent — ils ont chacun un troupeau de fidèles qu’ils oppriment et escroquent de leur mieux. A un moment donné, il y eut même trois papes à la fois... Mais l’Eglise n’en était pas moins féroce, puisque c’est à ce moment que le grand penseur tchèque Jean Hus fut condamné à mort par le Concile de Constance (1417), où il avait été traitreusement attiré (on lui avait promis la vie sauve s’il venait s’expliquer... et on l’envoya au bûcher. Voilà l’âme de l’Eglise!) Après la mort de Hus, de longues guerres religieuses éclatent en Bohème, préparant le terrain à l’esprit de révolte, qui produira plus tard la réforme et le protestantisme.
C’est encore à cette époque (1431) que l’Eglise Française encanaillée avec le roi d’Angleterre, fit brûler Jeanne d’Arc pour lui plaire. Toujours à la solde des puissants, l’Eglise s’associe volontiers à leurs crimes. Plus tard, les Anglais étant vaincus et le roi de France (Charles VII) ne voulant pas être considéré comme le complice d’une sorcière, l’Eglise acceptera de la réhabiliter. Depuis, elle l’a même canonisée et se sert de sa malheureuse victime pour exploiter la crédulité patriotique et remplir ses coffres.
Après la prise de Constantinople par les Turcs (1453), les savants et les artistes grecs se réfugièrent en Occident, où l’on sentait le besoin de réagir contre la torpeur interminable du Moyen-âge. Ce fut la Renaissance, qui vit le réveil des arts et de la pensée, l’épanouissement trop longtemps comprimé des facultés humaines.
Les Papes essaient encore de s’imposer aux rois. Le pape Jules II (1510) émet la prétention de donner le royaume de France au roi d’Angleterre. Il échoue. Par la suite, devenus plus subtils, les Papes renonceront à ces méthodes brutales ; ils se contenteront de gouverner les rois d’une façon occulte et sournoise.
D’ailleurs, c’est la Réforme qui éclate (1517), jetant l’anathème à la face d’une Eglise impure et corrompue. Les hontes du clergé, ses vols, ses crimes, sont marquées au fer rouge. Des peuples entiers (Allemagne, Angleterre, Pays scandinaves, Suisse, etc.) se séparent de l’Eglise. En France, une lutte implacable met aux prises les catholiques et les huguenots. Partout, le catholicisme est ébranlé, sans que ses chefs consentent à le réformer — ce qui donnerait raison à l’adversaire.
Le Concile de Trente (il dura, avec des intermittences, de 1545 il 1563), vint raffermir l’autorité chancelante de l’Eglise et serrer les rangs autour du Saint Siège. Ce Concile était composé des créatures du Vatican en majorité (189 Italiens contre 66 prélats seulement des autres nationalités). La direction de l’Eglise (et les profits qui en résultent!) se concentre ainsi de plus en plus entre les mains du clergé italien. Il en est encore de même aujourd’hui, et l’on sait que, depuis très longtemps, le pape est toujours de nationalité italienne.
Le Concile de Trente édicte des prohibitions sévères contre les hérétiques et leurs ouvrages. Il publie un catéchisme détaillé, qui inspire encore, en matière de foi, les théologiens catholiques. C’est également à cette époque (1600), que Giordano Bruno est brûlé vif à Rome, et que l’Eglise enferme et condamne (1633) le grand astronome Galilée.
En France, les luttes religieuses s’étaient calmées.
Elles ne devaient pas tarder à reprendre en raison de l’intolérance catholique, des excitations d’une société de fanatiques, la compagnie du Saint Sacrement et surtout d’une secte nouvellement créée par un ancien soldat espagnol Ignace de Loyola, sous le nom de Compagnie de Jésus.
Ce groupement, mi-religieux, mi-militaire devint une phalange entièrement dévouée à la Papauté. Il exigeait de ses membres l’obéissance la plus servile et il domestiquait leur conscience et leur volonté par des procédés abrutisseurs dont les Exercices spirituels nous offrent un vivant exemple.
Grâce aux Jésuites, la dissolution de l’Eglise fut arrêtée ; la lutte contre les protestants fut organisée plus efficacement ; les disciplines intérieures du clergé se resserrèrent. La mentalité des prêtres ne fut pas améliorée, loin de là, mais ils devinrent plus prudents, plus dissimulés. On n’assista plus aux débordements d’un Alexandre VI (Borgia), ce pape lubrique, empoisonneur et assassin, de ses acolytes et de ses successeurs. On ne vit plus un Léon X créer d’un seul coup 31 cardinaux, pour emplir ses caisses, qui étaient vides. Les formes furent mieux respectées et l’on sauvegarda les apparences.
Si l’on veut diviser l’histoire de l’Eglise en périodes, je propose la classification suivante :
-
La période héroïque, ignorante et miséreuse ; le dogme n’est pas encore défini et la cléricaille n’existe pas ;
-
La période d’adaptation, après Constantin. Le dogme est violemment discuté entre évêques qui recherchent les faveurs du pouvoir ;
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Période d’épanouissement. L’Empire est tombé.
L’Eglise manœuvre à travers les siècles barbares ; elle assujettit les princes ; elle amasse des richesses. Le pouvoir des Papes se dessine, très limité encore par les Conciles ;
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La période du triomphe. Les Papes se grisent de leur puissance, essaient de briser les rois et de dominer le monde entier. Ils noient les hérésies dans le sang ;
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La période de la jouissance. L’Eglise est en rut. Les festins et les orgies succèdent aux supplices de libres penseurs et d’hérétiques ;
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La période du jésuitisme. Instruits par l’expérience, les chefs de l’Eglise ont appris à louvoyer et à mentir, à cacher leurs tares, à frapper dans l’ombre, à agir d’une façon souterraine pour diviser et dominer les peuples sans se compromettre.
Cette période dure encore aujourd’hui.
C’est grâce aux Jésuites et à leur enseignement perfide que ces méthodes ont été adoptées — non sans résistance, au début. (Un pape fut même obligé, sous la pression de l’opinion publique, de les dissoudre).
Ces méthodes, nous les voyons à l’œuvre dans l’assassinat des rois Henri III et Henri IV, coupables de montrer un zèle trop modéré en faveur de l’Eglise ; nous les retrouvons dans la lutte menée contre les Jansénistes, violemment persécutés ; dans la révocation de l’Edit de Nantes et la chasse aux protestants, torturés, envoyés aux galères, obligés de s’enfuir à l’étranger au nombre de 400.000 ! Cette épouvantable oppression valut à Louis XIV (dont les confesseurs étaient Jésuites et dont les maîtresses étaient également les instruments de l’Eglise) les remerciements du Vatican et les plats éloges du vil courtisan Bossuet.
Nous arrivons ainsi à la Révolution Française. Le peuple était las de ses misères ; la bourgeoisie aspirait à secouer le joug des nobles et des prêtres. L’Eglise était très puissante et le clergé était, en 1789, le premier ordre de l’Etat.
« Il comprenait environ 130.000 individus, dont 60.000 religieux ou religieuses et 60.000 curés ou vicaires. Les domaines, au bas mot, valaient 3 milliards et donnaient un revenu net de 80 à 90 millions. La dîme en produisait à peu près autant. Avec les dons de toutes sortes, on peut estimer à 5.200 millions de livres les revenus du clergé. Il disposait ainsi d’une rente annuelle égale aux deux cinquièmes du budget de l’Etat. » (Desdevizes du Dézert, l’Eglise et l’Etat en France.)
« Notre budget étant, en 1925, de 30 milliards, le clergé percevrait donc par an douze milliards, si nous n’avions pas fait la Révolution. » (Dr Mariavé)
De tels chiffres devraient faire réfléchir ceux qui ne sont pas encore convaincus de la malfaisance sociale de l’Eglise.
Le petit clergé était du reste exploité par ses évêques et ses archevêques ; beaucoup de curés de campagne virent d’un œil favorable le nouvel état de choses basé sur l’égalité et la liberté.
Au début, la Révolution ne fut pas dirigée contre l’Eglise. La plupart des révolutionnaires étaient du reste des croyants et des chrétiens convaincus. Toute leur ambition se bornait à restreindre les appétits dominateurs du haut clergé. Ils mirent la main sur les immenses domaines de l’Eglise et promulguèrent la constitution civile du clergé. Mais le Pape (Pie VI) poussa ses ouailles à la résistance ; pour conserver une source de revenus importants, il n’hésita pas à mettre la France à feu et à sang. L’insurrection catholique déchira la Bretagne, la Vendée et trente autres départements.
Puisque les curés agissaient en contre-révolutionnaires ardents, la Convention n’hésita pas à engager la lutte contre eux et à prendre des mesures contre l’Eglise d’abord, contre la Religion ensuite. Le nombre des athées allait d’ailleurs en augmentant, en dépit des efforts tentés pour fonder une « religion laïque », le culte de la Raison d’abord, la Théophilanthropie ensuite.
Mais la Révolution avortait dans les déchirements des factions et les rivalités des politicailleurs. Bonaparte prenait le pouvoir et songeait immédiatement à se servir de l’Eglise, bien qu’il fut personnellement incroyant et même antipapiste. L’Eglise accepta avec joie le Concordat qui lui était offert, et le Pape vînt sacrer Napoléon — chacun des deux confrères espérait bien rouler l’autre et garder pour lui-même tout le profit de l’entreprise. Napoléon ne se laissa pas faire ; il eut à lutter avec l’Eglise (assez servile pour introduire la saint Napoléon au calendrier... mais toujours aussi avide et ambitieuse). Il alla jusqu’à faire enfermer le Pape. Néanmoins, l’Eglise avait retrouvé sa puissance disparue, et lorsque le brigand corse eut été abattu, ce fut elle la grande victorieuse. A travers le XIXème siècle, nous la voyons consolider patiemment ses positions, mettre la main sur l’enseignement (loi Falloux), couvrir la France du pullulement de ses congrégations voleuses et abrutisseuses. Nous la voyons s’adapter successivement aux divers régimes et passer indemne à travers les révolutions. En 1848, par exemple, l’archevêque de Paris, Affre, se hâte de reconnaître la République ; il est suivi par tout l’épiscopat français — et les curés bénissent les arbres de la liberté ! -. Les Jésuites sont partout et font une propagande fructueuse ; les communautés religieuses se multiplient sous le regard niaisement favorable des républicains. Mais... dès le lendemain du coup d’Etat de 1851, l’Eglise faisait volte face et se prosternait aux pieds de Napoléon III. Il se trouvait même un évêque, celui de Nancy, pour prononcer la phrase cyniquement célèbre :
« Monseigneur, vous êtes sorti de la légalité pour rentrer dans le droit ! »
Partout, l’Eglise retrouvait sa force. L’hérésie protestante avait cessé de se développer, et la plupart des rois, effrayés par la Révolution mettaient toute leur confiance dans la religion — l’opium des peuples !
Cependant, l’Italie était travaillée par le désir de réaliser son unité nationale. Grâce à l’impulsion d’énergiques républicains athées (comme Garibaldi, Mazzini, etc.), le pouvoir temporel des papes fut aboli. C’était un rude échec pour l’Eglise. Mais le Vatican, loin de s’incliner, fit proclamer (1870), le dogme de l’infaillibilité du pape.
La Papauté n’a pu jusqu’ici reconquérir sa puissance temporelle, et il paraît improbable qu’elle y parvienne.
L’Eglise a du reste tiré très habilement parti de la situation qui est faite à son chef et s’est employée à en tirer une sorte d’auréole morale, qui a facilité la propagande catholique à travers le monde. Le rayonnement de l’Eglise s’est encore étendu.
Le protestantisme est en recul et en décroissance dans tous les pays d’Europe. A Genève (la « Rome » du calvinisme), les catholiques sont plus nombreux que les protestants. En Hollande, en Angleterre, dans les Pays scandinaves, l’Eglise romaine fait de continuels progrès. En France, les réformés ne sont qu’une petite minorité. Mais c’est surtout aux Etats-Unis que les catholiques ont travaillé, mettant à profit le libéralisme trop complaisant de la République américaine (si dure pour la classe ouvrière et si favorable à la clique romaine, qui en a profité pour s’insinuer partout et s’emparer de la moitié des postes de l’Etat). Les Etats-Unis sont à la veille de nouveaux conflits religieux ; ils devront briser la puissance catholique s’ils ne veulent pas être subjugués par elle.
En France, la situation de l’Eglise est moins compromise que ne le disent ses partisans. Après l’affaire Dreyfus, au cours de laquelle l’Eglise était apparue comme la fidèle associée de l’Etat-major, la séparation des Eglises et de l’Etat fut votée, sous la pression d’une ardente campagne populaire. Mais cette loi, escamotée et viciée par un Briand, ne fut pas appliquée intégralement. Ses prescriptions concernant la formation des associations cultuelles sont restées lettre morte et l’Etat Français continue à laisser gratuitement à l’Eglise la jouissance des édifices qui appartiennent cependant à la Nation. Tandis que les travailleurs manquent de locaux et sont obligés de se réunir chez les marchands de vins, des centaines d’églises et de chapelles (propriétés nationales) sont abandonnées à l’Eglise — qui se dit persécutée, par dessus le marché — sans un centime de redevance ou de location.
C’est le Pape Pie X (1907), qui a empêché les catholiques français de former des associations cultuelles, sous prétexte que ces associations violaient les droits de la hiérarchie ecclésiastique, base essentielle de l’Eglise. On voit que le catholicisme entend demeurer ce qu’il a voulu être depuis Constantin, une monarchie absolue.
L’an dernier (1925), les cardinaux français ont publié un manifeste virulent contre les idées laïques. Ce manifeste mérite d’être considéré comme le prolongement des célèbres encycliques lancées par le pape Grégoire XVI le siècle dernier ; son esprit est identique à celui du Syllabus, publié en 1864, par Pie IX. L’Eglise maintient donc toutes ses prétentions. Entre elle et le monde moderne, l’esprit de libération scientifique, l’effort pour un monde plus juste et plus heureux, la lutte ne saurait prendre fin.
Certains efforts ont été tentés, au sein même de l’Eglise, pour atténuer son autoritarisme et pour la réconcilier avec les tendances libérales de la société. Ces efforts ont-ils été toujours sincères ? Ne constituent-ils pas, plus souvent, une subtile manœuvre destinée à donner le change aux naïfs, en les trompant sur les véritables sentiments de l’Eglise ? Le pape Léon XIII lui-même, en fin diplomate, a cru nécessaire de consentir quelques concessions superficielles (et purement verbales au surplus), aux idées du siècle. Lorsqu’il s’est agi de prendre position, Léon XIII lui-même, après avoir tergiversé et hésité, a désapprouvé formellement les tendances libérales.
Comment la Papauté pourrait-elle faire droit à certaines revendications libérales, à celles, par exemple, qui se plaignent que le pape, depuis la séparation, ait nommé les nouveaux évêques sans consulter le clergé français ? Ce serait la fin de son absolutisme — et elle a lutté pendant mille ans pour le cimenter !
Le catholicisme libéral a donc été vaincu et solennellement réprouvé à plusieurs reprises. Le Sillon fondé par Marc Sangnier a dû se soumettre également (il a laissé place à un mouvement de même inspiration, moins audacieux pourtant : la Jeune République, qui s’attache à entretenir l’équivoque et la confusion, pour empêcher les partis avancés de reprendre la lutte nécessaire contre le cléricalisme et l’obscurantisme religieux). Dans le domaine scientifique, les intransigeants l’ont également emporté sur les libéraux. Le modernisme fut condamné avec éclat.
Le libéralisme de ces catholiques d’avant-garde il toujours été très relatif, il faut le dire. Dès qu’il s’agit de défendre les privilèges de l’Eglise, ils y renoncent rapidement et font bloc avec les ennemis du progrès. N’a-t-on pas vu, en 1829, les libéraux s’indigner contre la nomination du protestant Guizot à la Sorbonne ? En 1862, ne s’élevèrent-ils pas contre l’entrée du libre penseur Renan, au Collège de France, et Dupanloup ne prenait-il pas l’engagement de faire tout son possible pour le faire chasser de l’enseignement ? Il se disait pourtant libéral et on l’aurait indigné, ainsi que ses amis, en le traitant de clérical.
En 1910 — hier — Pie X ne faisait-il pas une orgueilleuse déclaration, faisant l’apologie du passé de l’Eglise (de ce passé honteux dont je viens de donner un très modeste aperçu), et n’osait-il pas prononcer les réactionnaires paroles suivantes :
« Qu’ils soient persuadés que la question sociale et la science sociale ne sont pas nées d’hier ; que, de tout temps, l’Eglise et l’Etat, heureusement concertés, ont suscité dans ce but des organisations fécondes ; que l’Eglise, qui n’a jamais trahi le bonheur du peuple par des alliances compromettantes, n’a pas à se dégager du passé et qu’il lui suffit de reprendre, avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les organismes brisés par la Révolution et de les adapter, dans le même esprit chrétien qui les a inspirés, au nouveau milieu créé par l’évolution matérielle de la société contemporaine. Car les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires, ni novateurs, mais traditionalistes. »
Leurs traditions nous les connaissons. Je n’y insisterai donc pas. Il s’agit simplement de savoir si nous resterons indifférents devant cette institution néfaste, — et si puissante encore.
M. Houtin dénombrait récemment l’armée catholique, d’après l’Annuaire pontifical pour 1924. Cette armée comprend 1.024 évêques latins, 87 évêques orientaux (dépendant de Rome), 18.304 jésuites, 17.000 frères mineurs, 9.650 capucins, 7.038 bénédictins, etc., etc. ; des curés et des vicaires par centaines de milliers, des congrégations innombrables et des missionnaires dans tous les pays du monde. De toutes les Eglises actuellement existantes, l’Eglise romaine est, sans contredit, et de beaucoup, la plus solidement organisée, la plus riche et la plus redoutable. Que sont, en face d’elle les confréries de marabouts et de muezzins musulmans, les rabbins juifs, les pasteurs protestants divisés en nombreuses sectes hostiles ou les lamas du Tibet perdus dans leurs montagnes lointaines ?
Des centaines de milliers de femmes sont également domestiquées fanatisées, suggestionnées par l’Eglise, au point de lui consacrer leur existence, de renoncer à l’amour et à la maternité et de se soumettre à la plus insupportable tyrannie dans les couvents et les maisons religieuses.
L’Eglise est devenue très habile, On l’a vu récemment, par son attitude à l’égard du dictateur Mussolini. Celui-ci ne peut gouverner sans l’Eglise et cet ancien socialiste révolutionnaire fait risette au Pape pour obtenir son concours. Quel rapprochement édifiant ! Comme Bonaparte autrefois, Mussolini aide l’Eglise à abrutir le peuple — pour l’asservir plus facilement.
N’avons-nous pas vu, au cours de cette rapide et insuffisante promenade à travers l’histoire des peuples, que les Eglises — toutes les Eglises — ont toujours été associées aux autorités — à toutes les autorités ? Le prêtre n’est-il pas le complice du seigneur, du riche, du guerrier ?
Un monde meilleur restera chimérique aussi longtemps que les Eglises ne seront pas réduites à l’impuissance, que les castes sacerdotales ne seront pas dispersées sans pitié, que le cerveau de l’enfant ne sera pas radicalement et définitivement soustrait à leur déformation abêtisseuse. Toute faiblesse à l’égard de ces malfaiteurs serait une coupable faute pour l’avenir de l’humanité.
— André LORULOT.
ÉGOÏSME
Ce mot désigne simplement ce qui a rapport à soi. L’égoïsme procède de l’instinct de conservation, ce n’est pas plus un vice qu’une vertu ; c’est un fait. Comme la pesanteur !
L’égoïsme est nécessaire au fonctionnement harmonieux de l’individu autant que ses organes physiques.
Le sens exclusivement péjoratif que l’on prête à ce mot suffirait à donner la mesure de l’hypocrisie sociale. Les conventions reposent sur de tels mensonges que ce sentiment naturel est hypocritement répudié comme un vice. Et pourtant, l’égoïsme, en soi, n’est ni bon ni mauvais. Il est. Simplement.
Selon l’atavisme, le tempérament, l’ambiance et l’éducation des individus, l’égoïsme se qualifie. Il produit chez celui-ci de la violence, chez celui-là de l’avarice et chez cet autre de l’amour.
Prenons un exemple : Sous les yeux de Jean, de Pierre et de Jacques, Paul est enlevé par une vague ! Aussitôt, Jean fuit ce lieu dangereux et va se mettre à l’abri ; Pierre, au vêtement de qui Paul avait tenté de se retenir, l’a violemment repoussé dans l’abîme pour n’y être pas entraîné avec lui. Dans le même temps, Jacques, sans se soucier de son propre danger, s’est jeté dans les flots, il a lutté contre leur violence et ramené Paul à la vie.
Tous trois ont commis un acte égoïste.
Ces actes sont différents parce que chaque individu avait une sensibilité différente. La sensibilité de Jacques a rendu son égoïsme salutaire à Paul, c’est incontestable ; mais tout comme Jean et Pierre, il fuyait une souffrance, sa propre souffrance, faite par réflexe, des souffrances de Paul !
Cultivons donc notre sensibilité et éduquons-la pour que notre égoïsme soit plus agréable et bienfaisant à autrui, nous multiplierons ainsi mutuellement la somme de nos jouissances. Mais ayons la cynique honnêteté de nous reconnaître égoïstes.
L’antonyme d’égoïsme est altruisme et ce mot ne désigne rien qui soit.
— Raoul ODIN
ÉLABORER
verbe du latin labor, travail
Préparer un travail, de longue main. Se dit surtout des opérations organiques qui transforment une matière animale en une matière d’une autre nature. Le foie élabore la bile.
Se dit également des travaux de l’intelligence. Élaborer un poème. Élaborerun roman. Élaborer un projet de loi. Élaborer des idées.
Afin d’atteindre la perfection, tout travail doit être élaboré, c’est-à-dire préparé avec soin et méthode, surtout en ce qui concerne les ouvrages de l’esprit.
Que ce soit une œuvre littéraire ou scientifique, un exposé philosophique ou social, un discours ou une conférence, pour être clairs et précis, accessibles à la grande majorité des cerveaux, il est indispensable que ces divers travaux soient élaborés sérieusement avant d’être présentés au public. C’est bien souvent parce que l’on n’élabore pas suffisamment, que l’on reste incompris.
Particulièrement dans le domaine social et chez les anarchistes, lorsqu’il s’agit de développer nos idées pour les faire partager aux profanes, on s’imagine que la sincérité suffit à atteindre le but que l’on se propose. C’est une profonde erreur. La sincérité n’est qu’un des nombreux facteurs, qui doivent nous permettre d’espérer l’appui des masses travailleuses, l’élaboration du plan de la société qui doit succéder à celle que nous subissons et qui se désagrège, en est un autre. C’est à ce travail d’élaboration qu’il faut s’atteler pour voir s’écrouler les murs crevassés du capitalisme.
ÉLECTEUR
n. m. du latin élector : qui choisit
On désigne sous ce nom celui qui est autorisé par la loi de participer à une élection, c’est-à-dire choisir quelqu’un et l’élever à une charge ou à une fonction. Autrefois on donnait ce nom aux princes allemands chargés d’élire l’empereur. Ils étaient au nombre de sept à l’origine (1356), mais par la suite ce nombre fut porté à neuf, puis à dix.
De nos jours et dans les pays gouvernés par le suffrage universel, tous les hommes ayant atteint un certain âge, fixé par une loi, sont électeurs ; il est même des pays qui commencent à accorder aux femmes le droit de vote.
En France avant 1848, était électeur tout citoyen ayant atteint 25 ans d’âge et payant au moins 200 fr. de contributions directes ; depuis cette date, tout français âgé de 25 ans et jouissant de ses droits civils et politiques peut concourir à une élection. Le droit de vote pour les femmes n’existe pas encore en France.
Lorsqu’en juin 1848, après la chute de Louis-Philippe le peuple français obtint le suffrage universel. — « Il a fait des révolutions pour obtenir ce droit », — il s’imagina avoir conquis le bonheur et la liberté. Il était enfin électeur ; tout allait changer. Le bulletin de vote était aux yeux du travailleur une garantie de justice et de liberté. Grâce à lui, tout comme un bourgeois, il allait avoir dans les assemblée locales ou nationales, dans les parlements, des représentants directs chargés de le soutenir et de le défendre. Électeur, le travailleur pensait devenir « le maître », son bulletin de vote le faisant l’égal de tous les citoyens ; et puisque le nombre des opprimés, des parias, des malheureux était supérieur à celui des privilégiés et des satisfaits, il n’était pas douteux que les représentants des misérables seraient les plus nombreux. Quelle illusion !
Le principe électoral et le suffrage universel doivent leur fortune à des apparences et avoir fait admettre au peuple, au travailleur, qu’électeur il est maître de ses destinées, est peut-être la plus grande victoire remportée par la bourgeoisie sur la classe ouvrière. L’illusion a si profondément pénétré l’esprit de l’électeur, que c’est aujourd’hui un travail formidable que d’essayer de l’arracher à son erreur.
Le raisonnement de l’électeur est simpliste et ses arguments sont enfantins. Enfin, nous dit-il « nous sommes une population de quarante millions d’habitants ; il est impossible que tous les individus se réunissent ensemble pour discuter ; il est donc indispensable de nommer des délégués pour accomplir cette tâche. Étant électeur, j’ai la liberté de voter pour qui me plaît, et de choisir un représentant partageant mes opinions. Si le nombre d’électeurs du même avis que moi est en majorité, il est indéniable que je sortirai victorieux de la lutte que je mène contre mes adversaires. Le parlement m’appartiendra, et puis le gouvernement, et puis je serai le maître. Je ferai des lois, je publierai des décrets, en un mot, je transformerai du tout au tout la société moderne. »
Telle est la théorie qui anime l’électeur. C’est depuis la révolution de 48, avons-nous dit, que chacun en France est électeur ; ce qui n’empêcha du reste pas le prince Napoléon de faire, le 2 décembre 1851, un coup d’État et de se faire nommer empereur des Français. Ce premier choc, à peine trois ans après un mouvement insurrectionnel eut dû faire réfléchir la population. Non pas ; trompée par les apparences, elle persista dans son aveuglement et dans son erreur. Elle continua à avoir confiance en ces assemblées de fantoches et de charlatans, complices intéressés de la classe bourgeoise.
Des années ont passé, les expériences se sont répétées, les exemples se sont multipliés, les trahisons sont devenues plus fréquentes, l’électeur vote toujours, sans se lasser, espérant toujours former un parlement où il aura la majorité et où il pourra de sa puissance écraser la bourgeoisie.
Que de fois ne lui a-t-on dit que rien de bon ne pouvait germer du parlementarisme et que son action était stérile ; que de fois ne lui a-t-on prouvé la subordination du parlement par le capital ? Il ne veut pas comprendre, il ne veut pas entendre, il ne veut pas voir. L’électeur est un religieux qui veut rester plongé dans son obscurité.
« J’ai peut-être le droit, dit Laisant, de parler avec liberté du parlementarisme, ayant passé dix-sept années de ma vie au parlement (de 1876 à 1893). J’y étais entré à l’époque de ma jeunesse, au lendemain de la guerre, avec toutes les illusions, et j’en suis sorti de mon plein gré, après cette trop longue expérience. J’ai cherché à y faire du bien, et je n’y ai pas réussi. Bien certainement, je ne saurais avoir la prétention de m’être trouvé seul dans ce cas ; et je ne peux pas condamner ceux qui sont encore aujourd’hui les victimes et les dupes des illusions qui jadis furent les miennes, et que partagèrent mes électeurs. J’ai eu conscience de tenter de remplir mon mandat, d’empêcher les iniquités, d’introduire dans nos institutions un peu d’humanité et de justice. La chose était impossible ; le gouvernement de la bourgeoisie s’y oppose par sa nature même, et les lois n’ont pour objet que de régulariser l’injustice, d’assurer la domination des plus forts sur les plus faibles. Le système exige la cruauté, la férocité, alors même que les individus qui l’appliquent seraient humains et bons. » (A. Laisant :L’illusion parlementaire.)
Les anarchistes ont depuis longtemps déjà compris tout le mensonge électoral, et c’est en 1879 qu’ils se séparèrent des socialistes avec lesquels ils avaient marché jusqu’alors. Les socialistes d’hier, de même que les communistes d’aujourd’hui ne pardonnent pas aux libertaires de se livrer à une action anti-électorale et de chercher à éloigner l’électeur de la symbolique urne démocratique.
Au cours des campagnes électorales, alors que ne réclamant rien, nous venons auprès des électeurs pour les initier et leur faire partager nos aspirations, que de fois n’avons-nous pas été accusés d’être des agents de réaction et de division sociale. Et pourtant existe-t-il en France, parmi la classe ouvrière, un électeur, un seul, qui puisse prétendre que son action ait été profitable à la cause qui lui est chère ; que le bulletin de vote dont il s’est servi l’ait libéré de son esclavage et de la contrainte qu’il subit depuis si longtemps ; que l’intervention de son représentant ait amélioré son sort, diminué ses souffrances, élargi le domaine de sa liberté ?
Depuis près de 80 ans, qu’en France, tout citoyen âgé de 21 ans est électeur, est-il une conquête qui n’est pas le résultat de la lutte révolutionnaire, et les diverses réformes consenties par la bourgeoisie ne le furent-elles pas en raison directe de la puissance de l’action populaire ? Le parlementarisme s’est manifesté inopérant dans tous les domaines intéressant la classe ouvrière, et à maintes reprises, la critique en fut faite, avec talent, par des savants, des philosophes et des écrivains.
Nous ne devrions pas avoir à revenir sur un sujet qui a soulevé bien des polémiques, et la faillite du parlementarisme, et l’action électorale est si flagrante que nous sommes surpris qu’il y ait en France encore un homme assez naïf ou inconscient pour être fier d’être électeur.
Plus que jamais l’électeur devrait être fixé, aujourd’hui, sur la valeur de sa puissance et sur le cas que l’on fait de sa volonté. Les élections de 1924 ne furent-elles pas un symbole de fourberie et de trahison ?
Après dix ans de guerre atroce, après avoir consenti des sacrifices inimaginables pour sauver sa liberté, après avoir consenti à se laisser gouverner aveuglément pour sauver la « Patrie en danger », le peuple dans la plénitude de ses droits, le 11 mai 1924, affirme sa volonté de voir se terminer une politique de rapine et de vol, de nationalisme dangereux ; il réclame pour ceux qui furent victimes de la folie d’un ministre lorrain, une amnistie pleine et entière, il demande qu’on le débarrasse du cléricalisme qui, petit à petit, envahit à nouveau le territoire, il affirme son désir de voir écraser les bandes fascistes qui commencent à l’exemple de l’Italie de terroriser la nation ; il balaye le « Bloc National » et, confiant dans les promesses de ses candidats unis dans un « Bloc des gauches », il vote librement, sincèrement, espérant voir la République se refaire enfin une virginité.
Deux ans s’écoulent, et les résultats sont là terrifiants. Deux ans s’écoulent, et malgré la volonté de l’électeur, l’homme de mort dirige encore et préside aux destinées de la France républicaine.
Les promesses ? Elles se sont envolées comme un brin de paille ; l’amnistie ne fut pas votée ; le cléricalisme est plus puissant que jamais et le fascisme fait de rapides progrès. Le peuple, l’électeur, avait demandé la paix ; il eut la guerre du Maroc, il eut la guerre de Syrie, il aura d’autres guerres demain ; il avait dit : « Nous avons faim et nous souffrons ». La vie est dure. Les impôts sont devenus plus lourds, le coût de l’existence a augmenté. Qu’a-t-on fait de ta volonté, pauvre électeur, pauvre imbécile, qui une fois de plus t’es laissé griser, leurrer, par les belles paroles de tes candidats ?
Cela suffit-il à t’éclairer ; es-tu fixé à présent ? Non. L’électeur a encore confiance. Après avoir voté pour le républicain, il a voté pour le radical, il a voté pour le socialiste, il vote maintenant pour le « communiste ». A qui le tour ensuite ? D’autres pantins viendront après ceux-là ; avec les mêmes paroles, avec les mêmes mensonges ils obtiendront les mêmes succès. A moins que...
Car tout de même, ce n’est pas en vain que chaque jour nous déchirons le rideau de la politique. L’accroc est devenu tellement grand que l’on voit maintenant ce qui se passe dans les coulisses, et dégoûté par la comédie, une minorité déserte déjà les urnes. Cette minorité va grandir, bientôt elle deviendra une majorité puissante qui s’imposera non plus par le bulletin de vote, mais par l’action.
Il ne suffit pas évidemment de ne pas voter. Celui qui, par lassitude, par dégoût, par paresse, ne vote pas et reste tranquillement chez lui, attendant d’un miracle la transformation de la société et l’amélioration de son sort, n’est pas plus intéressant que l’électeur inconscient. Il l’est moins, pourrait-on dire, car l’électeur croit remplir une action utile en accomplissant son acte ; il se trompe, mais l’esprit même de son erreur rend cette erreur respectable et une fois éclairé, il viendra grossir les rangs de tous les révoltés qui œuvrent sainement pour conquérir le bien-être et la liberté.
Électeurs, abandonnez les urnes.
« Développez-vous physiquement et cérébralement, prolétaires de tous les pays ; cultivez et appliquez la grande loi de la solidarité. Renoncez à l’illusion parlementaire, portez vos efforts sur l’organisation syndicale, sur l’association consciente. Et la libération désirée, l’avènement d’un régime moins cruel, seront moins éternellement reculés. Un sang généreux coule dans vos veines ; ne faites pas la folie de le sacrifier pour une chimère... » (C.-A. Laisant.)
Car ce n’est véritablement qu’une chimère, que le parlementarisme. Dans une société, dit Jean Grave « où l’activité de l’individu est bornée par la possession d’espèces monétaires, où tout se paie, tout se vend, il ne peut y avoir de liberté que pour celui qui possède. Et l’on aura beau reconnaître le plus solennellement possible, tous les droits voulus, à tous indistinctement, cela ne signifiera rien, tant que tous n’auront pas la possibilité d’user de ces droits ». Et cela est tellement vrai, que dans un pays, où seul le peuple ouvrier est électeur, où seul il a le droit de nommer des représentants, il est tout de même asservi à la classe bourgeoise.
En Russie, le bourgeois n’est pas électeur. Ce « privilège » n’est accordé qu’au paysan pauvre et à l’ouvrier. C’est ce qui permet au gouvernement russe de se parer du titre de « Gouvernement ouvrier et paysan ». Mais si l’on demandait à un bourgeois, à un exploiteur de changer sa position, sa situation économique et sociale avec celle de l’homme qu’il exploite et qui est électeur, il s’empresserait de refuser, car il comprend bien lui, que la force ne réside pas en un morceau de papier, mais en la puissance économique que l’on exerce.
Voilà, ce qu’il faut comprendre à ton tour, électeur opprimé. « Il faut conquérir la puissance économique. » La puissance politique est un leurre, et voterais-tu plus rouge encore que tu n’as jamais voté, tu resteras un esclave tant que tu n’auras pas aboli les causes de ton mal.
Organise-toi, électeur, avec tous ceux qui, comme toi, sont les victimes d’une société perfide pour « réaliser » l’émancipation intégrale de la classe ouvrière et, avec elle, de l’humanité toute entière.
ÉLECTION
n. f. du latin electio
Signifie choix fait par la voie de suffrages et, plus précisément, acte de la libre volonté appelée à se prononcer entre deux ou plusieurs candidats ou partis. Dans les pays à démocratie directe, en plus des élections proprement dites, nous avons un nombre considérable de votations sur l’abrogation, le changement ou l’introduction d’articles constitutionnels, sur les budgets, lois et règlements, et à la suite de l’exercice du droit d’initiative ou de référendum. Nous aurons l’occasion l’en reparler. N’envisageons ici que les élections de sénateurs et députés, de conseillers communaux et d’arrondissement, auxquels viennent s’ajouter, en Suisse, dans plusieurs cantons, l’élection également de toute la magistrature judiciaire, du gouvernement cantonal, parfois aussi de certains emplois, sans compter l’élection des administrateurs de biens de communiers ou de bourgeoisie.
L’élection devrait nous donner l’administration des plus dignes, capables et compétents ; or, c’est précisément le contraire qui arrive le plus souvent. A remarquer avant tout que les élus ne le sont pas uniquement pour s’occuper de telle ou telle branche qu’ils peuvent connaître, plus ou moins bien, mais pour décider d’une foule d’affaires dont ils n’ont qu’une vague connaissance. Cela suffirait à condamner le système électoral, même en dehors des marchandages et tripotages dont s’accompagne toute élection. Afin d’échapper au danger du règne de l’incompétence, une élection ne devrait se faire que pour la gérance bien déterminée d’une seule chose, et par ceux-là seuls qui sont. occupés et en connaissent le fonctionnement et les améliorations désirables. Personne n’oserait se présenter pour travailler comme maçon, cordonnier, typographe, etc., sans avoir fait un apprentissage correspondant, tandis que tout le monde n’hésite pas à s’improviser législateur et administrateur en toute matière, sans aucune préparation. Nous comprenons fort bien qu’il puisse y avoir nécessité de confier un mandat bien déterminé pour un but qui le soit aussi par une assemblée de compétents. Mais il est absurde de remettre à quelques individus des pouvoirs pour tout l’ensemble de la chose publique. Le mal est quelque peu atténué par l’existence d’une bureaucratie, qui, à défaut de véritable science, a tout de même l’expérience de la routine et par le fait que dès qu’il s’agit de réalisation, les compétents sont interrogés, mais ces derniers ne s’en trouvent pas moins placés en sous-ordres vis-à-vis des incompétents. La solution anarchique qui, évidemment, présuppose avant tout la fin de l’opposition des intérêts privés à l’intérêt public par un ordre de choses où chacun recherchant son bien-être particulier, contribue au bien-être général, consistera à appliquer dans le domaine social ce qui se fait dans le domaine scientifique. Tous ceux qui s’adonnent à une science donnée poursuivent par la libre recherche et la libre expérimentation, leurs découvertes et applications, visant toujours à de nouveaux perfectionnements. Ceux-ci réalisés, il n’y a nullement besoin d’une force policière pour les imposer. Chacun se hâte de les appliquer à son tour et en même temps d’y faire des améliorations éventuelles. Par cette méthode l’humanité a déjà accompli des progrès merveilleux, sans nul besoin de procéder à des élections. Chacun s’est élu lui-même par son intelligence, son dévouement, son travail, par une lutte opiniâtre parfois contre d’anciens préjugés ou des intérêts inavouables. L’administration de la chose publique, dans toutes ses multiples branches, est aussi question de science.
Les intérêts de classe et de parti font que souvent celle-ci n’y joue pas le premier rôle, et c’est pour cela qu’au milieu de la civilisation moderne, le retour aux pires tyrannies du passé est toujours possible. Les élections n’ont vraiment rien de scientifique, voilà ce que devraient se dire tous les votards d’un socialisme qui se prétend tel.
— L. BERTONI.
ÉLECTION
Action de choisir, d’élire quelqu’un par voie de suffrage. L’élection d’un député ; les élections municipales ; les élections sénatoriales, etc., etc...
Si la bêtise et la passion qui président aux diverses élections n’étaient pas des facteurs d’asservissement et de domination sociale, il nous faudrait rire de ces transports collectifs qui, à dates déterminées, soulèvent les foules. D’apparence, pour l’homme qui regarde, une élection peut sembler un vaudeville de premier ordre, monté par un metteur en scène plein de génie ; mais pour celui qui raisonne, qui ne s’arrête pas à la surface des choses, mais qui veut les pénétrer, c’est une terrible tragédie.
Les élections approchent. Et un vent de folie souffle au-dessus des hommes. Pendant quatre ans — si ce sont des élections législatives — la population est restée calme et tranquille ; pendant quatre ans, l’électeur jouissant de ses droits civiques et politiques s’est tenu à l’écart de tout ce qui se passait dans le pays ; il est resté sourd à tout les appels de ceux qui s’intéressent sincèrement à son sort ; mais les élections approchent, et tout à coup, comme mû par un ressort, il se souvient qu’il est le maître ; que rien ne se fait sans lui ; qu’il est le peuple souverain, qu’il fait des lois qu’il ignore, et sa valeur le gonfle d’orgueil.
Les élections approchent, et les murs se couvrent de placards multicolores, sur lesquels le candidat, les candidats, offrent et promettent à leurs électeurs un avenir plein de bonheur et de jouissance.
La foire électorale est ouverte. Les adversaires se mesurent, et nous nous garderons bien de rappeler toutes les insanités, toutes les ignominies, toutes les insultes, toutes les injures que se lancent mutuellement les nombreux candidats. C’est l’étalage le plus répugnant, le plus infâme, le plus honteux de toutes les bassesses et de toutes les tares individuelles. Ça ne fait rien. C’est parmi ces hommes, qui n’hésitent pas à étaler leurs vices, que l’électeur doit choisir son représentant.
La place est bonne, car en dehors de la rétribution qui n’arrive certainement pas à payer les frais occasionnés par une élection, il y a les petits avantages cachés. N’est-ce pas un élu socialiste, du Conseil municipal de Paris, qui déclarait qu’un conseiller qui ne gagnait pas cent mille francs par an était un imbécile ? Que doit alors gagner un député ? La place étant bonne, on comprend que la bataille soit chaude.
L’électeur oubliant tout ce qu’il a souffert depuis des années, oubliant toutes les promesses qui lui furent faites précédemment et qui ne furent pas tenues — naturellement — se pâme devant l’éloquence de son candidat préféré. Il écoute avec avidité les paroles mensongères que lui débite son pantin, et alors que durant quatre ans il a vécu relativement en bonne harmonie avec son voisin, ce dernier devient tout à coup un ennemi parce qu’il entend porter ses suffrages sur le nom d’un autre forban.
Avec la diffamation, la corruption est un des plus puissants facteurs de réussite, aussi ne se gêne-t-on pas pour en user en période électorale. La sincérité n’a pas d’importance et n’entre même pas en jeu, et moins l’on est sincère, plus on a de chance de triompher. Tous les moyens sont bons et les consciences s’achètent comme une vile marchandise.
Et cela est logique ; car qu’est-ce, en réalité, une élection, sinon une bataille que se livrent des colporteurs qui représentent des maisons différentes. L’idée, la doctrine ne sont que des paravents derrière lesquels se cachent des appétits, et le candidat n’est jamais qu’un homme de paille au service d’une entreprise commerciale, industrielle ou financière. C’est cela que l’électeur ne veut pas admettre.
Arrive le jour du suffrage. Fier du rôle qu’il remplit, l’électeur va voter et attend dans la fièvre le résultat de son geste. I1 est dans la même situation que le spectateur qui, n’ayant pas joué, attend sur un champ de course l’arrivée du gagnant. Que peut lui importer que ce soit l’un ou l’autre qui arrive le premier, que ce soit le rouge ou le noir qui franchisse le poteau, puisqu’il ne peut pas gagner ? Mystère. L’électeur éprouve probablement des sensations que nous sommes incapables de ressentir ; il est peut-être pourvu d’un sens supplémentaire qui nous manque à nous, les profanes. Qui sait ? Bref, il attend, chez le marchand de vin le plus souvent, car l’élection est une occasion de beuverie, et lorsque arrive jusqu’à lui le résultat, c’est du délire et du désappointement selon que son candidat est vainqueur ou vaincu.
Il y a parfois match nul, alors la comédie recommence. Mais, dans les coulisses se prépare une mise en scène particulière, car la représentation ne peut avoir lieu que deux fois. Le scrutin de ballottage n’est qu’une question d’argent, et ceci est si brutal qu’il est inconcevable que l’électeur ne s’en aperçoive pas.
Supposons un candidat ayant obtenu au premier tour de scrutin un millier de voix, un second candidat 800 et un troisième 500. Le troisième candidat a peu de chance d’être élu au deuxième tour de scrutin. Mais s’il favorise le second, c’est-à-dire s’il engage ses électeurs à voter pour lui, voilà que le premier candidat arrive bon dernier. Et on assiste à des revirements symboliques.
Tel aspirant député qui, lors de la campagne, accusait son adversaire de tous les délits, de tous les crimes, de toutes les infamies, se rapproche de lui au second tour et lui découvre des qualités politiques que l’on n’aurait pas imaginé une quinzaine plus tôt. Et l’électeur gobe tout cela, il l’accepte, il ne dit rien, il vote.
A quoi bon insister sur l’amoralité ou l’immoralité d’une élection. Il n’y a que celui qui le veut, qui ignore les tractations auxquelles donnent lieu les élections. Mais même au point de vue logique, en supposant qu’une élection offre toutes les garanties d’honnêteté, le résultat en est ridicule en soi. De nombreux exemples ont déjà été cités, dénonçant l’erreur sur laquelle repose le principe même de ce genre d’opérations ; ajoutons-en un à la liste déjà longue.
Le dimanche 12 décembre 1926, une élection partielle eut lieu dans le Nord. Il s’agissait de pourvoir au remplacement de trois députés. Quatre listes de candidats étaient en présence : la liste d’Union nationale républicaine, la liste socialiste ; la liste communiste et la liste des Républicains du Nord.
Or, voici les résultats dé cette élection :
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Inscrits : 516.148.
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Suffrages exprimés : 431.683.
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Liste d’Union nationale républicaine :
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MM. Coquelle, 193.353 ;
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Carlier, 192.236 ;
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Coutel, 192.560. ÉLUS..
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Liste socialiste :
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MM. Inghels, 142.095 ;
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Salengro, 141.274 ;
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Delcour, 140.868.
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Liste communiste :
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MM. Thorez, 65.803 ;
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Bonte, 65.779 ;
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Declerq, 65.547.
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Liste des Républicains du Nord :
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MM. Desjardins, 30.548 ;
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Cellic, 30.274 ;
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Derenne, 30.333.
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Or, si nous faisons une moyenne, nous constatons que les candidats élus ne représentent qu’une minorité. En effet, les candidats de la liste d’Union nationale républicaine ont obtenu une moyenne de 192.716 voix, alors que leurs adversaires réunissent un total de suffrages donnant une moyenne de 237.596 voix. Poussons plus loin et ne calculons que les voix obtenues par ceux qui se réclament de la classe ouvrière, et nous constatons que les suffrages exprimés nous donnent une moyenne de 207.121 voix ; et cependant, ce sont les 192.000 voix qui triomphent et les 207.000 qui sont battues. Oh ! logique électorale !
Nous ne voudrions pas accuser en vain de démagogues, les chefs de partis ouvriers qui entraînent à la foire électorale une foule de moutons. Mais tout de même, l’exemple que nous citons ci-dessus est symptomatique. Si l’intérêt de la classe ouvrière était le seul sentiment qui anime les candidats, comment se fait-il que ceux du Parti socialiste ne se soient pas effacés devant ceux du parti communiste ou réciproquement ? Si le parlementarisme n’est pas une comédie — et c’est ce qu’ils affirment — alors les uns et les autres ont favorisé le jeu de la réaction en laissant pénétrer dans l’enceinte législative des adversaires des classes travailleuses.
Des faits semblables à celui-ci sont légion et il serait facile de les multiplier. Mais à quoi bon, celui-ci suffit et suffira, pensons-nous, à tous ceux qui cherchent à s’instruire et à œuvrer utilement à la rénovation sociale. Les élections n’ont qu’un but : tromper la population et lui faire croire qu’elle est maîtresse de ses destinées, et la population se laisse prendre à cette glu.
Il faut avouer que le peuple souverain commence à ne plus être dupe de tous ces simulacres et que de jour en jour, le nombre d’électeurs diminue et que le nombre d’abstentionnistes augmente. Les partis politiques sentent que leur autorité s’affaiblit et que bientôt le pouvoir qu’ils exercent leur échappera totalement. C’est pourquoi certains partis d’extrême droite ou d’extrême gauche empruntent une tactique électorale tout à fait inattendue. De même que nous avons les militaristes-antimilitaristes, nous avons également les parlementaristes antiparlementaires. Il n’est plus rare, au cours d’une campagne électorale, d’entendre des orateurs, communistes ou fascistes, reconnaître qu’il n’y a rien à faire au Parlement, qui est un foyer de corruption. Mais ajoutent-ils, les élections sont pour nous une occasion de créer une agitation favorable au développement de nos idées et aussi un moyen de nous compter et de connaître les forces dont nous disposons.
Fort bien, et l’argument mérite qu’on s’y arrête. Proposons donc à nos parlementaristes antiparlementaires de poursuivre leur action électorale, mais demandons-leur de n’accepter aucun mandat et de se refuser à siéger aux Folies-Bourbons. Ils refusent tout naturellement en objectant que les avantages pécuniers dont bénéficient les députés permettent à ces derniers de faire une propagande active en faveur du parti qu’ils représentent. Lorsque l’on sait ce que coûte une élection et ce que rapporte un mandat de député — nous ne considérons, évidemment, que les rétributions avouées — on se rend bien vite compte que ce dernier argument est ridicule, car les sommes fantastiques englouties durant les périodes électorales permettraient d’entretenir un nombre de militants propagandistes bien supérieur à celui des députés élus par la classe ouvrière.
Une élection n’est donc qu’un trompe-l’œil, les anarchistes l’ont dit, ils le disent encore, ils le répéteront sans cesse.
Il est vrai que les élections sont favorables à la diffusion des idées. Les libertaires ne l’ignorent pas et en période électorale, ils sont au premier rang dans la bataille, se dépensant afin de faire comprendre à leurs frères de misère tout le vide de l’action parlementaire. Ils veulent éclairer l’électeur.
« Qu’on tache d’éclairer ces hommes », dit Urbain Gohier dans « La Révolution vient-elle ? », « de les améliorer, de les élever : ils vous soupçonneront, vous abreuveront d’outrages », « Mais la foire électorale ouverte, ils courent d’instinct aux charlatans les plus vils, aux malfaiteurs les plus cyniques. La bassesse les enchante ; plus les mensonges sont grossiers, plus avidement ils les gobent. »
Il est hélas trop vrai que la veulerie populaire lasse souvent le militant sincère qui se brise à la tâche et se sacrifie à une cause commune. Mais quoi, ne doit-on pas tenir compte de tout un passé d’esclavage empêchant le travailleur de s’instruire et de s’éduquer ? Le peuple vient à peine de s’éveiller, et si l’on jette un regard en arrière, si l’on considère tout le chemin parcouru depuis un siècle, on constate alors tous les progrès réalisés, toutes les transformations accomplies, tous les avantages arrachés petit à petit à la bourgeoisie rapace et jalouse de ses privilèges.
Bien des institutions barbares ont disparu. Les élections disparaîtront également un jour, car malgré tout, la méfiance a pénétré déjà dans le cerveau du travailleur, et c’est le commencement de la fin.
Poursuivons donc, anarchistes, notre œuvre, pour qu’enfin la raison saine et pure dirige l’humanité, et qu’avec les élections disparaisse le dernier esclave : l’électeur.
ELECTRICITE
n. f. (du grec elektron, ambre)
Propriété qu’on tous les corps d’attirer, dans certaines circonstances, les corps légers environnants, d’émettre des étincelles, de causer des commotions sur les humains et sur les animaux.
Il y a deux sortes d’électricité : l’électricité vitrée (verre frotté avec du drap) positive, et l’électricité résineuse (résine frottée avec une peau de chat) négative. Pratiquement, il y a deux sortes d’électricité :
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L’électricité statique ;
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L’électricité dynamique.
Electricité statique. C’est le phénomène produit en frottant un corps quelconque : si le corps est bon conducteur, l’électricité se manifeste sur tous les points ; s’il est mauvais conducteur, elle se manifeste seulement à l’endroit frotté.
Il existe quelques machines produisant de l’électricité statique. Ces machines sont composées, en principe, de disques de verre tournant entre des coussins en feutre ; telle la machine de Wimshurt. Ces machines servent, tout au plus, à des expériences de laboratoire.
Electricité dynamique. C’est la formation du courant. Dans un vase rempli aux trois quarts d’eau, acidulée, plongeons une lame de zinc et une lame de cuivre. La réaction chimique qui se produit entre l’acide et le zinc détermine un fluide électrique dont on admet l’existence, une sorte de poussée qui le dirige vers le cuivre et une sorte d’aspiration du côté du zinc. Le fluide tend donc à s’échapper par la lame de cuivre, tandis qu’il est attiré extérieurement et à travers l’espace, par la plaque de zinc. L’air ne se laissant pas traverser par le fluide, tout mouvement cesse bientôt ; mais, si l’on réunit le cuivre au zinc au moyen d’un conducteur de l’électricité, et si on branche en série sur un circuit un appareil spécial appelé galvanomètre, on voit l’aiguille dévier dans un sens ou dans l’autre, suivant le sens du courant. Le fluide s’écoule par le cuivre et rentre dans le vase par le zinc. Cette expérience suffit donc à nous amener à parler de mesure du débit et, par conséquent, de quantité d’électricité.
Quantité d’électricité est analogue à quantité d’eau. On la mesure par le travail produit qui est, évidemment, proportionnel à cette quantité. L’unité pratique de quantité est le « coulomb », qui met en liberté dans le voltamètre 0 mg. 0104 d’hydrogénés. Coulomb (1736–1806) est un physicien français, né à Angoulême. Il est l’inventeur de la balance de torrion.
Intensité : L’intensité d’un courant électrique est la quantité d’électricité que ce courant débite en une seconde. L’unité pratique d’intensité est « l’ampère ». L’ampère est un coulomb à la seconde. On emploie comme unité l’ampère-heure, qui est la quantité d’électricité fournie par un courant d’un ampère pendant une heure. Sous-multiple : le milliampère, qui est la millième partie de l’ampère. L’appareil de mesure servant à mesurer l’intensité se nomme ampèremètre.
Ampère (1775–1836) trouva les principes de la télégraphie électrique et découvrit la loi fondamentale de l’électrodynamique, d’après laquelle deux fils conducteurs, traversés par l’électricité, s’attirent ou se repoussent suivant que les courants s’y meuvent dans le même sens ou dans le sens contraire.
Corps bons conducteurs et mauvais conducteurs : L’électricité traverse la matière même des corps dits conducteurs de l’électricité. Les métaux sont généralement de bons conducteurs, tandis que les solides autres que les métaux sont mauvais conducteurs. Corps bons conducteurs : argent, cuivre, bronze, corps silicieux, etc. Corps mauvais conducteurs ou isolants : verre, porcelaine, caoutchouc, etc.
Les liquides, sauf le mercure, sont conducteurs de l’électricité ; mais ils offrent une plus grande résistance au passage du courant que les métaux.
Résistance : Les corps, même les meilleurs conducteurs, offrent toujours une résistance au passage du courant. On peut comparer le conducteur à une conduite d’eau et la résistance serait représentée par les parois de la conduite qui ‘empêchent l’eau de circuler.
L’unité de résistance est « l’Ohm », au nom du physicien allemand (1787–1854). Un fil de cuivre de 1 mm de diamètre et de 50 mètres de long offre une résistance de 1 Ohm.
Loi d’Ohm : L’intensité d’un courant est directement proportionnelle à sa force électromotrice et inversement proportionnelle à la résistance du circuit, d’où la célèbre formule :
I = E / R
Force électromotrice : Dans tout générateur électrique, il y a une sorte de pression qui agit sur le fluide pour le mettre en mouvement. On l’appelle la force électromotrice. L’unité de force électromotrice est le « volt » du nom du physicien italien Volta (1745–1827), auteur de la pile qui porte son nom.
Puissance : L’unité de travail mécanique est le kilogrammètre, qui est représenté par le travail nécessaire pour élever, en une seconde, à un mètre de hauteur, une masse de 1 kilogramme. La puissance d’une machine représente le travail qu’elle peut produire pendant une seconde. L’unité de puissance employée en mécanique est le cheval-vapeur ou H.P. En électricité, on emploie le watt comme unité de puissance. Le watt est la puissance d’une machine pouvant produire 1 ampère à la seconde sous une tension de 1 volt.
Applications de l’électricité : L’électricité a pris, dans la vie moderne, une place considérable, depuis la modeste pile jusqu’au moteur électrique de grande puissance, et le jour n’est peut-être pas éloigné où nous verrons la force « électricité » supplanter d’une façon absolue la machine à vapeur et toute cette chaudronnerie dont nous avons encore besoin aujourd’hui.
Piles : Nous avons vu dans notre première définition qu’une lame de zinc et une lame de cuivre plongeant dans une solution acidulée produisent un courant électrique. Nous avons là une pile simple ; c’est là, le principe de la pile de Volta : le cuivre de la pile est le positif ou + ; le zinc est le négatif ou -.
Cette pile ayant le défaut de se polariser est pratiquement abandonnée.
Polarisation : L’hydrogène mis en mouvement par l’action chimique est entraîné par le courant sur le cuivre qu’il entoure bientôt d’une gaine gazeuse. Les gaz étant mauvais conducteurs de l’électricité, la résistance, à l’intérieur de la pile, se trouve considérablement augmentée ; par conséquent, le courant diminue d’intensité. Pour éviter cet inconvénient, on est arrivé à faire des piles à dépolarisant : pile Danien et pile Callaud, dont le dépolarisant est le sulfate de cuivre ; pile Bunsen : dépolarisant l’acide azotique ; pile Leclanché : dépolarisant le bioxyde de manganèse.
Electrochimie : Le voltamètre est un appareil qui sert à la décomposition de l’eau par un courant électrique. Il se compose d’un vase de verre dont le fond est traversé par deux fils ou électrodes. On place sur chacune des électrodes une éprouvette et on relie les deux fils à une pile. L’eau étant traversée par le courant, du gaz se dégage dans chacune des éprouvettes et le niveau de l’eau descend. L’eau se décompose et ses éléments constitutifs : hydrogène et oxygène, se portent chacun sur une électrode.
Ce phénomène est appelé électrolyse.
C’est en appliquant ce principe que l’on est arrivé aujourd’hui à faire la galvanoplastie : dorure, cuivrage, nickelage.
Accumulateurs : Une autre application de l’électrolyse a lieu dans les accumulateurs électriques. Dans un vase de verre ou de matière isolante : celluloïd, ébonite, sont placées des lames de plomb séparées les unes des autres. Les lames impaires sont reliées à une électrode négative ; les lames paires à une électrode positive. L’accumulateur est formé à la suite de charges et décharges successives. La densité de l’électrolyse est de 24 à 28° Baumé. L’usage des accumulateurs se répand de plus en plus ; ils ont sur les piles l’avantage d’un débit très intense.
Magnétisme : On appelle aimants, des corps ayant la propriété d’attirer le fer, l’acier, la fonte et tous les corps dits magnétiques. L’aimant naturel est un minerai de fer ou oxyde magnétique. Les aimants artificiels sont des barreaux droits ou recourbés en fer à cheval, trempés à saturation, et auxquels on communique les propriétés magnétiques par frottement avec un autre aimant ou par champ magnétique (induction).
Pôles : Un aimant droit, libre de se mouvoir autour d’un axe, dans un plan horizontal, prend une direction bien déterminée. L’une de ses extrémités se dirige vers le Nord ; on l’appelle pôle Nord, et l’autre pôle Sud.
Deux aimants de même polarité se repoussent ; deux aimants de polarité contraire s’attirent.
Electro-aimant : Une barre de fer doux, formant noyau d’une bobine, sur laquelle est enroulé du fil conducteur isolé de soie ou de coton, parcouru par un courant, devient un aimant très-puissant. Mais toute la force d’ aimantation disparait quand le courant cesse. Cet appareil se nomme électro-aimant. Toutes les applications de l’électricité découlent de ces phénomènes en magnétisme.
Sonnerie électrique : La sonnerie électrique se compose d’un électro-aimant et d’une armature portée, par une lame flexible, qui se trouve située à l’extrémité de l’armature, et terminée par un marteau qui peut frapper sur le timbre. Quand on appuie sur le bouton, le courant passe dans l’électro-aimant et l’armature se trouve attirée ; mais, à ce moment, le contact ayant cessé entre le ressort et la borne, l’armature est ramenée à sa position première par le ressort. Le courant circule à nouveau et le même phénomène se reproduit ; et, à chaque attraction, le marteau frappe sur le timbre.
L’électro-aimant est appliqué de même façon à la télégraphie : chaque fois que l’on appuie sur le manipulateur, l’armature de l’appareil récepteur est actionnée et imprime sur la bande les points ou traits de l’Alphabet Morse.
Induction : Un courant électrique, tournant dans un champ magnétique, produit un courant électrique. Les courants ainsi obtenus se nomment des courants induits. Toute machine produisant des courants induits se compose de deux parties :
-
L’organe créant le champ magnétique que l’on appelle inducteur ;
-
L’organe où se forment les courants induits et que l’on appelle induit.
Dynamos : La dynamo est une machine qui transforme l’énergie mécanique en énergie électrique ; elle se compose de deux parties : l’inducteur et l’induit.
-
L’inducteur est toujours un ou plusieurs électro-aimants fixés à même la carcasse de la machine. L’induit tourne entre les masses polaires des électro-aimants ;
-
L’induit se compose généralement d’un noyau en forme d’anneau ou tambour formé de rondelles minces en fer doux, fortement serrées les unes contre les autres. Pour éviter les courants parasitaires de Foucault, on intercale entre chaque rondelle des feuilles de papier verni.
Les sections d’enroulement sont placées sur le pourtour de l’anneau ou dans des encoches creusées, à même dans les rondelles feuilletées. Les courants engendrés sont alternatifs ; on les redresse au moyen du collecteur.
Le collecteur est formé de lames de cuivre isolées les unes des autres par des lames de mica. Le collecteur se fixe au bout de l’induit sur le même arbre. Les sections d’enroulement sont reliées aux lames de cuivre. Des balais en charbon frottent sur le collecteur et recueillent le courant redressé.
Moteurs : Les dynamos étant réversibles, si nous envoyons un courant dans une dynamo, celle-ci se mettra à tourner et retransformera l’énergie électrique en énergie mécanique.
Le moteur se compose des mêmes organes que la dynamo.
Les moteurs reçoivent une foule d’applications. Ils rendent de très grands services ; ils ont permis l’emploi de la force à de très grandes distances de la machine génératrice. L’utilisation des chutes d’eau actionnant des alternateurs ont permis d’employer la force à des distances considérables. La force électromotrice dans ces lignes est très élevée ; parfois, elle dépasse 150.000 volts.
Aux endroits où elle doit être employée, les courants sont transformés en haute et basse tension, au moyen des transformateurs.
Aujourd’hui, que ne fait-on pas avec le moteur électrique : métro, chemin de fer, tramways, machines d’extraction pour les mines, sous-marins utilisant les accumulateurs pour la plongée, etc. ?
On se sert beaucoup de petits moteurs pour usages domestiques : moteurs pour machine à coudre, aspirateurs de poussière, séchoirs électriques, ventilateurs, etc., etc.
Eclairage : On emploie l’électricité pour l’éclairage soit au moyen des lampes à arcs ou des lampes à incandescence (Voir Lampes électriques). Voir aussi : télégraphe, télégraphie sans fil, téléphone et téléphonie sans fil.
ELECTRICITE
Nom donné à la cause de certains phénomènes appelés phénomènes électriques.
La découverte des phénomènes électriques remonte à des temps très reculés. La foudre connue de tout temps en est une manifestation violente. Les Grecs connaissaient la propriété que possède l’ambre frotté avec un chiffon sec, d’attirer des corps légers (600 ans av. J.-C.). Au XVIIème siècle, Gilbert démontra que d’autres corps peuvent s’électriser par frottement. Plus tard, on s’aperçut que les particules électrisées par l’ambre étaient ensuite repoussées par cette matière, alors que le verre les attirait, d’où l’idée de deux sortes d’électricité : positive et négative, et cette formule :
« Deux électricités de nom contraire s’attirent, deux électricités de même nom se repoussent. »
Galvani découvrit beaucoup plus tard l’énergie électrique d’origine chimique en disséquant des grenouilles. L’expérience fut reprise et développée par Volta, qui trouva la pile électrochimique. Laplace et Ampère appliquent leur génie à la recherche des lois de circulation des courants. Joule étudie leurs propriétés calorifiques.
Maxwell, dans une œuvre magistrale où l’on puise, même à présent, des renseignements précieux, traduit mathématiquement les phénomènes électriques. Lenz étudie la dynamique du fluide électrique, et bientôt, les découvertes se succèdent avec une rapidité inouïe. Edison nous donne la lampe électrique pratique. Ibertz découvre les lois de la propagation des ondes électriques qu’on assimile alors à celles de la lumière (vibration électromagnétique).
Marconi reprend ses travaux et perfectionne le télégraphe. Branly, avec le cohéreur, lance la téléphonie sans fil. De Forest invente la lampe à trois électrodes. Gramme transforme l’énergie mécanique en énergie électrique. Desprez transporte cette énergie à distance et l’utilise dans son moteur. Dès lors, le phénomène entre dans la voie des réalisations pratiques. Avec une rapidité formidable, naissent la télémécanique, la télévision, des usines gigantesques débitent des quantités incroyables de cette énergie qu’Ampère étudiait, il y a cent ans à peine, avec les faibles moyens de son laboratoire.
Ainsi, dans l’espace d’une génération, l’électricité change la face du monde. Après une évolution lente mais continue, elle révolutionne l’univers en moins de cinquante ans. C’est un exemple frappant de la rapidité avec laquelle se propage une idée juste. Les premiers pas sont hésitants et incertains, mais sa progression devient inexorable quand elle atteint les gros chiffres. Lorsqu’une idée est juste, il n’est pas besoin de l’imposer, elle s’impose d’elle-même par la logique même. L’avènement de l’électricité en est la plus remarquable des preuves. Il convient d’insister sur le fait qu’il ne peut y avoir aucune manifestation d’énergie électrique, magnétisme ou autre qui se puisse produire sans que la matière en soit le siège. La matière est énergique et l’énergie matérielle c’est la substance. Ainsi parler d’énergie seule, c’est faire une abstraction au même titre que parler seulement de matière.
Ceci est tellement vrai, que c’est par le nombre de particules négatives (ions) entourant le noyau positif de l’atome (électron), que se distinguent les différents corps de la chimie, liant étroitement les propriétés électriques et chimiques des différents corps. De même les différentes énergies électriques, mécaniques, chimiques, etc. (qui ne sont que des manifestations diverses d’une même chose : l’activité atomique), se substituent les unes aux autres, suivant le processus infini du transformisme.
L’étude des phénomènes électriques comprend l’électricité statique (électrostatique), qui étudie l’électricité à l’état d’équilibre : condensateurs, influence, etc. ; l’électricité cinétique (électrocinétique), ou ensemble des lois qui règlent les mouvements de l’électricité : lois d’Ohm, Joule, Wirchoff ; l’électromagnétisme, qui établit l’analogie des circuits parcourus par des courants électriques avec les aimants ; l’électricité dynamique (électro dynamisme), étudiant les effets mécaniques provoqués par les courants : machines électriques.
ELECTRIFICATION
n.f.
Adaptation de l’électricité à une exploitation quelconque (chemins de fer, usines, fermes, etc). L’utilisation de la houille blanche a amené la construction sur place d’immenses usines qui produisent du courant électrique sous haute-tension afin de le faire parvenir à une distance quelquefois très éloignée. Là, des transformations modifient le courant, ils diminuent la tension, selon les besoins. L’électrification convient merveilleusement aux nations dont la production en charbon est très faible.
L’électricité qui est la dernière forme connue de l’énergie se transforme facilement en chaleur, travail mécanique, chimique et réciproquement.
Supposons une chute d’eau au fond d’une vallée étroite et profonde des Alpes, où l’on ne peut installer d’usines pour l’utiliser sur place. On recueillera le travail mécanique de la chute au moyen de turbines puis on transformera ce travail en électricité qu’on transportera ensuite dans une région industrielle plus ou moins éloignée. Ensuite, avec l’électricité, on produira le travail mécanique pour actionner des machines-outils., de la chaleur, de la lumière, des réactions chimiques pour les industries chimiques, de telle sorte que la puissance nécessaire à la vie industrielle de cette région sera fournie, avec de faibles pertes dans les transports et les transformations, par une chute qui peut être située à plus de 100 kilomètres.
Les papplications de l’électricité ne se comptent plus, bien que la science électrique ne date que d’hier. Bientôt l’électricité fournie par les forces immenses que nous offre la nature : chute d’eau, vents, marées, actionnera tous les ateliers, fera rouler les trains de chemin de fer, éclairera les villes, les villages, le moindre hameau, chauffera nos appartements, etc.
ELECTROCUTION
n. f.
C’est une électrolyse. Six milliampères courant continu traversant le corps humain provoquent la contraction des muscles, ceux des poumons, du cœur, etc. Il s’ensuit l’asphyxie. C’est la peau qui oppose la plus forte résistance au passage du courant ; c’est pour cette raison qu’aux Etats-Unis, dans l’exécution des condamnés à mort, on emploie le casque, afin qu’une large partie de la peau entre en contact. Une solution de continuité de celle-ci, par exemple une écorchure, une coupure, suffit pour qu’une personne soit électrocutée avec une pile Leclanché.
L’électrocution comme mode de supplice n’a pas donné les résultats qu’on en attendait. Il est loin d’être rapide... On a constaté que les électrocutés ont des réflexes nerveux et que le coma dure très longtemps. Aussi, dernièrement, les journaux nous apprenaient que des expériences seraient tentées aux Etats-Unis sur des condamnés. Sacco et Vanzetti, nos deux chers camarades, en seront peut-être les premières victimes. La vie humaine, qu’importe ; cependant, de nombreuses protestations s’élèvent lorsque de pauvres cobayes sont employés pour la vivisection.
La foudre tue aussi les hommes et les animaux.
Quant un nuage électrisé passe au-dessus du sol, il décompose par influence l’électricité neutre de tous les objets situés dans sa sphère d’activité, attire à leur surface l’électricité de nom contraire et repousse dans le sol l’électricité de même nom. Si la tension des deux électricités opposées du nuage et des corps terrestres n’est pas suffisante pour vaincre la résistance de l’air, et si le nuage s’éloigne, les corps terrestres repassent peu à peu à l’état naturel. Mais si la tension électrique entre le nuage et l’un de ces corps l’emporte sur la résistance de l’air, l’étincelle éclate et le corps est foudroyé directement. Voilà comment on expliquait, il y a plusieurs années, cette manifestation de l’électricité.
Aujourd’hui, d’après les hypothèses de Maxwell, on pense que ce sont les déplacements, les modifications de l’éther qui produisent ce phénomène. La condensation produirait l’électricité positive ; la raréfaction, l’électricité négative.
ELECTROLYSE
n. f.
Si une portion du conducteur parcouru par un courant est constituée par un corps composé à l’état liquide et conducteur, ce liquide est décomposé en ses éléments. C’est à ce phénomène que l’on donne le nom d’électrolyse. Le corps décomposé est l’électrolyte.
Tous les corps ne sont pas susceptibles d’être ainsi décomposés : seuls les acides, les sels et hydrates basiques semblent jouir de cette propriété. Mais les corps qui, à l’état liquide, ne sont pas décomposés, ne laissent pas passer le courant.
L’électrolyte doit être amenée à l’état liquide, soit par fusion, soit par dissolution.
Pour faire passer le courant au sein de l’électrolyte, on l’y amène, à l’aide de conducteurs appelés électrodes.
L’électrode positive se nomme anode, l’électrode négative se nomme cathode.
Le métal, si on électrolyse un sel, l’hydrogène, si on électrolyse un acide, se retrouvent à la cathode, c’est-à-dire qu’ils suivent le sens du courant ; le reste se porte sur l’anode.
On appelle ions les deux produits de la décomposition ; l’ion qui se porte sur la cathode est le cathion. L’ion qui se porte sur l’anode est l’anion. Ex. : chlorure de cuivre fondu. Le cathion est constitué par du cuivre métallique ; l’anion par du chlore.
La première électrolyse fut celle de l’eau, réalisée en 1800 par Carlisle et Nicholson.
Les lois qui président à l’électrolyse sont les suivantes :
-
Le poids des dépôts est proportionnel à l’intensité du courant et à la durée de l’électrolyse ;
-
Une même quantité d’électricité libère aux électrodes, dans le cas où les dépôts sont des corps simples, des poids de matières proportionnels au quotient du poids atomique de chaque corps simple par sa valence. (Le quotient s’appelle équivalent électrochimique).
On utilise l’électrolyse dans le raffinage des métaux.
On s’en sert dans la fabrication de nombreux produits chimiques, à la purification des alcools. On l’emploie pour la cémentation, etc. En médecine, l’électrolyse sert à décomposer les tissus organiques. (Voir électrothérapie.)
ELECTROMAGNETISME
n. m.
Les phénomènes électriques sont intimement liés à d’autres phénomènes appelés phénomènes magnétiques produits par des aimants. On sait qu’il existe un minerai de fer, l’oxyde magnétique, dont certains échantillons ont la propriété d’attirer le fer ; on leur a donné le nom de pierres d’aimant.
Un aimant ou un barreau aimanté est un barreau d’acier auquel un traitement spécial a donné cette même propriété et par suite a créé dans l’acier une propriété particulière qui se manifeste en présence du fer. On donne le nom d’électromagnétisme à la partie de la physique qui a pour objet l’étude des actions réciproques des courants sur les aimants et des aimants sur les courants.
C’est Œrsted, professeur de physique à Copenhague, qui fit le premier connaître, en 1820, l’action directrice des courants électriques sur l’aiguille aimantée. Voici sur quelle expérience fort simple repose cette importante découverte, qui a servi de point de départ à l’électromagnétisme. Concevons que l’on ait réuni les deux pôles d’une pile par un long fil métallique, et qu’on approche une portion rectiligne de ce fil, maintenue dans le méridien magnétique (Sud-Nord), au dessus ou au dessous d’une aiguille aimantée mobile sur un pivot vertical ; l’aiguille se déviera aussitôt de sa position d’équilibre, et tendra à prendre une direction perpendiculaire au courant, c’est-à-dire à se mettre en croix avec lui.
Le courant électrique fait donc naître un champ magnétique autour du fil dans lequel il circule. Ce champ magnétique est formé par des lignes de force et ce sont ces lignes de force qui obligent l’aiguille à se mettre en croix.
Si le fil conducteur a la direction Nord-Sud magnétique, les deux forces qui agissent sur l’aiguille aimantée, l’une due au champ terrestre et l’autre au champ du courant, tendront : la première à maintenir l’aiguille parallèlement au conducteur, et la seconde à la mettre en croix avec ce conducteur.
Sous cette double action, l’aiguille déviera d’autant plus que le courant sera plus intense. Voilà ce qu’a montré Œrsted. L’angle de déviation peut servir à mesurer l’intensité du courant.
Règle d’Ampère : On suppose un observateur regardant l’aiguille et couché le long du fil de façon que le courant aille des pieds à la tête : le pôle Nord de l’aiguille se porte â la gauche de l’observateur.
L’une des premières applications de l’électromagnétisme, ce fut le galvanomètre. (V. galvanomètre)
Aimantation par les courants : Lorsqu’on plonge dans de la limaille de fer un fil de cuivre traversé par un courant énergique, on voit la limaille s’enrouler avec force autour du fil et y rester adhérente tant que le courant subsiste. Mais vient-on à interrompre le courant, la limaille se détache et tombe à l’instant même. Ce fait capital, découvert par Arago, prouve que les courants électriques agissent sur les substances magnétiques de manière â déterminer leur aimantation. Le fer doux et l’acier trempé sont, de toutes les substances magnétiques, celles qui s’aimantent avec le plus d’énergie sous l’influence des courants.
L’électroaimant est une application de ce principe, le télégraphe, les sonneries électriques également.
ELECTROTHERAPIE
Sans avoir, en médecine, autant d’importance que dans la vie industrielle et sociale, l’électricité n’y trouve pas moins une foule d’applications dans le traitement dés maladies ; et toutes les formes sous lesquelles elle se manifeste y sont quotidiennement employées.
Une de ses utilisations les plus intéressantes consiste en la production des rayons X, cette merveilleuse manifestation de l’énergie cosmique. Mais ceux-ci présentent une activité tellement spéciale et une valeur intrinsèque si marquée, qu’ils déterminent une classe particulière d’agents curatifs désignée sous le nom de radiothérapie. De même les rayons ultra-violets, obtenus au moyen de la lampe à arc électrique, se rangent dans une catégorie propre appelée actinothérapie. L’électrothérapie introduit dans l’organisme l’énergie électrique telle que la lui fournissent les différentes sources aujourd’hui connues.
La galvanisation utilise le courant galvanique ou courant continu, obtenu : soit par une batterie de piles électriques ; soit par une batterie d’accumulateurs ; soit par prise sur le secteur urbain de lumière, au moyen d’un rhéostat si le courant du secteur est continu, au moyen d’une commutatrice si le courant du secteur est alternatif. Dans l’organisme, l’action du courant galvanique se traduit par l’augmentation de la circulation sanguine et lymphatique ; elle favorise ainsi la décongestion des tissus enflammés (arthrite, orchite), et la nutrition des éléments traumatisés (fracture, atrophies, œdèmes). Elle est surtout employée dans le traitement par l’électrolyse des rétrécissements de l’œsophage et de l’urètre : pour la destruction électrolytique des boutons d’acné, des angiomes ou « envies » de la peau, des poils inesthétiques par leur emplacement ou leur développement exagéré. Enfin, le courant continu sert à l’introduction locale des médicaments par ionisation : il dissocie les principes actifs ne la solution pharmaceutique disposée sur une électrode en forme de tampon imbibé, et en assure la pénétration à travers la peau jusqu’aux organes malades sous-jacents (rhumatisme, goutte, névralgies).
La faradisation met en œuvre le courant faradique ou courant induit, qui dérive du courant continu fourni, par une ou deux piles et transformé par l’appareil faradique avec ses trois éléments : bobine inductrice, bobine induite et interrupteur. Le courant faradique agit fortement sur les muscles dont il amène la contraction. Aussi son usage le plus fréquent se trouve-t-il dans les atrophies musculaires consécutives aux fractures et luxations, dans l’incontinence d’urine due à une faiblesse du sphincter de la vessie.
La franklinisation se pratique au moyen du courant statique produit par une machine statique, à plateaux dont un des pôles va à la terre et l’autre à un tabouret isolant où s’asseoit le patient pour prendre un « bain statique ». Les effets en sont surtout sédatifs et favorables dans les états douloureux et nerveux (névralgies, neurasthénies).
Les courants sinusoïdaux proviennent d’un courant alternatif d’un secteur urbain qu’un transformateur amène à basse tension. De forme périodique, ils activent la circulation, décongestionnent les tissus et font contracter les muscles. D’où leur emploi dans les épanchements articulaires ou péri-articulaires, dans les œdèmes, les atrophies.
La d’arsonvalisation constitue une application des courants de haute fréquence obtenus soit au moyen du courant de haute tension d’un appareillage à rayons X chargeant les armatures d’une paire de condensateurs qui se déchargent dans un solénoïde, soit au moyen d’une bobine de Ruhmkorff et de deux bouteilles de Leyde ou condensateurs se déchargeant dans un solénoïde. En applications locales bipolaires, par l’effet de deux électrodes métalliques reliées à un petit solénoïde, la haute fréquence exerce une action calmante et décongestionnante sur les lésions de la peau ; en outre, elle élève la température des tissus profonds sous-jacents et combat efficacement les lésions inflammatoires dont ils sont le siège (diathermie) ; elle peut, par son intensité suffisante, causer une brûlure et une escarre profonde, une électrocoagulation utilisée pour détruire, sans incision préalable, des lésions situées dans l’intimité des tissus. Les applications générales, sur le malade inclus tout entier dans un grand solénoïde formant cage, constituent un traitement des maladies par ralentissement de la nutrition, diabète, obésité. Enfin, la projection d’une étincelle de haute fréquence sur des tissus altérés, cancers par exemple, en amène la destruction par fulguration.
La plupart des applications électriques médicales en sont encore à leur période de début. Il est légitime de prévoir le développement prochain des méthodes d’ionisation, de diathermie et d’électrocoagulation.
— Docteur ELOSU.
ELEVAGE
n. m.
Action d’élever des animaux domestiques et de développer chez eux, par le croisement, l’alimentation rationnelle ou la sélection, les qualités particulières à leur race. Quel que soit le genre d’élevage auquel on se livre ; que ce soit l’élevage du cheval, du bœuf, du mouton, du lapin, de l’abeille ou du ver a soie, celui-ci nécessite des connaissances spéciales et l’éleveur doit étudier profondément le caractère de ses sujets, s’il veut que ses efforts ne restent pas stériles. Il arrive fréquemment que des travailleurs, ayant, par miracle, réalisé quelques économies, tentent de se libérer du patronat en se livrant à l’élevage de certains petits animaux domestiques, plus particulièrement des animaux de basse-cour. Après avoir engagé leurs maigres ressources, ils échouent dans leurs tentatives ; cela n’est pas étonnant. L’élevage est un métier et exige de celui qui veut l’exercer un apprentissage sérieux, que, bien souvent, l’éleveur occasionnel n’a pas eu le temps de faire. D’autre part, les progrès de la science ont mis à la disposition de l’éleveur certains procédés techniques, un outillage qui coûte très cher, et que ne peut posséder le petit éleveur. En conséquence, il est sage que ceux qui désirent faire de l’élevage ne s’aventurent pas à la légère, car de nos jours, tout s’est industrialisé, et cette branche qui, il y a peu de temps encore, appartenait à la petite paysannerie, a été accaparée par les grands propriétaires du capital.
ELIMINER
verbe (du latin eliminare)
Expulser, faire sortir, évincer, effacer, écarter. Physiologiquement : chasser, expulser de l’organisme les matières nuisibles à l’entretien de la vie. Eliminer un « candidat », c’est-à-dire, l’éloigner, l’écarter, ne plus lui permettre d’être candidat. Eliminer un concurrent, un intrus, un gêneur, etc...
L’action d’éliminer est souvent nécessaire. Dans un concours, un examen, lorsque le nombre de candidats est supérieur à celui nécessité par un emploi, une charge, ou une fonction quelconque, on emploie le procédé d’élimination. On élimine les plus faibles des concurrents et le débat se poursuit entre les plus forts. Peut-être ne serait-il pas nuisible, non plus, de se livrer à un travail d’élimination dans le mouvement social, celui-ci étant infesté par un nombre incalculable de parasites. Si un jour le peuple, las d’être trompé, bafoué, vendu, éliminait de son sein tous ceux — et ils sont légion — qui ne songent qu’à exploiter sa naïveté et sa confiance, il arriverait plus rapidement au but qu’il poursuit.
Mais le peuple est aveugle, et ses yeux sont longs à s’ouvrir sur la vérité. Lorsqu’il comprendra, il éliminera tous les fantoches de la politique qui lui barrent la route de la liberté et de la justice.
ELITE
n. f.
Dans l’ancienne langue française, eslite, ou esliture, indiquait le choix de ce qu’il y avait de mieux, de meilleur, et aussi ce qui avait été choisi. On faisait l’élite d’une récolte, d’un troupeau, d’une bibliothèque. Dans le roman Yver, du XIIIème siècle, on lit :
« Puis fit élite entre les dames d’une qu’il estimait mieux mériter son service. »
Dans celui de Berte :
« Un mois vous doing l’ostel trestout a vostre eslite. »
Montaigne a dit :
« La prudence est l’élite entre le bien et le mal. »
A l’eslite signifiait : en bon état.
Mettre a l’eslite de, c’était : donner le choix d’une personne ou d’une chose.
L’adverbe eslitement correspondait à excellemment, parfaitement, extraordinairement, par choix.
Eliter avait, et a encore dans le langage populaire, le sens d’avilir, de déprécier par le choix qui fait retirer d’une marchandise ce qu’il y a de meilleur. Des fruits élités sont ceux qui restent après qu’on en a enlevé les plus beaux.
L’élite était donc, en vieux français, ce qui avait été reconnu le meilleur à la suite d’un choix. Aujourd’hui, on entend par élite « ce qu’il y a de meilleur et de plus digne d’être choisi ». (Dictionnaire de l’Académie Française). Elite n’est donc plus entendu comme le choix ou le produit d’un choix ; c’est ce qui est proposé au choix comme le plus digne. Mais proposé par qui et par quelle compétence pour désigner le plus digne?... Cette définition absconse, quoique académique, qui nous présente l’excellence de l’élite comme le catéchisme nous affirme celle de Dieu, ne veut rien dire par elle-même. Elle dit beaucoup au contraire si on envisage l’application du mot « élite » dans le domaine social, car elle contient toute l’imposture de ceux qui se sont établis comme l’élite des hommes ; elle fait comprendre combien est conventionnelle et arbitraire la suprématie des prétendus « meilleurs », qui n’ont été nullement choisis, sauf par des pairs aussi indignes qu’eux d’être et de choisir les meilleurs.
Il existe indiscutablement une élite, ou plutôt des élites, parmi les hommes, suivant les différents plans où l’on recherche les meilleurs d’entre eux. Non seulement la nature ne les a pas faits tous égaux en qualités physiques — force, santé, beauté, — mais elle leur a distribué inégalement l’intelligence, le caractère et le sentiment. A chacune de ces qualités correspond un degré d’esliture, c’est-à-dire de bonté (voir ce mot), et les meilleurs, l’élite, sont ceux chez qui cette bonté prend sa plus complète expression.
Il y a une élite physique, celle des individus qui, aurait dit Bescherelle, « possèdent la bonté essentielle des êtres et des choses dans les attributs qui les constituent tels qu’ils sont ». Ce sont eux qui, physiquement, représentent les meilleurs sujets d’une race ou d’un groupe. On cherche à multiplier cette élite, par les sports chez les hommes, par l’élevage chez les animaux ; la fausse conception que l’on a de l’élite fait qu’on n’arrive le plus souvent qu’à les abrutir les uns et les autres.
Sur un plan plus élevé, que nous considérerons particulièrement chez l’homme, il y a une élite intellectuelle, celle qui élargit sans cesse le champ des connaissances humaines par ses recherches, ses observations, ses réflexions. Là encore, par la façon de répandre les connaissances de cette élite, afin de la rendre plus nombreuse, par le gavage intensif d’une foule de notions fausses et tendancieuses, on ne réussit qu’à former l’élite de l’abrutissement.
Il y a, enfin, sur un plan encore plus haut, l’élite morale. C’est seulement sur ce plan que se rencontre la véritable élite. Elle manque parfois de brillantes qualités physiques et intellectuelles, mais elle possède celles du cœur. La véritable élite est celle des hommes qui apportent les qualités des « meilleurs » dans leurs rapports avec leurs semblables — ce que Bescherelle appelait la « bonté relative » — et surtout la véritable bonté, celle qui emploie toute sa volonté et toutes ses forces à servir la vérité, la justice, la beauté, pour faire une œuvre utile aux hommes, au bien-être et au bonheur de tous.
Il n’est pas de véritable élite sans véritable bonté.
On peut être un artisan obscur, un homme simple, un quelconque anonyme dans la foule, et être un individu d’élite, parce qu’on met dans son travail, dans sa vie privée, dans ses relations avec les autres, un souci constant de perfectionnement matériel et moral pour soi et pour autrui. Les époques les plus fécondes pour l’humanité ont été celles du travail anonyme où l’élite se confondait avec la foule et n’avait d’autre intérêt que le sien. Seules ces époques ont bâti des œuvres solides et durables, vraiment utiles aux hommes. Lorsqu’un individualisme orgueilleux a poussé certains d’entre eux à se placer au-dessus des autres et à exercer une autorité, il n’en est résulté le plus souvent que le malheur de tous. Il est faux de dire que le chien est fait pour être attaché, parce qu’il se laisse mettre un collier ; il est aussi faux de prétendre que l’homme a besoin d’être tenu sous le joug, parce qu’il subit l’esclavage. Il n’est pas d’autorité, hors celle de l’intelligence universelle, à laquelle il participe, qu’il doive accepter. Toute tutelle ne peut que lui être ennemie, toute coercition qu’il n’a pas méritée par un abus doit exciter sa révolte. Proudhon a parlé quelque part d’un paysan qui disait :
« Quand je vire mes sillons, je me sens roi. »
L’homme est roi dans toutes les formes de son activité, à condition que cette activité soit libre ; il n’est alors aucune élite au-dessus de lui. Le principe essentiel de la vie, pour tout être, c’est la liberté ; avec elle, il peut tout, sans elle, il ne peut rien.
Lorsqu’on est nanti des attributs, des titres, de la fortune, de la puissance, de la gloire, spéciales à l’élite officielle, celle que l’Académie Française suppose descendre d’on ne sait quel ciel et choisie par on ne sait quels dieux, il est bien difficile qu’on appartienne à la véritable élite et qu’on ne soit pas à un degré quelconque, volontairement ou à son insu, un malfaiteur social. Il y a incompatibilité absolue entre les deux élites, celle des tréteaux, de la vanité, et celle du travail, de la bonté. Comme l’a dit Cœurderoy, à l’encontre du dicton populaire : « l’habit fait le moine ». Celui qui est bon et qui accepte la livrée de l’élite officielle se trahit et se renie lui-même ; comment ne trahirait et ne renierait-il pas les autres ?
Les hommes ont tellement pris l’habitude de l’esclavage, qu’ils n’ont plus qu’une idée fort confuse du bonheur auquel ils aspirent. Ils ne savent pas plus distinguer et choisir les meilleurs d’entre eux, qu’ils ne savent ce qu’ils en attendent ; ils sont comme les grenouilles qui demandaient un roi. Aussi, s’en laissent-ils imposer par la fausse élite qui s’est érigée au-dessus d’eux, au moyen de la violence et du mensonge et qui s’y maintient par la terreur. Alors que l’état social, par une action bienfaisante, devrait corriger l’inégalité naturelle existant entre les hommes, il aggrave au contraire cette inégalité par les abus de son élite. Alors qu’il devrait faire le bien de tous, il ne fait que celui de cette élite privilégiée en perpétuant à son profit l’exploitation de l’homme par l’homme. Comment, accomplissant ainsi la pire des besognes sociales, cette élite serait-elle composée des meilleurs ? Ce n’est pas plus concevable que l’idée d’un Dieu de bonté affligeant les hommes du vomito-négro et de la peste. Mais on ne manque pas plus de sophismes pour justifier la souveraineté de la fausse élite que pour expliquer la bonté de Dieu. On dit que Dieu ne fait souffrir les hommes que par amour pour eux ; de même, c’est par charité que l’élite sociale « veut bien se dévouer » pour les gouverner, comme elle réduit les nègres en esclavage pour les « moraliser » (Déclaration des esclavagistes, 1859). C’est encore par charité qu’on torturait les hérétiques. A la veille de la Révolution, un nommé Muyart de Vouglans écrivait une Apologie de la torture que le pape Pie VI approuvait spécialement et dont le roi Louis XVI acceptait la dédicace.
Malgré tous les sophismes, les faits sont là, innombrables, pour montrer le véritable rôle, à la fois odieux et ridicule, de la prétendue élite qui règne sur le monde. Aussi, convient-il, chaque fois qu’on le peut, de lui arracher son masque, de la dépouiller de ses oripeaux, de mettre à nu sa monstruosité et sa laideur. Il faut renverser cette idole de sang et de boue, montrer à tous son imposture, démonétiser sa fausse gloire, faire un pied de nez à sa grotesque majesté et lui dire, comme M. Maurice Barrès, avant qu’il lui eût apporté une adhésion sénile :
« Soldats, magistrats, moralistes, éducateurs, pour distraire les simples de l’épouvante où vous les mettez, laissez qu’on leur démasque sous vos durs raisonnements l’imbécillité de la plupart d’entre vous et le remords du surplus. Si nous sommes impuissants à dégager notre vie du courant qui nous emporte avec vous, n’attendez pourtant pas, détestables compagnons, que nous prenions au sérieux ces devoirs que vous affichez et ces mille sentiments qui ne vous ont pas coûté une larme. »
A l’origine, le besoin de se défendre qui arma le bras de l’homme produisit le parasite guerrier. Au lieu de prendre les armes aux seuls moments nécessaires de la défense, il ne les quitta plus, fit de la guerre un métier et devint un conquérant. Du guerrier est sorti le chef, le maître, le seigneur, le roi, l’empereur et... le président de la République.
A l’origine aussi, le besoin de savoir créa l’homme de pensée. Le savoir ne pouvait venir que de l’observation de la nature, de l’acquisition scientifique, du long travail de l’esprit. Il s’acquérait trop lentement au gré de la curiosité impatiente des hommes. Des imposteurs inventèrent alors la fausse connaissance, les superstitions, les fallacieux mirages du surnaturel, du merveilleux, des religions révélées ; ils versèrent ces poisons ensorceleurs à la soif des hommes. Installés eux aussi en parasites, ils devinrent le sorcier, le prêtre, le rhéteur, le jurisconsulte, l’économiste, le politicien, l’histrion et... le snob.
Suivant les temps et les lieux, les deux espèces furent alliées ou hostiles, mais toujours maitresses des hommes ; elles exercèrent le pouvoir ensemble ou séparément, lui donnant des formes diverses et changeantes, mais le fond resta le même. Aristocratiques ou démocratiques, les formes du pouvoir, si opposées qu’elles furent par définition, différèrent si peu dans leurs résultats, que souvent les peuples, excédés de la prétendue « souveraineté dont on les affublait, lui préférèrent le « bon tyran » qui ne les appelait pas « citoyens », mais leur donnait au moins à manger.
L’aristocratie est, en principe, le gouvernement des « meilleurs », des optimates, comme disait Cicéron. Elle devait consacrer la suprématie de l’élite et diriger la République idéale, rêvée par Platon, que son élève Aristote définissait ainsi : « une république administrée par plusieurs citoyens de mérite et vertueux, les meilleurs. Une république où les chefs obéissent fidèlement aux lois établies et où tout est fait en vue du bien public, grâce aux lumières et aux vertus de ses administrateurs ». Mais, en même temps, Aristote devait constater combien il y avait loin de cette aristocratie idéale à celle qui se montrait dans la réalité, soit qu’elle fût plus oligarchique ou plus démocratique, soit encore, et c’était le pire, qu’elle fût de finance. La réalité était ce qu’Oresme devait dire de l’aristocratie lorsqu’il employa ce mot pour la première fois en France, au XIVème siècle : « Une espèce de policie selon laquelle un petit nombre de personnes ont princey et domination sur la communauté ». Pouvait-il en être autrement alors que ce système et l’organisation sociale établie par lui, avaient eu leur origine dans les violences et les rapines des hommes de guerre ? L’aristocratie avait été d’abord de race, composée des vainqueurs d’une autre race. S’étant emparée du sol, elle avait formé l’aristocratie terrienne. Ensemble, elles avaient fait l’aristocratie de famille, unissant les membres des familles conquérantes au-dessus des conquis. Elles s’étaient choisi des chefs d’où étaient sortis les rois. Comment fut désigné le premier ? Sans doute comme l’a raconté Jean de Meung, dans le Roman de la Rose :
Ils choisirent, le plus nerveux,
Le plus large et gras qu’ils trouvèrent,
Et prince et seigneur l’acclamèrent.
A sa suite, s’établit la hiérarchie aristocratique qui devait atteindre sa plus complète expression dans la Féodalité, « affirmation brutale du droit du plus fort et négation complète de toute idée de justice » (Jules Andrieu). Derrière les rois, suivirent ces « grands », à qui Coquillart disait, au XVème siècle :
Sans regarder la façon et manière,
Vous courroucez tant de gens en un tas
Que par vous va ce que devant derrière.
Croissant tous les jours en puissance et en orgueil, ces aristocrates, ces « grands », ces « nobles », étaient arrivés à se convaincre que leur sang n’était pas de même couleur que celui de leurs vassaux, qu’ils étaient des produits spéciaux de la divinité, parlant et gouvernant en son nom. Les héros grecs avaient eu ainsi leur parenté dans l’Olympe, comme les Niebelungen dans le Walhall, et les pillards qui furent les premiers Romains prétendaient descendre d’Enée ou d’Hercule. Sésostris se faisait sculpter en colosse devant tous les temples d’Egypte. Alexandre, qui ravagea tout le monde connu de son temps, se donnait le titre de « roi des rois », et se faisait déifier comme issu du dieu Amon aux deux cornes. Les Djenghis-Kan, qui ont laissé, en Asie, le souvenir des plus terribles massacreurs, s’égalaient à Dieu. L’un d’eux, Kuyuk, avait un sceau avec cette formule :
« Dieu dans le ciel et Kuyuk sur la terre. »
César, bien que se disant « démocrate », prétendait être à la fois dieu et roi. De même, Octave, qui n’était pas moins démocrate, et qui se fit appeler Auguste, quand il troqua sa démocratie contre l’empire. Virgile, grand poète, mais caractère servile, a écrit l’Enéide en son honneur et lui a marqué une place dans les constellations célestes. Auguste alla plus loin en se présentant comme l’incarnation du Maître Universel ; des adorateurs se vouèrent à lui tels, aujourd’hui, ceux de l’Immaculée Conception et du Sacré Cœur. A Byzance, les empereurs se disaient Dieu lui-même. Ils apparaissaient aux foules « comme suspendus en l’air et nimbés d’une auréole ». Ceux qui les entouraient étaient des rayons de leur divinité. C’est de Byzance que sortit la monarchie de droit divin, légalisée par le code de Justinien, confondant la loi avec la volonté de l’empereur et aggravant chrétiennement le droit romain. Louis XIV, avec qui cette monarchie atteignit en France son apogée, se faisait appeler le Roi-Soleil et avait pris cette devise ridicule forgée par quelque mauvais cuistre latinisant : « Nec pluribus impar ». Napoléon, avec le concours des curés qui s’étaient mis à son service, et qui devaient le vilipender après sa chute, faisait enseigner dans les écoles un catéchisme disant que servir l’empereur c’était servir Dieu.
La puissance illimitée des monarques en a fait des fous d’autant plus dangereux, qu’ils étaient entourés de flatteurs partageant leur aberration et la répandant parmi leurs sujets. La servilité des sénateurs de Rome faisait dire à Tibère :
« Combien ces hommes sont faits pour la servitude ! »
Ronsard appelait les courtisans :
Pour un petit honneur servement acheté.
Etre bâtard d’un Louis XIV équivalait à être issu de la cuisse de Jupiter. C’était un grand honneur d’être fait cocu par le roi ou, lorsqu’il allait poser culotte, comme un simple mortel, de le suivre en portant cet objet dont l’invention a fait la célébrité de Gargantua. Napoléon Ier, qui ne dut son triomphe qu’à sa connaissance supérieure de la sottise humaine, disait à ses contemporains :
« Je vous achèterai ce que vous voudrez, mais il faut que vous soyez tous vendus. »
Quelques-uns résistaient, mais le plus grand nombre se vendait, arborant la Légion d’honneur dont Napoléon avait découpé l’insigne dans le bonnet rouge, comme les révolutionnaires renégats d’aujourd’hui le découpent dans le drapeau de l’Internationale ouvrière. Comment les puissants ne seraient-ils pas emportes par leur mégalomanie lorsqu’ils voient le monde entier à leurs pieds, dans l’adoration de leurs turpitudes ?
Sous l’influence de leur prétendue élite, il n’est pas de peuple qui ne partage l’orgueil maladif de ses maîtres jusque dans les pires aventures ; aristocrates ou démocrates les suivent aveuglément comme on l’a vu lorsqu’ils ont déclenché la pire des guerres, celle de 1914. L’impérialisme, jadis manifestation isolée des grands empires dévorateurs, est devenu permanent et commun à tous les pays, même les plus chétifs. N’a-t-on pas vu la Belgique, la « petite Belgique martyre » de la Grande Guerre, exercer sur les noirs du Congo la plus épouvantable des exploitations ? Les peuples qui se disent chrétiens sont non seulement convaincus qu’ils sont supérieurs aux autres, mais chacun prétend, à l’exemple des Hébreux et des Chinois, qu’il est « l’élu de Dieu », à l’encontre de son voisin. Le Dieu unique, universel, est subdivisé, dépecé en morceaux qui se dévorent entre eux pour satisfaire les rivalités nationalistes particulières. Pendant la Grande Guerre, il y avait le « Dieu français » et le « Dieu allemand », sans parler des autres ; leurs prêtres achevèrent d’écarteler Jésus sur sa croix. Combien, chez chaque peuple, y a-t-il d’individus réfractaires au malaxage habile de leur vanité particulière ? N’a-t-on pas vu, en même temps que des chrétiens, des pacifistes, des syndicalistes, des socialistes et des anarchistes se prendre pour des défenseurs de la liberté lorsqu’ils furent se battre pour des coffres-forts qu’on s’était bien gardé de mobiliser en même temps que leur peau ? Comme l’a constaté Gobineau, la vanité nationale dont les entrepreneurs de guerres, les Napoléon, les Poincaré, se sont servis si habilement, fait croire aux Français, depuis Louis XIV, que leur pays « marche à la tête des nations ». Les Allemands déclarent, à l’exemple d’Hegel, que « seuls ils comprennent la vérité et ont droit au titre d’hommes ». Les Anglais prétendent, avec les Cécil Rhodes et les Chamberlain, que « leur race est la première du monde et qu’elle est née pour commander aux peuples » etc… Ainsi, les fausses élites collectives correspondent aux fausses élites individuelles ; elles réunissent patriotiquement l’ivrogne illettré qui pérore devant le zinc et l’académisable M. Charles Maurras, dans le même mépris des métèques et dans l’élite du maboulisme.
Les rois, pour la plupart, n’ont laissé au monde qu’une histoire chargée de crimes et d’attentats contre les malheureux peuples qui leur ont été soumis. Leurs thuriféraires ne leur attribuent pas moins le mérite des progrès réalisés par l’humanité. L’Action Française, par exemple, se place sous l’égide des « quarante rois qui, en mille ans, ont fait la France » !... Elle semble ignorer que la France ne s’est faite que par la volonté persévérante de son peuple, malgré ces rois et le plus souvent contre eux. Elle oublie que ces rois n’eurent jamais d’autre souci que celui de leurs avantages personnels, de ceux de leurs familles et de leur caste, contre le peuple « taillable et corvéable à merci », depuis les premiers, les Clovis, les Clotaire, qui ne firent de « vastes Frances » que pour les partager entre leurs enfants jusqu’à ces d’Orléans qui votèrent la mort de Louis XVI, dans l’espoir de prendre sa place sur le trône, et dont l’héroïsme sordide a si souvent défrayé la chronique. Un Louis XIV disant : « L’Etat, c’est moi ! » se moquait autant de la France que ses dignes successeurs, un Louis XV s’écriant : « Après moi, le déluge ! », un Louis XVI faisant appel à l’invasion étrangère pour sauver sa couronne et les derniers de la famille ne retrouvant cette couronne que grâce à cette invasion. Elle oublie aussi, l’Action Française, que si la France fut sauvée de l’Anglais au XVème siècle, ce fut par Jeanne d’Arc et le peuple soulevé, mais non par le roi Charles VII allié de caste des Anglais et des Bourguignons, qui leur avait abandonné le pays et qui abandonna encore plus lâchement pour être livrée au bûcher, celle à qui il devait sa royauté. Elle oublie enfin que les derniers rois de France furent chassés par des révolutions que provoqua leur incurie. La France fut faite, contre la fausse élite des rois, des guerriers et des courtisans, parasites insatiables et malfaisants, par la véritable élite de son peuple, de ses travailleurs, de ses savants et de ses artistes... Comme disait Auguste de Thon, aux gens de Sorbonne, qui poursuivaient l’imprimeur Henri Estienne :
« Vous avez beau faire, un général qui a gagné vingt batailles et pris cinquante villes a moins fait pour la France que cet imprimeur. »
Faut-il rappeler que le moindre des défauts des rois est l’imbécillité sénile ? On voit ce que peut être cette élite des « meilleurs parmi les meilleurs » et combien leur royauté si souvent usurpée et ridicule, est celle de l’âne qui se couvrait de la peau du lion. Constatons toutefois, pour demeurer dans l’équité, que le mal s’étend à tous les chefs de gouvernements. M. Alexandre Millerand, qui s’y connait, ayant été nourri dans le Sérail, a dit :
« Le Président de la république est l’incarnation vivante, le rejeton orgueilleux des grands bandits légaux qui ont détroussé nos ancêtres par l’usure, par le monopole, par la savante mise en œuvre de tous les procédés que la loi, faite par eux, et pour eux, leur mit en main. »
Tous les régimes ont leurs « ministres intègres qui pillent la maison » et leurs « gâcheurs politiques, lesquels s’imaginent qu’ils bâtissent un édifice social parce qu’ils vont tous les jours à grand-peine, suant et soufflant, brouetter des tas de projets de lois, des Tuileries au Palais-Bourbon et du Palais-Bourbon aux Tuileries » (Victor-Hugo).
A côté de l’aristocratie de race, de terre et de famille, s’est formée, sous son aile, l’aristocratie religieuse avec ses dieux, ses prophètes, ses saints, ses beati de toutes catégories et sa hiérarchie ecclésiastique allant du pape jusqu’au dernier moucheur de cierges, tous avides de remplir leur escarcelle par l’usage du divin. L’origine de cette aristocratie est plus mystérieuse, plus invraisemblable que celle de l’autre ; elle n’en est pas plus reluisante car les turpitudes religieuses sont sans égales, mais la foi sanctifie tout. Les avatars de la vie des saints sont, comme, la Bible et toute la littérature ecclésiastique, dignes de ceux qui les ont inventés et des pauvres cervelles à qui le paradis est promis.
L’aristocratie religieuse l’emporta souvent sur son aînée dans le gouvernement des hommes, ne se contentant pas de la puissance spirituelle mais revendiquant la temporelle avec une fureur singulièrement contradictoire de sa mission de paix et d’amour. Pendant des siècles, des peuples ont été gouvernés par des prêtres, les Orientaux en particulier. Depuis des milliers d’années l’Inde est sous le pouvoir de ses brahmes qui ont organisé la hiérarchie la plus opposée à cette égalité que prêcha Çakya-Muni, précurseur de Jésus. Le brahme, même mendiant, est supérieur aux rois, tandis qu’en bas la masse du peuple appelée « diables », « pourceaux », « chiens », subit la condition la plus misérable qu’on vît jamais. Les Egyptiens, les Hébreux, eurent des gouvernements religieux. Chez les Etrusques, ancêtres des Romains, les prêtres appelés « lucomons » terrorisaient ce peuple excessivement superstitieux. A Rome, la puissance des prêtres domina toujours les pires tyrans. Il n’est pas d’exemple plus caractéristique de ce que peut produire collectivement le fanatisme religieux que le soulèvement guerrier des Arabes, peuple de pâtres, d’agriculteurs, de marchands essentiellement pacifiques, entraînés par le mahométisme à conquérir en dix ans un empire plus étendu que celui de Constantinople.
Les crimes des religions dépassent ceux des empires. L’histoire antique est pleine des guerres et des sacrifices humains qu’exigeaient des Moloch et des Jéhovah sanguinaires. Plus près de nous, l’Inquisition qui se manifeste encore chaque fois qu’elle en a l’occasion, est l’illustration la plus terrifiante de ce que « l’amour du prochain » peut comporter de haine et de cruauté de la part d’individus hors nature. Aux violences guerrières, les prêtres ont ajouté l’hypocrisie sacerdotale et la casuistique qui absolvent tous les dévergondages. La Renaissance a vu, avec les papes, les pires cruautés et les plus dégoûtantes débauches. A l’exemple des empereurs romains et des premiers rois de France, la plupart des papes n’arrivèrent au trône que par le poison et le meurtre : ils faisaient, avec leurs évêques, le commerce le plus impudent des choses, de la religion. Ils tiraient même profit de la prostitution et Sixte IV lui faisait payer patente. Des évêques disaient publiquement : « J’ai deux bénéfices qui me valent trois mille ducats par an, une cure qui m’en donne cinq cents, un prieuré qui m’en vaut trois cents, et cinq filles dans les lupanars du pape qui m’en rapportent trois cents cinquante ». (A. Castelnau. La Renaissance italienne.) Comme les prêtres de Cybèle dans la Rome de la décadence, les prêtres catholiques vendaient des indulgences pour toutes sortes de fautes. Ils faisaient tous les métiers, entre autres celui d’entremetteur d’amour ; non seulement ils favorisaient l’adultère, mais ils autorisaient les avortements et procuraient des avorteuses qu’ils allaient chercher dans des couvents (Machiavel, La Mandragore). Ronsard a dépeint dans son Discours à des-Autels, l’Eglise :
Toute pleine d’écus, de rente et de domaine.
Ses prélats :
Veneurs, et fauconniers, et avec la paillarde
Perdent les biens de Dieu, dont ils n’ont que la garde.
C’est à propos de cette époque de la Renaissance que Gobineau a écrit ceci :
« Il est assurément fâcheux que les basses classes d’une nation soient énervées et n’aient plus devant les yeux la considération d’aucun devoir ; mais il est bien plus déplorable encore de voir les classes supérieures de la société devenues complètement incapables de tenir leur rang et de servir au peuple de directrices et de guides. »
Ce jugement est applicable à tous les temps et à toutes les classes prétendues supérieures. Dans la « vieille France », que regrettent les dernières douairières bien qu’elles aient trouvé des emplois dans la République, les abbés de cour partageaient avec les mousquetaires le cœur et la bourse des dames sentimentales et faciles. Les Mémoires des XVIIème et XVIIIème siècles sont pleins de récits de la vie scandaleuse d’une élite oisive, prétentieuse, insolente, dont les personnages les plus considérables vivaient ouvertement de la prostitution de leurs femmes ou de leurs maîtresses et du jeu. Figaro pouvait constater ironiquement que cette aristocratie sans honneur et sans pudeur n’avait même pas les vertus qu’elle exigeait de ses domestiques.
Ce fut l’Eglise qui suscita les Croisades, entreprises de rapine qu’elle dirigea comme en 1900 le pillage de la Chine. En 1095, Urbain II prêchait déjà la croisade comme une expédition coloniale de nos jours ; « elle devait ouvrir des débouchés aux populations trop à l’étroit chez elles et dépourvues de richesses ». Alexis Comnène, empereur de Byzance, faisant appel au nom de l’Eglise aux barons d’Occident, disait : « Que leur cupidité soit tentée par l’or et l’argent détenus en abondance par les infidèles, qu’ils songent à la beauté des femmes grecques ! » Toutes les entreprises contre les « hérétiques » eurent avant tout des motifs de pillage. Innocent III, commandant la Croisade des Albigeois, promettait le partage des biens de Raymond de Toulouse. Les Templiers, trop riches, furent victimes de la cupidité conjointe de Philippe le Bel et de l’Eglise. Les rois et les prêtres s’enrichissaient des dépouilles des victimes de l’Inquisition, de la confiscation des biens des protestants, de la traite des noirs et d’autres brigandages aussi productifs que pieux.
L’Eglise a exprimé l’élite de sa pensée lorsqu’elle a formulé son idéal de monarchie universelle en ces termes :
« Une foi, une loi, un roi ! »
C’est le programme qu’elle poursuivit avec l’Inquisition ; si elle avait réussi, c’en eût été fini de la pensée humaine, et de toute véritable élite.
Mais l’aristocratie la plus puissante est celle de l’argent ; elle continue, en l’amplifiant, l’œuvre néfaste des autres. Elle confère les avantages de l’élite à qui n’en a même pas les apparences ; elle réalise l’égalité dans le puffisme et la sottise. Avec elle, savoir, talent, travail, intelligence, éducation, sentiment, tout disparaît devant la richesse. Le veau d’or est son symbole ; Ubu-roi est son grand homme. Elle s’est formée et développée surtout dans les démocraties comme la rançon de l’impudence démagogique. Elle a commencé par se confondre avec l’aristocratie guerrière en achetant des propriétés et des titres. Molière a parlé de ce paysan qui, ayant acquis une terre,
Et de Monsieur de L’Isle il prit le nom pompeux.
C’est ainsi que nombre de manants parvenus devinrent « gentilshommes », entrèrent dans « l’élite de la société », en reniant leurs pauvres diables de parents. De la même façon, on voit maintenant un quelconque Martin, succédant à un non moins quelconque Fouillopot dans la savonnerie ou les engrais, devenir Martin de Fouillopot.
L’aristocratie de l’argent est arrivée, dans la lente mais persévérante progression de la bourgeoisie, à se soumettre les autres aristocraties. Un Charles Quint était sous la dépendance financière des grands. banquiers, les Doria de Venise, les Welser et les Fugger d’Augsbourg. Aujourd’hui, les banquiers sont les maîtres incontestés du monde ; les empereurs, les rois, les présidents de républiques, les ministres, toute l’élite officielle de la politique, de la science, des arts, de l’armée, de l’église, des salons, n’est composée que de pantins dont ils tirent les ficelles. Le pape lui-même est un personnage plus important comme actionnaire de la Banca di Roma que comme représentant de Dieu sur la terre. L’ancienne noblesse, déplumée depuis 1a Révolution française, a souvent redoré son blason en se mésalliant à la fille du bonhomme Poirier ou de quelque marchand de cochons de Chicago. Ducs, comtes, marquis, barons, ont perdu leur insolence devant les Jourdain, les Mercadet, les Thénardier, les Lechat, ceux-ci leur faisant l’honneur de les acheter comme gendres et de les admettre comme « pièges à gogos » dans les conseils d’administration de ces entreprises d’escroquerie que sont la plupart des sociétés financières. Si l’on n’a pas réalisé la fusion des classes qui sera l’œuvre de la véritable élite, on a fait celle des aristocraties dans les démocraties où les anciens traîne-savates, enrichis par les tripotages politiciens, forment avec les fils des preux ralliés à la « gueuse », cette « aristocratie républicaine » chère à M. Thomson. Ainsi, le « socialiste » Isidore Lechat se découvre, avec le marquis de Porcellet, une parenté remontant aux Croisades et, s’il jeta jadis « le Christ à la voirie », il fait aujourd’hui communier pieusement ses enfants.
La Grèce antique a fait les expériences les plus caractéristiques des deux formes de gouvernements, aristocratique et démocratique. Elle les a vues périr toutes deux des vices de leurs prétendues élites.
A Sparte, ce fut l’aristocratie. Il n’yen eut jamais de plus orgueilleuse et de plus barbare. Vainqueurs des Laconiens dont ils avaient envahi le pays et qu’ils avaient réduits en esclavage, les Spartiates n’avaient d’autre métier que la guerre. Les lois de Lycurgue les y entraînaient dès l’âge de sept ans, les excitant à la violence et à la rapine. Elles leur interdisaient d’apprendre à lire ; par contre, suivant la légende, un renard volé et caché sous le vêtement d’un petit spartiate pouvait lui ronger la poitrine sans qu’il poussât un cri qui l’aurait dénoncé. Les Ilotes travaillaient pour les vainqueurs qui apprenaient à leurs enfants à mépriser et à battre ces esclaves dont on tuait les plus forts et les plus beaux. Sparte succomba dans l’épuisement de cette aristocratie sanguinaire et stupide.
Athènes fit l’expérience de la démocratie. Si cette cité fut incomparablement grande par ses philosophes et ses artistes, elle fut abaissée politiquement au niveau de Sparte par son parti appelé des « meilleurs ». Le chef de ce parti, Dracon, est représenté dans l’histoire comme le premier organisateur démocratique, parce qu’il unifia la barbarie de la législation contradictoire des eupatrides et appliqua la peine de mort à tous les délits. A vingt-cinq siècles de distance, nos actuels pourvoyeurs de bagne et de guillotine continuent le « démocratisme » de Dracon. Sa législation montra la voie à celle de la République romaine d’où sortit ce « droit romain » que Cicéron trouvait déjà suranné de son temps, mais qui inspira le code aristocratique de Justinien et que Napoléon 1er alla chercher pour faire le Code français… Sa législation étant le fondement des sociétés, on voit par ces faits combien est illusoire la distinction entre aristocratie et démocratie. En 1876, par exemple, il eût suffi du déplacement d’une voix, lorsque la Constitution de la IIIème République française fut votée, pour qu’elle devînt la Constitution d’une royauté sans que rien n’y fût changé. Sous cette IIIème République, la liberté individuelle n’a pas plus de garanties que sous Louis XIV et on use encore contre elle de lois antérieures à la Révolution. (Voir Liberté) Néron, dont Châteaubriand a célébré l’aristocratie, appuyait sa puissance impériale sur une véritable ochlocratie, celle de la populace du cirque qu’il flattait par la plus basse démagogie. L’histoire, qui célèbre le « démocrate » Dracon et n’est pas loin de considérer avec dédain le sage Solon, présente aussi comme des triomphes de la démocratie les dictatures militaires d’un César et d’un Napoléon qui établirent leur gloire sur des millions de cadavres, tout comme les Sésostris, les Alexandre, les Djenghis Khan, les Attila, les Charlemagne, les Barberousse, les Charles Quint et les Louis XIV.
Du parti démocratique des « meilleurs » sortit aussi le tyran Pisistrate ; il poussa les Athéniens à l’abandon de leurs libertés pour tourner leur ambition vers la formation d’une « Grande Grèce », aux dépens des peuples voisins. M. Mussolini, qui prétend donner aujourd’hui une nouvelle formule de la démocratie en réalisant la « Grande Italie », n’a rien inventé. Les guerres qu’Athènes entreprit alors, le pillage des trésors de la Perse par Alexandre, lui apportèrent cet enrichissement qui la conduisit à sa décadence et à sa perte. La liberté fut étouffée sous l’argent. Comme l’écrivait Démosthène : « Des enrichis achetaient toutes les terres, tandis qu’à côté d’eux le plus grand nombre des citoyens n’avaient plus même la vie du lendemain assurée ». Démosthène dut s’empoisonner pour mourir libre. Ce fut le temps où, reniant honteusement la pensée de Socrate et de Platon, abandonnant les arts et prostituant les artistes, les Athéniens livrés à la débauche disaient « C’est l’argent qui fait l’homme ! » Formule fatale qui fut leur « Mané, Thécel, Pharés », et celui de bien d’autres peuples. Elle fut celui des Romains de la décadence, des Néron, de leurs gitons, des plumitifs, prostituées et autres parasites qui leur faisaient escorte. Pétrone a dépeint cette élite faisandée dans son Satyricon. L’Espagne subit la même décadence lorsque, gorgée des richesses du Nouveau Monde, elle se laissa aller à une oisiveté voluptueuse qui la conduisit à l’état d’ignorance et de passivité fanatiques et sauvages où la tiennent encore le roi, le moine et le torero.
Plus que jamais, de nos jours, on considère que « c’est l’argent qui fait l’homme ». Les enrichis, qui ont ramassé leurs fortunes dans les misères de la guerre, enseignent à leurs fils que :
« Les hommes les plus importants sont les millionnaires, étant donné que l’argent procure la puissance et domine le monde. »
Avec leur argent, ils achètent tout, et surtout les consciences de ceux qui, par leur savoir, leur talent, leur situation, devraient réagir contre cette souveraineté des bas-fonds. « Elite du rebut et rebut de l’élite », ainsi les a marqués M. Michel Georges Michel. Sous l’influence des nouvelles couches que leur envoie la mercante internationale et qui sortent des milieux les plus interlopes, assurés de l’impunité par la complicité des hommes de loi, l’imbécillité des foules et la lâcheté de leurs victimes, ils perdent de plus en plus toutes qualités, même celte politesse qui rendait l’ancienne aristocratie supportable, pour afficher une insolente goujaterie. Ils forment « la Confrérie des Puissants », comme a dit J. de Pierrefeu. Non seulement ceux qui ne se sont pas enrichis sont à leurs yeux de méprisables imbéciles, mais ce sont aussi des malfaiteurs dangereux, et les magistrats le font bien voir aux pauvres diables traînés devant eux, n’ayant pu fournir la caution nécessaire pour éviter la prison en attendant un non-lieu libérateur et une décoration réparatrice : ils appliquent le « Vae Victis ! » de l’antiquité, le « silence aux pauvres ! » des répressions bourgeoises, avec une cruauté multipliée.
Il y a une autre prétendue élite qui, si elle n’est pas si puissante et si directement malfaisante que les hommes de guerre, d’église et d’argent, n’en assume pas moins la plus grande part de responsabilité dans leurs méfaits. C’est celle des « intellectuels » qui ont mis la pensée au service de la force, du mensonge et de la richesse, qui ont accepté d’être le cerveau de la malfaisance, de légitimer la force en la légalisant, de donner au mensonge la figure de la vérité et de se faire les prêtres du Veau d’Or. Nouveaux courtisans, ces empoisonneurs de l’esprit, ces flagorneurs de la puissance, sont descendus au rang de cette valetaille qui « applaudit toujours à l’orgie des maîtres quand ceux-ci laissent du vin dans les bouteilles » (Claude Tillier). Ils ont vendu la science qui devait soulager l’effort des hommes et guérir les souffrances de leur corps ; ils ont souillé d’argent l’art qui devait embellir la vie de tous en leur dispensant les joies pures de l’esprit ; ils trafiquent de tout ce qui devait être source de liberté, de bien-être et de bonheur humains. Ils ont fait de l’intelligence la pourvoyeuse de la servitude. Ils l’ont enfermée dans leurs temples, leurs écoles, leurs casernes, leurs laboratoires, leurs musées, leurs boutiques ; ils lui ont coupé les ailes, ont maquillé son visage, l’ont coiffée de perruques, de casques, de plumes, de bonnets carrés, ronds ou pointus, lui ont mis sur le nez des bésicles, sur le dos des uniformes de toutes les couleurs et des robes de tous les pelages, dans les mains des sabres, des goupillons, des codes, de pustuleux grimoires, tout l’arsenal de l’iniquité et des maléfices. Ils ont livré la science aux rhéteurs, aux savantasses, aux cuistres, aux charlatans, aux morticoles, aux « abstracteurs de quintessence », aux porteurs de reliques, aux inquisiteurs de la pensée, aux conservateurs de la sottise, aux Janotus, aux Brydoie, aux Perrin Dandin et aux Diafoirus. Ils ont fait de l’art la proie des histrions, des cabotins, des négriers de la plume, du ciseau et du pinceau, des rapetasseurs des talents éculés, des « charretiers qui ont de la besogne quand les princes bâtissent » (Schiller à propos de Kant et de ses éditeurs) , des « choucas qui fientent sur les frises du Parthénon » (L. Tailhade), des académiciens qui ont officialisé la sottise et lui ont fait un piédestal de haine contre la vie et la beauté. (Voir les mots : Art, Beaux-arts, Littérature, Musique.)
Tout ce monde a mis l’idéal en bouteilles, en pilules, en pommades, en a fait des orviétans dont il tient comptoir comme les prêtres de leur Dieu. C’est cette tribu ignorantifiante qui obligea Socrate à boire la ciguë, envoya au bûcher les hommes et les livres non respectueux de son orthodoxie, fit le procès de Galilée, et condamna d’abord le cartésianisme devenu aujourd’hui la citadelle de son spiritualisme. C’est elle qui faisait encore enseigner dans les écoles, au temps de Stendhal enfant, le système céleste de Ptolémée qu’elle savait faux, qui s’est moquée des inventions les plus remarquables, la photographie et le phonographe par exemple, et traitait Daguerre et Edison de mystificateurs, qui déclarait gravement qu’il n’y aurait pas assez de fer pour faire des chemins de ce nom (M. Thiers), et qui, encore de notre temps, proscrit les théories darwiniennes au profit des stupidités bibliques. Les bibliothèques sont pleines de l’histoire de cette sottise triomphante sanctionnée de sanglantes persécutions.
La prétendue élite intellectuelle a continué, depuis La Renaissance, les traditions établies par l’esprit d’individualisme qui détacha les hommes de pensée et les artistes du peuple au milieu duquel ils avaient vécu pendant le Moyen-âge. De plus en plus étrangère à la vie générale, s’écartant systématiquement de toutes les véritables sources d’humanité, cette élite ne pouvait trouver son élément que dans les formes arbitraires et conventionnelles des sociétés aristocratiques. Elle eut un idéal de plus en plus rétréci, cantonné dans les puérilités de « l’art pour l’art » quand elle ne s’abaissa pas à mentir à ses destinées naturelles pour se mettre au service des Puissants.
Plus réaliste depuis 1914, mais pas mieux inspirée, la jeunesse intellectuelle d’aujourd’hui s’embarrasse peu de « l’art pour l’art » et encore moins de certains scrupules sociaux manifestés par le snobisme anarchiste de 1894 et les intellectuels qui prirent parti « pour la justice » lors de l’affaire Dreyfus. Maintenant, la justice, comme la vérité et la bonté, est une vieille balançoire humanitaire qui fait sourire un monde où ne compte plus que la force. Cette jeunesse déclare « qu’elle n’est pas plus fière que ça d’appartenir à la bourgeoisie », mais elle reste avec elle parce qu’elle est encore la plus forte et qu’elle lui procure une vie facile et agréable. Dépourvue de scrupules, elle obtient par l’intrigue, à défaut du savoir, les diplômes et les situations de médecins, d’avocats, de professeurs, de magistrats, d’ingénieurs, qui lui permettent de se livrer impunément au sabotage social pour vivre dans le luxe en soutenant sa classe, celle des hommes d’argent.
Aussi peu artistes que possible, ces jeunes sont chasseurs de médailles et de prix littéraires, poulains dans les écuries des gros marchands et éditeurs, lécheurs de braguettes académiques, flatteurs des « chers maîtres », réclamistes, esbroufeurs, écornifleurs. Tout en affichant une dignité grotesque, ils font les plus basses besognes pour une décoration ou une commande de l’Etat et, pour garder le « ton » de l’élite, ils sont royalistes, fascistes, catholiques, voire pédérastes et cocaïnomanes.
La fausse élite a établi son règne sur le parasitisme qui méprise le travail mais vit à ses dépens. Elle est 1e lys qui ne sème ni ne tisse, la mouche du coche et le frelon dans la ruche sociale. Il a fallu attendre cinquante ans de République démocratique pour qu’on eût l’idée, en 1924, de mettre à l’ « honneur », pour la première fois, un ouvrier manuel, un de ceux salis qui cette élite orgueilleuse en serait vite réduite à brouter ses excréments. Or, quel fut cet honneur ? Celui de ce ruban rouge qui distingue les « meilleurs » des parasites, et le malheureux esclave qui accepta ça se crut en effet honoré!...
Comment l’humanité n’a-t-elle pas disparu sous la direction multiséculaire de pareilles élites ? C’est qu’à côté d’elles, et contre leur œuvre de mort, s’est manifestée, toujours renaissante, toujours ardente malgré les persécutions, la véritable élite, celle de la vie. La fausse élite a triomphé, aux acclamations des foules inconscientes, sur les charniers et dans des apothéoses de sang et de sottise ; la véritable élite, bafouée, traquée, mutilée, — trop souvent, hélas, par ceux qui auraient dû la défendre — a construit obscurément mais inlassablement l’œuvre d’amour et de beauté qui protège la vie contre ses dévorateurs et ses fossoyeurs. Ils sont à elle les hommes qui ont gardé la pureté de leurs conscience, n’ont pas voulu se vendre, ont lutté, souffert, sont morts pour avoir crié la vérité, dénoncé le crime, protesté au nom de la liberté et de la dignité humaines, défendu la pensée et l’art, opposé à la royauté égoïste des privilégiés les droits de l’humanité tout entière. C’est elle qui a suscité tous les cœurs généreux, les caractères indomptables qui se sont dressés contre l’arbitraire, ont donné l’exemple de la résistance à l’oppression dont le mythe de Prométhée en révolte contre les dieux symbolise le premier effort, et qu’ont continué les Ilotes revendiquant la « dignité de citoyens », les Bagaudes, les Jacques, les Gueux, les Camisards, les Sans-culottes, les Quarante-huitards, les Communards, toutes les foules héroïques que l’histoire, courtisane de la puissance, a cherché vainement à ridiculiser et à flétrir. Elle a été, et elle est toujours, la phalange sacrée des hérésiarques, des réfractaires aux « convenances sociales », des précurseurs dont Elisée Reclus a dit :
« Chaque individu nouveau qui se présente avec des agissements qui étonnent, une intelligence novatrice, des pensées contraires à la tradition, devient un créateur ou un martyr ; mais heureux ou malheureux, il agit et le monde se trouve changé. »
Dans tous les milieux et dans toutes les formes de l’activité humaine, la véritable élite peut et doit se manifester, exercer son influence. Mais c’est surtout dans le domaine social, dans la lutte pour le bien-être et pour la liberté que nous devons être attentifs à elle, provoquer ses manifestations, la soutenir, l’encourager de toutes nos forces et non la railler et la réduire au désespoir comme il arrive encore trop souvent. Car la vieille femme qui apportait son fagot au bûcher de Jean Hus n’est pas morte. Tous les jours, la foule ignorante rive ses propres chaînes et ses exploiteurs continuent à se frotter les mains en murmurant :
« Sancta simplicitas ! »
Est de l’élite tout individu qui ne suit pas l’ornière commune où se traînent tous les préjugés avec toutes les rancœurs et toutes les résignations. Est de l’élite celui qui cherche à s’instruire, à voir la vérité sur la condition humaine, à comprendre d’où vient le mal social et à lui porter remède. Est de l’élite celui qui s’efforce d’instruire les autres, qui recherche avec eux les moyens de la libération commune et pratique la solidarité dans l’équité et la bonté. Est de l’élite celui qui prépare la révolution des cerveaux et des bras, de l’intelligence et des cœurs, pour échapper à la dictature parasite, renverser les idoles, briser les chaînes et fonder la société où la justice .règnera pour tous les hommes. « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », dit la charte du prolétariat. Cette émancipation ne sera pas le produit d’un coup de baguette magique qui fera se redresser brusquement les échines courbées sous l’esclavage. Elle sera l’œuvre des efforts individuels réunis dans l’effort de tous. Elle sortira de la formation intelligente et énergique d’une élite prolétarienne qui remplira d’autant mieux son devoir envers sa classe, sera d’autant moins encline à la trahir et à passer du côté de ses ennemis, qu’elle sera plus nombreuse et plus instruite, plus soutenue par ceux dont elle sera l’interprète et plus encouragée par la certitude de la réussite. Il n’est aucun travailleur qui ne puisse, par son effort si modeste soit-il, prendre sa place dans cette élite de pionniers défricheurs de la vie nouvelle, car plus que de science, il y faut du cœur et du dévouement. Il faut commencer par acquérir, en soi, le sens et la volonté inébranlable de sa propre liberté ; il faut ensuite s’employer à éveiller ce sens et cette volonté chez les autres. Alors, ne portant plus en lui des espoirs vains, des énergies inutiles, qu’il use lamentablement dans sa solitude et dans ses querelles intestines ; ayant foi dans son élite qu’il n’abandonnera plus aux bêtes et qu’il soutiendra de toutes ses forces : le prolétariat sera capable de s’émanciper. Alors, il pourra remplacer l’infamie d’un Ordre social où ne règnent que la violence et le mensonge par l’harmonie que propose à tous les hommes de bonne volonté l’Anarchie libératrice.
— Edouard ROTHEN.
ELOQUENCE
n. f. (du latin éloquentia formé de e, de loin ; loquor, je parle)
« Achète ce qu’il y aura de meilleur au marché », avait dit Xanthus à Esope ; et Esope n’acheta que des langues. A l’étonnement de son maître, l’esclave répondit : « Qu’y a-t-il de meilleur que la langue ? C’est le lien de la vie civile, la clef des sciences, l’organe de la vérité et de la raison ; par elle on bâtit des villes et on les police, on instruit, on persuade dans les assemblées ; on s’acquitte du premier de tous les devoirs, qui est de louer les dieux » — « Eh bien, « reprit Xanthus, demain, tu m’achèteras ce qu’il y a de pire » ; et Esope apporta des langues, affirmant qu’il n’y avait rien de pire au monde ; « C’est la mère de tous les débats, la nourrice de tous les procès, la source des divisions et des guerres ; si elle est l’organe de la vérité, c’est aussi celui de l’erreur et, qui, pis est, de la calomnie. Par elle on détruit les villes ; si d’un côté elle loue les dieux, de l’autre elle est l’organe du blasphème et de l’impiété ».
De même que les langues d’Esope — et du reste ne se rattache-t-elle pas à la langue ? — l’éloquence est la meilleure et la plus mauvaise des choses, Car elle est l’art de bien parler, de s’exprimer avec facilité. « L’éloquence est la reine du monde » a dit Montesquieu. C’est une reine en vérité qui traîne derrière elle le fardeau de tous les crimes qu’elle a engendrés et qu’elle engendre encore.
L’éloquence est un art qui remonte à l’antiquité. Elle fut florissante en Grèce avec Périclès et Démosthène, à Rome avec Cicéron.
Le christianisme donna naissance à un nouveau mode d’éloquence : l’éloquence de la chaire ; et si les anciens divisaient l’éloquence en trois genres : le genre démonstratif ; le genre délibératif et le genre judiciaire, les modernes la divisent en cinq branches différentes, à savoir : l’éloquence de la chaire ; l’éloquence de la tribune ; l’éloquence du barreau ; l’éloquence académique et l’éloquence militaire.
L’éloquence est un facteur de popularité. Celui qui sait bien dire émeut et persuade et la foule, qui se laisse conduire plus par ses sentiments que par sa raison, est sensible à la belle parole. « La manière de donner vaut mieux que ce que l’on donne », dit un vieux proverbe ; ne pourrait-on ajouter que bien souvent : « La manière de dire vaut mieux que ce que l’on dit » ? C’est du reste ce qui explique que des hommes incapables et ignorants, ou sensiblement intéressés et dénués de tous scrupules, mais merveilleusement doués en ce qui concerne l’art de parler, occupent les plus hautes fonctions et trompent leurs semblables sur leurs qualités ou sur leurs aspirations réelles.
L’éloquence exerce une telle influence sur le peuple, que de tous temps des hommes s’exercèrent à la pratique et à se perfectionner en cet art. Sans l’éloquence, Démosthène serait resté plongé dans l’obscurité, puisque malgré ses profondes études, lorsqu’il se présenta au peuple pour la première fois, son bégaiement naturel et l’imperfection de sa diction provoquèrent les huées de la populace. Ce n’est que lorsqu’il eut perfectionna sa déclamation, se livrant à des exercices d’articulation, en mettant, affirme-t-on, des petits cailloux dans sa bouche, qu’il reparut a la tribune, à l’âge de vingt-sept ans, et qu’il obtint un immense succès.
« On ne devient pas, on naît orateur », disait deux siècles plus tard, le plus éloquent des orateurs romains : Cicéron. Démosthène, par son exemple aurait démenti cette affirmation, car si l’éloquence exige certaines qualités particulières, elle se travaille pourtant et ce serait une erreur de penser que seul un petit nombre d’élus sont capables de s’exercer à cet art.
Si l’éloquence a soulevé des populations, si elle fut un facteur d’évolution, si elle déchaîna parfois l’enthousiasme des foules et provoqua des révoltes fécondes, elle fut aussi, et est encore, une arme terrible au service de l’erreur et des forces de réaction et de domination sociale. Grâce à elle, l’Eglise put, durant des siècles, tenir courbés sous son joug des millions et des millions d’êtres humains ; grâce à elle, les nouvelles religions politiques poursuivent leur œuvre d’asservissement, de contrainte et d’exploitation.
La définition que nous donne La Harpe, de l’éloquence, nous paraît complètement fausse : « L’expression juste d’un sentiment vrai », nous dit-il. Erreur. Il y a l’éloquence du cœur, de l’âme, mais il y a également l’éloquence de l’esprit, l’éloquence du comédien, qui ne traduit aucun sentiment réel et vivace et n’est qu’un moyen pour dominer, pour étendre sa puissance, pour gouverner, pour diriger les hommes et s’en servir à des fins inavouables et inavouées.
L’éloquence : « l’expression juste d’un sentiment vrai » ? Allons donc ! L’éloquence judiciaire n’est-elle pas là pour dénoncer cette définition ? La séduction, la richesse imaginative d’un Henri Robert, un des maîtres incontestés du barreau de Paris, est-elle le fruit d’un état d’âme et l’expression d’un sentiment profond, lorsque dans le prétoire, il défend le criminel, « la veuve ou l’orphelin » ? Mais non : simple gymnastique intellectuelle ou vocale où l’éloquence de l’avocat, quelle que soit la cause qu’il défend, n’est destinée qu’à attirer l’attention du public et à obtenir ses applaudissements, comme l’artiste sur la scène d’un théâtre quelconque.
L’éloquence politique d’un Briand, dont la voix grave, mélodieuse, émotive, a monté toute la gamme du concert social, est-elle inspirée par un désir de paix, d’amour, d’humanité ? Non pas ; mais simplement par le désir de s’élever au dessus de ses semblables et de paraître le surhomme parmi les hommes. L’éloquence tapageuse d’un Millerand ne fut-elle pas aussi nuisible à Saint-Mandé qu’à Ba-ta-clan, et celle d’un Poincaré n’est-elle pas une des nombreuses causes dé l’ignoble carnage ?
Il est pénible de constater et de reconnaître que l’éloquence sincère, l’éloquence accidentelle, intermittente est presque toujours écrasée par le talent oratoire d’un professionnel de la tribune, et que le malheureux qui, dans des élans d’amour et d’humanité, laisse son cœur s’échapper est réduit à l’impuissance par l’orateur fougueux qui n’ignore rien de toutes les subtilités de l’éloquence.
Les humains se laissent conduire par des mots.
Aussi regrettable que cela puisse être, cela est cependant, et qu’on le veuille ou non, on est bien obligé de composer avec les erreurs humaines ; aussi faut-il apprendre à dire ces mots, à les assembler proprement pour développer nos idées et les traduire éloquemment devant ceux que l’on veut convaincre.
C’est une faute grave de penser que seules la sincérité et la bonne foi peuvent faire échec à l’imposture et au mensonge. Un mensonge bien dit est plus éloquent, hélas, qu’une vérité mal interprétée. S’il en était autrement, la société bourgeoise aurait vécu.
Sachons être éloquents, apprenons à parler. Sans jouer les comédiens, sachons convaincre, par la parole, par le geste, par l’attitude, les auditoires qui nous écoutent et qui ne demandent qu’à comprendre. Notre éloquence révolutionnaire, à laquelle on peut ajouter l’espérance vivace de voir un jour se réaliser un monde meilleur, aura bien vite raison de l’éloquence pernicieuse de tous les forbans, de tous les tribuns qui, sur les tréteaux de la politique asservissent et exploitent un art qui eut dû rénover l’humanité.
La prêtraille qui, durant des siècles, a par la parole fait trembler des millions de pauvres êtres ignorants s’efface aujourd’hui, devant la puissance de la science ; l’éloquence de la chaire s’épanouissant avec Bossuet, Fléchier, Lacordaire, etc., etc., s’est irrémédiablement éteinte, et sa flamme ne s’allumera plus. Il faut maintenant s’attaquer à l’éloquence politique aussi néfaste que la précédente. L’éloquence ne peut être une source de bienfaits que si elle répond aux besoins matériels et moraux de l’homme et si elle n’est pas animée par un esprit de lucre et d’intérêts particuliers.
C’est là la seule éloquence bienfaisante, saine, raisonnable, logique, et elle triomphera, car il n’est pas possible qu’elle soit vaincue.
ELUCIDER
verbe (du latin elucidare ; de lucidus, clair)
Rendre clair ; rendre lucide. Elucider une question ; élucider un sujet ; élucider une idée ; élucider un texte ; élucider un passage, etc., etc...
Tout ce qui touche au travail de l’esprit nous arrive parfois entouré d’un nuage obscur ; c’est ce nuage qu’il faut éloigner, écarter, pour rendre intelligible le sujet qui nous occupe. Qu’il s’agisse d’un thème philosophique, d’un problème de mathématique ou d’une idée sociale, chaque fois qu’une chose ne nous paraît pas claire, nous nous livrons à l’élucidation de cette chose pour pénétrer le secret qu’elle nous cache. Une fois ce travail accompli, ce qui nous semblait entouré de mystère nous paraît lumineux.
Souvenons-nous du conseil de la fable : « Sans un peu de travail, on n’a pas de plaisir », et lorsqu’il nous arrive, penchés sur un texte ou un passage, de ne pas en saisir toute la valeur, ne jetons pas le livre en le déclarant impropre ou incompréhensible. Cherchons, au contraire, à pénétrer la pensée de l’auteur en élucidant ce que nous ne comprenons pas et nous serons payés de notre fatigue par la joie de découvrir et d’apprendre.
Faisons de même pour tout ce qui nous entoure et ne taxons pas de ridicules avant de les avoir approfondies, les idées que l’on nous présente. Celles-ci peuvent souvent être rendues lucides avec un peu de patience et de bonne volonté.
ELUDER
verbe (du latin eludere, se jouer de)
Eluder est l’art d’éviter avec adresse une question ou un sujet embarrassant. Il est des hommes qui sont passés maîtres en cet art et qui échappent à toutes les difficultés de ce genre. Eluder des promesses est devenu un jeu d’enfants pour les politiciens de tout grade et de toute couleur et c’est également avec une remarquable sérénité qu’ils éludent les reproches mérités qu’on pourrait leur faire.
Faites une proposition gênante à un parlementaire.
Avec grâce, doigté, et tout en affectant de vous écouter avec sympathie et intérêt, il s’écartera petit à petit de la proposition par un jeu de détours intelligents et, en fin de compte, ne répondra nullement à votre question. Il aura évité le fossé dangereux. Votre parlementaire est un éludeur.
L’action d’éluder se pratique également sur une grande échelle au barreau, et l’avocat cherche toujours à éluder ce qui est contraire à l’intérêt de son client. En général, on cherche toujours à éluder ce qui nous gêne, mais, cependant, il est des sujets qui ne sont pas éludables et qui, tôt ou tard, s’imposent. La question sociale est de ceux-ci. Des deux côtés de la barricade, du côté des travailleurs comme du côté du capital, on a longtemps négligé l’âpreté de la lutte ; aujourd’hui, ce n’est plus possible, les événements ne le permettent pas et il faut prendre position. La question sociale ne peut plus être éludée, car la bataille entre les opprimés et les oppresseurs devient d’heure en heure plus serrée et tous y seront entraînés de gré ou de force.
EMANATION
n. f. (du latin emanatio, effusion)
Action par laquelle les substances volatiles se détachent des corps animaux, végétaux ou minéraux et dégagent des fluides impondérables sans qu’aucune décomposition n’apparaisse sur les corps qui les produisent.
Toute odeur est le produit d’une émanation et il est des émanations qui sont dangereuses. Les fleurs dégagent des émanations.
Au sens figuré, l’émanation est la conséquence, l’effet d’une chose, d’un objet, d’un sujet. Emaner signifie tirer sa source de, tirer son origine de. La liberté émane de la volonté, du courage et de l’éducation des hommes. L’émancipation est l’émanation de la lutte entre les maîtres et les esclaves.
EMANCIPATION
n. f. (D’origine latine, de emancipatio, provenant du radical mancipium, esclave)
Emanciper quelqu’un, c’est lui enlever le joug qui l’asservissait, le rendre libre, dégagé de toute servitude. S’émanciper, c’est se libérer, se dégager par ses propres efforts. Le mot émancipation signifie le passage de l’état d’asservissement à celui de liberté, l’acte de libération d’un individu, d’une nation, d’une classe.
EMANCIPATION DES MINEURS
Les enfants des deux sexes sont, par la morale courante, et encore plus par le Code, sous la dépendance étroite et l’autorité absolue des parents et surtout du père. Combien de fois les parents s’imaginent que la tutelle naturelle qu’ils doivent remplir vis-à-vis de leur progéniture leur donne des droits absolus non seulement sur le présent, mais sur l’avenir de celle-ci ? S’il est normal que l’enfant ait besoin d’être instruit, conduit, guidé, autant qu’aimé et choyé, c’est outrepasser les conditions naturelles de relations entre parents et enfants que de transformer la tutelle en domination, de déterminer, par exemple, quels seront les goûts futurs, la profession, et même les idées des petits. Sous le nom de traditions familiales, les préjugés les plus conservateurs et réactionnaires sont imposés à l’intelligence enfantine. A peine sont-ils arrivés dans l’existence qu’cm les enferme dans une caste, qu’on les voue à certaines croyances, qu’on leur fixe d’avance leur vie future. Seule, une minorité, une élite, saura réagir par la suite. Les partis de conservation et de réaction comptent sur cela, et savent que, tenant l’enfance enfermée à travers la famille dans leurs préjugés, ils lient ainsi par avance la grande majorité des cerveaux humains. Il y a là évidemment un abus du droit des parents qu’on ne condamnera jamais trop. L’éducation et l’enseignement futurs s’occuperont davantage de donner aux petits l’instruction et le goût de l’initiative destinés à en faire des hommes de progrès, des individus libres, et non plus des prisonniers à vie des conceptions paternelles ou maternelles. D’ailleurs, on peut noter avec satisfaction que, dans la pratique de la vie familiale, la rigueur de l’autorité paternelle tend continuellement à s’adoucir, à se restreindre. Là comme ailleurs, la loi écrite, le Code, suit de très loin l’évolution de la morale humaine. En effet, nous en sommes encore à la vieille conception du droit romain. L’enfant mineur est, légalement, sous la dépendance absolue des parents. Il n’est émancipé que par la majorité (21 ans) ou par le mariage. Le Code prévoit bien qu’il suffit d’une déclaration du père et de la mère devant un juge de paix, pour émanciper un enfant à partir de 15 ans, ou s’il est orphelin, d’un conseil de famille présidé par un juge de paix pour l’émanciper à 18 ans. Dans la réalité, on ne se sert plus guère de ce formalisme juridique, et bien des jeunes gens s’émancipent de par leur volonté ou avec le consentement tacite des parents. L’idée qu’un enfant est appelé à vivre son existence comme il l’entend gagne du terrain chaque jour en dépit des juges et législateurs et de leurs lois.
Cette évolution dans la morale se complètera par l’institution d’œuvres sociales au profit de l’enfant, quand la société humaine prendra toutes dispositions pour élever, instruire, les générations à venir, chose qui n’est nullement contradictoire avec l’amour paternel et maternel, tout au contraire, les parents pouvant s’associer pour organiser et contrôler les œuvres enfantines. Jadis, l’enfant naissait esclave de ses parents qui avaient sur lui un droit de vie et de mort, et disposaient à l’avance de sa vie. Demain, l’enfant sera destiné à être un homme libre et élevé avec la préoccupation constante de sa liberté.
EMANCIPATION DE LA FEMME
Nous retrouvons ici le même problème que pour l’enfant. Dans la morale commune, et encore plus dans le Code, la femme est considérée comme un enfant mineur, en puissance d’autorité maritale, celle-ci remplaçant l’autorité paternelle. Elle est élevée avec ce souci d’en faire une épouse soumise, ne dispose, d’après le Code civil, que de droits très restreints.
Tout un mouvement, dit féministe, s’est créé en vue de l’émancipation de la femme. Malheureusement, c’est surtout un mouvement politicien, cherchant à faire accroire aux femmes qu’avec le droit de vote et le droit d’éligibilité, elles seraient les égales des hommes. Comme si l’expérience du vote masculin n’était pas concluante ? Est-ce que le suffrage universel a fait les ouvriers égaux de leurs patrons, les locataires du propriétaire, etc., etc. ? Là comme partout, la politique tente de faire dévier le véritable mouvement d’émancipation, en cherchant à l’embourber dans les marécages parlementaires, tombeaux des plus généreuses idées. Le fait d’obtenir des droits civiques ou légaux ne changera rien à l’état d’asservissement réel et économique de la femme. L’histoire des sociétés nous apprend que la sujétion de la femme à l’homme, au point de vue social, est contemporain à l’origine de la propriété individuelle, laquelle eut comme conséquence la formation de la famille étroite et restreinte qui est encore la règle aujourd’hui. L’infériorité juridique et politique de la femme tient donc au régime économique lui-même, à la propriété personnelle qui, pour se maintenir et se perpétuer par l’héritage, a besoin d’un état familial groupé autour d’une tête, le chef de famille, l’homme, le père, maître de toutes les personnes et de tous, les biens familiaux. En accaparant terres et richesses, en constituant un patrimoine personnel, s’il voulait éviter la dispersion de ce patrimoine, l’homme devait imposer un statut à la mère de ses enfants, statut de surveillance, de contrôle, d’autorité, d’asservissement, qui devint plus tard le statut légal de la famille, d’après la loi établie par la coalition des propriétaires, nobles seigneurs autrefois, bourgeois aujourd’hui.
L’émancipation réelle et complète de la femme ne pourra donc se faire qu’avec la disparition du régime de la propriété individuelle et du régime familial, sa conséquence directe.
Seul, un contrat social nouveau, mettant les biens en commun, supprimant, par conséquent, tout héritage, assurant, d’autre part, l’existence des enfants avec ou sans le concours des parents, pourra émanciper la femme en en faisant l’égale, économiquement parlant, de l’homme. Esclave de la propriété individuelle, transmise par la famille, esclave des travaux du foyer que nécessite une mauvaise organisation sociale, la femme s’émancipera avec la disparition de ces deux principales causes de son asservissement.
D’ailleurs, là encore, l’évolution humaine va plus vite que celle des lois et des codes. Un peu partout, la femme cherche à gagner sa vie par elle-même, à se libérer de la sujétion du foyer. De plus en plus des professions indépendantes sont envahies par les femmes. Travaillant, elles prennent l’habitude sous la puissance de la nécessité, de discuter de leurs intérêts. Après s’être séparées de l’homme, lui avoir fait concurrence sur le marché du travail, elles le rejoignent peu à peu pour unir leurs efforts aux siens dans le but de faire aboutir certaines revendications. L’avenir, l’émancipation de la femme est là. Etre libre, être l’égale de l’homme dans les relations économiques. La société, considérant les soins et l’instruction première donnés aux enfants comme un travail social et utile, devrait considérer la mère comme une ouvrière, fabriquant l’avenir, créant et élevant la génération future.
EMANCIPATION DES ESCLAVES
L’humanité a connu — et connaît encore — l’ignoble institution de l’esclavage. Montesquieu a écrit que c’était la pitié qui avait créé l’esclavage ; pour ne pas tuer les prisonniers de guerre, on les faisait esclaves. En réalité, c’était plutôt parce que le travail était devenu sédentaire, l’agriculture naissant, on avait cherché à se procurer des travailleurs par la guerre. Le christianisme s’est vanté d’avoir aboli l’esclavage. L’histoire confond ce mensonge. Les nations chrétiennes se sont largement servies de l’esclavage dans les colonies où, pourtant, il y avait de nombreux prêtres et missionnaires. En France, il a fallu des révolutions pour qu’en 1792 et en 1848, on abolisse légalement l’esclavage. Aux Etats-Unis, la guerre de Sécession (1860–1865) a réussi à abolir l’esclavage. Au Brésil, il a duré jusqu’aux dernières années du XIXème siècle. L’émancipation des esclaves ne s’est faite nulle part sans une farouche et souvent violente résistance des propriétaires d’esclaves, et l’Eglise fut toujours du côté des maîtres.
Ce qui a pu créer cette confusion dont profitent les prêtres, c’est que l’abolition de l’esclavage en Europe se fit à peu près en même temps que l’avènement du christianisme. La revendication des esclaves, en cette période fortement mystique, fut imprégnée de la nouvelle foi, et la bonne parole, l’Evangile, fut interprétée par les masses cherchant leur émancipation comme un mot d’ordre de libération. Mais, bien vite, l’Eglise, qui se constituait, s’est séparée du mouvement des asservis : « Rendez à César ce qui est à César », comme si les hommes pouvaient appartenir à un César, et non à eux-mêmes.
D’ailleurs, le servage qui se substitua à l’esclavage ne fut guère qu’une transformation d’étiquettes. Les esclaves de la Grèce, traités humainement, faisant partie de la famille, portés assez souvent à des postes importants, considérés comme des hommes malheureux par leurs maîtres qu’une adversité pouvait faire choir à leur rang, étaient mieux traités que les serfs des premiers siècles de l’ère chrétienne. Les tyrans consentent parfois à changer les étiquettes, pour tromper mieux les asservis, mais se résolvent difficilement à laisser porter atteinte à leurs droits et privilèges.
L’émancipation des esclaves mués en serfs fut une transformation de façade. Il a fallu de nombreux siècles, des luttes incessantes, des jacqueries dans les villages, le soulèvement des communes dans les villes, pour que le servage devienne un peu plus humain, et que quelques parcelles de liberté et de bien-être soient acquises par les malheureux.
De même, l’émancipation des serfs fut également une duperie, car elle a fait place au salariat. Celui-ci arrive très fréquemment à égaler ou dépasser en horreur le servage ou l’esclavage. On s’est affranchi du joug du seigneur pour retomber sous celui du patron. On a acquis la liberté de mourir de faim si on ne se courbe pas sous l’autorité patronale. Les institutions répressives de l’Etat sont toutes puissantes pour mater les réfractaires à l’exploitation patronale. Là où les prolétaires n’ont pas assez de courage et de conscience pour résister, non seulement le patron exige d’eux un pénible travail pour un salaire dérisoire, mais encore il les traite en véritables esclaves leur déniant, en dehors même du travail toute liberté de conscience.
En réalité, les appellations différentes et les statuts juridiques n’ont jamais servi à l’émancipation des opprimés. Il a fallu à ceux-ci, dans le passé, comme il leur faudra dans l’avenir, des luttes constantes, acharnées et terribles pour faire disparaître ou amoindrir leur servitude.
EMANCIPATION SOCIALE
C’est un mot dont se revendiquent tous les groupements ou partis d’avant-garde ou prétendus tels. S’émanciper, c’est s’affranchir d’un joug, se libérer de la servitude. Singulière contradiction, à moins que ce ne soit duperie de conscience, certains se proclament partisans de l’émancipation sociale et ne rêvent que d’instaurer un nouveau joug, une nouvelle servitude tout au moins aussi mauvais que les anciens qu’on veut abolir. L’émancipation ne peut qu’apporter toute la liberté, ou tout au moins une liberté plus grande, sinon elle n’est qu’un masque couvrant une imposture.
Les peuples sont actuellement, tous, dans un état de servitude morale, intellectuelle, politique et économique. Ils ne sont pas libres de leurs sentiments, jugulés qu’ils sont par une éducation malsaine, par de multiples préjugés religieux, patriotiques, civiques, moraux, etc. Ils ne sont pas libres de leur intelligence, car l’instruction est le monopole d’une classe, et l’on entretient systématiquement l’infériorité technique et intellectuelle des masses travailleuses. Ils ne sont pas libres politiquement, car de nombreuses lois appliquées par de nombreux juges et policiers, suppriment toute véritable liberté. Ils ne sont pas libres économiquement, car les produits sortis de leurs mains ne leur appartiennent pas, et s’ils veulent vivre il leur faut chercher et trouver un exploiteur.
L’émancipation sociale doit donc porter sur le domaine moral, intellectuel, politique et économique. Les hommes et les peuples ne pourront se dire totalement émancipés que lorsque toutes ces formes d’asservissement n’existeront plus, quand ils seront les maîtres de leurs sentiments, de leurs idées, quand ils pourront librement acquérir les connaissances désirées, quand aucun obstacle ne s’opposera plus à la diffusion des opinions, à la liberté de parole, de presse, de réunion, d’organisation ; quand, enfin et surtout, les fruits de leur travail ne leur seront plus confisqués par une classe de privilégiés, quand ils s’organiseront librement et à leur guise, tant pour régler entre eux les conditions du travail que pour répartir les produits.
Tel est le but auquel doivent viser tous les efforts vers l’émancipation des individus et des peuples. On commet généralement une grosse erreur. C’est de diviser l’autorité en autant de fractions différentes qu’elle a d’apparences. C’est peut-être utile comme méthode scientifique de classification, pour la clarté des points de vue, mais ce n’est ni réel ni pratique. Que l’on considère, en effet, l’autorité sous ses apparences morales, intellectuelles, politiques ou économiques, on n’aura que des différences de points de vue auxquels on se place, pour la considérer, de même qu’une montagne vue de différents endroits ne présente pas le même aspect. C’est toujours la même montagne. Ici, c’est toujours la même autorité.
Le but de l’autorité est de permettre à certains hommes de tirer d’autres hommes les avantages de les exploiter, de vivre à leur détriment, de créer leur luxe sur leur misère, leur puissance sur leur avilissement, leur domination sur leur obéissance. De là, l’exploitation économique : le capitalisme, le patronat, la finance, le commerce, etc. ; de là la tyrannie politique : l’Etat gardien de l’ordre établi ; de là, l’inégalité intellectuelle. On fait bien de temps à autre appel aux intelligences d’en bas, mais en les sélectionnant, en n’en appelant que quelques-unes pour pouvoir les absorber dans la classe des privilégiés, et en laissant dans l’ignorance la grande masse. De là aussi l’enseignement intense des préjugés : patrie, dieu, famille, civisme, respect de la propriété, des autorités, ne leur faut-il pas hypnotiser les asservis pour qu’ils acceptent passivement leur sujétion ? L’autorité est une ; elle nous saisit par mille tentacules, toutes au service du même principe.
Que des événements sociaux éclatent et anéantissent une ou plusieurs des formes de l’autorité, mais en laissent quelques-unes ou même une seule, et celle-ci, par voie de regroupement, reformera toutes les autres, et recréera l’ancienne tyrannie. Qu’on fasse une révolution politique, en laissant le pouvoir économique aux détenteurs actuels ou en le transmettant à d’autres, il se produira ce qui s’est toujours produit : les maîtres des richesses redeviendront les maîtres de l’Etat par corruption, pression économique, manœuvres de tous genres. Que l’inverse se produise, et que l’économie sociale, entre les mains du peuple, laisse subsister l’autorité politique ; celle-ci reconstitue une hiérarchie, une classe qui s’arroge peu à peu des avantages, des privilèges, des profits spéciaux, bref insensiblement refait à son bénéfice l’inégalité économique.
De même, il est indispensable que l’instruction ne soit par le monopole d’une caste. Chacun doit pouvoir poursuivre son développement intellectuel et technique ; autrement, si c’est une caste qui la détient, elle devient vite maîtresse de la société, s’arroge à la fois, profitant de l’incapacité populaire, des privilèges économiques et des pouvoirs politiques, et tout redevient comme avant.
Egalement, tant que les humains conserveront leur morale d’aujourd’hui, toute imbue de préjugés, marques des institutions autoritaires, ils auront tendance à accepter l’asservissement comme conforme à leurs idées, à la volonté divine, etc.,etc...
Le problème de l’émancipation sociale n’est donc pas résoluble par fractions. Il exige d’être mené partout à la fois, aussi bien intellectuellement et moralement que politiquement et économiquement.
Nous devons considérer toutes les tentatives faites pour s’attaquer à une seule des apparences de l’autorité comme vouée à l’échec, si elle est sincère, ou si elle ne l’est pas, comme n’étant que les marques de ceux qui ne recherchent qu’à se substituer aux maîtres du jour.
Qu’on fasse l’analyse de toutes les actions qui ont cherché à émanciper un peu plus les masses populaires. Les seules qui aient abouti à quelque chose d’effectif sont celles qui furent la conséquence d’efforts réalisés dans tous les domaines : intellectuel, moral, politique et économique. Au fur et à mesure que le prolétariat se libère des préjugés, développe ses connaissances générales et techniques, il veut jouir davantage de libertés et avoir plus de bien-être. De même que lorsqu’il réussit à avoir un peu plus de bien-être, il aspire à être plus libre, il étudie, prend l’habitude de raisonner, de critiquer, d’observer.
L’anarchisme, qui est la lutte pour la liberté complète, la disparition de toutes les tyrannies, exploitations, inégalités et préjugés, qui mène de front toutes les batailles contre l’autorité, est la plus haute et la plus parfaite conception que puisse suivre l’émancipation sociale.
— Georges BASTIEN
EMANCIPATION
Les bourgeois donnent à ce mot un sens différent de celui qui, pour nous, se rapporte à la fameuse prophétie de Karl Marx :
« L’Emancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. »
Cette signification simple et claire est adoptée par tous les véritables émancipateurs du prolétariat, par ceux qui ne se contredisent pas en s’adonnant à la politique électorale après s’être proclamés de la doctrine de l’Emancipation du Prolétariat par lui-même.
Toute la propagande des anarchistes vise à ce but : l’Affranchissement économique et social des individus, leur émancipation individuelle.
Toute la propagande des syndicats révolutionnaires vise au même but en spécifiant qu’ils veulent l’Affranchissement total des travailleurs, l’émancipation collective des producteurs.
Donc, les uns et les autres veulent l’intégrale émancipation de tous ceux que le système capitaliste exploite et asservit. Autant dire qu’ils tendent identiquement à une transformation sociale qui ne peut aboutir autrement que par une révolution comme on n’en vit point encore puisque la Commune de 1871 fut vaincue et que la Révolution russe n’a pu aboutir qu’à une Dictature du Prolétariat,
Préconiser l’éducation libertaire, entraîner les masses ouvrières des cités, de la mer et des champs à s’organiser librement, à s’administrer par l’entente, c’est créer une mentalité populaire adéquate à la conception de société libre de producteurs émancipés ; c’est dresser une génération d’individus capables d’organiser la vie libre pour des hommes libres.
C’est ainsi, pensons-nous, qu’il faut concevoir l’Emancipation sociale de tous. Mais pour émanciper les autres, il est indispensable de s’émanciper soi-même d’abord, en se débarrassant de tous les préjugés d’autorité, de hiérarchie, de discipline, etc., qui n’ont rien à faire avec la Liberté, l’Entente et l’Union pour la Vie.
— G. YVETOT
EMBRYON
n. m. (du grec embruon, formé de : en, dans, et bruon, je germe)
Le mot embryon sert à désigner le produit immédiat de la conception et c’est à tort qu’il est parfois employé comme synonyme de fœtus. L’embryon est un fœtus qui commence à se former. Chez les humains, l’embryon n’est d’abord qu’un corps absolument privé de membres et l’on ne peut y distinguer ni le cœur, ni les muscles, ni les os, etc... Ce n’est qu’au bout de quarante jours que l’on commence à distinguer la tête et à trois ou quatre mois que l’embryon prend le nom de fœtus.
Le mot embryon sert également à désigner, en botanique, la partie essentielle de la graine des phanérogames, c’est-à-dire des plantes dont les organes de reproduction sont apparents et se dit aussi de tout état rudimentaire qui provient du développement d’un germe.
La science qui s’occupe de l’évolution des embryons s’appelle l’embryologie ; elle se divise en trois branches : l’embryologie générale, l’embryologie descriptive et l’embryologie comparée. C’est donc la science de la vie, puisque l’embryon est le commencement de la vie. Mais ce n’est pas toute la vie et Le Dantec fait judicieusement remarquer « que l’œuf n’est qu’un des facteurs de la construction de l’organisme ».
En effet, si l’embryon est invariablement soumis aux lois de l’hérédité, à la suite de son évolution et de son développement et lorsqu’il s’est transformé en individu, il est soumis à des lois extérieures « et comme tous les caractères de l’individu sont le résultat de sa vie, il devient absurde de penser que ces caractères sont, dans leur intégrité, représentés dans l’œuf d’où sortira l’individu » (Le Dantec, La Lutte pour la vie).
Toutefois, il est aujourd’hui scientifiquement démontré que, dans les germes qui donnent naissance à l’embryon, sont véhiculés certaines tares, certains vices physiologiques et qu’en conséquence, l’individu hérite souvent des tares de ses ascendants. Nous savons, par exemple, que l’ivrognerie transmet des tares et des vices héréditaires et il faut donc en conclure que l’alcool n’est pas seulement nuisible à celui qui le consomme, mais aussi à la descendance de l’alcoolique et que son influence néfaste réside déjà dans l’individu à l’état embryonnaire.
Au figuré, le terme embryon désigne quelque chose qui est à l’état naissant. Un embryon de livre ; un embryon de liberté ; et se dit également d’un être de petite taille : « Un embryon d’homme ».
EMPHASE
n. f. (du grec emphasis, apparence)
Affectation dans le discours, dans le ton, dans le geste, dans l’expression. Parler avec emphase. « Quel supplice, dit La Bruyère, que celui d’entendre prononcer de médiocres vers avec toute l’emphase d’un mauvais poète ».
L’emphase est le contraire, l’opposé, l’antidote du naturel et de la simplicité. Il faut se méfier de ceux qui prononcent des discours pompeux et exagérés, car ils sont rarement sincères. L’emphase dénote un esprit ambitieux et mesquin, dépourvu de mesure et d’intelligence. Exposons sans emphase, mais avec éloquence et clarté ce que nous voulons et nous serons compris.
EMPIRISME
n. m. (du mot grec empeiro, j’essaye)
L’empirisme est un système philosophique qui attribue uniquement à l’expérience l’origine de toutes les connaissances humaines. Niant toute valeur à la méthode déductive, l’empirisme philosophique, scientifique ou social rejette, par conséquent, toute théorie, et ouvre un vaste champ d’action au charlatanisme. « Les empiristes, dit Jouffroy, ne connaissent d’autre autorité, en matière de connaissances, que celle des yeux et des mains ». Il ne faut pas confondre l’empirisme avec la méthode expérimentale, qui considère que l’esprit, l’intelligence, apportent également des éléments précieux à la réalisation des progrès scientifiques ou sociaux, et tout en attribuant une large part à l’expérience, ne condamne pas cependant le raisonnement et tous les bénéfices qui en résultent.
Le raisonnement et l’expérience se confondent et se complètent. Pour tous les domaines de l’activité humaine, l’un est aussi nécessaire que l’autre, car il existe des phénomènes qui ne frappent pas nos sens imparfaits, et nous sommes donc obligés d’avoir recours à la déduction pour les expliquer. D’autre part, sur le terrain pratique, l’empirisme présente un véritable danger. Médicalement, par exemple, une expérience, qui ne repose pas sur une théorie, permet toutes les erreurs, et tous les faux savants peuvent spéculer et se livrer au plus large charlatanisme en se réclamant d’un principe aussi absolu. Sur le terrain social, l’empirisme n’est pas moins néfaste. A nos yeux, l’expérience doit être consécutive à l’observation ; ce n’est qu’après avoir étudié, raisonné les chances de succès d’une action quelconque, que l’on doit se livrer à cette action. L’expérience en soi est généralement couronnée par le plus désastreux des fiascos, lorsqu’elle n’a pas été précédée de l’étude des conditions dans lesquelles elle doit s’opérer. Le dictionnaire Lachâtre emprunte à Et. Brochin la définition suivante de l’empirisme :
« L’empirisme pris dans son acception étymologique rigoureuse et dans son sens sérieux, signifie cette méthode qui consiste à étudier, sans idée préconçue, tous les phénomènes qui se présentent à notre observation, et dans leur manifestation actuelle et dans les circonstances de leur production et de leur formation, ainsi que dans toutes les choses qui peuvent en changer ou modifier le cours ; à déduire des faits observés et de leur rapprochement les conclusions les plus rigoureuses, et à comparer ces conclusions entre elles, afin d’en faire découler des propositions qui ne soient que des déductions plus générales, mais tout aussi rigoureuses des faits eux-mêmes. C’est ce que l’on peut appeler, de nos jours, l’empirisme raisonné, ou, si l’on veut, une partie de la méthode expérimentale de Bacon. »
Nous pouvons dire avec Brochin que si l’empirisme tout court nous paraît stupide et néfaste, l’empirisme raisonné, appliqué tout aussi bien à la science qu’à la sociologie, est un facteur de progrès et d’évolution.
On appelle empiristes ceux qui se réclament de l’empirisme, ou plutôt qui défendent ou soutiennent ce système ; quant au mot empirique, il est ordinairement employé au sens péjoratif et signifie routinier, rétrograde. Un procédé empirique ; un médecin empirique, pour un charlatan qui exerce la médecine.
EMULATION
n. f. (du latin aemulatio)
Sentiment qui porte à rivaliser avec quelqu’un et à le surpasser en quelque chose.
Les moralistes prétendent que l’émulation est un aiguillon de la vertu et que c’est ce sentiment qui pousse les individus à atteindre au mérite de certains de leurs semblables. L’émulation n’est pas toujours bienfaisante et bien souvent ce sentiment ne donne naissance qu’à de l’animosité et de la jalousie.
Que l’homme ait les yeux fixés sur ce qui lui semble supérieur et cherche à acquérir toujours plus de qualités, c’est un bien. Mais ce qui est néfaste c’est de créer entre êtres un esprit de bataille, de concurrence, de rivalité qui détruit tous les bienfaits d’une émulation raisonnable.
On encourage l’émulation chez les écoliers parfois d’une façon ridicule sans atteindre le but que l’on se proposait, car on ne tient pas compte de tous les facteurs qui déterminent la vie de l’enfant et l’on ne se soucie pas de sa personnalité, de son individualité ; quant à l’émulation de la classe ouvrière en ce qui concerne sa production, nous savons que ceux qui la préconisent sont intéressés à la question, puisque ce sont eux qui profitent de tout le travail des exploités.
« Il faut toujours, disait Mignet, se proposer de grands modèles, pour avoir de hautes émulations ».
ENCYCLIQUE
n. f. ou adj.
Une encyclique : circulaire du pape. Lettre encyclique.
Bulle ou lettre solennelle adressée par le pape au clergé du monde catholique, ou seulement aux évêques d’une même nation.
Les décisions que renferment les encycliques en matière de foi et de morale sont irréformables, si le pape déclare les imposer à toute l’Eglise — ceci, mécaniquement, du fait de l’infaillibilité papale.
Souvent, le Souverain Pontife se propose non point de trancher une question dogmatique, mais seulement de donner des conseils.
Comme les bulles, les encycliques, sont généralement désignées par les premiers mots du texte latin qui les compose, et la date où elles ont été publiées.
Parmi les encycliques les plus importantes du XIXème et XXème siècle, le Larousse cite : Diu satis, 1800, où Pie VII engage les évêques catholiques à maintenir l’unité de l’Eglise menacée par les troubles politiques ; Mirari vos, 1832 où Grégoire XVI combat l’indifférentisme ; Nostis et Nobiscum, 1849, où Pie IX condamne les principes du Communisme et du Socialisme ; Quanto conficiamur, 1863, où Pie IX affirme les droits du Saint-Siège sur les domaines de Saint-Pierre ; Quanta Cura, 1864, où il condamne les théories fondées sur le naturalisme (cette encyclique était accompagnée d’un Syllabus) ; Œterni Patris, 1879, où Léon XIII préconise l’enseignement de la philosophie de Saint Thomas ; Rerum Novarum, 1891, sur la condition des ouvriers ; Providentissimus Deus, 1893, sur l’enseignement biblique ; Vehementer nos, 1906 et Gravissimo officii, 1906, où Pie X condamne la séparation de l’Eglise et de l’Etat en France ; Pascendi dominici gugis, 1907, où il condamne les modernistes.
Les encycliques, sont une mine de documents que les historiens, les philosophes, les militants sérieux et toux ceux qu’intéresse le problème religieux, ont intérêt à fouiller.
Nous citerons parmi ces dernières quelques extraits qui feront mieux voir toute l’importance de la connaissance de ces actes des Pontifes romains que les plus longs discours, et qui, d’autre part, permettront aux antireligieux de s’armer pour leurs luttes prochaines, de traits invincibles.
Mirarivos, 15 août 1832, de Grégoire XVI :
« ...Et d’abord anathème, quiconque prétend améliorer et faire progresser l’Eglise, directement inspirée par l’Esprit-Saint. Comme il est constant, pour nous servir des paroles des Pères de Trente, que l’Eglise a été instituée par Jésus-Christ et ses apôtres, et qu’elle est enseignée par l’Esprit-Saint qui lui suggère incessamment toute vérité, il est tout à fait absurde et injurieux pour elle que l’on mette en avant une certaine restauration et régénération comme nécessaires pour pourvoir à sa conservation et à son accroissement ; comme si elle pouvait être sensée exposée à la défaillance, à l’obscurcissement, ou à d’autres inconvénients de cette nature. Le but des novateurs, en cela, est de jeter les fondements d’une institution nouvelle et de faire ce que Cyprien avait en horreur, que l’Eglise qui est divine, devienne toute humaine...
Anathème à la liberté de Conscience ; anathème à la liberté de la parole ou de la plume. De la source infecte de l’indifférentisme découle cette maxime absurde et erronée, ou plutôt ce délire, qu’il faut assurer et garantir à qui que ce soit la liberté de conscience. On prépare la voie à cette pernicieuse erreur par la liberté d’opinions, pleine et sans bornes, qui se répand au loin pour le malheur de la société religieuse et civile, quelques-uns répétant avec une extrême imprudence qu’il en résulte quelque avantage pour la religion. Mais, disait Saint-Augustin, qui peut mieux donner la mort à l’âme que la liberté de l’erreur ? En effet, tout frein étant ôté qui puisse retenir les hommes dans les sentiers de la vérité, leur nature, inclinée au mal, tombe dans un précipice ; et nous pouvons dire avec vérité que le puits de l’abime est ouvert, ce puits d’où Saint-Jean vit monter une fumée qui obscurcissait le soleil et sortir des sauterelles qui ravagèrent la terre. De là le changement des esprits, une corruption plus profonde de la jeunesse, le mépris des choses saintes et des lois les plus respectables répandu parmi le peuple ; en un mot, le fléau le plus mortel pour la vérité, puisque l’expérience a fait voir de toute antiquité que les Etats qui ont brillé par leurs richesses, par leur puissance, par leur gloire, ont péri par ce seul mal : la liberté immodérée des opinions, la licence des discours et l’annonce des nouveautés...
Anathème, trois fois anathème quiconque parle aux peuples de droits à revendiquer ; quelque soit le maître, malheur à qui ne veut pas courber la tête devant lui ; anathème à tous ceux qui ébranlent la fidélité et la soumission dues aux princes et qui allument partout les flambeaux de la révolte. Il faudra empêcher avec soin que les peuples ainsi trompés ne soient entraînés hors de la ligne de leurs devoirs. Que tous considèrent que, suivant l’avis de l’apôtre « il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu. Ainsi, celui qui résiste à la puissance résiste à l’ordre de Dieu, et ceux qui résistent s’attirent la condamnation à eux-mêmes. »
Ainsi, les lois divines et humaines s’élèvent contre ceux qui s’efforcent d’ébranler par des trames honteuses de révolte et de sédition la fidélité aux princes et de les précipiter du trône... »
L’encyclique du 15 août 1832, visait tout particulièrement le mouvement social-chrétien, créé par Lamennais. Les chefs du mouvement s’inclinèrent devant le pape ; mais la publication du livre de Lamennais « Paroles d’un croyant », provoqua l’encyclique Singulari nos du 7 juillet 1834, où nous retrouvons les mêmes propositions que dans celle de 1832 :
« Nous avons été vraiment saisis d’horreur, vénérables frères, au premier coup d’œil jeté sur ce livre, et, émus de compassion sur l’aveuglement de son auteur, nous avons compris à quels excès emporte la science qui n’est pas de Dieu, mais selon l’esprit du monde. En effet, au mépris de la foi, solennellement donnée par sa déclaration, il a entrepris d’ébranler et de détruire la doctrine catholique, soit sur la soumission due aux puissances, soit sur l’obligation de détourner des peuples le pernicieux fléau de l’indifférence, et de mettre un frein à la licence sans borne des opinions et des discours, soit enfin sur la liberté absolue de conscience, liberté tout à fait condamnable, et sur cette horrible conspiration de sociétés composées, pour la ruine de l’Eglise et de l’Etat, des partisans de tous les cultes faux et de toutes les sectes. L’esprit a vraiment horreur de lire seulement les pages de ce livre, où l’auteur s’efforce de briser tous les liens de fidélité et de soumission envers les princes, et, lançant de toutes parts les torches de la sédition et de la révolte, d’étendre partout la destruction de l’ordre public, le mépris des magistrats, la violation des lois, et d’arracher jusque dans leurs fondements tout pouvoir religieux et tout pouvoir civil. Puis, dans une suite d’assertions aussi injustes qu’inouïes, il représente, par un prodige de calomnies, la puissance des princes comme contraire à la loi divine... et il flétrit des mêmes notes d’infamie ceux qui président aux choses divines aussi bien que les chefs des Etats, à cause d’une alliance de crimes et de complots qu’il imagine avoir été conclue entre eux contre les droits des peuples. N’étant pas encore satisfait d’une si grande audace, il veut de plus faire établir par la violence la liberté absolue d’opinions, de discours et de conscience ; il appelle tous les biens et tous les succès sur les soldats qui combattront pour la délivrer de la tyrannie, c’est le mot qu’il emploie. Dans les transports de sa fureur, il provoque les peuples à se réunir et à s’associer de toutes les parties du monde...
...De notre propre mouvement, de notre science certaine et de toute la plénitude de notre puissance apostolique, nous réprouvons, condamnons et voulons qu’à perpétuité on tienne pour réprouvé et condamné le livre qui a pour titre : « Paroles d’un croyant » où, par un abus impie de la parole de Dieu, les peuples sont criminellement poussés à rompre les liens de tout ordre public, à renverser l’une et l’autre autorité, à exciter, à nourrir, étendre et fortifier les séditions dans les empires, les troubles et les rébellions ; livre renfermant par conséquent des propositions fausses, calomnieuses, téméraires, conduisant à l’anarchie, contraires à la parole de Dieu, impies, scandaleuses, erronées, déjà condamnées par l’Eglise, spécialement dans les Vaudois, les Wicklefites, les Hussites, et autres hérétiques de cette espèce. »
Cette fois, Lamennais releva le défi et rompit avec Rome.
Le successeur de Grégoire XVI, le pape Pie IX, continua la série des fulminations contre : la liberté de conscience, de parole, d’écrit, etc... Quelques-unes de ses encycliques méritent de passer à la postérité pour y être en témoignage du fanatisme constant de l’Eglise catholique :
Dans l’Encyclique Qui pluribus du 9 novembre 1846, Pie IX dénonce la conspiration ourdie contre la religion catholique et la société civile. Il montre l’Eglise et l’ordre social attaqués au nom du progrès. Il invite les gouvernements à sévir contre la Révolution. Il condamne les sociétés bibliques qui répandent la Sainte Ecriture, en langue vulgaire. Contre l’esprit du siècle, contre les philosophes :
« Nul d’entre vous n’ignore, vénérables frères, que, dans ce siècle déplorable, une guerre furieuse et redoutable est déclarée au catholicisme. Unis entre eux par un pacte criminel, les ennemis de notre religion repoussent les saintes doctrines, ils ferment l’oreille à la voix de la vérité, ils produisent au grand jour les opinions les plus funestes et font tous leurs efforts pour les répandre et les faire triompher dans le public... Ces implacables ennemis du nom chrétien, emportés par une aveugle-fureur d’impiété, en sont venus à un degré inouï d’audace, ouvrant leur bouche aux blasphèmes contre Dieu, ils ne rougissent pas d’enseigner hautement et publiquement que les augustes mystères de notre religion sont des erreurs et des inventions humaines, que la doctrine de l’Eglise catholique est opposée au bien et aux intérêts de la société ; ils ne craignent pas même de renier le Christ et de renier Dieu. Pour mieux tromper les peuples, pour entraîner avec eux dans l’erreur les esprits inexpérimentés ils feignent de connaître seuls les voies du bonheur ; ils s’arrogent le titre de philosophes... »
Enfin, Pie IX, termine ainsi :
« Appliquez-vous à inculper aux peuples l’obéissance, la soumission due aux princes et aux puissances ; enseignez-leur, selon l’avis de l’apôtre, qu’il n’est point de pouvoir qui ne vienne de Dieu, et qu’en résistant au pouvoir on résiste à l’ordre établi par Dieu, en provoquant sa condamnation, et que, par conséquent, nul ne peut violer sans crime le précepte d’obéir à l’autorité, à moins qu’elle ne lui commande des choses contraires aux lois de Dieu et de l’Eglise. »
L’Encyclique du 17 mars 1856, adressée aux évêques d’Antioche, peut se résumer ainsi : Anathème à l’indifférentisme et au rationalisme.
« Les hommes dédaignent avec fierté la foi, dont il est écrit qu’en manquer serait un motif de condamnation. La foi repose, non sur la raison, mais sur l’autorité ; malheur à qui ne s’en rapporte pas pleinement à Dieu sur Dieu, sur ce qu’il nous propose de croire et de savoir de lui. Le rôle de la raison est d’obéir ; elle n’est pas maîtresse, mais servante de la foi. »
L’Encyclique Quanta Cura, 8 décembre 1864, a eu un retentissement immense ; c’est le défi le plus complet qu’ait jeté l’Eglise au progrès, à l’esprit de liberté, à la culture moderne...
Cette encyclique est suivie d’un syllabus, ou résumé, contenant l’énoncé de 80 articles qualifiés « Erreurs principales de notre temps » et qui sont condamnés par Pie IX.
Voici quelques extraits de cette encyclique fameuse, promulguée selon toutes les conditions de « l’Ex-Cathedra » :
« Il vous est parfaitement connu, vénérables frères, qu’aujourd’hui il ne manque pas d’hommes qui appliquent à la société civile l’impie et absurde principe du « naturalisme », comme ils l’appellent ; ils osent enseigner que la perfection des gouvernements et le progrès civil exigent absolument que la société humaine soit constituée et gouvernée sans plus tenir compte de la religion que si elle n’existait pas, ou, du moins, sans faire aucune différence entre la vraie religion et les fausses. De plus, contrairement à la doctrine de l’Ecriture, ils ne craignent pas d’affirmer que le meilleur des gouvernements est celui où l’on ne reconnait pas au pouvoir l’obligation de réprimer, par la sanction des peines, les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la tranquillité publique le demande.
En conséquence de cette idée absolument fausse du gouvernement social, ils n’hésitent pas à favoriser cette opinion erronée... que la liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme, qu’il doit être proclamé dans tout Etat bien constitué, et que les citoyens ont droit à la pleine liberté de manifester hautement et publiquement leurs opinions, quelles qu’elles soient, par la parole, par l’impression ou autrement, sans que l’autorité ecclésiastique ou civile puisse limiter ce droit. Or, en soutenant ces affirmations téméraires, ils ne pensent pas, ils ne considèrent pas qu’ils prêchent une liberté de perdition, et que, s’il est toujours permis aux opinions humaines d’entrer en conflit, il ne manquera jamais d’hommes qui oseront résister à la vérité et mettre leur confiance dans le verbiage de la sagesse humaine, vanité extrêmement nuisible, que la foi et la sagesse chrétiennes doivent soigneusement éviter, conformément à l’enseignement de N. S. J.- C .
... Mais qui ne voit, qui ne sent très bien qu’une société soustraite aux lois de la religion et de la vraie justice ne peut avoir d’autre but que d’amasser, d’accumuler des richesses, et, dans tous ses actes, d’autre loi que l’indomptable désir de satisfaire ses passions et de se procurer des jouissances ? »
Malgré les anathèmes et les excommunications contre le socialisme, et contre les revendications des peuples, socialisme et syndicalisme font leur chemin, aussi les papes doivent relâcher le mors.
Léon XIII adresse l’encyclique « Rerum Novarum », 15 mai 1891, sur les conditions des ouvriers.
Il traite des associations professionnelles, admet les syndicats : mixtes ou composés d’ouvriers seulement.
Cette encyclique est la charte des syndicats chrétiens et a de ce fait une grande importance. Elle commence par justifier les inégalités sociales les déclarant nécessaires :
« Le premier principe à mettre en avant, c’est que l’homme doit accepter cette nécessité de sa nature qui rend impossible, dans la société civile, l’élévation de tous au même niveau... La vie sociale requiert un organisme très varié et des fonctions fort diverses ; et ce qui porte précisément les hommes à se partager ces fonctions, c’est surtout la différence de leurs conditions respectives.
« Pour ce qui regarde le travail en particulier, l’homme, dans l’état même d’innocence, n’était pas destiné à vivre dans l’oisiveté. Mais ce que la volonté eût embrassé librement comme un exercice agréable, est devenu, après le péché, une nécessité imposée comme une expiation et accompagnée de souffrances. « La terre est maudite à cause de toi. C’est par un travail pénible que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie. »
De même toutes les autres calamités qui ont fondu sur l’homme n’auront pas ici-bas de fin ni de trêve, parce que les funestes fruits du péché sont amers, âpres, acerbes, et qu’ils accompagnent nécessairement l’homme jusqu’à son dernier soupir. Oui, la douleur et la souffrance sont l’apanage de l’humanité, et les hommes auront beau tout essayer, tout tenter pour les bannir, ils n’y réussiront jamais, quelques ressources qu’ils déploient et quelques forces qu’ils mettent en jeu. S’il en est qui promettent au pauvre une vie exempte de souffrances et de peines, toute adonnée au repos et à de perpétuelles jouissances, ceux-là certainement trompent le peuple et lui dressent des embûches d’où sortiront pour l’avenir de plus terribles calamités que celles du présent. Il vaut mieux voir les choses telles qu’elles sont et, comme nous l’avons dit, chercher ailleurs un remède capable de soulager nos maux. »
Le remède ? Le voici tel que le donne ce Pontife :
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Devoirs des ouvriers. — Il doit fournir intégralement et fidèlement tout le travail auquel il s’est engagé par contrat libre et conforme à l’équité... Il ne doit point léser son patron, ni dans ses biens, ni dans sa personne. Ses revendications mêmes doivent être exemptes de violences et ne jamais revêtir la forme de séditions. Il doit fuir les hommes pervers qui, dans des discours artificieux, lui suggèrent des espérances exagérées et lui font de grandes promesses qui n’aboutissent qu’à de stériles regrets et à la ruine des fortunes.
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Devoirs des patrons. — Etre charitables — rien de plus. Et comment feraient-ils la charité s’ils n’étaient riches ? Aussi le Saint-Père a-t-il soin de spécifier :
« Nul assurément n’est tenu de soulager le prochain en prenant sur son nécessaire ou sur celui de sa famille, ni même de rien retrancher de ce que les convenances ou la bienséance imposent à sa personne. Nul en effet ne doit vivre contrairement aux convenances. » (Saint-Thomas)
Voici comment l’Eglise résout la question sociale :
Et le bon Dieu nous tient les mains,
Pendant qu’on fouille dans nos poches.
Mais les temps sont révolus où la Sainte Inquisition brûlait le philosophe. Avec l’Empire est mort son espoir de brûler encore le livre. On lâche du lest : En 1893 Léon XIII se rallie à la République. Mais quelle profonde duperie ! Le Pontife ne peut détruire quoi que ce soit de ce qu’ont fait ses prédécesseurs — infaillibles comme lui. Il se rallie à la République pour mieux l’étouffer. Que ceux qui conserveraient quelques doutes étudient l’enseignement des encycliques.
Que les hommes de science ne désertent pas l’arène où se joue l’avenir de la liberté de conscience. Nul effort ne se perd dans le temps. Le mouvement « moderniste » de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, est un encouragement inouï à ne pas désespérer.
Les méthodes expérimentales et rationnelles ont soulevé au sein même de l’Eglise catholique une tempête qui ne s’éteindra qu’avec la fin du catholicisme. Nous sommes sur la bonne voie..
Le pape Pie X publia l’encyclique Pascendi Domini Grégis, 8 septembre 1907, contre les « modernistes », dans laquelle nous relevons ces passages, dignes d’une sérieuse attention :
« Quant aux idées profanes, il suffira de rappeler ce qu’en a dit fort sagement notre prédécesseur : Appliquez-vous avec ardeur à l’étude des sciences naturelles : les géniales découvertes, les applications hardies et utiles faites de, nos jours sur ce terrain, qui provoquent à juste titre les applaudissements des contemporains, seront aussi à la postérité un sujet d’admiration et de louanges. Mais les études sacrées n’en doivent pas souffrir. »
Sur quoi le même pape donne tout aussitôt le grave avertissement que voici :
« Si l’on recherche avec soin la cause de ces erreurs, on la trouvera surtout en ceci : que plus s’est accrue l’ardeur pour les sciences naturelles, plus les hautes sciences, les sciences sévères sont allées en déclinant ; il en est qui languissent dans l’oubli ; certaines autres sont traitées faiblement et à la légère, et, ce qui est indigne, déchues de leur antique splendeur, on les infecte encore de doctrines perverses et d’opinions dont la monstruosité épouvante. Sur cette loi nous ordonnons que l’on règle, dans les séminaires, l’étude des sciences naturelles.
...Il faut procéder avec la même vigilance et sévérité à l’examen et au choix des candidats aux Saints Ordres. Loin, bien loin du sacerdoce l’esprit de nouveauté ! Dieu hait les superbes et les opiniâtres. Que le doctorat en théologie et en droit canonique ne soit plus conféré désormais à quiconque n’aura pas suivi le cours régulier de philosophie scolastique ; conféré, qu’il soit tenu pour nul et de nulle valeur. Les prescriptions faites par la Sacrée Congrégation des Evêques et Réguliers, dans un décret de 1896, aux clercs séculiers et réguliers d’Italie, concernant la fréquentation des Universités, nous en décrétons l’extension désormais à toutes les nations. Défense est faite aux clercs et aux prêtres qui ont pris quelques inscriptions dans une Université ou Institut Catholique de suivre, pour les matières qui y sont professées, les cours des Universités civiles. Si cela a été permis quelque part, nous l’interdisons pour l’avenir. Que les évêques... »
Enfin, l’Encyclique Quas Primas sur la Royauté du Christ, du 23 décembre 1922, de Pie XI, vient bien à point pour rappeler au monde que l’Eglise catholique est toujours : avec les princes, contre les peuples.
« C’est à notre tour de pourvoir aux nécessités des temps présents, d’apporter un remède efficace à la peste qui a corrompu la société humaine. Nous le faisons en prescrivant à l’univers catholique le culte du Christ-Roi... La peste de notre époque, c’est le laïcisme, ainsi qu’on l’appelle, avec ses erreurs et ses entreprises criminelles...
En imprimant à l’autorité des princes et des chefs d’Etat un certain caractère sacré, la dignité royale de Notre Seigneur ennoblit du même coup les devoirs et la soumission des citoyens... Si les princes et les gouvernants légitimement choisis étaient persuadés qu’ils commandent bien moins en leur propre nom qu’aux lieu et place du Divin-Roi, il est évident qu’ils useraient de leur autorité avec toute la vertu et la sagesse possibles... Alors on verrait l’ordre et la tranquillité s’épanouir et se consolider ; toute cause de révolte se trouverait écartée ; dans le prince et les autres dignitaires de l’Etat, le citoyen reconnaîtrait des hommes comme les autres, ses égaux par la nature humaine, même s’ils étaient par quelque côté des incapables ou des indignes ; il ne refuserait point pour autant de leur obéir quand il observerait qu’en leurs personnes s’offrent à lui l’image et l’autorité du Christ Dieu et homme. »
Et pour qu’on n’y oublie pas les Jésuites :
« Nous prescrivons également que chaque année, en ce même jour, on renouvelle la consécration du genre humain au Sacré-Cœur de Jésus... »
La religion est le ciment qui relie toutes les forces d’oppression, dressées contre les forces de libération ; elle est l’Autorité que nous voulons abattre. Que la lutte soit sans merci.
— A. LAPEYRE.
ENCYCLOPEDIE
n. f. (du grec : en, dans ; kuklos, cercle et paideia, enseignement)
Une encyclopédie est un ouvrage dans lequel est traité tout l’ensemble des connaissances humaines. En vérité un ouvrage semblable n’existe pas et ne peut pas exister de nos jours.
Chez les anciens, tout homme qui avait le souci de son intelligence et tenait à conserver sa réputation d’homme libre, apprenait ou plutôt suivait « l’encyclopédie », c’est-à-dire qu’il s’instruisait à toutes les branches des arts et des sciences. Mais à mesure que se développa le progrès et que les découvertes scientifiques, philosophiques, artistiques élargirent le cercle des connaissances générales, il devint impossible à l’individu d’emmagasiner dans son cerveau l’ensemble de ces connaissances et l’on renonça alors à l’étude de « l’encyclopédie ». Il devint nécessaire à l’homme de spécialiser ses études, en choisissant celles qui se rattachaient plus particulièrement à l’état que l’on désirait embrasser.
Ce fut François Bacon, le célèbre philosophe du XVIIème siècle qui, le premier, « systématisa nos connaissances » en divisant les sciences et les arts en trois branches distinctes : la première comprenant les histoires sacrées, civiles, l’histoire naturelle, la géologie, la technologie, etc... , etc... ; la seconde, la théologie, la philosophie, la nature, la grammaire, la rhétorique, les mathématiques, la chimie, etc., et la troisième l’art dramatique, la musique, la peinture et la sculpture
Le premier ouvrage qui porte le nom d’encyclopédie fut réalisé par d’Alembert et Diderot au XVIIIème siècle. C’est un puissant ouvrage auquel collaborèrent tous les hommes nouveaux de l’époque, les libres penseurs, les révolutionnaires, enfin tous ceux désirant modifier la société au point de vue politique et religieux et détruire les préjugés et les croyances du passé. Le « Discours préliminaire » de cette encyclopédie, rédigé par d’Alembert est un tableau remarquable des connaissances humaines à la veille de la grande Révolution française et constitue une des plus puissantes œuvres philosophiques du XVIIIème siècle.
De nos jours les encyclopédies les plus renommées sont :
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La grande encyclopédie publiée de 1885 à 1902 et qui forme un vaste recueil de 31 volumes. C’est en France l’encyclopédie la plus complète que l’on puisse trouver ; mais elle présente cette lacune, que n’étant pas tenue à jour, elle n’instruit pas sur toutes les transformations et progrès scientifiques et sociaux de ces vingt dernières années. C’est regrettable car depuis 1900 les découvertes furent nombreuses et le progrès rapide. Il faut donc chercher hors de cette encyclopédie les renseignements que l’on pourrait désirer.
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L’Encyclopédie britannique en 24 volumes de Charles Black et Adam.
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L’Encyclopédie allemande de Brokhaus en 17 volumes et celle de Meyer également en 17 volumes.
Comme ouvrage tenu à jour, il n’y a réellement en France que le Nouveau Larousse illustré en sept volumes publié de 1897 à 1904 sous la direction de Claude Augé ; un supplément fut publié en 1906 et depuis mars 1907, toujours sous la même direction parait une revue mensuelle encyclopédique qui enregistre toutes les manifestations de la vie contemporaine.
Les articles qui paraissent dans cette revue, d’ordre littéraire, artistique ou scientifique, sont classés avec soin et sont accompagnés d’une illustration documentaire. Mais il faut reprocher à ce qu’il est convenu d’appeler l’encyclopédie Larousse son caractère particulier et réactionnaire.
A côté des encyclopédies proprement dites qui embrassent, ou qui devraient embrasser le cercle des connaissances humaines, il y a les encyclopédies spéciales qui ne traitent que les notions utiles à un art ou à une science. L’encyclopédie médicale, comme son nom l’indique, est destinée aux hommes qui entendent étudier ou professer la médecine ; l’encyclopédie agricole, à ceux qui s’intéressent aux questions agricoles.
L’encyclopédie anarchiste est une encyclopédie spéciale. « Dans la masse des encyclopédies que l’on a publiées jusqu’à ce jour, déclarait Lachâtre, lorsqu’en 1856 il publia son Dictionnaire Universel, la plus importante, la plus nécessaire manquait : l’Encyclopédie du Peuple ; c’est cette lacune que nous avons l’espoir de remplir par la publication du dictionnaire universel et de ses compléments. »
C’est le même esprit qui anima notre camarade Sébastien Faure, lorsqu’il décida de publier l’Encyclopédie Anarchiste. Le Dictionnaire Universel de Lachâtre est un dictionnaire républicain, un dictionnaire social plein d’enseignements révolutionnaires, et qui soutenait la République à l’époque où celle-ci, écrasée par l’empire, semblait belle à ceux qui en attendaient la justice et la liberté. La République est sortie triomphante de la guerre de 1870 et aujourd’hui que de nouveaux désastres se sont abattus sur le peuple, après bientôt soixante ans de régime républicain, nous pouvons faire le bilan des années qui se sont écoulées et il était nécessaire que le peuple puisse puiser, dans un ouvrage qui lui est destiné, l’exemple et l’expérience indispensables à sa lutte. L’Encyclopédie Anarchiste n’est pas un traité lexicologique, ce n’est pas un ouvrage où l’on trouvera développés tous les sujets scientifiques, littéraires ou artistiques comme ils le sont — imparfaitement du reste — dans les autres dictionnaires, mais le lecteur y pourra chercher ce qu’il ne rencontrera dans aucune autre encyclopédie ; le développement des divers mouvements sociaux, étudiés et transcrits avec logique, clarté, limpidité et surtout avec impartialité.
L’Encyclopédie Anarchiste n’est pas rédigée par des grammairiens, mais Sébastien Faure s’est attaché des collaborateurs soucieux du travail qui leur est confié et qui dans un but de propagande par l’instruction et l’éducation, développent un sujet qu’ils connaissent profondément, avec précision et en termes susceptibles d’être compris par le plus humble des travailleurs.
Œuvre révolutionnaire au premier plan, l’Encyclopédie Anarchiste instruira le militant ouvrier sur tout ce qu’il ne doit pas ignorer dans la bataille quotidienne qu’il mène pour la libération de l’humanité. A sa lecture, il sera documenté non seulement sur l’évolution du mouvement anarchiste, mais aussi sur tous les mouvements sociaux qui visent au même but et empruntent pour l’atteindre des chemins différents et opposés. Le développement des diverses doctrines sociales y sont traitées par des hommes compétents appartenant à tous les partis et en conséquence l’Encyclopédie Anarchiste ne peut être taxée de partialité ; il est évident que l’exposé des espérances anarchistes y tient une grande place et que les conclusions sont parfois brutales pour les défenseurs du principe d’autorité. Mais est-ce la faute des Anarchistes si la critique de la société moderne s’impose par les vices exemplaires de cette société et si toutes les doctrines philosophiques ou sociales qui prétendent rénover l’humanité ont fait faillite ?
L’Encyclopédie Anarchiste est une œuvre d’utilité sociale. Bien que ne formant pas un ensemble complet de connaissances, on y trouve résumé tout ce qui peut intéresser l’individu qui cherche à connaître, à s’instruire, à s’élever et, à ce point de vue, elle constitue pour le peuple l’unique ouvrage écrit pour lui, l’ouvrage qui manquait : l’« Encyclopédie du Peuple ».
ENDORMEUR
adj.
Lorsque le chirurgien doit faire une opération douloureuse, il endort le patient afin que celui-ci, ne sentant pas son mal, se laisse faire sans bouger et facilite l’opération. Il a soin cependant d’avertir son client, de lui demander sa permission et de le réveiller une fois l’opération terminée. Dans l’opération sociale qui consiste à dépouiller le malheureux, à le pressurer, à l’affamer, à le faire produire beaucoup et consommer peu, à l’envoyer à la boucherie lorsque ses maîtres l’ont décidé, le malade, c’est-à-dire le peuple, doit être endormi sans le savoir et ne pas se réveiller. Pour le maintenir endormi, il y a tout un tas de sinistres gredins occupés continuellement à lui verser du chloroforme sur le crâne. Les endormeurs sont tous ceux qui travaillent à détourner son attention de sa misérable condition sociale, ou qui l’engagent à accepter celle-ci en le berçant d’espérances pour la vie future, ou qui lui demandent de leur confier ses intérêts pour qu’ils s’en occupent en ses lieu et place.
Endormeur : le curé, de quelque religion qu’il soit, qui fascine la foule avec des cérémonies grandioses, qui s’introduit partout pour maintenir l’autorité de l’Eglise, qui ordonne aux pauvres (qui n’ont rien) d’abandonner les biens de la terre aux riches (qui possèdent tout), avec l’espérance d’obtenir un bonheur sans limite dans l’autre monde, afin que les parasites puissent vivre en paix dans celui ci ; le curé qui répète sans cesse à ceux qui souffrent :
« Supportez avec résignation cette épreuve que Dieu vous envoie pour votre bonheur éternel. Soyez humbles. Soyez soumis et priez Dieu ! »
Endormeur : le moraliste qui nous prêche l’obéissance aux parents, aux maîtres, aux chefs, aux patrons, aux gouvernants ; la soumission aux lois, aux coutumes, aux préjugés ; l’amour paternel, maternel, familial, etc... , comme si cela se commandait ; l’amour du pays, du drapeau, de la patrie, bref toutes les amours, sauf l’amour charnel qu’il charge d’entraves jusqu’au point de le détruire ; qui nous conseille le renoncement à la vie, le sacrifice à l’intérêt général, à la grandeur du pays, et enfin, la mort pour la patrie !
Endormeur : l’économiste qui ne voit dans le travailleur qu’un instrument de production qu’il faut alimenter avec le minimum de dépenses, qui, après avoir compté les calories nécessaires à son entretien, lui conseille de se nourrir de haricots ou de lentilles pour assurer la prospérité du pays, qui lui vante la beauté de l’épargne — que des malins lui escroqueront — et de la surproduction qui amènera le chômage, la misère et la guerre.
Endormeur : le journaliste qui empêche le lecteur de penser, qui l’abêtit avec les récits des combats de boxe, des championnats de lutte, de courses, de danses, qui le gave de littérature idiote et malsaine, qui le nourrit de l’horreur des crimes, des scandales, qui fait du bluff autour des discours creux des gouvernants, de leurs faits et de leurs gestes insignifiants, afin de mieux cacher leurs œuvres criminelles et s’ingénie à passionner le peuple par des affaires retentissantes, genre Landru ou autres, lorsque les coquins qui tirent les ficelles de la tragédie sociale préparent leurs plus mauvais coups.
Endormeur : le politicien qui flatte les travailleurs, plaint leur misère, regrette leurs privations, leur reconnaît le droit à davantage de bien-être, mais leur défend bien de prendre eux-mêmes leur dû, leur recommande d’être bien sages et bien tranquilles, vu que lui se charge de leur faire obtenir satisfaction s’ils lui accordent leur confiance, et leur enjoint surtout de ne pas agir par eux-mêmes, car ils feraient tout manquer.
Endormeur : le chef ouvrier, bien casé dans une fonction syndicale, inamovible, vivant tranquillement dans son fromage, entretenu par les gros sous de ses compagnons de travail, ne craignant rien plus que de perdre sa place et d’être obligé de reprendre l’outil ; qui fait des discours enflammés contre le patronat dans les réunions publiques, mais qui est toujours prêt à châtrer l’énergie des ouvriers, lorsque ceux-ci veulent faire un mouvement de grève ou d’action directe ; qui prétend toujours que le moment n’est pas venu, qu’il faut attendre, que lui saura donner le signal au moment opportun, qu’il va intervenir auprès du patron, des pouvoirs publics, etc., et qui finalement, lance les ouvriers qui lui ont donné confiance dans les bras des politiciens.
Enfin, endormeurs aussi : ces entrepreneurs de Révolution, qui, après avoir jugé et condamné le régime capitaliste, ont décidé de se substituer à lui en adoptant ses institutions et en s’y adaptant eux-mêmes ; qui excitent la colère du peuple contre ses profiteurs et lui demandent de leur accorder le pouvoir pour faire, eux seuls, la transformation sociale, le rôle du Peuple devant alors se borner à attendre la Révolution sociale avec une sorte de fatalisme, sans avoir à s’en préoccuper autrement que pour fournir des soldats à l’armée révolutionnaire que les chefs de parti utiliseront comme ils l’entendront...
Et le peuple ainsi endormi par tous ces charlatans, ne sent pas le mal qui le ronge, l’oppression qui le suffoque, la chaîne qui l’étrangle, l’iniquité qui le tue. Il ne vit pas assez pour cela ! Si parfois le mal devient si grand qu’il est obligé de l’apercevoir, il attend le guérisseur avec son baume et sa morphine, en l’occurrence le politicien avec ses promesses et ses réformes illusoires. Avec ces calmants, il se rendort de nouveau.
Il est temps de réveiller ce peuple. L’opération qui le dépouille, qui l’opprime, qui l’asservit, qui l’anémie, qui le tue un peu chaque jour quand ce n’est pas d’une façon brutale, a assez duré. Mettons à nu ses plaies, ses misères, ses souffrances, aiguisons sa sensibilité au lieu de l’anesthésier. Il faut qu’il sente son mal pour le connaître et pouvoir le guérir. Il en souffrira davantage ? Soit ! Il ne tardera pas alors à se révolter et à se débarrasser de tous ceux qui l’endorment pour le torturer et l’empêcher de vivre. Montrons-lui le chemin de la libération, maintenons son activité en éveil, répétons-lui sans cesse :
« Si tu veux vivre, prépare ta vie toi-même ; produis, mais prends toi-même ce qui t’est nécessaire pour vivre ; si tu veux être libre, prends toi-même ta liberté ; si tu veux être heureux, puise toi-même aux sources du bonheur. La vie, la liberté, le bonheur ne se reçoivent pas ; ce sont des biens qu’il faut mériter et prendre. Le régime social actuel t’écrase et tu veux le voir remplacer par un autre ; attelle-toi à la besogne au lieu de compter sur ce que feront les autres. Détruis les institutions iniques, remplace-les par tes organisations à toi ; établis ton mode de vie sociale, mais n’oublie jamais que la Révolution ne sera que ce que tu la feras. Si tu restes endormi, si tu n’as pas la force ou le courage d’agir, tant pis pour toi ! Aucun autre ne peut agir à ta place. Ce n’est donc pas de te reposer sur nous que nous te demanderons, ni de nous donner ta confiance, mais d’agir avec nous, avec tous ceux qui souffrent, de travailler avec nous, d’étudier avec nous, d’élaborer avec nous une société qui sera ton œuvre comme la nôtre et dont personne ne pourra t’enlever les conquêtes et les avantages. Et une fois cela réalisé, ne crois pas que tu puisses laisser les endormeurs tranquilles. Ils ne tarderaient pas à t’endormir de nouveau et à te replonger dans la servitude de l’esclavage. Il te faudra encore veiller sans cesse pour conserver les conquêtes de la vie. Le sommeil, c’est l’hiver, c’est la nuit, c’est la résignation, c’est la mort ! »
— E. COTTE
ENERGIE
n. f. (du grec energeia, de en : dans et ergon : action)
Puissance, force, fermeté. Physiquement l’énergie est la capacité de travail qu’un corps est susceptible d’effectuer. Elle revêt diverses formes : l’énergie mécanique, l’énergie thermique, l’énergie électrique, l’énergie chimique, l’énergie musculaire, etc... Le principe de la conservation de l’énergie est dû à Helmhatz qui, le premier, en 1847, signala que dans un système, si aucune action extérieure n’intervient, l’énergie se conserve en quantité invariable.
L’énergie d’une expression ; l’énergie musculaire ; montrer de l’énergie ; avoir de l’énergie ; se défendre énergiquement ; un remède énergique ; agir énergiquement ; parler énergiquement.
A l’époque où la science n’avait pas encore capté les forces naturelles pour les mettre au service de l’humanité, l’énergie musculaire était presque seule utilisée pour répondre aux nombreux besoins des collectivités. A la contemplation de ce que nous a légué le passé, on reste sidéré de la somme d’énergie que durent dépenser les anciens pour exécuter les travaux indispensables à la vie des hommes et l’on se rend compte alors de ce que la civilisation doit au génie des chercheurs qui transforment leur intelligence en énergie mécanique, permettant à l’homme de triompher des obstacles inaccessibles à l’unique puissance musculaire.
L’énergie, quelle que soit la forme qu’elle emprunte est une source de progrès et il est faux, ainsi que le prétendent certains esprits rétrogrades, qu’elle soit un facteur d’asservissement social. Toute l’histoire oppose un démenti formel à une telle conception de l’énergie sur la vie des hommes.
Il n’est pas en notre pensée de louer la force en soi, quelles que soient ses manifestations. La force, a-t-on dit et répété maintes fois, prime le droit, et il est à redouter que longtemps encore il en soit ainsi. La force brutale, violente, incohérente est évidemment un facteur de domination sociale, cela est indiscutable, mais elle ne peut être combattue et détruite que par une force supérieure capable d’entraîner les hommes vers leur libération. Or, c’est l’énergie, sous toutes ses formes qui réalisera ce miracle car c’est l’énergie qui détermine l’évolution et qui permettra d’atteindre au plus haut sommet de la civilisation humaine.
Energie intellectuelle, énergie sociale, énergie chimique, énergie mécanique, énergie électrique, toutes ces manifestations de l’énergie ne sont en réalité que de l’énergie transformée, et se confondant les unes dans les autres. L’énergie est unique, mais asservie aux hommes elle emprunte certains caractères et travaille à leur émancipation.
La capacité de travail de l’individu a une limite qu’il ne peut dépasser sous peine de mort. La force musculaire est restreinte et s’il est vrai que la civilisation a pour but, non pas la restriction des besoins de l’humanité, mais au contraire leur développement, afin que chacun puisse goûter sainement à toutes les joies, physiques, morales et intellectuelles, il devient nécessaire de chercher en dehors des forces physiques de l’homme, une puissance susceptible de se substituer à la sienne et de produire en un temps moindre une somme de travail beaucoup plus élevée.
Si l’on imagine ce que coûtèrent de souffrances l’édification des monuments anciens, la construction des villes et des cités, l’énergie dépensée musculairement pour assurer l’existence des grandes agglomérations humaines et que l’on considère la vie actuelle des sociétés, on ne peut pas dire que l’énergie ne soit pas une source, un facteur d’évolution.
Suppose-t-on seulement combien de vies sombrèrent dans la construction de la célèbre Pyramide de Chéops, dite la « Grande Pyramide » qui mesure 138 mètres de haut, a 227 mètres à sa base, et une arête de 217 mètres ? Maîtres de la mécanique et de l’électricité dont on est arrivé à capter l’énergie, de nos jours, quelque colossales que soient ces exécutions, elles ne présenteraient pas les difficultés du passé. Des travaux d’une autre envergure ont été exécutés, sans que le travailleur soit réduit à l’état de bête de somme, comme dans l’antiquité. N’est-ce pas à l’énergie industrialisée qu’il doit ce succès ?
Et dans tous les domaines, les bienfaits de l’énergie se font sentir. N’est-ce pas grâce à elle qu’il est permis aujourd’hui à tous de se déplacer et l’énergie électrique ne permet-elle pas à l’individu de franchir en un laps de temps extrêmement court, des espaces que nos ancêtres directs auraient qualifiés de fantasmagoriques.
Et c’est encore à l’énergie industrialisée que nous sommes redevables, dans une certaine mesure, de la diminution progressive des heures de travail et par extension de la diminution de fatigue qui en résulte.
On pourrait certes objecter qu’aux manifestations bienfaisantes de l’énergie, on doit pour être juste, opposer tous ses bienfaits, et que si elle assure à l’homme d’aujourd’hui un bien-être relativement supérieur à celui dont jouissaient nos ancêtres, elle est également un facteur de destruction, car elle possède la faculté d’abattre, de tuer, de ruiner avec une rapidité et une atrocité déconcertantes. S’il en est ainsi c’est que l’homme ne sait pas se servir de l’outil qu’il a entre les mains et qu’il se trouve dans la situation d’un enfant auquel on donnerait une locomotive à conduire sur une voie ferrée. Ce serait un désastre ; il en est de même avec l’énergie. L’homme n’a pas seulement à son service une énergie musculaire, une énergie brutale, il a également une énergie cérébrale, intellectuelle, qu’il ne doit pas subordonner à l’énergie violente ; au contraire. C’est de sa fermeté, de son énergie morale que dépend tout son bonheur. Pour nous, et nous le disons déjà plus haut, l’énergie est un tout. Prise dans diverses formes qu’elle emprunte, elle peut paraître nuisible ; il est incontestable que l’énergie dépensée militairement ne peut être d’aucune utilité, mais c’est là justement que l’énergie sociale doit apparaître, se manifester hautement pour détruire l’énergie parasitaire qui envenime toutes nos sociétés modernes.
Le peuple peut, s’il le veut, disposer d’une somme d’énergie formidable ; il est le maître absolu de son avenir et, seul, il est responsable de la situation précaire dans laquelle il croupit. C’est à sa mollesse, à sa faiblesse qu’il doit s’attaquer s’il veut ne plus être un esclave, et avoir sa place au soleil. Si les travailleurs, les exploités, les opprimés, les asservis, les parias, dépensaient, pour leur libération, la dixième part de l’énergie qu’ils ont offerte au capitalisme et à la bourgeoisie, il y a longtemps qu’ils ne seraient plus des esclaves, mais des hommes libres.
L’énergie est une source de progrès, il faut savoir s’en servir. Industrielle, musculaire ou intellectuelle, c’est elle qui guide et dirige le monde. Les maîtres l’ont accaparée et s’en servent pour dominer leurs sujets. Que les peuples se lèvent, qu’ils se refusent à être un puits de richesses pour une minorité d’oisifs et de profiteurs, qu’ils conservent, pour se défendre, toute leur énergie et ils sortiront victorieux de la bataille que livreront les forces de liberté aux puissances de réaction et de conservation sociale.
ENERGIE
On dit qu’un corps ou système de corps possède l’énergie lorsqu’il est capable de produire du travail. Cette énergie peut exister dans les corps soit à l’état actuel ou cinétique, soit à l’état potentiel.
On entend par énergie actuelle ou cinétique celle que possèdent les corps en mouvement. Nous la trouvons dans la nature produite par les chutes d’eau, les vents, les mouvements de la mer. A cet état, nous savons plus ou moins facilement l’utiliser, c’est-à-dire lui faire produire le travail dont nous avons besoin, et nous devons le faire au lieu et à l’instant où elle se produit. L’énergie potentielle existe à l’état latent ou en puissance, dans certains corps ou systèmes de corps au repos, et peut apparaître à l’état d’énergie actuelle, c’est-à-dire être utilisée, en un lieu et à un moment quelconques. Pour provoquer cette transformation en travail, il suffit d’une faible dépense d’énergie primitive. Considérons, par exemple, une certaine quantité de charbon : le système des corps constitué par le charbon et l’oxygène de l’air possède une énergie potentielle. En effet, il suffira de porter une partie du charbon à une température convenable pour que la combustion, c’est-àdire la combinaison avec l’oxygène, de toute la masse, se produise. Cette combustion permettra, comme on le sait, de vaporiser l’eau d’une chaudière et de mettre en mouvement une machine à vapeur qui produira le travail. L’énergie primitive qu’il a fallu dépenser pour transformer en travail l’énergie potentielle du système charbon-oxygène est représentée par la quantité de chaleur nécessaire pour porter une faible quantité de charbon à une température suffisante pour provoquer la combustion. Il y a différentes formes de l’énergie. On sait qu’on peut mettre en mouvement les machines d’une usine, c’est-à-dire produire du travail soit au moyen d’une chute d’eau, soit en utilisant la chaleur produite elle-même par la combinaison chimique de deux corps, carbone et oxygène (machine à vapeur), soit au moyen d’un moteur électrique alimenté par un courant. Donc, la chute d’un corps (torrent), la chaleur, les phénomènes chimiques, le courant électrique, sont des manifestations de l’énergie : énergie mécanique, thermique, chimique, électrique.
On trouve dans la nature, d’une part, la matière ; d’autre part, l’énergie. Pour utiliser convenablement la matière, nous devons la transformer. Ex. : transformation des minéraux en métaux, les calcaires en chaux, etc. De même, la forme de l’énergie doit être transformée pour être utilisée. La possibilité de cette transformation nous est donnée par la machine à vapeur. L’énergie potentielle chimique de l’ensemble carbone-oxygène s’est transformée en énergie thermique et elle-même en énergie mécanique. Cette énergie peut actionner une dynamo qui donnera de l’énergie électrique.
Toutefois, cette transformation nécessite une certaine complexité d’appareils et elle ne se fait qu’à condition de consentir à une perte énorme de l’énergie mise en jeu, environ 90 %. Cependant, on peut transformer l’énergie sans grande perte et on peut aussi la transformer facilement d’un point à un autre. Chacun sait que l’on peut transporter l’énergie produite par une chute d’eau et préalablement transformée en énergie électrique à plusieurs centaines de kilomètres ; et l’utiliser à son point d’arrivée, sous différentes formes (V. Electrification).
On remarque que, dans un système, si aucune action n’intervient de l’extérieur, l’énergie se conserve en quantité invariable, quelle que soit sa transformation. C’est le principe de la conservation de l’énergie. L’énergie ne se crée ni ne disparaît : elle ne fait que se transformer. Si nous considérons une certaine quantité d’énergie électrique et que nous la transformions intégralement, partie en chaleur et partie en travail mécanique, la somme de ces deux dernières formes d’énergie sera rigoureusement égale à la quantité d’énergie première.
ENFANCE
n. f.
C’est la première période de la vie de l’humain. Elle commence à la naissance, se termine à l’âge de la puberté (Voir puberté, enfant). L’enfance a un charme auquel l’homme sain, en général, est très sensible. Dans une autre partie de cet ouvrage, il sera sans doute parlé des grands amis des enfants, des Vincent de Paul, des Tolstoï, mais ce qu’on ne pourrait rendre, c’est l’enthousiasme qui, depuis des millénaires, anime les artistes, les savants, les penseurs innombrables, tous ceux qui ont entrepris d’exprimer, d’aider, de défendre l’Enfance au charme infini...
Ce charme, l’anarchiste l’éprouve, j’ose le dire, plus que tout autre, car sa conscience d’antiautoritaire y est préparée par son regret spécifique des faibles et des sans défense. La vue de l’enfance malheureuse est pour lui une source intarissable d’énergie, un stimulant continuel et puissant. Il écoute douloureusement l’écho des souffrances de cette humanité confiante et, prévoyant ce qu’elle endurera encore demain, il s’efforce de l’équiper pour la lutte, de la rendre plus volontaire, plus indépendante, plus apte au bonheur (voir Education).
Je l’ai dit plus haut : d’autres que les anarchistes se sont mis au service de l’enfance, mais seuls, par définition, puisque antiautoritaires, les anarchistes se doivent d’élever l’enfant pour l’enfant ou, si vous le préférez, le mobile égoïste de l’anarchiste cherchant à aider l’enfant est d’un degré « supérieur » à celui de la moyenne de ses concurrents : ceux-ci, en effet, voient surtout dans la protection de l’enfance un moyen d’étendre dans l’avenir leur propagande en faveur de leur système politique ou de leur religion, alors que l’anarchisme bien compris ne forme que des hérétiques. Quoi qu’il en soit, il n’en a pas moins fallu des siècles d’efforts de bon ou de mauvais aloi pour acquérir les maigres résultats actuels ; bien d’autres siècles, sans doute, s’écouleront encore avant que la grande détresse des petits cesse d’arracher des larmes de compassion. Les bonnes œuvres se sont multipliées ; la « protection légale de l’enfance » a réglé d’une manière moins inique le travail des enfants dans l’industrie : limite d’âge, du nombre d’heures de travail, suppression du travail nocturne, etc. ; la loi garde un œil ouvert sur les enfants en nourrice, appesantit sa main sur les parents indignes, mais... la plupart de ces progrès restent théoriques, le capitalisme refuse à la grande majorité des enfants la nourriture matérielle ou intellectuelle indispensable, les relègue dans des taudis ; la Mère Patrie crée des bagnes d’enfants, au mépris de la Science et de son déterminisme (voir L. Roubaud : Les Enfants de Caïn (Grasset). La loi conçoit étrangement le mot « indigne « , qu’elle applique trop souvent aux êtres dignes et indépendants, tout en distribuant des palmes aux fous dangereux, mystiques ou patriotes. Beaucoup plus « efficace » que sa protection légale est la prostitution légale et, par des primes et des distinctions, elle encourage une concurrence abominable dans la procréation parmi les misérables et les dégénérés, organisant ainsi le recrutement des armées de semi-humains nécessaires pour assurer un plus grand rendement à l’exploitation de l’homme par l’homme. L’Etat français — suprême honte — en organisant le blocus de l’immense mais faible Russie, en a fait, pendant des années, un enfer de l’enfance squelettique, un foyer de prostitution infantile dont les conséquences damneront encore plusieurs générations. Quant à l’enfance horrible de nos « frères arriérés » des colonies, je renonce à la dépeindre : on n’en rapporte — voyez, entre autres, les ouvrages de Vigné d’Octon et de G. Anquetil — qu’une hallucinante suite de viols et de tortures sans nom effectués par la grâce des drapeaux et des Bons Dieux de toutes sortes, de l’alcoolisme, du sadisme et du coffre-fort.
ENFANT
n. m.
L’enfant naît, masse ronde aux membres frêles et sans muscles. Seule, la respiration fonctionne chez lui comme chez l’adulte et pour qu’il se nourrisse normalement, sept années lui seront nécessaires. Vers 13 ou 14 ans, sous nos climats, des troubles nerveux et digestifs, l’apparition de poils sur les organes sexuels et aux aisselles révèlent qu’un mystérieux travail s’est accompli en lui : l’enfant est pubère, la fonction sexuelle a acquis une place importante dans sa vie organique et affective. Le squelette se développe rapidement, la graisse disparait, les membres s’allongent, les muscles se forment. Vers la 23 année — un peu plus tôt chez les filles — le développement physique de l’enfant est achevé. Quant au cerveau, il se développe à peu près régulièrement jusqu’au seuil de la vieillesse.
Il convient de tenir compte de ces détails physiologiques. Chaque stade a besoin de son régime particulier. Le nouveau-né ne peut que respirer et — difficilement – digérer : procurons-lui de l’air pur, une nourriture adéquate. Puis, favorisons l’épanouissement sain de ses besoins sentimentaux et leur transition en besoin sexuel. C’est l’âge de l’activité modérée nécessaire aux muscles en formation : jeux, gymnastique, jardinage, sports légers, travaux de ménage, etc. Ce n’est qu’à l’âge adulte qu’il supportera les grandes fatigues. Quant à la nourriture intellectuelle, elle augmentera progressivement, comme le cerveau lui-même, pendant toute la vie. Ceci soit dit en général : le développement de chaque être étant soumis à un rythme particulier dont il faut aussi tenir compte.
Enfant et parents.
Ce n’est certainement pas pour le bien du petit à venir, dont on ne peut prévoir si les joies compenseront les peines, que les parents l’appellent à la vie ; force nous est d’admettre que c’est l’égoïsme qui en est cause : besoin affectif, quelquefois ; le plus souvent, ignorance de la préservation de la grossesse, peur de l’opinion et de la loi, résignation à un sort qu’on croit inévitable, bref : irresponsabilité. L’irréparable accompli, l’enfant une fois venu, il faut bien s’en accommoder et l’élever : les parents, d’ordinaire, s’en acquittent tant bien que mal. A ce titre, ils sont les premiers bienfaiteurs de l’enfant. Celui-ci, d’ailleurs, ne se figure guère que ces bienfaits pourraient lui manquer, et n’en éprouve de reconnaissance... qu’après des sommations réitérées. Au contraire, les parents forment d’abord exclusivement le milieu pour l’enfant, avec tout ce qu’il comporte d’hostile ; c’est à eux de le nettoyer, de le coucher, de lui refuser certaines choses, de lui en administrer d’autres de force... ils sont ses premiers ennemis. Cette hostilité peut s’atténuer par la suite, se transformer en reconnaissance, mais bien souvent, elle subsiste sous des formes différentes : hypocrisie, mensonge, obstination secrète à ne pas satisfaire l’ambition paternelle. Arrivés à point, les parents se voient continuellement obligés de recourir à la contrainte ; de plus en plus ils deviennent les ennemis de leurs enfants, bien que leurs préjugés moraux empêchent les uns et les autres de le reconnaître. La 1oi confère d’ailleurs généreusement aux parents le droit de châtier « justement » leur enfant, de le surmener par ambition, de décider contre son gré de son avenir, d’empêcher son mariage jusqu’à 21 ou 25 ans, de le faire interner s’il regimbe.
Mieux : elle leur fait un devoir de l’empoisonner de religiosité, de patriotisme, au risque de lui enlever à jamais toute saine notion des choses. Ceci pour l’enfant de bourgeois. Quant au jeune prolétaire, il grandit « comme l’herbe pousse », ses parents n’ayant pas la moindre notion de la puériculture, de pédagogie. Incapables même de se nourrir intelligemment, comment pourraient-ils songer à s’écarter de leur routine ? Bon nombre de tout petits passent leurs jours de la semaine dans l’urine, les dimanches dans les bistros — car les ouvriers modernes et évolués « sortent » leur femme ! L’air enfumé rougit les tristes paupières, irrite la gorge sature les bronches... Tard dans la soirée, on s’en retourne à la maison. Chose étrange, le petiot n’a pas faim — il est vrai qu’à plusieurs reprises, on lui a permis de boire — oh si peu ! histoire de calmer ses pleurs — au verre maternel, et qu’on lui a donné un bon gros morceau de charcuterie — il l’aime tant ! Que nous voici loin des principes énoncés tantôt : air pur, nourriture et culture choisies...
Enfant et Société.
Outre les droits que la Société confère aux parents, il en est qu’elle s’attribue à elle-même. Le plus abominable, bien que le moins combattu, tant on y est accoutumé, est celui d’imposer à l’enfant une nationalité.
On s’est à peu près affranchi de l’emprise officielle des religions, mais la religion nationaliste reste, et il semble même paradoxal de « refuser » une nationalité, comme on écarte de nos jours la religion. Il est interdit de refuser de payer, de la sorte, les dettes des autres. Nous sommes « amis » des habitants d’une contrée, « ennemis » de ceux de la contrée voisine. De même que les parents ont décrété tantôt que leur poupon sera marchand de vins et radical et protestant, l’Etat décrète qu’on haïra ses ennemis, et qu’on trimera pour équilibrer le budget ! Pour parfaire le tout, on force les enfants mâles à apprendre le métier des armes et à faire usage de ces nobles connaissances contre le premier désigné : chose d’autant plus grave que le conscrit est encore, légalement, un enfant, puisque mineur. Et de fait, bien peu de conscrits comprennent la gravité de cette participation à l’armée ; beaucoup prétendent plus tard qu’ils s’y seraient refusés, s’ils avaient su plus tôt...
L’enfant est aussi astreint, dans nombre de pays, à recevoir une instruction de premier degré. Le système d’enseignement varie suivant les pays, mais en tout cas, son but semble beaucoup plus être la propagande en faveur d’une doctrine sociale ou religieuse que le bien de l’enfant (v. enseignement).
L’Etat s’occupe avec une sollicitude touchante de la réglementation de la filiation. Les enfants nés de parents mariés ensemble sont légitimes, et ont des droits sur le patrimoine de leurs parents ; les autres sont... naturels ! Il y a d’ailleurs plusieurs façons de naître naturellement. En France, l’enfant naturel simple — dont les parents n’ont pas d’engagements légaux ailleurs — a droit, dans une certaine mesure, à leur succession ; il peut être reconnu et légitimé. Quant aux enfants nés de parents ne pouvant se marier ensemble — étant liés ailleurs — la loi en fait d’office des orphelins ; ils ne peuvent être ni reconnus, ni légitimés ; ils n’ont droit qu’à des aliments. Encore au-dessous de ces parias dans l’estime populaire, les enfants naturels incestueux, dont les parents — ne serait-ce que par alliance — sont de la même famille, jouissent des mêmes « droits » que les précédents...
L’enfant et les anarchistes.
Plus que tout autre, l’anarchiste s’intéresse au problème de l’enfance : le charme de celle-ci, les possibilités qu’elle porte en germe expliquent amplement ce fait. Par la force, l’enfant est irrémédiablement condamné à être la propriété de quelque tuteur. Contre l’un de ses tuteurs, l’Etat, l’anarchiste a pris nettement position : institution néfaste, il n’y a qu’à le forcer à disparaître au plus vite (voir Anarchisme, Etat).
Restent les tuteurs naturels : les parents. Ceux-ci ne sont guère qu’un « mal inévitable » pour l’enfant ; parents par malchance, ils considèrent leurs rejetons comme un fardeau haïssable : la propagande anticonceptionnelle diminue chaque jour le nombre des uns et des autres. Les anarchistes ont toujours été à peu près les seuls à la mener activement, les partis ouvriers la trouvant immorale. En France, elle est actuellement interdite. Un instinct puissant pousse d’ailleurs la plupart des parents à se soucier de l’intérêt de leur progéniture. Au nom de cet intérêt, l’anarchiste va s’adresser à ces derniers. Il leur montrera combien ils vont à l’encontre de leur but, en apprenant à l’enfant à tout sacrifier : fierté, indépendance, à une ambition à la vue courte, la plus grande richesse pour chacun étant de se sentir, soi-même, une valeur.
Aidée par la psychologie, la pédagogie moderne seconde d’ailleurs précieusement les anarchistes dans cette tâche. Depuis Fröbel et ses « jardins d’enfants » jusqu’au système Dalton, elle accorde chaque jour plus d’autonomie à l’enfant. En haut lieu, on est peu pressé de mettre en pratique ces dernières acquisitions en matière pédagogique : c’est qu’elles poussent à l’individualisme. Aussi les anarchistes accordent-ils de plus en plus d’attention aux questions touchant l’enfance.
— L. WASTIAUX.
BIBLIOGRAPHIE.
Dr Louis Genest : Les maladies des enfants (Drouin, éditeur)
Dr Pascault : Précis d’alimentation rationnelle (Larousse)
Bessède : Initiation sexuelle
Lorulot : La véritable éducation sexuelle
Ellen Key : Le siècle de l’Entant
S. Mac Say : La Laïque contre l’Enfant
ENFANT
n. m. (lat. infans ; de in, non et tari, parler)
Il est d’usage de diviser la vie humaine en trois périodes :
-
la jeunesse qui comprend l’enfance et l’adolescence ;
-
l’âge mûr ou âge adulte ;
-
la vieillesse.
Autrefois l’enfant était considéré comme un adulte en réduction, un « homonculus », ses tendances particulières, ses manières propres de sentir, d’agir, de penser paraissaient être autant de défauts ou d’erreurs dont il fallait s’empresser de le corriger pour l’amener au plus tôt au degré d’adulte.
Aujourd’hui, seuls des parents plus aimants que clairvoyants, continuent d’admirer les enfants qui singent les grandes personnes et ont, en apparence, des raisonnements d’adultes. Physiologistes et psychologues savent bien que l’enfant n’est pas tout à fait une réduction d’homme bien qu’il ne soit pas absolument différent de ce qu’il sera plus tard, ils le considèrent comme un être qui évolue.
Le développement physique de l’enfant n’est pas uniforme, tantôt la croissance est ralentie ou arrêtée, tantôt elle est accélérée. Les accélérations rapides, crises de croissance, varient avec le sexe, la race, l’état de santé et les conditions sociales. Les enfants des familles pauvres ont un développement physique entravé par des conditions alimentaires et hygiéniques défectueuses.
Les crises de croissance en poids ne correspondent pas aux crises de croissance en taille : l’enfant grandit plus qu’il ne grossit tandis que l’adolescent grossit plus qu’il ne grandit.
La grandeur relative de la tête par rapport à l’ensemble du corps varie d’une façon importante ; proportionnellement le nouveau-né a la tête sept fois plus grosse que l’adulte. La rapidité de la respiration varie également dans de fortes proportions : le nouveau-né respire environ trois fois plus vite que l’adulte ; l’enfant de six ans environ deux fois plus vite.
Le nouveau-né est un être à actions réflexes, ces activités peuvent s’exercer sans l’aide du cerveau imparfaitement développé (voir : cerveau, p. 314, 2ème col.).
Au point de vue psychologique l’enfant ne diffère pas moins de l’adulte :
« L’enfant vit dans le présent ; l’adolescent découvre l’avenir ; l’adulte vit dans l’avenir ; le vieillard vit dans le passé » (F. Challaye)
L’enfant est, a-t-on dit, un être sensori-moteur. Les sensations et les mouvements occupent en effet une large place dans la conscience de l’enfant,
Les tendances enfantines, dont la satisfaction produit l’intérêt, naissent les unes après les autres en un ordre constant, elles n’apparaissent ni ne disparaissent subitement mais elles atteignent toujours un point culminant ; c’est ainsi que l’intérêt glossique (au langage) atteint un tel point entre deux et trois ans. De cette prédominance des tendances on a parfois retiré une classification de l’enfance en stades : du suceur, du regardeur, de l’attrapeur, du trotteur, du parlotteur, etc...
En résumé les enfants ne sont pas entièrement différents des adultes mais ne sont pas non plus des réductions d’adultes. Ce sont des êtres qui évoluent suivant une certaine périodicité qui varie sous l’influence de multiples facteurs : les sexes, les individus, etc... Les classifications des âges de l’homme, des stades de l’enfance, de l’évolution des intérêts enfantins s’appliquent à des individus moyens qui n’existent pas en réalité ; elles nous renseignent sur l’évolution de l’espèce mais non sur l’évolution individuelle.
Tous les individus normaux d’un même âge ont des caractères communs : à un âge donné les enfants sont tous aux mêmes stades de leur développement, physique, affectif et mental et les lois de ce développement sont valables pour eux. Mais tous ces individus ont en propre des hérédités congénitales et ont été modifiés par des éducations différentes selon les sujets.
Il en résulte que chaque enfant présente une double évolution, spécifique et individuelle qui fait qu’il ressemble à tout autre enfant et en diffère.
Conséquences pédagogiques.
On sait bien que le développement physique de l’enfant exige qu’il ne soit pas traité comme un petit homme, que par exemple son alimentation doit différer de celle de l’adulte non seulement en quantité mais encore en qualité. Tout n’est certes pas parfait dans le mode d’alimentation et dans l’hygiène des enfants mais cependant on s’en préoccupe et l’on s’empresse de faire venir le médecin si la santé et le développement physique d’un enfant laissent à désirer.
Quelle différence en ce qui concerne le développement intellectuel et moral ! Les mêmes parents qui s’efforçaient de tenir compte du développement physique et de la santé du corps ne s’inquiètent point de ce qui a trait au bon développement intellectuel et affectif. Pour faire de l’enfant un homme on ne sait qu’ordonner et réprimer. Parents et maîtres sont généralement des despotes et l’enfant doit obéir sans discussion. La grande affaire n’est pas de savoir ce qui lui plait, de connaître ses désirs et ses intérêts, mais de l’obliger à agir selon le bon plaisir des adultes.
Les anarchistes, vraiment conscients, qui ont souffert de l’autorité agissent parfois d’une façon tout à fait opposée à celle de ces parents tyranniques. Certains pensent que pour faire de leurs enfants des individualités libres il convient de les laisser grandir dans la liberté la plus absolue.
Admis d’un côté des éducateurs qui veulent faire des hommes en traitant les enfants comme des esclaves, qui veulent que chaque enfant réalise un idéal qu’ils se sont créé sans souci des intérêts et des possibilités de l’enfant lui-même ; de l’autre, des éducateurs ennemis de toute contrainte et qui laissent l’enfant agir selon son caprice.
Ces éducateurs ont besoin de la leçon du jardinier.
Lorsque cet artisan veut amener un arbre à fruit, il s’informe de son espèce, il étudie son mode de végétation, car il sait que les poiriers ne se traitent pas comme les pêchers, que parmi les poiriers certaines variétés exigent une taille ou plus courte ou plus longue et qu’enfin deux arbres d’une même variété présentent toujours des différences dont ils doivent tenir compte.
Or le jardinier ayant étudié chacun de ces arbres ne les laisse pas à l’abandon, il courbe, pince, taille, mais n’allez pas croire qu’il taille tout ce qui n’est pas bourgeon à fruit, il sait que chaque bourgeon à fruit ne devient pas tel du jour au lendemain et que tel bourgeon pourra devenir bourgeon à fruit ou bourgeon à bois selon la taille qu’il appliquera au rameau tout entier.
Ainsi font les bons éducateurs qui considèrent les enfants en leur devenir, en leurs possibilités. Pas plus que le jardinier ne se disait : ce bourgeon n’a pas de fruit, il faut le couper, ils ne se disent : cette tendance, cet intérêt ne sont pas utiles à l’homme, il faut les supprimer ; mais quels rôles peuvent-ils jouer dans l’évolution de l’enfant, de cet enfant ?
Pour faire vraiment des hommes libres aux individualités fortes il faut d’abord se rendre compte de ce qui caractérise vraiment la liberté et la volonté et il faut ensuite savoir ce que peut chaque enfant, quels germes sont en lui qu’il faut soigneusement cultiver, développer pour le rendre capable d’être libre et lui apprendre à vouloir.
Etre libre, ce n’est pas faire tout ce qu’on veut mais vouloir tout ce qu’on fait et la liberté de chacun est limitée par la liberté des autres. Ceux qui ont une forte individualité ne sont pas ceux qui font tout ce qui leur passe par la tête, mais ceux qui sont capables de faire un choix raisonné parmi un certain nombre d’actions possibles et de se conformer à ce choix. Vouloir n’est pas seulement agir, c’est d’abord juger, déterminer l’action à faire en tenant compte des possibilités, des probabilités, des nécessités, etc., et c’est ensuite juger et déterminer encore à propos des moyens d’action à employer.
Par suite laisser à l’enfant — qui n’a pas encore acquis le développement intellectuel nécessaire — la liberté de faire tout ce qu’il lui plaît, rien que ce qui lui plaît et quand cela lui plaît, ce n’est pas lui donner la possibilité de vouloir et c’est sûrement lui faire acquérir l’habitude d’agir selon ses impulsions, le rendre esclave de ses tendances bonnes ou mauvaises.
L’homme esclave des mauvais penchants que lui ont légués l’hérédité et le milieu n’est pas plus notre idéal que l’homme esclave de la Société.
Il est un juste milieu entre la contrainte extérieure, l’abus de l’autorité et l’entière liberté qui apparaît clairement lorsqu’on considère l’enfant comme un être qui évolue. Pour préparer des hommes libres, des individualités fortes il faut tenir compte de la nature même des enfants. Il faut saisir toutes les occasions d’amener les enfants à agir, à se décider par eux-mêmes, à faire preuve d’initiative. Il faut par conséquent ne les guider, les servir, les commander, les dispenser d’efforts que dans la mesure où la chose est indispensable.
Les enfants doivent acquérir progressivement une capacité croissante d’efforts choisis et déterminés par eux. Parce qu’ils ne sont pas encore capables de juger et de se déterminer en toutes choses il est nécessaire que les adultes, dans leur intérêt, jugent parfois à leur place mais il doivent leur permettre de faire preuve d’initiative toutes les fois que la chose est possible.
Il est souhaitable que les enfants aient conscience que les ordres reçus ne résultent pas du caprice des parents ou des maîtres, qu’ ils en comprennent les raisons et qu’enfin il leur soit laissé la plus large initiative dans le choix des moyens.
Les ordres bien définis, auxquels les enfants doivent obéir immédiatement devront être aussi rares que possible et il est désirable que les enfants comprennent qu’ils résultent d’une réelle nécessité ; par suite il faut éviter les ordres capricieux, irréguliers et contradictoires.
Les jeunes enfants, lorsqu’ils sentent qu’on les aime et qu’on les commande dans leur intérêt sont rarement désobéissants. L’enfant qui se sent incapable de bien juger obéit aisément, ce n’est que l’adolescent plus apte à reconnaître, à discuter et à raisonner qui obéit avec peine lorsqu’on n’accompagne pas l’ordre des raisons de l’exécuter.
La plupart des désobéissances des jeunes enfants proviennent des maladresses des parents qui n’ont pas su agir de telle façon que les enfants sentent qu’on les commande dans leur propre intérêt.
A vrai dire certains parents sont des tyrans égoïstes mais ce ne sont pas les seuls qui ne savent pas user de leur autorité.
Certains parents multiplient les ordres et interviennent à tout propos dans la vie de l’enfant, ne lui laissant nulle occasion d’agir de sa propre initiative ; d’autres substituent sans cesse des contre-ordres aux ordres donnés, soit que les contre-ordres du papa s’appliquent aux ordres de la maman ou vice-versa, soit qu’ils marquent la faiblesse de l’adulte en présence des pleurs, cris ou révolte de l’enfant.
Il ne suffit pas que les éducateurs permettent aux enfants de juger, de raisonner, de choisir, de se déterminer et d’agir d’après leur propre initiative toutes les fois que leur développement intellectuel et affectif le leur permet. Les éducateurs doivent encore s’ingénier à fournir aux enfants des occasions de développement. Ils doivent organiser un milieu éducatif dans lequel l’enfant pourra agir et où ses qualités individuelles et sociales pourront se développer.
Chaque enfant a des tendances, des intérêts qui pour le bon éducateur sont des points de départ ; il s’agit pour l’adulte de voir où ils peuvent mener l’enfant et de placer sur le chemin de ce dernier de multiples occasions d’agir, et par conséquent d’apprendre à juger, à se déterminer, à vouloir, conformément à ces intérêts. Il est évident que ces occasions que l’éducateur offre ainsi à l’enfant ne sont pas des occasions quelconques, qu’elles résultent d’une sélection faite par l’éducateur qui choisit tout ce qui peut stimuler l’épanouissement de l’individualité enfantine dans le sens convenable.
En résumé, l’adulte ne renonce pas à intervenir dans la vie de l’enfant, mais il y intervient le moins possible, toujours dans l’intérêt de ce dernier et il s’efforce de développer progressivement la capacité de vivre sans l’autorité d’une contrainte extérieure.
* * *
Les psychologues divisent l’enfance en un certain nombre de périodes mais suivant le point de vue auquel ils se sont placés leurs subdivisions varient. Enfin les divisions et les subdivisions sont approximatives en raison des variations sexuelles et individuelles.
En se plaçant au point de vue de la croissance, Claparède établit les divisions suivantes :
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Première enfance : jusqu’à 7 ans jusqu’à 6–7 ans
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Seconde enfance : de 7 à 12 de 7 à 10
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Adolescence : de 12 à 15 de10 à 13
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Puberté : de 15 à16 de13 à 14
Au point de vue des intérêts le même auteur établit un plus grand nombre de divisions :
0 à 1 an ; 1 an à 3 ans ; 3 à 7 ans ; 7 à 12 ans ; 12 à 18 ans, etc...
Au même point de vue Nagy propose la division suivante :
0 à 2 ans ; 2 à 7 ans ; 7 à 10 ans ; 10 à 15 ans ; après 15 ans.
Halle a proposé trois divisions qui comportent d’ailleurs des subdivisions :
0 à 7 ans ; 7 à 15 ans ; 15 à 25 ans, etc...
Le Dr Bertillon divise la vie humaine en 17 périodes dont quatre pour la vie intra-utérine ; dans sa classification la première enfance, divisée en trois périodes, prend fin vers 7 ans.
Lacassagne propose :
0 à 7 mois ; 7 mois à 2 ans ; 2 ans à 7 ans ; 7 à 15 ans ; 15 à 20 ans.
Verrier donne la division :
0 à 7 ans ; 7 à 14 ans ; 14 à 21 ans.
Sringer :
0 à 2 ans ; 2 ans à la puberté (10 à 12 ans) ; etc...
Cruchet :
0 à 2 ans ; 2 à 7 ans ; 7 à 14 ans.
La division de Luckey est plus intéressante :
1er Cycle : Enfance
de la naissance à 2 à 3 ans : stade affectif.
de 2 à 3 ans à 7 à 8 ans : stade volitif.
de 8 ans à 12–13 ans : stade intellectuel.
2e Cycle : Adolescence
de 13–14 à 16 ans : stade effectif (nouvelle naissance, nouvelle croissance physique entraînant de nouveaux désirs, etc.).
de 16-à 18 ans : stade volitif.
de 10 à 25 ans : stade intellectuel.
Ferrière propose une division semblable à celle que Claparède était au point de vue de la croissance mais il subdivise cette division en se plaçant au point de vue de l’évolution des intérêts.
Si nous négligeons les différences que présentent ces classifications pour nous attacher aux ressemblances nous constatons que tous distinguent nettement l’enfance de l’adolescence, que presque tous placent dans l’enfance un point de division vers 7 ans et enfin qu’une autre subdivision vers 2 à 3 ans est proposée par la plupart.
En l’un des plus récents ouvrages consacrés à « La psychologie de l’enfant et de l’adolescent » le Dr Vermeylen propose la division suivante :
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Première enfance : de 0 à 3 ans.
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Deuxième enfance : de 3 à 7 ans.
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Troisième enfance : de 7 à 12 ans.
-
Adolescence : de 12 à 18 ans.
Pour la commodité de notre étude nous adopterons cette division, en rappelant qu’elle est quelque peu arbitraire et que les âges indiqués ne sont qu’approximatifs.
* * *
LA PREMIERE ENFANCE (de 0 à 3 ans)
Dès les premiers jours de son existence l’enfant exprime quelques émotions : plaisir, déplaisir, désir, crainte.
La peur se manifeste très tôt et accompagne les impressions nouvelles brusques et intenses qu’il importe d’éviter à l’enfant : bruits violents, secousses brusques. Plus tard la peur est provoquée par des impressions visuelles : visages ou êtres inconnus. Tout d’abord les peurs de l’enfant ne sont pas motivées, l’enfant ne connaît pas le danger. Ensuite ses craintes deviennent plus motivées, l’imagination y joue un grand rôle.
L’éducateur doit s’efforcer de corriger les enfants de ce sentiment. D’abord ils ne le provoqueront pas eux-mêmes, donc pas de menaces, pas de violences, pas de railleries, pas de contes fantastiques ou d’histoires dramatiques. Ensuite par leur exemple, leur appel à la confiance, une action lente, méthodique, progressive pour les habituer à l’obscurité, aux bruits, par la suggestion, ils s’efforcent de guérir l’enfant et de le persuader qu’il n’est pas peureux.
Il en est de la peur comme de la colère, elle dépend en une certaine mesure des conditions physiques et il convient de s’attaquer à toutes ses causes ; il faut donc, lorsque besoin est, rendre l’enfant plus fort, mieux portant, plus souple soit par l’alimentation, soit par des exercices de gymnastique et des jeux de plus en plus violents, soit au besoin grâce à des médicaments fortifiants et toniques du système nerveux.
Certains enfants sont tout à la fois timides et peureux ; mais la vraie timidité est distincte de la peur et s’observe beaucoup plus chez les adolescents que chez les enfants. Dans la plupart des cas elle est le fruit d’une éducation trop sévère qui n’a pas permis le développement normal de la personnalité enfantine.
La colère ne se manifeste d’ordinaire que vers deux ou trois mois, elle est généralement brève et intense ; l’enfant trépigne, crie, frappe du pied, se roule par terre, veut donner des coups, etc... La colère dépend de la nervosité, de l’état atmosphérique, elle est souvent provoquée par les gronderies, les emportements des éducateurs (parents et maîtres) ou leurs faiblesses...
La guérison de la colère s’obtient en s’attaquant aux causes de la colère qui proviennent de l’enfant lui-même ou de l’extérieur.
En ce qui concerne l’enfant lui-même, il convient de distinguer les enfants neurasthéniques, de santé délicate aisément irritables, des enfants vigoureux, hypersthéniques. Les premiers ont avant tout besoin d’un régime fortifiant qui les guérisse de leur débilité, il leur faut des aliments riches en principes nutritifs mais non excitants, au besoin un peu d’huile de foie de morue l’hiver et des préparations phosphatées l’été ; il convient aussi de les habituer à mener une vie bien régulière : coucher et lever aux mêmes heures, etc... Les seconds ont besoin d’une alimentation moins tonique, plus végétarienne, d’une vie active au grand air ; des bains et l’emploi de certains médicaments (bromure de potassium, etc... ) peut être utile.
Beaucoup d’enfants-colères de cette dernière catégorie doivent leur tempérament à l’alcoolisme des parents.
En ce qui concerne l’influence du milieu, il est évident qu’il importe d’abord d’éviter les motifs de crise, de faire preuve d’un grand calme. Non seulement l’adulte ne doit pas donner l’exemple de la colère, mais il doit conserver son calme lors de la colère enfantine, en évitant tout ce qui pourrait entretenir la crise : ironie, punition (dans la mesure du possible et en tous cas jamais excessive mais toujours appliquée), coups, etc...
L’esprit de révolte qui est une des formes de la colère ne se manifeste d’ordinaire qu’après la première enfance ; il survient presque toujours chez l’enfant lorsque celui-ci constate qu’il va être, ou vient d’être, injustement puni. La bouderie est plus fréquente chez les jeunes, elle résulte des premières manifestations du sentiment de la personnalité en conflit avec la volonté d’un adulte. Il importe donc que les adultes évitent de tels conflits lorsqu’ils le peuvent et que, dans les cas où ils se produisent, ils fassent preuve de douceur, de patience et de fermeté.
Ce n’est que vers un mois et demi que l’enfant est capable de pleurer et ses premières larmes ne sont qu’un simple reflexe déterminé par l’irritation du nez ou des yeux. Vers quatre ou six mois seulement les larmes de l’enfant peuvent provenir de la douleur morale. Le sourire qui apparaît à la fin du premier mois est tout d’abord un reflexe ; la joie ne se manifeste pas avant le troisième mois ; enfin ce n’est qu’au bout de quatre ou cinq mois que l’enfant éprouve de la sympathie ou de l’antipathie.
Au moment de sa naissance l’enfant ne s’intéresse qu’à ses besoins organiques (besoin d’air, d’aliments, de chaleur, de repos, etc... ) mais bien vite il éprouve le besoin de regarder, d’écouter, de tâter et jusqu’à six mois ce seront les intérêts perceptifs qui prédomineront. Ces intérêts continueront de se développer plus tard mais d’autres intérêts deviendront prépondérants à leur tour. Ce seront en premier lieu l’intérêt pour les mouvements que les petits associeront à leurs perceptions. L’enfant de six mois à deux ans s’intéresse surtout aux mouvements : il s’exerce à prendre, à commander à ses muscles, il apprend à marcher, etc... De deux à trois ans l’intérêt prédominant de l’enfant va au langage et le langage comprend aussi une acquisition motrice et le langage du jeune enfant est dans les débuts un mouvement d’un genre particulier, ce n’est qu’au bout d’un certain temps que l’enfant songe à l’utiliser comme moyen de communication de la pensée.
« La première période de la vie de l’enfant, s’étendant jusqu’à trois ans, est en somme occupée par l’acquisition des mouvements nécessaires à la mise en train des activités élémentaires de l’individu : préhension, marche, langage. L’enfant s’y intéresse presque exclusivement. L’acquisition des moyens d’action est le but final de ses mises en œuvre sensuelles, intellectuelles et affectives et on peut parler d’une période motrice vers l’âge de trois ans. C’est que le mouvement a une importance primordiale dans le développement de la vie psychique et qu’il constitue la base et le substratum de toutes les acquisitions ultérieures. Non seulement il peut seul assurer les réactions adéquates de l’individu, mais il pénètre toute notre vie représentative et affective, et même notre vie inconsciente ... » (Dr Vermeylen)
Rappelons une fois de plus que, par suite des grandes diversités individuelles, l’âge de trois ans n’est qu’approximatif.
Ajoutons que l’intérêt de l’enfant pour le mouvement se prolonge pendant toute l’enfance. D’abord l’enfant agit pour agir ; jusque vers cinq ans, nous le verrons ainsi traîner une brouette à cause du bruit qu’elle fait et de l’occasion de marcher ou de courir qu’elle lui procure. La satisfaction motrice passe avant tout : il coupe pour couper, frappe pour frapper, crie pour le plaisir de crier, etc... Il faut bien se garder de croire que tout cela est inutile, plus il agira, soit qu’il marche, coure, crie, frappe, coupe, déchire, etc... et plus il accumulera d’expériences personnelles. A force de voir certains actes provoquer certains effets, il utilisera ces actes dans le but d’obtenir les effets ou résultats correspondants ; il criera pour faire accourir sa mère, il traînera sa brouette pour porter plus commodément quelque chose, etc...
Après avoir agi instinctivement pour dépenser toute l’énergie qui est en lui, l’enfant agira avec réflexion en vue d’atteindre un but qui donne satisfaction à ses intérêts.
Conséquences pédagogiques.
La colère, la peur et tous les autres sentiments enfantins étant pour une large part le résultat d’une mauvaise santé physique, les parents doivent d’abord se soucier de leur rôle de procréateurs. Les enfants de parents malades, alcooliques, etc... sont les victimes de leurs parents. Après la naissance, les parents doivent continuer de s’efforcer d’assurer à leurs enfants une bonne santé physique. Beaucoup ne savent pas donner à leurs enfants l’alimentation convenable et les soins d’hygiène les plus nécessaires. Cependant les livres de puériculture ne manquent pas et les parents ont le devoir d’étudier de tels ouvrages.
La santé physique n’est pas seulement nécessaire à la santé morale ; elle est encore indispensable au bon développement intellectuel. La pensée naît de l’action. Pour qu’un enfant devienne intelligent, il est nécessaire que, dans son jeune âge, il multiplie les mouvements qui lui permettront d’acquérir un riche trésor de perception et d’expériences.
Plus l’enfant fera d’efforts pour marcher, parler, tâter, frapper, etc., et plus cette application soutenue le préparera à réaliser certains buts. La première éducation de la volonté consiste à permettre et à favoriser cette activité enfantine qui ne résulte pas encore de la volonté, mais qui éveillera la volonté tout comme les premières paroles prononcées sans but de communiquer la pensée éveillent l’idée du langage volontaire.
Ainsi donc le premier souci des éducateurs doit aller à la santé physique de l’enfant nécessaire à son développement moral et intellectuel. Leur second souci devant être de permettre et de stimuler l’activité enfantine. Il est bon que les tout petits enfants soient remuants, bruyants, bavards.
Ceci ne suffit pas pour assurer à l’enfant un développement convenable. Comme nous l’avons vu, les parents devront agir par leur exemple, ils devront éviter un excès de faiblesse qui permettrait à certains enfants de devenir de petits tyrans, Il ne faut pas toujours prendre un enfant qui crie, car alors bien souvent l’enfant crie et pleure parce qu’il a constaté que ses cris le font enlever de son berceau ; d’autre part, il faut éviter un excès de sévérité ; il faut par exemple s’efforcer de reconnaître les cris qui proviennent de quelque souffrance.
Pour la santé physique et morale, il est nécessaire aussi d’assurer au petit enfant une vie aussi régulière que possible aussi bien en ce qui concerne les repos que pour les repas.
Enfin il faut au tout petit des règles simples et sans exception. Combien de parents, par exemple, qui, après avoir donné à leur enfant un vieux catalogue qu’ils l’ont vu déchirer en souriant, se fâchent et même donnent une fessée au bébé lorsque celui-ci agit de même façon avec un livre ou une brochure laissés à sa portée. Il faut que les parents apprennent à se placer au point de vue des petits. Pour bien des mamans, avoir des ciseaux et découper dans un vieux torchon c’est bien, découper de même dans un mouchoir c’est mal, mais en faire autant dans la robe de la grande sœur c’est si mal que ça mérite une correction. De même jeter du sable sur le plancher non balayé ne tire pas à conséquence ; mais le faire cinq minutes plus tard provoque des cris sinon des coups. Ainsi, dans tous les cas où l’action d’un enfant nous parait mauvaise, il est légitime que nous songions à éviter le retour d’actions semblables mais nous devons nous efforcer d’y parvenir à l’aide d’une meilleure compréhension de l’enfant souvent moins coupable que nous.
LA SECONDE ENFANCE (de 3 à 7 ans)
L’enfant de trois à sept ans s’intéresse surtout au monde extérieur dont il s’efforce d’acquérir une connaissance concrète plus étendue. « Il devra, pour cela, faire un usage toujours plus large de ses fonctions d’acquisition : attention, mémoire, association, et de ses tendances éducatives : curiosité, observation, imitation » (Dr Vermeylen).
La curiosité de l’enfant qui se manifeste bien avant trois ans est d’abord instinctive et s’attache presque exclusivement aux objets ou aux personnes qui lui sont utiles pour la satisfaction de ses besoins primordiaux. Très tôt la curiosité devient affective, elle s’attache à ce qui produit de la peur, des impressions nouvelles. Enfin dans la seconde enfance la curiosité devient spéculative, l’enfant est curieux pour savoir.
La curiosité de l’enfant se manifeste alors de deux façons : le collectionnement, les questions. L’enfant ramasse tous les objets qu’il trouve et en bourre ses poches ; ceci est parfois désastreux pour ces dernières mais est fort utile au développement mental, car en rassemblant beaucoup d’objets comme il le fait, l’enfant s’exerce à observer ce qui les distingue et plus tard en quoi ils se ressemblent.
L’enfant questionne surtout pour savoir « à quoi ça sert » et pour connaître l’origine des choses.
La curiosité enfantine, loin d’être un défaut et de devoir être réprimée est une tendance des plus utiles à l’acquisition du savoir.
Cependant il ne faut pas croire que nous devons agir de la même façon envers les questions d’enfants. Il est des questions qui ne sont point de vraies questions, l’enfant éprouvant le besoin de parler, parle pour le plaisir de parler et des questions se mêlent ainsi à son langage ; il est inutile alors évidemment de fournir des réponses qui n’intéressent l’enfant que comme motif d’un nouveau bavardage.
Il est d’autres questions que des enfants posent pour attirer sur eux l’attention des grandes personnes ; certains enfants se servent ainsi parfois de cet artifice pour montrer qu’ils savent ou même pour tenter de prendre les adultes en défaut. En ce cas, le plus sage est soit de se refuser à répondre, soit d’obliger le petit questionneur à fournir lui-même une réponse.
Mais il est également des questions provoquées par une curiosité vraie et alors il faut s’efforcer de satisfaire cette curiosité en tenant compte de la mobilité des intérêts enfantins, qui rend les longues explications mauvaises, et du développement de l’enfant qui ne lui permet pas de tout comprendre.
Parmi ces questions légitimes, il en est auxquelles l’enfant pourrait lui-même donner une réponse s’il voulait s’en donner la peine. Il faut alors stimuler l’enfant dans la recherche de la réponse, soit en le faisant réfléchir, soit en le faisant observer, soit même à un âge plus avancé en lui indiquant un livre où il trouvera l’explication nécessaire. Dans le but de stimuler la curiosité enfantine, l’éducateur doit parfois se faire questionneur à son tour.
En d’autres cas l’enfant n’a pas atteint le développement suffisant pour que l’adulte puisse satisfaire sa curiosité. Nombre de gens s’en tirent par un mensonge ou éludent la question ; c’est une faute : il faut expliquer à l’enfant ce qu’il est capable de comprendre et pour le reste lui dire sans détours :
« Tu ne pourrais me comprendre maintenant, je t’expliquerai cela quand tu seras plus grand. »
Il est enfin un cas extrêmement fréquent : l’adulte est lui-même incapable de fournir une réponse, il n’est pas assez instruit pour cela. Il aurait tort de vouloir cacher son ignorance, il ne doit pas craindre de dire : « Je ne sais pas ». Il vaut mieux que les enfants constatent que leurs parents ou leurs éducateurs ne savent pas tout que de perdre confiance en eux.
L’enfant est observateur mais il ne l’est pas à la façon des adultes et à son observation se mêle beaucoup d’imagination, il n’a pas non plus de sens critique et, pour ces raisons, nous devons nous défier des témoignages d’enfants.
Tout d’abord l’enfant observe mieux les différences que les ressemblances, il perçoit fragmentairement les éléments d’un ensemble, il ne sait pas situer les objets et les êtres dans l’espace, les classer par ordre de valeur, en coordonner les éléments.
Pendant la seconde enfance, il observe surtout ce qui agit ou ce qui lui permet d’agir.
A la fin de la seconde enfance et pendant la troisième enfance, l’enfant devient capable d’observer les relations des objets ou êtres entre eux ou de leurs éléments.
Enfin plus tard l’enfant observe d’une façon objective et, grâce à l’éducation, peut devenir capable de la véritable observation scientifique.
Il faut profiter de l’intérêt de l’enfant pour l’observation et le rendre plus habile à se servir de ses sens. C’est ainsi qu’on peut l’habituer à voir juste, en clouant des laines, des étoffes, des feuilles d’après leur couleur ou en comparant la longueur de quelques baguettes, lignes, etc... ; par d’autres moyens présentés sous forme de jeux on peut aussi l’exercer à voir vite et beaucoup. Des jeux et des chants peuvent également servir à l’exercice de l’ouïe et du toucher (Colin-maillard par exemple). Les autres sens eux-mêmes devront être exercés autant qu’il sera possible, les enfants trouveront plaisir par exemple à deviner le nom d’une fleur grâce à sa seule odeur. Toutes ces observations sont favorables au développement intellectuel et peuvent rendre des services dans la vie pratique.
L’imitation se manifeste dès les premiers mois de la vie et est alors purement instinctive ; vers neuf ou dix mois l’enfant prend conscience de son imitation mais c’est surtout vers deux ans que l’enfant imite d’une façon intentionnelle. Plus tard vers six ans l’enfant fait un choix dans les actes qu’il imite ; il n’imite plus pour le plaisir d’imiter mais pour atteindre certains buts. L’imitation permet à l’enfant d’acquérir plus vite, avec moins de peine et plus sûrement certaines habiletés nécessaires à la vie d’adulte ; elle permet aux générations nouvelles de profiter de l’expérience des générations passées. Cependant l’hérédité et l’imitation ne sauraient seules assurer le développement harmonieux de l’individu qui n’acquiert une vraie personnalité qu’à l’aide de ses propres expériences.
Parents et éducateurs doivent prendre conscience de l’existence et du rôle de l’imitation. Par suite ils ne doivent fournir aux enfants que de bons exemples, inviter ceux-ci à choisir dans les exemples pris autour d’eux, favoriser l’évolution de l’imitation, c’est-à-dire le passage à l’imitation réfléchie et enfin dès que possible stimuler l’enfant aux expériences personnelles.
Le jeu tient une large place dans le développement de l’enfant. Il évolue avec les intérêts enfantins : jeux sensoriels, moteurs d’imagination, intellectuels et enfin sociaux. Il convient de favoriser l’activité ludique des enfants, soit en leur fournissant, dans la mesure du possible, des jouets qui répondent à leurs intérêts du moment, soit en leur enseignant des jeux, qu’on ne doit d’ailleurs jamais leur imposer, soit même en jouant avec eux. C’est un tort de croire qu’il faut acheter des jeux chers et compliqués, aux petits enfants il faut surtout des jouets simples, faciles à manier, à transformer et solides. L’imagination de l’enfant fait une poupée d’un chiffon, un cheval d’un bâton, etc...
Depuis un certain nombre d’années, des pédagogues se sont ingéniés à créer des jeux éducatifs et par là il faut entendre un matériel qui tout en amusant l’enfant lui permet de développer ses sens, d’acquérir une plus grande habileté motrice et même d’apprendre à lire, écrire, compter, etc...
Le dessin, tout comme les autres activités enfantines, est d’abord instinctif, il constitue pour l’enfant un moyen de dépenser un surcroit d’énergie ; plus tard l’enfant ayant constaté que certains de ses traits rappellent certaine image s’essaie au dessin intentionnel et dessine pour représenter quelque chose. Le dessin devient un langage, mais ce langage n’est pas au début conforme à l’idée que nous nous faisons du dessin, non seulement parce que l’enfant est plus maladroit que nous mais encore parce qu’il ne voit pas les choses comme nous, qu’il ne s’intéresse pas aux mêmes choses que nous et qu’il comprend, tout d’abord, le dessin comme la représentation de ce qui est et non de ce qu’il voit. Ainsi le dessin spontané évolue et la connaissance de son modèle d’évolution est un moyen d’étudier et d’apprécier l’intelligence d’un enfant. Les enfants de quatre ans qui ne s’essaient pas à dessiner des bonshommes, ceux de cinq ans qui font des hommes sans tronc, etc., sont généralement des enfants retardés ou anormaux.
Le dessin libre, spontané est aussi un bon moyen de développer l’intelligence enfantine et on en fait de plus en plus usage dans les écoles.
Certaines fonctions psychiques d’acquisition ont, lors de la deuxième enfance, une importance de premier plan.
« Ce sont : l’attention qui sert à suivre l’expérience et à la fixer, la mémoire qui l’emmagasine et la conserve, l’association enfin qui unit diverses expériences et en prépare de nouvelles. » (Dr Vermeylen)
L’attention dépend de l’état organique et plus particulièrement de l’état musculaire, respiratoire et circulatoire. Les petits enfants ne peuvent être très longtemps attentifs, parce qu’ils ont besoin de mouvement et que l’attention nécessite un arrêt dans le mouvement puis une transformation du mouvement. De plus l’attention nécessite chez l’enfant une modification de rythme respiratoire — ce qui provoque souvent des soupirs — qui ne peut être maintenue longtemps.
L’attention du petit enfant est purement passive, mais dès la fin de la première année et surtout pendant la seconde enfance, l’enfant devient capable d’une attention plus soutenue pour tout ce qui l’intéresse.
L’attention volontaire à des objets peut intéressants par eux-mêmes et nécessitant un effort est une acquisition plus tardive que prépare l’habitude de faire attention aux objets vraiment intéressants. Il est par suite possible de favoriser le développement de l’attention chez l’enfant en le faisant prendre part à des activités intéressantes et d’assez longue durée : jeux, observations d’Images, dessins, etc...
Beaucoup d’adultes croient que les enfants ont une meilleure mémoire que les adultes ; ceci n’est exact qu’en ce qui concerne la mémoire brute, qui emmagasine les souvenirs tels quels, mais ne l’est plus de la mémoire organisée qui sélectionne et associe les souvenirs.
Pour ne pas donner au mot « enfant » une étude trop complète et trop savante, nous devrons laisser de côté l’association des idées ainsi que presque tout ce qui concerne le développement de la pensée. Ceux de nos lecteurs qui s’intéressent à ces questions auront avantage à se reporter à des ouvrages spéciaux et récents.
LA TROISIEME ENFANCE (de 7 à 12 ans)
Pendant la première et la seconde enfance l’enfant a vécu d’ordinaire dans le milieu familial ; lors de la troisième enfance le milieu scolaire jouera un grand rôle dans son développement.
Mais, qu’il s’agisse du milieu scolaire ou du milieu familial, des éducateurs, parents et maîtres doivent avant tout se préoccuper d’obtenir l’attachement de l’enfant. Nulle action éducative n’est possible si l’enfant n’aime pas les éducateurs.
Pendant la première et la seconde enfance, mais surtout pendant la première, il s’agit surtout de donner à l’enfant de bonnes habitudes et de veiller à son développement sentimental et moral.
L’attachement est nécessaire à la culture de la soumission et un bon développement sentimental et moral permet un bon usage de l’intelligence.
Il convient de préciser ce que nous entendons par la soumission. Telle que nous la concevons, elle n’est pas la servitude. Se soumettre c’est prendre conscience d’une supériorité, ce n’est que vers sept ans que les enfants prennent une telle conscience ; tout petits, ils ne se rendent pas compte qu’ils sont moins forts, moins instruits, moins capables de se diriger que les adultes. Ainsi, la soumission que nous désirons obtenir de l’enfant peut se traduire par un refus d’obéissance de celui-ci en présence d’adultes qui se montrent inférieurs à lui intellectuellement et moralement. Ce que nous voulons obtenir, c’est la soumission volontaire. Nous voulons que l’enfant, ayant pris conscience des imperfections de son développement et de son savoir, recherche dans son entourage les personnes qui pourront l’aider de leurs lumières lorsqu’il n’aura pu découvrir par lui-même la bonne manière d’agir et nous voulons aussi qu’il obéisse aux adultes. Point n’est besoin d’ajouter qu’en revanche ces derniers doivent user de leur autorité d’une façon mesurée ainsi que nous l’avons indiqué au début de cette étude.
Depuis sa naissance jusqu’au milieu de la troisième enfance l’enfant est surtout un petit égoïste. L’égoïsme, ou plutôt l’égocentrisme de l’enfant, n’est pas un défaut car il donne de la force à la personnalité naissante. Vers huit ou neuf ans l’enfant commence à s’intéresser vraiment aux jeux collectifs et les adultes doivent favoriser de tels jeux qui non seulement le préparent à la vie sociale mais encore développent son individualité.
Si, dans la société actuelle, l’individu est trop souvent opprimé, il n’en faut pas conclure à la nécessité d’un individualisme antisocial. La volonté humaine est un produit de la vie sociale ou plus exactement de la réaction de l’individu contre le milieu.
Suivant ses tendances personnelles et celles de ses parents, l’enfant unique vivant dans le seul milieu familial devient sans peine un esclave ou un tyran. Au contraire, l’enfant parmi des enfants, à peu près du même âge et de même force, se sent moins faible, il ne s’habitue pas à une dépendance amollissante et comme ses petits camarades en font tout autant, comme il sent que des volontés, pas trop fortes, se heurtent à la sienne, sa propre volonté et son individualité se développent.
La troisième enfance marque aussi l’apparition des intérêts abstraits et le développement de la pensée logique. Ce n’est que vers 11 à 12 ans que l’enfant devient capable de véritables raisonnements logiques et l’école ne tient pas suffisamment compte de cet éveil tardif. Certes, bien plus tôt, les enfants font des problèmes avec « raisonnement » complexe mais en réalité leur « raisonnement » n’est la plupart du temps qu’un acte de mémoire et la répétition de formules apprises. Si on les interroge, ils répondent plutôt : « il faut faire une addition, une soustraction... » que par un raisonnement véritable.
On use trop tôt, à l’école, d’idées abstraites et générales que les enfants emmagasinent dans leur mémoire mais ne comprennent pas. Ceci n’est pas seulement inutile par suite du manque de compréhension, mais c’est encore dangereux parce que les idées dont la formule a été confiée à la mémoire sont considérées comme toujours vraies par l’enfant qui ne se donne plus la peine, plus tard, de s’efforcer de les comprendre. Les prêtres de toutes les religions le savent si bien qu’ils s’efforcent d’enseigner leurs dogmes dès le plus jeune âge.
Pendant la dernière période de l’enfance, l’enfant est facilement suggestible, a une imagination vive et manque d’esprit critique. Il s’ensuit que les enfants de cet âge altèrent souvent la vérité sans le vouloir. Il faut évidemment que les adultes évitent de laisser passer de telles déformations involontaires de la vérité ; mais il importe aussi qu’ils les distinguent des mensonges vrais. Ce serait cultiver le mensonge que de punir des erreurs involontaires. Dans l’éducation de l’enfant, la punition doit être considérée comme un pis-aller et les éducateurs doivent s’efforcer d’en éviter l’emploi comme aussi, d’ailleurs, celui des récompenses.
Pour corriger ces « mensonges » involontaires, il faut s’attaquer à leurs causes en apprenant à l’enfant à bien observer, à formuler sa pensée avec précision, à régler son imagination, à faire usage de l’esprit critique.
A la fin de la troisième enfance, l’enfant devient un idéaliste, il s’intéresse aux grandes œuvres, aux nobles actions, à la vie des grands hommes. De cet intérêt enfantin il est évident que l’éducation doit tirer parti, soit en racontant de belles vies de travailleurs, de bienfaiteurs de l’humanité, de martyrs de la liberté et en particulier de la liberté de pensée ; soit en montrant les grandes œuvres réalisées par l’entraide ; soit aussi en montrant les méfaits des grands conquérants, des tyrans, etc... qu’on fait encore trop souvent admirer dans les écoles d’aujourd’hui.
Rappelons, pour finir, la nécessité des loisirs et celle des travaux libres, individuels ou collectifs dons nous avons parlé plus longuement au mot « Ecole ».
L’ADOLESCENCE (de 12 à 18 ans)
L’adolescence est une période de profonde transformation chez l’enfant.
Au point de vue physiologique la crise de la puberté, qui en marque le début, est un ensemble de crises endocriniennes.
Les glandes endocrines qui produisent des sécrétions internes exercent une action considérable sur l’activité cérébrale et mentale, mais dont on n’a commencé l’étude que depuis un petit nombre d’années.
Lors de la puberté on peut constater :
-
une crise de la régression du thymus ;
-
une crise sexuelle caractérisée principalement par l’apparition de la faculté génératrice ;
-
une crise de croissance d’origine polyglandulaire (thyroïde, surrénale, hypophyse).
Au point de vue psychologique on constate alors surtout le besoin d’indépendance. Si les adultes n’ont pas, auparavant, préparé l’émancipation graduelle de l’enfant, un conflit se produit alors entre eux et l’adolescent qui devient indocile et révolté. C’est alors « l’âge ingrat » : l’adolescent ne veut plus se laisser conduire et est encore incapable de se conduire lui-même comme il faudrait.
L’adolescent s’intéresse aux problèmes moraux et sociaux ainsi qu’aux questions sexuelles. Mais si l’adolescence est marquée par certains caractères communs aux deux sexes : éveil de la personnalité, altruisme, développement de l’affectivité, mécontentement fréquent dans la famille, d’autres caractères viennent différencier les individus des deux sexes : alors que le garçon devient généralement hardi, bruyant, violent, querelleur, fanfaron, la fille au contraire devient moins expressive, elle intériorise davantage sa vie psychique, devient plus timide, plus modeste.
Les éducateurs doivent prévoir la crise de la puberté soit en préparant l’émancipation graduelle de l’enfant, soit en veillant à son hygiène, soit en faisant avec tact son éducation sexuelle.
L’adolescent rêve de l’avenir, il faut avec patience et tact s’efforcer de guider ces rêves, en s’efforçant de le détourner des faux idéaux, du mysticisme par exemple.
* * *
ANORMAUX. Le développement de l’enfant et de l’adolescent, tel que nous venons de l’étudier, ne s’applique évidemment qu’aux enfants normaux.
L’évolution des enfants anormaux varie trop pour que nous puissions l’étudier ici. Non seulement l’évolution intellectuelle de ces enfants est plus lente, mais encore elle manque d’équilibre.
A ces enfants convient par suite un enseignement individualisé et plus concret que sont seuls capables de donner des éducateurs patients, dévoués et éclairés.
— G. DELAUNAY.
ENFER
n. m. (du latin inferi, lieu bas)
L’enfer est le lieu destiné aux supplices des damnés de Dieu. Nul n’ignore qu’en son infinie sagesse Dieu, maître suprême, a prévu, pour après la mort et le jugement dernier des hommes, la récompense pour les bons et le châtiment pour les méchants.
Dans sa remarquable étude sur l’Imposture Religieuse, Sébastien Faure nous dit que « l’Enfer est la négation de l’infinie Bonté » et il ajoute : « Je soutiens que l’existence de l’Enfer nie l’existence de Dieu, parce qu’elle proteste contre l’infinie Bonté » et il termine en ces termes : « Ou bien il n’y a pas d’Enfer, ou bien Dieu n’est pas infiniment bon ». Logique raisonnement que tout cela, répondra l’Eglise, et l’on sait que l’Eglise ne s’embarrasse pas de logique et de raison. Elle affirme, c’est bien plus simple ; les naïfs n’ont qu’à croire.
Certains « philosophes » placent l’enfer au centre de la terre ; d’autres dans le soleil ; d’autres prétendent qu’il n’y a pas d’enfer. Plaçons-le dans l’imagination de l’homme, nous serons, je pense, dans la vérité.
Pourquoi, diront certains, s’arrêter à de telles niaiseries, et perdre son temps à dénoncer un « Enfer » qui n’effraie plus que les enfants en bas âge, et ne sert de thème qu’à des conteurs fantastiques ? Il serait à souhaiter qu’en notre siècle de science l’influence de l’Enfer soit nulle. La réalité est, hélas, tout autre, et l’enfer exerce toujours ses ravages sur les classes ignorantes.
Il est évident qu’à mesure que l’individu évolue cérébralement, que ses connaissances s’étendent, que son intelligence se développe, l’idée de l’enfer s’estompe, se localise, se cache dans un coin de son cerveau, mais elle a tellement pénétré l’esprit humain que nous voyons cette idée réapparaître, sitôt que l’individu est menacé par un danger mortel.
La peur de la mort n’est-elle pas, en réalité, la peur de l’Enfer ? Même pour celui qui s’affirme « libre penseur », la crainte du néant n’est, en vérité, qu’une peur incomprise et inexpliquée de l’Enfer. Chez le croyant qui fait appel, lorsqu’il arrive au terme de la vie, au concours du prêtre, et réclame de lui l’absolution de ses péchés, c’est l’espérance du ciel qui le fait agir et l’on conçoit encore la terreur qui l’anime. Il croit, lui, ouvertement, franchement, à l’existence d’un lieu de supplices où il aura à payer durant une éternité ses erreurs terrestres. Il cherche à échapper aux tourments infernaux qui le menacent. Mais, comment expliquer la peur de la mort, l’épouvante qui s’empare de celui qui se dit incroyant ? Eh bien, c’est toute l’hérédité, c’est toute l’éducation faussée qui revient à la surface, c’est l’incertitude du Néant, et cette incertitude, c’est l’Enfer.
Que de cerveaux puissants ont sombré face à cette inquiétude subite qui les tenaillait à l’approche de la mort ! Et comment s’en étonner, quand on sait l’histoire des religions, de quelle façon elles ont travaillé l’esprit des hommes à travers les âges, et les traces profondes qu’elles y ont laissées ?
« L’Enfer, c’est l’horrible vision qu’on évoque devant les enfants, les vieillards et les esprits craintifs à qui, pour les épouvanter, les terroriser et les mieux assouplir aux volontés du Clergé, on décrit, avec un luxe de détails incomparables, les horribles tourments auxquels sont condamnés les réprouvés, sans qu’ils puissent seulement conserver l’espoir que leurs tortures auront une fin ; c’est le spectre qu’on installe au chevet des agonisants, à l’heure où l’approche de la mort leur enlève toute lucidité et toute résistance. » (Sébastien Faure, L’Imposture Religieuse, p. 80)
L’Enfer est une invention sublime de l’Eglise et toutes les religions — bien avant la religion chrétienne — s’en sont servi pour asservir les hommes ; cependant, il faut rendre à César ce qui appartient à César, et reconnaître que c’est à l’Eglise chrétienne que revient « l’honneur » d’avoir décrit, par la plume de ses théologiens, tous les raffinements des supplices exercés dans le lieu maudit, créé par Dieu pour punir les infidèles.
Pourtant, quelles que soient l’épouvante et la terreur exercées par l’Enfer, même à l’origine de la Chrétienté, les infidèles, en leur naïveté, estimaient qu’une éternité de douleur, c’était payer bien cher quelques péchés terrestres. Le dogme de l’Enfer eut pu en souffrir et les représentants de « Dieu » sur la terre comprirent qu’il serait utile, dans l’intérêt même de la religion et de l’Eglise, d’ouvrir aux pécheurs une porte de salut. C’est environ vers le troisième siècle que le purgatoire vint se placer entre le Ciel et l’Enfer. Le purgatoire est l’antichambre du Ciel et les âmes des pécheurs peuvent se purifier en ce lieu si elles ne sont pas complètement damnées. Est-il besoin d’ajouter que le Purgatoire fut une source de richesses pour l’Eglise et pour le Clergé, ce dernier enseignant que les offrandes pouvaient libérer les âmes qui souffraient en attendant d’être admises au Ciel parmi celles des bienheureux ?
Et dire que sur de telles fantaisies se sont bâtis des mondes ! C’est que tout est humain dans la Société et que les fondateurs de religions sont des hommes. Ce n’est pas Dieu qui a « créé » l’homme à son image ; c’est l’homme qui a « créé » Dieu à son image, et comme l’homme s’offense, il a imaginé que Dieu pouvait également être offensé. La loi humaine prétend que toute « peine » mérite « châtiment ». Le châtiment est une défense, affirme le moraliste. L’Enfer est un châtiment. Dieu a-t-il donc besoin de se défendre ? « C’est se faire de Dieu une étrange idée, dit J. M. Guyau, que de se figurer qu’il pourrait ainsi lutter matériellement avec les coupables sans perdre de sa majesté et de sa sainteté. Du moment où la « loi morale » personnifiée entreprend ainsi une lutte physique avec les coupables, elle perd précisément son caractère de loi ; elle s’abaisse jusqu’à eux, elle déchoit un Dieu ne peut pas lutter avec un homme ; il s’expose à être terrassé comme l’ange par Jacob. Ou Dieu, cette loi vivante, est la toute puissance, et alors nous ne pouvons pas, véritablement, l’offenser, mais il ne doit pas nous punir ; ou nous pouvons réellement l’offenser, mais alors nous pouvons quelque chose sur lui, il n’est pas la toute puissance, — il n’est pas l’ « absolu », il n’est pas Dieu » (J. M. Guyau, Esquisse d’une Morale sans obligations ni sanctions, p. 228).
« Les malheureux ne doivent-ils pas être, en tant que tels, sinon sous les autres rapports, les préférés de la bonté infinie ? » demande également Guyau. Mais non, les malheureux sont justement malheureux parce qu’ils ont cru et qu’ils croient encore en la bonté divine. A vouloir le royaume des cieux, ils gagnent l’Enfer ; l’enfer durant leur vie ; l’enfer après la mort ; les deux se tiennent.
Qu’a-t-il donc à craindre de plus terrible que son passage sur la terre, le pauvre bougre, le paria, le miséreux ? La terre n’est-elle pas pour lui une vallée de larmes et la cruauté du Dieu céleste peut-elle être plus épouvantable que celle des dieux terrestres ? « Dante n’avait rien vu » nous dit un écrivain bourgeois, Albert Londres, en décrivant les supplices endurés par les loques humaines victimes de la brutalité des chefs militaires, dans les bagnes d’Afrique.
Et c’est partout où se portent les regards, que l’Enfer nous apparaît sur cette boule ronde. L’Enfer, c’est l’usine, où le maître domine, où le travail est un esclavage qui ne nourrit pas celui qui l’accomplit ; l’enfer, c’est la caserne où l’individu ne devient qu’un numéro ; l’enfer, c’est la prison, c’est le bagne, où, pour s’être mis en marge de la loi injuste, des hommes sont enfermés durant des années et des années ; l’enfer, c’est la guerre, qui détruit toute une jeunesse virile, qui incendie villes et villages, et qui laisse derrière elle une population de veuves, d’orphelins et de criminels ; l’enfer, c’est la Société viciée, corrompue, pourrie, présidée par une poignée de parasites malfaisants : juges, ministres, députés, avocats, commerçants, financiers, industriels, prêtres et diplomates, qui vivent de la misère d’autrui et spéculent sur l’ignorance, qui est la faiblesse du peuple. Cet enfer-là, il n’est pas imaginaire. Il n’a pas germé en l’esprit d’hommes ivres d’autorité ; il est réel, palpable, matériel ; on le voit, on le touche, on le subit et on en souffre.
C’est cet enfer-là qu’il faut détruire, car il est une insulte à l’humanité et à la civilisation. Il charrie dans ses ruisseaux de boue et de sang les corps de millions et de millions d’asservis et d’exploités, qui ne sont considérés que comme une marchandise que l’on achète et que l’on vend, que l’on oppresse et que l’on tue.
Eteignons donc, par notre action, par notre lutte, par notre volonté, le feu de cet enfer. Sachons lever la tête et réduire la puissance d’un capitalisme qui est la cause primordiale de toutes les souffrances, de toutes les douleurs, de toutes les misères et de tous les supplices et, lorsque la terre sera un paradis construit par les hommes, sans craindre la mort, sans craindre l’enfer, les vieillards :
Ayant bien vécu, loin de ses hauteurs.
ENGRAIS
n. m.
Dans le mot Agriculture, nous avons donné d’amples détails sur ce qu’on appelle les engrais ; nous allons ici même compléter ces renseignements sur cette très importante question qui intéresse au plus haut point la production par le sol de toutes les denrées alimentaires dont se nourrit l’humanité, et de beaucoup de matières premières indispensables à la production industrielle, tels les textiles, les laines et les bois de toute sorte qui servent à fabriquer machines et outils. Les engrais, ce sont toutes les matières organiques ou minérales que l’expérience et la science ont montrées comme capables de fertiliser les terres, c’est-à-dire qu’une fois que ces matières, convenablement préparées, sont enfouies dans le sol ou épandues à sa surface, elles augmentent la quantité de matériaux que contient déjà ce sol qui sont en état de nourrir les divers végétaux qui le recouvrent pour leur procurer un développement normal. L’engrais le plus connu, même des temps antiques, c’est le fumier de ferme, provenant des déjections de nos divers animaux domestiques, qui se mélangent petit à petit avec les litières qui leur servent de couche. Cet engrais contient en proportions diverses les quatre principaux éléments nécessaires à la vie et au développement des plantes, à savoir : l’azote, le phosphore par l’acide phosphorique, la potasse et la chaux. Cet engrais est précieux et s’emploie pour toute sorte de cultures, soit enfoui dans le sol, soit en couverture sur les prairies, dans toutes les régions. Les soins à donner à ce fumier de ferme, à sa sortie des étables, lorsqu’on ne l’apporte pas immédiatement dans les champs, consistent à le placer en tas bien tassés, et à le tenir arrosé, soit avec du purin, soit avec de l’eau, afin de ralentir la fermentation qui se développe dans les tas qui, si elle était trop active, provoquerait l’évaporation des principes azotés. Les urines des animaux de la ferme, quelquefois recueillies à part par certains praticiens, au moyen de rigoles d’écoulement qui débouchent dans des bassins bien cimentés, constituent aussi un engrais riche ; elles sont employées comme engrais liquides, et répandues sur les terres ou les prairies. Toutes les matières provenant des déchets et détritus du règne végétal et du règne animal constituent ce qu’on appelle les engrais humifères, c’est-à-dire que lorsqu’ils sont parvenus à leur complète décomposition, ils se résolvent en cette poudre noirâtre qu’on appelle HUMUS, qui est très utile à la végétation, en ce sens que les calcaires de cet humus du fumier transforment les éléments fertilisants que nous mettons dans le sol en éléments assimilables, c’est-à-dire propres à la nutrition des végétaux en favorisant la multiplication des bons microbes. Les engrais chimiques, par exemple, ne peuvent donner leur effet complet que dans les terres qui renferment suffisamment de l’humus.
Parmi ces engrais humifères, à part le fumier de ferme, on distingue : les chiffons des tissus de laine, les poils des animaux, les plumes des volailles, les débris de corne que nous rend l’industrie du peigne ; tous ces débris constituent des engrais riches en azote organique, 15 à 16 % environ. Pour l’emploi des plumes de volaille ou autres, il est bon de les mélanger à l’avance avec du terreau ou de la terre bien pulvérisés et de les répandre sur le sol au moment de l’enfouissage ; sans cette précaution, le moindre vent les emporte. Tous ces engrais conviennent pour toutes sortes de cultures et spécialement pour la culture des choux qui demandent une dominante d’azote. Les jardiniers et tous ceux qui font des cultures maraichères emploient très avantageusement la poudre ou les débris de corne très fins que nous vendent les fabricants de peignes. Ces engrais, enfouis dans le sol, sont très vite en état de nourrir les jeunes plantes qui n’ont qu’un temps très court à passer en terre.
Les jardiniers et maraichers de la banlieue des villes emploient aussi avec succès le purin des fosses d’aisance en arrosages. C’est un engrais riche en tous les éléments qui entrent dans la nutrition des végétaux.
Le sang desséché et pulvérisé des animaux de boucherie constitue aussi un engrais riche avec dominante d’azote, pour toutes sortes de cultures.
La chair des animaux, lorsqu’elle est impropre à la consommation, constitue aussi un excellent engrais, que certains industriels préparent et nous revendent comme tel ; il en est de même des déchets de poissons de toute sorte qui se trouvent dans les villes où il y a de grandes pêcheries, et qu’on nous revend sous le nom de guano de poisson. Tous ces engrais contiennent en proportions diverses tous les éléments nécessaires au développement des végétaux.
Et les résidus de nos foyers, les cendres de bois, qui renferment la potasse, environ 7 % suivant les essences, en un état : le carbonate de potasse, qui est immédiatement propre à la nutrition des plantes.
Les os des animaux, après avoir été dégélatinés, renferment encore des phosphates qui nous donnent de l’acide phosphorique, et qu’on peut employer après avoir été moulus ou pulvérisés et enfouis dans le sol pour toutes sortes de cultures.
Les marcs de raisin, quand on a fait le vin, sont aussi un très bon engrais, à dominante de potasse, qui convient bien pour la culture de l’oignon ; mais comme c’est un excellent aliment pour les bestiaux, le mieux, c’est de le leur faire consommer, et ils nous le rendent ensuite dans le fumier qu’ils produisent.
A côté de ces engrais humifères, il y a l’importante série des engrais provenant du règne minéral que, par des procédés chimiques, on transforme et rend propres à la nutrition des végétaux, et que, pour cette raison, on appelle des ENGRAIS CHIMIQUES.
Les carrières de phosphates de France et les inépuisables gisements qui existent en Algérie nous fournissent des roches contenant du phosphore qui, pulvérisées ou moulues, et convenablement traitées par l’acide sulfurique, nous donnent des superphosphates dont l’acide phosphorique est soluble dans l’eau ou le citrate d’ammoniaque alcalin est à froid, et devant peu après son enfouissement dans le sol, ou son épandage à la surface des prairies, être propre à nourrir les plantes. On l’emploie pour toutes sortes de cultures ; le maïs en exige une dominante et le blé en a besoin pour pouvoir constituer des tiges assez rigides qui empêcheront la verse.
Dans certains terrains très acides, on emploie les phosphates aux mêmes usages que les superphosphates ; les puissants acides du sol ne tardent pas à rendre soluble l’acide phosphorique qu’ils renferment.
Les scories des phosphorations de la fonte renferment aussi de l’acide phosphorique et qui, finement moulues ou pulvérisées, s’emploient aux mêmes usages que les superphosphates.
POTASSE. Les divers sels de potasse sont aussi contenus dans des roches qui gisent en carrières dans le sein de la terre, en certaines contrées ; l’Alsace, par exemple, en renferme des gisements excessivement importants. Parmi ces sels potassiques, on distingue : le chlorure de potassium, contenant environ 48 à 49 % de potasse ; le sulfate de potasse, qui en renferme de 44 à 45 % ; la sylvinite est aussi un bon engrais potassique qui renferme, suivant sa richesse, de 12 à 18 % de potasse. Le nitrate de potasse est un engrais chimique qui renferme à la fois de l’azote et de la potasse en quantités importantes.
Les engrais potassiques sont nécessaires à toutes les plantes ; ils font fructifier le blé, les pruniers et la vigne, dans un terrain qui manque de cet élément, ne donne que des récoltes dérisoires et de tout petits raisins. La potasse agit principalement sur le pigment vert des feuilles qu’on appelle la chlorophylle, et comme l’action de cette chlorophylle est d’élaborer les hydrates de carbone qui sont la fécule, le sucre, l’amidon, on peut dire que la potasse agit directement sur les fruits, blés, raisins, pommes de terre, prunes, etc., et qu’elle augmente leurs qualités. Les haricots ne fructifient abondamment que si leurs racines trouvent dans le sol une quantité suffisante d’engrais potassiques.
On remarque encore les engrais chimiques azotés, le sulfate d’ammoniaque contenant environ 20 % d’azote, le chlorhydrate d’ammoniaque qui en contient environ 23 %, la cyanamide 15 % environ.
Pour qu’une culture puisse parvenir à donner un rendement normal, il est indispensable que la fumure qu’on lui a donnée pour la nourrir et la faire développer renferme en quantités suffisantes les quatre éléments indispensables à la nutrition des végétaux ; si l’un d’eux manque ou s’y trouve en quantité insuffisante, l’échec est inévitable.
Tels sont les divers engrais dont l’emploi rationnel permet à notre agriculture d’obtenir les plus beaux rendements. Mais les agriculteurs ne doivent pas acheter isolément ces divers engrais chimiques dont ils ont besoin pour leurs cultures, s’ils ne veulent pas être volés comme sur un grand chemin ; ils doivent donner leurs commandes à leur syndicat communal ; les syndicats communaux fédérés les transmettent à un grand syndicat central, comme par exemple le grand syndicat de la Société des Agriculteurs de France, qui achète pour tous, sur un marché bien établi et sur garantie d’analyse. Ces frais d’analyse, et au besoin de procès pour faire rembourser les manquants se répartissant sur une très grande quantité de marchandises sont insignifiants, car il ne faut pas oublier que les industriels qui fabriquent les engrais ne sont pas plus scrupuleux que leurs congénères des autres industries et qu’ils volent, lorsqu’ils le peuvent, tant sur les dosages que sur la qualité des matières livrées.
Et maintenant il nous reste à expliquer, si possible, comment ces divers engrais parviennent à nourrir les végétaux et à en assurer le plus grand développement possible, c’est-à-dire à expliquer le mécanisme de la nutrition des plantes.
Nul n’ignore que l’accroissement de tous les êtres vivants, depuis leur naissance, soit végétaux, soit animaux, sans en excepter l’homme, provient de la nourriture qu’ils absorbent au cours de leur existence. Pour que ce phénomène puisse se produire, la nature a doté les uns et les autres des organes nécessaires pour pouvoir absorber tout d’abord cette nourriture et ensuite pour pouvoir la digérer et la rendre assimilable à leur organisme, ce qui en constitue le développement ; ainsi, tous les animaux, depuis le plus petit moucheron jusqu’au plus grand des quadrupèdes, ont une bouche qui leur permet d’absorber leur nourriture, solide ou liquide, et un ou plusieurs estomacs, et puis les intestins qui la digèrent, c’est-à-dire qui la rendent propre à passer dans leur sang qui, vivifié constamment par l’oxygène de l’air, au moyen de la respiration, va la déposer dans toutes les parties de leur corps et produit le phénomène de l’accroissement. Pour les végétaux, le phénomène de l’accroissement se produit d’une manière à peu près analogue ; les organes sont différents, mais la fonction est identique. L’être végétal comprend trois parties, à savoir : la tige proprement dite, ligneuse ou herbacée, se terminant supérieurement tantôt par de simples feuilles, tantôt par des branches plus ou moins ramifiées, sur lesquelles naissent les brindilles qui, à leur tour, portent les feuilles. Cette tige se termine inférieurement par les racines qui fixent la plante au sol et sur ces racines plus ou moins subdivisées naissent une infinité de petites radicelles terminées, chacune, par une petite ouverture qui remplit le rôle d’une bouche, par lesquelles la sève pénètre dans la plante, la nourrit, s’y assimile et en provoque le développement, l’accroissement.
Mais, pour que cette sève puisse nourrir la plante, et s’assimiler à son organisme pour en provoquer l’accroissement, il est indispensable qu’elle soit digérée par ce qu’on peut appeler les organes digestifs de la plante, et parvenue à un état comparable au chyle du règne animal. Ces organes digestifs de la plante, c’est le sol lui-même dans lequel elle est fixée ; oui, le sol, c’est l’estomac qui digère les engrais, et les rend propres à nourrir les plantes de toutes sortes qui le recouvrent. Aussitôt que les divers engrais sont enfouis et mélangés au sol par un labour, ils y subissent à la fois l’action chimique des divers acides que contient ce sol, et l’influence des bons microbes qui s’y multiplient en abondance grâce à la présence d’une assez forte proportion d’humus et de calcaire, comme nous l’avons, déjà dit, et l’action de l’air aidant, s’accomplit ce phénomène qu’on appelle NITRIFICATION, qui modifie la substance des engrais et la rend propre à la nutrition des plantes,
L’action que l’air atmosphérique exerce sur l’assimilation de la sève des racines par les plantes est aussi indispensable. Les feuilles sont les organes respiratoires des végétaux, et leur rôle, par l’action de l’air, assure la vigueur et le développement normal des plantes ; tout végétal privé de ses feuilles cesse de s’accroître, dépérit et meurt. Voici un exemple de l’importance de cette action de l’air sur les feuilles des plantes : on a constaté, dans la culture, que certaines plantes, pour acquérir leur développement normal n’avaient pas besoin d’engrais azotés, telles les légumineuses. Ces plantes ont la faculté d’absorber par le moyen de leurs feuilles l’azote de l’air qu’elles introduisent dans leur organisme pour en assurer le développement, et en absorbent même en excès et l’accumulent dans une infinité de petites nodosités (petits tubercules) qui recouvrent leurs racines et constituent une forte réserve de matière azotée ; ce qui a poussé les agriculteurs, pour améliorer leurs terres, à semer des légumineuses, trèfle violet, trèfle incarnat, fenugrec, vesces, etc., etc., et une fois ces plantes arrivées en pleine floraison et leur développement normal acquis, on enfouit ces légumineuses dans le sol. C’est ce qu’on appelle les ENGRAIS VERTS.
— Pierre NAUGÉ, dit MAUGER.
ENNEMI, E
n.m. (du latin inimicus)
« Qui hait quelqu’un et cherche à lui faire du mal, à lui nuire ». Telle est la définition que donnent, en général, tous les dictionnaires bourgeois du mot ennemi. Définition bien incomplète à notre point de vue, puisque, bien souvent, se considèrent comme ennemis des individus qui n’ont aucune raison de se haïr, et par conséquent de se nuire.
Quelles causes profondes ont donc bien pu faire du travailleur français un « ennemi » du travailleur allemand, et réciproquement ? C’est en vain que, posant la question à un ouvrier de France, d’Allemagne ou de tout autre pays, on attendrait une réponse saine et logique. Pourquoi se haïssent-ils ; pourquoi sont-ils ennemis ? Ils l’ignorent, puisqu’ils s’ignorent eux-mêmes. C’est une fausse éducation, savamment entretenue par un chauvinisme intéressé, qui perpétue un état d’esprit aussi insensé et permet aux maîtres de spéculer sur les sentiments ridicules des populations et déchaîner à l’occasion, lorsqu’ils y trouvent un quelconque intérêt, les plus terribles catastrophes.
« Notre ennemi, c’est notre maître », a dit La Fontaine. Voilà la vérité. Et peut-être est-il notre unique ennemi, puisqu’il est la cause initiale de tous les maux dont nous souffrons.
Et notre ennemi, c’est notre maître, non pas parce que le maître a de la haine pour le serviteur. Comment pourrait-il en être ainsi, alors que le serviteur, l’esclave se laisse exploiter, opprimer, déposséder pour permettre à son maître de jouir de toutes les beautés et de tous les bienfaits de l’existence ? « Notre ennemi, c’est notre maître » car c’est lui qui nous empêche de nous élever, de nous grandir, de vivre enfin, une vie normalement humaine.
La haine est mauvaise conseillère, car elle est trop souvent aveugle. C’est la raison qui nous porte à considérer notre maître comme un ennemi et à le combattre, profondément convaincus que, tant qu’il y aura un maître, l’harmonie sociale ne peut exister.
C’est parce que le peuple ne sait pas distinguer ses véritables ennemis qu’il est malheureux ; et lorsqu’il lui arrive de reconnaître ses erreurs, de voir clair dans le jeu de ses faux amis, alors, indulgent, il pardonne. C’est ainsi que vont les sociétés.
Le mot ennemi sert également à désigner celui qui a de l’antipathie pour une chose quelconque. Etre l’ennemi du bon sens ; être ennemi du travail ; un ennemi du socialisme ; un ennemi de l’autorité. Se dit aussi des choses qui sont opposées : l’eau est l’ennemie du feu.
S’emploie aussi comme adjectif. Des armées ennemies. Des peuples ennemis. Ces gouvernements faibles, peureux, ennemis de toute publicité.
— P.-L. Courier
ENQUETE
n. f. (du mot enquérir)
Recherches, études, réunion de témoignages destinés à élucider une question douteuse. Faire une enquête ; ouvrir une enquête ; une enquête parlementaire ; une enquête judiciaire ; une enquête administrative ; une enquête commerciale.
Quel que soit le caractère de l’enquête poursuivie, les informations utiles doivent être prises à une source certaine ; ce n’est pas ce qui se produit d’ordinaire, en ce qui concerne les enquêtes officielles. Ces dernières n’ont du reste généralement d’autre utilité que de donner au peuple une satisfaction illusoire ; elles aboutissent toujours à un fiasco.
Par exemple, à diverses reprises, en raison de la vie chère, les gouvernements qui se sont succédé ont nommé des commissions chargées d’enquêter sur les causes de l’augmentation du prix des produits. Aucune de ces commissions n’a obtenu de résultats. Faut-il en être surpris ? Non pas, puisque les enquêteurs officiels appartenaient à la catégorie d’individus directement responsables de la vie chère. Une enquête impartiale et sérieuse arriverait facilement à découvrir le repaire où se cachent les coupables. C’est ce que l’on ne veut pas. Il en est ainsi de toutes les enquêtes gouvernementales, quel que soit leur objet.
N’attendons donc rien des enquêtes officielles. Dans la mesure de nos possibilités, enquêtons nous-mêmes sur tous les objets ou sujets qui nous paraissent obscurs ; tirons les conclusions logiques de nos découvertes, et les résultats obtenus ne tarderont pas à produire les plus heureux effets.
ENREGIMENTER
verbe
Militairement : action d’incorporer dans un régiment, de former un régiment. Enrégimenter les jeunes recrues. En France, et dans de nombreux pays où le service militaire est obligatoire, on enrégimente de force les jeunes gens ayant atteint un certain âge. C’est ce qu’on appelle le régime de l’égalité militaire. En réalité, celui qui possède la richesse ne souffre nullement de l’enrégimentation, car tout s’achète avec de l’argent et la liberté s’acquiert facilement avec la fortune. Ce n’est donc que le pauvre qui souffre péniblement de l’enrégimentation.
Etre enrégimenté, c’est perdre toute personnalité et agir comme un automate, comme une machine dépourvue de pensée. Rien de surprenant à ce que la bourgeoisie enrégimente une partie de la population et la dirige à son gré et selon ses désirs, ses besoins et ses intérêts. Malheureusement, l’enrégimentation semble sortir des cadres du militarisme et déteindre sur les organisations civiles. C’est ainsi que nous voyons, sous le fallacieux prétexte de discipline dans la lutte sociale, des partis « d’avant-garde » enrégimenter les pauvres bougres ignorants du rôle qu’on leur fait jouer et qui servent de tremplin politique ou électoral à une poignée d’ambitieux et d’arrivistes,
Il ne faut pas confondre la discipline et l’enrégimentation ; ce sont deux choses bien différentes. Les anarchistes ne sont nullement les adversaires de la discipline, quoi qu’en pensent et quoi qu’en disent nos ennemis. S’ils luttent avec acharnement contre l’enrégimentation, c’est qu’un homme enrégimenté, dans un parti ou dans une armée, est contraint de suivre aveuglément toutes les directives qui lui sont, non pas suggérées, mais imposées par des chefs dont on ne discute pas les ordres.
On nous reproche, particulièrement, depuis la Révolution russe de 1917, de mener le combat contre les organisations communistes et contre la Troisième Internationale. C’est que la plupart des adhérents à l’Internationale de Moscou sont des êtres enrégimentés. Il suffit, pour s’en rendre compte, de suivre le mouvement et l’évolution des partis communistes internationaux.
La politique du gouvernement russe a changé à maintes reprises entre 1917 et 1926, et les dirigeants des P. C. ont évolué en différents sens. Mais le troupeau continue à accepter les variations de la politique et à se courber devant les chefs qui se succèdent.
Lénine, Trotski, Zinoviev, Staline, furent tour à tour chefs de cette armée de parias qui espèrent conquérir leur émancipation en s’enrégimentant. C’est là une erreur profonde ; l’émancipation ne découle pas d’une discipline aveugle et ridicule, mais de la liberté, et le « régiment » civil et militaire n’a jamais été que le repaire des serfs et des esclaves.
La discipline en pleine liberté, acceptée par des hommes conscients ? Oui ; l’enrégimentation ? Jamais, car elle est un facteur de régression sociale.
ENSEIGNEMENT
n. m.
Profession de celui qui enseigne ; qui donne l’instruction.
On distingue trois ordres d’enseignement : l’enseignement primaire, l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur.
L’enseignement primaire est régi par la loi de 1882 qui a fait la laïcisation. Obligatoire pour les enfants de six à treize ans, il est couronné par le certificat d’études primaires.
Il comporte la lecture, l’écriture, l’arithmétique, l’histoire, la géographie, les éléments des sciences physiques et naturelles, l’instruction civique, etc...
Il est destiné aux enfants des ouvriers et des paysans dont il a pour mission de former des hommes et des femmes bornés, résignés à la condition sociale inférieure qui devra être la leur.
La laïcisation a été un progrès ; l’enseignement de l’instituteur est moins déprimant que l’enseignement du congréganiste, instrument passif d’une Eglise asservie tout entière au capital.
Néanmoins, la culture dispensée aux enfants prolétaires par la République bourgeoise a, elle aussi, pour but de les contenir et de les empêcher de se révolter contre une condition d’esclave.
L’histoire présente aux écoliers les temps passés comme une suite de guerres. Seuls, les rois et leurs serviteurs immédiats sont dignes d’intérêt. Rien de la vie des peuples.
L’instruction civique, mélange de morale et de sociologie simplistes, donne à l’élève une conception fausse de la Société où il devra vivre. Elle lui fait adorer la patrie et les généraux. On présente à l’élève les apparences des choses et il croit que tout est parfait dans la Société présente. Pensant que la richesse est la récompense du travail et de l’économie, il met des sous dans sa tirelire.
A l’école primaire, l’enfant coudoie des enfants du peuple comme lui-même. L’instituteur est aussi du peuple dont il forme l’élite. L’écolier ignore donc qu’Il existe d’autres écoles où les enfants riches reçoivent un enseignement différent du sien. Dans ses rêves ambitieux, l’élève studieux ne voit que les brevets primaires.
Telle qu’elle est, l’école primaire est encore supérieure au milieu familial moyen de l’enfant du peuple. Il y apprend des éléments d’hygiène, une morale de bonté ; il est stimulé à l’étude.
Rentré dans sa famille, tout cela se trouve contredit. Ses parents contestent l’utilité de l’instruction ; ils raillent l’hygiène. L’enfant voit dans la maison ouvrière la brutalité et l’alcoolisme à tous les étages.
A treize ans, il demande lui-même à quitter l’école.
Ses camarades sont entrés à l’atelier et il veut faire comme eux.
Les rudiments qu’il a acquis s’oublient très vite.
A vingt ans, il ne lui reste plus de l’arithmétique que l’addition. Il est incapable de coordonner ses idées pour écrire la lettre la plus simple ; aussi, écrire une lettre constitue pour lui un effort qu’il ne fait pas volontiers. De l’histoire, il n’en faut pas parler ; des conscrits ont fait de Jeanne d’Arc la femme de Napoléon 1er. Seule la lecture demeure à peu près intacte sur les ruines de la formation primaire. On a dit avec raison qu’elle permet au prolétaire d’être trompé ; mais elle lui permet aussi de s’instruire. L’ouvrier des villes qui lit quotidiennement un journal est très supérieur au moujik russe, aux ouvriers espagnols et italiens ; il comprend l’action syndicale. Mais il est encore très ignorant et cette ignorance est le plus grand obstacle à son affranchissement.
Enseignement secondaire. — De même que l’enseignement primaire vise à former des esclaves, l’enseignement secondaire forme les futures classes dirigeantes.
Réservé à la bourgeoisie, il se donne dans les lycées et collèges de l’Etat ainsi que dans les établissements particuliers dont beaucoup sont congréganistes.
Il n’est pas gratuit. Les bourses, il est vrai, peuvent le donner gratuitement ; mais l’enseignement n’en reste pas moins bourgeois. Très rarement l’ouvrier pense à demander une bourse de lycée pour son enfant. Les boursiers sont des fils de la petite bourgeoisie : instituteurs, fonctionnaires, etc...
L’enseignement secondaire, bien que visant à la formation des maîtres, est loin d’être parfait. Il a de la peine à se défaire du préjugé des langues mortes que les élèves apprennent pendant de longues années pour arriver à ne les savoir que très mal. Les langues vivantes ne sont que commencées ; les élèves ne sauraient, avec ce qu’on leur a appris au lycée, tenir une conversation un peu élevée dans une langue étrangère.
Le lycée enseigne aux enfants, outre les langues mortes et vivantes, l’histoire et la géographie universelles, la littérature ancienne et moderne, la composition française, les mathématiques, les sciences physiques et naturelles, la philosophie, etc...
L’histoire n’est plus, comme à la primaire, une chronologie des rois et des guerres ; l’élève apprend les mœurs et les coutumes du temps passé ; l’évolution de la civilisation.
Malheureusement, l’enseignement, donné de façon mécanique, s’adresse beaucoup à la mémoire et peu à l’intelligence.
Mais on ne s’y donne pas pour but de former les jeunes esprits ; il habitue au contraire ses élèves à prendre une haute idée d’eux-mêmes.
A la distribution des prix du Concours général, les plus hauts dignitaires de la République ne dédaignaient pas de venir couronner des lauriers scolaires les enfants des classes dirigeantes. Les lauréats, surtout les fils de grands bourgeois, ne croyaient pas alors trouver d’obstacles aux plus hautes visées d’avenir.
La moyenne des familles bourgeoises, cependant, tout en étant infiniment plus éclairées que les familles ouvrières, se désintéresse assez de la culture intellectuelle de leurs enfants.
Ce qui les pousse à les faire travailler, ce sont avant tout les sanctions de l’enseignement secondaire ; le baccalauréat, qui est exigé à l’entrée des écoles supérieures.
Entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur se placent les grandes écoles : Ecole Normale Supérieure, Ecole Polytechnique, Ecole Centrale.
L’Ecole Normale Supérieure prépare les professeurs de lycée et de facultés. Elle donne une culture très élevée dans les lettres et dans les sciences. Nombre d’hommes célèbres de la politique, de la science et de la littérature en sont sortis.
L’Ecole Polytechnique forme des ingénieurs et des officiers d’artillerie ; c’est une école à demi-militaire ; les élèves ont un uniforme.
L’Ecole Centrale, d’un niveau un peu inférieur, forme les ingénieurs qui seront employés dans l’industrie.
Les Grandes Ecoles se recrutent par un concours d’entrée qui est très difficile. La préparation de ce concours exige un travail tellement intensif que l’élève en a ensuite, et pour la vie, le dégoût de l’étude.
Enseignement secondaire des Jeunes Filles. — Il se donne dans les lycées et collèges de jeunes filles. Son institution a été un progrès. Avant lui, les jeunes filles de la bourgeoisie étaient élevées dans des couvents où on les instruisait fort peu. Mais il restait très inférieur à l’enseignement des lycées de garçons. Comme pour l’enseignement primaire, son but était de comprimer bien plutôt que de développer les jeunes intelligences. On avait peur d’instruire les jeunes filles ; pensant, non sans quelque raison, que, une fois instruite, la femme voudrait s’affranchir.
L’enseignement secondaire des jeunes filles ne conduisait ni aux facultés, ni aux grandes écoles. Les facultés étaient d’ailleurs fermées aux femmes et les grandes écoles ne font que commencer à s’ouvrir pour elles.
L’étudiante entrait à l’Université avec un mauvais baccalauréat préparé à la hâte. Elle avait beaucoup de peine à se mettre au niveau des études, étant en but à l’hostilité des professeurs et à la haine des camarades.
Depuis peu de temps, l’enseignement des lycées de jeunes filles a été mis au niveau de celui des lycées de garçons. Nombre de jeunes filles de la bourgeoisie passent aujourd’hui le baccalauréat.
Enseignement supérieur. — Il est donné dans les Facultés : Droit, Médecine, Sciences, Lettres, etc...
Il prépare les élèves aux carrières dites libérales, ce qui fait que les facultés sont avant tout des écoles professionnelles.
Longtemps, le baccalauréat classique, avec latin et grec, a été exigé à l’entrée des facultés. Aujourd’hui, on est moins rigoureux. Un jeune homme ou une jeune fille sortis de l’école primaire peuvent, avec quelques années de travail patient, devenir étudiants dans une faculté.
Outre les facultés, il existe des écoles particulières comme le Conservatoire des Arts et Métiers, l’Ecole des Travaux Publics qui font des cours soit le soir, soit par correspondance. Le jeune ouvrier peut, s’il le veut, atteindre, grâce à ces établissements, à une culture intellectuelle assez élevée.
L’enseignement des facultés ayant pour but la carrière se préoccupe très peu de la culture générale des élèves. Il s’adresse beaucoup à la mémoire et très peu à l’intelligence. L’élève studieux s’abrutit dans la préparation des examens ; il n’a même pas le temps de lire autre chose que ses manuels. Le professeur d’Université dans les grandes villes ne connaît pas ses élèves. L’étudiant est presque sans direction intellectuelle.
L’enseignement est tout entier à réformer.
Le Cartel des Gauches avait mis dans son programme de 1924 L’Ecole Unique, qui devait fondre ensemble le primaire et le secondaire et supprimer l’enseignement de classe. Mais, une fois élu, le Cartel a trouvé toutes sortes d’empêchements à l’Ecole Unique et il est probable qu’elle servira encore longtemps de tremplin électoral.
L’enseignement, dans la société future, aura pour but la culture intellectuelle de l’individu et non le désir de gagner de l’argent. La formation de l’esprit humain prendra toute l’importance qu’elle doit avoir.
— Doctoresse PELLETIER.
ENSEIGNEMENT
C’est l’action, l’art, la profession de fournir des connaissances en vue d’un certain but ; ces connaissances elles-mêmes.
On le divise généralement en enseignement primaire, enseignement secondaire et enseignement supérieur ; il compte en outre des écoles spéciales ou professionnelles.
L’enseignement primaire fournit les quelques connaissances nécessaires et suffisantes pour le peuple : lecture, écriture, etc... Dans la plupart des nations civilisées, il est obligatoire (de six à treize ans en France), ce qui a tenu les gouvernements de le rendre gratuit, ou payant proportionnellement aux ressources des parents. Enfin, il est généralement laïc, c’est-àdire neutre, concernant la religion.
La bourgeoisie complète ordinairement son instruction dans les collèges ou lycées. Cet enseignement secondaire, qui se termine par le baccalauréat, sert de transition entre l’enseignement primaire et l’enseignement supérieur. Celui-ci embrasse les hautes études : lettres, sciences, langues (vivantes et mortes), philosophie, médecine, droit et théologie. En France, il se donne dans les Universités, et chaque branche d’enseignement forme une Faculté. Certains cours sont publics. Une série d’établissements scientifiques et d’enseignement supérieur relèvent directement du ministre de l’Instruction publique ; tels le Collège de France, l’Ecole normale supérieure, l’Ecole polytechnique, et l’Institut de France, réunion des cinq académies : Française ; des Inscriptions et Belles-Lettres ; Sciences morales et politiques ; des Sciences ; des Beaux-arts.
Chacun tend à durer, et réclame un enseignement correspondant à ses besoins. Le dévot demande à l’enseignement des exemples de piété pour édifier et fortifier l’âme ; l’artiste, les connaissances techniques indispensables pour s’adonner à l’art. L’homme du monde s’intéresse à ce qui fait briller, le « sauvage » à ce qui lui procure l’indépendance. Chacun abonde dans son sens. Suivant son intérêt ou ses opinions, il favorise plus ou moins la culture de la sensibilité, de l’intelligence ou de la volonté. De là, la tendance de toute institution à avoir un enseignement particulier, et les luttes dont l’enseignement a été et sera le théâtre. Ce fait explique aussi pourquoi chaque gouvernement n’est susceptible que d’un certain degré de rationalisme dans son enseignement, degré proportionnel à son libéralisme, et qu’il ne dépasse pas, sous peine de suicide, même quand la science et l’expérience ont démontré la nécessité d’une réforme.
L’enseignement officiel est donc foncièrement conservateur ; quant à l’enseignement privé — qualifié de « libre » — il n’est guère donné que par des sectes religieuses franchement réactionnaires. On comprend pourquoi l’enseignement est, d’une part, encombré d’un fatras inutile et désuet, et d’autre part, muet ou mensonger sur des chapitres de la plus grande actualité : on préfère la fortune à la révolution ! Il y a quelques années, en Hollande, j’eus l’occasion de causer tour à tour avec plusieurs soupirants au baccalauréat. Au sujet du socialisme, tous, de l’air supérieur de celui qui sait, me dirent à peu près la même chose :
« Heu ! si chacun recevait un jour vingt florins comme sa part de la fortune générale, l’inégalité serait rétablie dès le lendemain, les uns ayant dépensé leur avoir, les autres ayant fait profiter le leur... »
L’année suivante, un jeune bachelier français me dit la même chose ; à l’école primaire, j’ai entendu le même jugement de la part de mon instituteur ; cet « argument » avait fait sur la classe une grande impression, sur laquelle plusieurs élèves sont sans doute restés. Le socialisme mériterait pourtant qu’on l’examinât d’un peu plus près ! Quant à l’anarchisme, l’histoire fournit l’occasion d’exprimer l’opinion officielle à son sujet, grâce à l’assassinat du président Carnot :
« Ce sont des criminels ne reconnaissant ni gouvernement ni patrie. » (Histoire de France, E. Lavisse)
Je serais pourtant curieux de savoir comment on en parle dans la République prolétarienne russe...
Pour le personnel récalcitrant, l’Etat dispose de mesures disciplinaires allant jusqu’à la révocation. On connaît le cas typique de l’illustre Michelet, dont les cours au Collège de France furent plusieurs fois suspendus et repris, suivant le flux et le reflux des événements politiques. C’est d’ailleurs le plus souvent avec fierté que l’instituteur se met au service de la conservation sociale. Sortant du peuple, il a le respect du bourgeois ; il est fier de raisonner comme lui, et affiche beaucoup de dédain pour l’ouvrier... Il montre volontiers patte blanche à ses supérieurs, à cause de l’avancement. Rappelé à ses origines ces dernières années par le malaise économique, il semble acquérir peu à peu une conception plus élevée de sa valeur : nous verrons ce que vaut cette évolution quand la pitance sera redevenue suffisante.
Puisque chacun conçoit l’enseignement au mieux de ses intérêts personnels ou de classe, il convient d’y regarder à deux fois avant que d’avoir recours à l’enseignement donné par ses ennemis. Les catholiques l’ont très bien compris, qui multiplient partout leurs écoles primaires, secondaires et supérieures, malgré toutes les garanties de neutralité données par l’Etat. C’est qu’un enseignement n’est jamais neutre ; on peut toujours interpréter les faits de manières diverses : il suffit de constater la division des savants, la contradiction de leurs théories et de leurs méthodes pour en être convaincu. Les anarchistes ont aussi effectué plusieurs tentatives sur ce terrain. L’Ecole moderne, de Ferrer, la Ruche de Sébastien Faure, l’Avenir social de Madeleine Vernet, mais ces entreprises, bien que très intéressantes, ne sont qu’individuelles. Beaucoup de camarades croient avoir tout fait en arrachant l’enfant à l’influence du clergé : c’est un tort. La routine intéressée, la morale pestilentielle du christianisme gangrène presque autant l’enseignement de l’Etat : il faut en préserver nos enfants. (Voir à ce sujet l’étude substantielle de Stephen Mac Say : La Laïque contre l’Enfant).
Je ne pense pas qu’on puisse « faire des hommes », selon l’expression courante, mais par contre, je suis certain que la négligence des parents en empêche beaucoup de le devenir. L’homme d’avant-garde devrait réfléchir à ce fait et, avant que de s’abandonner au pessimisme, se demander : « Pourquoi laissons-nous capter à la source l’avenir de notre mouvement ? » Un besoin de propagande positive semble s’affirmer depuis quelque temps chez les anarchistes : vont-ils enfin se décider à entreprendre le principal ? Vont-ils enfin créer leur enseignement ? Dans cette optimiste attente, les parents de bonne volonté chercheront, dans les revues pédagogiques, de quoi corriger et compléter l’instruction primaire de leurs enfants et — pourquoi pas ? — de quoi l’entreprendre eux-mêmes... (Voir entre autres : L’Ecole Emancipée, à Saumur.)
— L. WASTIAUX
ENSOUTANE
n. m. (de soutane)
Le mot ensoutané est un terme populaire qui sert à désigner les ecclésiastiques, parce que ceux-ci portent une soutane.
En vérité, ce mot pourrait également s’appliquer aux juges, aux avocats, etc... qui revêtent aussi une soutane lorsqu’ils sont dans l’exercice de leurs fonctions. Jadis, les professeurs et les médecins portaient aussi la soutane, mais cette habitude a disparu depuis plus de deux siècles. Il n’y a plus aujourd’hui que dans certaines cérémonies universitaires que sont évoqués ces costumes particuliers.
La soutane varie de couleur, selon le grade de l’ensoutané. Elle est noire, violette ou rouge, et le pape porte une soutane blanche. Les ensoutanés de la justice portent une robe rouge ou noire, selon qu’ils appartiennent à la magistrature assise ou debout.
Cependant il n’y a vraiment en France que les prêtres de l’église catholique qui se couvrent continuellement de ce costume ridicule. Les magistrats, les avocats, etc..., ne portent la soutane qu’à l’intérieur des édifices où ils exercent leurs fonctions et revêtent pour sortir un costume civil. Les ensoutanés, comme les militaires, comme tous ceux qui portent un uniforme qui les place en dehors de la collectivité sont des êtres nuisibles et néfastes qui vivent sans produire, sur le travail de leurs semblables. Comme tous les parasites, il faut les combattre jusqu’à ce qu’ils aient disparu de la surface du globe.
ENTENDEMENT
n. m.
Autrefois, le mot entendement signifiait : perception des sons. Il est aujourd’hui employé assez fréquemment comme synonyme d’ « intelligence ». L’entendement est la faculté de comprendre, de sentir, de juger. Un homme d’entendement. Avoir perdu l’entendement.
« Notre imagination, ni nos sens ne nous sauraient jamais assurer d’aucune chose si notre entendement n’y intervient. » (Descartes)
On appelle entendeur celui qui a de l’entendement.
Mais ce mot est rarement employé, sauf dans quelques locutions proverbiales, telle :
« A bon entendeur, salut. »
Avoir de l’entendement, c’est avoir un esprit éveillé, percevoir avec facilité les choses qui n’ont point de forme corporelle et qui sont du domaine de l’intelligence ; c’est la faculté de connaître et de concevoir.
Celui qui a de l’entendement, c’est-à-dire de l’intelligence, est un privilégié, car la lumière qui l’éclaire lui donne certaines joies qu’ignorent les pauvres d’esprit. Ces derniers ne seront heureux que « dans le royaume des cieux » ; les autres peuvent espérer conquérir le bonheur sur la terre.
ENTENTE
n. m.
Bon accord. Entente familiale. L’entente est l’acte qui consiste à se mettre d’accord sur un point, sur un objet, sur un sujet déterminé. L’entente peut se réaliser sur une foule de choses. Elle peut être intégrale ou partielle, mais pour être harmonieuse, c’est-à-dire utile, il est indispensable — et surtout en ce qui concerne les questions politiques ou sociales — que le but poursuivi par les groupes ou individualités figurant dans cette entente soit le même.
« L’homme fort, c’est l’homme seul » affirme un adage, considéré presque comme un axiome par certains individus. Nous avons à maintes reprises tenté de combattre cette idée, qui nous semble fausse à sa base ; c’est dire, en conséquence, qu’à notre avis « L’Union fait la force » et que pour arriver à réaliser quelque chose, l’individu doit se joindre à d’autres individus, se grouper, s’entendre avec ses semblables.
Nous sommes donc de chauds partisans de l’Entente, sans toutefois nous laisser entraîner à commettre des erreurs dont les effets sont trop souvent désastreux. De même que, chimiquement, il existe des corps qui ne peuvent se mélanger, politiquement et socialement il existe des ententes qui paraissent impossibles. Vouloir les réaliser à toute force détermine des catastrophes.
Politiquement, en France, nous avons sous les yeux, en cette année de grâce 1927, l’image de ce que peut produire une entente composée d’éléments hétérogènes, Pourtant, politiquement, l’entente est plus facile, surtout sur le terrain électoral et parlementaire, car ce n’est pas ordinairement la sincérité qui est un lourd fardeau pour un candidat à la députation.
Nous savons que, pour combattre la « réaction », personnifiée par quelques ministres appartenant au « Bloc National », une entente fut établie à la veille des élections législatives de 1924 entre les divers éléments politiques de gauche. Cette entente prit le nom de « Bloc des Gauches », et triompha. Victoire éphémère. Tiraillés par des intérêts différents, les groupes de cette entente ayant une nature et un caractère particuliers, n’arrivèrent pas, par la suite, à maintenir un accord impossible et l’entente se désagrégea. Le programme du « Bloc des Gauches » s’envola comme une fumée et la réaction revint au pouvoir, représentée par les mêmes hommes qu’auparavant.
Si nous signalons cet épisode, c’est surtout pour démontrer que si « l’union fait la force », et que l’entente entre les hommes qui désirent accomplir une œuvre est indispensable, il ne faut pas s’enchaîner aveuglément à n’importe qui et à n’importe quoi. Les politiciens de 1924 n’étaient pas des contempteurs de l’Etat bourgeois. Tous étaient des défenseurs du capital et pourtant les résultats obtenus furent négatifs, car leur entente reposait sur des sables mouvants. Pour être plus solide, il eût fallu que les composants fussent non seulement d’accord sur le but poursuivi mais sur les moyens primaires essentiels à employer pour atteindre ce but.
Socialement, le problème de l’entente est encore plus délicat et plus on étudie cette question, plus elle semble complexe. Il serait évidemment souhaitable que la plus franche camaraderie existât entre tous les travailleurs, entre tous les exploités et que leur unique désir fût de se libérer du patronat et de la servitude. Mais il n’en est jamais ainsi. Ne prenons pas trop nos rêves pour des réalités. L’union de toutes les forces ouvrières est difficile à réaliser, mais qu’importe, puisque nous savons que tous les grands mouvements sociaux ont été accomplis par des minorités agissantes. Hélas ! L’entente n’existe même pas au sein de ces minorités et il apparaît au contraire que chaque jour, la division s’étend, annihilant les efforts de chacun.
Quel est ce phénomène ? D’où vient qu’une entente ne puisse s’établir entre tous les travailleurs révolutionnaires, adversaires de la bourgeoisie, et ennemis du Capital ? Ainsi que le prétendait Malatesta au congrès anarchiste d’Amsterdam de 1907, le syndicalisme ne serait-il pas révolutionnaire, et l’idéologie révolutionnaire au syndicat serait-elle un facteur de division tout comme l’idéologie politique ?
Au cinquième congrès des Bourses du Travail, tenu à Tours du 9 au 12 décembre 1896, Fernand Pelloutier présenta un rapport duquel on peut extraire ces lignes : « La révolution sociale doit avoir pour objectif de supprimer la valeur d’échange, le capital qu’elle engendre, les institutions qu’elle crée.
Nous partons de ce principe, que l’œuvre révolutionnaire doit être de libérer les hommes, non seulement de toute autorité, mais aussi de toute institution qui n’a pas essentiellement pour but le développement de la production. Par conséquent nous ne pouvons imaginer la société future autrement que comme l’association volontaire et libre des producteurs.
Deux choses nous paraissent évidentes : la première c’est que la vie sociale se réduit à l’organisation de la production. Manger et penser, ce doit être là toute l’occupation humaine ».
Au septième Congrès des Bourses du Travail, tenu à Paris du 5 au 8 septembre 1900, la proposition ci-dessous, émanant de Constantine, fut adoptée à l’unanimité :
« Considérant que toute immixtion de la Fédération des Bourses du Travail dans le domaine de la politique serait un sujet de division et détournerait certainement les organisations syndicales du seul but qu’elles doivent poursuivre : l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes,
Décide :
Qu’en aucun cas la Fédération des Bourses du Travail ne devra adhérer à un groupement politique. »
Un quart de siècle s’est écoulé depuis que fut élaboré ce bref programme révolutionnaire, la guerre a passé, détruisant une partie de l’œuvre de nos ainés et à présent l’entente semble plus improbable qu’elle ne le fut à l’origine du mouvement syndical.
C’est que les syndicalistes révolutionnaires des premiers jours commirent cette faute grave de considérer le syndicalisme comme un but, alors qu’à nos yeux il n’est qu’un moyen.
Pour que la bonne harmonie règne au sein des organisations syndicales, que l’entente se réalise entre tous les travailleurs, il faut non seulement en chasser la politique, mais aussi ne prêter au syndicalisme aucune idéologie ; quelle qu’elle soit. Le syndicalisme est tour à tour réformiste et révolutionnaire. Il est réformiste par son organisation et son « but » qui n’est toujours qu’immédiat et il est révolutionnaire par son action. Les éléments qui le composent peuvent être hétérogènes si le syndicalisme n’a pas de but politique ; c’est impossible si on lui adjoint une idée, une doctrine, une philosophie. Il devient alors un syndicalisme de secte, de parti, et l’entente est irréalisable. C’est ce qui s’est produit en France à la suite de la guerre.
A mes yeux — je sais que bon nombre d’anarchistes communistes ne partagent pas ce point de vue — le syndicalisme ne peut, dans sa forme, être que réformiste ; nous pouvons citer en exemple les grandes organisations, anglaises, allemandes ou américaines. C’est à la faveur des événements qu’il agit révolutionnairement, et non pas parce qu’il groupe un grand nombre de révolutionnaires. Pour s’opérer sur une large échelle, le recrutement syndical doit ne se réclamer de rien, sauf de la lutte en faveur de l’amélioration du travailleur. Sur ce point précis l’entente peut se faire et le syndicalisme peut grouper des hommes de toutes les tendances.
En ce qui concerne l’entente des partis politiques ou des organisations sociales et philosophiques, c’est tout à fait différent, et nous pensons que l’entente ne peut s’effectuer qu’après mûre réflexion.
Dans un projet d’organisation des anarchistes paru en 1926 à la Librairie Internationale, P. Archinoff, secrétaire du Groupe d’Anarchistes russes à l’étranger, écrit une préface dont nous tirons ce passage :
« Nous rejetons comme théoriquement et pratiquement inepte l’idée de créer une organisation d’après la recette de la « synthèse », c’est-à-dire, réunissant des représentants des différentes tendances à l’Anarchisme. Une telle organisation ayant incorporé des éléments théoriquement et pratiquement hétérogènes, ne serait qu’un assemblage mécanique d’individus concevant d’une façon différente toutes les questions du mouvement anarchiste, assemblage qui se désagrégerait infailliblement à la première épreuve de la vie ».
Voilà ce que l’on peut appeler une conception courageuse de l’organisation anarchiste. Nous n’avons pas ici à porter une appréciation sur le contenu de la brochure que tout Anarchiste a le devoir de lire, mais le passage que nous citons plus haut signale un mal dont nous souffrons et qui menace de nous tuer.
L’Anarchisme est interprété de différentes façons et, à notre avis, il n’est pas suffisant de se dire et de se prétendre Anarchiste pour être un camarade avec lequel nous pouvons nous entendre et nous allier.
« Sans avoir l’outrecuidance, écrivait Jean Grave, de formuler un code de l’Anarchie, je crois cependant à la nécessité de passer en revue les divers moyens d’action ; j’y crois d’autant plus que l’idée ayant pris quelque extension, elle semble avoir perdu en profondeur et en intensité ce qu’elle a gagné en nombre, beaucoup venus à l’idée par dilettantisme, par entraînement, ne se rendent pas compte de la somme d’efforts et d’abnégation que demande une idée qui a à lutter contre tout l’état social.
Venus avec toutes les idées fausses en politique, toute leur ignorance des causes réelles, des maux dont nous souffrons, ils ont apporté avec eux toute la pharmacopée politique et s’imaginent avoir changé d’idées, parce qu’ils ont mis une étiquette nouvelle. Cela fait que par certains côtés l’Anarchie semble vouloir dévoyer du chemin poursuivi jusqu’à présent.
Je sais bien que ceux qui agissent ainsi prétendent que c’est par largeur de vue, déclarant que, pour eux, tout moyen est bon, pourvu qu’il nous mène au but, et que c’est faire œuvre de sectarisme, preuve d’étroitesse de vue en repoussant tel ou tel moyen.
Seulement, à ce compte-là, il serait très facile de s’accorder un brevet de tolérance et de penseur universel, en acceptant d’incorporer dans sa philosophie, n’importe quelle idée, n’importe quelle action. Le mal est que lorsque l’on accepte tant de choses, c’est que l’on ne croit à rien ; cette philosophie peut bien vous faire tout accepter, tout excuser, mais elle ne vous mène pas à l’action contre ce qui est mauvais. » (Jean Grave, L’Anarchie, son But, ses Moyens, pp. 30, 31)
Dussions-nous être accusés de dogmatisme, nous pensons que Jean Grave a raison et que l’entente de tous ceux qui se réclament de l’Anarchie n’est pas possible, et que, le serait-elle, elle n’est pas souhaitable.
Pour quelles raisons, nous objectera-t-on, l’entente entre tous les Anarchistes est-elle irréalisable, puisque tous les Anarchistes combattent le principe d’autorité et que tous aspirent à la liberté la plus absolue de l’individu ? Cela ne nous paraît pas suffisant. L’anarchisme, à nos yeux, n’est pas la synthèse d’aspirations philosophiques. Ce n’est pas de l’idéologie pure ; il doit reposer, à notre sens, sur un terrain matériel, c’est-à-dire un programme d’action.
« Les idées les plus abstraites, nous dit Bakounine, n’ont d’existence réelle que pour les hommes, en eux et par eux. Ecrites ou imprimées dans un livre, elles ne sont rien que des signes matériels, un assemblage de lettres matérielles et visibles dessinées ou imprimées sur quelques feuilles de papier. Elles ne deviennent des idées que lorsqu’un homme quelconque, un être corporel s’il en fut, les lit, les comprend et les reproduit dans son propre esprit ; donc L’INTELLECTUALITÉ EXCLUSIVE DES IDÉES EST UNE GRANDE ILLUSION ; elles sont autrement matérielles, mais tout aussi matérielles que les êtres matériels les plus grossiers. En un mot, tout ce qu’on appelle le monde spirituel, divin et humain, se réduit à l’action combinée du monde extérieur et du corps humain qui, de toutes les choses existantes sur cette terre, présente l’organisation matérielle la plus compliquée et la plus complète. » (M. Bakounine, Œuvres, Tome III, p. 346)
Il en découle, SI L’INTELLECTUALITÉ DES IDÉES EST UNE GRANDE ILLUSION, qu’une entente intellectuelle ne peut être avantageuse que si elle se traduit par des actes correspondants à ces idées. Si les actes qui découlent de cette idée ou de ces idées sont multiples, et que, en raison des déductions particulières, ils s’opposent les uns aux autres, l’entente intellectuelle peut subsister, mais l’entente matérielle, positive, se trouve détruite. L’entente intellectuelle en soi est inopérante ; à quoi bon alors être d’accord sur un principe si l’on n’a aucune faculté de matérialiser collectivement la lutte pour la défense de ce principe ?
C’est ce qui se produit pour l’Anarchisme. L’Anarchisme n’est pas la seule conception sociale sur laquelle s’échafaudent de violentes discussions. Lorsque nos adversaires politiques insinuent que nous ne savons pas ce que nous voulons, et que nous n’arrivons pas à réaliser un accord, ils oublient volontairement que tous les partis sont déchirés par des luttes intérieures, et qu’ils ne sont pas exempts de déviations et de batailles de tendances. Mais un parti a une charte, un programme et l’individu qui y adhère doit accepter cette charte ou ce programme.
Jusqu’à ce jour, ce fut la lacune du mouvement anarchiste de se refuser à élaborer un programme de base sur lequel puissent s’édifier les premières pierres d’une entente sérieuse entre les individus poursuivant le même but, et dont les divergences ne sont pas un facteur de dissociation et de désagrégation.
Quant à ce qui concerne l’entente de tous les « Anarchistes », c’est de la pure folie. Nous sommes séparés les uns des autres par des barrières beaucoup plus hautes que ne le sont les républicains de droite, des républicains de gauche. Vouloir associer nos divergences, c’est créer une atmosphère d’hostilité et de bataille au sein de notre organisation et perdre notre temps en des discussions nébuleuses, inutiles, nous empêchant de lutter efficacement contre notre puissant ennemi : le capital. Au Congrès Anarchiste de Fribourg, Elisée Reclus déclara :
« Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons la justice... Jamais un progrès ne s’est accompli par simple évolution pacifiste et il s’est toujours fait par une évolution soudaine. Si le travail de préparation se fait avec lenteur dans les esprits, la réalisation des idées se fait brusquement. Nous sommes des Anarchistes qui n’ont personne pour maîtres et ne sont les maîtres de personne. Il n’y a de morale que dans la liberté. Mais nous sommes aussi des Communistes internationaux, car nous comprenons que la vie est impossible sans groupement social. »
Anarchistes communistes, nous ne pouvons qu’adopter les déclarations de Reclus. Non pas parce que Reclus est une idole et fut un des « maîtres » de l’Anarchisme — nous n’avons pas de maîtres — mais parce qu’elles nous paraissent logiques et répondent à notre conception de la lutte sociale. Or, quels rapports pouvons-nous entretenir avec ceux qui se refusent — à tort ou à raison — à participer à la lutte révolutionnaire, à la lutte insurrectionnelle, sous prétexte que celle-ci est inopérante, et poursuivent la culture de leur « moi », qui leur paraît seule susceptible de libérer l’individu des entraves de la Société bourgeoise ? Tel légumivore considère avoir fait sa révolution parce qu’il ne consomme que des végétaux, tel illégaliste espère combattre la Société en s’attaquant individuellement à la propriété privée, tel faux savant se prétend anarchiste parce qu’il plane au-dessus de ses semblables, dans les sphères éthérées de l’idée pure, inaccessibles aux pauvres humains — trop humains — que nous sommes. Quelle peut être l’utilité d’une alliance, d’une entente avec de tels hommes ? La « Liberté » pour nous anarchistes communistes ne peut être « individuelle ». Elle ne peut être que collective. Une révolution individuelle n’est pas une révolution, ou bien une telle conception de la révolution est essentiellement bourgeoise. La liberté individuelle puise sa source dans la liberté collective et cette liberté collective sera le produit de la révolution sociale. Aucune entente n’est possible avec quiconque se refuse d’adhérer — dans son esprit et dans sa pratique — à la participation d’un mouvement socialement révolutionnaire, provoqué par les événements et soutenu par le peuple en effervescence.
Au cours d’un discours prononcé en 1867 au Comité Central de la Ligue de la Paix et de la Liberté, Bakounine prononça ces paroles :
« Ne devons-nous pas nous organiser de manière à ce que la grande majorité de nos adhérents reste toujours fidèle aux sentiments qui nous inspirent aujourd’hui, et établir des règles d’admission telles que, lors même que le personnel de nos comités serait changé, l’esprit de la ligue ne change jamais ?
Nous ne pourrons atteindre ce but qu’en établissant et en déterminant si clairement nos principes qu’aucun des individus qui y seraient, d’une manière ou d’une autre, contraires ne puisse jamais prendre place parmi nous.
(...) Il est évident, d’un autre côté, que si nous proclamons hautement nos principes, le nombre de nos adhérents sera plus restreint ; mais ce seront du moins des adhérents sérieux, sur lesquels il nous sera permis de compter — et notre propagande sincère, intelligente et sérieuse n’empoisonnera pas — elle moralisera le public. »
Ne devons-nous pas nous inspirer des sages pensées de ce grand révolutionnaire, qui fut non seulement un idéologue profond, mais un révolutionnaire pratique ayant le sens des nécessités organiques de la lutte sociale ?
L’entente est impossible parce qu’il n’y a pas de terrain d’entente, et c’est pourquoi la brochure du groupe d’Anarchistes Russes à l’étranger (Librairie Internationale, 1926) doit être acceptée avec joie par les Anarchistes de notre temps. Ce petit ouvrage est incomplet, mais il présente un programme sur lequel peut s’établir l’entente des Anarchistes communistes révolutionnaires. C’est la première fois qu’une telle position est prise. Plus que tous autres, les Anarchistes russes ont souffert terriblement, au cours de la Révolution russe, de l’inorganisation anarchiste ; ils ont vécu des heures douloureuses, sans profit pour la noble idée qu’ils défendaient. Sur le vif, ils ont saisi, ils ont compris les causes de leur échec. Ils savent aujourd’hui que c’est une utopie de vouloir unir les dissemblables et ils demandent qu’une entente se fasse, non pas dans le domaine des idées pures, mais sur le terrain social.
Dans cette ébauche d’organisation anarchiste, nous les seconderons des faibles moyens dont nous disposons, et, unissant nos efforts aux leurs, nous espérons que se réalisera un jour l’Entente anarchiste. En laissant les livresques à leurs profondes études et nous rapprochant du peuple, attaché par la vie aux problèmes de la vie matérielle et sociale, nous travaillerons à l’évolution des hommes par la révolution sociale.
— J. CHAZOFF
ENTHOUSIASME
n. m. (du grec enthousiasmos : de en, dans ; theos, dieu et asthma, souffle)
L’enthousiasme est un sentiment d’admiration extraordinaire envers quelqu’un ou quelque chose. C’est une exaltation qui s’empare de l’individu, le transforme et le met hors de sa situation ordinaire.
« Rien ne se fait sans un peu d’enthousiasme » a dit Voltaire. Il est vrai que l’enthousiasme est un feu qui transporte les hommes et leur fait accomplir de grandes choses. On a vu, maintes fois, des foules, desquelles on n’espérait plus rien, se lever, enthousiasmées pour une idée, et partir à la conquête du monde. C’est l’enthousiasme du peuple qui a permis à la Révolution française de se défendre contre les hordes étrangères ; c’est à l’enthousiasme des parias que la Russie doit d’être délivrée du régime abject des Tsars.
Mais l’enthousiasme des foules est souvent aveugle et l’entraîne à commettre des erreurs dont elles sont les premières victimes. C’est que le peuple ne s’enthousiasme pas seulement pour une idée, mais aussi pour des hommes ; et de ces hommes, il fait des idoles qui le manœuvrent comme un troupeau.
Il faut espérer que, petit à petit, par l’exemple et l’expérience, les peuples ne se laisseront plus conduire uniquement par le sentiment, et lorsqu’à leurs élans d’enthousiasme ils joindront la raison, ils franchiront toutes les barrières qui les séparent de la liberté.
ENTOMOLOGIE
n. f. (du grec entamon, insecte et logos, discours)
Partie de la zoologie qui traite des animaux articulés et spécialement des insectes. C’est Linné le premier qui, fondateur de l’entomologie, décrivit les genres et les espèces, et établit les divisions. L’entomologie a peu à peu progressé et son étude s’est développée à mesure que se précisaient les sciences agricoles d’abord (études des insectes nuisibles, dit ravageurs) et ensuite, en même temps que se perfectionnait l’exploitation de certains insectes (abeilles, vers à soie, etc...). Une chaire d’entomologie, un laboratoire d’études existent à Paris, au Muséum d’Histoire naturelle. D’autre part, l’étude des moyens propres à lutter efficacement contre les ravageurs a conduit à l’installation de laboratoires spéciaux (stations entomologiques). Parmi les savants qui, depuis Linné, se sont illustrés dans l’étude de l’insecte, citons : Fabricius, Lataille, Réaumur, de Geer, Lepelletier de Saint-Fargeau, Fourcroy, Léon Dufour, V. Audouin, Espinas, Newport, J. Perez, Blanchard, Passerini, Brullé, Hubes, Gledditsch, Bonnier, Emery, J. H. Fabre, Wheeler, Deegener, Forel, etc...
Nous sortirions du cadre de l’Encyclopédie en nous étendant trop largement sur l’entomologie. Cependant, nous croyons qu’il n’est pas inutile de souligner en passant ce que le savant professeur Bouvier a appelé : Le Communisme chez les Insectes, et les curieux rapprochements que l’on peut faire entre certaines sociétés d’insectes et les sociétés humaines. C’est, en effet, chez quelques insectes — et chez eux seulement — que l’on trouve, rigoureusement appliqué, un communisme parfait. Nulle part ailleurs (car nous ne pouvons pas considérer les organismes multicellulaires comme des sociétés) aussi bien chez l’animal que chez l’homme, nous ne pourrions trouver exemple aussi précis. Il est bien entendu que la comparaison à laquelle nous nous livrons ne peut être qu’artificielle et que nous n’entendons pas donner la ruche ou la fourmilière comme modèle de la société future. (On trouvera d’ailleurs plus loin notre conclusion). Néanmoins, ce simple exposé pourra donner cours à des réflexions profitables.
Le communisme entre individus ne se rencontre que dans quatre familles d’insectes : les guêpes, les abeilles, les fourmis et les termites. Ces sociétés communistes comprennent deux groupes :
-
les sociétés maternelles, où les femelles restent seules après avoir été fécondées par les mâles qui meurent peu après (guêpes, abeilles et fourmis) ;
-
les sociétés conjugales « où les deux sexes restent en association constante, la présence des mâles étant nécessaire pour assurer le renouvellement des jeunes fécondateurs » (termites).
Voyons comment se comportent entre eux les individus d’une même société communiste d’insectes et quel en est l’esprit.
Ce qui frappe tout d’abord lorsque l’on considère une société communiste d’insectes, c’est l’absence de « dirigeants ». Il existe bien parmi eux des individus que les naturalistes ont appelés « rois » ou « reines », mais ici, ce vocable sert simplement à désigner les individus dont la fonction sociale est la reproduction et qui n’ont aucune espèce de pouvoir sur leur entourage. Les insectes communistes ne vivent ni en monarchie ni en république mais, ainsi que l’observe Forel, l’activité sociale qui les caractérise « leur permet de vivre sans chefs, sans guides, sans police et sans lois, dans une anarchie admirablement coordonnée ».
Examinons, par quelques brefs aperçus sur la vie de ces insectes, le mécanisme de leur existence sociale. Nous verrons que les hommes y pourraient souvent puiser un enseignement d’activité utile et de labeur sans contrainte.
Voyons d’abord l’abeille et laissons-nous guider par le savant professeur Bouvier :
« Sitôt sortie du berceau, la jeune ouvrière reçoit l’accueil de ses sœurs qui la soutiennent, la lèchent, la brossent et lui offrent des lampées de miel. La voici réconfortée, mais non propre aux voyages de récolte ; elle va s’occuper au logis où la besogne ne manque pas... On savait depuis longtemps que la jeune ouvrière se livre à des travaux d’intérieur successifs, qui varient avec l’âge. Dans une étude récente, Roesch a voulu fixer la succession de ces travaux. La jeune abeille se fait d’abord nettoyeuse des alvéoles ; elle va ensuite se reposer et dormir des heures sur les cellules closes, qu’elle contribue sans doute à couver ; à partir du troisième jour, elle puise aux réserves de miel et de pollen, moins pour elle-même que pour les larves âgées dont elle se fait nourrice ; au bout du sixième jour, ses glandes péricérébrales entrent en fonctions et sécrètent la gelée qu’elle distribue aux jeunes larves, modifiant ainsi son rôle de nourrice qu’elle remplit jusqu’au quinzième jour ; alors, moins craintive, elle se rend sur le tablier de la ruche et s’essaye à des vols d’orientation au voisinage du logis, faisant avec ses compagnes ce que les praticiens désignent sous le nom de « soleil d’artifice » ; d’ailleurs, elle rentre assez vite pour s’occuper à prendre la charge des butineuses et à tasser dans les alvéoles à provisions le pollen qu’elles rapportent ; un peu plus tard, elle remplit les fonctions de gardienne et se tient alors sur le tablier, chassant les ennemis de la ruche, repoussant les intruses, en éveil surtout contre les abeilles pillardes. Au vingtième jour, enfin, elle prend son rôle pour tout de bon et, devenue récoltante, peut s’éloigner jusqu’à cinq kilomètres comme ses sœurs butineuses... »
Trouverait-on une société d’hommes aussi intelligemment policée, où le travail commun s’expédie sans heurt, sans chicane, en solidarité instinctive ?
Mais baissons-nous encore sur la besogne des « cirières », jeunes abeilles qui travaillent à l’intérieur de la ruche. Huber nous les montre à l’œuvre dans une ruche artificielle : copieusement nourries de miel, puis de sirop sucré, elles grimpèrent aux baguettes dont a été formée la voûte, s’y cramponnèrent par les griffes de leurs pattes antérieures, pendant que d’autres s’accrochaient à leurs pattes de la dernière paire avec celles de la première. Elles composaient de la sorte des espèces de chaînes fixées par les deux bouts aux parois supérieures et servaient de pont ou d’échelles aux ouvrières qui venaient se joindre à leur rassemblement ; celui-ci formait une grappe dont les extrémités pendaient jusqu’au bas de la ruche. Les cirières demeurèrent immobiles près de quinze heures, sécrétant la cire qui se montrait en lames blanches sous leur abdomen. Alors, une abeille se détacha de la grappe, monta au centre sous la voûte et cueillit une de ses lames avec les pattes antérieures qui la maintinrent entre les mandibules. Celles-ci réduisirent la plaquette en fragments qu’elles, broyèrent avec de la salive, et la pâte ainsi produite fut fixée à la voûte en un petit bloc rectiligne. Ayant épuisé de la sorte ses huit lames, l’ouvrière rentra dans la grappe et céda la place à une de ses sœurs qui se comporta de même. Et ainsi de suite, le bloc prenant la forme d’une petite cloison verticale raboteuse...
Transposé sur le plan humain, combien un pareil travail comporterait-il de contremaîtres ? Là, rien ; chaque individu, conscient de la tâche à accomplir, s’en acquitte allègrement sans contrainte d’aucune sorte.
Chez les fourmis, nous pourrions faire des constatations analogues. Mais là, plus nombreux encore sont les rapports qui apparentent l’insecte à l’homme. Aussi bien dans l’ordre des défauts que dans celui des qualités. Ne nourrissent-elles pas des commensaux qui font la loi chez elles, détruisent leur progéniture et les mènent à la ruine, cela parce que ces commensaux sécrètent une liqueur dont les fourmis sont friandes ? Ce « symphylisme », ainsi qu’on l’appelle, devient alors une maladie sociale assez semblable à l’alcoolisme humain et qui conduit aux mêmes dégénérescences physiques et morales. Mais, par contre, les fourmis savent concurrencer l’homme sous des aspects plus intéressants. Il est en effet de véritables fourmis agricoles qui pratiquent la culture des champignons, et chez l’Atta texana (grande fourmi champignonniste du sud des Etats-Unis), Wheeler observe que « les plus petites ouvrières demeurent dans les jardins où elles nettoient soigneusement les pousses et empêchent la croissance de champignons étrangers qui pourraient être introduits par les récolteuses ; les ouvrières de moyenne taille coupent, transportent, triturent les feuilles et préparent le jardin ; tandis que les plus grandes, des soldats, font la garde du nid ». Chez certains termites on trouvera une culture analogue. Ces termites préparent des meules spongieuses étagées en chambres souterraines, faites, dit Bugnion, « de pâte de bois partiellement différée, émise du rectum des ouvriers sous forme de crotte brune, mais travaillée à nouveau par les pièces buccales et agglutinée au moyen de la salive ». Le mycélium, ajoute Bouvier « développe sur la meule une forêt de courtes tiges qui se dilatent en petites sphères appelées mycotêtes, ces mycotêtes développent à leur tour des sphérules et des buissons de conidies qui servent, comme les mycotêtes, à la nourriture des termites, surtout des jeunes larves ». Une autre industrie importante chez les fourmis est l’élevage des pucerons, lesquels pucerons constituent dans certaines ruches un véritable bétail donnant un miellat sucré dont les fourmis se régalent. Ces pucerons, les fourmis les soignent, les caressent, les changent de place comme un bétail précieux et accordent les mêmes soins à leurs œufs. Et ce n’est pas tout puisqu’il existe des fourmis filandières.
Nous n’avons pas la place d’étudier ici la vie des sociétés communistes d’insectes, leur genèse, leur évolution et le mécanisme de leurs groupements. Nous terminerons donc par quelques généralités, sans plus insister sur les ressemblances ou les différences qui existent entre sociétés humaines et sociétés d’insectes.
Wheeler est allé un peu loin en déclarant que « la société humaine et les sociétés d’insectes sont tellement semblables qu’il est difficile de trouver entre elles des différences biologiques fondamentales » (Social Life among the Insects, 1922). Car des différences — surtout psychiques mais biologiques aussi — existent qui ne permettent qu’un parallèle artificiel quoique séduisant. Forel a eu raison de dire : « toute l’histoire des peuples humains prouve à satiété notre incapacité absolue de vivre dans l’heureuse anarchie si bien coordonnée que représente un fourmilière ». Elle est en effet une réalisation exagérée du rousseauisme et M. Adrien Roubier (alias Léon Werth) a pu écrire (L’Impartial Français, 12 nov. 1926) :
« Toujours est-il que si l’on peut proposer à l’homme l’imitation de l’altruisme social des insectes, des guêpes, abeilles, fourmis et termites, tout au moins il faudrait beaucoup d’ingéniosité pour croire que son intelligence consentît au renoncement personnel auquel atteignent les insectes par instinct, sans évangélisme, sans kantisme, sans marxisme. Aussi bien, le communisme des insectes n’est-il point évangélistique puisque les individus sont impitoyablement sacrifiés, quand ils n’ont plus d’utilité sociale. Il n’est point davantage marxiste, puisqu’il n’a point pour origine un principe de lutte de classes... »
Mais, toutes ces réserves faites, il ne nous déplaît pas de suivre l’avis du professeur Bouvier :
« Sans doute il ne saurait être question d’imiter dans la Société humaine l’organisation des fourmilières et des sociétés communistes d’insectes... mais la subordination au bien social que les insectes communistes tiennent aveuglément de l’instinct, ne pouvons-nous l’instaurer librement nous-mêmes, en soumettant à une règle sage les hautes facultés de notre esprit ? Ce n’est pas une chimère : dans la subordination de l’intérêt individuel à l’intérêt général, il y a de grandes différences entre les peuples et ces différences suffisent pour montrer qu’une évolution heureuse peut se produire dans cette voie. »
Nous ajouterons : si la nature et l’instinct ont pu réussir chez des minuscules êtres cette « heureuse anarchie si bien coordonnée » dont parle Forel, sera-t-il dit que l’intelligence et la bonne volonté de l’homme ne parviendront pas à créer, à leur usage, une anarchie d’une autre essence mais aussi bien coordonnée, mais aussi profitable à chacun comme à tous ? Et la nature ne nous livre-t-elle pas un précieux exemple ? Nous le croyons, Et si nous n’y pouvons pas puiser un grand enseignement — trop différentes sont les sphères et trop différents sont les moyens — nous y pouvons cependant trouver un réconfort — disons le mot, (dussent les sceptiques en rire) : un encouragement.
— Georges VIDAL.
ENTR’AIDE
Ce mot n’est pas signalé dans le Dictionnaire Larousse qui ne relate que le verbe s’entr’aider auquel il donne la brève signification : s’aider mutuellement.
Depuis le beau livre de Pierre Kropotkine portant ce titre, nous savons mieux ce que signifie réellement cette forme de la solidarité désignée sous ce nom : l’Entr’Aide. Nous en connaissons la pratique entre nous contre les maux sociaux.
Dans l’espèce animale, l’instinct de l’entr’aide est d’une observation facile et d’un exemple salutaire et vraiment instructif. De grands écrivains, de grands savants ont écrit des pages admirables. De Michelet à Maeterlinck, tous sont d’accord pour nous montrer le contraste flagrant entre l’organisation des bêtes et l’organisation des hommes. A toutes les espèces d’animaux sachant s’entendre et sachant se grouper pour mieux vivre, ou pour surmonter une difficulté naturelle, ou pour affronter un danger, ou pour se défendre d’un ennemi redoutable, comparez la bestialité des hommes ne sachant se grouper et s’entendre que pour s’entre-détruire.
« L’entr’aide, écrit Kropotkine, c’est un sentiment infiniment plus large que l’amour ou la sympathie personnelle ; c’est un instinct qui s’est peu à peu développé parmi les animaux et les hommes au cours d’une évolution extrêmement lente, et qui a appris aux animaux comme aux hommes la force qu’ils pouvaient trouver dans la pratique de l’entr’aide et du soutien mutuel ainsi que les plaisirs que pouvait leur donner la vie sociale. »
On retrouve des traces d’entr’aide entre les hommes à l’état primitif. L’étude attentive de la vie des sauvages contemporains nous les montre unis dans le clan, coordonnant leurs forces individuelles, si faibles, comparées aux moyens que le progrès a mis à la disposition des sociétés civilisées. Mais c’est pour jouir de la vie en commun que les sauvages savent s’entr’aider.
Cependant, l’homme n’est pas toujours réfractaire aux meilleurs penchants naturels. Après les sauvageries de la civilisation qui nous ont dotés de l’exploitation de l’homme par l’homme, de l’esclavage, du salariat et des horreurs sociales que sont l’Autorité, la Propriété, la Patrie, se traduisant par la Servitude, la Misère, la Guerre, nous pensons bien qu’ils finiront par s’entendre et se grouper contre tous les fléaux naturels et sociaux au lieu de les créer ou de les étendre.
Là est et demeure le but des anarchistes qui veulent l’affranchissement total des individus. Là est l’esprit du syndicalisme révolutionnaire qui veut l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes.
C’est par l’Entr’Aide que les groupes d’hommes de bonne volonté s’acheminent vers un meilleur avenir d’entente et de liberté. C’est par l’Entr’Aide qu’ils se soutiennent et s’encouragent, s’excitent et se réconfortent.
— Georges YVETOT.
ENTRAINEMENT
n. m.
Action d’entraîner ; état de ce qui est entraîné ; séduction. « C’est l’entraînement qui a fait de cet homme un ivrogne ». L’entraînement est l’influence morale que l’on subit. Cette influence peut être heureuse ou malheureuse. Selon les cas, elle est profitable ou néfaste à l’individu.
L’homme est un animal sociable et il se laisse facilement entraîner par ses semblables. Les plus malins entraînent les plus faibles. Hélas, les plus malins ne sont pas toujours les plus honnêtes, bien au contraire, et c’est pourquoi les hommes sont asservis. Savoir être libre nécessite un entraînement, et l’individu a, depuis des siècles, été entraîné à la servitude. C’est toute une transformation qui doit s’opérer en lui ; aussi longue dût-elle être, cette transformation s’effectuera ; car chaque jour qui passe arrache une maille à la chaîne de l’esclavage et l’entraînement révolutionnaire brisera les dernières entraves.
Le peuple ne se laissera pas toujours entraîner dans les fossés boueux de la politique. Il s’aperçoit déjà de son erreur et s’écarte de plus en plus de tous les fantoches qui l’ont guidé et ont perpétué sa servitude. Les idées nouvelles l’entraînent et le triomphe de la liberté entraînera la ruine de la société bourgeoise et de son capitalisme.
ENVIE
n. f. (du latin invidia, même sens)
Ce mot a tant de significations diverses, qu’il est bien difficile d’en préciser exactement le sens.
Généralement, on s’en sert pour désigner un très vif sentiment qui pousse les individus à avoir du chagrin en constatant qu’un autre individu est plus heureux, plus riche, plus populaire qu’eux-mêmes et à vouer à cet individu une haine forte et profonde.
Mais on l’emploie aussi dans d’autres circonstances.
Ainsi, l’on dit que l’on a envie de manger des cerises, de faire une promenade en tel endroit, de lire tel livre, de faire telle chose, etc... , ce qui signifie simplement qu’on éprouve un désir assez vif de ces différentes choses.
On dit aussi envie de vomir, de faire certains actes physiologiques indispensables, lorsque les fonctions naturelles du corps humain vous y obligent, et qu’on éprouve certaines nausées, indispositions qui provoquent le vomissement.
On parle également des envies des femmes en état de grossesse, sorte de désir vif, subit, et irraisonné qui les pousse à vouloir certaines choses.
Enfin, le mot est utilisé également pour désigner certaines taches sur la peau, que l’esprit populaire attribue, à tort ou à raison, à des désirs. De même ce nom est donné à un certain mal de la peau se détachant autour des ongles.
Mais l’envie, dans le langage, est surtout l’appellation du sentiment de haine, de jalousie, éprouvé envers autrui quand cet autrui a quelque chose qu’on n’a pas et qu’on voudrait avoir.
L’église chrétienne a fait de l’envie un péché formidable puni par les tortures de l’enfer. Alors qu’elle consacre toujours la plus odieuse exploitation, qu’elle sanctifie la guerre et le crime commis par les maîtres, c’est plutôt bizarre. Est-ce que, par hasard, en pourchassant le vil sentiment de l’envie, elle n’aurait pas eu pour objectif d’amener les pauvres à ne pas désirer d’être les égaux des riches, les esclaves ceux de leurs maîtres ? L’explication me semble assez plausible.
La mythologie grecque, plus poétique et souvent plus humaine que le Christianisme, représentait l’Envie, comme étant la fille de la Nuit et du Styx (rivière entourant les Enfers) ; ayant la forme d’une vieille femme maigre et décharnée, entourée de serpents dont l’un lui ronge le cœur. Ils l’avaient faite guide de la Calomnie, regardant d’un œil louche et sombre ce qui l’entourait. Evidemment, il faut voir dans cette allégorie la représentation, le symbole d’un sentiment parfois vil et méchant, qui attriste et torture celui ou celle qui le ressent et provoque les pires actions.
C’est généralement sous ces apparences que l’Envie est présentée. On la condamne unanimement... et cette unanimité peut nous sembler suspecte. L’Envie, comme la jalousie (je ne parle pas de la sexuelle), comme la haine, est regardée avec horreur par les moralistes. Il y aurait pourtant lieu de distinguer entre les mobiles qui poussent les humains à envier les autres, que les partisans de l’ordre établi à leur profit ont tout intérêt à mêler dans la même confusion, afin de les condamner tous en bloc ?
La femme du peuple, habillée de haillons, mal nourrie, traînant sa marmaille, regarde d’un œil d’envie la femme du patron qui passe dans son auto, luxueuse, insolente. Est-ce bien le même sentiment qui la guide que celui qui torture le cœur de l’envieux, incapable d’un effort d’intelligence, crétin fini, qui bave sur l’homme ayant su, par ses capacités, se faire une réputation ? N’y a-t-il pas, dans l’envie de la malheureuse ou du malheureux, du déshérité de la vie, une part du sentiment de justice ? Le crétin qui jalouse et qui calomnie l’intelligent est-il donc mû par le même mobile que l’intelligent qui se voit écrasé par un crétin fortuné ou puissant, et qui en souffre ? L’homme qui travaille dur et vit dans un taudis est-il donc un vil esprit quand il sent la haine pousser dans son cœur, au spectacle d’un oisif se prélassant dans une riche demeure ? La condamnation de l’envie n’est-elle pas, aux yeux des moralistes bourgeois, une pierre à deux coups qui frappera en même temps les sentiments de justice et d’égalité ? « Ne soyez pas envieux ! » correspondrait-il à l’enseignement de la résignation, de la soumission ? Que de fois l’on a traité d’envie les plus nobles sentiments d’humanité, de justice sociale ? Nous devons prendre garde de ne pas emboîter le pas à ces moralistes d’un genre tout spécial. Nous ne devons pas cataloguer d’envieux et condamner sous cette appellation toute critique contre ce qui est élevé ! Au contraire, reconnaissons que cette critique fut souvent un facteur de progrès dans l’évolution humaine. Ce qui est injustement élevé, riche, puissant, on a raison de le critiquer et de vouloir le ramener au juste niveau. Combattre un privilège inique est bon et nécessaire. L’envieux, le véritable envieux que nous méprisons, c’est celui qui veut briller, dominer, jouir ; c’est celui qui veut rabaisser les autres parce qu’il ne se sent ni le courage, ni la capacité de les égaler ; c’est celui qui ne dénigre les plus haut placés que lui que parce qu’il voudrait avoir leur place. Celui-là est un être de désagrégation sociale, une puissance de mal.
Quant à tous ceux qui veulent rabaisser ce qui est élevé par d’iniques procédés, qui veulent relever ce qui est en bas par conséquence de l’injustice, ce ne sont pas des envieux, mais des combattants au service d’un noble idéal.
— G. BASTIEN.
EPHEMERE
adj. (du grec : epi, sur, et hemera, jour)
Qui ne vit qu’un jour. Par extension : ce qui est passager ; de courte durée ; momentané ; qui n’a pas une longue vie. Un amour éphémère ; un bonheur éphémère ; une joie éphémère ; une victoire éphémère ; une croyance éphémère.
Que de choses sont semblables à ces insectes appelés « éphémères », qui volent auprès des rivières et qui meurent deux ou trois jours après leur éclosion ! Tout ce qui est humain n’est-il pas éphémère, et l’individu ne poursuit-il pas toujours un bonheur qui s’éloigne à mesure qu’il croit s’en approcher ? Le monde est dirigé par les passions et c’est sans doute pourquoi l’homme est bercé par des illusions qui ne lui procurent que des joies passagères.
Le « Pouvoir », la soif de dominer ses semblables, l’autorité malsaine, pour lesquels les humains s’entretuent, ne donnent à certains qu’un satisfaction éphémère, car leur puissance n’est toujours que relative et s’effondre au moindre vent.
Que de fois les peuples ont cru atteindre au sommet du bien-être et de la liberté, et ont dû déchanter face à la réalité brutale de la vie ! Bien-être éphémère ; liberté éphémère. Parce qu’ils le veulent bien. C’est à eux de bâtir leur maison sur des bases solides et non sur des sables mouvants.
Lorsque l’homme aura vaincu les préjugés qui pullulent en son cerveau, lorsqu’il aura chassé et écrasé tous les mauvais bergers qui le conduisent, son bonheur ne sera plus éphémère, mais réel et durable.
EPIDEMIE
n. f. (du grec epi, sur, et démos, peuple)
Maladie qui affecte dans une localité, dans un pays un grand nombre d’individus à la fois. Le choléra, la peste sont des épidémies redoutables : le typhus, la fièvre jaune, bien que moins cruelles, sont également dangereuses.
L’épidémie dépend de causes accidentelles, dans les pays occidentaux où le progrès a réalisé certaines mesures d’hygiène sociale. C’est ainsi que la peste et le choléra qui existent à l’état endémique dans les contrées de l’Asie ont presque totalement disparu de l’Europe. Hélas ! La vie moderne est une source d’autres misères, et aux maladies épidémiques du passé ont succédé d’autres fléaux. La tuberculose, l’alcoolisme, sont des épidémies qui ravagent les populations et chaque année un long cortège de miséreux s’ajoute aux millions de victimes qui payèrent hier leur tribut à la bourgeoisie. Et puis il y a la guerre qui affecte également des millions de parias et d’exploités ; et la tuerie ne s’effectue pas seulement sur les champs de bataille ; la population civile souffre également du carnage social. La « grippe espagnole » née de la guerre de 1914 causa de terribles ravages et le nombre de ses victimes, fut incalculable.
Contre l’épidémie, qui est un mal social, il est possible de lutter. La science médicale ne peut rien par elle-même. Guérir n’est pas suffisant. Il faut prévenir, et bien des maux disparaîtraient de la surface du globe si, au lieu de se déchirer, les humains cherchaient, dans un désir de paix, à rendre habitable, la vieille boule ronde.
EPIGRAMME
n. f. (du grec : epigramma, même sens)
Les Grecs appelaient épigrammes les inscriptions gravées sur les tombeaux ou sur les frontispices des temples et monuments publics. De nos jours, le mot épigramme se dit d’une phrase critique, mordante, railleuse qui se glisse dans une conversation ou un écrit. Une épigramme spirituelle ; une vive épigramme. Faire une épigramme ; adresser une épigramme. Se dit aussi de petits poèmes en vers se terminant par un trait d’esprit ou une satire. Boileau, Racine, Voltaire se distinguèrent par leurs épigrammes.
EPOPEE
n. f. (du grec epos, discours, et poiein, faire)
Une épopée est un poème de longue haleine, qui chante les aventures héroïques ou merveilleuses d’une époque, d’un peuple ou d’un individu.
L’Iliade, le célèbre poème d’Homère en 24 chants, qui nous décrit les combats livrés par les Grecs devant la ville de Troie, est un chef-d’œuvre de poésie épique. Cette épopée nous offre un tableau complet de la vieille civilisation grecque. L’Enéide, de Virgile, en douze chants, est une superbe imitation de l’Iliade, et nous initie aux aventures d’Enée et de ses compagnons depuis la prise de Troie, jusqu’au jour où ils s’établirent définitivement dans le Latium, ancienne région de l’Italie centrale.
La Henriade est une épopée composée par Voltaire sur Henri IV et sur la Ligue. C’est une des œuvres les moins heureuses du grand philosophe. La Henriade manque de vie, la poésie en est froide, pleine de sécheresse, bien que contenant quelques pages d’histoire.
Pourquoi faut-il que ce soit toujours la guerre qui inspire les poètes ? La plupart des épopées nous font vivre des époques glorieuses mais meurtrières et douloureuses. La grande tuerie de 1914 est une nouvelle épopée tragique que traduiront demain de nouveaux poètes.
Quand donc l’Humanité, dans une merveilleuse épopée, chantera-t-elle l’Amour, la Paix et la Liberté ?
EPREUVE
n. f. (de éprouver)
Action d’éprouver ; expérience que l’on fait d’une chose, essai. Faire l’épreuve d’une machine. Mettre quelqu’un à l’épreuve. Faire subir une épreuve à une personne, c’est-à-dire s’assurer qu’un individu possède les qualités qu’on lui croit. Epreuve judiciaire : coutume moyenâgeuse qui consistait à soumettre à certaines tortures les accusés, et les accusateurs afin de prouver les uns leur innocence, les autres leurs accusations. La plus commune de ces épreuves était l’épreuve du feu. Les mains attachées à un anneau scellé dans le mur, on fixait les pieds du patient dans un appareil au-dessous duquel on faisait du feu. Les progrès de la civilisation ont mis heureusement fin à ces pratiques barbares.
Est-ce à dire que les individus ne sont plus soumis à de cruelles épreuves ? La marche de la civilisation est terriblement lente et l’humanité n’enfante que dans la douleur. Avant d’atteindre son but, l’humanité aura encore à subir de rudes épreuves, car ce n’est qu’à l’expérience que l’homme se façonne et apprend à se conduire.
Les dix dernières années que nous venons de traverser, furent lourdes de souffrances ; que cette épreuve nous soit salutaire ; qu’elle nous instruise, qu’elle nous éclaire, qu’elle nous apprenne qu’il n’y a de bonheur que dans la liberté et que, si le courage éprouvé du peuple n’était pas dépensé inutilement pour une mauvaise cause, la Paix rayonnerait sur le monde, mettant fin aux épreuves tragiques qui ensanglantent l’humanité.
EPURATION
n. f.
Action d’assainir ; l’épuration du sang ; l’épuration de l’air. Au figuré : épuration des mœurs ; épuration politique ; épuration d’un parti ; d’une organisation, d’une association, d’un groupe, etc... , etc...
L’épuration consiste à éliminer d’une organisation quelconque les éléments que l’on considère indignes d’en faire partie. Dans toute association se glissent des brebis galeuses qui enveniment tout le corps. L’épuration s’impose donc, elle ne peut être que salutaire. Il est des organisations, des institutions dont l’épuration est inopérante, inutile, car tout en elles est corrompu ; la destruction totale est l’unique ressource. C’est toujours en vain, que des hommes, en mal de politique, ont prétendu par exemple, essayer d’épurer les mœurs du Parlement. Peine inutile. Ils ont eux-mêmes été infectés du mal qu’ils voulaient combattre. Tout ce qui touche de près ou de loin à l’Etat ne peut-être épuré. Il faut abolir.
L’anarchisme, ou plutôt les milieux anarchistes souffrent parfois aussi d’une crise de moralité, et cela n’a rien de surprenant. Les hommes ne sont jamais que des hommes et non des Dieux. D’autre part, les Anarchistes, adversaires irréductibles de l’Autorité, ouvrent trop facilement la porte de leurs maisons aux parasites sociaux. L’Humanité est un composé de lutteurs et de déchets. Parmi ces déchets, victimes d’une organisation sociale imparfaite, se trouvent de pauvres hères qui, rejetés de partout, ont une conception fausse de la liberté, et sont encore esclaves des préjugés et des vices de la société moderne. Leur ouvrir notre porte est un danger.
On a cru pendant longtemps qu’il était possible d’associer tous les réfractaires à nos travaux ; mais depuis quelques années, les anarchistes se sont rendu compte de leur erreur. Ils ont compris que l’Anarchisme était autre chose qu’une association de mécontents, qui n’avaient pu trouver place autour de l’assiette au beurre ; ils ont appris qu’un mouvement sérieux devait reposer sur des bases philosophiques et sociales solides, et ils se sont attachés à éloigner d’eux tous les indésirables pour qui l’Anarchisme n’était qu’un paravent, susceptible de cacher leurs tares physiques et morales.
Ce travail d’épuration continuera jusqu’au jour où seront éliminés tous ceux qui ne veulent pas œuvrer sincèrement et loyalement à l’émancipation totale de l’individu.
Les anarchistes ne sont qu’un petit nombre. C’est vrai. Mais qu’importe. Il vaut mieux être peu, attablés autour du même ouvrage, travaillant harmonieusement à l’édification lente de la maison future, que d’être des milliers à bâtir une tour de Babel qui s’écroule comme un château de cartes.
Epurons-nous ; sachons d’abord être individuellement sains de corps et d’esprit. Epurons-nous pour être meilleurs et donner à ceux qui nous entourent, qui nous regardent l’impression d’hommes sérieux, sincères et puissants, et notre épuration bienfaisante, entraînera tous ceux qui espèrent en des jours meilleurs et sont las de subir une société viciée jusque dans ses moindres organismes et qui ne subsiste que par la force du passé et de l’habitude.
EQUITE
n. f. (du latin œquitas, même signification, de œquus, uni, égal)
« Dans le monde il n’est rien de beau que l’équité » écrivait Boileau. Si l’équité est la droiture, la justice, alors il n’est rien de beau dans le monde car celui-ci est bâti sur l’iniquité et l’injustice.
De quelque côté que l’on se tourne, on assiste à l’arbitraire le plus choquant, à l’inhumanité la plus révoltante.
L’équité, nous dit Lachâtre, est la disposition à faire à chacun part égale, à reconnaître impartialement le droit de chacun. Mais le droit, en régime bourgeois, est une formule creuse. Le droit en société capitaliste c’est la force, c’est la violence, c’est la puissance, c’est l’autorité ; le droit, c’est la rigueur des lois, c’est le législateur, c’est le magistrat, c’est le gardien de prison. Peut-on demander à ces divers suppôts de l’organisme social de se faire les fidèles défenseurs de l’équité ?
Rien n’est équitable en ce bas monde, et l’injustice règne en maîtresse. La base même de l’organisation sociale est inique, comment les institutions qui en découlent et les hommes qui les dirigent seraient-ils probes et justes ? Ce qu’il y a de plus effrayant, c’est que ceux qui souffrent de cette absence d’équité sont les premiers forgerons des chaînes qui les tiennent attachés au servage injuste qu’ils subissent inconsciemment.
L’iniquité sociale devient chaque jour plus flagrante cependant que le démocratisme déploie son étendard et proclame son désir d’équité humaine.
Tromperie que tout cela et le démocratisme est un mensonge. Point n’est besoin de fouiller bien profond pour s’apercevoir qu’il n’est pas un facteur d’équité.
Jetons un regard dans ce foyer de concussion qu’est le parlement. Il s’y commet les crimes les plus odieux et les plus méprisables. Ce n’est certes pas parmi cette association de malfaiteurs que l’on cherche à « reconnaître impartialement le droit de chacun ». Chargés de soutenir le « droit » et de défendre les intérêts de leurs mandants, les députés trafiquent de leurs mandats et font leurs propres affaires. L’équité pour eux est simplifiée : elle consiste à remplir leurs poches afin de vivre grassement sur le dos de leurs électeurs. Les lois qu’ils promulguent sont iniques — une loi ne peut être équitable — et favorisent toujours les classes possédantes qui dirigent tous les rouages de la société
Dans la répartition des lourdes charges de l’Etat, l’équité brille également par son absence. De même qu’au moyen âge le serf était contraint de suer sang et eau pour subvenir aux besoins et aux jouissances de son seigneur, le peuple aujourd’hui, esclave modernisé, est obligé de travailler pour payer directement ou indirectement les impôts servant à entretenir une armée de parasites.
« L’Equité rarement est l’arbitre des rois » dit Marmontel ; elle est aussi rarement l’arbitre des démocraties. Les monarchies et les démocraties reposent, les unes comme les autres, sur des principes d’inégalité sociale, comment l’équité pourrait-elle y être souveraine ?
Pas plus d’équité dans la magistrature que dans le Parlement. « Quand les juges n’ont que l’ambition et l’orgueil dans la tête, dit Voltaire, ils n’ont jamais l’équité et l’humanité au cœur ».
Où se trouve-t-il ce juge parfait sans orgueil et sans ambition ? Issue de la bourgeoisie, la magistrature est là pour servir la bourgeoisie. Demander à un juge d’être équitable est une absurdité. Tout au plus peut-on espérer de lui une certaine modération dans ses jugements, et encore!...
La justice est injuste, comme l’équité légale est inique. Il ne peut y avoir d’équité dans la légalité et c’est la cause pour laquelle tous les réformateurs, qui espèrent en la loi pour rénover le monde, piétinent sur place sans rien changer à une situation qui se perpétue.
Tout est corrompu, tout est vicié, tout est pourri dans la société bourgeoise. Le capitalisme, pour conserver ses privilèges menacés par le désir chaque jour grandissant du peuple, emploie les moyens les plus iniques. Contre cela un seul moyen : la Révolution. Mais une révolution complète, entière, détruisant tous les germes du passé, abolissant l’autorité néfaste qui fit le malheur de milliers de générations ; une révolution qui permettra de jeter les bases d’une société fraternelle où l’équité ne sera pas un vain mot, mais une réalité.
EQUIVOQUE
adj. (du latin œquus, égal, et vox, voix)
Ce mot signifie : qui a un double sens.
Un discours équivoque, une expression équivoque, un terme équivoque. Se dit aussi d’une personne dont le caractère, la réputation, la situation sont douteuses : un homme équivoque, une personne équivoque.
La franchise est une qualité qui, en notre siècle de marchandage et de mercantilisme se fait de plus en plus rare ; la fourberie et le jésuitisme sont les armes qui sont devenues à la mode. Tromper son semblable est de pratique courante, mais il faut le tromper adroitement et c’est par des propositions à double sens, qui peuvent être interprétées de différentes façons que l’on s’y emploie.
C’est surtout dans la politique que l’équivoque est en usage. L’électeur ignare se laisse prendre facilement aux subtilités de son candidat, et il reste surpris lorsque ce dernier lui démontre qu’en réalité il a tenu ses promesses et que par conséquent on ne peut rien lui reprocher.
L’équivoque, c’est le manque de précision, de clarté, de netteté, dans la parole, dans le discours ; c’est l’habileté à présenter une figure de façon à ce que celle-ci s’adapte selon les occasions et puisse être interprétée différemment selon les besoins de la cause. C’est l’arme des suspects et des indésirables. Ceux qui usent de moyens équivoques sont équivoques eux-mêmes et il faut s’en méfier.
ERE
n. f. (du latin œra, nombre, chiffre)
L’ère est le point de départ, marqué par un événement remarquable, d’où l’on commence à compter les années chez différents peuples.
L’ère de la création, ou ère mondiale des Juifs remonte à 5508 avant Jésus-Christ. Est-il besoin de dire que cette date n’a rien de scientifique et est purement imaginative. Du reste, si selon l’église grecque l’ère de la création remonte à 5508 ans avant J.-C., d’autres la placent 4963 ans ou 4004 ans avant J.-C.
Parmi les ères qui offrent un caractère historique ou social, il faut citer : l’ère de Tyr, fondée le 19 octobre de l’an 125 avant J.-C. par les Tyriens en souvenir de l’autonomie qui leur fut accordée par le roi de Syrie, Bala. Ere Julienne, qui remonte à 45 ans avant J.-C. et fondée par Jules César qui réforma le calendrier romain. Ere chrétienne ou ère de l’incarnation dont le point initial est la naissance de Jésus-Christ. Cette ère est adoptée par tous les peuples occidentaux et par l’église latine bien que, selon les savants, elle doit commencer cinq ans plus tôt qu’on ne la commence réellement.
L’Ere des Arméniens le 9 juillet de l’an 532 à la suite de la séparation de l’église arménienne de l’église latine. Ere de l’hégire en usage chez les Mahométans remonte au 16 juillet 622, jour de la fuite de Mahomet.
En France, le 14 juillet 1789, on adopta l’ère de la liberté ; celle-ci fut de courte durée et remplacée le 22 septembre 1792 par l’ère républicaine. L’ère républicaine était divisée en 12 mois de 30 jours, suivis de 5 jours complémentaires. On ajoutait périodiquement un sixième jour complémentaire qui faisait les années bissextiles. L’ère républicaine subsista quatorze ans. En 1806 Napoléon rétablit l’ère chrétienne et remit en vigueur le calendrier grégorien.
On prête aujourd’hui à Mussolini le dictateur italien l’intention de fonder l’ère fasciste dont le point initial serait la marche sur Rome, par les « chemises noires ».
Que d’ères douloureuses l’humanité a traversées !
Les changements de dates, les transformations du calendrier n’ont pas réalisé le bonheur et la prospérité des hommes. Il faut encore lutter pour qu’un nouvel ordre de choses vienne remplacer le vieil état social qui commence à se disloquer.
L’ère de la liberté ne partira que du jour où les individus pleins de sagesse sauront s’unir et se libérer de l’esclavage qu’ils subissent depuis des siècles. L’esclavage physique et l’esclavage moral et intellectuel doivent disparaître. C’est à ce prix seulement qu’une ère féconde et glorieuse viendra illuminer d’un soleil nouveau les peuples réconciliés, au sein desquels chaque individu œuvrera pour le bonheur de tous.
ERREUR
n. f.
Opinion non conforme à la réalité, fausse. Fausse doctrine.
Il ne faut pas confondre erreur et mensonge. Le Mensonge est l’opposé de Vérité et suppose un menteur, un être conscient de dire l’opposé de ce qui est vrai. L’erreur n’est pas plus que le mensonge : Vérité, mais il sous-entend : ignorance et bonne foi.
On distingue deux classes d’erreurs :
-
Les erreurs de logique, ou sophismes.
-
Les erreurs d’interprétation des données sensorielles, ou erreur des sens.
Les premières sont dues à un exercice hâtif de notre faculté de raisonner ; tous les préjugés peuvent se ramener à des erreurs de logique.
Les principales causes d’erreur proviennent :
-
De l’attribution du même mot à plusieurs idées différentes.
-
De l’attribution d’une seule idée à plusieurs mots différents.
-
Une délimitation non assez nette, non assez précise de l’idée désignée par un même mot.
-
Confusion entre le sens propre et le sens figuré.
-
L’introduction d’une idée absurde dans la définition d’un mot.
Les deuxièmes, appelées improprement « erreurs de sens », sont dues à un état d’excitation ou de maladie de l’organisme, elles relèvent de la pathologie.
Quant aux erreurs de logique, on les évitera en étudiant la logique formelle, la logique appliquée ; en pratiquant les sciences mathématiques.
L’homme qui ne veut pas errer, s’appliquera à toujours penser, écrire, parler logiquement.
ESCLAVAGE
n. m.
Etat, condition d’esclave : Les Spartiates réduisirent en esclavage les Messéniens vaincus. Fig. : Dépendance, assujettissement : être esclave de ses passions.
Fruit de l’oppression du faible par le fort, l’esclavage est apparu avec les premières sociétés humaines.
Dès que l’homme se stabilisa quelque part pour cultiver le sol, sa tribu eut à lutter contre d’autres tribus. Les plus forts l’emportèrent. D’abord, sans doute, ils durent massacrer les mâles et les femelles dont ils n’avaient que faire parce que trop âgées ou laides ou trop nombreuses. Mais déjà, la culture n’avait pas été sans amener des développements intellectuels assez considérables. De bonne heure, les chefs durent réfléchir qu’emmener les ennemis vaincus, au lieu de les tuer, les faire travailler et leur prendre le produit de leurs efforts, cela leur faciliterait l’existence.
Dans les civilisations qu’il nous est donné de connaître l’esclavage était courant. On ne trouve pas trace d’anciennes sociétés l’ayant méconnu. Il y avait des esclaves chez les Hébreux, chez les Grecs, chez les Romains, etc... Les esclaves des Lacédémoniens, traités avec une dureté exceptionnelle, portaient le nom d’Ilotes. Les Romains les recrutaient parmi les prisonniers de guerre et les peuples vaincus. Les marchands d’esclaves suivaient les armées, achetaient les captifs à l’encan, par grandes masses, et les envoyaient vendre au détail dans les marchés. Le nombre des esclaves excédait souvent le chiffre de la population libre, car l’enfant d’une esclave naissait esclave. A Rome, les esclaves formaient, une classe avilie, réduite au rôle d’instrument d’utilité, de plaisir et de vanité. Au regard du droit civil, on peut dire qu’ils n’existaient pas : ils héritaient pour leur maître, ils recevaient des donations pour leur maitre, mais jamais pour eux, de sorte qu’ils n’étaient que des instruments, des intermédiaires. Longtemps le maître eut droit de vie et de mort sur les esclaves ; aussi se révoltèrent-ils fréquemment, et les Romains eurent à soutenir contre eux, à plusieurs époques, des guerres redoutables.
La guerre des esclaves sous Spartacus qui put en réunir 70.000 sous ses ordres, mit Rome à deux doigts de sa perte. Même lorsqu’ils étaient affranchis, les esclaves n’étaient pas, dans l’ancien droit, sur le même pied que les hommes d’origine « ingénue », c’est-à-dire libres de naissance ; ils prenaient le nom de leur maître, qui devenait leur patron ; dans l’ordre politique, ils ne pouvaient aspirer à certaines dignités, ni contracter mariage avec des ingénus. Sous l’empire, le droit de « régénération » ou assimilation avec les ingénus leur fut accordé de plus en plus fréquemment et l’on vit certains d’entre eux s’élever aux hautes fonctions publiques. Ils exerçaient les professions commerciales et industrielles dédaignées par les ingénus. Quelques-uns, comme Narcisse, devinrent des conseillers des empereurs. D’autres brillèrent par leur génie ou leur talent : Térence, Esope, Phèdre, etc... Le célèbre poète Horace était fils d’un affranchi.
Ce n’était point par humanité que quelques esclaves avaient été affranchis, mais par nécessité. En effet, la classe des nobles, des propriétaires, par devoir, dédaigne tout travail manuel. « Qu’aucun citoyen, dit Platon, ni même le serviteur d’aucun citoyen, n’exerce de profession mécanique. Le citoyen a une occupation qui exige de lui beaucoup d’étude et d’exercice : c’est de travailler à mettre, et à conserver le bon ordre dans l’Etat ».
Or, il y a du travail manuel, mécanique, dans l’exploitation de l’esclave.
Les nobles sont donc obligés de confier ce travail à des esclaves, auxquels ils transmettent un certain degré de pouvoir. Ils choisissent naturellement pour cet emploi ceux dont l’intelligence est le mieux développée ; ils développent même parfois expressément l’intelligence de quelques-uns d’entre eux, afin de pouvoir s’en faire mieux aider dans l’exploitation des masses.
Ces esclaves, auxquels est ainsi déléguée une certaine autorité, deviennent dès lors des affranchis.
« Les affranchis par le travail et l’industrie que la caste privilégiée leur abandonne comme ignobles, amassent, nécessairement, presque toute la richesse mobilière productive ; d’autant plus que la propriété territoriale leur est interdite autant que possible.
Par la seule force de cet état de choses, les affranchis deviennent de plus en plus nombreux. Lorsque leur nombre les a rendus redoutables pour les nobles, contre lesquels ils pourraient soulever le peuple à l’aide de l’action plus directe et plus immédiate qu’ils exercent sur lui, il faut que la caste des nobles, pour engager les affranchis à continuer, à leur profit commun, le système d’oppression établi, les admette au partage des bénéfices du despotisme... » (Colins, Science Sociale, t. II)
(...) C’est alors que les affranchis privilégiés prennent le nom de : bourgeois ; ils deviennent caste politique.
La propriété bourgeoise se transmet, non par droit de primogéniture, mais par simple hérédité, avec faculté d’aliéner.
Or, par suite de ces deux conditions, il arrive nécessairement qu’une partie des affranchis se trouve privée de propriété. Et ainsi s’établit, parmi eux, deux divisions plus ou moins tranchées : l’une de « propriétaires » l’autre de « prolétaires » ».
Mais les bourgeois ne se contentent bientôt plus de partager les bénéfices de l’exploitation avec la classe supérieure, ils veulent tout avoir. Pour atteindre ce but, ils soulèvent, au moyen de sophismes, la masse des exploités contre les nobles et le clergé et parviennent ainsi à les renverser. Il suffit pour enlever toute influence sociale à la noblesse, de lui enlever le privilège de la propriété foncière, et d’abolir l’hérédité par primogéniture quand elle existe.
Voici comment s’exprime A. de Potter :
« C’est pour leur grand intérêt que les despotes affranchissent certains de leurs esclaves, et donnent ainsi naissance au bourgeoisisme. Le même motif les guide dans la transformation graduelle qu’ils font subir à l’esclavage.
Dès l’origine des sociétés, il y a des esclaves.
Quand il y a trop d’esclaves, et que leur réunion, dans chaque intérieur domestique, les rend dangereux à la sécurité des maîtres, ceux-ci, pour les diviser par des intérêts, leur disent que les plus méritants d’entre eux vont cesser d’être esclaves. Alors ils en attachent une partie à la glèbe, sous le nom de « serfs ». Le serf est « libre » de la chaine ; il ne peut plus être vendu « individuellement ».
Quand les maîtres, propriétaires du sol, ont trop de serfs, vu l’accroissement des populations ; quand, vu cet accroissement, les terres rapportent plus, et plus facilement, par le travail d’hommes qui se croient libres, que par celui des serfs ; les maîtres — tant pour affermir leur autorité par des espèces de surveillants qu’ils s’adjoignent, que pour augmenter leurs revenus et s’emparer, au moyen de l’offre du rachat, du pécule des serfs — ils finissent par anéantir la servitude en faisant des « affranchis». L’affranchi est, en apparence, encore plus libre que le serf : il ne peut plus être vendu.
Quand ensuite il y a trop d’affranchis ; quand une partie d’entre eux est devenue caste bourgeoise, et que, toujours par suite de l’accroissement de population et des communications qui en résultent, le nombre des affranchis restés sans propriété devient inquiétant pour la féodalité bourgeoise comme pour la féodalité nobiliaire, toutes deux, d’accord entre elles, ne reconnaissent plus que des « vassaux » et des « ouvriers ».
Enfin quand il y a trop de vassaux et d’ouvriers relativement à l’intelligence, à la population et aux communications de l’époque, les bourgeois renversent la féodalité nobiliaire à l’aide du peuple, et s’emparent du pouvoir. Ils abolissent en même temps les diverses mesures, ou droits féodaux qui en étaient la conséquence et établissent ainsi, à les en croire, l’égalité, la libre concurrence entre tous les travailleurs. C’est seulement à partir de cette époque qu’il y a des « prolétaires » décorés par le bourgeoisisme du nom de travailleurs « libres ». Ce sont les esclaves de la propriété mobilière, du capital.
L’esclave passe ainsi, toujours sous le nom « d’homme libre », aussitôt qu’il se trouve émancipé du servage, par les transformations « d’affranchi », puis de « vassal » sous un seigneur, ou « d’ouvrier » sous une corporation bourgeoise, puis enfin de « prolétaire ».
Mais il est un terme où ces émancipations illusoires qui, en réalité, sont des aggravations d’esclavage, doivent s’arrêter. Nous sommes précisément arrivés à cette époque. A chacune des émancipations dont nous parlons, le maître avait pu présenter à l’esclave un avantage apparent à changer de position, et avait retiré, lui, un profit réel de ce changement. Mais lorsque l’esclave, d’affranchissement en affranchissement, est tombé dans l’abîme du prolétariat, il n’en est plus ainsi. Existe-t-il maintenant, un nouvel avantage illusoire à offrir aux esclaves ? Aucun. Le prolétaire, en apparence, est libre comme l’air. Son travail, il est vrai, est indirectement pressuré. Mais directement, jamais il ne lui est demandé une obole. Le prolétaire a-t-il ensuite quelque chose à perdre qui puisse avantager ses maîtres ? Rien, absolument rien ! »
La prise du pouvoir par la bourgeoisie eut pour conséquence, par la liberté du commerce, de faciliter le passage des individus d’une classe à l’autre. Tel prolétaire s’enrichit et passe à la bourgeoisie ; tel bourgeois se ruine et est rejeté dans les rangs du prolétariat où il ne tarde pas à devenir un puissant ferment de révolte. La liberté d’opinion, facilite l’expansion des idées de justice, de fraternité, de liberté. L’écho des Révolutions, réveille jusque dans les pays les plus lointains, l’esprit de lutte. Les derniers remparts de l’esclavage tombent sous les coups du mouvement humanitaire du XIXème siècle.
Aux Etats-Unis, la guerre de Sécession, entre les Etats du Sud, esclavagistes, et ceux du Nord, abolitionnistes, qui avait commencé en 1860 se terminait en 1865 par la défaite des esclavagistes.
Dans les colonies françaises l’esclavage avait été aboli en 1848 ; en Russie, en 1861 ; au Brésil, en 1888.
Mais l’esclavage existe encore dans certaines parties de l’Afrique ‘et nous pouvons lire dans « l’En Dehors » de janvier 1927 :
« Aux Etats-Unis... Les lynchages de nègres sont fréquents. Dans les villes, on les tient autant que possible séparés ; les hôtels, restaurants, théâtres, ayant une clientèle blanche, n’acceptent pas de noirs. Certains quartiers et tramways leur sont interdits. Il est des communes, de petites villes, et même des régions dont ils sont exclus absolument, et il n’est pas rare que les hommes de « couleur », non avertis, y soient assassinés.
... Il y a quelque temps, à Miami, on voyait un petit monument, placé sur un trottoir de la première rue, sur lequel on pouvait lire :
« C’est ici qu’il y a quelques années, un homme blanc fut trouvé, lequel avait été enduit de goudron et de plumes, parce qu’il avait prêché l’égalité pour les nègres. Si vous êtes un noir insensé, ou un blanc qui croyez à l’égalité sociale, vous êtes prévenu que ce comté n’a pas besoin de vous. »
Dans l’Ouest, on a vu, en 1923, des commerçants et banquiers aller dans les champs, empoigner les Japonais pour les jeter sur des camions et les transporter ailleurs. »
L’esclavage, fruit de l’oppression du faible par le fort, n’est pas près de disparaître de notre globe. Cependant les anarchistes redoublent d’efforts afin d’allumer dans les esprits des opprimés, la flamme des fières résistances à l’oppression. Ils espèrent instaurer enfin une société où nulle trace d’esclavage, d’autoritarisme ne viendra enlaidir la vie des humains.
— A. LAPEYRE.
ESCLAVAGE
La signification de ce mot est pour tout le monde celle-ci : Asservissement d’un ou plusieurs individus à d’autres plus forts ou plus malins. Il y a toujours eu des esclaves. Mais selon les époques, les pays et les conditions sociales, selon même le degré et les formes, de civilisation, l’esclavage a différé dans son genre et ses méthodes.
Des volumes entiers ne suffiraient pas à décrire les souffrances des esclaves à travers les âges, dans tous les pays du monde ; rien ne peut résumer l’ignominie, la cruauté, le sadisme autoritaire des maîtres, surtout à certaines époques des civilisations disparues. Cela, dit-on, n’existe plus.
On sait pourtant que l’esclavage, sous des noms différents, a toujours existé, pour la honte de l’humanité. On sait qu’il existe encore plus ou moins. Il suffit de le vouloir pour le constater en pleine prospérité ignoble : dans les casernes, dans les colonies, dans les bagnes capitalistes, dans les établissements religieux, dans les couvents, les ouvroirs, les refuges philanthropiques et autres institutions hypocrites de prétendue charité...
D’une façon générale, dans la civilisation bourgeoise, actuelle, nous croyons inutile de démontrer en détail son existence : toutes les victimes de l’exploitation de l’homme par l’homme sont de malheureux esclaves.
Un brillant écrivain du XIXème siècle, Chateaubriand, a écrit : « Le salariat est la dernière forme de l’esclavage ».
Vouloir, comme le veulent tous les socialistes, la suppression de l’Esclavage, c’est donc vouloir la suppression du salariat. Il nous semble impossible de l’abolir sans abolir le Capitalisme et tout le système d’exploitation qui en découle, et tout le système autoritaire d’organisation sociale qui le maintient. Une révolution sociale peut, seule, en venir à bout par la Révolte consciente des esclaves.
— G. YVETOT
ESCROQUERIE
n. f.
L’escroquerie, nous dit le Larousse, est l’ « action d’obtenir le bien d’autrui par des manœuvres frauduleuses ».
L’escroquerie se différencie du vol proprement dit en ce que, dans le vol, le délinquant s’approprie le bien d’autrui à l’insu de ce dernier, alors que dans l’escroquerie la victime apporte elle-même son argent ou son bien au détrousseur qui l’a trompée sur la destination de ce dépôt ou sur l’usage qu’il comptait en faire.
L’escroquerie est un délit puni par la loi ; mais les articles du Code sont tellement élastiques, qu’un escroc, adroit, puissant et intelligent, ne se laisse prendre que très rarement. D’autre part, la loi permet l’escroquerie lorsque celle-ci est exercée sur une grande échelle et bien souvent elle la favorise.
Légalement :
« Le délit d’escroquerie existe par la réunion de trois éléments :
-
l’emploi de moyens frauduleux, consistant dans l’usage d’un faux-nom ou d’une fausse qualité, ou bien dans des manœuvres tendant à tromper la victime choisie (le mensonge pur et simple, ne suffit pas) ;
-
l’obtention de valeurs grâce à l’usage de ces moyens ;
-
le détournement ou la dissipation de ces valeurs. » (Larousse)
Or, nous disons quelques lignes plus haut que la loi favorise l’escroquerie. Les deux premiers éléments de la citation ci-dessus vont nous le démontrer si nous les étudions tant soit peu.
On n’escroque plus aujourd’hui sous un faux nom car il y a vraiment trop de facilités d’escroquer légalement sous le couvert d’une société civile, commerciale ou anonyme. De plus, puisque le mensonge pur et simple ne caractérise pas le délit d’escroquerie, c’est ouvrir la porte à tous les abus, puisqu’en réalité l’escroquerie en soi repose sur un mensonge pur et simple.
Prenons un exemple courant en matière commerciale, industrielle et bancaire.
Un groupe d’individus décide de former une société anonyme en vue d’exploiter une industrie ou un commerce quelconque. Ils n’ont pas d’argent pour lancer leur affaire et, d’autre part, celle-ci est plutôt équivoque et les espérances sont aléatoires. Ils s’en vont trouver un banquier et lui demandent de bien vouloir mettre en circulation un certain nombre d’actions qui procureront les fonds nécessaires à l’entreprise.
Si le banquier accepte, il prélèvera sur chaque action placée, un bénéfice d’autant plus grand que l’affaire est douteuse. Dans une entreprise sérieuse le banquier ne demandera que 2, 3 ou 4 % ; dans une entreprise véreuse il réclamera 8, 9 ou 10 % et parfois plus.
Le banquier n’engage jamais son argent. Le marché conclu, par l’intermédiaire de ses démarcheurs, il cherchera des clients ; leur vantant la marchandise qu’il présente, et leur faisant espérer des bénéfices mirifiques dans un temps rapproché, il sortira l’argent des poches des pauvres poires qui se laissent prendre aux offres alléchantes qui leur sont faites et partagera avec ses complices le fruit de leur larcin.
Au bout d’un temps plus ou moins long, l’entreprise périclitera — car telle était sa destinée — l’action de cent francs ne vaudra plus que cent sous et le tour sera joué. C’est le mensonge des commerçants, de l’industriel et du banquier qui aura été cause de la perte sèche des actionnaires, mais l’affaire est légale, elle est couverte par la loi, il n’y a pas escroquerie et les « escrocs » sont à l’abri de toute poursuite.
Les combinaisons en matière d’escroquerie sont multiples et la banque est une association d’escrocs. Comment un gouvernement prendrait-il des mesures contre toutes ces organisations financières alors qu’il en est le prisonnier et qu’il a lui-même recours aux gens de la haute finance pour escroquer les deniers du public ? Toute escroquerie nationale se fait par l’intermédiaire de la banque. Le public, éternellement confiant, éternellement crédule, bien que volé des milliers et des milliers de fois, se laisse toujours prendre. Rien ne lui sert d’exemple ni d’enseignement. Il faudrait un ouvrage colossal pour citer tous les cas retentissants d’escroquerie, tous les scandales qui ont éclaté depuis la fameuse affaire de Panama remontant à 1889 et que Jaurès rappelait en ces termes à la séance de la Chambre, le 25 juillet 1894 :
« Est-ce que vous vous imaginez qu’il y a eu quelqu’un qui n’ait pu être touché, remué, bouleversé dans sa conscience, si isolé que vous le supposiez, lorsque pendant six mois, tout ce pays, toute cette Chambre ont été suspendus à la dramatique discussion de l’affaire que vous connaissez bien, lorsque le pays a appris tout à coup que sur les centaines de millions qu’il avait versés, près des deux tiers avaient été gaspillés d’une façon criminelle ; quand il a pu voir que cette corruption capitaliste et financière avait voisiné avec les Pouvoirs publics, quand le Parlement et la finance causaient dans les coins, trinquaient ensemble ? Est-ce que vous croyez que cela n’était rien quand il a appris que des ministres allaient être traduits en cours d’assises, quand il a appris que des dénégations hautaines, portées à la tribune ou devant la commission d’enquête, allaient être suivies de révélations écrasantes et de foudroyantes condamnations ; lorsqu’il y a eu un moment où, devant cette commission d’enquête, les uns comparaissaient la tête haute, les autres balbutiant, où, pour le public qui regardait, le Palais-Bourbon et la Cour d’Assises semblaient de niveau, où les puissants passaient des grands salons éclairés du pouvoir dans les couloirs obscurs de la justice et où, comme sur un disque tournant les couleurs se confondent, le pays vit se mêler sur le disque rapide des événements, la couleur parlementaire et la couleur pénitentiaire ? » (Jean Jaurès, discours prononcé à la séance de la Chambre des députés le 25 juillet 1894)
Comme dans toutes les escroqueries de haute école, dans l’affaire du Panama, les véritables coupables s’en tirèrent à bon compte ; et depuis quarante ans rien n’a changé. Le Parlement se corrompt chaque jour davantage et ses membres participent de plus en plus aux affaires louches et véreuses. Comme par le passé, l’escroquerie s’organise dans les couloirs du Palais Bourbon et la magistrature assise ou debout innocente par ses arrêts les détrousseurs du Peuple.
Le tsar de toutes les Russies avec l’assentiment des divers gouvernements français qui se sont succédé depuis 1900 a escroqué au peuple plusieurs milliards. Aujourd’hui que le peuple russe, avec raison, se refuse à reconnaître les dettes contractées par l’impérial tyran, les porteurs de fonds russes, pour la plupart petits fonctionnaires et petits rentiers, se laissent de nouveau dépouiller de ce qui leur reste, par un autre despote : le tsar de Roumanie. Et la comédie continue. La Banque, le Parlement, la Presse, associés dans leur ignoble besogne participent à l’escroquerie. Le peuple ne voit rien, il n’entend rien, il ne comprend rien. De même qu’en matière électorale il porte ses suffrages sur le candidat le plus menteur — le meilleur ne vaut rien — en matière financière, il porte ses économies au plus voleur.
Et si, par hasard, éclairé d’une lueur de raison, il se refuse à donner son argent à l’Etat ou aux Etats qui le lui réclament, le peuple l’engloutit dans des sociétés mutuelles, dans des sociétés d’assurances, dans des sociétés commerciales qui ne sont également que de vastes entreprises de spéculation où l’on se charge de dilapider les fonds recueillis.
Le monde capitaliste est un vaste marché. Nous avons par ailleurs dénoncé le commerce comme un vol légal ; il est également une escroquerie tolérée et si parfois, à la suite d’un scandale retentissant, les juges condamnent les délinquants à des peines relativement minimes en regard des méfaits accomplis, c’est un accident, une exception qui confirme la règle.
Dans l’escroquerie commerciale, comme dans l’escroquerie financière, l’Etat et le Parlement ne sont pas ignorants des pratiques frauduleuses, et bénéficient des manœuvres malhonnêtes qui s’exercent ouvertement. En 1925, un pamphlétaire parisien dénonça dans la revue qu’il publiait, l’escroquerie monstrueuse organisée par une société commerciale empoisonnant le public français avec une eau soi-disant minérale qui n’était en réalité qu’une eau de rivière même pas purifiée. Les savants, à l’analyse, étaient unanimes à reconnaître que l’eau vendue au public ne possédait aucune propriété curative et ne provenait même pas de la source de laquelle elle était supposée jaillir. Cependant, cette société poursuit activement son entreprise. La presse, la Grande presse liée par des contrats de publicité, achetée pour garder le silence, est muette comme une carpe, et ladite société continue à écouler par année des millions et des millions de bouteilles de son eau de rivière.
L’Etat ne dit rien non plus et il n’y a pas lieu de s’en étonner car il touche 0 fr. 20 sur chaque bouteille vendue. Et c’est ainsi que, non seulement pour satisfaire aux appétits des mercantis, on escroque le pauvre monde, mais encore on livre à la consommation des produits nocifs et malfaisants.
La soif d’argent du capitalisme ne connaît pas de limites. La bourgeoisie profite de toutes les occasions pour grossir sa richesse. La guerre de 1914–1918 fut pour elle une source de profits. Cela ne fut pas suffisant et elle spécule sur l’après-guerre.
La destruction d’une partie du territoire français, les ravages causés dans les centres du Nord, la misère et la détresse des habitants, permit au capitalisme d’organiser l’escroquerie des « régions libérées ».
Sur une centaine de milliards de francs alloués pour la reconstruction des départements dévastés par la guerre, par un jeu de combinaisons admirables parfaitement licites, le petit fut dépossédé au profit du gros. Et c’est toujours la même histoire, la société le veut ainsi.
Les formes d’escroquerie sont tellement nombreuses que l’on s’étonne qu’une société puisse subsister dans de telles conditions. Personne n’échappe aux tentacules de l’escroc, et les sans-travail, les chômeurs, les misérables à la recherche d’un emploi, sont eux-mêmes victimes des procédés indélicats d’êtres sans aveu qui leur soutirent les derniers sous qu’ils ont en poche, en leur promettant des places avantageuses qui ne viennent jamais.
Tenter de réformer un tel état de choses serait folie.
Ce ne sont pas les Anarchistes qui sont des utopistes, ce sont tous ceux qui prétendent rénover par des moyens légaux l’ordre social actuel.
Qu’on le veuille ou non, seule la Révolution, balayant toute la corruption qui règne souveraine, peut transformer la Société.
Nous avons eu pendant des siècles l’escroquerie religieuse ; nous avons aujourd’hui l’escroquerie laïque, l’escroquerie civile, l’escroquerie collective ou individuelle qui découlent toutes du capitalisme. Tant qu’une société, par sa forme d’organisation, par ses rouages, permettra au plus malin de tromper son semblable pour en tirer profit ; tant que le monde sera gouverné et dirigé par le mensonge, l’escroquerie subsistera. Elle est une conséquence du régime capitaliste et ne disparaîtra qu’avec lui. C’est aux hommes conscients, éclairés, qu’il incombe d’accomplir la tâche d’assainissement qui s’impose et d’entraîner derrière eux toutes les victimes de l’escroquerie sociale.
ESPERANTO
Langue artificielle d’étude facile qui, sans se substituer aux langues nationales, permet à des hommes de mœurs et de langage les plus différents de se comprendre et d’établir entre eux des relations.
Esperanto signifie : qui espère. C’est de ce pseudonyme que le Docteur Zamenhof, auteur de la langue qui a gardé ce nom, signa ses premiers ouvrages sur ce sujet. C’est qu’un grand espoir ranimait, en effet, ce chercheur lorsqu’il travaillait à son projet de langue universelle. (Voir ci-dessous Zamenhof).
Origine et structure. — L’Esperanto n’est pas composé de mots et de formes arbitraires nés dans l’esprit de Zamenhof ; il est le fruit d’un long travail de recherches et de comparaisons linguistiques.
Toutes les racines sont tirées des langues Indo-Européennes, le choix de l’auteur étant guidé par le seul souci de rechercher les plus répandues, sauf les cas où celles-ci offraient trop de difficultés de prononciation ou bien quand l’une d’elles, par trop de similitude avec une autre, pouvait prêter à confusion.
Pour la grammaire, elle est basée sur la plus simple : l’anglaise ; le vocabulaire est réduit au minimum par le jeu des affixes et des prépositions employées comme affixes.
Dans les verbes, le nombre de temps est limité à l’indispensable pour la clarté du discours.
Toute la grammaire tient en 16 règles sans aucune exception. Les voici en peu de lignes :
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Un seul article défini : la, pour tous les genres et pour tous les nombres, pas d’article indéfini.
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Le substantif se termine toujours par o, auquel on ajoute j au pluriel. Deux cas seulement : le nominatif et l’accusatif, ce dernier est indiqué par un n final, les prépositions : de, al, per, por, etc., remplacent les autres cas.
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L’adjectif prend la finale : a, les cas sont indiqués comme au substantif. Le comparatif se forme au moyen du mot : pli, le superlatif au moyen du mot : plej, le que du comparatif se traduit par : ol, le de du superlatif par : el.
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Les adjectifs numéraux cardinaux sont invariables, on leur ajoute l’a de l’adjectif pour former les numéraux ordinaux, obi pour les multiplicatifs, on pour les fractionnaires, op pour les collectifs ; on place po avant les cardinaux pour indiquer les distributifs,
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Les pronoms personnels sont : mi (je), vi (tu, vous), li (il), si (elle), gi (il, elle neutre), si (soi), ni (nous), ili (ils, elles), oni (on), précédés par la (le, la les) et, terminés par a, ils deviennent possessifs.
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Le verbe n’a ni genre, ni nombre ; il prend les désinences suivantes : présent : as, passé : is, futur : os, conditionnel : us, impératif : u, infinitif : i, participe présent actif : ant, participe présent passif : at, participe passé actif : int, participe passé passif : it, participe futur actif : ont, participe futur passif : ot.
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L’adverbe prend la finale : e.
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Toutes les prépositions impliquent le nominatif.
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Chaque mot se prononce comme il s’écrit.
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L’accent tonique se place toujours sur l’avant-dernière syllabe.
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Les mots composés sont formés par la réunion de mots simples, le mot fondamental placé à la fin.
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Si un mot de sens négatif se trouve dans une phrase, on supprime l’adverbe de négation : ne.
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Si le mot indique le lieu où l’on se rend, il prend l’n de l’accusatif.
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Chaque préposition a, en Esperanto, un sens très défini sauf une : je qui s’emploie dans les cas douteux où toute autre préposition ne s’impose plus.
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Les mots étrangers, c’est-à-dire ceux que presque toutes les langues ont empruntés à la même source ne changent pas en Esperanto, ils prennent seulement l’orthographe et la terminaison de la langue.
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Les terminaisons des substantifs et de l’article peuvent se supprimer et se remplacer par une apostrophe. Cette règle s’appliquant principalement en versification.
Diffusion de l’Esperanto. — De 1887, époque où Zamenhof fit éditer son premier manuel, jusqu’en 1905 date du premier Congrès esperantiste tenu à Boulogne-sur-Mer, l’Esperanto rencontra bien des difficultés, mais sa création et ses débuts sont si étroitement liés à la vie même de son auteur, qu’il est impossible de les séparer. L’histoire de la langue est l’histoire de l’homme.
Après Boulogne commença seulement la période de propagande et de diffusion dans tous les milieux. Chaque année, sauf pendant la guerre, un Congrès réunit les délégués des espérantistes de tous pays et de toutes tendances groupés dans Universala Esperanta Asocio (U. E. A.), Association Universelle Espérantiste.
Cependant, il faut reconnaître que, contrairement à l’espoir de Zamenhof, l’Esperanto pénétra beaucoup plus rapidement dans les milieux bourgeois qui l’employèrent à des fins dépourvues d’idéalisme. Les commerçants surtout en comprirent toute l’utilité pour le développement de leurs affaires. Des bourgeois désœuvrés l’apprirent par snobisme. Les institutions catholiques se gardèrent de négliger cet outil qui pouvait si bien servir leur propagande. Les policiers, enfin, se hâtèrent d’en tirer parti. Hélas, les chauvins eux-mêmes n’eurent pas de scrupules à l’employer pour leurs desseins pendant la guerre.
Plus lentement, mais de façon certaine, la nouvelle langue pénétra dans les milieux ouvriers et révolutionnaires. Les anarchistes et syndicalistes anarchistes qui formaient l’élément le plus nombreux dans les milieux espérantistes prolétariens d’avant-guerre se groupaient dans l’association internationale Paco-Libereco, « Paix-Liberté », qui éditait une revue courageuse Internacia Socia Revuo. Plusieurs traductions d’ouvrages anarchistes datent de 1907 et de 1908 et ont été édités par les soins de cette association.
Plus tard se constitua une autre organisation internationale réunissant les révolutionnaires de toutes tendances Liberiga Stelo, « L’Etoile Libératrice », tous les espérantistes d’avant-garde apportèrent leurs efforts à la nouvelle association.
Un grand mouvement se dessinait dans les milieux prolétariens pour se séparer totalement des espérantistes bourgeois.
En 1914, le 10ème Congrès de U. E. A. devait s’ouvrir à Paris. Les révolutionnaires avaient projeté de profiter de la présence des délégués pour organiser un premier Congrès Ouvrier.
Le Travailleur Esperantiste, organe de l’Union Esperantiste Ouvrière Française offrit ses colonnes aux organisateurs de ce Congrès. Hélas, la guerre vint et tout espoir dut être abandonné provisoirement.
Après la guerre Le Travailleur Espérantiste fit paraître un supplément en Esperanto Esperaritista Laboristo qui devint l’organe officieux de Liberiga Stelo.
Puis vint le Congrès de Prague (1921). Le premier Congrès ouvrier préparé depuis 1914 put enfin avoir lieu à l’issue de celui de U. E. A. Là se consacra la scission. LiberigaStelo devint Sennacieca Asocio Tutmonda (S. A.T.) Association Mondiale A-nationale. Esperantista Laboristo prit le nom de Sennacieca Revuo et devint l’organe officiel de la nouvelle association.
Cette association comprend actuellement 3.500 membres et fonctionne parfaitement, faisant paraître un hebdomadaire Sennaciulo tirant à 6.000 exemplaires et une revue mensuelle Sennacieca Revuo ayant plus de 3.000 abonnés.
Les anarchistes esperantistes, sentant à leur tour le besoin de faire entendre leur voix, d’exprimer librement leur pensée toute entière sur toutes choses, ont compris la nécessité de s’ouvrir un champ d’action qui leur serait propre et où aucune censure ne viendrait châtrer leur pensée, amoindrir la force de leur argumentation, ils ont rêvé d’un organe où ils pourraient ouvrir des débats d’idées sur les questions sociales, philosophiques ou autres du point de vue vraiment anarchiste et ainsi fut fondée en 1924 la Tutmonda Ligo de Esperantistoj Senstatanoj (T. L. E. S.), Ligue Mondiale des Antiétatistes Espérantistes, qui vient à son tour d’éditer son organe Libera Laboristo.
En dehors des organisations purement esperantistes, la langue internationale est utilisée par un nombre considérable de personnes et de groupements.
Des organisations bourgeoises telles que : Chambres de commerce, Comités des Foires internationales, Offices de Tourisme, etc... l’emploient avec d’heureux résultats. Le Bureau International du Travail l’emploie pour sa correspondance au même titre que les autres langues.
L’Esperanto est enseigné dans bon nombre d’écoles primaires et secondaires dans beaucoup de pays. Il est inutile de s’étendre sur les progrès qu’il a faits dans la T. S. F. et les services qu’il rend dans cette voie.
Mais c’est surtout dans les organisations ouvrières qu’il montre son utilité et devient chaque jour un auxiliaire plus précieux.
L’Internationale de l’Enseignement assure toute sa documentation sur le mouvement pédagogique mondial presqu’exclusivement au moyen de l’Esperanto. L’Esperanto est même si répandu chez les postiers qu’ils ont pu former une ligue Internacia Ligo de Esperantistaj Post-Telegrafistoj (I.L.E.P.T.O.), Ligue Internationale des Postiers-Télégraphistes Esperantistes, qui fait paraître une revue mensuelle très intéressante, La Interligilo de l’P.T.T. ; La Fédération Internationale des Transports l’utilise également pour ses rapports internationaux.
L’Association Internationale des Travailleurs publie un bulletin d’informations en Esperanto.
Toutes les organisations ouvrières japonaises utilisent l’Esperanto. Il faut remarquer qu’il est très répandu en Extrême-Orient : Chine, Japon, très répandu également en Russie ; que les pays centraux, Allemagne, Autriche, Tchécoslovaquie, etc., en comptent une proportion beaucoup plus forte que les pays occidentaux.
Actuellement cinquante journaux ou revues paraissent entièrement rédigés en Esperanto et cinquante-quatre, partie en Esperanto, partie en langue nationale.
L’Esperanto et les Anarchistes. — D’après le chemin parcouru par l’Esperanto en trente-huit ans, il est facile de se rendre compte qu’il répond à un besoin. La vie moderne n’est plus nationale, elle est devenue internationale, mondiale.
L’homme d’aujourd’hui ne peut plus ignorer ce qui se passe hors de son pays. L’anarchiste ne le peut ni ne le veut. Il ne peut se contenter des informations intéressées des journaux bourgeois. Des organismes se sont créés pour renseigner les camarades de façon impartiale, mais le temps passé en traductions et retraductions fait perdre de l’importance à toute information qui ne vient plus à son heure.
Nous avons besoin aujourd’hui de savoir tout et de savoir vite ce qui se passe dans le monde entier.
Nous avons besoin aussi de savoir quelle forme particulière prend l’idée anarchiste lorsqu’elle est étudiée et approfondie par des hommes chez qui les mœurs et l’éducation différentes des nôtres ont créé une mentalité également différente de la nôtre ; nous avons besoin de comparer les pensées et les œuvres de tous. Seul, l’emploi généralisé de l’Esperanto peut résoudre ces problèmes.
En l’utilisant pour ces fins, les anarchistes rendent à l’Esperanto toute sa valeur sociale ; c’est pourquoi ils ont voulu créer leur organisme propre T.L.E.S.. Il leur appartenait de redonner à cette incomparable invention le but que lui avait assigné son auteur : l’intercompréhension entre les hommes, but qui, atteint, fera peut-être naître entre eux les sentiments de fraternité et d’amour. Mais ce but n’est-il pas aussi l’un de ceux que se propose l’Anarchie ? Ainsi, sans le savoir, peut-être, Zamenhof, par son œuvre, collabora à l’œuvre anarchiste.
ZAMENHOF (Louis-Lazare). — Docteur et philologue, auteur de l’Esperanto, né en 1859, à Bielostock.
Placé par les hasards de sa naissance dans cette partie de la Pologne déchirée où vivaient, dans un perpétuel état de lutte plusieurs races possédant chacune leur dialecte propre, où les querelles nées de l’incompréhension éclataient à chaque instant, il fut souvent le témoin de scènes douloureuses entre Juifs, Russes, Allemands et Polonais. La vue de ces malheureux opprimés se haïssant et s’entre-déchirant sans se comprendre l’attristait.
Profondément bon, et surtout ami de la paix et de la fraternité, il souffrit plus que tout autre au spectacle de cette image en raccourci de l’humanité ravagée par les guerres et à ce moment naquit en lui le désir d’apporter un remède à cet état de choses.
Cependant, il n’avait pas quinze ans. A partir de ce moment, cette question, sans cesse, occupa son cerveau. Il envisagea différentes solutions, mais une seule lui sembla digne d’être retenue : le recours à une langue unique. Mais laquelle ? L’inimitié qui divise les races s’oppose à l’adoption d’une langue vivante. Une langue morte : grec ou latin, ne possède pas un vocabulaire suffisamment riche pour servir de moyen d’expression aux hommes modernes, la vie d’aujourd’hui étant beaucoup plus compliquée. Il aurait été nécessaire de l’accommoder, de l’enrichir, à tel point qu’elle en aurait été complètement transformée. Il fallait à tout prix créer une nouvelle langue.
Cette conviction acquise, il résolut de se consacrer à l’élaboration d’une langue artificielle.
D’intelligence précoce et connaissant déjà le français et l’allemand, il se mit aussitôt au travail, étudiant le latin et le grec, puis l’anglais. La tâche était lourde, mais le rêve était grand, le but à atteindre si attirant ! Cependant, la besogne était difficile et délicate. Le jeune Zamenhof avait, en effet, la claire conscience de ce que devait être cette langue nouvelle : non pas seulement un langage pour les lettrés ou les gens d’instruction moyenne, mais aussi, mais surtout pour le peuple, pour l’ouvrier, qui n’a que peu de temps à sacrifier à l’étude ; il fallait que cette langue fût claire, très simple, pour pouvoir être rapidement apprise ; il fallait cependant qu’elle pût tout exprimer.
Après plusieurs projets abandonnés successivement, Zamenhof termina, en 1878, un premier essai très imparfait, mais établi déjà sur les bases de l’Esperanto actuel. Obligé, par la volonté paternelle, de renoncer à son projet, il cessa d’y travailler pendant les trois années qu’il passa à l’Université de Moscou comme étudiant en médecine, mais son rêve, donner aux hommes le moyen de fraterniser, l’habitait toujours et toujours il songeait à son projet.
Aussi, le reprit-il dès son retour à Varsovie. Pendant six ans, patiemment, obstinément, il travailla, se montrant peu, renonçant à toute joie extérieure, consacrant ainsi ses plus belles années à son œuvre.
Enfin, en 1887, il jugea son projet suffisamment à point pour voir le jour. Il avait mis dans l’élaboration de cette langue un peu plus que son savoir ; il y avait mis un peu de sa vie, de son idéal. Il voulait que la langue fût humaine, qu’elle pût traduire les sentiments profonds des hommes,
Il s’était astreint à penser dans sa langue, se faisant des lectures à haute voix, ce qui l’amena, dans bien des cas, à supprimer des formes plus rigoureusement scientifiques pour conserver plus d’harmonie ; la langue devant être non seulement écrite mais aussi parlée, la phonétique ne devait pas être sacrifiée à la rigoureuse logique.
L’Esperanto connut des débuts difficiles. Le premier livre d’étude parut en langue russe en juillet 1887 ; la même année, Zamenhof en fit paraître des traductions polonaise, française et allemande. La nouvelle langue s’appelait alors simplement : langue internationale.
Il faut noter que le temps et l’usage seuls lui ont donné son nom actuel. Les adeptes de la langue artificielle en firent d’abord : la Lingvo de Esperanto, puis la Lingvo Esperanta, enfin l’Esperanto.
La diffusion se fit lentement ; elle toucha d’abord quelques personnalités à qui les premiers livrés avaient été envoyés, puis une société américaine : American Philosophical Society of Philadelphia, qui venait juste de rejeter le Volapük eut connaissance de la brochure de Zamenhof et son comité, trouvant dans cette œuvre une solution vraiment rationnelle du problème de la langue internationale la fit éditer avec un dictionnaire anglo-esperanto.
Ce fait remplit de joie l’auteur qui, modeste, ne désirait pas se mettre en vue. D’ailleurs, l’outil forgé par lui pour tous, devait être, selon lui, perfectionné par tous ; la pratique, de plus en plus répandue, devait apporter elle-même les changements nécessaires. Pour cela même, il se refusa toujours d’augmenter lui-même son vocabulaire primitif. Il était, disait-il, « initiateur » et non « créateur » : « Une base est nécessaire, ma première brochure sera cette base ; elle contient toute la grammaire et un assez grand nombre de mots... Sur cette base doit se développer la langue comme croît le chêne sorti de l’humble gland... Le reste sera le fait de la Société humaine et de la vie, comme dans toutes les langues vivantes... Les mots incommodes disparaitront d’eux-mêmes faute d’être employés, d’autres pénètreront dans la langue selon les besoins ».
Ainsi, en effet, se développa la langue, à mesure qu’elle se répandit. Alors que les dictionnaires contenaient à l’origine 918 racines, il y en a aujourd’hui plus de 4.000 communément employées.
L’une après l’autre, quelques personnalités s’intéressèrent à la langue. Enfin, en 1889, parut le journal L’Esperantiste, les premiers numéros d’abord en allemand et en esperanto, puis, par la suite, presqu’entièrement en esperanto. Quelques groupes amis se formèrent en Allemagne et en Bulgarie.
En 1891, existaient déjà trente-trois livres d’étude ou de propagande en douze langues, dix-sept auteurs avaient été traduits et déjà on comptait quelques petits ouvrages originaux. En 1893, Zamenhof fit paraitre L’Universala Vortaro, dictionnaire qui contenait déjà 1.700 nouvelles racines puisées dans la littérature esperantiste, justifiant les prophéties de l’auteur.
En 1894, malgré l’effort de Zamenhof et de quelques amis dévoués, la parution de L’Espérantiste dut cesser. En même temps, le découragement se manifesta chez les premiers espérantistes. Cependant, de nouveaux clubs s’étaient formés.
En 1895, le club d’Upsola, en Suède, tentait un effort et mettait debout le journal Lingvo Internacia qui, en 1896, ouvrait un concours littéraire.
Zamenhof s’était fait oculiste, ayant abandonné la médecine générale. Il s’était installé dans un quartier pauvre de Varsovie et soignait surtout une clientèle nécessiteuse. Il passa ainsi toute sa vie, modestement et pauvrement, entre sa femme et leurs enfants. Malgré le dur labeur de la journée, il se remettait chaque soir à sa table, écrivant, traduisant une partie de la nuit. De 1900 à 1905, le mouvement avait pris plus d’ampleur : deux associations nationales existaient et éditaient des journaux. Mais, entre les années du début et cette date heureuse du premier Congrès Espérantiste, 1905, bien des difficultés se dressèrent devant l’Esperanto, en entravant la marche des projets et contre-projets de réformes sur lesquels n’arrivaient pas à se mettre d’accord les réformateurs gênèrent beaucoup la propagande. Aussi, à Boulogne, on en revint à la solution la plus sage, celle de l’auteur : sur la base immuable du « Fundamento », laisser l’évolution s’accomplir d’elle-même.
Les années passèrent ; l’Esperanto se répandit de plus en plus, mais Zamenhof eut à souffrir de voir son œuvre détournée de son but par une partie des espérantistes eux-mêmes. Vint 1914. Le Congrès devait se tenir à Paris, au début d’août. Zamenhof avait projeté de réunir, à l’issue du Congrès, une conférence des pacifistes ; les organisateurs du Congrès refusèrent de faire connaitre son projet par crainte de représailles des chauvins qui, déjà, s’agitaient. Indigné et peiné, Zamenhof résolut de venir malgré tout à Paris et d’essayer, avec quelques amis, de préparer un Congrès de pacifistes en pays neutre.
Hélas ! Lorsqu’il arriva à Cologne, les hostilités commencées l’obligèrent à renoncer à son voyage. Toute la nuit, les passages de troupes sur le Rhin lui rappelèrent l’odieuse réalité. L’image de la guerre se dressait devant ses yeux. Il arrivait trop tard, lui et son rêve de paix et de fraternité universelles. Il sentit quelque chose se briser en lui. Il revint à Varsovie après un voyage épuisant de huit jours dans des trains bondés, sans pouvoir s’asseoir, sans presque manger, toujours accompagné par sa dévouée compagne. Il rentra dans son logis qu’il ne quitta plus ; la maladie de cœur qui, trois ans plus tard l’emporta, venait de se déclarer, lui imposant l’inaction.
Déchiré, torturé de voir son grand rêve d’amour et de fraternité démenti par la plus hideuse des boucheries, il osa encore espérer en l’avenir. Il s’employa à la préparation d’un Congrès de Pacifistes. Puis il élabora un projet de convention internationale européenne qui, dans sa pensée, devait garantir la paix. Mais la guerre se prolongeait. Il souffrait pour tous et son mal empirait. Comme si cela n’était pas suffisant, il fut frappé dans ses affections. La Révolution russe avait apporté un peu d’espoir. Mais il s’éteignit le 14 avril 1917, en pleine guerre, tué par elle, après avoir voué sa vie à la cause de la Fraternité universelle.
Bibliographie. — Des livres d’étude de l’Esperanto existent dans trente-neuf langues, à savoir, en : allemand, anglais, arabe, arménien, bulgare, catalan, chinois, croate, danois, espagnol, estonien, finnois, français, gallois, géorgien, grec, hébreu, hollandais, hongrois, islandais, italien, japonais, latin, letton, lithuanien, persan, polonais, portugais, roumain, russe, ruthène, serbe, slovaque, slovène, suédois, tchèque, turc, ukrainien, visaïen.
Le nombre exact des ouvrages publiés manque pour plusieurs pays. Voici cependant une liste assez intéressante :
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Allemagne, 50 manuels, 18 dictionnaires.
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Angleterre, 27 manuels, 8 dictionnaires.
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Bulgarie, 13 manuels, 4 dictionnaires.
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Espagne, 36 manuels, 9 dictionnaires.
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Catalogne, 5 manuels, 2 dictionnaires.
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Finlande, 10 manuels, 4 dictionnaires.
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France, 38 manuels, 8 dictionnaires.
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Hongrie, 22 manuels, 6 dictionnaires
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Italie, 18 manuels, 5 dictionnaires.
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Pays-Bas, 29 manuels, 5 dictionnaires.
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Portugal, 11 manuels, 4 dictionnaires.
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Tchécoslovaquie, 2 manuels officiels, 15 manuels, 6 dictionnaires.
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Japon, 5 manuels, 2 dictionnaires.
Le Fundamento de Esperanto ou premier ouvrage de Zamenhof, traduit déjà par l’auteur en cinq langues : français, anglais, allemand, russe, polonais, est également paru depuis en : arménien, espagnol, juif-espagnol, flamand-hollandais, grec, hongrois, italien, roumain, tchèque, turc.
A cela, il faut ajouter des ouvrages pour une étude plus approfondie de toutes les ressources qu’offre la langue Esperanto parmi lesquels il faut citer :
Fundamenta Krestomatio, de L. L. Zamenhof.
Kursa lerno-libro, de Ed. Privat.
La elementoj de la vortfarado, d’E. Cefec.
Kondordanco de la vortoj de Ekzercaro, de A. Wackrill.
Enfin, des dictionnaires spéciaux qui sont des ouvrages fort intéressants :
Vortaro de Esperanto, de Kabe.
Plena Vortaro, de Emile Boirac.
Enciklopedia Vortareto Esperanto, de Ch. Verax.
Vocabulaire Technique et Technologique, de Ch. Verax.
Provo de Marista Terminoro, de Rollet-de-l’Isle.
Vade-Mecum de Internacia Farmacio, de Célestin Rousseau.
Pour la France, les manuels les plus répandus sont ceux de Th. Cart, Gabriel Chavet, Grosjean-Maupin, Demarcy, Aymonnier. Cependant, le Cours Rationnel et Complet d’Esperanto édité par la Fédération Espérantiste ouvrière, bien compris et très clair, se recommande à tous les ouvriers soucieux d’étudier la langue dans de bonnes conditions.
Les dictionnaires les plus pratiques et les plus simples sont ceux de Grosjean-Maupin :
Dictionnaire Usuel Français-Esperanto.
Dictionnaire Usuel Esperanto-Français.
Dictionnaire Complet Français-Esperanto.
Dictionnaire Complet Esperanto-Français.
Les autres dictionnaires sont :
Vocabulaire Français-Esperanto et Esperanto-Français de Th. Cart.
Dictionnaire Esperanto-Français de De Beaufront.
Dictionnaire Français-Esperanto de Gabriel Chavet.
Dictionnaire Complet Français-Esperanto et Esperanto-Français.
Un grand nombre de brochures de vulgarisation sur la langue internationale Esperanto ont été publiées dans tous les pays. En langue française, elles sont nombreuses, mais ces quelques-unes suffisent pour éclairer les camarades sur la question :
L’Esperanto et l’Avenir du Monde, de A. C. Laisant.
Les Anarchistes et la Langue Internationale Esperanto, de Chapelier et Gassy-Morin.
Où en est la question de la Langue Internationale ? de Archdeacon.
La Langue Internationale (Ce que tout militant doit savoir), de E. Lanty.
A ajouter une grosse brochure très intéressante grâce aux renseignements très précis qu’elle apporte :
L’Esperanto comme langue auxiliaire internationale, éditée par le Secrétariat de la Société des Nations.
Littérature Esperantiste. — Elle comprend évidemment beaucoup plus de traductions que d’originaux, cependant il est déjà possible de dresser une liste de ces derniers. Sans être complète, celle-ci donnera un aperçu.
D’abord, deux petits livres qui feront connaître les débuts de la langue Esperanto et aimer son auteur :
Historie de la lingvo Esperanto, de Ed. Privat.
La Vivo de Zamenhof, de Ed. Privat.
Puis, au hasard :
Cu li ? de Dr Valienne.
Kastelo de Prelongo, de Dr Valienne.
La Rompantoj, de F. Pujula Valjes.
Frenezo, de F. Pujula Valjes.
Misteroj de Amo, de Nadina Kolovra.
El la Proksima Oriento, d’Ivan Krestanov.
La Bulgara lando kaj popolo, d’Ivan Krestanov.
La hundo parolanta, de Daniel Eyquem.
Karlo, de Ed. Privat.
Tra l’silento (poèmes), d’Ed. Privat.
Ginevra, de Ed. Privat.
Abismoj, de Jean Forges.
Saltego trans l’armiloj, de Jean Forges.
Stranga Heredajo, de H. A. Luyken,
Pro Istar, de H. A. Luyken.
Sableroj, de Marie Hankel.
La unna Ondo (poèmes), de Stanislav Schulhof.
Poezio, de Stanislav Schulhof.
Mondo kaj Koro (poèmes), de K. de Kalvesay.
Ho ! Tirij fremduloj (opérette), de F. Hiller.
Nous devons au Docteur Zamenhof les traductions de plusieurs ouvrages d’auteurs de divers pays :
Gœthe (allemand), Ifigenio en Taùrido.
Gojol (russe), La Revizoro.
Andersen (danois), Fabeloj.
Orzeszko (polonais), Marta.
Shakespeare (anglais), Amleto.
Molière (français), Georges Dandin.
Salom Alejhem (hébreu), La Gimnazio.
Henri Heine (allemand), La Rabistoj.
Quant aux autres ouvrages de traductions, ils sont trop nombreux pour être énumérés ici. La bibliothèque Georges Davidov, par exemple, compte aujourd’hui 9.000 volumes.
Les auteurs traduits en Esperanto sont de tous les temps et de tous les pays et certains noms suffiront pour montrer l’importance de la bibliothèque esperantiste.
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Parmi les auteurs anciens : Plaute, Virgile, Aristophane, Esope, Homère, Sophocle, Lucius Apulejus.
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Pour l’Allemagne : Gœthe, Grimm, Heine, Schiller, Berthavon Suttner, Raabe, H. Zschokke, W. Hauff, Kant, F. Raimund, Reitzel, Karl Marx.
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Pour l’Angleterre : Shakespeare, Edgar Poê, Oscar Wilde, Dickens, Byron, Golschmitt, Arnold Bennet. Mabel Wagnalls, 1. M. Griesy.
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Pour l’Autriche : Artur Schnitzler.
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Pour la Bulgarie : Stamatov, E. Pelin. Pour l’Espagne : Cervantès.
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Pour l’Esthonie : Friedbert Tuglas.
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Pour la France : Molière, Racine, La Fontaine, Beaumarchais, Bernardin de Saint-Pierre, Abbé Prévost, Ch. Perrault, Châteaubriant, Alfred de Vigny, H. de Balzac, Renan, Elisée Reclus, C. A. Laisant, Mirbeau, Pierre Louys, Tristan Bernard, Sébastien Faure, Romain Rolland, Barbusse, Delaisi.
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Pour la Hollande : Stiprian Luïcuis, Hildebrand, Domela Nieuvenhuis.
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Pour la Hongrie : Alexandre Petofi, Geza Gardoni, Bela Kun.
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Pour l’Italie : Guiseppe Mazzini, Francisko Nitti.
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Pour le Japon : K. Ossaka, Mazumi Hügü, Takeo Arisiche.
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Pour la Pologne : Aleksy Pzevisky, Antoni Wyslouch, A. Niemojenski, A. Mickiewicz.
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Pour la Russie : G. V. Avsejenko, Tugan, Baranovsky, Aleksandro Drozdor, Alekssandro Bloch, J. S. Turguenev, A. S. Ruskin, Vlas Dorosevic, Tolstoï, Kropotkine, Gorki, Putchkine, Gogol, Korolenko, Andreïeff.
L’activité des esperantistes ne se ralentit pas et chaque semaine paraissent de nouvelles traductions ou d’autres œuvres originales.
Si l’on ajoute qu’il paraît actuellement une centaine de journaux et revues, le mouvement esperantiste apparaîtra alors comme un mouvement actif et susceptible de rallier bien des sympathies autour de lui.
ESPIONNAGE
n. m. (du latin inspicere, observer ; dont on a fait espie, puis espier)
L’espionnage est l’action qui consiste à épier, à observer les gestes et les actes d’un individu ou d’un groupe d’individus afin d’être renseigné sur leurs intentions.
Ce mot est surtout usité dans le langage courant pour désigner le service attaché aux institutions de chaque pays et dont le rôle est de se rendre compte des ressources, de la puissance et des projets militaires des nations étrangères.
L’espionnage est l’action la plus vile et la plus infâme que l’on puisse concevoir, et les misérables qui s’y livrent sont désavoués même par ceux qui les emploient. Le service d’espionnage, dit le Larousse, « existe à l’état-major de presque toutes les armées... mais la plupart des espions sont des individus n’offrant aucune garantie de capacité et de fidélité, et qu’il convient de contrôler au moyen d’un service de contre-espionnage ».
Peut-on avouer plus cyniquement, dans un ouvrage bourgeois, combien est méprisable et dégradante l’action d’espionner ? Et n’est-ce pas avouer également l’infection d’une Société obligée d’utiliser de tels procédés ?
« L’espionnage serait peut-être tolérable s’il pouvait être exercé par d’honnêtes gens », dit Montesquieu. Non, l’espionnage ne peut pas être honnête ; il ne peut pas être propre, car un individu ayant une conception saine de la morale ne peut accepter de s’abaisser à jouer le rôle d’espion.
Il ne faut pas croire que l’espionnage est exercé simplement par des policiers amateurs ou accasionnels qui, sitôt découverts sont désavoués par les gouvernements auxquels ils vendent leurs services. Il y a dans cette institution toute une hiérarchie qui part du simple espion à l’attaché militaire et de l’attaché militaire à l’ambassadeur. L’ambassadeur est en réalité un espion accrédité auprès d’une nation étrangère par son gouvernement, auquel il doit fournir le plus de renseignements possible sur l’activité commerciale industrielle et surtout militaire de cette nation. Et cela est tellement vrai qu’un ambassadeur correspond avec son gouvernement de telle façon que le langage employé ne puisse être déchiffré par personne d’autre.
Comme dans tout ce qui compose l’ordre social bourgeois, l’espion de basse classe est considéré comme un individu sans aveu, alors que le ministre, l’ambassadeur qui l’occupe est un homme honoré, sinon honorable. A nos yeux, ils sont méprisables au même degré, et, s’il était possible de graduer le dégoût que nous inspirent de telles pratiques, le personnage haut placé mériterait d’être blâmé avec plus de force que celui qui est en bas de l’échelle sociale.
En régime bourgeois, on n’espionne pas seulement ses ennemis, mais aussi ses « amis ». Les divers groupes de capitalistes internationaux ont si peu confiance les uns dans les autres que, même lorsqu’ils sont alliés, ils s’épient mutuellement, de crainte d’être joués dans une entreprise quelconque. C’est ce qui explique que l’on rencontre en France, non pas seulement des espions allemands — ce qui, en vertu des principes qui dirigent les institutions bourgeoises, se comprendrait encore — mais des espions anglais qui sont, parait-il, nos « amis ». Cela ne les empêche nullement de chercher à découvrir les secrets militaires du pays ; c’est réciproque, du reste, et les Français agissent de même.
Méfions-nous des espions ; ils ne sont pas employés seulement au service des informations militaires ; toute la haute politique, la police, la diplomatie ont leurs mouchards qui s’insinuent partout, cherchent à pénétrer les secrets les plus intimes, pour s’en servir comme arme lorsqu’il s’agit, pour ces organisations bourgeoises, d’abattre un adversaire. Nos milieux ne sont pas exempts d’espions que l’on dénomme vulgairement : mouchards (Voir ce mot).
Disons, pour terminer, qu’en France, l’espionnage au service d’une autre nation est un délit puni, en temps de paix, de deux à cinq années de prison et, en temps de guerre, de la peine de mort. La tentative d’espionnage et le recel d’espions sont punis de la même peine.
ESPRIT
n. m. (du latin spiritus, souffle)
Comme le mot âme (voir ce mot) dont il a la même signification latine, le mot esprit est un terme vague, imprécis, dont la définition varie selon les doctrines philosophiques qui, toutes, s’y sont plus ou moins intéressées (Sébastien Faure, E. A., p. 44).
Les divers dictionnaires que nous consultons nous disent que l’esprit est une substance incorporelle, immatérielle, le souffle vital qui anime les corps et les fait agir.
« C’est un mot », nous dit Voltaire, à la huitième question de son Philosophe ignorant, « qui, originairement signifie souffle et dont nous nous sommes servis pour tâcher d’exprimer vaguement et grossièrement ce qui nous donne des pensées. Mais quand, même par un prodige qui n’est pas à supposer, nous aurions quelque légère idée de la substance de cet esprit, nous ne serions pas plus avancés ; nous ne pourrions jamais deviner comment cette substance reçoit des sentiments et des pensées. Nous savons bien que nous avons un peu d’intelligence, mais comment l’avons-nous ? C’est le secret de la nature ; elle ne l’a dit à nul mortel. » (VOLTAIRE)
Aux mots spiritualisme et matérialisme, il sera traité plus profondément des diverses doctrines philosophiques et scientifiques qui se sont occupées à rechercher ce qu’était l’esprit ; disons ici, brièvement, que pour nous, l’esprit est une force née de la matière, inhérente à la matière et qu’il ne peut être la manifestation d’une puissance immatérielle détachée de toute substance corporelle.
Si l’on considère le corps humain comme un composé chimique, l’esprit est la flamme qui jaillit de ce corps, comme le jeu jaillit d’une allumette chimique par le frottement de celle-ci sur un frottoir approprié.
Voyons maintenant de quelle façon ce terme est usité généralement.
Le Saint-Esprit, selon le dogme catholique, est la troisième personne de la Trinité : le père, le fils et le Saint Esprit. On connaît la légende. C’est le Saint Esprit qui engrossa Marie, la femme de Joseph. « Maria étant grosse par l’opération du Saint Esprit... et son mari, Joseph, homme juste ne voulant pas la couvrir d’infamie, voulut la renvoyer secrètement. Un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne craignez point de revoir votre femme Maria, car ce qui est en elle est l’œuvre du Saint Esprit. Or, tout cela se fit pour remplir ce que le Seigneur a dit par son prophète : Une vierge en aura dans le ventre et elle fera un enfant, et on appellera son nom Emmanuel » » (Evangile selon Matthieu, chap. I, v. 29). Ne soulignons que de quelques mots l’absurdité d’une telle légende qui, cependant, forme la base de toute la religion chrétienne. Il est douteux qu’un homme, quels que soient son fanatisme et son attachement aveugle à l’idée d’un Dieu purement spirituel accepte de nos jours un telle explication de la grossesse de sa femme. Pourtant, logiquement, ce que le Saint Esprit fit hier il peut le refaire demain, sa volonté étant impénétrable pour les pauvres hommes que nous sommes et sa puissance étant infinie.
Mais si, idéologiquement, philosophiquement, le croyant accepte le dogme de l’église catholique, pratiquement il n’en est pas de même et le Saint Esprit est une puissance qu’il a adaptée à sa vie matérielle et qu’il veut bien adorer à la condition qu’elle ne vienne pas troubler son existence charnelle.
On donne également le nom d’esprits à tous les êtres « incorporels » du monde invisible, traités dans la science théogonique qui est l’étude sur la généalogie et la filiation, des dieux. Dans toutes les vieilles traditions polythéistes on trouve trace de ce monde des esprits et Hésiode le poète grec du VIIIème siècle avant J. C. déclarait qu’il y avait 30.000 esprits qui dirigeaient et surveillaient les actions des hommes.
Les cabalistes donnaient à leurs « esprits », anges ou démons, des noms particuliers ; c’est ainsi qu’ils nommèrent sylphes les esprits de l’air ; gnomes, ceux de la terre ; ondins, ceux des eaux ; salamandres, ceux du feu, etc., etc.
Toutes ces croyances anciennes, ces erreurs du passé, dues à l’ignorance n’ont pas été sans imprimer fortement d’un certain fanatisme les générations qui se sont succédées et si ce fanatisme disparaît au fur et à mesure que s’étendent les connaissances humaines, les progrès de la science et de la philosophie sont tellement lents que le cerveau humain est encore de nos jours imprégné de toutes les traditions ancestrales.
Bon nombre d’individus, sans être attachés à des croyances particulières, s’imaginèrent être sous l’influence des « esprits du bien ou du mal » qui déterminaient leurs actions, bonnes ou mauvaises. D’autres crurent sincèrement qu’après la mort l’esprit se détache du corps humain et va habiter le corps d’animaux inférieurs ; selon d’autres encore l’esprit plane au-dessus des hommes et descend parfois parmi eux et substituent leurs pensées à celles de certains hommes. Anarchistes, nous ne pouvons admettre une telle manifestation de l’esprit, car ce serait accepter la conception du « spiritualisme » qui reconnaît un esprit distinct de la matière et d’où découle fatalement la conception de l’immortalité de l’âme.
Le spiritisme qui est une « science » relativement jeune et qui étudie les conditions d’existence de l’esprit a donné naissance à un charlatanisme tel, qu’il est difficile de reconnaître les chercheurs sérieux des charlatans exploitant la crédulité humaine.
Nous devons cependant reconnaître qu’il existe des problèmes inconnus et par conséquent il serait puéril de rejeter impitoyablement sans les avoir approfondies, les démonstrations des esprits. Nous pensons cependant que le spiritisme est plus une doctrine occulte qu’une science et que, mieux que lui, la psychophysiologie ou physiologie psychologique arrivera à résoudre la solution du problème, en nous initiant aux rapports de l’âme, de l’esprit et du corps.
Dans le langage courant, on désigne par le mot esprit l’ensemble des facultés intellectuelles.
« Dans le langage philosophique, dit La Harpe, l’esprit n’est que l’entendement, la faculté pensante. Dans l’usage commun, le manque d’expressions nécessaires pour rendre chacune de nos idées, a fait donner généralement le nom d’esprit à l’une de ces qualités, dont l’effet est le plus sensible dans la société, à la vivacité des conceptions ». Et Montesquieu nous dit que l’esprit consiste à reconnaître la différence des choses diverses et la différence des choses semblables. » (La Harpe)
L’esprit, tel que ce mot est employé communément est donc la faculté de concevoir, de comparer, de juger, de raisonner, et c’est en effet dans ce sens qu’il est usité le plus souvent. Il est synonyme d’intelligence et on dit souvent « un homme d’esprit » pour un homme intelligent.
En outre le mot esprit est employé dans une foule de formules. Rendre l’esprit : pour mourir ; perdre l’esprit : avoir l’esprit du commerce ; la présence d’esprit ; un esprit brouillon ; un bel esprit, un esprit fort ; l’esprit de famille, de corps, etc., etc...
Si avoir, de l’esprit est une qualité, gardons-nous cependant d’en faire à tout propos et hors de propos, car a dit Casimir Delavigne :
« L’esprit qu’on veut avoir gâte celui qu’on a. »
ESSAI
n. m. (de l’italien assayio, même signification)
Action d’essayer. Epreuve, expérience qu’on fait d’une chose afin de se rendre compte si elle convient à l’usage qu’on lui destine. Essayer une machine, faire l’essai d’une arme, d’un cheval ; prendre un domestique, un ouvrier à l’essai, c’est s’assurer par l’expérience qu’ils sont capables de remplir les fonctions que l’on désire leur confier. On donne aussi le nom d’essais à certains ouvrages de sciences ou de littérature, de politique ou de philosophie où le sujet n’est pas traité à fond.
Le mot essai est employé parfois comme synonyme de tentative. Faire un essai de colonie anarchiste. Les anarchistes ou plutôt des individualités anarchistes ont à diverses reprises essayer de se détacher de l’ambiance et de fonder des colonies au sein desquelles ils auraient vécu une existence plus en rapport avec leurs conceptions. Ces essais n’ont jamais été couronnés de succès et cela n’a rien de surprenant, car il est matériellement impossible de vivre en dehors de la société et celle-ci est organisée de telle façon que trop de facteurs concourent à l’échec d’une semblable tentative. Un essai de société anarchiste en régime bourgeois est une erreur, tout individu, tout groupe, toute association étant sous la domination de cette bourgeoisie. Le travail des anarchistes est d’essayer d’ébranler les bases de la société moderne et, ensuite seulement, ils pourront faire l’essai d’une société sans autorité et sans contrainte.
ESSENCE
n. f. (de essentia, même signification)
Philosophiquement et théologiquement l’essence est ce qui constitue la nature d’une chose. Ce qui est, ce qui existe. « Nous ne sommes sûrs de connaître complètement l’essence de quoi que ce soit, a dit Lachâtre, si ce n’est des concepts de notre esprit ».
Pour ceux qui ramènent tout à Dieu, « Dieu est l’essence première de toute chose ». Un tel axiome permet évidemment toute les déviations philosophiques et est une explication simpliste pour ceux qu’anime le désir de savoir et de connaître, et nous préférons, anarchistes, accepter comme axiome la proposition suivante de Bakounine :
« Tout ce qui est, les êtres qui constituent l’ensemble indéfini de l’Univers, toutes les choses existantes dans le monde, quelle que soit, d’ailleurs, leur nature particulière, tant sous le rapport de la qualité que sous celui de la quantité, les plus différentes et les plus semblables, grandes ou petites, rapprochées ou immensément éloignées, exercent nécessairement et inconsciemment, soit par voie immédiate et directe, soit par transmission indirecte, une action et réaction perpétuelles et toute cette quantité infinie d’actions et de réactions particulières en se combinant en un mouvement général, constitue ce que nous appelons la vie, la solidarité et la causalité universelle : la NATURE. Appelez cela Dieu, l’Absolu, si cela vous amuse, que m’importe pourvu que vous ne donniez à ce mot Dieu d’autre sens que celui que je viens de préciser : celui de la combinaison universelle naturelle, nécessaire et réelle, mais nullement prédéterminée, ni préconçue, ni prévue, de cette infinité d’actions et de réactions particulières que toutes les choses réellement existantes exercent incessamment les unes sur les autres. » (Bakounine, Système du Monde, œuvres tome III, pp. 217, 218)
Nous voyons par ce qui précède que Bakounine considère que la nature est l’essence de toute chose, et qu’il lui importe peu qu’on la dénomme Dieu, Absolu, ou qu’on la désigne sous tout autre terme. Le Dieu de Spinoza, le célèbre panthéiste du XVIIème siècle, est également l’essence première de toute chose, mais bien que le système de Spinoza ait été, interprété différemment par différentes écoles philosophiques, il apparaît que son Dieu n’est pas celui des croyants mais celui des athées, et que du spinozisme découle directement le déterminisme universel.
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Chimiquement on donne le nom d’essences naturelles aux produits aromatiques extraits des végétaux. Essence de roses, essence de violettes, essence de menthe, etc... ; les essences artificielles sont des substances aromatiques obtenues par des compositions chimiques et destinées à remplacer certaines essences naturelles dont le prix de revient est trop élevé.
Les essences minérales que l’on emploie pour le chauffage, l’éclairage et aussi comme carburant dans les moteurs à explosions sont obtenues par distillation des pétroles bruts. En raison de son inflammation, la manipulation de l’essence minérale est des plus dangereuses.
L’essence minérale est donc un sous-produit du pétrole, et, malheureusement, ce produit si utile, si nécessaire à l’activité de la vie moderne, menace de mettre à nouveau le monde à feu et à sang. Les progrès de l’aviation provoquent une soif de pétrole dans les différentes nations du monde et comme en régime capitaliste ce ne sont pas les besoins mais les intérêts qui passent d’abord, chaque groupe de capitalistes internationaux se dispute les sources de pétrole actuellement contrôlées par l’Amérique et l’Angleterre. Il est probable que la prochaine guerre, et cela se dit ouvertement, sera la guerre du pétrole.
Espérons que les peuples qui ont versé tant de sang pour la défense des intérêts de leurs maîtres respectifs, se refuseront à l’avenir à s’entretuer pour un produit qui ne doit être la propriété de « personne » mais de tous.
ESSENTIEL
adj.
Ce qui est l’essence d’une chose. La partie essentielle ; la qualité essentielle. Le moteur est la partie essentielle de l’automobile ; l’oxygène et l’hydrogène sont les parties essentielles de l’eau.
Ce qui est nécessaire, indispensable. Le pain est la nourriture essentielle de l’homme, mais en notre siècle de rapine et de vol, où le bonheur des uns n’est que le fruit de la misère des autres, les humains manquent souvent de l’essentiel. Les causes de l’inégalité sociale qui se manifeste chaque jour plus brutale, sont multiples, mais les premiers responsables de l’arbitraire économique imposé par les classes dirigeantes, sont les opprimés eux-mêmes. Les travailleurs ignorent leurs devoirs essentiels. Ils perpétuent l’erreur de leurs aînés, de ceux qui les ont précédés dans la lutte, et qui eurent confiance en la politique pour se libérer du joug de leurs maîtres. Il semblerait que le passé n’ait rien appris aux classes travailleuses. Ne comprennent-elles pas, ne comprendront-elles jamais que l’essentiel, pour vaincre est d’abandonner toute illusion politique et de s’organiser puissamment sur le terrain économique, le seul où, se livre chaque jour la grande bataille entre le capital et le travail ? L’essentiel, pour que les opprimés puissent développer toute leur force pour l’opposer à celles de leurs oppresseurs, est qu’ils soient unis. Or, jamais ils ne seront complètement organisés, tant que la politique s’immiscera dans leurs organisations. La politique est un facteur de division, de désunion et, par conséquent, dé défaite. Tout le passé n’est-il pas là pour le démontrer ? Que les travailleurs se souviennent de cette clause essentielle : « L’union fait la force », et rapidement ils sortiront victorieux de la bataille.
ESTAMPAGE
n. m.
Terme populaire servant à désigner l’acte qui consiste à abuser de la confiance des camarades pour leur soutirer de l’argent. On appelle estampeur celui qui se livre à cet exercice malhonnête et ce mot est devenu synonyme d’escroc.
Dans son esprit, le mot estampage ne renferme pas son origine. Nous pensons qu’il est usité dans le sens péjoratif qu’on lui prête de ce fait que : la monnaie étant de pièces frappées ou estampées, on a dénommé estampeur celui qui s’en procure en usant de certains moyens frauduleux.
L’estampage n’est pas le vol ; c’est plutôt un abus de confiance. Dans les milieux d’avant-garde, où la solidarité s’exerce sur une grande échelle, et où la sensibilité des individus est continuellement tenue en éveil, il n’est pas étonnant de rencontrer de faux camarades qui profitent du bon cœur des compagnons pour vivre sur le commun et se procurer des ressources de façon malpropre. Cela est certainement regrettable, mais il n y a aucun moyen sérieux de pallier à cet état de choses. Toutes les organisations, quelles qu’elles soient, ont leurs parasites ; c’est une conséquence logique de la société bourgeoise qui repose sur le vol.
Etre victime de l’estampage ; se faire estamper ; être estampé, etc...
On appelle également estampage l’acte qui consiste à vendre une marchandise à un prix supérieur à sa valeur réelle. Le commerce (voir ce mot) n’est pas une chose honnête en soi ; nous l’avons démontré. De gros ou de détail, il donne naissance à un nombre incalculable de combinaisons plus ou moins louches ; mais c’est surtout en ce qui concerne le petit commerce que s’applique le mot estampage. Le monde pullule de charlatans qui, par leur bagout, s’attaquent aux naïfs et aux crédules et leur placent des articles inutilisables présentés avec une certaine recherche. C’est du reste la présentation que l’on paie car l’article en général ne vaut rien. Ceux qui se livrent à ce genre d’estampage sont nombreux surtout dans les grandes villes.
En un mot, l’estampage est une maladie sociale qui puise son germe dans la société imparfaite que nous vivons.
Dans la mesure du possible, il faut, dans nos groupes et cercles anarchistes, éloigner les estampeurs, car en outre qu’ils arrachent aux camarades des ressources qui pourraient être employées plus utilement, leurs actes sont indélicats, ils trompent les compagnons sincères et dévoués et nuisent à la bonne harmonie qui doit régner dans nos organisations.
ESTHETIQUE
n. f. (du grec aisthetikos, sentiment)
L’esthétique, nous dit le Larousse, est la « science qui traite du beau en général et du sentiment qu’il fait naître en nous ». C’est, en un mot, la philosophie de l’art. En vérité, si l’on veut considérer l’esthétique comme une science, il faut reconnaître que cette science permet une foule de spéculations, car il n’y a, en réalité, aucun critérium pour déterminer ce qui est beau et le séparer de ce qui est laid. Quantité de philosophes ont cherché à définir le « beau » et Aristote plaçait l’essence de l’art dans la nature ; il donnait ainsi une base à l’esthétique ; base peu solide, cependant, car tout ce qui est naturel n’est pas forcément beau. L’esthétique est, à notre avis, surtout une question de sentiment et de sensibilité. Tout ce qui touche à l’art est très complexe, et il est évident que, selon le point de vue où il se place, chaque individu peut avoir une conception particulière de l’esthétique. Ce qui apparaît beau à certains peut sembler laid à d’autres, et les sensations que l’on éprouve à la contemplation d’une œuvre d’art ou à l’audition d’un morceau de musique sont si multiples et si particulières, qu’il devient presque impossible de définir ce qui est esthétique ou ce qui ne l’est pas.
L’esthétisme n’est pourtant pas uniquement une question de sentiment : c’est aussi une question d’éducation. Tel individu peut préférer une vulgaire chanson de rues à une symphonie de Beethoven ou encore rester impassible devant une peinture de maître, alors qu’il s’extasiera devant la croûte d’un rapin sans talent ; il n’en est pas moins incontestable que la musique de Beethoven ou la peinture d’un Raphaël ou d’un Corot sont des productions d’essence supérieure. Si la grande majorité des hommes ne vibrent pas et n’éprouvent aucune sensation devant une manifestation de l’art, c’est que le sentiment artistique n’a pas été, chez eux, développé et qu’ils ne sentent pas toute la différence, indéfinissable, qui existe entre le « beau » et le « laid ». Savoir discerner les caractères du beau suppose une certaine culture et c’est cette culture qui manque au peuple. Rien, en société bourgeoise, n’est fait pour développer le sentiment esthétique chez le peuple, et, à part quelques manifestations artistiques officielles, de caractère souvent archaïque, le peuple reste éloigné de tout ce qui est beau. C’est aux organisations d’avant-garde qu’il appartient de compléter l’éducation populaire. Etre révolutionnaire ne consiste pas simplement à renverser un ordre social périmé, mais aussi à transformer l’individu, à en faire un être supérieur, susceptible de comprendre toutes les productions de l’art, d’être émotionné à la lecture d’un beau livre ou à l’audition d’un chef-d’œuvre musical. La société ne sera vraiment idéale que lorsque l’homme sera, non seulement capable d’arracher à la terre ce qui est indispensable à sa vie matérielle, mais aussi un esthète, c’est-à-dire un être qui aime et qui pratique le beau.
ETAPE
n. f. (du latin barbare staplus ou de l’allemand stapel, entrepôt)
Autrefois on disait estape ou estapple. A l’origine, ce mot signifiait une foire, un marché public, une ville commerciale ; puis ensuite, il désigna l’endroit où les soldats s’arrêtaient en campagne pour se reposer et recevoir des vivres ou encore le gîte en route, pour le voyageur. De là viennent les expressions : doubler l’étape ; voyager par étapes ; faire deux étapes dans la même journée ; brûler les étapes, etc., etc.
Au sens figuré le mot étape est usité pour marquer un point d’arrêt sur le chemin qui mène au but que l’on poursuit. « La dictature du prolétariat est une étape sur le chemin du communisme ». C’est du moins ce qu’affirment les communistes autoritaires ; nous savons par l’expérience du bolchevisme que la dictature du prolétariat n’est pas une étape mais un but.
Il n’y a pas d’étape pour le révolutionnaire. La route doit être poursuivie sans arrêt et, pareil au Juif errant, il doit la parcourir jusqu’au jour où il aura atteint le but, qui ne peut être à notre avis qu’une société libertaire d’où auront disparu la contrainte et l’autorité.
ETAT
n. m.
L’aventure qui est arrivée, au cours de l’histoire humaine, à la réalité, et aussi à la notion : Etat, serait tout ce qu’il y a de plus amusant, si toutefois elle n’avait pas pris une tournure plutôt tragique.
Nous vivons dans un Etat. — Nous sommes, dit-on, servis par l’Etat. — Nous payons — nous le savons bien ! — un tribut à l’Etat. — Constamment — chacun de nous pourrait en raconter quelque chose ! — nous avons à faire avec l’Etat. Chacun de nous prétendrait savoir parfaitement bien ce que c’est que l’Etat...
Et cependant, celui qui supposerait que l’Etat est quelque chose de bien réel, de définissable, se serait trompé grossièrement.
Toutes les tentations de définir l’Etat d’une façon précise, scientifique, nette, ont échoué, au moins jusqu’à présent.
Il existe toute une science consacrée à l’étude de l’Etat. Mais, l’objet même de cette science — l’Etat -reste introuvable.
Les définitions de l’Etat fournies par les dictionnaires n’ont aucune valeur sérieuse.
Rien d’étonnant que, souvent, les grands spécialistes mêmes de la science juridique et étatiste se voient obligés de constater que l’Etat est, au fond, une fiction ; que tous les signes soi-disant distinctifs de l’Etat, même la fameuse souveraineté, sont applicables à d’autres phénomènes, et ne peuvent nullement servir à établir la réalité spécifique de l’Etat (L. Petrajitzky, Cruet, M. Bourquin, et autres auteurs).
Faisons-en tout de suite une déduction très importante : il existe une forme de coexistence des humains qui ne diffère pas beaucoup de certaines autres « collectivités organisées » (par exemple : Eglise, Nation, groupements politiques, caste et autres), mais qui a obtenu néanmoins, au cours des siècles une désignation spéciale : Etat, et à laquelle on attribue des qualités supérieures, souveraines, exceptionnelles. On prétend que cette organisation sociale se place au-dessus de toutes les autres, que son pouvoir est indiscutable, sacré, général. On l’impose à tout le monde. On lui doit une obéissance absolue et aveugle. C’est ainsi qu’on a créé une fiction, un fétiche.
Telle est notre première constatation.
Passons à la deuxième, qui n’est pas moins intéressante :
Si vous croyez que les origines de l’Etat sont connues, vous vous trompez encore. Là-dessus, on ne possède que des hypothèses plus ou moins vraisemblables ou invraisemblables. Les étatistes bourgeois, les étatistes socialistes ou communistes, les antiétatistes, — tous -, se représentent les origines de l’Etat d’une façon différente. Rien, ou presque rien, n’y est établi d’une façon précise, scientifique, nette.
Telle est notre deuxième constatation.
La troisième : le problème du rôle historique de l’Etat est l’objet de discussions interminables entre les étatistes de différentes nuances et’ aussi les antiétatistes. Là, non plus, rien n’est établi d’une façon définitive (Voir : Antiétatisme).
Placé devant ces faits, chacun devrait se demander :
Quelle est, donc, la raison pour laquelle on m’oblige d’obéir, de me soumettre à une institution qui n’est, peut-être, qu’une fiction, dont les origines sont inconnues, et le rôle historique discutable ? Pourquoi veut-on que je reconnaisse, que je vénère une fiction ?
N’est-ce pas amusant, en effet, de voir les gens prendre, durant des siècles, une fiction pour une réalité, et reconnaitre, respecter, servir quelque chose qui n’existe même pas ?
Nous l’avons déjà dit : ce serait amusant, voire très amusant, si la chose n’avait pas pris, hélas ! une tournure tout à fait tragique.
Car, la fiction a coûté, elle continue de coûter, elle coûtera encore beaucoup de sang.
D’ailleurs, c’est toujours pour des fictions (Dieu ! Eglise ! Etat ! etc...) que l’homme s’est battu, et se bat encore. Les réalités, tout ce qui n’est pas fiction, lui échappent. Les fantômes l’entraînent, le guident, l’absorbent... N’est-ce pas tragique ?
Et l’on dit que nous, les anarchistes, sommes des utopistes, des rêveurs!...
Mille fois non ! Rêveurs, utopistes, sont certainement ceux qui croient aux fictions. Quant à nous, briseurs de fantômes, nous sommes, précisément, des réalistes... Eh oui ! Nous, les anarchistes, qui prétend-on, voguons dans les nuages, nous sommes, sans aucun doute, tout ce qu’il y a de plus à terre.
* * *
Eh bien ! En notre qualité de réalistes, qu’avons-nous à dire de l’Etat ? Comment expliquons-nous la puissance de ce fantôme, son influence formidable, sa « réalité » pour des millions de gens ?
La littérature anarchiste au sujet de l’Etat est très abondante. Cela se comprend, car la négation de l’Etat, la lutte contre l’Etat, au même point que celle contre le capitalisme, est la pierre angulaire de l’anarchisme. Les œuvres de Proudhon, de Bakounine, de Kropotkine, d’Elysée Reclus, de Malatesta, de Jean Grave, de Sébastien Faure, de Pouget, de Stirner, de Rocker, et de beaucoup d’autres libertaires moins connus traitent le problème à fond. Il serait superflu de les citer ici. Le lecteur cherchant à acquérir une érudition plus ou moins complète par rapport à l’Etat n’aurait qu’à s’adresser aux sources mêmes. Ce qu’il faut ici, c’est donner un résumé bref et net de notre point de vue.
Et d’abord, entendons-nous sur un point : étant donné l’absence d’une définition précise et solide de l’Etat, nous comprendrons sous ce terme un système de relations mutuelles — actions et réactions — entre un nombre d’individus plus ou moins importants, système dont l’étendue, l’influence, l’efficacité données sont limitées géographiquement, politiquement, économiquement, socialement, et dont la réalité n’est conçue qu’intuitivement par les individus qui y sont englobés.
Quelle est, d’après les anarchistes, l’essence même de ce système ? C’est ce que nous allons voir.
1° Les origines de l’Etat. — Comme déjà dit, elles sont, hélas ! bien ténébreuses. Les établir, les reconstituer parait impossible.
Il existe, cependant, quelques points historiquement acquis, sur lesquels on est parfaitement d’accord, notamment : 1° L’avènement de l’Etat signifie la fin décisive du communisme primitif, de cet état d’égalité économique et sociale où les peuples vivaient à l’aube de leur histoire ; 2° Une lutte entre la communauté primitive et l’Etat avançant triomphalement eut lieu durant des siècles et se termina par la victoire complète de ce dernier ; 3° Des liens intimes, organiques, existent entre la genèse de la propriété privée, de l’exploitation et de l’Etat. L’histoire entière nous prouve que, toujours et partout, l’Etat fut un système social instaurant définitivement, légalisant et défendant l’inégalité, la propriété, l’exploitation des masses travailleuses (Les fameuses despoties soi-disant « communistes » de l’ancienne Egypte, du Pérou et autres n’y font pas exception, puisque leur « communisme » consistait exclusivement en une régularisation étatiste minutieuse de toute la vie privée des « sujets » ; mais, quant aux privilèges, propriété, castes exploitant et masses exploitées, tout ceci formait la base même de ces Etats).
C’est le dernier point qui, ici, nous intéresse le plus. La cause fondamentale qui amena finalement à l’Etat fut donc la nécessité pressante, éprouvée par les classes naissantes dominatrices, privilégiées et exploiteuses, d’instaurer un système puissant qui sanctionnerait et défendrait leur situation. Les guerres, les conquêtes, les prérogatives politiques, les moyens matériels et autres, les aidèrent.
Le rôle historique de l’Etat. — Pour les sociologues bourgeois, le rôle historique de l’Etat est d’organiser la Société, de mettre de l’ordre dans les relations entre les individus et leurs divers groupements, de régulariser toute la vie sociale. C’est pourquoi, à leurs yeux, l’Etat est une institution non seulement utile, mais absolument nécessaire : seule institution pouvant assurer l’ordre, le progrès, la civilisation de la Société. Le rôle de l’Etat fut et reste, pour eux, positif, progressif.
Ce point de vue est partagé par les socialistes étatistes, y compris les « communistes ». Tous, ils attribuent à l’Etat un rôle organisateur positif au cours de l’histoire humaine ; ceci, malgré l’abîme qui les sépare des étatistes bourgeois. Cet abîme consiste en ce que ces derniers considèrent l’Etat comme une institution placée au-dessus des classes, appelée précisément à réconcilier leurs antagonismes, tandis que, pour les socialistes, l’Etat n’est qu’un instrument de domination et de dictature de classe. Malgré cette différence, les socialistes prétendent, eux aussi, qu’au point de vue évolution humaine générale, l’avènement de l’Etat fut un progrès, une nécessité, car il organisa la vie chaotique des communautés primitives et ouvrit à la civilisation des voies nouvelles. En conformité avec cette conception de l’Etat comme d’un instrument d’organisation, de progrès (à certaines conditions), les socialistes prétendent que le système étatiste peut être utilisé, actuellement aussi, comme un facteur progressif, notamment : comme un instrument de libération des classes opprimées et exploitées. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que, d’une façon ou d’une autre, l’Etat bourgeois actuel soit remplacé par un Etat prolétarien qui sera l’instrument de domination, non pas de la bourgeoisie sur le prolétariat, mais, au contraire, du prolétariat sur les éléments bourgeois et capitalistes. (Voir : Antiétatisme).
Donc, pour les idéologues de la bourgeoisie, le rôle historique de l’Etat est purement positif et progressif.
Pour les socialistes, ce rôle fut d’abord progressif ; il devint ensuite régressif ; et il peut redevenir progressif. L’Etat (comme l’Autorité) peut, à leurs yeux, être un instrument ou de progrès ou de régression. Tout dépend des conditions historiques données. En tout cas, l’Etat, disent-ils, a joué, dans l’histoire humaine, et il peut jouer encore, un rôle positif : celui d’organisation de la vie sociale, celui de création des bases d’une Société meilleure.
Un tel point de vue dépend de ce que les socialistes (les marxistes surtout) conçoivent la vie des sociétés humaines, l’organisation sociale, le progrès social, d’une façon en quelque sorte « mécanique ». Ils ne tiennent pas suffisamment compte des forces librement créatrices, se trouvant à l’état potentiel au sein de toute collectivité humaine dont chaque membre — l’individu — est, pour ainsi dire, une charge d’énergie créatrice (dans tel ou tel autre sens), et qui est toujours un ensemble formidable d’énergies créatrices diverses. Ce sont ces énergies qui, au fond, assurent et réalisent le véritable progrès.
Ne s’en rendant pas compte, concevant la vie et l’activité des sociétés plutôt mécaniquement, les socialistes ne peuvent se représenter l’organisation, l’ordre, l’évolution, le progrès humains autrement que par l’intervention, et l’activité constante d’un facteur mécanique puissant : l’Etat !
La conception anarchiste se base, par contre, précisément sur l’esprit et l’énergie de création, propres à tout être humain et à toute collectivité d’hommes. Elle renie totalement le facteur mécanique, ne lui attribue aucune valeur, aucune utilité, à aucun moment historique : passé, présent ou futur.
De là, une tout autre conception du rôle historique de l’Etat chez les anarchistes.
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Jamais, à leur avis, l’Etat n’a joué un rôle progressif, positif quelconque. Commencée sous forme d’une communauté libre, la Société humaine avait, devant elle, le chemin, tout droit, de l’évolution ultérieure, libre et créatrice, de la même communauté. Cette évolution aurait été, certainement, mille fois plus riche, plus splendide, plus rapide, si sa marche normale n’avait pas été arrêtée et déroutée par l’avènement de l’Etat. L’activité libre des énergies créatrices aurait amené à une organisation sociale incomparablement meilleure et plus belle que ne le fut celle à laquelle nous amena l’Etat. Le chemin de ce progrès normal était tout indiqué, lorsque certaines causés naturelles qui, aujourd’hui, n’existent plus, amenèrent à l’avènement des guerres, de l’autorité militaire et, ensuite, politique, de la propriété, de l’exploitation, dé l’Etat.
L’avènement de ce dernier ne fut donc, à notre avis, qu’une déviation, une régression. Son rôle fut, dès le début, négatif, néfaste. L’Etat fut, immédiatement et indissolublement, lié à un ensemble de facteurs de stagnation, de recul, de fausse route.
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Une fois installé et affermi, surtout après être sorti victorieux des luttes qu’il eut à soutenir contre la défensive de la communauté libre, l’Etat continua son action néfaste. C’est lui qui amena l’humanité à l’état lamentable de bêtes de somme bornées, sauvages, malades, dans lequel elle végète actuellement. C’est lui qui mécanisa toute la vie humaine, arrêta ou faussa son progrès, entrava son évolution, meurtrit son épanouissement créateur qui lui était pourtant tout indiqué. C’est lui, cet assassin de l’humanité libre, belle, pensante et créatrice qui, aujourd’hui encore, prétend guider et soigner sa propre victime : la Société humaine. Et c’est lui toujours qui prétend, par la bouche de fanatiques aveugles, comme par exemple, Lénine, et de leurs adeptes égarés, pouvoir sauver, ressusciter l’humanité qu’il assassina!... Et il se trouve encore des millions d’hommes qui sont prêts à croire à cet assassin masqué et à le suivre!...
Nous ne sommes pas de leur nombre.
Car, à part toutes les autres considérations, nous nous rappelons toujours des constatations de Kropotkine et de plusieurs autres historiens impartiaux qui prouvèrent que les époques d’un véritable progrès accomplis par l’humanité furent précisément celles où la puissance néfaste de l’Etat faiblissait, et qu’au contraire, les périodes d’épanouissement de l’Etat furent infailliblement celles où languissait le progrès créateur des sociétés humaines.
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Revenons maintenant à la question posée au début de cette étude : Quelle est la raison pour laquelle on nous ordonne de croire, d’obéir, de nous soumettre à une institution qui n’est, quant à sa supériorité ou souveraineté, qu’une fiction, dont les origines sont inconnues, et le rôle historique si néfaste ? Comment expliquons-nous la puissance de ce fantôme, son influence formidable, la « réalité » de sa souveraineté pour des millions de gens ?
La réponse à cette question ne présente plus aucune difficulté.
Ayant réussi à tromper et à briser la communauté primitive et sa résistance, les premiers dominateurs, fondateurs de la propriété, des castes privilégiées et de l’exploitation, instaurèrent donc définitivement un système de coexistence humaine basé justement sur l’exploitation des masses travailleuses par les vainqueurs, leurs aides et leurs fidèles serviteurs. Le système dit Etat fut, est, et sera toujours un système d’exploitation. Afin de sanctionner hautement et solennellement ce système, afin de l’imposer définitivement et à tout jamais aux masses populaires, afin de lui donner l’air d’une institution supérieure, fatale, souveraine, nécessaire, se trouvant au-dessus du libre arbitre humain, ces castes dominatrices, ces exploiteurs organisés présentèrent ce système sous l’aspect d’une institution divine, lui attribuèrent une puissance surnaturelle et surent, finalement, créer une telle force pour se défendre que toute lutte contre ce monstre, ce Léviathan disposant de richesses immenses, religieusement béni par les prêtres, armé jusqu’aux dents, soutenu par des forces organisées de privilégiés, de fonctionnaires, de magistrats, de geôliers, devint impossible. Il finit par s’imposer à un tel point, qu’on crut à sa souveraineté mystérieuse et que toute idée d’un autre système d’organisation sociale disparut pour longtemps de la mentalité humaine.
Ce monstre, ce fut l’Etat. En tant que la plus formidable société anonyme d’exploitation, et protectrice d’autres sociétés du même genre, quoique de moindre importance, il est une réalité. Mais, rien que comme telle. En tant qu’une organisation supérieure, souveraine, sacrée, inviolable, éternelle de la société humaine, il est une fiction, un fantôme qui sut s’imposer en fétiches.
La propriété, c’est l’exploitation. L’Etat, c’est la sanction de l’exploitation. Il la crée, il l’engendre ; il est né d’elle ; il vit d’elle ; il la bénit, la défend, la soutient... Il ne fut jamais, ne peut être, et ne sera jamais autre chose. Il est, en outre, un mécanisme formidable, aveugle, meurtrier, qui étouffe toute activité créatrice libre, tout élan humain vers une vie véritablement humaine.
* * *
Après ce qui vient d’être dit, les réponses à d’autres questions concernant l’attitude des anarchistes vis-à-vis de l’Etat viennent d’elles-mêmes.
L’Etat est une forme passagère de la Société humaine, destinée à disparaître tôt ou tard.
D’autres formes d’organisation sociale — libres, libérées de la base d’exploitation, donnant tout l’élan à la création — le remplaceront.
L’Etat étant un instrument d’exploitation, il ne peut jamais, en aucun cas, sous aucune condition, devenir instrument de libération (erreur fondamentale des « communistes »).
L’Etat ne pourra jamais disparaître par la voie d’une évolution. Il faudra l’abolir par une action violente, de même que le capitalisme.
Il faut lutter à fond, immédiatement, contre l’Etat, en même temps que contre le Capitalisme. Car ce sont les deux têtes du même monstre, qui doivent être abattues toutes les deux simultanément. En n’en abattant qu’une seule, le monstre reste vivant, et l’autre tête renaît infailliblement.
Les moyens de lutte contre l’Etat sont les mêmes que ceux de la lutte contre le capitalisme.
L’abolition du capitalisme tout seul et le remplacement de l’Etat bourgeois par un Etat prolétarien est plus qu’une utopie : c’est un non-sens. L’Etat ne peut être que bourgeois, exploiteur. Il n’est pas utilisable dans la lutte émancipatrice véritable. Les masses travailleuses du monde entier finiront par le comprendre et l’expérience bolcheviste est justement là pour le démontrer bientôt, d’une façon palpable et définitive.
La lutte contre le Capital et l’Etat est une lutte simultanée, lutte unique, qui doit être menée sans relâche, jusqu’à la démolition simultanée et complète de ces deux institutions jumelles.
Ce n’est qu’alors que reprendront leur élan véritable : la Société humaine, la belle vie créatrice, le progrès, la civilisation.
Tel est le point de vue anarchiste.
— VOLINE
ETAT
(du latin status ; de stare, être debout)
Situation durable d’une personne ou d’une chose. Telle est la signification générique de ce mot, qui est en usage dans des acceptions très variées. On dit, en effet : cet homme est cordonnier de son état. L’état de santé de notre ami inspire, des inquiétudes. Son état d’esprit est satisfaisant. Cette peuplade vit à l’état sauvage. Nous avons trouvé la maison en bon état. Nous ne sommes, pas en état d’accomplir une aussi rude besogne. Il faut rédiger un état des services de cet homme. Cette personne scrupuleuse fait état des moindres détails.
Au point de vue social, celui qui nous intéresse le plus, il est utile, tout d’abord, de citer, en les expliquant, deux locutions ayant leur place dans l’histoire : les Etats-Généraux sont une assemblée nationale extraordinaire, composée de représentants de divers ordres ou classes de la société, réunis pour délibérer sur des intérêts communs. Le Tiers-Etat était, sous l’ancienne monarchie française, le troisième ordre de la société composé du peuple et de la bourgeoisie, les deux premiers étant constitués par le clergé et la noblesse.
Nous mentionnons pour mémoire qu’un Etat-major est le corps des officiers généraux commandant une armée ; que l’Etat civil est un service public, ayant pour objet d’enregistrer officiellement la naissance, la filiation, les mariages ou divorces, et le décès des habitants d’un pays. Et nous arrivons aux deux sens du mot : Etat, qui doivent le mieux retenir notre attention
Politiquement parlant, un Etat est une importante collectivité d’individus occupant un territoire nettement délimité, régie par des lois particulières, et possédant une autorité chargée de les faire appliquer.
Une société, même nombreuse, ne constitue donc pas forcément un Etat. Les nations modernes organisées sont des Etats. Les hordes primitives, les tribus nomades ou sauvages ne sont que des sociétés rudimentaires.
Ce serait une erreur cependant de croire que les sociétés à type primitif, telles les tribus d’Indiens des deux Amériques, ou celles des nègres de l’Afrique Equatoriale, de ce qu’elles ne constituent point des Etats, sont dépourvues de hiérarchie et d’autorité. Elles possèdent des chefs, ordinairement cruels et despotiques. Le pouvoir religieux y est représenté par les sorciers. La législation, pour ne pas être consignée dans les livres, n’en existe pas moins sous forme de coutumes qui, sauf exceptions, dépassent en arbitraire les dispositions des codes civilisés.
Ce serait une erreur également de croire que toute société organisée, sous forme d’Etat, représente un peuple d’esclaves, doué des aspirations sociales les plus généreuses, et capable spontanément de réaliser l’ordre le plus fraternel, mais plié sous le joug d’une minorité tyrannique, comprimant par la force tous ses désirs.
Dans les républiques démocratiques, telles la France, les Etats-Unis ou la Confédération Helvétique, le prolétariat industriel et agricole représente la majeure partie de la population. Pour n’y pas être absolues, les libertés de la presse, de la parole et de l’association n’en existent pas moins, dans une très large mesure. Tous les citoyens, ou presque, y sont admis au vote et, quand ils votent, rien ne les empêche de se prononcer sur un programme plutôt que sur un autre.
Or, dans ces pays à majorités prolétariennes, et où il n’est pas un citoyen qui n’ait été touché — occasionnellement au moins — par une propagande révolutionnaire, à laquelle il avait faculté de s’intéresser il se trouve que les programmes les plus en faveur sont d’un réformisme très modéré. Qu’il y ait des abstentions nombreuses ne modifie guère le résultat ; il suffit, en effet, de voir les très faibles tirages de la presse anarchiste — la seule qui soit abstentionniste — pour se rendre compte que l’abstention électorale est le fait, beaucoup plus souvent, de l’indifférence et de la veulerie que d’une volonté d’action systématique. En France même, foyer de la grande Révolution de 1789–1793, l’expérience de plus d’un demi-siècle de république troisième nous offre le spectacle de consultations populaires, où la balance oscille, du conservatisme social pré-réactionnaire au radicalisme bon teint. Le prolétariat insurrectionnel n’est, au sein même de la classe prolétarienne, qu’une minorité d’opposition, et le collectivisme, qui se déclare « pour le progrès dans l’ordre et la légalité », n’est point accueilli sans réserves.
Ces constatations n’infirment point cette donnée évidente : que les idées socialistes, communistes, syndicalistes et anarchistes se sont, depuis la fondation de la première Internationale, en 1865, développées dans le monde d’une façon considérable. Mais elles portent à conclure que le peuple ouvrier et paysan n’est pas, dans son ensemble, aussi ennemi qu’on pourrait le croire des formes sociales actuelles et que, s’il est entravé dans son émancipation, c’est plus encore par son ignorance et ses préjugés tenaces que par les exactions des classes dirigeantes.
Pourtant, même dans les républiques démocratiques, l’Etat, ce n’est pas l’ensemble de la nation. Dans la tribu primitive, les hommes tiennent conseil pour les décisions à prendre, et ils les appliquent eux-mêmes dans ce qu’ils croient être l’intérêt commun. Abstraction faite de l’opposition, toujours possible, du chef ou du sorcier, c’est le régime direct, avec tous ses avantages, ce qui ne veut pas dire qu’il s’inspire fatalement de sagesse et de douceur. Mais ceci n’est possible intégralement que dans des agglomérations peu nombreuses, avec des moyens de production et de consommation élémentaires, sur des portions de territoire très restreintes. Avec les multiples activités d’une capitale du XXème siècle, groupant plusieurs millions d’habitants, il devient pratiquement impossible à la population entière — trouverait-elle pour cet office une enceinte assez vaste ! — de se réunir en congrès de tous les jours, ou presque, pour discuter et conclure sur les questions, fort nombreuses et diverses, que comporte la vie intense d’une cité moderne. Elle n’en aurait ni la compétence ni le loisir, et serait bientôt lasse de ce labeur en supplément des exigences de la profession. Force est donc bien d’opérer une division du travail, de créer des spécialités, de nommer des délégués, munis de pouvoirs, pour la défense des intérêts des groupes de citoyens qui les ont chargés de les représenter dans les assemblées où se traitent les affaires publiques.
Et, ce qui est vrai pour une grande ville l’est à plus forte raison pour un pays où les habitants se trouvent par dizaines de millions, à la fois solidairement associés pour les besoins les plus variés, et répartis sur des centaines de milliers de kilomètres carrés. Des centralisations administratives s’imposent donc, tout comme il en existe nécessairement pour le ravitaillement, le tri des lettres, les communications téléphoniques, ou la correspondance des réseaux de voies ferrées.
Mais ceci ne va point sans inconvénients : les administrés perdent de vue les principaux de leurs délégués, groupés dorénavant en un point central du territoire. Ces derniers, absorbés par leur fonction, se trouvent dans l’obligation d’attendre d’elle leurs ressources, et contraints d’abandonner leur ancienne profession. Ils forment désormais une caste à part, ayant ses intérêts particuliers, sujette à toutes les tentations que confère le pouvoir. Car leur mandat étant de plusieurs années, pendant lesquelles ils peuvent se livrer à tous les reniements, sans que le collège électoral ait faculté d’user à leur égard d’une sanction quelconque, leur rôle n’est plus à la vérité celui d’un délégué, mais d’un gouvernant, autrement dit d’un tuteur, muni d’un blanc-seing, lui donnant licence de disposer, non seulement des deniers et domaines nationaux, mais encore, dans une très large mesure, de la personne et des biens de ses pupilles : les simples citoyens.
C’est en raison de cette situation et de tous les abus qu’elle a entraînés que le mot Etat, qui aurait dû, dans les républiques démocratiques tout au moins, servir à désigner, politiquement parlant, la nation organisée, est employé surtout pour désigner quelque chose qui en est bien distinct, et demeure à chaque instant capable de l’opprimer, tout en s’exprimant en son nom : l’autorité législative.
Mais ces inconvénients ne sont pas tous inévitables.
Si la vie d’une grande nation moderne rend nécessaires des centralisations administratives et l’entretien de délégués permanents, cela n’entraîne point qu’ils doivent être bénéficiaires de droits à caractères monarchiques, sur les collectivités qui les ont mandatés. Rien ne s’oppose à ce qu’ils soient, non seulement choisis parmi les compétences que représentent les Fédérations du Travail et de la Consommation, mais à ce qu’ils soient révocables et responsables, au même titre que les gérants d’une entreprise commerciale ou industrielle quelconque.
Dans ces conditions, l’Etat cesse d’être un organisme superposé à la nation, et dont la puissance arbitraire est faite de l’abdication de celle-ci. Dans ces conditions, l’Etat représente bien la société organisée par elle-même et pour elle-même et, si des règles imposées par l’évidente nécessité demeurent, du moins ne sont-elles plus l’émanation des conceptions particulières de quelques-uns.
L’Etat étant ainsi considéré, il apparaît que se comble en très grande partie l’abîme séparant les thèses socialistes et anarchistes, au moins pour ce qui concerne les plans d’une société nouvelle. A la condition, toutefois, que le socialisme ouvre un peu plus au bon soleil et au grand air de la liberté ses lourdes bâtisses à forme de casernes et de couvents. A condition que l’anarchisme renonce à certaines esquisses, un peu puériles, dans lesquelles le devenir et la préhistoire se trouvant confondus, le communisme de grande civilisation des cités de demain se trouve établi sur des bases analogues à celles de quelque village Hottentot où, d’une case à l’autre, on se rendrait bénévolement de petits services.
— Jean MARESTAN
ETERNITE
La première question que s’est posée de tout temps l’homme qui pense, qui réfléchit et analyse les causes et les effets est certainement celle-ci : Quels rapports y a-t-il entre moi et mes semblables, entre moi et les bêtes, les plantes, le règne minéral, entre moi et les astres, quel est le lien qui me relie à l’Univers ?
Cette pensée est à l’origine de toutes les religions, dont l’étymologie du mot latin vient du verbe religare, qui signifie lier.
Primus deos fecit timor.
L’homme primitif était ignorant et, comme tel, dominé par la crainte — qui rend féroce — des phénomènes de la nature qu’il ne savait pas s’expliquer. Aussi se créa-t-il une religion anthropomorphiste grossière et à l’image de son cerveau rudimentaire.
Dieu naquit de son cerveau sous forme d’un être suprême que son imagination plaça — contradictio in adjecto — au-dessus de l’Univers, créé et gouverné par lui selon sa seule et unique volonté divine et despotique.
La notion absurde d’un Dieu au-dessus de l’Univers, du Grand Tout est l’image subjective de l’Eternité, niais, au point de vue objectif, qui est celui de l’Univers englobant temps et espace, la notion Eternité est non existante.
Ce Dieu féroce et tout-puissant, et comme tel responsable de tout ce qui existe, condamna sa création en naissant à la peine capitale, c’est-à-dire à la mort, et fit de la vie un incessant struggle for life, une guerre d’extermination de tous contre tous dans un monde hiérarchisé et peuplé de demi-dieux, de rois et de princes, représentants ici-bas de son règne arbitraire et autocratique...
Les millénaires succédèrent aux millénaires, les siècles aux siècles et, au fur et à mesure que l’humanité se dégagea de l’animalité et que la planète devint plus habitable, le fantôme Dieu recula devant la conscience humaine grandissante.
Athènes, la Renaissance, la Révolution Française, sont les trois points lumineux dans l’affreux cauchemar qu’est l’histoire de l’humanité et ce sont ces trois époques qui dessillèrent enfin nos yeux et permirent à la pensée scientifique, portée sur les ailes de la lumière, de vaincre Dieu et de prendre son vol vers l’infini.
Le grand XVIIIème siècle, le siècle de l’Encyclopédie avec ses géants de la pensée : Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Diderot, Holbach, Helvétius, Lavoisier, a, en parachevant l’œuvre de la Renaissance, définitivement ruiné la conception géo et anthropocentrique, qui voyait, d’après la Bible, dans notre Terre le centre de l’Univers et dans l’homme le but de la création. La Révélation en est morte.
Le XIXème siècle, le siècle des sciences exactes, a prononcé péremptoirement, de son côté, que rien ne se perd ni ne se crée, que l’Univers est d’unité constitutive, simultanément cause et effet, qu’il est éternel dans l’interdépendance du temps et de l’espace et que dans l’Univers, qui se gouverne lui-même sans maîtres, par des forces inhérentes à la matière éternellement en gestation, il ne saurait y avoir de place pour un être suprême et parfait en dehors et au-dessus de lui... La donnée évolutionniste a vaincu le mythe créationniste et Dieu s’est évanoui à jamais, comme une brume malsaine.
L’Univers illimité dans l’espace, éternel dans le temps et aux formes essentiellement passagères et fugitives que revêt la vie dans ses manifestations individuelles pose à notre esprit d’investigation ce point d’interrogation hardie : Y a-t-il dans l’Univers une loi de Progrès éternel dont il est mû dans son ensemble ?
La réponse affirmative à ce point d’interrogation énigmatique comporte pour un lointain avenir, encore impossible à déterminer, non certes la résurrection individuelle et personnelle de toutes les vies passagères, mais leur survie impersonnelle dans l’universelle conscience d’un cosmos tellement évolué qu’il aurait une sorte de conscience collective de tout son passé, présent et avenir et jusque dans ses moindres détails. Ce serait l’immortalité consciente du GrandTout réalisant, sous une autre forme, les rêves étoilés et parfumés de vie éternelle que fait miroiter devant nos yeux notre instinct de conservation personnelle. Dans le cas contraire, notre vie, exempte de toute théologie, n’est qu’une étincelle entre deux nuits éternelles et les morts sont bien morts et ne ressusciteront jamais de la poussière, c’est-à-dire de l’éther cosmique, leur demeure dernière.
L’hypothèse, ou pour mieux dire la parenthèse ainsi ouverte ressemble étrangement, en attribuant toutes les horreurs au passé et toutes les perfections à l’avenir, à l’ancienne croyance au Diable et à Dieu et n’est, en dernière analyse, qu’une métamorphose nouvelle du principe du Mal et du principe du Bien, faux tous les deux.
Ici, la synthèse du problème de « Dieu et du Diable », de la thèse du Bien et de son antithèse du Mal ne pourra être révélée que par la connaissance approfondie des mouvements, probablement sinusoïdaux, des Voies lactées et celle de la propagation de la gravitation, dont la vitesse doit être infiniment plus grande que celle de la lumière, ce qui permettrait à un observateur hypothétique, mû par une telle vitesse, de voir les événements à rebours, c’est-à-dire les décès d’abord, les naissances ensuite. Quel complément imprévu et suggestif à l’interdépendance du temps et de l’espace !
Quoi qu’on puisse dire et penser, l’homme évolue, c’est incontestable, l’humanité évolue, on ne saurait le nier. Notre terre évolue, les astres évoluent, c’est dans la logique.
Mais, dans ce cas, ne paraîtrait-il pas logique d’admettre également que les cieux, c’est-à-dire la succession des étoiles et l’éther, leur commune origine, évolueraient et progresseraient éternellement, la matière étant une et indivisible partout ?
La vérité objective, la vérité vraie, pouvons-nous la connaître ? Peut-elle exister ?
Relativement à nous, le présent mathématique est, pour ainsi dire, non existant et notre vie est faite de notre passé et du devenir de notre futur. Pour l’Univers pourtant, c’est toujours aujourd’hui et l’Eternité n’existe pas.
Une philosophie scientifique prétend qu’il n’y a pas de limites pour l’infiniment grand et que l’atome est théoriquement divisible à l’infini.
Pour les plus grands corps, les astres proprement dits, cette affirmation est erronée, les étoiles supergéantes connues, comme Betelgueuse et Antares, ayant respectivement des volumes valant 27 millions et 113 millions de fois celui de notre soleil.
Quant aux atomes, divisibles à l’infini et tourbillonnant les uns autour des autres avec des vitesses analogues et des distances en proportions minuscules égales à celles qui font graviter notre planète autour du soleil, les avis sont partagés, parce que des chimistes très compétents aussi prétendent qu’il y aurait 30 quintillions d’atomes dans un millimètre cube... et qu’à un moment donné — les spiritualistes ont beaucoup divagué à ce sujet — l’atome, en éclatant, se transformerait en électricité.
Mais l’électricité, c’est, comme la lumière, de la matière, de cette matière que nous sommes portés à considérer, relativement à nous, dans ses formations comme infiniment grandes et infiniment petites, mais qui, en réalité, doit être une, continue.
Et, avec tout cela, qu’advient-il de notre parenthèse d’immortalité matérialiste et de la loi du Progrès appliquée à la succession des voies lactées, déjà repérées à plus d’un million avec des milliards de soleils et qui, séparées les unes des autres par des millions d’années de lumière, naissent, meurent et renaissent après des quatrillions et des quintillions d’années d’existence éternellement du sein du cosmos, comme le phénix de la légende égyptienne? !
En attendant que nous trouvions la réponse à notre question dans la manière de se comporter de ces grandes unités de systèmes de mondes que sont les voies lactées, molécules elles-mêmes d’agglomérations de soleils constituant leurs atomes, nous considérons d’ores et déjà comme acquise la certitude de l’unité du Grand-Tout se gouvernant, sans intervention d’une force extérieure et uniquement d’après des lois inhérentes à lui-même. Dans ces conditions, force nous est faite de placer la recherche de la vérité au-dessus de nos désirs et de nos craintes, en nous considérant toujours comme solidaires de tout ce qui nous entoure, hommes, bêtes, plantes et choses, solidaires du passé, du présent et de l’avenir, de toute la nature organique et inorganique de laquelle le grand devin Gœthe a dit qu’elle « verkoerpert den Geist und durchgeistigt den Koerper », c’est-à-dire matérialise l’âme et divinise le corps.
Pour projeter un peu plus de lumière dans l’inextricable labyrinthe de l’éternel devenir, je me résume en précisant :
J’ai dit que l’Univers d’unité constitutive était simultanément cause et effet et qu’il était éternel dans l’interdépendance du temps et de l’espace. De ces affirmations, que temps et espace étaient des notions subjectives se rapportant à nous, êtres fugitifs, j’ai conclu qu’objectivement l’Eternité était non existante.
Du fait que l’homme et l’humanité évoluent, je déduis qu’il devrait également en être ainsi des astres, des voies lactées et de l’éther, matrice des mondes.
Je m’inscris ensuite en faux contre la conception qu’il n’y aurait pas de limites pour les corps infiniment grands et que l’atome serait théoriquement divisible à l’infini. Pour étayer cette affirmation, je cite les plus grands soleils connus et les atomes qui en éclatant se transforment en électricité, et j’arrive à la conclusion, aussi bien en me basant sur les radiations des étoiles que sur la transformation des atomes en électricité, que la matière est indivisible, une, continue.
Pour ce qui est d’une loi de progrès éternel, embrassant l’ensemble de l’Univers, ce qui sous-entend pour son passé lointain la plus insondable des horreurs -hypothèse qui ne tient pas debout — et pour son avenir, l’universelle conscience jusque dans ses moindres détails, il est possible que j’aie été, en écrivant cela, involontairement le jouet de notre instinct de conservation, dont toute idée de survie n’est qu’un mouvement réflexe.
Notre existence humaine est l’image en raccourci de ce qui se passe dans l’ensemble de la nature et notre âme naît avec le corps dont elle fait partie, croît, arrive à son apogée, décline, se désagrège et retourne avec lui au Grand-Tout. C’est là, dans la Vie et dans la Mort, lois de l’Univers, qu’est toute l’explication de la légende de Dieu et du Diable, du principe du Bien et du Mal.
Les toutes dernières découvertes sur la structure de l’Univers nous mettent sur une voie qui permettra à un proche avenir de solutionner, sans recourir au miracle ni à la prestidigitation spiritualiste, les problèmes des atomes, des étoiles supergéantes, et aussi ce qu’il y a de vrai dans l’idée du progrès éternel et de l’immortalité.
Elucider est bien, mais n’est pas encore répondre et la question du pourquoi, n’en déplaise aux mânes de notre grand précurseur, Louis Büchner, s’impose autant à nos recherches scientifiques que celle du comment dans un monde où, contrairement à Camille Flammarion, il ne saurait y avoir ni plan arrêté ni cause finale.
En attendant que la science nous fournisse les précisions qui nous manquent, nous pouvons cependant conclure dès maintenant :
Premièrement, que tout est matière et vie en même temps dans l’évolution immortelle et illimitée, progressive et régressive de l’ensemble de l’Univers, mais que seules les manifestations individuelles que revêtent la Matière et la Vie sont essentiellement temporaires, passagères et fugitives. C’est là le « Weltschmerz » la douleur inhérente à la vie, de Schopenhauer.
Deuxièmement, que l’éternité de l’Univers est démontrée inéluctablement, mathématiquement par le fait de son existence.
Nos calculs actuels révèlent une étendue du cosmos explorée dépassant un diamètre de 300 millions et une périphérie d’un milliard d’années de lumière et dont l’âge se chiffre par des quintillions de siècles.
Si cette fraction du Grand-Tout, avec son million de voies lactées aux dimensions comparables à la nôtre et qui se meuvent dans l’espace à raison de 600 à 1.000 kilomètres par seconde — les étoiles ne marchent, en moyenne, qu’à 40 et 60 km par seconde — était limitée, elle se serait depuis longtemps agglomérée sous l’action de la gravitation. Or, comme il n’en est pas ainsi, nous ne pouvons conclure qu’à l’éternité de l’Univers.
A ceux — et ils sont, hélas, nombreux — qui s’élèvent encore avec effroi et horreur contre la conception d’un monde sans Dieu ni immortalité personnelle, sans hiérarchie sociale ni sanction d’aucune sorte, sans sentiment du Devoir tutélaire et où les frontières du Bien et du Mal ne sont séparées par aucune cloison étanche, à tous ces timorés nous ferons simplement remarquer ceci :
Notre seul et unique objectif est la recherche de la Vérité et nous n’avons cure de plaire ou de déplaire à autrui ni à nous-mêmes.
Toutes les sociétés du présent ou du passé ont été basées sur une éthique de contrainte et de devoir et les persécutions de l’Inquisition catholique valaient celles de Néron, qui n’a pas fait périr autant de gens que la Guerre du Droit et de la Justice de 1914–1919 !
L’homme n’ayant pas demandé de maître et la vie n’ayant pas de but en dehors d’elle-même, le droit à l’existence doit précéder le devoir de travailler et le seul moyen pour chacun de vivre sa vie le plus heureusement et le plus utilement possible est d’assurer préalablement, pour tous les hommes et pour toutes les femmes, l’Egalité économique, clé de voute de l’affranchissement intellectuel et de la solidarité morale de l’espèce humaine.
— Frédéric STACKELBERG.
ETERNITE
n. f.
Durée qui n’a ni commencement ni fin.
L’univers ne se conçoit que lié à l’idée d’Eternité : Dieu ou Matière, car il est évident qu’un « commencement absolu » est une absurdité. On ne conçoit pas plus la création de quelque chose que sa perte totale : « Rien ne se crée, rien ne se perd ».
Longtemps, par ignorance et par foi, on a supposé un Dieu créateur de l’Univers, nécessairement éternel. Cette qualité du Dieu, d’être éternel, a longtemps fait considérer l’Eternité comme inséparable de Dieu. Et ce préjugé est encore ancré en bien des esprits. Aussi, lorsque la philosophie, soutenue de plus en plus par l’expérience scientifique, déclara que l’Univers, en ses éléments constitutifs, était éternel, elle trouva une grande résistance chez les contempteurs même du Déisme.
Aujourd’hui, le mot Eternité est généralement accepté comme exprimant une durée sans commencement ni fin, absolument indépendant du sujet ; et la science moderne admet l’éternité de la matière.
ETHER
n. m.
L’éther est un état de la matière diluée à l’extrême degré accessible à nos moyens d’observations.
Après l’état solide, l’état liquide, l’état gazeux, l’état radiant, tous d’un ordre de grandeur différent les uns des autres, l’état éthérique se révèle aussi différent de l’état radiant que ce dernier l’est de l’état gazeux.
Les phénomènes dont ces différents états sont le siège ne sont pas comparables entre eux et doivent être étudiés séparément. En particulier les lois qui les régissent sont extrêmement différentes.
Ce que nous savons sur l’éther, c’est que c’est un milieu dans lequel circule la matière plus dense (ions, électrons). Il a la propriété de transmettre les vibrations électromagnétiques — par ondes stationnaires -de même que la vague se propage à la surface de l’eau sans entraîner les corps flottants. L’éther a des propriétés, donc il existe, et son action n’a pas plus le droit d’être négligée dans l’étude des phénomènes qui sont de son ordre de grandeur (lumière-électricité), que le liquide pour l’étude des corps flottants, que le gaz pour l’étude du vol.
Faute d’avoir compris ces vérités élémentaires, les savants ont discuté longuement ces dernières années.
Michelson, en cherchant la vitesse de la lumière, trouve qu’elle est la même dans tous les sens, ce qui semble prouver que l’éther est entraîné avec la terre.
L’observation des satellites de Jupiter montre au contraire que l’éther est fixe. Comment concilier ces hypothèses ? Lorentz établit alors des équations mitigées d’où il ressort que les corps se contractent dans le sens des déplacements de la terre dans l’éther. Hypothèse incontrôlable, puisque les instruments de mesure se contractent de la même manière.
Einstein, un peu choqué de cette hypothèse peu physique, explique alors que... tout se passe comme si les corps se contractaient.
Les équations traduisent correctement les phénomènes, mais leur explication est mauvaise.
Warnant et Miller, retenant une expérience de Fizeau qui montre l’entraînement de l’éther par les fluides, établissent à leur tour que l’atmosphère entraîne l’éther par ses mailles moléculaires, de telle sorte que le vent d’éther, qui est de 30 km/sec. à la limite de l’atmosphère devient nul à la surface de la terre — (Michelson) où il est totalement entraîné — le maximum du vent d’éther étant situé dans une direction faisant environ 40° avec l’horizon. Cette explication physique, réconcilie toutes les expériences en apparence contradictoires et élimine les considérations d’espace-temps ou de quatrième dimension, le temps n’étant pas une dimension puisqu’il est compris implicitement dans leur établissement.
On désigne aussi sous le nom d’éther un produit extrêmement volatil, obtenu par distillation du pétrole vers 60°.
Les éthers sels s’obtiennent par réaction d’un acide sur un alcool.
Les éthers-oxydes s’obtiennent par déshydratation des alcools par l’acide sulfurique.
Leur action sur l’organisme est semblable à celle de l’alcool, provoquant la turpitude, des nausées, et préparant la folie.
ETHNOGRAPHIE
n. f. (du grec ehnos, nation, et graphein, d’écrire)
L’ethnographie est l’étude des peuples des différentes nations du monde, abstraction faite des formes politiques qui les régissent. Au point de vue révolutionnaire, l’ethnographie est une des sciences les plus utiles, car elle nous fait connaître les caractères particuliers des peuples des différentes nations ; leur manière de s’alimenter, de se loger, leurs moyens d’échange, de transports ; leurs jeux, leur commerce, leur industrie, leurs mœurs, etc., etc... En quelques mots, l’ethnographie est l’étude de toutes les manifestations matérielles de l’activité humaine. Si nous disons que les connaissances ethnographiques sont essentielles au révolutionnaire, c’est que, grâce à elles, il peut déterminer, non seulement ses relations avec ses frères étrangers, mais aussi ses moyens de lutte et de libération. La libération d’un peuple ou d’une race, est intimement liée à sa condition ethnographique et la lutte ne peut emprunter le même caractère, dans un pays de civilisation occidentale que dans les régions orientales où dominent encore les préjugés religieux ou familiaux. C’est en étudiant la culture intellectuelle et morale des peuples qui nous sont éloignés, que nous pouvons savoir dans quelle mesure nous pouvons leur être utiles et les aider dans leurs tentatives d’émancipation. Et c’est pourquoi les anarchistes communistes doivent étudier la vie de leurs frères étrangers. La Géographie Universelle, d’Elisée Reclus, est un des plus formidables monuments ethnographiques qui aient été produits jusqu’à ce jour.
ETHNOLOGIE
n. f. (du grec ethnos, nation, et logos, discours)
L’ethnologie est une science dont l’objet est l’étude des caractères physiques des races humaines. Bien que les classifications soient rendues difficiles par les nombreux mélanges qui se sont opérés à travers les siècles, on s’accorde au moins sur l’existence de trois races bien distinctes les unes des autres : la race blanche, la race jaune et la race noire. On suppose que de ces trois races sont nées les races intermédiaires qui sillonnent le globe.
L’ethnologie est une science qui ne se libère pas toujours de certains préjugés nationalistes, et les ethnologues ont souvent cherché à démontrer la supériorité de la race blanche, sur les autres. L’histoire, cependant, oppose un démenti formel à une telle prétention. Alors que la race blanche vivait encore à l’état de sauvagerie, la Chine avait déjà une civilisation qui dominait le monde, et même de nos jours, l’évolution rapide du Japon démontre indubitablement que la race jaune n’est en rien inférieure à la race blanche. En ce qui concerne la race nègre, elle sortira à son tour de l’obscurité dans laquelle elle est maintenue par les puissances colonisatrices, et prendra place également dans le grand concert humain. Tant que l’ethnographie se contente de classer les divers groupes d’après leurs affinités naturelles, elle n’est nullement nuisible ; mais il arrive souvent que, sous le couvert de « caractères ethnologiques », des nations se disputent la propriété d’un territoire, et alors l’ethnographie n’est plus que la complice d’une politique de vols et de rapines.
ETIQUETTE
n. f. (de l’allemand stechen, piquer)
L’étiquette est un petit écriteau que l’on place sur certains objets, sur des marchandises, des sacs, des fioles, pour en indiquer le prix ou le contenu.
Ce mot s’emploie au sens figuré, pour désigner la qualité ou la fonction d’un individu. « Se parer d’une étiquette révolutionnaire ». « Prendre une étiquette républicaine ». « L’habit ne fait pas le moine », dit un vieux proverbe ; nous pouvons dire que l’étiquette ne fait pas l’homme et qu’elle est bien souvent trompeuse.
Nous pouvons constater, en effet, que de nombreux individus s’étiquettent républicains, socialistes ou communistes, sans qu’aucun de leurs gestes ou de leurs actes soient en conformité avec le républicanisme, le socialisme ou le communisme. M. Aristide Briand, socialiste en son jeune âge, conserva toute sa vie l’étiquette socialiste, cependant que son action politique et sociale fut nettement conservatrice et réactionnaire. Malheureusement, le peuple se laisse encore subjuguer par les mots et se contente de regarder l’étiquette sans s’inquiéter de ce qu’elle couvre ou de ce qu’elle cache.
Les anarchistes souffrent également du malaise provoqué par l’étiquette que prennent certains individus n’appartenant ni de près ni de loin à nos organisations révolutionnaires. Quantité de nos camarades prétendent que cela n’a qu’une faible importance, mais nous ne sommes pas de cet avis.
Si l’anarchisme a été discrédité, si, dans le peuple des campagnes, il est devenu synonyme de bandit, d’assassin et de criminel, c’est que l’étiquette anarchiste a été véhiculée par un tas d’individus qui sont plus près de la bourgeoisie que de l’anarchisme. Nous n’avons pas su réagir à temps contre un tel état de choses et il est difficile aujourd’hui de remédier au mal qui a été fait.
L’étiquette, à nos yeux, a une importance capitale pour un mouvement, car elle symbolise une idée, une action, des aspirations et un idéal. Il serait donc utile qu’à la faveur d’un travail organisé, suivi, sérieux, les anarchistes s’imposassent par leur droiture, leur sincérité, leur abnégation et inspirassent une confiance méritée à tous ceux qui, de nos jours encore, ont été et sont toujours trompés par les étiquettes qui ne cachent que le mensonge et l’indélicatesse.
Lorsque les travailleurs des villes et des champs sauront ce qu’est l’anarchisme et qui sont les anarchistes, l’étiquette ne les effrayera plus, notre parole sera écoutée et propagée, et nous récolterons abondamment le fruit de notre travail.
ETUDE
Pour arriver à connaître un objet, il faut y mettre de l’application : on appelle étude cette application de l’esprit à un objet (science, lettre, art). « Faire ses études » se dit communément dans le sens de « recevoir de l’enseignement », mais il est évident qu’on peut avoir reçu beaucoup d’enseignement et avoir peu étudié, c’est-à-dire appliqué son esprit.
Il fut un heureux temps où le génie semblait suppléer à tout ; quelques notions d’un art ou d’une science, alliées à une forte originalité, suffisaient à faire découvrir des horizons merveilleux. Pourtant, si l’on vit surgir, du sein de l’Europe christianisée, une Renaissance du sentiment et de la pensée antiques, c’est que l’imprimerie venait de mettre chacun en état d’étudier.
Le terrain conquis par l’étude est actuellement vertigineux. A l’infini, il s’étend devant nos regards ; personne ne peut plus se vanter de l’avoir tout parcouru. Chacun se voit obligé de se borner à en étudier un champ relativement très restreint : c’est l’ère des spécialistes. Des intelligences de premier ordre sont même absorbées, leur vie durant, par le travail d’emmagasinement, de classement de tous les lambeaux de vérité, butin journalier d’une armée de chercheurs. Dans les arts comme dans les sciences, dans les sciences appliquées aussi bien que spéculatives, longuement il faut préparer et documenter le moindre sujet avant que d’agir, si tant est que c’est la réalisation d’une œuvre de valeur qu’on ambitionne, et non le triste succès qu’accordent les foules aux hâbleurs qui pullulent.
Dans la lutte pour la vie, les connaissances acquises jouent un rôle prépondérant. Lutter, c’est comprendre son adversaire — personne ou milieu -, deviner ses actions futures en suivant ses raisonnements : plus on est instruit, plus on est à même de lutter... C’est ce qui semble asseoir sur le roc l’injustice dans la société, où tout favorise les études des uns et empêche ou entrave celles des autres. Quelle différence, en effet, entre le jeune bourgeois, bien nourri, bien vêtu, encouragé moralement et matériellement, pour qui on aplanit tous les obstacles, et le jeune pauvre pour qui ni lui-même, ni les autres, parents et instituteurs, n’osent avoir de l’ambition ! Il sait, chacun sait, ce que l’avenir lui réserve : travail, résignation. Même ses études primaires sont bâclées, car ce n’est pas dans les quartiers populeux ou les villages misérables qu’on envoie les bons instituteurs, le meilleur matériel d’enseignement. Le fils d’ouvriers, ni les siens, n’en souffrent guère d’ailleurs ; ils ne sont pas en état d’évaluer ce dont la Société les prive : sauf hasard, ils ne s’en indignent jamais.
Mais ce hasard se produit parfois ; il arrive qu’un enfant veut savoir, et c’est le drame. La vie l’étreint, l’empêche de retourner sur ses pas ; elle dit : « Sers ! » et le voilà machine à tuer... ; elle dit : « Travaille ! » et il courbe l’échine. S’il résiste, elle le bouscule ; s’il acquiert un peu de savoir et se révolte, elle lui vole son pain. Il lui faut une énergie inouïe pour se procurer, en cours de route, ce que le bourgeois savait à l’heure du départ. Telles sont les études de certains prolétaires-exceptions...
Il est pourtant indispensable que le prolétaire étudie, s’il veut « parvenir », quel que soit le sens que son déterminisme accorde à ce mot. Mais, d’autre part, trop de bonne volonté, trop d’enthousiasme et d’énergie se perdent dans une lutte inégale avec des ennemis plus instruits, à qui l’érudition permet facilement de dénaturer et ridiculiser les arguments. La collaboration et l’entraide pourraient grandement faciliter la tâche aux autodidactes. Et pourquoi ne pas retirer de l’enseignement officiel ce qu’il peut nous donner ? Partout, il y a des cours d’adultes ; beaucoup pourraient profiter de l’enseignement professionnel ; bien souvent, les Facultés ont des cours gratuits ouverts au public. Les « exceptions » doivent cesser de l’être -nombre de militants, dans nos milieux, sont de ces prolétaires-exceptions — mais des difficultés insurmontables les ont arrêtées en chemin. Tâchons donc de faciliter et d’organiser les études des nôtres, en attendant que soit résolu le problème de l’Ecole anarchiste.
EUNUQUE
n. m. (du grec euné, lit, et ekhein, garder)
Qui a la garde du lit. Un eunuque est un homme qui a subi la castration des parties sexuelles et qui en Orient était préposé à la surveillance et à la garde des femmes des harems.
Les mœurs barbares, inhumaines, qui consistaient à se mutiler pour obtenir une dignité ou simplement un emploi tendent à disparaître et l’on peut dire que dans les pays civilisés on ne fait plus d’eunuques. La Turquie qui était, en Europe, l’unique pays où la polygamie était officiellement, légalement autorisée, entre dans le modernisme et avec la fin des harems et l’émancipation de la femme disparaît cet être incomplet : l’eunuque.
Le christianisme eut également ses eunuques, et à l’origine, des hommes se mutilaient volontairement par un raffinement d’ascétisme, mais ces pratiques furent condamnées par le concile de Nicée.
D’autre part, en Italie, la castration des parties sexuelles fut longtemps pratiquée afin de conserver aux hommes une voix de soprano, et de leur permettre de chanter dans les églises où les femmes n’étaient pas admises. C’est ainsi que l’on obtint les fameux Chœurs de la Chapelle Sixtine.
L’eunuque se distingue par la mollesse de ses chairs, ses traits et ses formes qui se rapprochent de ceux de la femme.
EUPHONIE
n. f. (du grec eu, bien, et phoné, voix)
Facilité de prononciation. Assemblage harmonieux de voyelles et de consonnes permettant de rendre une prononciation douce et agréable. C’est par euphonie que l’on dit : ira-t-il pour ira-il ou va-t-il pour va-il, mon épée pour ma épée ; etc...
Le mot euphonie s’emploie également pour désigner le son d’une seule voix ou d’un seul instrument ; lemélange de plusieurs voix ou de plusieurs instruments s’appelle une symphonie.
L’antidote de l’euphonie est la dissonance et lorsque l’on est appelé à causer surtout en public il est indispensable de bien choisir ses mots et de bien faire attention de les joindre les uns aux autres le plus élégamment possible. Rien n’est plus désagréable qu’un assemblage dissonant de mots qui rebute l’auditeur et ne lui permet pas de saisir, de comprendre et de partager la pensée de l’orateur.
EVANGILE
n. m. (du latin evangelium ; du grec euagelion, bonne nouvelle)
Doctrine du Christ. On appelle « évangile » les livres attribués à certains apôtres ou disciples du Christ et qui retracent sa vie, de sa naissance à sa mort.
Durant les premiers siècles de l’Eglise chrétienne, il parut un grand nombre d’évangiles « et les chrétiens des diverses villes écrivirent leurs évangiles qu’ils cachaient soigneusement aux autres juifs, aux romains, aux grecs ; ces livres étaient leurs mystères secrets. Chaque petite société chrétienne avait son grimoire qu’elle ne montrait qu’à ses initiés » (Voltaire, Dieu et les Hommes).
Fabricius nous cite 35 évangiles ; Voltaire déclare qu’il y en eut plus de cinquante d’une certaine importance ; mais, de tout cet amas de littérature indigeste et ridicule, quatre livres seulement furent reconnus par l’Eglise. Ce sont les évangiles selon saint Luc, saint Mathieu, saint Marc et saint Jean.
Les évangiles non officiels, c’est-à-dire non reconnus par l’Eglise sont dits : apocryphes ; les autres sont ceux que l’on appelle les évangiles canoniques et sont à eux seuls un suffisant tissu de contradictions, d’aberrations et de mensonges.
Il est douteux que les évangiles que l’on attribue à Luc, Mathieu, Jean et Marc soient réellement leur œuvre. Mathieu fut un des apôtres du Christ ; Jean, fils de Zébédée, un des douze apôtres, fut également un disciple de Jésus ; saint Marc et saint Luc vécurent également les premiers âges du christianisme. Tous quatre furent en un mot des contemporains du Christ et cependant de telles contradictions fondamentales se glissent dans leur relation de la vie de Jésus qu’il est impossible que les évangiles canoniques soient écrits par des hommes ayant vécu, vu, partagé la vie de l’ « Homme Dieu ».
Du reste, jusqu’au troisième siècle, les dits évangiles furent non seulement méconnus mais inconnus et nous pensons qu’il est plus sage de croire qu’ils furent composés d’anecdotes recueillies par des théologiens de la fin du deuxième siècle de notre ère et qu’on les attribua à des contemporains du Christ pour leur donner plus de force.
S’il n’est d’aucune importance historique de rechercher et de connaître la généalogie de Jésus, au point de vue religieux c’est d’une importance primordiale, si Jésus est le Messie, « promis depuis des siècles par les prophètes ». C’est sur ce point que repose toute la religion chrétienne.
En effet, selon les prophéties bibliques, le Messie doit descendre en lignée directe du roi David et c’est pourquoi l’évangile de saint Mathieu tout comme celui de saint Luc cherche à décrire l’ascendance de Jésus. Or, nous nous apercevons que l’évangile pèche à sa base, car les évangélistes n’ont jamais pu démontrer que Jésus descendait du roi David.
Prenons par exemple le Protévangile attribué à « Jacques, frère du Seigneur ». (Mathieu, ch. l, v. 19) au verset IX il est dit ceci :
« ... Et le grand prêtre dit à Joseph : Vous êtes choisi par le sort divin, pour prendre la vierge du seigneur en garde chez vous. Et Joseph s’en défendait disant : J’ai des fils et je suis vieux, mais elle est très jeune ; de là je crains de devenir ridicule aux enfants d’Israël ». Et au verset XIII : « Au bout de son sixième mois, voici que Joseph vient de ses ouvrages de charpentier et, entrant dans la maison, il la vit enceinte et le visage abattu : il se jeta par terre et pleura amèrement disant : De quel front regarderai-je le seigneur Dieu ? Et quelle prière ferai-je pour cette petite fille, laquelle j’ai reçue vierge du temple du Seigneur et je ne l’ai pas gardée. »
Jacques était le frère de Jésus et nous voyons par ce qui précède que Joseph n’était pas l’époux de Marie, mais simplement son gardien. Et d’abord sur ce point les évangélistes sont d’accord à reconnaître que le Christ n’a pas été conçu par Joseph mais par la Vierge Marie et le Saint-Esprit.
Or les évangélistes et plus particulièrement saint Luc et saint Mathieu font bien descendre Jésus de David et d’Abraham, mais par Joseph ; seulement, alors que Mathieu compte cinquante-deux générations d’Abraham à Jésus, Luc en trouve cinquante-six. Et de suite une question se pose, simple à notre esprit : Si Jésus est le fils de Marie et du Saint-Esprit, il ne peut être le fils de Joseph et conséquemment il ne descend pas de David ; il n’est pas le Messie. S’il est le fils de Joseph, il n’a pas été conçu par le Saint-Esprit, et Marie n’est plus vierge, et Jésus n’est plus le fils de Dieu. De ce dilemme, l’église tâche de sortir en déclarant que Marie appartenait également à la tribu de David ; mais alors, pourquoi les évangélistes se sont-ils efforcés de démontrer que Joseph descendait directement de David ? Leurs recherches étaient vaines et inutiles ? Mystère, sans doute ? Naturellement.
Les évangiles sont si peu compréhensibles à la saine raison et fourmillent de tant d’absurdités que l’Eglise a cru devoir les commenter. Pourtant les commentaires ne détruisent pas ce qui est et conséquemment ne peuvent satisfaire que les croyants aveuglés par un fanatisme étroit, ou des imbéciles. N’est-ce pas la même chose ?
Pour l’individu avide de savoir et de vérité, l’explication des évangiles, canoniques ou non, sur la naissance, la vie et la mort de Jésus est trop enfantine pour faire croire en un Dieu et en son fils ; et si toutefois le Christ a existé — ce qu’il faudrait démontrer — nous pensons, avec Voltaire, que ce fut « un paysan grossier de la Judée, un peu plus éveillé que les habitants de son canton ».
S’il nous fallait reprendre le texte des différents évangiles et les commenter à notre tour, un ouvrage de plusieurs milliers de pages n’y suffirait pas. Nous nous contenterons de signaler brièvement quelques traits et quelques épisodes de la « vie de Jésus » qui nous paraissent particulièrement insensés et qui éveillent en nous le doute sur la valeur historique que l’Eglise accorde aux évangiles.
Mathieu nous dit (chap. II, v. 14) que, peu après sa naissance, Jésus fut emmené en Egypte par Joseph et Marie, et il ajoute (chap. II, v. 23) qu’après la mort d’Hérode, le petit Dieu fut ramené à Nazareth « afin que la prédiction des prophètes fût remplie ». Il sera appelé « Nazaréen ». Or, Luc, sur ce fait, dit absolument le contraire de Mathieu et prétend que l’enfant Dieu fut mené directement à Nazareth sans passer par l’Egypte.
D’autres évangiles signalent cependant le passage du « petit Jésus » en Egypte, et l’évangile de l’Enfance nous apprend qu’il y réalisa des miracles qui soulevèrent l’admiration populaire. Un de ces miracles attire particulièrement notre attention, c’est celui signalé aux versets XX et XXI de l’Evangile de l’Enfance :
« ... Or la jeune fille disant : 0 mes dames, que ce mulet est beau ! Elles répondirent en pleurant et dirent : Ce mulet que vous voyez a été notre frère, né de notre même mère que voilà ; et notre père en mourant nous ayant laissé de grandes richesses, comme nous n’avions que ce seul frère, nous lui cherchions un mariage avantageux, désirant lui préparer des noces, suivant l’usage des hommes ; mais des femmes agitées des fureurs de la jalousie, l’ont ensorcelé à notre insu et une certaine nuit, ayant exactement fermé la porte de notre maison un peu avant l’aurore, nous vîmes que notre frère avait été changé en mulet comme vous le voyez aujourd’hui... »
« ... Alors la divine Marie touchée de leur sort, ayant pris le seigneur Jésus, le mit sur le dos du mulet, et dit à son fils : Hé ! Jésus-Christ, guérissez ce mulet par votre rare puissance et rendez-lui la forme humaine et raisonnable telle qu’il l’a eue auparavant. A peine cette parole fut-elle sortie de la bouche de la divine Marie, que le mulet, changé tout à coup, reprit la forme humaine, sans qu’il lui restât la moindre difformité... »
Ce miracle n’est pas le seul à l’actif de Jésus. Il en accomplit d’autres non moins fantastiques. Justement ce qui surprend, c’est qu’aucun livre de l’époque, grec, romain ou égyptien ne relate ces faits qui eussent dû, s’ils étaient véritables, avoir un retentissement formidable.
Il est vrai que l’Eglise a rejeté l’évangile de l’Enfance, mais dans les évangiles canoniques il existe des choses non moins surprenantes. Au chapitre II, Mathieu nous dit : que Jésus nourrit cinq mille hommes, sans compter les femmes et leurs enfants avec cinq pains et deux poissons, dont il resta deux pleines corbeilles, et dans le, même évangile au ch. XV, ce même Mathieu nous dit qu’ils étaient quatre mille hommes et que Jésus les nourrit avec sept pains et quelques poissons.
A quelques milliers près, il est vrai que c’est sans importance.
D’autre part, les évangélistes se signalent par leur ignorance. Saint Jean, ne prête-t-il pas à Jésus ces paroles :
« En vérité, si le grain qu’on a jeté en terre ne meurt, il reste seul ; mais quand il est mort, il porte beaucoup de fruits (Jean, chap. XII). Qu’est-ce que cela veut dire ?
Et en ce qui concerne la bonté de Jésus : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » (Mathieu, chap. X)
Et sur son honnêteté :
« Allez prendre une ânesse qui est attachée avec son ânon et si quelqu’un la trouve mauvaise, dites-lui : le maître en a besoin. » (Mathieu, chap. XXI, verset 5)
On pourrait à l’infini citer les incohérences des évangiles. Même sur la mort du Christ les évangélistes ne sont pas d’accord. Les uns prétendent qu’il est mort à trente et un ans, les autres à trente-trois. Or, d’après certains épisodes de sa vie, relatée par les évangiles canoniques, Jésus aurait vécu près de cinquante ans.
En effet, l’Evangile selon saint Jean fait dire à Jésus : « Votre frère Abraham a été exalté pour voir mes jours ; il les a vus et il s’en est bien réjoui » ; et les Juifs lui répondirent :
« Es-tu fou ? tu n’as pas encore cinquante ans, et tu te vantes d’avoir vu notre frère Abraham. »
Comment se peut-il qu’en notre vingtième siècle des hommes, civilisés à ce qu’on dit, puissent croire à de telles bêtises ? Il est vrai que la croyance s’en va, et que le doute a pénétré le cerveau de l’homme, il a fait de rapides progrès.
« Le « croire » et le « savoir » ne peuvent pas s’ignorer, à moins que ce ne soit en théorie, dit notre camarade Sébastien Faure ; dans la pratique, ils ne peuvent pas rester indifférents l’un à l’autre ; il est fatal qu’ils se combattent. En dépit de sa résistance acharnée, le « croire » ne peut que perdre le terrain que conquiert le « savoir » et, tôt ou tard, il succombera sous les coups que lui porte indirectement ce dernier. » (S. Faure, l’Imposture religieuse, p. 305)
Et lorsque le savoir aura triomphé nous pourrons alors tourner la dernière page des évangiles, pour ouvrir le grand livre de l’Humanité.
EVIDENCE
n. f. (du latin evidentia, même signification)
Caractère de ce qui est clair, incontestable et qui ne laisse aucun doute. Ce qui est évident. « L’évidence appartient proprement aux idées dont l’esprit aperçoit la liaison tout d’un coup » (D’Alembert). L’évidence d’une chose, l’évidence d’une vérité, l’évidence d’une conception, l’évidence d’un axiome. Mettre en évidence, c’est-à-dire mettre en lumière, mettre en relief ; de la dernière évidence, pour ce qui est certain, indiscutable, incontestable. Se rendre à l’évidence : admettre une chose, un fait. Un péril évident, c’est-à-dire qui ne peut être nié. Il est évident que, pour « il est clair que ». Il est évident que la misère humaine puise sa source dans l’exploitation de l’homme par l’homme et il est non moins évident que l’ignorance est un facteur d’asservissement social. Nous devons tous nous rendre à l’évidence que le bonheur de l’humanité est entravé par l’Autorité qui, depuis les premiers âges, préside aux destinées de la civilisation et est un continuel obstacle au progrès.
EVOLUTION
Certes, il n’y a pas d’explication de l’univers et de la nature plus simple, plus facile que celle exposée et imposée par les religions hébraïco-chrétiennes : l’origine du monde réside en la « création » par un Dieu tout puissant, des êtres et des choses sous la forme où ils se trouvaient au moment de cette conception de la « Genèse » dans l’Ancien Testament, et où d’ailleurs ils se trouvent encore de nos jours.
Par exemple, les animaux et l’homme, leur roi, furent créés de rien les quatrième, cinquième et sixième jour de la semaine laborieuse, avec leur apparence extérieure actuelle, leur organisation interne particulière, leurs attributs distincts, leur destinée individuelle rigoureuse. Le divin ouvrier n’eut pas une hésitation, n’esquissa pas de tâtonnements, ne marqua ni un arrêt ni un recul, ne commit pas une erreur. La perfection de l’auteur garantissait la précision et l’immutabilité de l’œuvre.
Cette cosmogonie et cette zoologie, pour frustes qu’elles fussent, pouvaient satisfaire l’esprit de routine et le parti-pris d’ignorance des bénéficiaires de la théocratie. Elles surprirent, puis révoltèrent les gens sagaces et réfléchis, qui constataient bien la diversité, la singularité des espèces animales, mais aussi leurs analogies et leurs affinités. Déjà, à l’époque même où s’affirmaient la foi et la loi mosaïques, vers le VIIème siècle avant J.-C., les philosophes de l’Ecole Ionienne enseignèrent la doctrine matérialiste pure : tous les organismes vivants dérivent de la matière brute par une suite de transformations ininterrompues. Et, au XVIIe siècle de notre ère, à Toulouse, Lucilio Vanini eut la langue coupée et fut brûlé à feu lent pour avoir écrit que les similitudes entre l’homme et le singe permettent de croire à une filiation directe.
Sans oser combattre ouvertement les dogmes établis, les naturalistes du XVIIIème siècle mirent en lumière les corrélations d’êtres en apparence très différents et y relevèrent une unité de plan dont ils ne voulurent pas voir la contradiction avec la théorie orthodoxe d’une mise au monde purement arbitraire d’après les desseins impénétrables d’une puissance surnaturelle. En 1759, prudent et hardi à la fois, Buffon ne craignait pas d’écrire que « en créant les animaux, l’Etre suprême n’a voulu employer qu’une idée, et la varier en même temps de toutes les manières possibles, afin que l’Homme put admirer également et la magnificence de l’exécution et la simplicité du dessein. Dans ce point de vue, non seulement l’âne et le cheval, mais l’homme, le singe, le quadrupède et tous les animaux pourraient être regardés comme ne formant que la même famille (D’après Cuénot) ».
Le créationnisme, formule rigoureuse et restrictive, implique fatalement la « fixité » des espèces, l’immutabilité de leur forme, de leurs aptitudes et de leurs fonctions dès leur apparition sur la terre jusqu’à leur disparition à époques parcellaires ou à la consommation des siècles, Or, les observateurs les moins prévenus ne manquent pas de remarquer la variabilité, l’instabilité de ces espèces réputées fixes. Au moyen de soins particuliers, d’engrais fertilisants, de nourriture intensive, par des croisements judicieux, les horticulteurs et les éleveurs parviennent à créer des races de plantes et d’animaux, dont quelques-unes, de par leurs caractères différenciés et transmissibles par hérédité, peuvent prétendre à la qualification de véritables espèces. D’autre part, dans des terrains autrefois superficiels et aujourd’hui enfouis, des investigateurs curieux découvrent des animaux et des plantes fossiles, que leurs caractères généraux, dominant les particularités propres, permettent de regarder comme les ancêtres de la faune et de la flore actuelles. Dès lors c’en était fait du dogme de la création ; et l’esprit humain, percevant les variations concomitantes dans l’espace et les variations antérieures dans le temps, y saisit la réalisation concrète d’un phénomène universel, celui de l’évolution.
Mais la contemplation de la nature et l’évocation de son passé dévoilent encore bien davantage que l’évolution subie par les espèces dans l’espace et dans le temps. L’homme s’émerveille à la variété, à la multiplicité des êtres vivants et aussi à l’intrication, à l’amalgame de leurs caractères spécifiques. Ainsi, durant son existence, la grenouille passe par deux états très distincts et même diamétralement opposés : au stade têtard, elle appartient à la classe des poissons, possède branchie et nageoire caudale, mène la vie exclusivement aquatique ; à l’âge adulte, elle perd ses organes ichtyoïdes, acquiert des poumons et des pattes, passe à l’habitat terrestre, se range dans la classe des amphibiens. Un mammifère comme la baleine peuple la mer. La chauve-souris est un mammifère qui vole ; le pingouin, un oiseau aquatique. Les poissons comptent des espèces aptes au vol, d’autres rampent sur terre et se nourrissent de graines. Enfin les singes s’étiquettent anthropoïdes à cause des affinités étonnantes qu’ils présentent avec l’homme. Il y a donc dans le monde visible non seulement passage des espèces d’une forme primitive à une actuelle de plus haute complexité, mais encore dérivation les unes des autres des espèces aux apparences les plus disparates, transformation d’une classe animale en une autre. Le phénomène d’évolution engendre une conception nouvelle : le transformisme.
Ce que l’intuition révéla d’une manière confuse aux philosophes de l’antiquité, ce qu’une inspection sommaire des êtres et des choses de la terre manifeste à un simple naturaliste amateur, la science le démontre avec une ampleur et une force admirables, prises dans l’anatomie, la paléontologie et l’embryogénie.
Tout d’abord l’étude de l’anatomie et de la physiologie de l’homme et des animaux accuse une telle similitude dans leur organisation générale, qu’elle entraîne la conviction d’une « unité de plan de composition » et par conséquent d’une « unité d’origine ». L’immense embranchement des vertébrés, avec ses cinq classes : poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux, mammifères, présente une foule de caractères particuliers, base de leur classification ; mais leur structure intime reste semblable. Avec des fonctions parfois différentes, leurs organes apparaissent identiques, situés à la même place dans le corps, avec, entre eux, des rapports uniformes : « Un organe est plutôt altéré, atrophié, anéanti que transposé (Principe des connexions : Geoffroy SaintHilaire) ». Un exemple classique et frappant compare et superpose l’aile de l’oiseau et le membre antérieur de l’homme, caractérise le processus de développement : une forme primitive ; puis, variation individuelle transmise par l’hérédité et accentuée à chaque génération, jusqu’à une forme d’apparence nouvelle avec une constitution interne toujours analogues : évolution et transformisme.
Comment le créationnisme expliquerait-il la présence chez certains groupes zoologiques, d’organes rudimentaires inutiles, comme les deux doigts latéraux complets mais trop courts des porcins ; ou au contraire l’accroissement gigantesque, jusqu’au préjudice personnel, d’appareils encombrants, tels que les bois excessifs de poids, de ramification et d’envergure de divers cervidés, élans et rennes ? S’il implique la « fixité » des espèces, il a aussi pour corollaire la « finalité »dans leur réalisation, l’agencement harmonique des organes et des fonctions en vue d’un but précis, dans le sens d’un avantage ou d’un agrément. Car, sans conteste, l’œuvre divine ne souffre par essence aucune imperfection, n’abandonne rien à l’effet du hasard. A l’opposite, ces anomalies se comprennent lorsqu’on y distingue des changements régressifs ou progressifs déterminés par des facteurs en eux-mêmes indifférents mais caractérisés par leurs résultats bons ou mauvais, ces changements se produisant au cours de plusieurs générations successives par gradation parfois légère mais toujours sensible depuis le modèle primitif jusqu’au type évolué.
D’ailleurs, à l’époque contemporaine, on retrouve et les formes intermédiaires entre les espèces les plus éloignées et des séries complètes entre les individus les plus différenciés d’une même espèce. Les lézards, sauriens à pattes, placés au trait d’union entre les amphibiens et les reptiles, offrent une variété à pattes rudimentaires et se mouvant uniquement par reptation ; les orvets ne possèdent plus de membres apparents mais en portent les os cachés dans le corps ; enfin le serpent boa conserve seulement des traces de bassin enfouies dans ses muscles. Dans l’espace si restreint du globe terrestre, il coexiste des amphioxus, maillon d’attache entre les invertébrés et les vertébrés, des poissons, des batraciens, des reptiles et des mammifères, extrémité proche de la chaîne ininterrompue des êtres. Chez les ruminants on suit toute la filière de la disparition des doigts latéraux depuis le hyœmoschus jusqu’à la brebis.
Les fonctions physiologiques générales parcourent un, processus de développement aboutissant à une complexité et à une précision plus grandes, favorables à la survivance des bénéficiaires et à leur extension géographique. Ainsi en est-il de la régulation de la température du corps : nulle ou imparfaite chez les poissons, amphibiens et reptiles, animaux dits à sang froid, elle se constitue et se perfectionne chez les oiseaux et les mammifères, animaux dits à sang chaud, affranchis de la nécessité de vivre dans un milieu de degré thermométrique à peu près constant et capables de supporter sans encombre mortel les rigueurs de l’été comme celles de l’hiver. Le mode de perpétuation de l’espèce retrace une marche parallèle dans sa progression allant de l’oviparité des poissons à la viviparité des mammifères. Les premiers pondent des centaines d’œufs abandonnés pour l’éclosion aux hasards de l’ambiance, et n’assurent leur pérennité que par la multiplicité de leur ovulation. Les oiseaux pondent des œufs peu nombreux, mais assurent leur éclosion par une couvaison assidue quoique soumise encore à bien des vicissitudes extérieures. Enfin les mammifères pondent en dedans d’eux-mêmes, couvent le produit de la conception dans leur propre corps et ne les mettent au jour que dans un état complet de développement. Un ordre de mammifères, les marsupiaux, se trouvent dans un stade intermédiaire : ils font des petits incomplètement formés et les insèrent dans une poche abdominale jusqu’à leur achèvement parfait.
Dès lors, puisque l’évolution se définit un phénomène continu, comment ne trouve-t-on que si peu d’exemples de transition et de séries zoologiques entières, et encore dont la plupart appartiennent aux mollusques, aux crustacés, aux insectes ? Que sont devenues les innombrables formes de passage des reptiles aux singes et aux hommes ? Elles disparurent sans laisser de traces connues à ce jour, parce que probablement, mal desservies par quelque point de leur structure externe ou interne, elles ne résistèrent pas comme les types plus évolués et préservés par leurs variations mêmes. D’autre part, sous nos yeux, l’homme se montre le très grand destructeur d’espèces animales dont une multitude sont ainsi perdues à jamais. Il a pu exercer cette activité néfaste contre ses prédécesseurs plus ou moins immédiats. Enfin, délivrée des doctrines scolastiques, la science biologique n’en est qu’à ses premiers balbutiements ; aux notions déjà connues et bien établies combien n’en ajoutera-t-elle pas d’autres ?
Déjà l’étude des animaux fossiles, ou « paléontologie » fournit une riche moisson d’observations positives. Beaucoup de formes intermédiaires, éteintes aujourd’hui, sont découvertes dans les diverses couches géologiques conservatrices de leurs squelettes ou carapaces. C’est ainsi qu’il a été possible de retrouver l’archæoptéryx, le ptérodactyle, des oiseaux à dents, types de passage entre les reptiles et les oiseaux ; de reconstituer en totalité la lignée ancestrale des chevaux et des éléphants. Cependant, le nombre des fossiles aujourd’hui connus, parait infime à côté de celui des groupes zoologiques évanouis sans laisser de vestiges. Mais, outre que les êtres à corps mou ne produisent ni ossements ni empreintes, tous les terrains ne sont pas également aptes à la fossilisation, qui exige une somme de conditions physiques, chimiques, thermiques difficile à rencontrer. Par ailleurs, les espèces les plus capables de variation, de développement et par conséquent d’extension couvrirent une aire énorme de dispersion ; leurs débris subterrestres se répartissent sur un territoire immense. Et à peine si les biologistes géologues ont prospecté quelques kilomètres carrés.
Quant à la rareté des documents fossiles humains, le biologiste américain Dr George A. Dorsey l’évoque de très heureuse façon :
« A moins d’être bien protégé ou d’être déposé soit dans des pays sans pluie comme le Pérou et l’Egypte, soit dans ce frigorifique qu’est le sol arctique, le corps succombe bien vite aux attaques des bactéries de la pourriture ou aux dents des loups et des hyènes. Pour que les os et autres tissus soient remplacés par des minéraux qui les pétrifient ou les fossilisent, il faut tout un ensemble de circonstances. Plus sage est l’animal, moins il y a de probabilités qu’il se laisse prendre dans les sables mouvants ou entraîner par le gravier et les boues des fleuves. L’homme primitif n’était pas plus enthousiaste que nous de se faire enterrer vivant. » (Dr A. Dorsey : « Why we behave like Human Beings »)
La distribution des fossiles dans les couches géologiques s’avère mathématiquement liée à l’âge des terrains ; et la même classe d’animaux peuple les gisements d’une même époque. Les couches anciennes montrent des poissons ; les moyennes, des amphibies, des reptiles et des oiseaux ; les plus récentes des mammifères. Chaque ère géologique se caractérise par une faune et une flore déterminées, offrant ainsi la preuve de la sériation des espèces, depuis la période primaire jusqu’aux temps modernes s’il n’y a pas de fossiles dans les terrains plus anciens, antérieurs au primaire, c’est que les êtres primitifs, unicellulaires ou paucicellulaires pour la plupart, ne possédaient pas une organisation assez forte pour supporter la température élevée des roches profondes et la formidable pression exercée par les couches supérieures.
La corrélation entre le genre de fossiles et l’assise qui le contient présente une telle constance qu’elle sert à son tour à identifier les terrains et à reconnaître les couches contemporaines dans les diverses contrées du globe. Dans le tableau de l’évolution de la terre, la paléontologie illustre la statégraphie.
L’apparition de formes nouvelles à chaque âge de la préhistoire est tout à fait incompatible avec la version d’une création unique. Aussi quelque adeptes de cette doctrine théologique allèrent-ils jusqu’à admettre vingt-sept créations successives. Pareille concession ne satisfait cependant pas l’esprit critique, car elle ne suffit pas à expliquer cette circonstance, que chaque assise d’une même période renferme quelquefois des espèces distinctes quoique de parenté évidente. Seule l’hypothèse d’une création continue serait soutenable, si elle ne se trouvait pas absurde par définition : une création continue est, ni plus ni moins, une évolution. De la masse variée de ses animaux pétrifiés, le monde souterrain écrase le créationnisme et atteste le magnifique phénomène de l’évolution.
Un troisième faisceau de preuves transformistes est fourni par l’ « embryogénie », ou étude des états successifs de développement parcourus par tout être vivant durant sa vie d’embryon, depuis la fécondation de son œuf originel jusqu’à sa formation complète et définitive. Souvent ce développement se montre progressif, consiste en l’apparition et la croissance régulière des tissus et appareils du sujet parfait. Mais un certain nombre d’embryons acquièrent à un moment donné des organes qui disparaissent ensuite et n’existent pas chez l’adulte. D’autres, surtout des invertébrés, atteignent un stade déterminé et normal de larve, après lequel ils subissent une refonte brusque de l’organisme, une métamorphose régressive qui leur impose une structure définitive inférieure à celle de leur forme larvaire. L’observation révèle que les organes transitoires et les transformations subites des embryons reproduisent des organes et des formes présentés par des espèces voisines et parentes, vivantes ou éteintes, suivant ce que l’on a appelé la LOI DE PATROGONIE :
« Dans son développement embryogénique, tout individu revêt successivement les diverses formes par lesquelles a passé son espèce pour arriver à son état actuel. »
Néanmoins, malgré ses allures lapidaires, cet énoncé biogénétique contient une valeur d’indication et non d’expression absolue. De toute évidence, pour parcourir un à un tous les cycles ancestraux, l’embryon prolongerait son existence pendant un chiffre d’années équivalent à celui des siècles d’évolution progressive. Plus simplement, il réalise en un raccourci saisissant les principales étapes du cycle évolutif, en esquissant quelques-unes, en brûlant d’autres. L’embryon humain possède, à intervalles échelonnés, une notocorde comme les amphioxus, un cœur tubuleux à deux cavités comme les poissons, des pentes brachiales comme les amphibiens, mais sans avoir jamais l’organisation intégrale, d’un amphioxus, d’un poisson, d’un amphibien. Il n’en est pas moins vrai que, en son embryogénie fragmentaire, il reconstitue la série biologique déjà délimitée par l’anatomie comparée et la paléontologie. De ce fait que l’étude scientifique a retrouvé dans les embryons des mammifères quelques-unes des particularités déjà relevées dans les embryons des invertébrés, des poissons, des amphibiens et des reptiles, il est légitime de conclure à une filiation de ces classes et de leurs espèces.
La métamorphose du têtard-poisson en grenouille amphibien vient encore à l’appui de la thèse embryogénique. Tout aussi suggestive se montre l’histoire naturelle de l’ascidie, appelée vulgairement outre de mer, petit animal fixé, considéré comme un mollusque jusqu’au jour de la découverte de sa larve libre, organisée comme un vertébré avec une corde dorsale et un système nerveux mais subissant une métamorphose régressive dès l’instant de sa fixation.
Qui douterait, après ces exemples et cent autres, de la force de la thèse évolutionniste, affirmant la constance profonde et la continuité parfaite de la matière vivante organisée sous des apparences dissemblables ? A l’exception de quelques tardigrades entêtés de théisme, les savants du monde entier s’accordent à reconnaître la réalité du transformisme.
La conception des causes et facteurs de l’évolution ne soulève pas la même unanimité.
Les tout premiers évolutionnistes, Buffon, Geoffroy Saint-Hilaire, invoquaient surtout l’influence du milieu. La chaleur, le froid, le soleil, la sécheresse, l’humidité, ensemble de conditions extérieures changeantes par nature, exercent une action permanente mais variable sur les organismes qui doivent à leur tour se modifier pour y réagir efficacement et ne pas disparaître.
A ces causes de variation Lamarck en ajoute d’autres : le régime, ou manière générale dont se comporte l’être vivant pour sa nutrition, sa croissance et sa reproduction ; les habitudes qu’il contracte pour satisfaire aux besoins nécessités par le régime : le développement des organes le plus souvent employés ; et au contraire l’atrophie de ceux restant inutilisés (première loi de Lamarck : loi de l’usage et de la désuétude ou loi d’adaptation). Si le régime, les habitudes subissent des changements, ceux-ci retentissent sur l’individu et le transforment dans une ou plusieurs de ses parties.
Ces modifications, pourvu qu’elles soient communes aux deux sexes, sont transmises par l’individu à ses descendants (deuxième loi de Lamarck : loi d’hérédité). Continuant à agir sur la série des générations successives soit dans le sens de l’augmentation soit dans le sens de la diminution, elles arrivent à former des organes nouveaux adaptés à des fonctions déterminées et à supprimer les organes inutiles. Il s’est créé une nouvelle espèce d’individus.
Ainsi donc, pour Lamarck et ses adeptes le milieu, le régime, les adaptations imposent les variations. L’hérédité les transmet, les amplifie, puis les fixe temporairement ; elle commande l’évolution.
S’inspirant de la sélection artificielle communément pratiquée par les éleveurs, Darwin expose des vues très différentes. Pour lui, les variations apparaissent chez l’individu sans raison apparente. Si elles le rendent plus fort, plus leste, plus habile ou moins visible à ses ennemis, elles l’avantagent dans la lutte vitale, nécessitée par la disproportion entre la quantité des aliments augmentant en progression arithmétique 1, 2, 3, et le nombre des consommateurs croissant en progression géométrique 1, 2, 4, 8, (loi de Malthus, dont Darwin se réclame) ; elles améliorent aussi sa capacité de résistance aux conditions plus ou moins défavorables du milieu. Les concurrents les meilleurs éliminent ou détruisent leurs congénères, échappent aux agents extérieurs ou étrangers de destruction : climat, parasites, espèces venimeuses, et seuls survivent et se reproduisent, transmettant par hérédité leurs caractères particuliers, dont l’accentuation par les générations successives délimite une espèce nouvelle. Telle se manifeste la sélection naturelle.
En outre, dans un groupe déjà marqué par la vigueur de ses constituants, les mâles remarquables par leur puissance ou leurs attraits s’approprient les femelles de choix. Les qualités reproductives se fixent dans la descendance. La sélection sexuelle s’ajoute à la sélection naturelle, pour utiliser des variations fortuites et assurer l’évolution. Mais celle-ci reste surtout subordonnée à la lutte implacable pour les moyens d’existence entre individus de différentes espèces voisines et aussi de même espèce. La vie n’est qu’un perpétuel combat, où les plus forts triomphent.
Si l’évolutionnisme et le transformisme s’imposent par la seule contemplation de la nature, leur explication ne constitue par un dogme à opposer au créationnisme. Et les objections ne manquent pas au lamarckisme comme au darwinisme. Cependant, par ses suggestives intuitions, Lamarck aura eu le mérite de bien poser le problème. En procédant scientifiquement par l’observation et l’induction, Darwin indiqua et précisa la meilleure méthode : l’étude des phénomènes actuels renseigne sur les choses du passé ; aujourd’hui est le fils d’hier et le père de demain ; les enfants ressemblent aux parents. On est donc en droit de conclure du présent au passé.
Tout de suite apparaît prépondérante l’influence du milieu avec ses composants : la terre, la mer, l’atmosphère, la température, le magnétisme, les climats, les saisons, la lumière. Après l’avoir niée, quant à ses effets sur les variations, Darwin lui-même arrive à l’admettre :
« L’homme expose, sans en avoir l’intention, les êtres organisés à de nouvelles conditions d’existence et des variations en résultent ; or des changements analogues peuvent, doivent même, se présenter à l’état de nature. » (Darwin : « Origine des Espèces », édition française Schleicher, page 85)
Les exemples abondent et les éleveurs en fournissent par milliers. L’expérimentation scientifique apporte ses preuves : ainsi les grandes différences constatées entre les truites de mer, les truites de lac et les truites de ruisseau sont dues à la seule influence du milieu ; une truite de lac se réadapte à la vie marine en prenant toutes les apparences de la truite de mer et vice-versa. Le froid et le chaud agissent puissamment sur la peau des animaux : dans nos climats, les mammifères à poil ras des régions tropicales se couvrent pendant l’hiver d’une bourre laineuse ; à l’inverse un climat chaud fait tomber les poils des chevaux et des chiens. La durée de la vie larvaire des grenouilles est de trois mois environ dans les conditions ordinaires de nourriture et de température ; en les alimentant peu dans de l’eau froide on arrive à faire persister le stade têtard pendant un à trois ans. Les changements saisonniers influent sur la couleur du pelage de certains animaux ; le lièvre variable du nord de l’Europe, brun en été, devient blanc en hiver. Dans les climats extrêmes se manifestent les phénomènes d’hibernation et d’estivation, durant lesquels la vie se ralentit, se suspend même pour quelques espèces, marmotte par exemple.
L’action de la lumière tombe sous l’évidence en colorant ou décolorant les individus qui y sont exposés ou soustraits.
L’alimentation exerce un pouvoir considérable sur le développement et les variations des individus. La fécondité croît avec la nourriture et les animaux domestiques se reproduisent beaucoup plus que leurs congénères sauvages : la cane sauvage pond douze à dix-huit œufs par an, la cane domestique quatre-vingts à cent. En Virginie les porcs blancs, mais non les noirs, qui mangent de la racine d’une amaryllidacée, ont les os colorés en rouge et perdent leurs sabots. Les larves de grenouilles nourries au corps thyroïde deviennent des grenouilles pygmées, de la dimension de mouches. Tous les éleveurs savent que, pour améliorer une race domestique, il faut commencer par amender et fertiliser le sol où elle pacage.
Mais ce que ne peuvent expliquer ni la différence des milieux, ni les changements de température, ni la quantité de lumière, ni le genre de l’alimentation, ce sont les formations purement ornementales sans aucune portée utilitaire, telles que les décorations complexes, les bigarrures si diverses, les expansions tégumentaires si esthétiques des coquillages, des insectes, des oiseaux, des mammifères. Dans ces cas, le sens de l’évolution se trouve fonction de causes fortuites ou du moins jusqu’ici inconnues.
La loi lamarckienne de l’usage et du non-usage semble, au premier abord, reposer sur des bases indiscutables. En effet, on voit chaque jour les organes viscéraux ou musculaires s’atrophier ou s’hypertrophier suivant l’arrêt ou au contraire l’exercice intensif de leur fonctionnement ; et personne n’ignore les résultats de l’entrainement progressif sur la physiologie des organismes. Et cependant bien des formations tout à fait inutilisées ne disparaissent pas ; beaucoup d’oiseaux ne volent plus et conservent leur empennage complet. Les mutilations pratiquées parles éleveurs, les caractères acquis par les individus sélectionnés et entraînés ne se transmettent pas par l’hérédité, ou dans une si infime proportion que tout autre cause fortuite paraîtrait pouvoir amener la même conséquence. Les naïvetés des premiers évolutionnistes prêtent à rire, et nul ne croit plus que la longueur du cou de la girafe a été obtenue par l’effort héréditaire de ses ancêtres vers une pâture haut placée. A l’inverse, les animaux de basse-cour ont perdu par la domestication l’habitude de voler mais non l’aptitude, puisque parfois une oie domestique prend son essor et va rejoindre une bande d’émigrants de passage (Cuénot).
D’autre part, maints organes : cornes, panaches, ramure, barbe, chevelure ne sont d’aucun usage et persistent indéfiniment, souvent même grandissent. Là encore le transformisme se constate mais ne comporte aucune explication valable dans tous les cas.
L’insuffisance démonstrative de ces interprétations naturalistes et les méthodes de sélection employées par les éleveurs incitèrent Darwin à édifier sa théorie de la sélection naturelle sur la lutte pour l’existence. Pourtant, cette conception n’échappe pas davantage à la critique. Tout d’abord, en prenant l’expression « combat pour la vie » dans son sens large, métaphorique, comme le veut Darwin lui-même (loc. citato, p. 68), dans le sens d’une adaptation générale aux conditions de l’ambiance, on répète simplement sans une autre forme l’opinion déjà émise par Buffon, Geoffroy Saint-Hilaire et Lamarck sur l’influence du milieu cosmique et de l’alimentation. D’autre part, si, s’autorisant de quelques observations sur le monde animal actuel, Darwin a écrit que « la lutte pour l’existence est plus acharnée quand elle a lieu entre des individus et des variétés appartenant à la même espèce (loc. citato, p. 82) », il ne s’ensuit pas que ce facteur d’évolution ait agi dans les débuts de la vie animale sur le globe. A ce moment-là, au contraire, la bataille pour les subsistances ne pouvait se produire à cause de l’abondance de la nourriture ; les végétaux ont apparu bien avant les animaux, puisque ceux-ci, incapables de puiser leurs aliments dans l’air ou dans le sol, devaient consommer ceux-là qui seuls accomplissaient les synthèses nécessaires à la transformation des éléments minéraux en matière organique. A l’aurore des temps préhistoriques, les individus et groupes zoologiques étaient herbivores ; et lorsqu’une région était rasée de toutes ses plantes comestibles, la lutte pour le maintien de l’existence se traduisait non par d’inutiles guerres de destruction entre les affamés, mais par une émigration en masse vers les territoires neufs et inoccupés. Cette dispersion sur d’énormes aires géographiques participa puissamment à l’évolution, en amenant les espèces à une adaptation à des milieux nouveaux. Aussi la prépondérance numérique appartient aux herbivores, qui sont troupeaux et légion à côté des quelques familles carnivores.
D’ailleurs, les éleveurs n’améliorent-ils pas les races précisément par la suppression de la plus grande partie de ce combat pour la vie, en leur fournissant une provende abondante et choisie et en les protégeant contre la compétition de leurs congénères et les perturbations nuisibles des climats et des saisons ? Et ici apparaît un facteur d’évolution, entrevu mais négligé par Darwin : l’association pour la vie, dont la domestication est une forme intéressée, créée par et pour l’homme. Il appartenait à Pierre Kropotkine, cette grande figure de l’anarchie, de restituer son immense valeur à la solidarité animale, soutien de la vie sur le globe, et de l’étudier d’une façon magistrale dans son ouvrage intitulé : « L’Entr’aide, un facteur de l’évolution », dont l’introduction renferme les lignes suivantes :
« Il était nécessaire d’indiquer l’importance capitale qu’ont les habitudes sociales dans la nature et l’évolution progressive ; de prouver qu’elles assurent aux animaux une meilleure protection contre les ennemis, très souvent des facilités pour la recherche de la nourriture (provisions d’hiver, migrations, etc... ), une plus grande longévité et par conséquent une plus grande chance de développement des facultés intellectuelles. » (page 15)
L’auteur cite ensuite une multitude d’exemples d’association pour la vie, en regard des rares cas de lutte directe entre individus de la même espèce ou entre les espèces voisines citées par Darwin. L’entr’aide ne commande pas toute l’évolution, n’explique pas l’apparition des variations inutiles, ornementales, parfois néfastes ; mais elle domine de très haut la lutte pour l’existence, comme la paix domine la guerre. Les sociétés humaines, comme maintes autres sociétés animales (castors, abeilles, fourmis, termites, etc., etc... ) se fondèrent, persistent et se développent par l’exercice de la solidarité et l’usage de la domestication.
Ainsi va la vie ; elle apparaît, évolue, se transforme ; se ralentit par la lutte, accélère sa marche par l’entr’aide, s’épanouit par l’amour. Pourquoi va-t-elle et où va-t-elle ? Qu’importe ! Belle et bonne pour quelques-uns, l’effort commun peut la rendre telle pour tous. L’anarchiste, facteur d’évolution, agit et espère.
— Dr F. ELOSU
BIBLIOGRAPHIE
ANGLAS. — Depuis Darwin. 128 p., Stock, Paris, 1924. CUÉNOT. — La Genèse des espèces animales, 558 p., Alcan, Paris, 1921.
DARWIN. — L’Origine des espèces. 664 p., Schleicher, Paris.
DELAGE et GOLDSMITH. — Les théories de l’Evolution. 371 p., Flammarion, Paris, 1911.
KROPOTKINE. — L’Entr’aide. Traduction Bréal. 390 p., Hachette, Paris, 1910.
MATISSE. — Les Sciences naturelles. 160 p., Payot. Paris, 1921.
PERRIER, REMY. — Zoologie, 871 p., Masson, Paris.
EXACTION
n. f. (du latin exactio, de exigere, exiger)
L’exaction est un abus exercé au nom de l’Etat et qui consiste à faire payer un impôt, une somme, un droit qui n’est plus dû, ou supérieur à celui réellement dû. Etre coupable d’exaction. Un fonctionnaire enrichi par ses exactions. Celui qui commet une exaction est un exacteur et avec raison ce dernier terme est devenu synonyme de collecteur, percepteur.
« Des bergers qui, couverts à peine de lambeaux, gardent des moutons infiniment mieux habillés qu’eux, et qui payent à un exacteur la moitié des gages chétifs qu’ils recouvrent de leurs maîtres » (Voltaire). Les choses ont peu changé depuis Voltaire et les hauts fonctionnaires de l’Etat ne commettent-ils pas de véritables exactions en faisant retomber sur les miséreux tout le poids des impôts et des taxes, dont le produit sert uniquement à satisfaire les appétits de tous les parasites sociaux ?
Le règne de l’argent donne inévitablement naissance à une foule d’exactions, et c’est pourquoi à notre sens l’exaction n’est pas un abus, mais une action normale, inhérente à une société qui repose sur le capitalisme.
Ce n’est qu’en nous libérant du capitalisme, que nous nous libèrerons de tout ce qui en découle et qu’une société égalitaire mettra fin aux multiples exactions dont nous sommes victimes.
EXAMEN
n. m.
Action d’examiner, de rechercher, d’observer. Se livrer à des investigations. Subir une épreuve : passer un examen ; les examens du brevet ; subir un examen de bachelier-ès-science. Faire son propre examen, c’est-à-dire examiner sincèrement et attentivement sa propre conduite. Dans le langage de l’Eglise, faire son examen de conscience signifie se préparer à la confession.
En philosophie, le libre examen est la faculté que possède chaque individu de n’accepter comme vérité que ce qu’admet sa raison et son expérience. Faut-il dire que cette faculté est troublée par une quantité de facteurs intérieurs qui empêchent l’individu de contrôler les phénomènes et les faits qui le frappent, de façon raisonnable ? Il en résulte que ce qu’il admet comme vérité n’est souvent qu’une stupéfiante erreur.
A la brutalité de la vie, la faculté d’observation de l’homme se développe cependant et l’examen historique de la vie sociale efface petit à petit toutes les erreurs accumulées à travers les siècles.
L’évolution des sociétés n’est que la résultante de l’examen des divers phénomènes scientifiques, économiques et sociaux, et lorsque le peuple, par l’éducation, arrivera à examiner sainement la place qu’il occupe et celle qu’il devrait occuper, les classes disparaîtront pour donner le jour à une association d’hommes libres dans une société libre.
EXCITATION
n. f. (du latin excitatio, même sens)
Action d’exciter, d’émouvoir, d’entraîner, d’animer, d’encourager. Excitation à la haine, au mépris ; excitation au courage ; excitation à l’étude ; excitation à la révolte, au pillage ; excitation au vol, au meurtre, etc., etc... L’excitation à la révolte est un crime puni par tous les gouvernements et cela n’a rien de surprenant ; ce qui l’est, c’est de punir pour excitation au vol ou au meurtre les militants révolutionnaires qui propagent leurs idées d’émancipation. Est-ce que l’étalage que la bourgeoisie fait de son luxe n’est pas la première des excitations au pillage ? Est-ce que la guerre n’est pas en soi une excitation au meurtre, au viol et à l’assassinat ? La bourgeoisie n’est-elle pas uniquement responsable de l’excitation qui s’empare périodiquement de l’esprit populaire et qui fait déborder le travailleur des cadres de la légalité ?
Certes l’arbitraire, l’inégalité, la misère, la pauvreté, sont des facteurs d’excitation à la haine, et il est normal que ceux qui ont compris qu’une autre forme de société permettrait à chacun de vivre selon ses besoins et de produire selon ses forces, initient les profanes à leurs espérances, à leurs rêves d’avenir, et qu’ils les excitent au courage pour lutter contre un monde infect qui n’a que trop duré. De l’excitation populaire naîtra la Révolution et de la Révolution une société harmonique.
EXCLUSION
n. f. (du latin exclusio, même signification)
Action d’exclure ; de mettre hors. L’exclusion d’un membre d’une association. Réclamer l’exclusion d’un candidat. Exclusion de l’armée. L’exclusion de l’armée est consécutive à une condamnation « infamante ». « Sont exclus de l’armée, mais mis à la disposition des ministres de la guerre ou des colonies, les individus condamnés à une peine afflictive ou infamante, certaines catégories de condamnés en police correctionnelle, les relégués » (Larousse). Si, aux yeux de la bourgeoisie, l’exclusion de l’armée est considérée comme infamante, nous ne partageons pas ce point de vue ; nous savons que les exclus de l’armée ne sont pas toujours des voleurs et des criminels, mais souvent des individus dont les opinions avancées, jugées subversives, les firent considérer comme indésirables sous les drapeaux. Bien plus infamante, à notre avis, est l’exclusion que l’on est obligé de prononcer, dans les organisations d’avant-garde, contre des « camarades » trahissant la cause commune. Il n’y a rien d’étonnant à ce que ce fait se produise. Les organisations révolutionnaires sont la terreur de la bourgeoisie, et cette dernière y glisse de ses agents afin d’être renseignée sur l’activité desdites organisations. L’exclusion de ces agents s’impose sitôt que l’on s’aperçoit de leur présence. L’exclusion des brebis galeuses, loin d’affaiblir un parti ou une organisation, lui donne plus de force et plus de puissance, car il est préférable d’être peu et unis, que d’être nombreux et divisés.
EXCOMMUNICATION
n. f.
Censure ecclésiastique qui a pour objet de retrancher de la communion et de l’usage des sacrements, les pécheurs et les hérétiques. L’excommunication peut être, dans l’Eglise catholique, prononcée par l’évêque dans son diocèse, l’abbé dans sa juridiction et par le pape et les conciles généraux dans toute l’Eglise. Dans la religion protestante, ainsi que dans la religion juive c’est le consistoire qui prononce l’excommunication. De nos jours cet acte a peu d’importance dans les pays occidentaux qui ont été touchés par les progrès de la science et de la philosophie, mais il fut un temps où l’excommunication était une arme terrible entre les mains des princes de l’Eglise. Il était interdit à tout chrétien d’avoir des rapports et des relations avec un excommunié et à une époque où le préjugé populaire faisait la puissance de la religion, le peuple se gardait d’enfreindre les arrêts de l’Eglise. Comme bien on pense, ceux que l’Eglise a de tous temps appelés des pécheurs et des hérétiques étaient généralement des savants qui ne voulaient pas accepter un dogme intangible et cruel ; en les excommuniant on éloignait d’eux le peuple.
« Dans le bon vieux temps, dit Billaut, l’excommunication était une arme si terrible qu’on la regardait comme pire que la mort ; ainsi, l’on excommuniait un laïque qui avait tué un ecclésiastique, et l’on punissait de mort l’assassin d’une personne qui n’appartenait pas à l’Eglise. »
EXIL
Quand un individu gêne dans son pays d’origine, l’autorité l’en expulse : le voilà en exil. D’aucuns s’exilent volontairement, soit qu’ils préfèrent voyager que de subir les conséquences de leur insoumission économique ou militaire, soit qu’ils ne se trouvent plus en sécurité dans leur pays (Voir : insoumis).
Théoriquement, il n’y a pas d’exil pour l’anarchiste, comme d’ailleurs pour tout internationaliste conséquent. La patrie, c’est le pays où l’on est bien : mettant à profit ce proverbe il s’expatrie quand c’est nécessaire, risque l’expulsion quand les nécessités de l’action l’y exposent. Ces déductions théoriques font que nombre de personnes s’exilent et déchantent bientôt. Le premier danger de l’exil, c’est la suggestion qui porte à désirer le retour au pays dès que cela devient impossible. Les objections de la famille, des amis plus ou moins intéressés, reviennent alors à l’esprit ; romantisme aidant, on s’aperçoit qu’on est très malheureux. La plupart des insoumis au service militaire tombent dans ce premier combat ; la porte leur restant ouverte — à condition de se soumettre — ils rentrent bientôt au bercail. Les juges ne prennent pas trop en mauvaise part leur petite fugue, qui servira de leçon à ceux qui pourraient avoir l’envie de prendre le même chemin. En général, l’exilé dispense d’ailleurs généreusement cette leçon autour de lui, pour des motifs trop faciles à comprendre.
Quant à ceux qui « continuent », les voilà aux prises avec toutes sortes de difficultés. Gagner son pain n’est pas chose facile — surtout pour les intellectuels -dans un pays dont on ignore la langue. Tout le monde n’est pas capable de s’assimiler une langue rapidement : la difficulté de s’exprimer et de comprendre provoque un ralentissement de la vie intellectuelle et affective, car la lecture et la correspondance ne suppléent pas à tout, et le « cafard » vient, mord... et un deuxième contingent des exilés rend les armes, prêt à reconnaître qu’ « il y a tout de même quelque chose de vrai dans ces histoires de patrie ».
Les survivants n’auront plus qu’à se faire au climat de leur pays d’adoption, à ses mœurs — moralité publique, vêtements, cuisine ! — à se soumettre aux exigences du nouveau milieu en y laissant le moins possible de soi-même. La police guette ; elle surveille le courrier, fourre le nez dans la correspondance, menace par les journaux subversifs. Les familiers se méfient : — « Qu’at-il fait dans son pays ? — Pourquoi est-il ici ? » ; le patron se fait fort de vous faire coffrer et expulser en cinq sec si vous bronchez... « S’exiler pour échapper à Némésis ou à la Caserne, et rencontrer ça, c’est un marché de dupe » raisonnent les neuf-dixièmes du dernier contingent en réintégrant ses anciennes pénates.
Naturellement, l’exilé peut être bien sage, s’être expatrié pour trouver un emploi rémunérateur, emmener sa famille et ses meubles, fréquenter beaucoup l’église et pas du tout les réunions publiques ; avoir en poche passeports et lettres de recommandation. Celui-là ne rencontrera que des difficultés de second ordre, mais ce n’est pas de lui qu’il est question...
De ce qui précède, tirons des conclusions pratiques.
Aux parents indépendants qui souhaitent et préparent le même caractère à leur progéniture, disons qu’il convient de tenir compte avec l’éventualité d’exil dans l’éducation des enfants. Mouvements révolutionnaires avortés, réaction, insoumission, ne leur donneront que trop d’occasion de s’expatrier. Beaucoup se sentent ankylosés à l’idée de faire un voyage à l’étranger : il faut les y habituer. L’étude préalable de langues, et un métier manuel aplanissent beaucoup de difficultés en cas d’exil. L’enseignement public est terriblement unilatéral ; de sa patrie, le moindre ruisseau ou coteau a de l’importance, mais on ignore tout des pays voisins : langue, industrie, mœurs, régime ; cela fait qu’on ne s’y sent pas « chez soi » : avis aux éducateurs !
Que les amis gardent leurs lettres larmoyantes : mieux vaut un mot gai, au besoin, un mandat ! S’informer du nouveau milieu de l’exilé, l’interroger sur ce qu’il observe, lui demander des chroniques pour journaux, etc... , il se verra forcer de s’extérioriser, de regarder autour de lui et finira par s’intéresser à sa nouvelle vie, échappera au découragement, à la nostalgie. Et que les amis négligents se souviennent que si, pour eux, une lettre n’a que peu d’importance dans le train de leur vie, elle est souvent pour l’exilé un événement capital.
Lorsque ses parents ne l’en ont pas pourvu, que l’exilé acquière par lui-même « l’éducation de l’exil ». Quoi de plus stupide pour celui qui ambitionne la vie rude de l’insoumis ou du militant, que de prendre par exemple un emploi aux contributions ? Ne serait-il pas plus sage d’apprendre le métier de charpentier, mieux encore : d’étudier sérieusement avant que de partir la langue et la littérature de son propre pays, afin de pouvoir l’enseigner à l’étranger ? (Voir Malato : Joyeusetés de l’exil)
Une fois à l’étranger, ne pas oublier que la « mère patrie » y entretient des espions, principalement les consuls, qui ne négligent rien pour se procurer des renseignements susceptibles de créer à l’exilé des ennuis avec les autorités. La réaction s’organise internationalement. J’aime à croire que les hommes d’action le feront bientôt à leur tour. Une vaste documentation sur les ressources matérielles et morales que présente chaque contrée (moyens de débrouillage, colonies, milieux sympathiques), des relations suivies de pays à pays permettront alors de vivre totalement en sans-patrie.
EXODE
n. m. (du grec exodes, sortie)
On donne le nom d’exode à un fort mouvement d’émigration. Ordinairement l’exode est déterminé par la misère qui règne en une contrée ou encore par la tyrannie des maîtres. Il est des exodes qui sont devenus légendaires, tel celui des Juifs qui furent conduits hors de l’Egypte par Moïse. Cette histoire de la sortie des Israélites a du reste donné son nom au second livre du Pentateuque : l’Exode.
Sous Louis XIV, à la suite de la révocation de l’Edit de Nantes, la fuite des protestants, vers une terre plus hospitalière que celle de la France, fut un véritable exode. Avant la guerre, le despotisme des tsars provoqua l’exode de milliers et de milliers de Juifs qui, pour échapper aux massacres se réfugièrent en France, en Angleterre et en Amérique. Les Irlandais soumis au joug de l’impérialisme britannique émigraient en foule également avec l’espérance de trouver une existence plus calme en d’autres contrées. De tous temps les peuples opprimés ont été contraints d’accomplir leur exode, et de nos jours encore, après la « guerre du droit et de la civilisation » qui coûta tant de vies humaines, les travailleurs italiens, espagnols, bulgares, roumains, accomplissent à leur tour leur exode pour ne pas être ensevelis sous le poids de la réaction qui les écrase.
EXORCISME
n. m. (du grec exorcismos, conjuration)
L’exorcisme est la cérémonie qui a pour but de faire sortir les démons du corps d’un possédé. Il y a deux sortes d’exorcismes : les ordinaires et les extraordinaires. Les exorcismes ordinaires sont préventifs et le baptême que l’on administre à un enfant nouveau-né, n’est en réalité qu’une sorte d’exorcisme qui a pour objet d’éloigner de lui le démon ; les exorcismes extraordinaires ont pour but de délivrer celui ou ceux qui sont déjà possédés par les démons.
La pratique de l’exorcisme remonte à la plus haute antiquité. Aux premiers âges de l’humanité, lorsque l’homme ignorant ne pouvait déterminer les causes d’un malaise ou d’une maladie, il attribuait ceux-ci à un mauvais esprit et pour l’en chasser, se livrait à des conjurations, des évocations, à certaines violences corporelles, à des exorcismes. Ces pratiques stupides et ridicules subsistent toujours et malgré les progrès de la science, l’Eglise exorcise encore à l’aide de prières, de signes de croix, etc... L’exorcisme est même codifié par l’Eglise et il est dit qu’aucun exorcisme extraordinaire ne peut être fait sans l’autorisation de l’évêque. Cela n’empêche pas que de temps à autre éclate un scandale qui nous apprend que quelques fanatiques se sont livrés à des actes de violence sur un individu parce qu’ils le croyaient possédé des démons. L’exorcisme ne disparaîtra qu’avec la foi religieuse et des préjugés qu’elle perpétue.
EXORDE
n. m. (du latin exordium, de exordire, commencer)
On appelle exorde, la première partie, l’introduction, le commencement d’un discours. Un exorde doit être simple, clair, net et précis afin de préparer favorablement le public à l’audition des discours. On peut trouver son exorde dans l’idée même du discours que l’on doit prononcer ; c’est le système le plus simple, mais c’est souvent le meilleur, surtout lorsque l’on se trouve face à face avec un auditoire que l’on ignore, et avec lequel il est inutile d’user de fleurs de rhétorique. Un bon exorde prépare un bon développement. L’exorde et la péroraison sont les deux parties les plus importantes d’un discours, car c’est d’ordinaire, l’introduction et la conclusion qui touchent plus particulièrement le public. Il y a donc intérêt pour ceux qui se livrent par la parole à une certaine propagande de soigner leurs exordes comme leurs péroraisons.
EXPERIENCE
(du latin experientia ; de experire, éprouver)
Connaissance acquise par l’épreuve personnelle que l’on a faite d’une chose, soit volontairement par l’observation et la pratique, soit involontairement, par suite des circonstances dans lesquelles on s’est trouvé placé. Le mot expérience ne sert pas seulement à désigner le résultat de l’épreuve personnelle, quant à l’augmentation des connaissances acquises, mais le moyen par lequel ce résultat a été obtenu, c’est-à-dire l’épreuve elle-même. On dit : « C’est un homme d’expérience » en parlant de quelqu’un ayant eu l’occasion de beaucoup observer et l’avantage de beaucoup retenir. Mais on dit aussi : « Le talent de ce romancier s’inspire de ses expériences amoureuses » ; ou bien encore : « Les expériences de ce savant ont justifié toutes nos suppositions ».
Les vieillards se réclament volontiers des droits que leur donne l’expérience, pour essayer d’imposer leurs opinions à autrui. C’est là une prétention excessive. D’abord, parce qu’il suffit de questionner des vieillards sur maints sujets, notamment dans les domaines de la politique et de la religion, pour constater qu’ils sont loin d’être d’accord entre eux, ce qui ne manquerait pas de se produire s’il était vrai qu’il suffît d’avoir un grand âge pour acquérir, à l’égard de toutes choses, une sorte d’infaillibilité. Ensuite, parce que l’expérience de beaucoup de personnes âgées, dont l’existence fut surtout végétative, préoccupées chaque jour d’effectuer les mêmes gestes, en relation avec les mêmes personnes, dans un décor identique, n’est en vérité qu’une expérience insuffisante, pour apprécier la vie dans sa complexité, Enfin, parce que faire valoir au cours d’une discussion, que l’on a les cheveux blancs, constitue une référence sans doute, quant au caractère sérieux des propos émis, mais ne devrait jamais dispenser une personne raisonnable de faire, avec des arguments plus positifs que celui-ci, la démonstration de ce qu’elle affirme.
On n’a pas forcément raison parce que l’on est âgé, ou parce que l’on est père de famille, ou parce que l’on a été soldat. On a raison quand on a pour soi la logique et l’observation des faits.
Sous réserves de ces remarques, il est exact que, si la jeunesse a pour elle la générosité des enthousiasmes, et le courage désintéressé, qui s’allient fréquemment à là candeur, l’âge mûr a pour lui le sens réaliste, et les prudentes méthodes suggérées par les difficultés graves que l’on rencontre dans la pratique. Encore ne faut-il point confondre ces avantages intellectuels avec la sécheresse de cœur, et l’esprit de routine, qui caractérisent tant de gens ayant traversé la vie sans voir et dont les jugements portent la marque de l’égoïsme et de l’irréflexion.
Dans le domaine scientifique, la méthode expérimentale, qui consiste dans le contrôle des idées par les faits, est la seule qui donne des résultats certains. Tant que l’on discute sur des données métaphysiques, ou d’après des convenances philosophiques personnelles, les systèmes s’affrontent sans grand profit, et l’on n’arrive point à conclure, du moins d’une manière satisfaisante pour tout le monde. La preuve par le fait évident pour quiconque ne se refuse point à ouvrir les yeux, est l’argument sans réplique. Il réduit à néant les thèses chimériques, et met un terme aux ratiocinations vaines.
C’est grâce à la méthode expérimentale, telle que la conçurent Galilée, Newton, Descartes, Claude Bernard, que la science, se dégageant des idées préconçues, nées de l’influence religieuse et des préoccupations abstraites, a donné de si merveilleux résultats, en ne s’inspirant désormais que de la libre recherche de la vérité.
Partout où elle peut s’exercer, la méthode expérimentale est, pour ce qui concerne l’enseignement, la meilleure et, en même temps, la plus honnête. Avec elle, il n’est point nécessaire, pour convaincre, de faire appel à l’autorité de la tradition, ni au témoignage des ancêtres en faveur d’une douteuse révélation. Il suffit d’inviter l’élève à se rendre compte par lui-même de la réalité des faits décrits par le livre. A l’écolier qui douterait de ceci : qu’un acide répandu sur un calcaire détermine une effervescence, il serait fâcheux de répondre : « Tu dois le croire parce que j’ai un diplôme et que je suis ton aîné ! » Il est beaucoup plus sage, et plus modeste, et plus affectueux, et plus convaincant aussi, de dire à l’enfant : « Voici du vinaigre et un morceau de craie. Verse donc sur la craie quelques gouttes de vinaigre, et décris-moi ce qui va se passer ! »
— Jean MARESTAN.
EXPIATION
n. f. (du latin expiatio, même signification)
Action d’expier ; réparation ; châtiment ; expiation d’une faute, d’un crime, d’un délit. La loi de l’expiation fut sans doute la première loi répressive qui dirigea l’humanité. Caïn, d’après la légende, expia toute sa vie par la souffrance et la douleur le meurtre d’Abel. « Dieu » était alors moins cruel que ne le sont les hommes d’aujourd’hui, car les lois de l’expiation sont devenues plus pénibles.
« L’humanité, dit M. J. M. Guyau, a presque toujours considéré la loi morale et la sanction comme inséparables : aux yeux de la plupart des moralistes, le vice appelle rationnellement à sa suite la souffrance, la vertu constitue une sorte de droit au bonheur. Aussi, l’idée de sanction a-t-elle paru jusqu’ici une des notions primitives et essentielles de toute morale. »
L’expiation, en vertu de cette loi « morale » est donc l’acte qui consiste à subir la sanction. Est-elle juste, est-elle injuste ? Est-elle simplement morale ?
« Existe-t-il, dit encore Guyau, aucune espèce de raison (en dehors des considérations sociales), pour que le plus grand criminel reçoive, à cause de son crime, une simple piqûre d’épingle, et l’homme vertueux un prix de sa vertu ? L’agent moral lui-même, en dehors des questions d’utilité et d’hygiène morales, a-t-il, à l’égard de soi, le devoir de punir pour punir, ou de récompenser pour récompenser ? »
On pourrait objecter que l’expiation ne résulte pas nécessairement de l’idée de sanction et qu’elle peut n’être que la punition naturelle de celui qui viole les lois naturelles. Ce fut l’idée de Lamennais qui déclare que :
« Une loi fatale, inexorable, nous presse ; nous ne pouvons échapper à son empire : cette loi, c’est l’expiation, axe inflexible du monde moral, sur lequel roulent toutes les destinées de l’humanité. »
Rien n’est plus faux à notre sens et c’est encore à Guyau que nous faisons appel pour détruire cette thèse.
« De même l’indigestion d’un gourmand ou l’ivresse d’un buveur n’ont dans la nature aucune espèce de caractère moral ou pénal : elles permettent simplement au patient de calculer la force de résistance que son estomac ou son cerveau peut offrir à l’influence nuisible de telle masse d’aliments ou de telle quantité d’alcool : c’est encore une équation mathématique qui se pose, plus compliquée cette fois, et qui sert à vérifier les théorèmes généraux de l’hygiène et de la physiologie. Cette force de résistance d’un estomac ou d’un cerveau variera d’ailleurs beaucoup selon les individus : notre buveur apprendra qu’il ne peut pas boire comme Socrate, et notre gourmand qu’il n’a pas l’estomac de l’empereur Maximin. Remarquons-le, jamais les conséquences naturelles d’un acte ne sont liées à l’intention qui a dicté cet acte : jetez-vous à l’eau sans savoir nager, que ce soit par dévouement ou par simple désespoir, vous serez noyé tout aussi vite. Ayez un bon estomac et pas de disposition à la goutte : vous pourrez presque impunément manger à l’excès ; au contraire, soyez dyspeptique, et vous serez condamné à souffrir sans cesse le supplice de l’inanition relative. Autre exemple : vous avez cédé à un accès d’intempérance ; vous attendez avec inquiétude la « sanction de la nature » : quelques gouttes d’une teinture médicale la détournera en changeant les termes de l’équation qui se pose dans votre organisme. La justice des choses est donc à la fois absolument inflexible au point de vue mathématique et absolument corruptible au point de vue moral. » (J. M. Guyau ; Esquisse d’une Morale sans obligation ni sanctions, pp. 183, 184)
Nous pensons donc que la loi de l’expiation n’est nullement naturelle, mais intimement liée à celle de la justice distributive, foncièrement humaine. Prenons par exemple la loi du talion, qui remonte à la plus haute antiquité, et fut la base de la législation mosaïque. Elle n’emprunte à nos yeux aucun caractère « d’expiation en soi », bien que, pour l’esprit simpliste, elle présente la forme de justice la plus logique. Pour que, moralement, il y ait expiation, il faudrait que l’expiateur reconnaisse, comprenne sa faute, son erreur, son crime. Il faudrait que cette erreur, cette faute, ce crime renferment en soi l’action primitive ; or, ce n’est pas le cas, et en dehors des cadres déterminés par une forme quelconque de société, il n’y a pas d’expiation. Tel criminel, s’il n’est pas découvert, jouira en toute quiétude du bénéfice de son forfait ; conséquemment, on peut dire que l’expiation naturelle est une simple formule et que seule, l’expiation d’ordre, de caractère social, mérite notre attention.
Si le crime ne trouve pas sa sanction dans le crime même, faut-il conclure à la nécessité d’une justice distributive ?
« C’est un devoir pour le pouvoir social, dit Lainé, de faire accomplir l’expiation dans une certaine mesure ; de là l’origine et la nécessité d’une justice pénale. »
C’est là l’avis d’un grand nombre de philosophes et de sociologues. Ce n’est pas là le nôtre. Pour admettre la nécessité d’une justice pénale, il faudrait reconnaître l’utilité sociale de l’expiation ; or, l’exemple et l’expérience sont à nos yeux suffisamment probants pour nous permettre d’affirmer qu’en aucun cas, contraindre un individu à l’expiation n’a été d’un avantage quelconque pour la collectivité. Depuis des temps immémoriaux, la « justice » accomplit son œuvre sans que s’améliore, par son action le sort des sociétés humaines. Expier un délit par quelques mois de prison n’efface pas le délit et n’empêche pas l’individu d’accomplir un nouveau forfait, sitôt que l’occasion — ou le besoin — se présente. Expier un crime par la peine de mort n’efface pas le crime, et même si l’on acceptait ce principe que l’expiation est nécessaire pour l’exemple, il serait facile de démontrer, par la statistique, que le nombre de crimes ne diminue pas en raison du châtiment infligé, mais en raison d’une évolution consécutive à des facteurs extérieurs à toute justice pénale. Non seulement l’expiation n’efface ni le délit ni le crime, mais elle les sanctifie. Les expiateurs prennent souvent une figure de héros, et le but poursuivi par les moralistes partisans de la justice distributive s’éloigne de plus en plus à mesure que s’exerce cette justice distributive. Que faire alors ? Laisser le crime s’accomplir ? Absoudre et laisser en liberté tous ceux qui, pour une cause ou pour une autre, s’attaquent à l’individu, profitent de sa faiblesse pour le voler, le piller, le tuer ?
Il est évident que si l’on accepte une société élaborée sur des principes d’autorité et de propriété, on est également obligé d’accepter le principe de l’expiation. Mais alors, loin de remédier au mal, on le perpétue. L’anarchiste, plus que tout autre peut-être, parce qu’il a conscience des possibilités de vie harmonique, a le crime en horreur. Plus que tout autre, il voudrait voir s’effacer de la surface du globe tous les méfaits qui s’y accomplissent, et qui ne sont déterminés que par l’ignorance, les vices, les tares, les travers inhérents à une société mal constituée. Aussi ne s’arrête-t-il pas simplement aux phénomènes ; il en recherche les causes, et c’est parce qu’il pense les avoir comprises qu’il dit que l’expiation ne changera jamais rien à l’ordre des choses ; mais que, pour voir disparaître tout ce qui est une source de souffrance individuelle ou sociale, il faut transformer du tout au tout cette société. Tout l’appareil judiciaire est corruptif et immoral. Etablie par une caste pour défendre une caste, inféodée à une classe de privilégiés, la « justice » est injuste ; elle le fut, et elle le sera toujours ; et si l’expiation peut emprunter un jour un caractère de justice, ce ne sera que lorsque le peuple révolté fera expier à la bourgeoisie les crimes accumulés depuis des siècles et des siècles.
EXPLICITEMENT
adv.
De façon précise ; de manière explicite ; en termes clairs et formels. Poser explicitement une question. Le mot explicitement est le contraire de implicitement. Dans un discours, dans un exposé, surtout lorsqu’on s’adresse à un public de culture rudimentaire, il est indispensable, si l’on désire être compris, de développer explicitement les idées que l’on propage. Le peuple, peu habitué aux subtilités du langage, ne comprend pas toujours les clauses, les conséquences, qui découlent implicitement d’une formule ou d’une proposition ; il faut donc, lorsqu’on s’adresse à lui, exposer ses idées et ses opinions de manière explicite et en termes qui ne permettent aucune confusion.
C’est en énonçant explicitement nos désirs, nos aspirations et nos espérances parmi la classe ouvrière, en lui démontrant de façon lumineuse les vices d’une société injuste et cruelle, que l’on arrivera à éveiller son esprit, obscurci par des siècles et des siècles de servage.
EXPLOIT
n. m.
On se sert de ce mot pour signaler une action éclatante, un fait remarquable de caractère militaire. Il s’est, hélas, de tout temps, et dès la plus lointaine antiquité, trouvé des poètes pour chanter les exploits d’hommes semant sur leur passage la misère et la mort. Notre siècle ne fait pas exception à la règle et, malgré sa prétendue civilisation, il chante les exploits des poilus de la « grande guerre du Droit », comme se chantèrent, il y a plus d’un siècle, les victoires napoléoniennes. De tels exploits conduisent l’humanité à sa ruine. Quel que soit le courage des hommes qui accomplissent des exploits guerriers, les conséquences de leur action sont néfastes et ce courage inutilement dépensé, pourrait l’être plus avantageusement à des œuvres de vie, alors qu’il ne l’est qu’à des œuvres de mort.
Malheureusement, dès son enfance, l’homme, et plus particulièrement l’homme du peuple, soumis à l’éducation de la classe bourgeoise, entend à l’école glorifier les exploits des guerriers de son pays, et il est difficile par la suite d’effacer en son esprit les traces d’une admiration inconsciente pour tout ce qui est militaire. C’est à nous, qui avons compris, d’empêcher nos petits de se laisser corrompre, et de leur démontrer que les exploits militaires ne sont que des crimes provoqués par une classe intéressée, qui spécule sur la naïveté, l’ignorance et la lâcheté humaines.
EXPLOITATION
Action par laquelle on utilise les capacités des personnes ou les ressources des choses, pour en tirer profit. Ce mot sert aussi à désigner le lieu où s’accomplissent les travaux, lorsqu’il s’agit d’arracher au sol ses richesses. L’exploitation d’une forêt consiste en la coupe des bois, pour les besoins immédiats ou pour la vente. Mais le chantier où se débitent les arbres, et s’apprêtent les expéditions, pourra être nommé aussi : l’exploitation.
Tant qu’il s’agit seulement de prendre dans la nature, pour le plus grand bien de la collectivité humaine, les métaux précieux, le charbon, et les multiples produits nécessaires à l’industrie, une exploitation n’est condamnable que lorsqu’elle aboutit au vandalisme, c’est-à-dire lorsqu’elle détruit, sans absolue nécessité, des merveilles naturelles, ou tarit, par ses stupides excès, d’abondantes sources de revenus.
Ce qui est particulièrement condamnable, et devrait disparaître de la civilisation, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme.
Elle s’est exercée, tout d’abord, durant l’antiquité, et presque jusqu’à nos jours, par le moyen de l’esclavage, qui consistait à réduire en captivité des populations vaincues, et à les faire travailler pour le compte des vainqueurs. Les esclaves appartenaient au maître comme des animaux domestiques. Il pouvait disposer d’eux selon son agrément, les châtier suivant son caprice, et n’avait à pourvoir en échange qu’à leur entretien. Puis fut instauré, au moyen âge, le servage, offrant quelques maigres garanties de sécurité aux opprimés. Avec ce régime, les paysans avaient faculté de faire fructifier pour eux-mêmes la terre appartenant au seigneur. Mais c’était à condition de lui verser, en échange, de lourdes redevances. De plus, ils étaient attachés au sol qu’ils cultivaient, et pouvaient être vendus avec lui. Le servage ne disparut totalement en France qu’avec la Révolution de 1789. Il ne fut aboli en Russie qu’en 1865 ! On en retrouve les vestiges dans cette coutume, qu’ont encore aujourd’hui les Etats, de céder, acquérir ou échanger des territoires, sans tenir compte de la volonté des populations qui les occupent.
Avec le salariat, qui est la forme moderne de l’exploitation de l’homme par l’homme, le travailleur pauvre n’a pas l’avantage de la pitance assurée qu’avaient autrefois les esclaves. Il est libre, en revanche, de changer d’emploi, de voyager, de s’établir, d’accepter ou de refuser un travail, de disposer de sa personne et de son temps, dans la mesure où ses économies le lui permettent. Cependant, il ne gagne de quoi satisfaire aux exigences de la vie qu’autant que la noblesse d’argent, qui a succédé à la noblesse d’épée et détient presque tout, a besoin de ses services. Lorsque son travail n’est pas nécessaire, lorsqu’il peut être remplacé par celui d’un animal ou d’une machine, on le congédie sans souci de savoir ce qu’il deviendra. Encore le produit de son travail ne lui est-il point payé à sa juste valeur, c’est-à-dire selon le prix de vente au consommateur, abstraction faite de quelques frais généraux. Pour son bénéfice personnel, l’employeur perçoit une plus-value, c’est-à-dire qu’il opère une majoration de prix, souvent scandaleuse, sous prétexte de dédommagement de ses risques financiers, majoration que vient aggraver la série des intermédiaires du grand et du petit commerce. De telle sorte que, lorsque les produits du travail utile reviennent sous forme d’objets de consommation à la masse de ceux qui ont peiné pour les fournir aux entreprises patronales, c’est à des tarifs tels qu’ils ne peuvent les racheter qu’en partie, abandonnant le reste à la puissance d’achat des parasites — ou tout au moins des trafiquants en surnombre — enrichis de leurs dépouilles.
La disparition définitive de l’exploitation de l’homme par l’homme suppose deux conditions primordiales : la première, c’est que l’ensemble des moyens de production : champs, usines, ateliers, mines, carrières, etc., cessant d’être la propriété d’une minorité, fasse retour à la collectivité tout entière ; la seconde, c’est que les produits du travail livrés à la consommation le soient sans qu’il y ait eu possibilité pour la spéculation de s’exercer, c’est-à-dire sans que personne ait eu la faculté, par une opération quelconque, d’en majorer les prix de revient, sauf pour ce qui concerne d’inévitables frais généraux, réduits au strict minimum par le contrôle commun.
Il est à remarquer que, ces conditions réalisées, l’exploitation de l’homme par l’homme pourrait s’exercer encore, si des dispositions importantes dans la loi, ou mieux, dans les mœurs, n’intervenaient pour en compléter l’efficacité.
Avec le collectivisme d’Etat, qui serait une généralisation du fonctionnarisme, l’exploitation de la classe ouvrière pourrait être représentée par une bureaucratie exagérément nombreuse, que les producteurs de l’industrie et des champs seraient obligés d’entretenir dans une demi-fainéantise, et sous le poids de laquelle ils pourraient bien, une fois de plus, être accablés.
Avec le communisme libertaire le plus large, et une paperasserie réduite à sa plus simple expression, l’exploitation de l’homme par l’homme aurait licence de s’exercer encore, partout où des citoyens, consommant sans mesure et ne produisant qu’avec parcimonie, obligeraient, par cela même, leurs camarades, soit à diminuer leur consommation personnelle, soit à se charger de tâches supplémentaires pour que restat assuré le bien-être commun, ce qui, même après la disparition de tout numéraire, demeureraient, quant au fond, en rapport avec ce qui se passe aujourd’hui.
Pour prévenir ces abus, il est indispensable que soit développée, par l’éducation, une conscience morale, basée sur le sentiment de la responsabilité individuelle, et le respect du bien social. Tant qu’une telle discipline, librement consentie par tous les humains, n’assurera pas sans contrainte l’harmonie de la société ; il se produira inévitablement, contre les excès individuels, des réactions plus ou moins brutales de la part de ceux qui en seront les victimes. Sous une forme quelconque, législative ou insurrectionnelle, la force, mise au service de la règle nécessaire, deviendra une fois de plus la dure mais suprême ressource de la sauvegarde publique.
— Jean MARESTAN
EXPLOITATION
Système odieux par lequel, avec l’appui de l’Etat, les possédants obtiennent de ceux qui ne possèdent pas le maximum de production pour le minimum de salaire. Tout le système économique bourgeois de la Société actuelle a pour moteur le travail des salariés, producteur de la richesse sociale dont profitent les capitalistes.
Capital et Travail, l’un dominant l’autre, aboutissent à créer deux classes bien distinctes et de plus en plus antagoniques.
Il n’y a pas de conciliation possible qui ne soit une duperie nouvelle dont les exploités sont toujours les victimes. L’exploitation ne peut cesser que par une transformation sociale opérée par les exploités en révolte, s’émancipant soudain et organisant eux-mêmes la production en s’associant pour le travail, seule valeur sociale en société libre !
— G. YVETOT.
EXPLOITEUR
n. m. (de : exploiter, verbe actif, du latin populaire : explicitare, mettre en œuvre, en valeur)
Tel est le sens qu’avait exclusivement ce verbe ; il l’a conservé, d’ailleurs, bien qu’à côté de ce sens exact il ait pris, à l’usage, un sens péjoratif.
Généralement, quand il a pour complément direct un objet inerte, comme un terrain, une mine, un outillage, exploiter signifie simplement mettre en valeur. Quand le complément direct est humain, individu ou collectivité, le mot exploiter prend un sens péjoratif et signifie exploiter parasitairement.
De même, et toujours conformément à l’usage, quand on dit de quelqu’un qu’il est l’exploitant de ceci ou de cela, ce mot garde un sens bénin, tandis que le mot exploiteur a toujours un sens malin.
C’est en prenant le mot dans son sens le plus défavorable, le plus honni, que nous nous sommes posé cette question : qu’est-ce qu’un exploiteur ?
Et nous avons trouvé cette réponse :
C’est l’homme qui tire profit du travail d’un autre homme AU PRÉJUDICE DE CELUI-CI.
On peut aussi formuler ainsi la réponse :
C’est l’homme qui profite ABUSIVEMENT du travail d’un autre homme.
Nous avons souligné au préjudice et abusivement, car on peut profiter légitimement du travail d’un autre homme.
Enfin, n’oublions pas que le mot travail, dans chacune des deux réponses, peut être remplacé par bien d’autres mots comme, par exemple, ignorance, sottise, enfin tout ce qui place un des deux contractants en état d’infériorité.
Mais, pour que dans le profit tiré du travail d’un autre il y ait exploitation, encore faut-il qu’il y ait abus, duperie ou préjudice.
Exemple : dix sauvages habitent une caverne. Ils se protègent, la nuit, en roulant à l’entrée de leur caverne une pierre fort lourde.
Aucun de ces dix hommes n’étant assez fort pour rouler la pierre, chacun a besoin, pour être protégé, du concours des neuf autres. Donc, quand chacun, la nuit venue, repose en sécurité, il tire profit du travail de ses neuf compagnons.
Et cette coopération est indiscutablement légitime. Si, parmi ces dix, se trouve un vieillard ou un infirme, il jouira encore légitimement de l’effort des neuf autres car, vieillard, il a devancé les autres dans cet effort ou d’autres quelconques, et ses camarades ont profité de ses expériences.
Il a payé antérieurement.
Infirme ? Il est probable que son infirmité a pour cause son effort dont ses camarades ont profité.
Donc, jusqu’ici, nous n’avons dans ces dix hommes que des profiteurs légitimes de l’effort des autres, du travail des autres, des expériences des autres.
Et c’est bien.
Mais voilà que, de ces dix, un compagnon plus robuste, plus fort, exerce sur ses camarades une autorité telle qu’il refuse de contribuer à l’effort dont, pourtant, il goûte ce fruit : la sécurité.
Celui-ci est un exploiteur parce que, dans sa façon de jouir de l’effort des autres, il y a abus et préjudice.
En voici un autre qui, lui aussi, veut jouir sans produire ; niais il n’a ni la force ni le courage de contraindre ses compagnons ; il recourt à la ruse, feint la faiblesse, la maladie, la blessure ou simplement la maladresse
Celui-là aussi est un exploiteur.
Mais, en voici un troisième qui, lui aussi, veut jouir sans faire d’apport. Il est robuste, mais il ne veut pas dominer parce que, dominer, c’est faire un effort. Il ne veut même pas ruser : ce serait encore un effort.
Il ne veut rien faire.
Il sait que les autres, ayant la volonté de dormir en paix, rouleront la pierre, quoique devenue plus lourde du fait des trois parasites. La volonté et la bonne volonté des sept autres garantissent à ce saligaud la sécurité gratuite.
Il s’est fait une arme de son inertie.
Ce troisième exploiteur est plus répugnant que les deux autres.
Les temps ont changé. Il n’y a plus de caverne, plus de pierre à rouler, plus d’ours à redouter. Tout cela est remplacé par l’usine, le tribunal, la gent d’armes, en un mot : la société... Mais les trois types d’exploiteurs demeurent ; nous les retrouvons partout à l’état pur ou combiné.
Le régime patronal est la première ou la seconde forme d’exploitation (force ou ruse) et quelquefois les deux combinées. On peut en dire autant de l’Etat.
Quant à la troisième variété d’exploiteur : l’inerte, elle se retrouve dans toutes les classes sociales : le moindre effortiste pourrit à tous les échelons.
Celui qui, parce qu’il a hérité de ses ascendants une fortune, ne produit pas et vit de la production des autres, celui-là est un exploiteur.
Parmi ceux qu’il exploite, il y a des équipes de travailleurs dont le salaire individuel est basé sur la production commune. L’ouvrier qui, comptant sur l’effort de ses camarades, réduit son propre effort au minimum, sachant que l’effort des autres lui assure son salaire, celui-là est aussi un exploiteur, mais plus odieux que le précédent.
Certes, les représentants des classes dominantes sont des exploiteurs, mais, outre ces exploiteurs d’en haut, il y a les exploiteurs d’en bas.
Passons sous silence l’exploitation de l’apprenti et de la ménagère par l’ouvrier.
Mais voici un autre cas : dans la même fabrique de chaussures, deux ouvriers du même âge ont débuté en même temps. L’un s’est contenté de faire ses quarante-huit heures par semaine ; il a pris son apéritif, son tabac et des distractions. Il vit au jour le jour sans souci du lendemain.
Et il a parfaitement raison. Personne n’a le droit de lui reprocher de prendre de la vie tout ce qu’il peut. Il ne nuit à personne.
Mais, depuis dix ans que ces deux ouvriers travaillent côte à côte, l’autre, qui ne fume pas, qui ne va pas au café, consacre deux heures par jour à réparer à son compte les chaussures des voisins. Grâce à cet effort, il a pu louer une boutique, acheter un outillage, quitter l’usine, et il fait maintenant de la chaussure sur mesures.
Ses affaires prospèrent ; la demande devient si pressante qu’il ne peut plus y suffire seul. Il propose à son ancien camarade de venir travailler avec lui et ils établissent ainsi son salaire : déduction faite des frais généraux et de la matière première, l’affaire laisse un bénéfice hebdomadaire X, la moitié est allouée au camarade.
Les voici tous deux gagnant plus qu’à l’usine et chacun profitant du travail de l’autre.
Celui qui a conçu et réalisé l’affaire, qui assume la responsabilité de sa bonne marche, va pouvoir consacrer plus de temps à son administration. Il est devenu « patron ».
Or, non seulement ce patron n’est pas un exploiteur, mais il est exploité par l’autre, qui reçoit aujourd’hui un meilleur salaire grâce aux dix années de préparation de celui-ci.
Pour que celui qui n’a pas fourni cet effort ne soit pas l’exploiteur de son camarade devenu patron, il faudrait qu’il fit à l’entreprise, et cela sous une forme quelconque, un apport, équivalent à celui de l’autre,
Ceci nous amène à dire que pour qu’il y ait exploitation, toujours au sens péjoratif, il faut qu’il y ait abus, contrainte, surprise ou préjudice.
Et encore, que ce n’est pas la situation sociale d’un individu qui le fait exploiteur, mais son tempérament. On naît exploiteur et on le demeure, que l’on soit salariant ou salarié.
Le tempérament de l’individu se transforme par l’éducation, non par la situation sociale, celle-ci ne jouant qu’en tant que facteur d’éducation.
Croire que l’initiateur de production qui rassemble de la main-d’œuvre librement contractante est, de ce seul fait, un exploiteur, c’est commettre une erreur préjudiciable à toute grande entreprise et au mieux-être.
Si un cordonnier indépendant gagne quarante francs par jour, deux cordonniers associés gagneront chacun cinquante ou soixante francs pour une somme égale de travail.
Il y aura donc mieux-être.
D’autres métiers exigent un effort collectif : un seul homme peut faire beaucoup de chaussures, mais il faut plusieurs hommes pour faire une seule locomotive, un seul navire.
Il convient donc de distinguer entre exploiteur et initiateur ou réalisateur.
— Raoul ODIN
EXPLOSIF
n. m.
Corps susceptible de faire explosion. D’après l’expérience courante, un explosif est un corps capable de réaliser, par sa décomposition, un violent déplacement de matériaux ; cet effet résulte d’une augmentation considérable du volume de l’explosif qui, pendant sa décomposition, passe brusquement de l’état solide ou liquide à l’état gazeux, en exerçant une forte pression sur les matériaux à déplacer.
De tels corps, capables d’une décomposition brusque, sont naturellement dans un équilibre moléculaire très instable, tandis que leur destruction violente donne naissance à des corps qui sont dans un équilibre moléculaire très stable. Or, d’après les principes de thermochimie, un tel changement d’équilibre s’accompagne d’un grand dégagement de chaleur qui, portant à une haute température les gaz produits, augmente énormément leur pression et, par suite, la puissance de l’explosif. Nous retrouvons ainsi, en partant de notions de sens commun, la définition classique des explosifs donnée par Sarrau :
« On appelle explosif tout corps capable de se transformer rapidement en gaz à haute température.
Il y a deux classes d’explosifs : les explosifs de chargement et les explosifs de détonation ou d’amorçage... Il n’y a d’ailleurs pas de différence essentielle entre ces deux catégories, et tel explosif, comme le coton-poudre par exemple, se classe dans l’une ou dans l’autre catégorie, suivant la forme physique qui lui est donnée.
Quelle que soit la stabilité relative des explosifs de chargement, quelle que soit la sécurité habituelle de leur emploi, on ne doit jamais oublier, en les manipulant, qu’un explosif, par sa définition même, est un corps en équilibre instable et dont la moindre imprudence peut provoquer la décomposition. » (Paul Vérola : Chimie et fabrication des explosifs, A. Colin 1922)
Les explosifs doivent présenter les qualités de stabilité suivantes :
-
Ne pas détoner entre bois et fer sous un choc inférieur à 2 kilogr. par centimètre carré.
-
Ne pas détoner par décomposition spontanée par suite de l’excès de l’un des réactifs ou d’une impureté de l’un de ceux-ci.
-
Résister pendant dix minutes au moins à une température de 700°.
Les matières premières utilisées dans la fabrication des explosifs peuvent être classées de la façon suivante :
-
Matières combustibles : charbon, soufre.
-
Sels oxygénés : Nitrate de potasse ou salpêtre, de soude, d’ammoniaque, de baryte, chlorate de potasse, fulminates, picrates.
-
Pyroxyles et matières organiques nitrées : Fulmicoton, fulmipaille, fulmison, fulmibois, nitroglycérine (C³H² [Az O³ H]³), nitrosaccharose, nitromannite.
Jusque vers la fin du dernier siècle, il n’existait qu’un explosif : la poudre noire, et sa fabrication, améliorée au cours des âges, avait acquis une perfection telle que cet explosif s’adaptait à tous les besoins.
Aujourd’hui, ces poudres ne présentent qu’un intérêt très relatif pour les besoins de la guerre, mais elles servent encore pour les armes de chasse. D’ailleurs, elles présentent un certain nombre d’avantages : prix de revient minime, fabrication facile et peu dangereuse, étant donné leur insensibilité partielle aux flottements et aux chocs, stabilité considérable et conservation commode ne nécessitant que l’abri de l’humidité.
Voici quelques formules :
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Poudre grise ordinaire : Salpêtre 74,84. Charbon 13,32. Soufre 11,84.
Salpètre 78,99. Charbon 11,17. Soufre 9,84.
-
Poudre de guerre :
-
Canon : Salpêtre 75. Soufre 12,5. Charbon 12.5.
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Fusil : Salpêtre 74. Soufre 10,5. Charbon 15,5.
-
-
Poudre de chasse : Salpêtre 78. Soufre 10. Charbon 12.
-
Poudre de mine : Salpêtre 65. Soufre 20. Charbon 15.
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Poudre allemande de 1883 : Salpêtre 76. Soufre 9. Charbon 15.
-
Poudre russe d’Ochta : Azotate de potasse 75. Soufre 10. Charbon 15.
-
Poudre de la marine italienne, dite H/57 : Salpêtre 77. Charbon 20. Soufre 3.
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Poudre Pebble : Salpêtre 76.50. Soufre 10,25. Charbon 13,25.
On a proposé un grand nombre de modifications de la poudre grise ordinaire. Une des plus importantes est sans contredit la « poudre chocolat », poudre brune « brown powder », ou « cocoa powder » ; inventée en Allemagne en 1882.
Sa composition est la suivante : Azotate de potasse 79. Soufre 3. Charbon 18. A la même poudre se rattache la poudre sans fumée C. S. ou « Chilworth special powder ». Elle est formée de : Azotate de potasse 42. Azotate d’ammoniaque 38. Charbon rouge 20.
-
Poudre de Schwartz : Azotate de Potasse 48,6. Azotate de soude 26,5. Soufre 9,2. Charbon 15,7.
-
Poudre de Freiberg : Azotate de soude 64. Soufre 18. Charbon 18.
-
Poudre amide ou Gabe : Azotate de potasse 101. Azotate d’ammoniaque 80. Charbon de bois 40.
-
Poudre S. A. 152 : Azotate de potasse 62. Azotate d’ammoniaque 11. Charbon 24,3. Soufre 1,3. Résine 1,3.
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Poudre Wynani : Azotate de Baryte 77. Azotate de potasse 2. Charbon de bois 21.
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Poudre Küp : Azotate de baryte 80. Soufre 10. Charbon 10.
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Xantine : Azotate de potasse 68,5. Xantate de potasse 27,4. Charbon de bois 4,1.
Poudres chloratées : d’une puissance beaucoup plus considérable que les poudres ordinaires, elles ont des effets trop brisants. Un choc ou un frottement suffisent à provoquer leur explosion :
-
Poudre Cossigny : Chlorate de potasse 75. Soufre 12,5. Charbon 12.5.
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Poudre de Kohler : Chlorate de potasse 70. Soufre 20. Charbon 10.
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Poudre Mundel : Chlorate de potasse 63,5. Soufre 31.5. Noir animal 1. Poudre de chasse ord. 4.
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Poudre Hahn : Chlorate de potasse 36.7. Sulfure d’antimoine 169. Charbon 18. Spermaceti 46.
-
Rackarock : Chlorate de potasse 87,5, 83,4, 89,3, 23,5. Huile de naphte 12,5, 8,3. Nitrobenzine 8,3, 76,5. Térébenthine 10,7.
-
Poudre Gallica : Chlorate de potasse 75. Noix de galle pulvérisée 25.
-
Poudre Maréchal : Chlorate de potasse 84. Acide stéarique 16.
-
Poudre Monnier : Chlorate de potasse 71. Sucre 16. Charbon 6. Goudron de houille 7.
-
Bellfords powder : Charbon en poudre 19,5. Salpêtre 68. Soufre 12,5.
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Poudre blanche anglaise : Chlorate de potassium 50. Ferrocyanure de potassium 25. Sucre raffiné 25.
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Poudre de Pohl : Chlorate de potasse 49. Ferrocyanure de potassium 28. Sucre de canne 23.
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Poudre de Feutons : Chlorate de potassium 16. Ferrocyanure de potassium 4. Sucre 4.
Il y a encore une quantité considérable de poudres.
On trouve dans le commerce des ouvrages très documentés. Si l’on en croit certains auteurs, les révolutionnaires ont la curiosité de savoir et la composition et l’emploi des explosifs ; ils trouveront des ouvrages de vulgarisation dans les livres du Génie militaire et de l’Artillerie.
— A. LAPEYRE.
EXPORTATION
n. f. (du latin exportatio, même signification ; de ex, hors, et portare, porter)
Le mot exportation est un terme commercial qui signifie : transporter et vendre à l’étranger des produits du sol ou des marchandises de l’industrie. Nous avons démontré par ailleurs qu’aucune nation du monde ne pouvait vivre sans le concours de ses voisines proches ou éloignées, la fertilité du sol ou la production industrielle étant conditionnées à une quantité de facteurs, tels que le climat, la situation géographique, ethnographique, etc. Le régime économique du monde repose donc sur l’importation, dont la contrepartie est nécessairement l’exportation. Il serait pourtant puéril de croire que seuls les besoins matériels d’une population jouent dans les importations et les exportations d’un pays ; les intérêts commerciaux, la plupart du temps contraires aux besoins des consommateurs, figurent comme un des facteurs principaux en ce qui concerne l’exportation des produits bruts ou manufacturés d’une nation. Nous savons qu’en ce qui concerne les importations, de nombreux pays, où ne s’exerce pas encore le libre-échangisme, les produits étrangers sont frappés à l’entrée de droits de douane prohibitifs, afin de permettre au capitalisme national d’écouler à un prix élevé ses propres produits. Nous avons traité de cette question au mot « douane » et démontré que le régime du protectionnisme ne pouvait que profiter aux exploiteurs de la misère humaine. Urbain Gohier, dans une étude déjà vieille, puisqu’elle date de 1906, intitulée « Le nouveau pacte de famine », nous éclairait lumineusement sur les désirs intéressés des protectionnistes :
« Envisageons, disait-il, un groupe de cent une personnes : cent ouvriers, et le patron, individuel ou collectif.
Le patron dit aux ouvriers :
« A cause de la concurrence étrangère, je serai contraint de diminuer vos salaires, si nous ne sommes pas protégés ; car je ne fais plus que 300.000 francs de bénéfice net par an. Donc, puisque vous êtes citoyens électeurs, exigez de vos élus des lois de protection. »
Les ouvriers n’hésitent pas : ils ne savent pas en quoi consistera la chose ; ou bien ils croient qu’elle aboutira seulement à la prohibition du produit étranger, à l’obligation, pour tous les consommateurs, d’acheter l’objet qu’ils fabriquent. C’est si bon de se savoir « protégés » quand on est faible et, d’ailleurs, sans application pour étudier, sans intelligence pour comprendre, sans courage pour se défendre soi-même ! Etre défendu, n’importe comment, par l’Etat-Providence, par l’Etat-Dieu, au moyen d’une loi mystérieuse, d’un grimoire enchanté : quel rêve !
Les cent ouvriers sont protectionnistes du coup ; ils élisent un protectionniste forcené, tantôt borné comme eux, tantôt prêt à tous les métiers pourvu qu’ils l’apportent, tantôt simple compère du patron. Les tarifs sont votés. Grâce à l’augmentation de 140 à 180 pour 100 des taxes, le patron relève ses prix ; au lieu de gagner 300.000 francs net, il place à la fin de l’année 400.000 francs ; il a bénéficié de 100.000 francs.
Mais les ouvriers ? On n’a pas diminué leur salaire, puisqu’on le leur avait promis ; on ne l’a pas augmenté non plus. Seulement, par le jeu de tout le système, leur vie est devenus plus difficile ; leurs vêtements ou leurs aliments leur coûtent plus cher ; avec la même somme, ils se trouvent dans une détresse plus profonde.
Toutes les marchandises qu’ils consomment sont « protégées », c’est-à-dire qu’elles coûtent plus cher. Une seule reste au même prix : celle qu’ils vendent leur travail. Ne recevant pas un sou de plus et dépensant beaucoup davantage, ils subissent indirectement une diminution de salaire. Leur salaire nominal n’a pas changé, mais il a perdu beaucoup de sa valeur utile. » (Urbain GOHIER, La Révolution vient-elle ? « Le nouveau pacte de famine », Paris, 1906.)
Nous voyons, par ce qui précède que, si l’exportation est généralement libre, elle est entravée par les droits d’entrée, qui frappent les marchandises à leur introduction dans un pays étranger, et que c’est le consommateur, en grande partie le travailleur, qui en souffre.
« Pendant de longs siècles, dit le Larousse, les Etats frappèrent les marchandises de droits très élevés, non seulement à l’entrée, mais aussi à la sortie ; il fallait, croyait-on, entraver l’exportation des produits, et particulièrement du blé, pour éviter des famines ou empêcher le pays de s’appauvrir. En France, les droits à l’exportation furent supprimés en 1860. »
Si les droits à l’exportation ont été supprimés, non seulement en France, mais dans presque toutes les nations du monde — exception faite pour certains pays de l’Amérique du Sud qui poursuivent cette politique économique — ce n’est pas que les grands producteurs ou les gros industriels aient considéré le problème sous son angle social et pensé que la famine ou l’appauvrissement de leur pays n’était plus à craindre. Comme toujours lorsqu’il s’agit du commerce, ils ne furent animés que par un bas intérêt particulier. Il est indéniable que les droits à l’importation entravent la liberté du consommateur, en haussant les prix, des produits nationaux. Ces produits, qu’il ne peut pas écouler intérieurement, il faut qu’il les écoule extérieurement. Il importe peu, au commerçant, à l’industriel ou au financier, que la population de son pays meure de faim, marche pieds nus et n’arrive pas à se vêtir ; ce qu’il veut, c’est vendre cher, à n’importe qui. On nous avait dit que le régime de l’exportation était soumis à certains facteurs atmosphériques, climatériques ou géographiques. Prenons un exemple. Quelles que soient la volonté, le génie, l’intelligence du producteur français, il n’arrivera jamais à faire pousser sur son sol, du cacao ou du café ; pour consommer de ces produits, le peuple français aura recours à l’importation, ce qui comporte fatalement l’exportation des pays producteurs de ces produits. Et alors, se joue une double spéculation. Les pays producteurs, sachant que les pays importateurs ont absolument besoin d’eux, vendront leur marchandise au prix fort, ce qui, inévitablement provoquera la hausse dans le pays d’origine ; d’autre part, lorsqu’il s’agit d’un produit de consommation courante, tel le café, par exemple, l’Etat, le gouvernement du pays importateur le charge de droits de douane formidables afin de se procurer des ressources. Il apparaît donc évident qu’un régime qui repose sur le commerce, donc sur le vol légal, ne peut trouver dans la légalité, une mesure susceptible de mettre un terme à l’arbitraire de la spéculation commerciale.
Un autre exemple frappant nous est offert en France de ce qu’est le régime de l’exportation commerciale, et de la cupidité des exportateurs. La France est un pays de production vinicole, et le vin étant la boisson nationale, une grande partie de la production pourrait être écoulée sur le marché français. Le climat de l’Angleterre, par contre, ne permet pas la culture de la vigne et ce pays est obligé de s’adresser à la France pour sa fourniture de vin. Le propriétaire français en profite et l’Angleterre payant plus cher que la France, il préfère écouler ses produits de l’autre côté de la Manche. Il en résulte une hausse des prix dans le pays d’origine et le consommateur français paye cher un produit qu’il devrait pouvoir se procurer à un prix relativement bas. Il en est de même pour quantité d’autres denrées, entre autres : le lait, le beurre, les œufs, les primeurs, etc... De plus, depuis la guerre, les pays à monnaie dépréciée ont vu s’étendre le champ de leurs exportations, et les propriétaires et les industriels, sans tenir compte des besoins de la population, n’ont pas hésité à exporter les matières de première nécessité et à les échanger contre une monnaie saine, peu sujette aux fluctuations des spéculations et du change. En aucun cas, les gouvernements et plus particulièrement les gouvernements français qui se succédèrent de 1919 à 1926, n’envisagèrent de mesures propres à arrêter l’exportation de produits indispensables à la vie de la population française ; qu’importe aux maîtres du pouvoir politique, représentants directs des maîtres du pouvoir économique, que le consommateur français réduise sa consommation au strict minimum, du moment que le capitalisme réalise des bénéfices scandaleux ? Parfois, cependant, l’exportation de certains produits est prohibée momentanément ; mais généralement, cette mesure demeure sans effet, car elle survient trop tard, une fois que l’exportation desdits produits est accomplie.
En vérité, on ne voit pas bien quelle réforme au statut commercial qui régit l’exportation et l’importation pourrait mettre un frein à un tel régime. Tout se tient dans la société bourgeoise et, même en supprimant les barrières douanières, on ne résoudrait pas le problème de l’exportation et de l’importation, qui provoque la hausse d’une matière, au gré du capitalisme qui la possède.
Que faire ? Pas grand chose en réalité dans le domaine de la légalité. Rien à attendre du Parlement, des ministères et des gouvernants. Le remède est en dehors de l’ordre social établi. Les échanges ne se font pas aujourd’hui, de nation à nation, en raison des besoins économiques de chaque nation, ou si le facteur « besoin » joue un certain rôle, le facteur « intérêt particulier » en joue un plus grand encore. Et il en sera ainsi, sous des formes différentes, tant que l’intérêt particulier ne sera pas subordonné à l’intérêt collectif, tant qu’un individu ou un groupe d’individus, pourront réduire la consommation de millions d’êtres humains pour satisfaire leur soif de bénéfice et d’argent. Notre conclusion ne peut être que ce qu’elle fut pour quantité d’autres questions se rattachant au régime social actuel. Seule la Révolution économique peut transformer la société ; seule la prise des moyens de production par les producteurs peut faire régner l’égalité dans la distribution et la répartition des richesses sociales. En dehors de cela, il n’y a rien de vrai ; tout n’est que bluff et démagogie. Les Parlements peuvent voter des lois, à l’importation ou à l’exportation. Ce ne sera qu’un trompe-l’œil pour les électeurs naïfs. Interdirait-on demain en France l’importation ou l’exportation des blés, les grands propriétaires se chargeraient bien vite de raréfier le produit pour en provoquer la hausse. Il n’y a rien à faire de véritablement efficace dans le domaine du régime actuel. C’est la roue qui tourne et apporte toujours de l’eau au moulin. Par la bêtise, l’ignorance et la lâcheté humaines, le capitalisme est plus fort et il en profite. Il tient le peuple courbé sous son régime économique, et ce dernier restera économiquement un esclave, tant qu’il n’aura pas conscience de sa force, de ses possibilités, de ses moyens, et qu’il ne se libérera pas par la Révolution de tout ce qui le tient enchaîné à une société qui est condamnée par tout être raisonnable, sensé, sincère et logique.
EXPULSION
n. f. (du latin expulsio, même signification)
Action de chasser, d’expulser des individus de leur résidence ; contraindre quelqu’un à quitter le lieu où il est établi ; évacuation d’un locataire de l’appartement qu’il occupe. Expulser d’une maison, d’une ville, d’un pays. L’expulsion, quelque soit son caractère, est une entrave à la liberté individuelle, et son action affecte politiquement et économiquement tous les déshérités de la société bourgeoise. Nous ne nous arrêterons pas à ce que l’on appelle l’expulsion locative. Chacun sait qu’en notre belle société le malheureux, réduit à la misère par le chômage ou la maladie, n’a pas le droit de se loger. Ne pas avoir d’argent est un crime et celui qui n’a pas de ressources pour payer le loyer périodiquement réclamé par le propriétaire rapace est impitoyablement expulsé de son logis. C’est normal et logique, conformément à la légalité. Mais il est une sorte d’expulsion plus terrible encore que l’expulsion locative c’est l’expulsion nationale, c’est-à-dire l’interdiction à un individu de résider sur un territoire. « Dès que le séjour d’un étranger » dit le Larousse « devient un danger ou une menace pour l’Etat qui l’a reçu, il peut être expulsé ». C’est la porte ouverte à tous les arbitraires, à toutes les infamies gouvernementales. En France, ajoute le Larousse, « l’expulsion a lieu en vertu d’un arrêté du ministre de l’Intérieur ou même du préfet dans les départements frontières, et l’étranger n’a aucune garantie contre la mesure dont il est l’objet ». Pour un dictionnaire d’esprit réactionnaire et à caractère officiel, c’est un aveu qu’il est bon d’enregistrer.
Avant la guerre, une seule nation en Europe ne pratiquait pas l’expulsion des étrangers : c’était l’Angleterre. Les étrangers jouissaient, comme les nationaux, de l’inviolabilité individuelle, et les mêmes lois étaient appliquées aux uns comme aux autres. En 1912, une tentative d’expulsion, dont notre vieil ami Malatesta aurait été victime, souleva une telle protestation, non seulement dans la classe ouvrière, mais dans tout le monde libéral, que le gouvernement britannique céda devant la réprobation unanime de tous les hommes de cœur. Hélas ! Tout cela a changé, et la « libre Angleterre » expulse aujourd’hui à son tour, trahissant tout un passé de libéralisme à l’égard de ceux qui cherchaient sur son sol un lieu de repos. Le dernier coin du globe où était respecté le droit d’asile a adopté les mêmes mesures répressives contre les étrangers que les autres nations et, à présent, le malheureux chassé d’une terre inhospitalière ne sait plus où aller pour trouver un refuge où la tranquillité et la sûreté lui seraient assurés.
Chaque nation, cependant, aussi réactionnaire soit-elle, prétend respecter la tradition du droit d’asile et n’user de l’expulsion que pour garantir la sûreté de l’Etat. Cela est complètement faux et l’on peut remarquer que ce ne sont d’ordinaire que des révolutionnaires que l’on chasse d’une nation. En dehors des liens qui existent entre les divers gouvernements mondiaux il y a une solidarité capitaliste lorsqu’il s’agit de lutter contre les forces de transformation sociale. Aussi divisé, nationalement ou internationalement, que puisse être le capitalisme lorsqu’il faut à certains de ses groupes défendre des intérêts particuliers, il est cependant uni dans sa lutte contre la Révolution. Un révolutionnaire italien ou espagnol est considéré comme nuisible aussi bien dans les autres pays que dans son pays d’origine et, quelle que soit la partie du monde où il posera les pieds, il sera poursuivi et chassé comme un malfaiteur par les classes dirigeantes. « Sûreté de l’Etat » veut dire simplement « Sûreté du Capitalisme » et c’est pourquoi l’homme d’avant-garde est condamné, comme le Juif Errant, à marcher toujours s’il ne veut pas se courber devant les forces de régression sociale.
La terre appartient à tous et l’expulsion d’un individu est la plus lâche des infamies, la plus terrible des agressions du capitalisme. Il existe des hommes qui sont condamnés à traîner une existence misérable parce qu’en vertu de leur passé, de leur action, aucune nation ne veut les recueillir, et qu’ils sont, en conséquence, continuellement obligés de se cacher, de se terrer pour échapper aux griffes de la police internationale. Le nombre de camarades que l’on arrache à la bourgeoisie, lorsque le scandale d’une expulsion par trop arbitraire éclate, est infime ; et ils se comptent par milliers, les pauvres bougres que l’on expulse sans autre forme de procès qu’une simple signature ministérielle. En France, ce sera la honte de la démocratie de s’être servie, de cette arme : l’expulsion, pour défendre les intérêts d’une caste de privilégiés.
Un projet de loi qui, probablement, sera voté dans le courant de l’année 1927, retirera aux ministres la possibilité d’expulser les étrangers, Ce soin incombera aux magistrats. Est-ce mieux, est-ce plus mal ? A nos yeux, il ne peut y avoir de demi-mesure. Nous ne pouvons accorder ce pouvoir d’expulser qui que ce soit à un ministre ou à un magistrat. Si le législateur, en réformant une pratique gouvernementale, considère que l’expulsion ouvre la porte à tous les abus, il doit aussi comprendre que le magistrat est toujours un agent gouvernemental, et qu’il agira par ordre lorsque le besoin s’en fera sentir. Et c’est pourquoi ce n’est pas codifier « l’expulsion » qu’il faut, mais la supprimer et permettre à tout homme de vivre, là où il en a le désir.
EXTERMINATION
n. f. (du latin exterminare, anéantir)
Action de détruire, d’anéantir. Extermination d’un peuple ; extermination d’une race. Les tribus de race rouge habitant l’ancien territoire des Etats-Unis ont été totalement exterminées par les hommes de race blanche. Rien de plus répugnant que cette extermination qui s’accomplit sous le couvert de la civilisation. Pour s’emparer des richesses et des territoires appartenant aux « Indiens », les blancs les parquèrent, les empêchèrent de se reproduire, les massacrèrent en masse, et enfin arrivèrent au but poursuivi. De nos jours, les hommes rouges ont presque totalement disparu.
Une guerre d’extermination ; travailler à l’extermination d’une peuplade ; l’extermination d’une classe, d’une caste, etc., etc... La nature brutale et indifférente accomplit parfois un véritable travail d’extermination. Les raz de marée, les cyclones, les éruptions volcaniques sont des fléaux qui dévastent des contrées entières ; pourquoi faut-il que les hommes ajoutent encore à ces désastres en s’exterminant eux-mêmes ? Plus féroces que les fauves, ils s’entretuent, se dévorent, s’arrachent, se détruisent, s’exterminent, alors qu’un peu de sagesse et de bonté leur permettrait de vivre en harmonie. La science ne sera-t-elle donc toujours qu’un facteur d’extermination, et jamais une source de bienfaits et d’amour ?
EXTRADITION
n. f. (du latin extraditio, même signification ; de ex, hors de et de tradere, livrer)
L’extradition est l’action qui consiste, pour un gouvernement, à livrer un individu réfugié sur son territoire à un autre gouvernement qui le réclame. Il ne faut pas confondre extradition et expulsion, car ce sont deux actions bien différentes. L’expulsion est un acte de police intérieure ; c’est un gouvernement qui chasse un individu qu’il considère indésirable, même s’il n’a pas commis d’actes répréhensibles. L’extradition, elle, ne s’applique qu’à la demande d’un gouvernement étranger et lorsque l’individu réfugié a commis une infraction de droit commun sur le territoire du gouvernement demandeur. L’extradition ne s’accorde généralement que pour des délits d’une certaine gravité et il est même certains Etats qui ne l’accordent que lorsqu’ils y sont contraints par un traité. En vertu d’une tradition, l’extradition n’est en principe jamais accordée, pour des faits d’ordre politique ou pour la désertion des soldats. Nous disons, en principe, car, en réalité, les gouvernements s’arrangent assez facilement entre eux pour se livrer mutuellement les réfractaires politiques ou militaires. Durant la « grande guerre », la Suisse, qui était pourtant un pays neutre, n’hésita pas à livrer à la France un grand nombre de déserteurs. Il faut aussi signaler cette différence entre l’extradé et l’expulsé, c’est que l’expulsé a le droit de choisir le pays où il veut se rendre, alors que l’extradé est livré à la police de la nation qui le réclame.