Rien n'est fini mais tout commence

Quelques textes sur la révolte au $hili

2019

  Dans l’ordre :

  Chili : Où allons-nous ? Vers l’incertitude et la conflictualité permanente !

  Quelques mots de et pour la révolte d’octobre

  Santiago, Chili : Révolte incendiaire et état d’urgence – 18 octobre 2019

  Chili : État d’urgence et couvre-feu n’y changent rien, la révolte s’étend à travers le pays – 19 octobre 2019

  Chili : Troisième nuit d’émeutes sous couvre-feu – 21 octobre 2019

  Chili : Détruire ou réformer l’existant – 21 octobre 2019

  Chili : La grève n’éteint pas les feux de la révolte – 23 octobre 2019

  Chili : Contre tout retour à la normale – 24 octobre 2019

  Chili : Rien n’est fini – 25 octobre 2019

  Chili : Quelques notes sur le week-end de révolte – 26 et 27 octobre 2019

  Chili : L’oasis sent encore le brûlé – 29, 30 et 31 octobre 2019

  Chili : La révolte continue de plus belle(4-8 novembre 2019)

  Chili : Danser avec les flammes – 12 et 13 novembre 2019



RIEN N’EST FINI MAIS TOUT

COMMENCE.





Quelques textes venant du $hili...








Dans l’ordre :



Chili : Où allons-nous ? Vers l’incertitude et la conflictualité permanente ! 3


Santiago, Chili : Révolte incendiaire et état d’urgence – 18 octobre 2019 7


Chili : État d’urgence et couvre-feu n’y changent rien, la révolte s’étend à travers le pays – 19 octobre 2019 11


Troisième nuit d’émeutes sous couvre-feu – 21 octobre 2019 17


Détruire ou réformer l’existant – 21 octobre 2019 20


La grève n’éteint pas les feux de la révolte – 23 octobre 2019 24


Contre tout retour à la normale – 24 octobre 2019 27


Rien n’est fini – 25 octobre 2019 32


Quelques notes sur le week-end de révolte – 26 et 27 octobre 2019 35


L’oasis sent encore le brûlé – 29, 30 et 31 octobre 2019 39


La révolte continue de plus belle(4-8 novembre 2019) 46


Danser avec les flammes – 12 et 13 novembre 2019 55


Chili : Où allons-nous ? Vers l’incertitude et la conflictualité permanente !

Quelques mots de et pour la révolte d’octobre




“A partir d’un certain point il n’y a plus de retour. C’est ce point qu’il faut atteindre.” ​ Franz Kafka


L’indomptable protestation des élèves du secondaire contre la hausse du trajet de métro et la réponse répressive immédiate ont créé le contexte propice pour que, des jours plus tard, la guerre sociale apparaisse dans une crudité explicite.

La dynamique du conflit a été rapide, imprévisible et instinctive. Le malaise axé principalement contre le transport public souterrain s’est généralisé et a commencé à éclater, à devenir visible, à reconnaître des formes de combat, explosant –littéralement– à chaque coin de rue de Santiago. Le 18 octobre 2019, s’est déchaîné un contexte de révolte généralisée dans toute la capitale ; barricades et affrontements se succédaient à tout moment et partout. Différents symboles, structures et infrastructures du pouvoir ont été attaqués dans toute la ville, et rapidement, dans l’ensemble du pays. L’ordre se fissurait et la transgression inondait les rues, subitement les sujets s’attroupaient et attaquaient ce qu’ils et elles ont toujours considéré comme leurs chaînes. Il n’y a pas de planification, mais la spontanéité qui sait reconnaître clairement son ennemi : l’État, le capital et leurs forces répressives. Les objectifs sinistrés ou pillés en sont le meilleur exemple :ministères, institutions financières, entreprises dévastatrices de la terre, grands entrepôts stockant la marchandise et la nourriture, et bien plus encore.

La violence révolutionnaire a été validée et s’est déchaînée dans les plus amples aspects des opprimé-e-s.

Quelques détestables théoriciens ou adeptes de la plus basse “compétition politique” ont observé : Où étaient les anarchistes ? Eh bien, la réponse est simple et facile : dans la rue, les quartiers, les ​ poblaciones ​ , dans la révolte protéiforme, les combats de rue.

Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de temps pour s’asseoir et écrire ni même esquisser quelques idées, cela a été tout simplement impossible au cours de ces journées.

Face à l’extension et à la profondeur de la révolte, qui à certains moments a semblé pouvoir secouer réellement et effectivement l’État en peu de temps, la réponse des puissants a consisté à décréter « l’État d’Urgence”, envoyant des effectifs de l’Armée patrouiller dans les rues et instaurant un couvre-feu qui s’est étendu plusieurs jours dans différents territoires.

La suspension rapide de la hausse du trajet par les autorités a montré que cette révolte n’a pas de requête claire. Elle n’a pas de “revendications” ou « d’exigences” spécifiques, ou pour le dire autrement, il y en a tellement que c’est finalement contre le monde régi par l’autorité et la marchandise.

Pour sa part, la répression est tombée avec un arsenal qui, même s’il n’avait jamais disparu complètement, resurgit aujourd’hui, reprenant sa propre continuité historique : violence sexuelle, des milliers de personnes arrêtées, des centaines de blessé-e-s par flashballs, LBD, et à balles réelles, des dizaines de compas qui ont perdu des yeux, des séances de tortures, des assassinats où les corps sont jetés dans les incendies pour couvrir les auteurs en uniformes de ces massacres et toute une série de différentes et successives stratégies contre-insurrectionnelles.

Les choses avancent vite et prennent leur propre chemin, anarchistes, nous sommes dans la rue cherchant à amener cela au point de non retour avec l’autorité. Différentes positions ont émergé dans la pratique même des combats, dans l’ambiance de révolte et dans les possibilités surgissant de celle-ci. Certain-e-s se sont mis d’accord sur des appels et des tentatives pour former des assemblées de quartier, des expériences de “contre-pouvoir” ou de “pouvoir populaire”, allègrement qualifiées par la presse de “conseils municipaux citoyens”, qui permettraient de mettre en place une table de revendications négociables, et bien-sûr des visages ou organisations avec lesquels pactiser. Des assemblées qui, comme nous pouvons le voir, se sont transformées en alternative citoyenne et en sortie pacificatrice du conflit, démontrant être un engrenage supplémentaire de la domination.

L’intensification du conflit ouvre indéniablement des chemins où il est possible de se rencontrer, de construire et créer, toujours dans une perspective de lutte et de manière anti autoritaire, des réseaux avec différentes personnes et groupes, éloignés et contraires à tout type d’imposition illuminée ou aux tentatives de prise en main centralisée. À cet égard, l’idée de confrontation permanente prend du sens au moment où nous ne donnons rien pour établi ni éternel, le dynamisme de la lutte doit nécessairement viser à l’élimination de tout type d’autorité, que ce soit l’État, l’assemblée ou n’importe quelle autre instance prétendant contrôler nos vies.

Cette révolte n’a pas de noms ni de direction unique, elle n’appartient à personne car elle appartient à tou-te-s les rebelles et insurgé-e-s qui, comme nous, sont en train de combattre dans la rue, ainsi prétendre de manière ridicule s’attribuer telle ou telle action dans le cadre de cette révolte revient tout simplement à tenter grossièrement de prendre l’hégémonie sur elle.

D’autre part, la nécessité posée et mise en tension au cours de conversations passées face à des situations similaires mais au pouls clairement plus stable, est aujourd’hui indispensable.

Créer des espaces de coordination et de rencontre où l’axe fondamental est de faire le pari de la confrontation violente contre les appareils étatiques-répressifs. En ce moment, le Pouvoir a sorti dans la rue son visage le plus brutal, ce qui, loin de nous immobiliser, constitue un appel à élever notre ligne de mire conformément aux nouveaux scénarios qui se présentent et se rapprochent. Envisager l’offensive comme pratique réelle au-delà du discours, en étant capables de mettre en place une infrastructure nous permettant de leur faire face. C’est là que certains doutes exacerbent la tension ; sommes-nous capables de soutenir, d’intensifier et d’étendre la confrontation violente contre le Pouvoir dans ce nouveau panorama ?, jusqu’à quel point la révolte est-elle contagieuse et reproductible ? Nous avons été témoins de la manière dont la social-démocratie est allée captant cette rage, la limitant à certain-e-s qui étaient “en-dehors” des revendications, quant à nous, nous n’avons pas de revendications, mais des paris et notre pari est la destruction de l’État, de ses promoteurs et défenseurs. Que la catastrophe sociale annonce l’effondrement des rapports fondés sur des logiques capitalistes et que l’affinité nous amène à continuer à avancer vers ce point de non retour.

Comme cela nous arrive souvent, nous n’avons pas les réponses, comme d’autres organisations qui planifient déjà l’administration et les fédérations de ces assemblées, leurs durées, leur caractère révocable et leurs statuts, mais bien plutôt des questions et la négation, car nous sommes de celles et ceux qui comprennent l’anarchie comme la tension permanente. Face à l’incertitude du moment, nous rassemblons les expériences, nous nous reconnaissons, lisons, apprenons et partageons les réflexions et les conversations urgentes dans les heures que nous laisse l’intense confrontation de rue et la désobéissance au couvre-feu. Nous savons que cela a été et que cela peut être un moment important et que se sont ouvertes des possibilités auparavant impensées dans la destruction effective de l’État, mais notre boussole continue aussi à être la négation, même dans ces moments culminants. Nous savons et connaissons parfaitement ce qui nous transforme en esclaves, et nos pas doivent justement aller dans la direction inverse.

Que cela soit clair. Celles et ceux qui soutiennent, promeuvent et défendent le capital et la domination sont nos ennemis.

Pour la libération de tou-te-s les prisonnier-e-s de la révolte et subversif-ve-s !

Solidarité avec les personnes blessées et ayant subi des vexations !

La Révolte est reproductible et contagieuse !

“Tu ne sais pas à quel point les puissants trembleraient si nous amenions la violence à leur porte. S’ils voyaient menacés leurs privilèges et leurs vies, ils négocieraient pour ne pas tout perdre” ​ Ulrike Meinhof

Quelques anti autoritaires pour la catastrophe sociale

Santiago, Chili : Révolte incendiaire et état d’urgence – 18 octobre 2019



Les pauvres ne sont pas toujours raisonnables, mais pourquoi le seraient-ils face à la vie de misère qui leur est faite jour après jour par le pouvoir ? Dans certains endroits, une goutte d’eau suffit alors pour que le ​ négatif ​ déploie ses ailes et s’en prenne à ce qu’il a identifié depuis longtemps comme dispositif ennemi. Cela ne plaira certainement pas au bras gauche du capital et à son idéologie citoyenniste, mais ​ à Santiago du Chili depuis vendredi 18 octobre, les étudiants, lycéens, anarchistes et autres vandales incontrôlés ont entrepris de procéder à la destruction d’un pan important de leur aliénation quotidienne : les sacro-saints transports publics​ . Ils ont compris que rien de ce qui est à l’État ou aux entreprises n’est à nous, et mérite d’être passé par les flammes de la vengeance contre un existant de dépossession et d’exploitation.

Comme il faut toujours une étincelle initiale, c’est donc la double augmentation du prix du métro à l’heure de pointe dans la capitale chilienne qui fut le prétexte. Une augmentation d’abord de vingt pesos en janvier 2019, puis à nouveau de trente pesos le 6 octobre dernier (de 800 à 830 pesos, soit 1,04 euro le ticket, sachant que le smic est à moins de 300 euros/mois et que beaucoup ne l’ont pas), le gouvernement invoquant la hausse du coût de l’énergie et la faiblesse du peso. Face aux premières mobilisations, le ministre de l’économie Juan Andrés Fontaine, fort de l’arrogance commune des puissants, déclara même que les usagers n’avaient qu’à se lever encore plus tôt le matin, afin de profiter de tarifs moins élevés (ces derniers étant flexibles en fonction de la fréquentation, un bel exemple de libéralisme) !

A l’heure où les TER et autres Ouigo sont paralysés en France depuis deux jours par des employés de la SNCF qui appliquent leur droit de retrait afin de réclamer... la présence de contrôleurs dans tous les trains, le slogan le plus répandu à Santiago depuis une semaine est « ​ evasión ya » (Fraude maintenant) ou « ​ Evadir=Luchar » (Frauder =Lutter).​ Après les manifestations sauvages toute la journée de vendredi 18 octobre, les enragés ont joué les prolongations nocturnes et entrepris de détruire ce qui leur était hostile : ​ au moins 16 bus du Transantiago ont par exemple été réduits en cendres​ , dont neuf sur la place Grecia. Là, les manifestants se sont emparés d’eux après avoir fait descendre conducteur et passagers, puis les ont déplacé au milieu de la route pour servir de barricades enflammées.

Mais cela ne s’est pas arrêté là, puis qu’après des ​ fraudes massives dans le métro toute la journée​, où personne n’acceptait plus de payer, forçait les passages, en s’affrontant au besoin avec les carabiniers et les vigiles, et détruisait les bornes de paiement et autres tourniquets, des barricades ont été érigées à la tombée de la nuit sur les places Plaza Italia, Los Héroes, Portugal et dans plusieurs rues de Eje Alameda. ​ Parmi les attaques ciblées, on peut noter l’incendie du Monument pour les carabiniers à Alameda ou celui du gigantesque siège de la compagnie d’électricité et de gaz ​ Enel ​ . Situé en plein centre de la capitale chilienne​ au croisement des avenues Santa Rosa et Alonso, le feu a été mis dans les escaliers de secours de la compagnie, et a réussi à se propager jusqu’au 12e étage, ravageant tout sur son passage de la tour de bureaux.​ On notera également qu’une succursale de Banco de Chile a été incendiée dans le centre, et un supermarché pillé. La police a fait état d’au moins 180 arrestations et de 57 policiers blessés.

Pendant ce temps, le Président de la République Sebastián Piñera a été surpris en train de faire la fête dans une pizzeria du centre (à Viracura), ce qui n’a pas manqué d’élever le niveau de tension, comme un symbole de son mépris alors que les affrontements duraient depuis des heures . Rentré dans son Palais, il a décrété peu après minuit l’état d’urgence militaire dans les provinces de Santiago, de Chacabuco, et dans les villes proches de Puente Alto et San Bernardo. Nommé Estado de Emergencia, il peut être décrété par l’exécutif sans avoir besoin de l’aval du Congrès pour 15 jours renouvelables, restreignant les libertés de mouvement et de réunion et en autorisant les militaires à descendre dans la rue pour rétablir l’ordre.

Tous les rassemblements publics sont désormais interdits​ : à titre d’exemple,l’​ Asociación Nacional de Fútbol Profesional ​ (ANFP) a immédiatement annoncé la suspension de tous les matchs de football de toutes les divisions, et la puissante église catholique de ses pèlerinages, dont le fameux du ​ Santuario de Teresa de Los Andes . ​ Il est aussi prévu jusqu’à 10 ans de prison pour quiconque « ​ incite à détruire, mettre hors service, interrompre ou paralyser toute installation publique ou privée d’éclairage, d’électricité, d’eau potable, de gaz et autres assimilés, afin de suspendre, interrompre ou détruire les moyens ou éléments de n’importe quel service public ou d’utilité publique »

En pratique, c’est le général de division Javier Iturriaga del Campo, à la tête de la défense nationale, qui a été nommé responsable de faire appliquer l’état d’urgence, et a précisé que des patrouilles de militaires allaient sillonner les principaux sites de la capitale​ . Dès lundi est aussi prévue une session extraordinaire de la chambre des députés en présence du ministre de l’Intérieur à Valparaíso, loin de la capitale aux mains des militaires.

On le voit, quand les émeutes se déroulent dans la rue, ce qui est fréquent au Chili, et qu’elles se cantonnent à des affrontements ou des destructions de mobilier urbain, cela fait encore partie de la soupape démocratique. Mais lorsque les manifestants commencent à s’en prendre à des infrastructures critiques comme le métro ou le siège d’un géant de l’énergie, la donne change d’un coup. L’ensemble des 164 stations du métro de Santiago ont d’ores et déjà été fermées pour tout le week-end et jusqu’à nouvel ordre, afin de limiter les déplacements. 700 bus ont été réquisitionnés par le pouvoir pour gérer les déplacements.

Last but not least , ​ juste après les affrontements diurnes et l’état d’urgence, de nombreux groupes d’émeutiers ont alors décidé de ne pas plier et de s’en prendre à la source du problème pour le régler radicalement. A partir de la Plaza de Maipú, ils sont descendus sous terre et ont saccagé tout ce qui pouvait l’être dans des couloirs du métro transformés en galeries commerciales : des distributeurs aux magasins, des bureaux du métro à son matériel (caméras ou composteurs), tout y est passé. Au total sur les lignes 4, 4A et 5, ce sont les stations de métro Trinidad, San José de la Estrella, Elisa Correa, Pedrero, Los Quillayes et Santa Julia qui ont toutes été entièrement et sans merci livrées aux flammes​ . Selon son gestionnaire, les dommages se montent à 400 à 500 millions de pesos (630.000 euros). Elles sont entièrement inutilisables.

Si on ne peut que saluer la révolte lorsqu’elle s’empare des rues en souhaitant qu’elle s’approfondisse et dépasse sont prétexte initial, toutes les situations ne sont pas comparables, comme à Hong Kong depuis des mois où les manifestants prennent soin de cibler les intérêts chinois, ou en Catalogne depuis plusieurs jours où les protestations peinent à dépasser la question indépendantiste (sans évoquer les récentes émeutes sociales en Equateur, Irak ou à Beyrouth...). Ce qui se passe au Chili depuis quelques jours, tout en étant inscrit dans une ébullition plus large où à chaque fois de nouvelles taxes ou augmentations de prix font déborder le vase, nous semble requérir toute l’attention solidaire des anti-autoritaires, à présent que l’état d’urgence militaire vient tenter d’écraser des protestations largement destructrices. Et pas seulement parce que de nombreuses compagnonnes et compagnons se battent sans concession depuis des années dans ce coin du monde.

N’existe-t-il pas ici aussi des infrastructures critiques de transport, d’énergie ou de communication qui comme à Santiago sont indispensables à la perpétuation de l’ordre existant, et qui sont à portée de main de tout révolté ?Si la solidarité n’est pas qu’un vain mot, il est plus que temps de nous y mettre pour alimenter et prolonger là où nous vivons les importantes révoltes qui se déroulent autour de nous​. Et vu que la destruction, y compris de biens communs, est un langage qui parle directement d’un coin à l’autre de la planète... chacun.e a l’embarras du choix pour exprimer sa rage vers une liberté en acte contre ce monde de fric et de flics.



Chili : État d’urgence et couvre-feu n’y changent rien, la révolte s’étend à travers le pays – 19 octobre 2019



Pour rappel, toutes les stations de métro de Santiago sont fermées et​ ​ l’état d’urgence décrété dans la capitale depuis samedi minuit​ . Peu avant 20h ce samedi, l’armée annonce l’instauration d’un couvre-feu de 22h à 7h, et ce jusqu’à nouvel ordre. Mais ce samedi, les feux de la révolte partis de Santiago ont gagné de nombreuses localités chiliennes, comme Valparaiso, Concepción, Antofagasta, expropriant la marchandise et détruisant les infrastructures de l’État et du capital...

Actualisation, à partir de CNN Chile, 20.10.2019 à 13:11 :

L’Institut National des Droits Humains (INDH) a annoncé que 22 personnes avaient été grièvement blessées jusqu’à présent. Parmi elles, un bon nombre de cas de violences en garde à vue : coups au visage et aux cuisses, torture, femmes mises à nue, violences sexuelles... Par ailleurs, un homme est hospitalisé dans un état grave après avoir reçu une balle par les Fuerzas Especiales alors qu’il se trouvait à 5 mètres de distance. Un mineur de 9 ans est lui aussi dans un état grave après avoir reçu des balles dans le foie, les reins et les jambes. Une fillette est hospitalisée avec une balle dans la jambe.

Samedi 19 octobre dans l’après-midi​ , à Santiago, six bus sont incendiés à ​ Vicuña Mackenna ​ et des rames de métro sont cramées à la station ‘Elisa Correa’. Une heure plus tard, les rames de métro de deux autres stations sont enflammées par des émeutiers, à San Pablo (lignes 1 et 5) et à Macul.

Avant les incendies de ce samedi, le directeur général de la compagnie de transport, Rubén Alvarado, a fait un bilan : « les dégâts dépassent, selon une estimation préliminaire, largement les 200 millions de dollars. Sur les 136 stations de métro du réseau, 77 ont été endommagées et 20 incendiées. Parmi ces dernières, 9 sont entièrement détruites (Los Quillayes, San José de la Estrella, Trinidad, Macul, Protectora de la Infancia, Elisa Correa, La Granja, San Ramón et Santa Julia) et 11 partiellement (Gruta de Lourdes, Barrancas, Las Parcelas, Pedrero, Cumming, San Joaquín, Pudahuel, Laguna Azul, República, San Pablo et Vespucio Norte) » (La Tercera, 19 Oct 2019 | 05:54 pm)

A 18h50, on apprend que 44 feux rouges ont été abattus dans la capitale ce samedi (et 52 la veille).

A 19h, le Président Piñera annonce lors d’une conférence de presse qu’il suspend la hausse des tarifs du métro, qui sera votée ces prochains jours à l’assemblée lors d’une loi d’urgence... tout en maintenant l’état d’urgence militaire et la possibilité d’un couvre-feu.

Au moment de l’allocution du chef de l’État, ​ un incendie est allumé dans les stations de métro San José de la Estrella (ligne 4) et Laguna Sur (ligne 5, à Pudahuel) à Santiago​ ... A Pudahuel, les pompiers sont pris à parti par les émeutiers.

Un péage autoroutier sur la Ruta 78 est livré aux flammes au sud-ouest de la capitale, à Talagante ainsi que la mairie de San Bernardo en banlieue et une agence de la Banco de Chile à Melipilla.

A 19h30, c’est une ​ station-service Petrobas qui est pillée puis incendiée à ‘La Florida’​ , tandis que ​ le pied d’un immeuble en construction est en flammes à Concepción, et la Chambre de commerce de Santiago est pillée et saccagée​ .

A 19h40, le général Iturriaga fait son annonce : ​ « J’ai décrété la suspension des libertés personnelles de mouvement à travers un couvre-feu total aujourd’hui dans les provinces de Santiago et Chacabuco, et dans les villes de Puente Alto et San Bernardo ​ . Vous avez deux heures pour rentrer chez vous » . ​ Le couvre-feu est de 22h à 7h du matin jusqu’à nouvel ordre...

Les désordres ont commencé à s’étendre au cours de la soirée dans plusieurs villes comme Valparaíso, Antofagasta, La Serena, Ovalle, Talca, Rancagua, Puerto Montt et Punta Arenas.

A Valparaiso​ , les premiers affrontements se sont déroulés plaza Victoria. Il y a eu dans l’après-midi des passages en force sans payer massif de lycéens dans le métro, qui a décidé d’interrompre prématurément son service, en arrêtant tous les métros à 18h. Sur la place Victoria, dans l’après-midi, des manifestants sont entrés dans un magasin Ripley afin d’en sortir le mobilier et le cramer dans une grande barricade.

A 22h20, l’état d’urgence (Estado de Excepción Constitucional de Emergencia) est étendu à la province de Concepción, où les émeutes ont fait rage en journée pour s’intensifier la nuit tombée. C’est le contre-amiral Carlos Huber qui est chargé de sa gestion pour l’armée.

A 22h30, l’état d’urgence est étendu à la province de Valparaíso (sauf l’île de Pâques et la commune de Juan Fernández) avec couvre-feu à minuit. C’est le contre-amiral Juan Andrés de la Maza qui est chargé de sa gestion pour l’armée. 500 soldats sortent de leurs casernes pour reprendre le contrôle de Valparaíso.

L’aéroport international de Santiago annonce que les passagers des vols de nuit ont 2h pour le rejoindre avant sa fermeture (finalement, les billets pourront servir de sauf-conduit), et les compagnies de bus des trajets intérieurs du pays suspendent leurs liaisons de et vers la capitale « en raison des émeutes ».

Voici un bilan non-exhaustif établi à minuit ce dimanche 20 octobre (heure locale) concernant les saccages, pillages et incendies à Santiago et dans d’autres régions : pour exemple, la chaîne Walmart (marque de super et hypermarchés aCuenta et Lider) fait état de plus de 80 pillages et de cinq incendies de ses commerces.

Région de Biobío :

A Concepción​ , le supermarché Santa Isabel, la station-service Petrobras et le livreur Telepizza sont la cible de pillages sur la Diagonal Pedro Aguirre Cerda. Plus tard, le centre commercial ‘Mall del Centro’ est incendié. Le tribunal, rue Tucapel, est saccagé. Le supermarché situé à côté du club de sport Bellavista, est pillé. Les bureaux du méga projet immobilier de Aitué (la Ciudad del Parque, 7 tours de 21 étages) sont détruits par les flammes.

Région de Santiago du Chili :

A San Bernado​ , l’’hypermarché Líder de Lo Blanco est incendié. Deux femmes sont mortes brûlées accidentellement lors du pillage incendiaire. Une troisième personne, un homme, est grièvement blessée (hospitalisé avec le corps brûlé à 75%).

A El Bosque​ , l’hypermarché Líder de la Gran Avenida est pillé.

A La Florida​ , l’hypermarché Santa Isabel de l’avenue Trinidad est pillé. A 21h30, un supermarché est incendié avenue Walker Martínez. Le centre commercial Mall Vespucio de l’avenue Vicuña Mackenna est incendiée.

A Maipú​ , une station-service Copec et le centre commercial Mid Mall, situé Camino a Melipilla, sont incendiés. Le supermarché Líder sur l’Avenue Isabel Riquelme Sur est pillé.

A Chacabuco​ , une annexe de la préfecture (Gobernación) est livrée aux flammes. Les commissariats n°12 de San Miguel et n°1 de Santiago sont attaqués et subissent des dégâts.

Après l’annonce du couvre-feu, un supermarché OK Market et une pharmacie Cruz Verde, près du métro Villa Frei, sont pillés. Des véhicules d’un concessionnaire automobile place Ñuñoa sont réduits en cendres. Au croisement des rues Santa Isabel et Portugal, une pharmacie Ahumada est pillée.

Région de Valparaíso :

A Valparaíso​ à la tombée de la nuit, la station de métro ​ Quilpué ​ est saccagée et la station ​ Bellavista ​ incendiée. A 20h, l’énorme banque Ripley est attaquée avenue Brasil puis saccagée. La banque Santander est saccagée, mais aussi les mairies de Lo Espejo ​ et ​ La Cisterna ​ ainsi que les bureaux de l’AFP Provida (fonds de pension chilien). L’entrée d’une église est incendiée, tout comme le supermarché Unimarc de l’avenue Brasil. Le siège du journal El Mercurio est saccagé et incendié. Le même sort est réservé aux commerces de la rue Condell (dont une agence bancaire ServiEstado). Dans le secteur de Placilla, la route est coupée après que des émeutiers ont érigé des barricades.

A San Antonio​ , des manifestants ont attaqué un commissariat de carabiniers, détruisant les vitres et la porte, tandis que d’autres ont explosé la façade d’une agence de la banque ‘Santander’.

A Viña del Mar​ , un hypermarché Santa Isabel est pillé et la mairie saccagée.

A Quillota​ , le péage autoroutier La Palma est incendié.

A San Felipe​ , le péage autoroutier de Llay Llay est entièrement réduit en cendres.

Région de Tarapacá :

A Iquique​ , il y a également eu des tensions lorsque des manifestants ont attaqué des unité de la VIème Division de l’armée et ont même volé des canons à valeur patrimoniale. Selon BiobioChile, des manifestants ont notamment sorti un canon de guerre appartenant au ‘Regimiento Granaderos’, situé Avenida Arturo Prat.

Région de Coquimbo :

A Coquimbo​ , la croix géante, dite du Troisième Millénaire, est incendiée. Idem pour l’hypermarché Líder.

A La Serena​ , l’hypermarché ‘Santa Isabel’ situé en plein centre ville est pillé.Région d’Antofagasta :

A Antofagasta​ , la pharmacie Ahumada de Maipú est pillée et de gros dégâts (avec

début d’incendie) sont causés au Movistar de la place Sotomayor.

A Rancagua​ sur l’avenue principale Alameda, un concessionnaire automobile est

saccagé et incendié.

A Talca​ , une agence de la Banco de Chile est saccagée, et son mobilier à l’intérieur

incendié. Il y a de violents affrontements sur la Plaza de Armas et plusieurs banques

sont livrées aux flammes.

A Quilpué​ , une pharmacie du centre ville est pillée et une agence de la banque BPI

saccagée.

A Puerto Montt​ , les vitres de la Cour d’Appel et de banques sont brisées.

A Lampa​ , un supermarché Unimarc est pillé.

A Temuco​ , la station service Copec est saccagé.

A Copiapó​ , l’hypermarché Lider, au croisement des rues Copayapu et Chacabuco,

est pillé.

A Caldera​ , le supermarché Unimarc est pillé et saccagé.

A Arica​ , un camion de l’hypermarché Líder est incendié.



Chili : Troisième nuit d’émeutes sous couvre-feu – 21 octobre 2019



La nuit du 21 au mardi 22 octobre, fut la troisième sous couvre-feu au Chili. ​ En plus de l’état d’urgence qui court sur 15 jours, le couvre-feu a même été encore étendu​ face aux manifestations sauvages diurnes (à base de cacerolazo, de slogans et d’affrontements parfois importants) et surtout face aux saccages, pillages et incendies qui continuent. Il concerne désormais la région Metropolitana (Grand Santiago), Antofagasta, La Serena et Coquimbo, Valparaíso, Rancagua, Talca, Concepción, Valdivia, Osorno, Puerto Montt, Copiapó, Caldera et Vallenar​ . Il s’est également amplifié en horaires où les soldats peuvent tirer à vue et arrêter quiconque n’est pas muni de laisser-passer : dans les deux villes où la rage destructrice est actuellement la plus importante, Concepción et Valparaíso, son commencement a été abaissé à 18h (contre 20h ou 21h ailleurs), tandis qu’à ​ Pozo Almonte et Iquique​ où il vient d’être instauré, il n’est levé qu’à 7h du matin (contre 6h ailleurs). Dans cette dernière ville, l’Etat n’a vraiment pas apprécié l’attaque la nuit précédente du bâtiment de la préfecture (Gobierno) régionale, de la caserne des pompiers et de la foule se dirigeant vers la caserne de la VI Division de l’armée près de la plage Cavancha (foule repoussée par des tirs en l’air répétés de soldats). Sans parler des pillages au centre-ville.

Plus le soulèvement dure et s’étend, et plus il devient compliqué d’avoir une vision globale, et on peut bien sûr voir de tout : des habitants de quartiers (les fameux « vecinos ​ « ) s’organiser en gilets jaunes pour protéger les biens des pillages, les leurs ou tout ce qui les environne (supermarchés et institutions compris) ; d’autres qui soutiennent les émeutiers en multipliant les cacerolazos bien après le couvre-feu (comme ces 5000 personnes à Talca, 2000 à Puerto Montt ou une partie des 35 000 manifestants de Concepcion) ; une multiplication des rumeurs en tout genre ou d’images spectaculaires sur les réseaux sociaux censées indigner la population ; des tentatives de la gôche d’offrir un débouché politique au pouvoir en multipliant les revendications (de la démission de Piñera à une assemblée constituante !) ; de plus en plus de blessés par balles militaires, dont les premiers morts, et nombre d’accidents. ​ Ainsi, à propos des 15 morts qui tournent en boucle, il s’agit pour beaucoup de personnes coincées dans les incendies post-pillages​ : 2 dans celui du ​ Lider ​ de San Bernardo (19/10), 5 dans l’usine de vêtements ​ Kayser ​ à Renca (20/10), 1 dans celui d’un supermarché ​ Lider ​ à Matucana (Santiago, 20/10), 2 dans celui du magasin de BTP ​ Construmart ​ à Pintana (20/10), 1 électrocuté dans un Santa Isabel ​ pillé à Santiago (21/10) ;​ et les autres tuées par les forces de l’ordre : 1 par une balle dans le thorax à La Serena près du Mall (centre commercial) en voie d’être pillé (20/10), 1 à Talcahuano écrasé par un camion militaire (21/10), 1 d’une balle dans le thorax lors d’une manifestation à Curicó (21/10), 1 à Coquimbo lors du pillage d’un magasin (21/10) . Bien sûr, d’autres personnes ont été tuées ou grièvement blessées par les militaires dans la rue, mais elles ne sont pas comptées, puisque selon la bonne vieille technique policière, « le procureur doit enquêter pour savoir d’où venaient les tirs » !

En début d’après-midi lundi 21 octobre, l’​ Instituto Nacional de Derechos Humanos (INDH) recensait de son côté ​ 84 blessés par balles depuis le 17 octobre, ​ et l’Etat annonce ce matin ​ 2653 incarcérés pour « pillages » et « destruction »​ . Mais qu’on ne s’y trompe pas, alors que la gôche appellait en vain à une grève générale illimitée, à laquelle le syndicat CUT et la coordination ​ No Más AFP ​ (mouvement pour un système public de retraites, initié par des syndicats) se refusent jusqu’à présent au profit d’un seul jour (mercredi), des individus commencent à réagir à la hauteur : à ​ Valparaiso​ , huit commissariats ont été attaqués dimanche, à ​ Pudahuel​ cette nuit, en banlieue de Santiago, des pilleurs ont répliqué par des tirs à l’intervention de la PDI (police musclée de type BAC) en blessant l’un d’eux, tandis que le 6° Comisaría de carabiniers de ​ San Pedro de la Paz​ (province de Concepción) a également essuyé des coups de feu. Enfin, ​ sur les 93 carabiniers blessés lors de la journée de lundi, 6 sont dans un « état grave », dont 2 par balles​ .

Pour avoir une idée non exhaustive des incendies et pillages qui se sont produits lundi en journée et cette nuit, on peut noter l’incendie d’un hypermarché ​ Líder ​ à ​ San Ramón​ (Santiago) au croisement des rues Santa Rosa/Los Franciscanos ; le saccage du péage de ​ Chivilingo​ (Concepción) sur la Ruta 160 ; un second pillage du supermarché ​ Unimarc ​ à ​ Antofagasta​ ; l’incendie des bureaux de l’​ Instituto de Seguridad del Trabajo ​ (IST) à ​ Puerto Natales​ (Magallanes) ainsi que partiellement le commissariat avec des molotovs ; l’incendie de l’immense ​ Homecenter Sodimac (ameublement, construction et bricolage) à ​ Concepción​ mais aussi l’ancien immeuble de l’Etat civil, la Cour d’Appel (partiellement) et le bâtiment du Ministère de l’Education (dont le mobilier alimente les barricades) ; le pillage de l’hypermarché ACuenta ​ à ​ La Ligua​ (Valparaiso) ; l’incendie des bureaux d’​ Essal ​ (traitement des eaux, Suez) à ​ Orsono​ et des vitres de nombreux commerces ; l’incendie des bureaux de ​ AFP Capital ​ (fonds de pension) à ​ Rancagua​ ; l’incendie d’un bâtiment de la mairie à ​ Quilpué​ ; l’incendie du Ministère du Travail à ​ La Serena​ et le saccage du Mont-de-Piété (​ Caja de Crédito Prendario ​ , dans les deux cas le mobilier alimente les barricades) ; le pillage de l’hypermarché ​ Lider ​ à ​ Quilicura​ (Santiago) ; l’incendie d’un bus après avoir fait descendre conducteur et passagers à ​ Cañete​ (province d’Arauco) ; le pillage pour la seconde fois de l’hypermarché ​ ACuenta ​ à ​ Viña del Mar ; le pillage d’un ​ Ripley ​ à ​ Puerto Montt​ ,... tout ceci effectué par des centaines de révolté.e.s mobiles.

Aujourd’hui, le général Javier Iturriaga chargé de l’état d’urgence parle de ​ 932 arrêtés supplémentaires cette nuit de lundi à mardi 22 octobre, de 49 uniformes blessés et de 20 000 soldats et flics déployés dans la capitale​ . De même, il est confirmé que trois stations de métro de ​ Valparaiso​ (Quilpué, Miramar et Bellavista) ne pourront pas rouvrir de si tôt : comme 22 d’entre elles à Santiago, elles ont été incendiées par les émeutiers ! A présent, les grandes manoeuvres de négociation politique commencent aussi, avec d’un côté le gouvernement qui va recevoir les présidents des partis politiques de la majorité et de l’opposition pour voir quelles miettes leurs semblent adéquates afin d’acheter un semblant de paix sociale, et de l’autre une grève générale appelée par les syndicats rassemblés sous le nom Unidad Social ​ pour un seul jour, mercredi, demandant de d’abord retirer les militaires de la rue (et même pas cet autre minimum qui est la libération de tous les incarcérés) avant « ​ d’ouvrir un dialogue social ​ « . On le sait depuis longtemps, la revendication est la mort de toute révolte, c’est dialoguer et quémander à l’ennemi plutôt que de s’auto-organiser de façon autonome pour prendre par l’action directe ce qui nous intéresse et détruire le reste. En somme, ce qui se passe depuis vendredi dans plusieurs villes du Chili et que la politique de droite comme de gauche va essayer à tout prix de stopper...

A l’heure où certains rassemblements solidaires commencent à avoir lieu ici ou là, parfois blindés de politiciens comme à Paris et d’autres plus conflictuels (Berlin, Buenos Aires), il est encore temps d’étendre les feux de la révolte partout où nous vivons, et pas que devant les ambassades...

Chili : Détruire ou réformer l’existant – 21 octobre 2019



Mardi 22 octobre (cet aperçu est écrit avant la journée de grève générale de mercredi) dans un Chili toujours sous état d’urgence, les affrontements, pillages et incendies n’ont pas cessé, s’étendant à d’autres villes encore et provoquant en retour une nouvelle extension du couvre-feu par les militaires (concernant désormais 75% du pays). Dans un des épicentres de la révolte, Valparaíso et sa région, il est le plus étendu, dès 18h et jusqu’à 5h30 du matin. Il commence à 20h à Antofagasta, Calama, Tocopilla et Mejillones, à Copiapó et Caldera, à La Serena et Coquimbo, dans le Grand Santiago, à Racangua et Orsono, à 21h à Talca Valvidia et Puerto Montt, et à 22h à Arica, Iquique et Alto Hospicio (jusqu’à 6h).

Même si certains dinosaures marxistes blablatent à foison depuis quelques jours sur la « composition de classe » du mouvement de révolte chilien et la place occupée par le « lumpenprolétariat et les sous-prolétaires » ( !) en son sein, force est de constater que leur sujet politique préféré, les « travailleurs organisés » ne brillent pas par leur nombre lors des cacerolazos en journée (à l’exception des profs… puisque nombre d’écoles sont fermées) et des destructions nocturnes. C’est bien entendu parce qu’ils continuent de se rendre au travail jour après jour avec un couvre-feu aux horaires qui s’adaptent peu à peu aux besoins de l’économie (fin abaissée de 6h à 5h du matin dans plusieurs villes et à 4h à Santiago), au moins tant que les cogestionnaires syndicaux de l’exploitation ne les appellent pas à faire grève pacifiquement comme il est prévu mercredi et jeudi. Pendant que tous ces honnêtes gens qui répugnent à aller se servir directement sont au turbin (à l’exception des dockers qui ont fait grève lundi) les jeunes, les plus pauvres et leurs complices se rassemblent heureusement en journée dans la rue malgré l’état d’urgence pour faire face aux militaires (carabiniers et soldats). Ils s’en prennent courageusement à eux au risque des tirs de balles (en gomme, en caoutchouc, à billes de métal, ou même à « balles réelles » lors du couvre feu), montent des barricades de fortune, pillent et détruisent la marchandise. Malgré les fantasmes politiques, on n’est pas (encore ?) en présence d’une « insurrection généralisée« , ni qualitative ni quantitative, mais d’une minorité de la population qui se bat sans répit contre la condition qui lui est faite, même si on peut remarquer ici ou là de fortes mobilisations mardi, comme à Concepción où 50 000 personnes ont défilé (sur 220 000 habitants dans la ville). Au-delà de l’illusion des grands nombres qui font la force, il est évident au Chili comme ailleurs qu’une insurrection ce n’est en tout cas pas une concentration pacifique du plus de personnes possibles : c’est un double processus diffus et violent, à la fois d’expropriation et de destruction de l’existant, souvent minoritaire, comme certain.e.s ont commencé à le faire sans attendre personne depuis ce week-end. Un mouvement réel qui peut soit être rejoint par une multiplication des ruptures de la normalité – du travail saboté, de l’école désertée, de la propagande d’Etat silenciée, des institutions incendiées, de l’arrêt de la dévastation du territoire comme celle en territoire Mapuche… – à travers l’action directe, des blocages et des occupations, soit être étouffé par la répression, la revendication et une reconfiguration différemment identique de l’ordre (y compris sous forme de contre-pouvoir populaire).

Du côté des chiffres sortis récemment, l’INDH qui tente un suivi des arrêtés et blessés, parlait ce mercredi à 12h de 2.138 émeutiers incarcérés depuis le 17 octobre, 376 hospitalisés dont 173 suite à des tirs d’armes à feu des forces de l’ordre et au moins 5 tués par des agents de l’Etat. Etant une cible très particulière, les AFP (agences du système de pensions par capitalisation) recensaient mardi 41 de leurs agences saccagées ou incendiées, sachant que la moitié d’entre elles n’ont pas fourni de chiffres. Dans un pays ravagé par les Chicago Boys où tout est privé, si on passe des retraites à la santé, les trois grandes marques de pharmacie (Salcobrand, Ahumada et Cruz Verde) ont reporté 197 d’entre elles pillées, dont plusieurs réduites en cendres. Du côté des écoles, le ministère a listé 20 écoles saccagées et hors d’usage, dont deux incendiées (colegio de Lo Espejo et Catemo, région de Valparaíso). Enfin, du côté des super et hypermarchés, les grosses chaînes ont sorti leurs calculettes : 125 Lider et ACuenta pillés, dont 9 détruits (groupe Walmart) ; 87 Unimarc, Mayorista10, Alvi et OKMarket pillés, dont 4 détruits (groupe SMU) ; 78 Jumbo, Easy et Santa Isabel pillés, dont 5 détruits (groupe Cencosud) ; 15 Sodimac endommagés (grands magasins pour la maison, groupe Falabella) ce qui fait plus de 300 commerces de ces grandes marques saccagés. Ou pour reprendre l’image de l’Asociación de Supermercados, c’est un quart des supermarchés du Chili qui a subi des dégâts importants et un sur cinq qui a été pillé. Et tout cela en à peine quatre jours d’émeute. Enfin mardi, dans sa conférence de presse, ce qui inquiétait le sous-secrétaire à l’Intérieur Rodrigo Ubilla, n’était pas seulement cette énorme vague d’expropriations ravageuses, mais qu’au bout de quelques jours les émeutiers commençaient aussi de plus en plus à s’en prendre aux institutions, malgré l’état d’urgence et les couvre-feu : « on est parti de l’attaque et la tentative de destruction des lignes de métro jeudi et vendredi dans la région de Santiago, puis le week-end fut marqué par des incendies et pillages de supermarchés, et hier lundi dans une situation mélangée se profile l’intention de détruire les infrastructures publiques. Il y a eu des tentatives d’incendie [certaines fructueuses] de brûler les mairies de San Carlos, Calama, Quilpué, d’incendier la Préfecture Maritime d’Arica et aussi les commissariats de Puerto Natales et de San Pedro de la Paz, entre autres. Il y a eu 42 manifestations lundi qui ont rassemblé 130 000 personnes [sur 18 millions d’habitants]« .

Pour donner de nouveaux exemples de pillages (notamment géographiques) du mardi 22 octobre en journée et la nuit, au milieu d’affrontements avec les uniformes, il y a eu une station service Copec à Arica, un hypermarché Líder à Talagante, un supermarché Unimarc à Antofagasta (partiellement incendié) et de nombreux commerces, un magasin de vêtements Tricot incendié à Valparaíso et un hypermarché Lider avenue Colón, un hypermarché Acuenta avenue El Sol à Rancagua, un centre commercial à Puente Alto, un hypermarché Líder à Conchalí au croisement des rues Independencia et Olivo, l’incendie du Centro Regional de Abastecimiento (CREA, gros marché régional couvert) à Talca, attaque aux molotovs de la Capitainerie du Port à Arica par 5000 personnes suivie d’affrontements avec les militaires, l’incendie du péage à Chivilingo sur la Ruta 160…

Du côté des manoeuvres politiques, à la veille de l’annonce d’une grève générale, le président Piñera a consulté différents partis d’opposition (le PS, PC et Frente Amplio ont pour leur part refusé de discuter tant que les militaires étaient dans les rues) avant de déployer son agenda social à 21h30 : augmentation de 20% du minimum vieillesse de 110 000 à 132 000 pesos chiliens (136 à 163 euros), gel des tarifs de l’électricité, hausse du salaire minimum à 350 000 pesos (430 euros), une nouvelle tranche d’impôt de 40% sur les plus riches, baisse du prix de certains médicaments, réduction du nombre et des mandats des parlementaires, le tout enrobé comme il se doit (« Nous n’avons pas été capables de reconnaître l’ampleur de cette situation d’inégalités et d’abus. Je vous demande pardon pour ce manque de vision« ). Profitant d’un rapport de force, la gôche qui avait mené la même politique que Piñera avec Bachelet (présidente de la République entre 2006 et 2010 puis 2014 à 2018) a bien sûr jugé ces mesures insuffisantes, certains réclamant en sus une Assemblée nationale constituante pour modifier les règles du jeu héritées de la dictature. On remarquera tout d’abord que comme d’habitude les quelques miettes concédées par le pouvoir l’ont été suite à un mouvement de révolte hors-la-loi et violent de la rue, et surtout comme une carotte qui marche avec le bâton des militaires, dans le seul but de pacifier la révolte. En outre, face à une auto-organisation hors des partis et syndicats pour prendre et détruire, face à une autonomie farouche où les idées anarchistes ne sont pas absentes, le jeu classique de récupération de la gauche est de faire avancer son propre agenda politique à base de réformes du système et d’une nouvelle Loi Suprême qui garantirait autrement ce qui est critiqué de façon pratique depuis plusieurs jours (de la propriété à l’Etat).

Mercredi 23 octobre est prévue la grève générale qui devrait réunir énormément de monde dans les rues. On verra si ces foules se contenteront de défiler toutes ensemble en criant « non non non », ou si une partie d’entre elle rejoindra les travaux urgents de démolition en cours, à l’heure ou l’armée vient de rappeler ses réservistes pour tenter de faire face à la situation (et d’acheter en urgence 36 725 cartouches anti-émeutes)… Qui sait ?

PS : Enfin, comme on pouvait s’y attendre, filmer des actes illégaux et les mettre en ligne sert les flics (à l’exemple de la suite des émeutes de Londres en 2011 ou du G20 de Hambourg en 2017) : la Unidad de Análisis Criminal du parquet de la région de Bío Bío (villes de Concepción et Chillan) vient officiellement d’annoncer le 22/10 qu’elle recueille toutes les images sur les réseaux sociaux et internet pour identifier « les groupes de pilleurs organisés » des centaines de commerces attaqués dans cette région, et a même créé un compte de dénonciation anonyme pour leur envoyer toute image supplémentaire…



Chili : La grève n’éteint pas les feux de la révolte – 23 octobre 2019



Mercredi 23 octobre fut la journée de grève générale (424 000 personnes dans 68 manifs, selon l’Etat), et bizarrement, ce n’est pas celle où il y a le plus de choses à dire. C’est un peu comme si les grands nombres avaient rappelé au pouvoir que beaucoup souhaitent changer les choses plus profondément que les premières mesures annoncées – d’un système libéral vers un filet social pour l’adoucir, sans remettre en cause le capitalisme – et qu’il faudra certes compter sur eux, mais dans le calme. Ce qui ressort le plus, ce sont donc les demandes de démission de Piñera et surtout, surtout, le retour des militaires dans leurs casernes.

Sans détailler une fois de plus les régions et villes sous couvre-feu (qui commence cependant à être un peu allégé ici ou là comme à Concepción, 23h-4h pour cette nuit), une des nouvelles qui émerge de plus en plus est la mobilisation en territoire mapuche. A Boroa, Freire, Pelales et Boyeco, en zone rurale, se sont par exemple multipliés les blocages de routes avec des barricades enflammées, idem à Collipulli sur l’autoroute. Ce sont bien entendu des zones déjà très conflictuelles, habituées aux affrontements avec l’armée et où les sabotages contre l’industrie forestière ne sont pas rares (sans même parler de la question foncière). A Temuco, bien que la manifestation n’aie pas été autorisée par les militaires qui gèrent l’état d’urgence (contrairement à d’autres endroits), 6000 personnes se sont rassemblées Plaza Anibal Pinto en fin de matinée, et elles étaient 15 000 à défiler le soir venu. La nuit pendant le couvre feu, des émetteurs de la télévision et radio ont été réduits en cendres dans le Cerro Ñielol à Temuco. Au total, 383 manifestants ont été incarcérés dans la région (Cautín, Malleco, Villarrica) depuis dimanche, sur les 2.410 incarcérés recensés à l’échelle nationale depuis le 17 octobre par l’INDH mercredi à 22h (et 535 blessés, dont 210 par armes à feu et 20 « au pronostic vital engagé »). Parmi les jolies petites vidéos qui tournent, il y a par exemple ce groupe de jeunes contrôlés de nuit à Temuco par des carabiniers, qui se rebellent, frappent les bourreaux en uniforme et parviennent à s’enfuir après leur avoir chourré leur arme.

A Santiago, le grand rassemblement s’est déroulé comme de coutume Plaza Italia, mais en débordant sur les boulevards adjacents. Plusieurs affrontements ont eu lieu avec les carabiniers, notamment au croisement de Alameda et Santa Rosa, et le symbole de la journée fut peut-être l’attaque de l’hôtel de luxe Principado de Asturias près du parc Bustamante, qui a perdu ses vitres et dont la réception fut saccagée. Une partie de son mobilier a servi à alimenter le feu des barricades pendant que les karatékas de plusieurs pays qui espéraient participer tranquillou aux championnats du monde jeunes dans la capitale chilienne ont dû évacuer à toute berzingue leur résidence provisoire. On notera également l’attaque qui a ensuite eu lieu un peu plus tard Plaza Baquedano, toujours à Providencia (Santiago) du hall de la tour Telefónica Chile, longtemps la plus haute de la capitale et dessinée par un architecte technophile en forme de téléphone portable. Ailleurs autour des manifestations ou après, on peut noter le pillage d’un gros camion de nourriture à Tarapacá (ensuite incendié), celui de plusieurs commerces à Rancagua, celui du supermarché Mayorista 10 à San Bernardo avenue Portales, celui d’un Ripley à Valparaiso Plaza Victoria ; le nouvel incendie de la station de métro à Maipú (Santiago) sans oublier celui d’un supermarché Alvi précédemment pillé, celui du supermarché Unimarc à Antofagasta Plaza Bicentenario, celui du Mall chino à San Ramón, celui de l’hypermarché en gros Central Mayorista à Conchalí, celui de l’hypermarché Acuenta à Renca précédemment pillé… Enfin, à Coyhaique en Patagonie, une partie de la prison (Centro de Cumplimiento Penitenciario) a été incendiée, mais on ne sait pas si le feu est parti de l’intérieur ou de l’extérieur (aucun prisonnier blessé).

En passant, précisons que s’il est un point commun entre les différents partisans de l’autorité, c’est bien de refuser de penser qu’un mouvement de révolte puisse être largement spontané et autonome : d’un côté les carabiniers parlent de « groupes organisés de traficants de drogue » derrière les… 3000 commerces pillés, de l’autre les complotistes en tout genre hurlent… au complot (les flics ont incendié les métros !, et pourquoi les flics étaient absents là ou là ?, les flics travaillent avec les encapuchados !, etc etc), et pour finir les idéologues les plus obtus fustigent « les dégâts faits par les black blocks » (chez Révolution permanente) ou insultent directement les joyeux casseurs-pilleurs chiliens à coups de révisionnisme stalinien : « des carabiniers ou militaires ont volontairement incendié des commerces, pour ensuite recevoir les propriétaires d’hypermarchés à La Moneda (le palais présidentiel) et justifier ainsi le recours aux forces armées. Non, le pays n’est pas en proie à une émeute violente et pillarde » (Raquel Garrido, France Insoumise dans Marianne du 24/10).

Du côté de la politique chilienne, le président Piñera se montre plus ouvert qu’au début en matière de miettes à lâcher pour étouffer la révolte, en tout cas avant les deux réunions internationales qui doivent se tenir au Chili – le forum de la Coopération Asie-Pacifique (Apec) les 16 et 17 novembre, et la COP 25 du 2 au 13 décembre. Il a continué sa tournée de consultations pour « comprendre la crise » (notamment avec des intellectuels serviles, comme l’ancien ministre socialiste José Antonio Viera-Gallo) ; il vient d’adresser aujourd’hui un signal à la gauche à la chambre des députés lors du vote de la proposition de loi communiste de réduction de la durée hebdomadaire du travail de 45h à 40h (les députés RN de son parti se sont abstenus plutôt que de voter « contre » comme prévu) ; et son gouvernement recevra la puissante Fédération des ouvriers du cuivre (FTC) regroupant des salariés de toutes les divisions de l’entreprise publique Codelco – principale productrice de cuivre au monde -, une FTC qui a décidé de profiter de la situation pour discuter amélioration des conditions de travail sans attendre le retrait des militaires de la rue. Pendant ce temps, le nombre d’incarcérés pour « pillages et destruction » augmente en même temps que les cas de torture et de blessures par balles des forces de l’ordre, et on assiste également aux premières perquisitions de domiciles comme à Rancagua pour récupérer les produits de supermarchés pillés chez les gens (enquêtes de police basées sur les vidéos en ligne). Cette nuit beaucoup de personnes n’ont une fois de plus pas lâché l’affaire malgré le couvre-feu, notamment dans les quartiers périphériques de Santiago où plusieurs barricades enflammées ont illuminé la nuit.

A chacun.e de voir comment ici aussi étendre feu contre un même monde d’oppression et de domination, et pourquoi pas offrir un peu d’oxygène aux feux de la révolte chilienne.



Chili : Contre tout retour à la normale – 24 octobre 2019



Jeudi 24 octobre était le deuxième jour prévu pour une grève générale, avant de nouveaux appels syndicaux à simple « mobilisation » pour vendredi, et bien sûr à 17h après le travail (deux jours de grève, pas plus, faut pas exagérer, c’est pas comme s’il y avait un territoire sous état d’urgence et couvre-feu avec des militaires qui arrêtent, tabassent, torturent, tuent et arrêtent en nombre des révolté.es).

Si la foule des honnêtes gens fut nombreuse dans les rues, elle fut surtout tranquille, laissant les plus véhéments se battre seuls dans un classique pierres contre lacrymos et barricades de fortune contre canons à eau. Comme si rien ou si peu ne s’était passé depuis le 17 octobre, en somme, dans un scénario classique de manifestations océaniques ponctuées d’échauffourées sur les côtés ou un peu plus loin. Ici ou là, on a même vu des manifestants s’opposer aux pillages. Bien sûr, une révolte sociale de cette ampleur n’est pas une longue ligne droite qui partirait d’émeutes de quartier pour arriver en se généralisant à une insurrection, cela ne fonctionne pas comme ça. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas, il y a des moments plus intenses et des journées pour reprendre des forces, des éclats qui dialoguent directement entre eux au sein de la conflictualité pour former un kaléidoscope ardent, et de ternes reflets d’une normalité (y compris militante) à peine fissurée. Reste qu’il est frappant de constater à quel point le dispositif des syndicats, de la gauche et des citoyens indignés pour occuper la rue participe aussi à sa manière à une neutralisation de l’antagonisme en cours. Transformer les individus en masses plutôt que le contraire fait partie de leur travail de cogestion démocratique de l’existant.

A côté de cela, puisque chacun.e dispose d’une autonomie d’agir, on ne peut cependant pas tout mettre sur le dos large de ces dispositifs d’encadrement, puisque les déborder, les rompre ou s’auto-organiser ailleurs et autrement qu’à l’intérieur ou à partir de ces manifestations centralisatrices (Plaza Italia et Plaza Baquedano à Santiago) reste toujours possible. L’explosion initiale de la révolte n’avait-elle pas justement été le fait de groupes diffus et variés (parfois de quelques centaines de personnes) qui multipliaient destructions et réappropriations en partant de là où ils vivaient pour aller attaquer plus loin, pillant supermarchés et centres-ville ou brûler banques et institutions ? Bien sûr, les quartiers et poblaciones protagonistes de ces milliers actes de la guerre sociale sont particulièrement visés par l’état d’urgence, et il n’est en tout cas pas certain que les grandes concentrations populaires essentiellement dansantes ne contribuent pas à les isoler encore plus. En plus des quelques affrontements, ce sont donc surtout des vitrines qui ont été brisées hier ici ou là jeudi.

A Concepción, pour donner un exemple intéressant d’auto-organisation qui a heureusement fait tâche dans le paysage citoyen, les pavés ont été retirés du sol par des émeutiers pour être répartis au centre et servir de projectiles contre les carabiniers, ouvrant des espaces qui ont permis les pillages de plusieurs commerces (dont le magasin de mode Evita, un Tricot et partiellement un Ripley), sans parler du saccage incendiaire de la Caja de Compensación Los Andes (un institut de crédit), ainsi que la destruction incendiaire du premier étage de la Sala Andes (le théâtre d’art dramatique). Que cela plaise ou non, les groupes émeutiers s’en sont pris au centre ville bourgeois, pillant et détruisant ce qu’ils pouvaient : la municipalité de Concepción reporte par exemple qu’il y a actuellement 32 carrefours sans feux de circulation, puisque plus d’une centaine d’entre eux (sur 350) ont été arrachés pour servir de barricades ou de bélier. Un autre exemple, cette fois à quelques-uns, puisque pendant que beaucoup sloganaient près des palais du pouvoir de Santiago ou faisaient des happenings, dans le quartier périphérique de Maipú d’autres s’échinaient à ouvrir trois distributeurs de billets restés intacts dans le supermarché Líder (pillé et abandonné depuis plusieurs jours) à l’aide de chalumeaux oxy-acétylène. Cela nous rappelle que la veille, dans une autre banlieue de Santiago, à Lo Espejo, c’est une autoroute qui avait été envahie avec l’intention de vider les camions bloqués. Dans la région mapuche d’Arauco, ce sont cette fois des entreprises d’exploitation forestière qui ont été prises pour cible : la nuit de mercredi à jeudi à Tirúa (plusieurs bâtiments incendiés), et jeudi matin sur la route de Cañete à Contulmo (un camion chargé de bois arrêté puis incendié). Dans la région de Valparaíso, ce sont de la même façon les trois cabines du péage Zapata qui sont parties en fumée sur la Ruta 68,…

Côté chiffres, le ministère chilien de l’économie a précisé que pour l’instant ce sont 677 commerces qui ont été pillés et incendiés, et que 30% des supermarchés sont bien hors service suite à ces attaques (soit 344 d’entre eux). De son côté, le directeur du Transporte Público Metropolitano (DTPM, région du Grand Santiago), a ajouté que 24 bus avaient été incendiés, 1300 « vandalisés » en cours de réparation ainsi que 9 dépôts. En vue du retour à la normale tant souhaité par Piñera, plusieurs lignes de métro ont rouvert à Santiago sur certaines lignes, mais selon les comptes définitifs établis jeudi par son directeur lors d’une conférence de presse, 118 stations de métro sur 136 sont endommagées, avec un coût des dégâts estimé à 380 millions de dollars : 25 ont été incendiées (7 entièrement et 18 partiellement) et 93 largement endommagées. A cela il faut ajouter 10 rames totalement ravagées (7 incendiées dans les stations San Pablo, Elisa Correa, San José de la estrella, Protectora Infancia et 3 « vandalisées » dans les stations Neptuno, Lo Ovalle et Rojas Magallanes). Enfin, les lignes 1 (section San Pablo), 4, 4A et 5 ont leurs systèmes électriques et de signalisation entièrement à réparer, ce qui fait que certaines stations resteront fermées au moins jusqu’à mars 2020, et peut-être une année entière pour quelques-unes (notamment la 4). Le président du métro a comme il se doit été appuyé par les représentants de ses fidèles « travailleurs organisés« , à l’image du président du Sindicato de Profesionales y Técnicos de Metro, Eric Campos, qui s’est à son tour épanché à la télé pour nous livrer qu’il « doute fort que ceux qui demandent aujourd’hui un changement structurel si important au Chili incendient le moyen de transport de la classe laborieuse« . Outre le manque absolu de capacité dialectique de ce bonze qui l’empêche de comprendre qu’on peut à la fois se rendre au chagrin pour bouffer et se révolter contre l’exploitation en identifiant des rouages qui la fluidifient, il oublie surtout que tout le monde ne se résout pas comme lui à une vie d’esclave du berceau à la tombe, par choix ou nécessité, préfèrant alors détruire ce qui nous détruit.

Enfin, à propos des autres objectifs sensibles dans un territoire en ébullition, l’ancien sous-secrétaire aux Télécommmunications Pedro Huichaf a fournit quelques indications aux révoltés dans une déclaration à La Tercera (23/10) : « Il existe ce qu’on appelle des infrastructures critiques, qui ont besoin d’énergie constante pour fonctionner. Dans des situations comme celle que vit le Chili actuellement, ce qui pourrait nous préoccuper le plus sont les infrastructures de fibre optique, qui transportent les données des téléphones portables vers les antennes-relais, et de là à internet. Nous devons particulièrement les protéger« . La Chambre du Commerce de Santiago vient d’évaluer à 1.400 millons de dollars ce jeudi les pertes liées aux désordres comme à l’état d’urgence dans son secteur : gageons que si les révolté.e.s commencent à s’en prendre aux infrastructures critiques, ce chiffre pourrait vite s’envoler bien plus haut !

Le métro refonctionne partiellement, aidé par des bus qui parcourent les arrêts fermés ; les compagnies aériennes chiliennes (Latam, Sky et Jetsmart) qui modifiaient tous leurs vols en permanence à cause des désordres et du couvre-feu (de 1000 à 6000 passagers dorment chaque soir à l’aéroport de Santiago sur des lits de camp) ont établi leur nouvelle grille horaire provisoire ; les travailleurs reprennent le chemin du travail en journée après deux jours de grève, avant de se rassembler quelques heures (soit de la fin du boulot au début du couvre-feu) ; des militaires et des citoyens nettoient le soir les dégâts de la journée ; le grand syndicat CUT vient de présenter ses revendications (euh, sa « feuille de route« ) au gouvernement ; des sénateurs de gauche proposent un référendum pour changer la constitution ; des files de clients patientent sagement à l’entrée des supermarchés intacts et gardés (ils ne peuvent rentrer que quelques-uns à la fois)… et en face le bilan militaire de l’état d’urgence s’apesantit chaque jour : 7.641 personnes ont été arrêtées depuis le début de l’état d’urgence et passées devant un juge (plusieurs centaines d’incarcérés), 295 ont été blessées par les balles des forces de l’ordre, et on commence même à compter les yeux crevés par les militaires (43 selon le syndicat chilien de médecins). Bref, on est en train d’assister à une sorte de normalisation… de l’état d’urgence qui doit durer une semaine minimum encore, soit une démocratie autoritaire qui a rajouté des soldats à sa police, qui restreint les libertés de circulation et de rassemblement au besoin (toutes les manifs ne sont par exemple pas interdites), qui tire abondamment contre les méchants et négocie timidement avec les gentils.

Le Chili n’est pas le passé, c’est peut-être notre futur. Un futur dont toutes les conditions sont présentes ici aussi. Sauf que… sauf qu’on ne sait jamais jusqu’où peuvent aller les flammes de la révolte. En tout cas, le secret est bien entendu de commencer par les allumer…







Chili : Rien n’est fini – 25 octobre 2019



Vendredi 25 octobre au Chili fut donc la journée qui a été qualifiée comme une « mobilisation historique de la population pour une société moins inégalitaire« , avec près de 1,3 millions de manifestants dans les rues (sur 18 millions d’habitants). Le lendemain, le président Sebastián Piñera a répondu par deux annonces : la démission de tous ses ministres pour former un nouveau gouvernement (le 3e remaniement depuis son entrée en fonction en 2018) et une levée de l’état d’urgence pour dimanche (ainsi que bientôt la baisse du prix de l’eau et des péages, tout en convoquant les « représentants sociaux, politiques et de la société civile » pour écouter leurs propositions). En guise de geste de bonne volonté, le couvre-feu a déjà été levé dans tout le Chili dès samedi soir, et le grand jeu de la politique pourrait presque reprendre ses droits avec une droite conservatrice au pouvoir qui lâche des miettes et une opposition qui essaye d’en gratter un peu plus.

Tout changer pour que presque rien ne change, en somme, à commencer par les bases structurelles de ces inégalités dénoncées : une domination d’exploitation et d’autorité. En même temps, si l’objectif était de réformer le système en attendant de nouvelles élections avec de meilleurs maîtres, il est sûr que se concentrer pacifiquement en masse comme vendredi peut être une possibilité… en oubliant toutefois que c’est bien parce que des milliers de personnes se sont battues sans faillir contre les flics et les militaires en faisant fi de la loi (d’urgence ou de la propriété) que ces maigres changements ont été concédés. Et surtout, c’est oublier aussi que toutes ces personnes ne demandaient rien au pouvoir : elles prenaient et détruisaient directement leur quotidien d’oppression, des temples de la marchandise aux institutions d’Etat, des infrastructures publiques de transport aux organes du mensonge d’Etat. Mais que peut faire une foule de plus d’un million de manifestants réunie entre un boulot de misère et un couvre-feu ? Continuer à occuper les places en violant ouvertement et collectivement ce dernier plutôt que d’aller se coucher contente du poids de son nombre, à l’image de Taksim en Turquie (2013) ou de Tahrir en Egypte (2011) sous des régimes non moins autoritaires ? Attaquer en masse les symboles du pouvoir comme le Palais de la Moneda ou toute autre institution (les prisons remplies de révolté.e.s), parce qu’un million ce n’est pas rien ? On ne peut que constater une fois encore que la force ne réside pas dans le nombre -pas touche aux inégalités, juste un petit changement de personnel-, mais qu’il faut l’envisager de façon qualitative comme cela se passe depuis une semaine : à travers l’auto-organisation pour partir à l’assaut de l’existant sans rien demander à ceux qui tirent sur un mors toujours plus sanglant.

Après une semaine d’émeutes et malgré le climat des manifs pacifiées, tout le monde n’en est heureusement pas resté là, y compris un « jour de mobilisation historique ». Parce que la liberté est encore loin, et que comme le disent les compagnons chiliens de Sin banderas ni fronteras dans un texte du 25 octobre, « Rien n’est fini, tout continue, nous continuons aujourd’hui plus que jamais à combattre l’Etat, le Capital et toute autorité« . A Santiago, une centaine d’incontrôlés a par exemple continué de diffuser la révolte dans les rues en incendiant toutes les entrées du métro Baquedano, en s’affrontant aux carabiniers avec force molotovs, en procédant à des pillages (le supermarché OK Market situé Plaza Italia, l’Unimarc à l’intersection de Portugal avec Alameda) ou des incendies (la boutique de fringues Paris, des barricades, du mobilier urbain) et des destructions (comme la Cámara de Comercio rue Monjitas). Enfin, vers 22h, des inconnus ont réussi à briser les vitres des studios de la chaîne de télévision Mega, puis à bouter le feu à l’intérieur. En banlieue dès vendredi soir à Pudahuel, un supermarché déjà pillé les jours précédents (Mayorista 10) a cette fois été réduit en cendres. A Valparaíso, des affrontements sporadiques commencés tôt ont obligé les députés à évacuer le bâtiment où ils étaient en train de légiférer suite aux gaz lacrymogènes et des émeutiers qui s’en approchaient trop près. Un peu plus tard, un magasin Abcdin a été incendié (avenue Pedro Montt) et un hypermarché Santa Isabel a été pillé (avenue Brasil). A Concepción, un bâtiment des assurances Liberty Seguros a été incendié, tandis qu’à Antofagasta c’est un supermarhé Unimarc qui a été pillé (à Huamachuco). A Arica, il y a eu plusieurs affrontements, et une tentative de pillage de l’hypermarché Líder (à Diego Portales). A Tirúa, en zone mapuche, on a appris que ce sont quatre camions et une machine de l’entreprise forestière Mininco qui sont partis en fumée, revendiqués par la Coordinadora Arauco Malleco (CAM).

Enfin, malgré toutes les grandes phrases des puissants, la sinistre comptabilité quotidienne de l’INDH pointait samedi soir au moins 3162 arrêtés et 1051 blessés hospitalisés depuis le 17 octobre, dont 531 suite à des tirs d’armes à feu des forces de l’ordre et 125 avec le globe occulaire endommagé. Malgré cela, et au-delà des annonces de Piñera sur l’arrêt prévu de l’état d’urgence, beaucoup de monde est encore descendu dans les rues samedi 26 octobre sans se démonter, puisque le retrait des militaires prévu pour dimanche n’était finalement qu’un point parmi d’autres, et de nombreux affrontements, saccages et tentatives d’occuper mairies et préfectures régionales (Gobernación) ont commencé dès l’après-midi, notamment à Santiago, La Serena, Coquimbo, Osorno, Talca, Puerto Montt et Concepcion, peut-être pour une longue nuit sans couvre-feu… A présent que l’Etat a reculé d’un petit pas et que la politique tente de reprendre le dessus sur un mouvement largement autonome, c’est un monde entier qu’il s’agit de continuer à démolir. Comme le disent encore Sin banderas ni fronteras, » nous savons que tout cela n’est peut-être qu’une décharge massive de rage contenue pour ensuite retourner à une nouvelle normalité capturée par des opportunistes de n’importe quelle couleur politique comme plusieurs ont déjà tenté de le faire en ces jours de chaos. En ce moment comme dans les autres, nous resterons actifs comme individualités anarchistes contre toute forme d’autorité« .

Et gageons qu’ils ne seront pas les seuls, tant il n’est pas dit que seule la soumission à l’Etat (« plus d’Etat social » étant une des revendications présente) soit contagieuse, quand autant de monde peut faire l’expérience directe d’une révolte sans leaders où le plus froid des monstres a montré, y compris sous un régime démocratique, son visage de toujours : la torture, la prison et la mort pour celles et ceux qui ne se plient pas à son ordre oppresseur. « Daremos la pelea, cueste lo que cueste » (nous continuerons le combat quoi qu’il en coûte) est aussi un cri qu’on a pu entendre repris en choeur dans les rues parmi celles et ceux continuent de se battre…



Chili : Quelques notes sur le week-end de révolte – 26 et 27 octobre 2019



Ci-dessous un rapide aperçu de la révolte en cours au Chili à divers endroits du week-end des 26 et 27 octobre, réalisé à partir de la presse chilienne :

Dimanche 27 octobre, il y a eu des barricades incendiaires et des affrontements lors des marches dans une multitude de villes, comme à Talca, Antofagasta, Concepcion, Punta Arenas …

A Santiago, un bus Transantiago est incendié dans la soirée, dans le secteur de Peñalolén. Un groupe d’une vingtaine d’encapuchadxs ont stoppé le bus et ont fait descendre le chauffeur, avant d’y mettre le feu. Le bus ne transportait aucun passager. Un autre bus, cette fois de la société Express, est brûlé par une vingtaine de manifestants dans le même secteur.

A Conchalí, ville au nord de Santiago, deux supermarchés ‘Cottus’ et ‘Sodimac’ situés au carrefour de Pedro Fontova et Vespucio Norte sont incendiés. Concernant la magasin Cottus, il s’agit du deuxième incendie en une semaine, après des pillages répétés.

Plus de 100.000 personnes ont défilé entre Viña del Mar et Valparaíso.

A Valparaiso, une pharmarcie ‘Cruz Verde’, située à l’angle de Bellavista et Condell, est pillée avant d’être incendiée.

A Concepcion, un incendie s’est déclaré aux troisième et quatrième étages d’un bâtiment de la Caja Los Andes (caisse de pension).

A Punta Arenas, à l’extrême-sud du pays, des barricades sont érigées dans le centre de la ville, illuminant la nuit et interrompant la circulation. Les carabiniers ont très vite rappliqué et gazé la foule, qui a riposté par des jets de divers proectiles. Des émeutiers se sont ensuite attaqué à plusieurs agences d’entreprises de téléphone, en détruisant le mobilier à l’intérieur et en le sortant dans la rue (cf vidéo) : une boutique de la société télécom ‘Movistar’ située à l’angle de Colón et de Bories, une autre de ‘Claro’ au même endroit, ainsi qu’une deuxième agence de ‘Claro’ localisée à Mejicana la cual sont littéralement défoncées ; la dernière des trois a même subi un pillage en règle. Au cours de la manifestation de vendredi, la statue de Fernand de Magellan, érigée au centre de la Plaza Benjamín Muñoz Gamero, a été vandalisée par de la peinture rouge et diverses rayures.

Samedi 26 octobre, de grosses émeutes ont éclaté en fin de manifestation à Concepcion, épicentre de la révolte en cours, et ce depuis le 18 octobre. Dès la fin d’après-midi, des enragés se sont notamment attaqué à un organe de la propagande d’État, matérialisée par les locaux de la radio Bio Bio, qui a vu les vitres de son bâtiment voler en éclats. 80 personnes auraient pris part à l’attaque, selon les médias.

Le bâtiment patrimonial du gouvernement n’a pas échappé aux jets de lourds pavés qui ont brisé ses vitres blindées.

Au total, près de 71 cas de vandalisme ont été recensés sur l’ensemble de la journée par le maire de la ville A. Ortiz : de nombreuses agences bancaires et divers magasins ont été détruits, et il s’en est fallu de peu pour que le supermarché Unimarc de la rue Caupolicán ne se fasse piller (tentative avortée par l’intervention rapide des carabiniers).

Selon le chef de la Défense Nationale dans la région de Bio Bio, Carlos Huber, « bien que la manifestation de samedi ait été pacifique, elle s’est de nouveau soldée par des affrontements dirigés par des groupes minoritaires violents. Huber a expliqué « qu’il y a eu beaucoup de destructions de biens publics et privés dans le secteur de la Plaza Independencia jusqu’à 22h, des affrontements ont eu lieu avec les Carabiniers et les Forces Armées qui protégeaient principalement les infrastructures critiques telles la préfecture régionale (Gobernacion) et la Municipalité qui, à un moment donné, étaient en danger. »

Au total, 74 personnes ont été arrêtées et plusieurs carabiniers blessés à la tête par des jets de pierre.

Des affrontements avec les forces de l’ordre ont eu lieu dans d’autres villes, comme à Punta Arenas, à Santiago ou encore à Valparaiso, où la cathédrale a de nouveau été saccagée lors de la manifestation de ce samedi. Le Diocèse évalue les destructions commises à l’intérieur et à l’extérieur de la cathédrale à plus de 20 millions de pesos (25.000 euros). Un cul-béni du coin raconte à une radio locale que « samedi après-midi, un groupe de personnes a forcé les barreaux de la cathédrale, brisé une nouvelle fois les portes et sortir les bancs dans les rues afin de les brûler ». Il a également précisé que le groupe d’iconoclastes a cassé un vase d’eau bénite, brûlé les portes et détruit une vingtaine de bancs. Le week-end précédent, la cathédrale avait déjà été prise pour cible, la porte principale incendiée et sa façade taguée. Pour rappel, et comme à chaque fois que les pauvres et opprimés s’insurgent contre cet existant misérable, le pape s’est fendu d’un appel à la population insurgée « d’arrêter les violences et de prendre la voie de la négociation », alors même que des centaines de personnes étaient déjà enfermées, mutilées, torturées et certaines tuées par les gardiens de l’ordre.


A Rancagua, des barricades ont été érigées et incendiées à la nuit tombée, après la marche qui fut plutôt pacifiée. Les locaux du secrétariat régional ministériel du logement (SEREMI de Vivienda) ont été attaqués (dégâts matériels et pillage partiel), ainsi qu’une station-service COPEC et une agence de la société chilienne de télécommunication TVR (dégâts matériels). 28 personnes ont été arrêtées par les flics.


A Vitacura (région métropolitaine de Santiago), vers 22h samedi, la prese rapporte qu’un individu a jeté un cocktail Molotov en direction de la concession automobile ‘Wcar’ : quatre véhicules tout neufs ont été fortement endommagés.

Ce samedi, quelques chiffres concernant l’impact de la révolte sur l’économie ont été publiés dans la presse du pays. Les principales municipalités de la région métropolitaine (Santiago) ont chiffré à plus de 20 milliards de pesos (24.830.000 euros) de dégâts causés rien qu’au mobilier urbain (« biens publics ») lors des dix derniers jours de manifestations. Ces pertes correspondent à la destruction de feux de signalisation, sièges et bancs, poteaux, monuments, éclairages, panneaux publicitaires, etc.


A Puente Alto, dans la banlieue sud de Santiago, est l’une des villes les plus saccagées de la région métropolitaine avec un total de neuf milliards de pesos (11.173.500 euros) de dégâts causés principalement aux caméras de sécurité, panneaux publicitaires et arrêts de bus, installations du métro.

Dans le même temps, le ministère des Cultures, des Arts et du Patrimoine a signalé qu’à ce jour (26.10.2019), une dizaine de bâtiments (à savoir les musées des Beaux-Arts, de l’Histoire Naturelle de Valparaiso et Régionale de Magallanes, ainsi que la Bibliothèque Nationale et la Severin) ont eu leurs façades dégradées.

Tout au sud du pays, on apprend ce lundi 28 octobre que 11 véhicules de police ont été endommagés à Punta Arenas (Région de Magallanes et de l’Antarctique chilien), la plupart pour des fenêtres et pare-brises cassés. Deux d’entre eux ont du être retiré du trafic, les autres continuent de circuler avec leurs vitres pétées. D’après un flic interviewé, « certains de ces véhicules endommagés sont haut-de-gamme, seulement mis en service en juillet dernier […] ».





Chili : L’oasis sent encore le brûlé – 29, 30 et 31 octobre 2019



« Au milieu de cette Amérique Latine pleine de convulsions, notre pays le Chili est une véritable oasis »,
Sebastián Piñera, 8 octobre 2019

Ces trois derniers jours, de mardi 29 octobre à jeudi 31 octobre, la révolte au Chili a dû s’inscrire dans un contexte où de nombreux contre-feux ont été allumés pour la ramener vers des chemins plus raisonnables. Puisque le choc frontal de la force brute avec état d’urgence et couvre-feu nocturne pendant une semaine n’y a pas suffit, c’est à présent une stratégie d’encerclement qui se déploie : d’un côté en ouvrant plus grand la porte à ceux qui veulent négocier et réformer le pays (début d’un possible processus de révision de la Constitution, lancement d’un prochain Grand Débat à la française, réception acceptée des partis d’opposition à La Moneda) ; d’un autre côté en séparant dans la rue le bon grain pacifique de l’ivraie émeutière (de l’organisation de concerts sur les places aux assemblées citoyennes et jusqu’à la dramatisation de certaines attaques, tout en passant par les condamnations officielles du bordel par les leaders de gauche).

Face à cela, pour donner une idée variée des attaques diffuses, prenons la seule journée de mardi : incendie aux molotovs de la mairie de Quilpué (un jeune de 18 ans incarcéré et un mineur en contrôle judiciaire), nouveaux pillages et affrontements à Concepción, sans compter les vitres brisées du ministère de la pêche ; incendie des locaux de l’Automóvil Club (auto-école) à La Serena, pillage d’un supermarché Unimarc à Antofagasta, incendie de l’église El Salto dans la localité de Púa (Victoria) avec une banderole « Resistencia Mapuche » laissée à côté ; déboulonnage de la statue du conquistador espagnol Pedro de Valdivia à Temuco et tentative manquée contre la même Plaza de la Independencia à Concepción, et marteau-burin contre celle du général massacreur Cornelio Saavedra sur la Plaza de Armas à Collipulli ; incendie de sept engins de chantier et un camion de l’entreprise Forestal Mininco à Capitán Pastene (Lumaco) revendiqué par le groupe « Natchez Pelantaru » de la Coordinadora Arauco Malleco (CAM) ; fermeture provisoire de la station de métro Bellavista à La Florida suite à une nouvelle fraude massive de lycéens ; pillages de l’hypermarché Líder et du Mall à Coronel la nuit de lundi ; incendies pendant une manif d’une banque et de commerces à Quillota, ainsi que l’incendie du marché municipal (Feria Modelo del Parque Aconcagua) qui a consumé 17 locaux, mais aussi début d’incendie de l’entreprise Easy dans la zone industrielle ; pillages du centre commercial (Mall) Open Plaza à La Calera et saccage de la Scotiabank, en plus des blocages des Ruta 5 nord et Ruta 60 ; nombreux pillages et saccages du centre ville de Punta Arenas la nuit de lundi ; incendie du péage de Catillo à Parral ; blocage de la Ruta 5 à hauteur de Maullín dans la région de Los Lagos, ce qui empêche de se rendre sur l’île de Chiloé, et incendie de deux cabines de péage ; caillassage massif par la foule du commissariat à Calbuco et à Puerto Montt, ainsi que de la préfecture dans cette dernière ; pillage et incendie partiel de la permanence du sénateur Coloma (UDI, au pouvoir) à Talca ; attaque des péages à Pelequén et San Fernando ; saccage de la Poste à Orsono pendant la manif ; manifestations de 10 000 personnes à Santiago qui partent de Plaza Italia pour se rendre devant le palais présidentiel de La Moneda, ponctuées d’affrontements et de quelques pillages (un magasin Tricot, une pharmacie Ahumada, un supermarché Unimarc puis un Claro dans la nuit, également incendié), sans compter les incendies systématiques des entrées de la station de métro Baquedano (qui a servi de centre officieux de torture pendant l’état d’urgence) ; saccage de deux agences des AFPs (caisse de retraite), d’annexes de la mairie à Valvidia, sans compter l’hôtel et le casino Dreams qui ont perdu leurs vitres lors d’une émeute de six heures…

Si on s’intéresse aux attaques de ces deux derniers jours, elles ont (provisoirement ?) baissé -ce qui n’est pas le cas des blocages de route-, mais sont également de plus en plus reléguées à la rubrique « faits divers » ou passées sous silence, ce qui rend les possibilités de donner un aperçu encore plus dérisoire. En ce sens, c’est une sorte de retour à la normale commune à d’autres parties du monde : quand le pouvoir ne peut taire ce qui se passe il en parle en en tordant le sens, avant de revenir à une gestion plus traditionnelle de l’information, à savoir divulguer essentiellement les désordres lorsque la répression procède à des arrestations, ou sous forme de faits isolés (la catégorie « asociaux » est à présent en voie de détrôner celle de « délinquants » dans la presse). Depuis le début de la semaine, et cela ne va qu’en augmentant, sont ainsi exhibées les proies arrêtées par la PDI (PJ musclée chilienne) après perquisitions, avec force images de personnes menottées suite à des pillages ou des destructions qui se sont produites ces douze derniers jours. A titre d’exemple, le parquet de la région de Biobío a exhibé 15 voitures saisies, des milliers de produits volés dans les supermarchés et 27 arrêtés. La PDI se fait aussi fort de préciser que c’est suite à la centaine de vidéos reçues anonymement suite à son appel à témoins. Le pompon revient à ce malheureux professeur de maths de 35 ans exhibé de long en large sur les écrans depuis mardi 29 octobre au soir, qui est le premier arrêté (sur vidéosurveillance) pour les attaques initiales contre le métro qui avaient tant fait grincer des dents : il a été incarcéré en préventive pour 90 jours reconductibles en prison de Haute Sécurité, accusé d’avoir détruit des tourniquets et des composteurs de carte Bip le 17 octobre dernier à la station de métro San Joaquín (Santiago). Du côté des autres mises en scènes spectaculaires pour isoler les révolté.e.s en les présentant comme des monstres, il y a aussi ces quelques actes qui sont montés en épingle pour provoquer le rejet immédiat, ce qui constitue une stratégie contre-insurrectionnelle classique : en direction de la gauche sont présentés les incendies du théâtre et du conservatoire de musique à Concepcion ou les dégâts contre le Café Littéraire du Parc Bustamante à Santiago dans le quartier Providencia (30/10, dont des meubles et des livres ont alimenté les barricades enflammées), et pour émouvoir les familles, c’est le pillage (de médicaments) dans une pharmacie de la Ligue contre l’épilepsie qui est exhibée à La Serena le 30 octobre.

Concernant les journées de mercredi et jeudi 31 octobre, on peut noter l’incendie de deux cabines du péage Chuquicamata à Iquique sur la route A1 qui mène à l’aéroport Diego Aracena (après avoir chassé les employés), et aussi dans cette ville les camions de transport de sel qui ont dû décharger sous pression leur cargaison sur la route qui relie les ports de Patillos et Patache ; le saccage d’un office notarial à La Serena, ainsi que des bureaux de la Corporation Industrielle du développement régional (CIDRE) dont les meubles et ordinateurs ont alimenté les barricades ; un incendie au molotov du siège de la préfecture régionale de Punilla à San Carlos (trop vite éteint) ; des affrontements avec les carabiniers à La Serena lors de la manifestation de 4000 personnes ; idem à Chillán, Ancud, Viña del Mar (avec caillassage de la mairie), Antofagasta (2000 manifestants), Santiago (du côté du pont Pío Nono et de Parque Forestal), Talca, Concepción (avec tentatives de pillages et gros affrontements) ; des blocages d’autoroute à Aconcagua ; un pillage rusé d’un supermarché Mayorista 10 à Valparaíso en passant par les toits,… Au total, si on en croit le bilan du gouvernement publié jeudi peu avant midi et concernant le 30 octobre, il y a eu une quinzaine d’attaques conséquentes, dont le saccage du Café Literario à Providencia (Santiago) ; le pillage d’un magasin d’optique et d’un supermarché Unimarc à Santiago ; l’incendie d’une cabine de péage à San Bernardo ; l’attaque avec des dégâts contre une caserne de carabiniers à Padre Hurtado ; le pillage du magasin La Polar, le saccage de l’office électoral (Servel, 14 arrêtés), des dégâts contre les Pôle Emploi (Sense) et le consulat de France, tout cela à Concepción ; le pillage d’un Homecenter (Copiapó) et d’un supermarché Unimarc (Antofagasta). Il y a eu également 36 blocages de routes (dont 7 sur la Ruta 5), 400 arrêtés et 17 véhicules de police endommagés.

Le 30 octobre, la PDI a également rendu public le nombre d’incarcérés en préventive au cours de l’état d’urgence : 587 en préventive dans 193 procédures judiciaires concernant des délits contre la propriété et 45 enquêtes en cours pour des délits contre les personnes (leur petit personnel, en l’occurrence). La PDI affirme également avoir reçu plus de 2000 « vidéos de haute-qualité » de collabos suite à son appel intitulé « que ceux qui sont témoins de personnes menant un pillage ou commettant un délit, les filment et nous envoient la vidéo« . De son côté, le ministère de la Justice avait précisé l’avant-veille que 9.203 personnes ont été arrêtées entre le 19 et le 28 octobre et que le parquet a lancé 228 procédures contre 997 mis en examen (dont environ la moitié est donc en préventive, et les autres sous contrôle judiciaire). Pour donner une idée des dégâts, que chaque commune commence à évaluer petit à petit alors que rien n’est terminé, la Chambre de Commerce de Concepción (220 000 habitants) évaluait en début de semaine à 180 les locaux pillés et détruits, dont 80 concernant des « petits commerces » (mais existe-t-il une « petite exploitation » ?). Enfin, l’Asociación Chilena de Municipalidades a estimé que 38 mairies de tous bords avaient été attaquées depuis le début de la révolte dans 23 communes, dont 12 sont totalement inutilisables (et les autres partiellement).

Du côté de la politique, la grande annonce de Piñera le 30 octobre fut bien entendu le renoncement du Chili à organiser le sommet de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique) prévu en novembre, du coup transféré en Malaisie, et celui de la COP25 qui était prévu en décembre. Sa raison officielle est que sa « première préoccupation est de rétablir l’ordre public, la sécurité de nos citoyens et la paix sociale », et la réalité est que c’est la révolte en cours qui les a annulé pour la sécurité… des chefs d’État étrangers et de leurs délégations (25.000 délégués pour la COP25, dont les hôtels et les avions étaient réservés depuis longtemps). On se doute que cette décision fait partie d’une vision plus large pour écraser et étouffer le mouvement. Au-delà de ce qui va suivre, il ne faut pas oublier que la répression suit son cours, avec les premiers procès qui vont commencer pour les faits liés au début de la révolte, et que se produisent tous les jours de nouvelles perquisitions et arrestations dans le cadre des enquêtes ouvertes et dans les émeutes incessantes (sans parler des blessés, plus de 700 par balles au 31 octobre selon l’INDH). Après avoir joué très rapidement la carte du terrorisme d’État avec les militaires avant de devoir la retirer s’il ne voulait pas commettre un massacre de masse, le président Piñera la joue démocratie participative, aidé par l’opposition de gauche. Le 29 octobre, les partis ont tous fait leur condamnation officielle dans un étrange ballet médiatique synchronisé, comme le leur avait demandé le nouveau ministre de l’Intérieur pour commencer à négocier : « avec les pillages et les incendies on ne change pas le Chili » (Beatriz Sánchez, ex-candidate à la présidentielle de 2017 pour le Frente Amplio), « nous qui avons défendu publiquement les mobilisations ne devons pas hésiter à condamner les incendies » (Gabriel Boric, ancien leader du syndicat étudiant FECH et député de Convergencia Social), « bien sûr que nous condamnons les destructions et les incendies qui se succèdent en ce moment » (Giorgio Jackson, ancien leader de la confédération étudiante CONFECH, député de Revolución Democrática), « nous condamnons catégoriquement et sans demie-mesure la violence dans les rues. Ne laissons pas le réveil du Chili être terni par des actions qui ne représentent pas la grande majorité » (Daniel Jadue, maire communiste de Recoleta et membre du comité central du PCCh), « la violence que nous avons vu aujourd’hui à Santiago n’a rien à voir avec les justes revendications qui cherchent avancer vers un Chili plus juste » (Marcelo Diaz, député PS de Valparaíso et ex-ministre d’État du gouvernement de Bachelet).
Ceci fait, tous ont été reçus le 31 octobre à La Moneda pour discuter avec le gouvernement (sauf le petit parti communiste qui a refusé en prétextant attendre la satisfaction des revendications de la CUT), et doivent envoyer leurs propositions pour dimanche. Piñera ayant annoncé qu’il allait lancer un Grand Débat à l’image de la manoeuvre macronienne face au mouvement des gilets jaunes, et qu’aucun sujet n’y serait tabou y compris une réforme de la Constitution héritée de la dictature de Pinochet, la gauche associée aux syndicats (Mesa de Unidad Social) vient de lancer ses propres forums à travers tout le pays. A côté des manifestations pacifiques parfois encadrées de dispositifs culturels (concerts, etc), ce sont ainsi jusqu’à plusieurs centaines de personnes qui s’asseyent en rond dans les rues depuis plusieurs jours pour… rédiger une nouvelle Loi Suprême  ! Ce truc s’appelle des «  cabildos«  , un mot importé par les conquistadors au Chili : dans les villes de l’ancien empire colonial espagnol, le cabildo ouvert était une modalité extraordinaire de réunion des citoyens, mise en œuvre en cas de motif impérieux – cas d’urgence, communication royale, ou désastre, ou plus précisément un mécanisme de représentation des élites locales face à la bureaucratie royale. Ces forums ou ateliers constituants et revendicatifs à l’air libre (ou parfois dans des salles sur inscription) se sont par exemple tenus ces derniers jours à Viña del Mar, La Serena ou à Colo Colo (1500 personnes réunies dans le stade).

Au final, malgré tout ce brassage de vent politicien, le président Piñera n’a bien sûr lâché aucune miette de plus (il se contente de faire voter celles annoncées sur l’électricité ou les retraites) depuis une semaine. Alors, puisque l’heure n’est plus aux blas blas pour beaucoup, d’autres personnes encore prennent directement la rue pour faire avancer leurs propres intérêts, quels qu’ils soient : à Calbuco, les pêcheurs bloquent l’accès au port San José en empêchant les camions qui approvisionnent la région de se fournir en carburant. Ils réclament l’augmentation des quotas de pêche de merlu, comme leurs collègues en grève à Chiloé, pendant que des centaines de pêcheurs de Toltén ont eux manifesté à Temuco pour demander l’abrogation de la Loi sur la pêche de 2013. A Puerto Montt et Orsono, ce sont les taxis collectifs qui ont rejoint les manifs en bloquant la circulation pour réclamer une baisse de la taxe sur le carburant. A Quellón à l’inverse, ce sont les employés des élevages industriels de saumon qui manifestent contre les blocages de route aux deux entrées de San Antonio, qui empêchent les camions de leurs exploitations de mort de circuler, les privant de travail, …et ainsi de suite. Une fois ouvert le chaudron magique de la revendication, celles-ci peuvent être infinies et le dialogue avec le pouvoir se prolonger jusqu’aux calendes grecques, de Grand débat impulsé par le haut en cabildo ou assemblée de quartier lancés par le bas. Ce qui compte est de rester entre gens civilisés qui se reconnaissent mutuellement, loin de tous ces barbares qui ne demandent rien et se vengent d’une existence de misère et d’humiliation en fraudant, saccageant, pillant et détruisant. Aujourd’hui, c’est certainement de ces derniers qu’on peut se montrer solidaires, et pas d’un « peuple chilien qui s’est réveillé » et autres fariboles nationalo-populistes.

Le 24 octobre à Mexico près de la cité universitaire, des enragés ont tendu une banderole (« Solidarité avec les prisonniers du Chili et d’Equateur« ) en coupant la route avec des barricades enflammées, et fracassé un camion coca cola en passant. Le 30 octobre à Athènes, une manifestation de solidarité avec la révolte au Chili près de l’université s’est traduite par des affrontements avec les flics, des barricades et un peu de casse. En France, le 28 octobre un tag « (A) solidarité avec Exarchia et avec le Chili no borders » est apparu sur les murs de la sous-préfecture de Cherbourg ;le 30 octobre sont apparus plusieurs tags solidaires dans le métro Croix-de-Chavaux à Montreuil (dont Solidaridad con la revuelta en Chile !, Abajo la karcel ! et Plutôt fraudeuse que contrôleuse !) ; à Marseille c’est le consulat du Chili qui a été pourri le 30 octobre (« Ici comme là bas, que crèvent les keufs, les états et leurs armées ! Abrazo desde Francia weones !« ). Et à Mexico le 31 octobre s’est déroulée une petite manifestation sauvage anarchiste qui est descendue à la station de métro Auditorio en laissant des tags sur ses murs (comme Pinera asesino).

Au Chili, la révolte ne semble pas prêt de s’éteindre, malgré les tentatives actuelles de contre-feux citoyens qui succèdent au couvre-feu militaire. Les braises de ces douze derniers jours intenses fument encore à travers tout le territoire, et si comment les raviver et les étendre est une question qui se pose certainement aux compagnon.ne.s sur place, comment envoyer jusque là-bas un vent de solidarité pourrait bien être la nôtre. N’existe-t-il pas ici aussi d’innombrables obstacles à la liberté à attaquer ardemment ?



Chili : La révolte continue de plus belle(4-8 novembre 2019)



« On est complètement dépassés, c’est comme une invasion étrangère, d’extraterrestres, je ne sais pas comment dire, et nous ne sommes pas armés pour les combattre. »
Cecilia Morel, femme du président Piñera, 21 octobre 2019

Concernant la troisième semaine de la révolte autonome qui enflamme le Chili, ce nouvel aperçu sera plus thématique que les précédents, tant il s’est passé de choses. On passera donc des journées agitées de mercredi 6 novembre à Santiago dans les beaux quartiers à celle de vendredi 8 novembre sur tout le territoire, avec quelques retours en arrière.

Plus que des symboles. Vendredi 8 novembre à Santiago lors de la manifestation de 75 à 100 000 personnes, le bâtiment historique de l’Université privée Pedro de Valdivia nommé Casa Schneider et datant de 1924 a été saccagé puis incendié (cinq arrestations, dont un en préventive et 970 000 euros de dégâts) ; l’église de La Asuncion (datant elle de 1876) a pour sa part été saccagée, avec son mobilier (des bancs aux confessionaux) et ses fétiches statufiés qui ont alimenté les barricades enflammées ; l’ambassade d’Argentine a également été attaquée à Santiago non loin de là après que des manifestants aient réussi à franchir ses grilles, pénétrer dans son jardin et jeter des pierres dans ses vitres avant de repartir sans encombre. Ce même vendredi à travers tout le territoire jusqu’au soir, ce sont également les cabines du péage El Paico qui sont parties en fumée à Talagante ; le hall du ministère du logement et de l’urbanisme (Serviu) qui a subi le même sort à Orsono (mobilier, ordinateurs et archives détruits) ; le siège de la compagnie d’électricité CGE, un tribunal, une trésorerie et l’Université de Technologie (Inacap) qui ont été saccagés et/ou incendiés à Copiapó ; les locaux de la compagnie aérienne Latam, de la compagnie d’électricité Saesa, d’une agence bancaire Itaú qui ont été saccagés à Puerto Montt, sans parler de la Cour d’appel qui a perdu toutes ses vitres ou de l’institut linguistique Tromwell qui a été pillé. Il y a également eu sept attaques de commisariats et casernes, dont le bâtiment de la Dipolcar (les services de renseignement des carabiniers) du 54° commissariat à Huechuraba, le 10° comico à La Cisterna et le comico de Quillota (en plus de la trésorerie et de la préfecture régionale saccagée). Sur la quinzaine de pillages conséquents, on notera également les attaques destructrices contre la préfecture régionale à Coyahique, contre un tribunal et une Maison du Droit à Viña del Mar, contre un collège à Arica (une quinzaine de mineurs arrêtés), et contre les mairies de Puerto Varas et de Loncoche.

Zone mapuche. Lundi 4 novembre à Valvidia, près de 200 personnes ont déboulonné le buste du conquistador espagnol Pedro de Valdivia, puis l’ont pendu à un pont, tandis que le 2 novembre à Cañete ce sont ceux de Pedro de Valdivia et García Hurtado de Mendoza qui ont fini face contre terre lors d’une manifestation de 500 personnes ; et le 1er novembre à Arica, des inconnus ont réussi à fracasser en plusieurs morceaux la statue historique de Christophe Colomb, érigée en 1910 dans cette ville. Le 1er novembre à Labranza (Temuco), trois camions et une pelleteuse d’une entreprise de BTP sont partis en fumée, tandis que le 4 novembre à Contulmo ce sont trois camions d’entreprises d’exploitation forestière qui ont brûlé en pleine route, après que leurs chauffeurs aient dû descendre sous la menace d’armes à feu. Enfin, tandis que les banderoles de manifestants portent des slogans comme « No son 30 pesos. Son 500 años » (ce ne sont pas 30 pesos -prix initial de l’augmentation du métro à Santiago- mais 500 ans), plusieurs représentants de communautés mapuches ont accepté le processus de révision de la Constitution chilienne afin qu’elle leur fasse une place plus importante.

Concepción. Dans cette ville de 220 000 habitants qui est un des foyers de la révolte, le ministère des Biens nationaux et la préfecture régionale ont estimé le 7 novembre à 2000 mètres carrés la surface de rues dépavées, et les bâtiments de l’Etat gravement endommagés à une dizaine depuis fin octobre (des vitres brisées à ceux incendiés) pour un montant minimal de 120 000 euros, tandis que 1.365 personnes ont été arrêtées et accusées de pillages ou destructions. S’il est un objectif qui a été particulièrement attaqué au cours des manifestations quotidiennes, c’est bien la Caja de Compensación de Los Andes, une tour de bureaux de 15 étages qui héberge de nombreuses entreprises et institutions. En plus de ses nombreuses vitres brisées, son deuxième et troisième étages ont déjà été incendiés, et le 2 novembre, ce sont les derniers étages qui sont partis en fumée, en même temps que les bureaux du service électoral (Servicio Electoral de Chile, Servel). Parmi les autres attaques de la semaine, il y a eu le siège local du parti UDI au pouvoir des frères et sœurs (député et sénatrice) Van Rysselberghe qui a entièrement cramé lors d’une manifestation après avoir été saccagé le 7 novembre ; le pillage le même jour du grand magasin Kamadi avenue Los Carrera, par une cinquantaine de personnes en plein jour qui ont vidé le contenu de ses caisses comme de ses rayonnages ; la veille, le 6 novembre, au milieu de gros affrontements, ce sont une nouvelle fois deux pharmacies du centre qui ont été pillées (Ahumada et Cruz Verde) ; le 5 novembre, c’est une agence de la Banco Edwards qui a été saccagée, ainsi qu’un local Western Union et un magasin Claro. Certains jours il y a eu de 11 à 17 foyers simultanés d’affrontements en ville, débordant largement les carabiniers. Enfin, signalons que la banlieue de Concepción est également concernée, comme à Coronel, où le 8 novembre c’est le centre commercial (Mall) Paseo Montt qui a été pillé dans la nuit.

Rentrée. Au retour des vacances de la Toussaint, et alors que la fin de l’année approche (les saisons sont inversées au Chili, et l’été arrive), le mouvement lycéen est en train de se mobiliser de façon spécifique pour arrêter les cours et refuser de donner l’impression d’un retour à la normale. Huit lycées de la région de Chiloé sont en grève, dont cinq occupés ; certains restés ouverts ont été attaqués à Puerto Montt ; le lycée commercial de Los Ángeles (région du Bío Bío) est occupé pour appuyer le mouvement de révolte ; lors de la tentative d’occupation du lycée n°7 Teresa Prats pour filles à Santiago mardi 5 novembre, les carabiniers sont entrés sur appel de la directrice et ont blessé deux élèves de 16 et 17 ans par balles ; et tous ont d’emblée été fermés par les autorités municipales à Antofagasta, Calama, Copiapó, los Andes, Valparaíso, Puente Alto, Renca, La Florida, Coronel et Punta Arenas.

Beaux quartiers. Mercredi 6 novembre, des messages postés sur les réseaux sociaux, appelaient cette fois à porter la révolte non plus Plaza Italia, mais directement dans les quartiers aisés de Santiago. Des centaines de personnes se sont ainsi donné rendez-vous aux abords du centre commercial Costanera Center, le plus grand de toute l’Amérique du Sud. Bloqués par les forces de l’ordre, les manifestants se sont alors éparpillés en divers endroits du quartier de Providencia vers celui de Las Condes, entrée du secteur financier et des zones les plus riches de la capitale. Une pharmacie Ahumada, un supermarché Líder Express, le siège de la caisse de retraite AFP Provida, un McDonald’s et deux agences bancaires ont notamment été pillés au milieu d’affrontements avec les flics (sans parler des vitrines brisées), tandis qu’un manifestant est parvenu à monter sur un canon à eau des carabiniers (Guanaco) puis à neutraliser son canon, ou que d’autres ont grimpé aux mâts pour détruire des caméras de vidéosurveillance. Au cours de cette importante émeute sauvage où les anarchistes n’ont pas été en reste, d’autres objectifs de choix ont été attaqués : le siège national du parti UDI situé à Providencia (avenida Suecia), dont les députés et sénateurs participent à la coalition de droite de Piñera a été saccagé à l’intérieur et son mobilier (meubles, ordinateurs) a servi de barricades à l’extérieur. Celui du parti RN (Renovación Nacional) de Piñera vite protégé a été caillassé, et le Mémorial Jaime Guzmán, situé non loin à Las Condes a été saccagé. Jaime Guzmán ne fut pas seulement le fondateur de l’UDI (Union démocrate indépendante) qu’il présida entre 1983 et 1989 sous la dictature, ce fut aussi un intellectuel qui a participé dès 1970 à la fondation du mouvement paramilitaire d’extrême droite Patria y Libertad, financé par la CIA, et a intégré le gouvernement de la junte militaire dès 1973, pour laquelle il rédigea la Constitution de 1980. Juste avant son assassinat par des révolutionnaires en 1991, il déclarait encore dans un grand journal « Je m’affirme pinochetiste, avec beaucoup d’honneur ». Trente ans plus tard, beaucoup n’ont rien oublié, et le portrait de ce fasciste érigé en martyr par ses fidèles gît désormais au milieu du verre brisé de son sinistre Mémorial. Des A cerclés et autres tags (Putchistes, Assassins, Ils le méritent,…) ont été laissés sur place lors de ces attaques ciblées. Face à toutes ces incursions chez les riches, la maire effrayée de Providencia n’a pu que lâcher un laconique « Nous vivons un niveau de violence et de destruction jamais vu auparavant dans le centre de la capitale », sans oublier qu’au cours de cette même nuit (du 6 au 7 novembre), ce sont également les bureaux de l’état civil et le McDonald’s à Providencia, ainsi que les locaux du resto pour bobos Fuente Chilena situés non loin qui sont tous partis en fumée.
Enfin, parmi les attaques incendiaires des jours précédents dans le Grand Santiago, on peut citer l’hypermarché Central Mayorista à San Bernardo le 5 novembre (entièrement détruit par un incendie et déjà pillé) ou le supermarché Santa Isabel à Conchalí le 6 novembre (précédemment pillé, et cette fois incendié). Le commandant des pompiers de la région de la capitale a chiffré le nombre d’incendies de locaux à 1600 depuis le début de la révolte (un chiffre quintuplé par rapport à la normale), dont une centaine de grande amplitude, y compris les stations de métro.

Institutions. En plus du saccage du siège national de l’UDI et du caillassage de celui du RN (tous deux au pouvoir) à Santiago le 6 novembre, d’autres locaux ont été détruits ces derniers jours : le 2 novembre à Cañete, la permanence du député UDI Iván Norambuena a été incendiée ; le 7 novembre à Concepción le siège local du parti UDI des frères et sœurs (député et sénatrice) Van Rysselberghe a entièrement cramé lors d’une manifestation après avoir été saccagé ; le 31 octobre à Castro (Chiloé) les bâtiments de la préfecture régionale (Gobernación) et de la mairie ont été saccagés ; le 31 octobre à Angol la maison du maire a été caillassée et perdu ses vitres ; le 1er novembre à Viña del Mar dans le quartier de Reñaca Alto, le domicile d’un sous-officier des carabiniers a été caillassé (pierres, oeufs, bouteilles) ; le 31 octobre, une des portes latérales de la cathédrale d’Iquique a été incendiée juste après minuit, et c’est la prompte intervention des pompiers qui a empêché d’importants dégâts. Pour illustrer la tension grandissante contre le parti du président Piñera, RN, alors que celui-ci devait tenir sa réunion politique nationale avec élus et dirigeants samedi 9 novembre dans son siège de Santiago, il vient de l’annuler sine die pour des raisons de sécurité. Concentrer autant de responsables du parti au pouvoir en un même lieu aurait en effet créé une belle occasion pour les enragés, et c’est donc un sommet de plus qui saute au Chili, après celui de l’APEC de novembre et la COP 25 de l’ONU sur le climat de décembre, sans parler côté football de l’annulation du match amical de la sélection chilienne contre la Bolivie le 15 novembre, ou de la finale de la Copa Libertadores, compétition de tous les clubs sud-américains, entre les finalistes argentin et brésilien River Plate et Flamengo, finalement délocalisée le 23 novembre au Pérou.

Terrorisme d’État. Jeudi 7 novembre, le président Sebastian Piñera a annoncé un paquet de lois sécuritaires durcissant les peines de prison : une « loi anti-pillages » (« vols commis en profitant de la foule« ), une autre visant les personnes avec le visage dissimulé (en tant que circonstance aggravante lors de troubles à l’ordre public), une autre contre celles qui dressent des barricades (« entrave à l’ordre public en empêchant la circulation« ), ainsi que la création d’une équipe judiciaire chargée de poursuivre les auteurs de troubles à l’ordre public, d’un statut spécial pour protéger les policiers, le renforcement des « moyens aériens » des carabiniers et de la PDI (drones), et la « modernisation » du système de renseignement. Ce même jour, il a également réuni le conseil supérieur créé sous Pinochet qui intervient lorsque la sécurité nationale du pays est en jeu, le Consejo de Seguridad Nacional (Cosena), dont les précédentes convocations exceptionnelles en 2005 et 2014 avaient concerné le litige frontalier avec le Pérou sur l’accès à la mer. Les décisions prises lors de ce Cosena (qui réuni le chef d’État, les présidents du Sénat, de l’Assemblée nationale et de la Cour suprême avec les Commandants en chef des quatre corps militaires et des carabiniers) ont été tenues secrètes, mais nul doute qu’il s’agit d’amplifier un plan contre-insurrectionnel face à une révolte qui dure depuis trois semaines et ne cesse de s’approfondir. Le ministre de l’Intérieur Blumel a par exemple précisé à la sortie du Cosena que l’objectif des forces armées était désormais (après l’état d’urgence avec couvre-feu de la première semaine) de se concentrer sur son rôle de renseignements…

Terrorisme d’État – bis. Parmi les centaines de personnes incarcérées pour les incendies, saccages et pillages, le pouvoir en met régulièrement certains en avant. Il y a par exemple ce prof de maths embastillé dans une prison de Haute Sécurité et accusé de destruction de tourniquets et composteurs à la station de métro San Joaquín le 17 octobre ; mais aussi trois autres embastillés du Movimiento Juvenil Lautaro et accusés d’avoir monté le 30 avril des barricades enflammées sur une ligne de train à Pedro Aguirre Cerda (Santiago) ; ainsi qu’un mineur de 16 ans accusé de l’incendie de la station de métro Pedrero le 18 octobre (tandis que tout son groupe de supporters du club de Colo-Colo, la « Garra Blanca« , est également soupçonné d’y avoir participé) et d’un majeur de 33 ans accusé d’avoir incendié la station de métro La Granja le 18 octobre (tous deux sont en préventive depuis le 8 novembre) ; un jeune de 19 ans accusé d’un incendie de banque à Copiapó le 29 octobre ; ou un autre de celui de la mairie de Quilpué ce même jour. Tous ont été placés sous le statut de la Ley de Seguirdad Interior del Estado. Enfin, le 7 novembre au soir, le seul soldat (sur 10 000 engagés dans cette opération) qui avait refusé de participer à la répression lors de l’état d’urgence en refusant de prendre son fusil a été remis en liberté conditionnelle par la Cour Suprême sous la pression de la rue, et le 6 novembre deux hommes de 20 et 27 ans ont été enfermés en préventive, accusés de l’incendie d’un péage à San Fernando (Colchagua) la veille ; le 8 novembre une femme de 26 ans a été arrêtée à Puerto Montt pour tentative d’incendie de la cathédrale (elle passera dimanche 10 devant un juge), et un jeune de 19 ans accusé de l’incendie de l’Université Pedro Valvidia à Santiago le 8 novembre.

Terrorisme d’État – ter. Le 8 novembre, l’ophtalmologue et vice-président du Colegio Médico Patricio Meza a lancé une alerte sanitaire nationale pour dénoncer le terrible « record mondial » d’yeux crevés par les flics. Il a précisé que du 19 octobre au 7 novembre, l’unité spécialisée en traumatismes oculaires de l’Hospital Salvador de Santiago a comptabilisé 149 cas graves provoqués par des balles en caoutchouc/en plomb et des grenades explosives lacrymogènes, plus 42 dans les autres hôpitaux et cliniques, soit au moins 190 en tout : « Nous ne savons plus quoi faire d’un point de vue sanitaire. On sait à présent que la moyenne est de 10 nouveaux patients qui présentent de sévères dommages aux yeux chaque jour, et on continue à utiliser ce qui provoque ces dégâts. Cela dépasse tous les indicateurs au niveau mondial, dans toute l’histoire. Nous tenons au Chili plus de lésions oculaires qu’en Israël, en Palestine, à Hong Kong, en France, etc. » Le dernier touché est un jeune étudiant de 21 ans, qui a perdu l’usage de ses deux yeux vendredi 8 novembre plaza Italia à Santiago vers 18h après avoir été visé en plein visage par les balles des carabiniers, et dont l’opération d’urgence menée cette nuit dans la Clínica Santa María tente désespérément de sauver une vision partielle à l’un des deux. Selon les dernier chiffres de l’INDH sortis le 8 novembre, et qui sont le minimum officiel, il y a eu depuis le 17 octobre près de 5.500 arrêtés, 1.915 blessés hospitalisés (dont 42 par « balles réelles », et un millier par balles en caoutchouc ou en plomb), tandis que cet Instituto Nacional de Derechos Humanos qui sert de façade garantiste à l’Etat chilien suit les plaintes de 171 cas pour tortures et 52 pour violences sexuelles de la part des flics. On laissera à chacun.e le soin d’imaginer par combien multiplier ces chiffres pour avoir une idée de la réalité…

Poulet grillé. Le 6 novembre à Renca, un quartier populaire du nord de Santiago, le 7°commissariat a été attaqué avec pierres et molotovs par un petit groupe, envoyant cinq flics à l’hôpital. Lundi 4 novembre, alors qu’un cortège tentait de s’approcher du palais présidentiel de La Moneda, les carabiniers ont utilisé lacrymos et canon à eau contre la foule. C’est alors que des molotovs sont parvenu à enflammer un petit groupe de ces derniers, envoyant deux d’entre eux à l’hôpital pour un moment (brûlures au 3e degré).

Jusqu’au-boutisme. Interrogé mardi 5 novembre par la BBC, le chef de l’État, silencieux depuis plusieurs jours, a balayé l’éventualité d’une démission : « J’irai jusqu’à la fin de mon mandat. J’ai été élu démocratiquement, bla bla bla », et dans une seconde donnée à Meganoticias, il a précisé ne pas vouloir lâcher les miettes supplémentaires réclamées par les réformistes (non au salaire minimum à 500 000 pesos, non aux 40 heures de la durée de travail hebdomadaire, non au transport gratuit pour les étudiants et les retraités, non à l’abrogation des péages routiers (TAG)). Le président actuel du Chili, Sebastian Piñera, âgé de 69 ans, est l’un des hommes les plus riches du pays, après avoir fait fortune pendant la dictature. Sa fortune est estimée à 2,7 milliards de dollars selon Forbes (qui le classait 589e homme le plus riche du monde en 2013), dans un pays où le salaire minimum est de 301.000 pesos (375 euros). Dans un rapport publié en 2018, l’ONU estimait que les 10 % les plus riches du Chili y détenaient plus des deux tiers de la richesse nationale.

Politicailleries. A côté des cabildos abiertos (forums et assemblées ouvertes de quartier) déjà évoqués ici où toute la gauche citoyenne organise des ateliers de réécriture d’une nouvelle Loi Suprême, l’Asociación Chilena de Municipalidades (AChM) présidée par le maire RN de Puente Alto va organiser les 7 et 8 décembre prochains un référendum dans 330 communes portant sur ce même sujet. Ayant finalement capté la main tendue par la gauche pour tenter de trouver une diversion à la révolte, Piñera a de la même façon annoncé être prêt à réviser la Constitution et qu’un projet de loi à ce sujet est en cours de rédaction urgente. Maintenant que le Grand Débat à la Macron de Piñera a été torpillé par les forums d’en bas comme par les référendums à venir des municipalités, la course de vitesse entre les politiciens de tous bords pour tenter de ramener une révolte autonome vers les institutions s’accélère.

Sans foi ni loi. Au Chili, la révolte semble bien partie pour durer vers une quatrième semaine de suite, toujours autonome et sans leaders ni partis capables de l’encadrer ou de la contrôler. Elle se caractérise toujours par de gros affrontements ponctués de réappropriations et d’attaques destructrices dans la rue, même si quelques débuts d’occupations de lycées commencent à poindre. Dans ce combat, les compagnonnes et les compagnons anarchistes ne sont pas en reste, si bien que même Piñera a commencé officiellement à les nommer dans une grande interview (El Pais, 9/11), bien que cela ait certainement dû lui arracher la langue : « A cette vague de violence participent des groupes très organisés que nous ne connaissions pas auparavant au Chili, à laquelle s’ajoutent la délinquance traditionnelle, les trafiquants de drogue, les anarchistes et beaucoup d’autres. Ils ont démontré leur volonté de tout détruire sans respecter rien ni personne. Ils ont brûlé et détruit la moitié des stations de notre système de transport sous-terrain, vandalisé plus de 2800 bus, incendié des centaines de supermarchés, d’établissements commerciaux, de petits commerces. Sans pitié, sans aucun égard pour rien. Nous allons identifier ces groupes, nous allons les traduire en justice et ils vont répondre de leurs crimes. » Ce qu’un cerveau aussi étroit que celui d’un autoritaire à la tête d’un État qui voit le monde à son image ne peut évidemment pas comprendre, c’est que l’ampleur de la révolte au Chili n’est pas liée à tel ou tel groupe, mais à quelque chose de bien plus profond : la soif de liberté. Une liberté partagée qui ne pourra que passer sur le cadavre de la domination -des églises aux partis, de l’économie à la politique en passant par le patriarcat- pour s’affranchir des chaînes de l’existant. Une liberté contagieuse qui ne peut avancer qu’en détruisant tout ce qui fait la misère de nos vies, à travers un négatif d’où pourra surgir quelque chose de complètement différent. Et certes, sans pitié et sans égard pour l’ordre actuel qui nous écrase.



Chili : Danser avec les flammes – 12 et 13 novembre 2019



Mardi 12 novembre était la quatrième journée de grève générale ponctuelle au Chili depuis le début de la révolte. Non seulement cette dernière a été très suivie, mais les émeutiers s’en sont donnés à cœur joie pour multiplier affrontements, destructions incendiaires et pillages à travers tout le pays. Et cela a continué le lendemain…

Infrastructures. Beaucoup de routes ont été coupées par des barricades, parfois même à l’aide d’immenses panneaux de signalisation abattus comme à Antofagasta, mais c’est également une antenne-relais de téléphone mobile de Movistar Chile qui a été incendiée à Caldera vers 6h30 du matin dans la zone Cerro Panagra, laissant 15 000 personnes sans téléphone portable jusqu’à l’aéroport, vu que cette antenne dirigeait le signal de quatre autres plus petites ; ce n’est d’ailleurs pas la première qui est attaquée depuis le début de la révolte le 18 octobre, puisque celle de la compagnie Entel à Teno (région de Maule) avait été incendiée le 26 octobre, tout comme celles de Entel et Claro à Arica le 20 octobre, et que dans le quartier de Pudahuel (Santiago) le 9 novembre, c’est un central téléphonique situé à Laguna Sur qui avait été incendié à 1h30 du matin, coupant internet et téléphone mobile ; pendant ce temps à Calama, tout au nord près du désert et d’Antofagasta, c’est la tour principale du projet Cerro Dominador, soit la plus grande centrale solaire du Chili et d’Amérique du Sud en cours de construction qui a pris feu vers 20h, les pompiers mettant près de six heures à éteindre l’incendie, et son propriétaire EIG Energy Global Partners déclarant ignorer si les causes du sinistre sont volontaires ou pas, en cette journée du 12 novembre qui fut une des plus chaleureuses de la révolte.

Géographie. Parmi les grandes villes touchées, on peut citer Concepción, où le gigantesque bâtiment de la préfecture régionale a été incendié par les manifestants, ainsi que le ministère des Biens nationaux et le Bureau de l’Immigration situé à côté, détruisant 20 000 documents administratifs dans ces trois entités, dont 6000 titres de propriété (un homme de 61 ans incarcéré en préventive, accusé d’avoir initié le feu). Leur mobilier, des centaines de documents et des portraits de Piñera ont aussi servi à alimenter les barricades enflammées. ; Talca, où la permanence du sénateur Coloma de l’UDI est partie en fumée, tout comme le mobilier de l’église María Auxiliadora et plusieurs banques saccagées un peu plus loin ; Punta Arenas où une agence de la caisse de retraite AFP Habitat est partie en fumée, pendant que six barricades bloquaient la zone et que les pompiers ont été caillassés pour retarder leur travail. Des pharmacies et le supermarché Unimarc ont aussi été pillés, tandis que de nombreux locaux (Movistar, le bâtiment de l’état civil, Bata) ont perdu leurs vitres ; Rancagua, où une agence de la caisse de retraite AFP Plan Vital a été incendiée, et les bureaux du centre d’affaires de la Sercotec saccagés, ainsi qu’une agence de la Banco de Chile ; Copiapó, où les bureaux de l’état civil ont été incendiés et son mobilier a servi de combustible aux barricades, tandis que le ministère de l’éducation a été attaqué et plusieurs de ses véhicules incendiés, sans compter le pillage d’un hypermarché Líder ; Arica, où l’hypermarché Líder a été incendié ; Antofagasta, où les pompiers ont dû combattre jusqu’à 6 incendies en même temps, dont la Cooperativa de Carabineros, une pharmacie Cruz Verde, la mairie, trois banques (Banco BCI, Banco Ripley et Banco Estado), le Centre pédagogique du groupement national des crèches (Junji), le centre des impôts (SII), les bureaux de l’état civil, avec plus de vingt locaux et magasins pillés ou détruits (certains bâtiments du centre, datant de 1913, ne sont plus que des décombres) ou encore 62 feux rouges démolis pour servir de béliers ou de barricades, laissant tout le centre ville dévasté ; Santiago, où au milieu d’affrontements, c’est l’église de la Vraie Croix (Iglesia de la Veracruz), datant de 1857, qui a entièrement été ravagée par un incendie dans le quartier Lastarria. Selon son gestionnaire, elle avait déjà attaquée 17 fois lors de ces trois semaines de révolte, pour la saccager ou l’incendier. De plus, l’ambassade d’Argentine a été prise pour cible pour la seconde fois, provoquant l’évacuation d’urgence de l’ambassadeur et de sa famille après l’enfoncement de son portail renforcé. Dans la commune de La Granja, au sud de Santiago, c’est aussi une succursale de la Banco Estado qui est entièrement partie en fumée. ; Osorno, où au milieu de lourds affrontements, les bureaux de la compagnie aérienne Latam ont été saccagés, et ceux de la banque coopérative Copeuch incendiés, provoquant celui d’une tour de 15 étages (dite Kauak) qui a du être évacuée ; Melipilla, où le péage de Pomaire a été incendié, tout comme les chambres de froid de l’hypermarché ACuenta avec des palettes, le siège du parti RN (de Piñera), une agence bancaire BCI, les locaux d’un office notarial (Conservador de Bienes Raices) et de la préfecture régionale ; Llay Llay (Valparaíso), où le péage Las Vegas a été consumé pour la seconde fois ; Valdivia, où les sièges de trois partis politiques de gauche et de droite (PS, Démocratie Chrétienne et RN) ont été saccagés, ainsi que l’église Saint-François d’Assises. A chaque fois leur mobilier a aussi servi à alimenter le feu des barricades, des portraits de l’ex-présidente du Chili Bachelet aux bancs religieux ; enfin, il y a aussi eu des attaques de commissariats de police à Vallenar et Renca, mais aussi de casernes comme à Santo Domingo (Valparaiso), où des inconnus ont pénétré dans l’Ecole d’ingénieurs militaires (Escuela de Ingenieros de Tejas Verdes) pour y incendier un camion (un militaire blessé), et à Copiapó le lendemain où une foule a tenté de prendre d’assaut l’entrée de la caserne (trois militaires blessés, un assaillant blessé par balles).

Mercredi 13 novembre était le premier anniversaire de l’assassinat d’une balle dans la nuque du mapuche Camilo Catrillanca à Temucuicui par le tristement fameux Comando Jungla des carabiniers. Bien que son père ait tenu à rappeler le matin sur les ondes qu’il souhaitait des manifestations pacifiques, il y a eu des affrontements avec les carabiniers à Valparaiso (centre), Santiago et Temuco (sud). A Concepción sur la place centrale, la gigantesque statue du conquistador espagnol Pedro de Valdivia, nommé gouverneur du Chili en 1500, a été déboulonnée à l’aide de cordes tirées par une cinquantaine de personnes. Dans la commune de Mulchén, ce sont quatre camions et une grue de l’industrie forestière qui sont partis en fumée après avoir fait descendre les chauffeurs (une banderole avec les noms de plusieurs mapuche assassinés par les flics a été retrouvé à côté). A Ercilla, deux carabiniers ont été blessés par des balles qui ont traversé le blindage de leur véhicule, et sont à l’hôpital. A Concepcion, en plus des affrontements, un supermarché Preunic et la pharmacie Salcobrand ont été pillés, et le soir les bureaux régionaux de la PJJ (Servicio Nacional de Menores, Sename) ont été incendiés après avoir été vidés de leur mobilier pour les barricades. A San Bernardo, un sous-officier des carabiners a été touché de plusieurs balles lors des manifestations et a dû être hospitalisé d’urgence par hélicoptère. A Copiapó, c’est également le bâtiment qui abrite l’état civil et plusieurs antennes de ministères qui a été incendié. A Puerto Montt, ce sont la moitié des bancs de la cathédrale qui ont fini dans une grande barricade en flammes. En tout, pour la journée de mercredi, le ministère de l’Intérieur a comptabilisé 34 pillages, dont 10 dans la région du Grand santiago, 23 blocages de routes et 8 attaques de casernes, notamment à Renca, Padre Hurtado, Huechuraba et Lampa, évoquant également des « dégâts structurels » contre la préfecture régionale de Tocopilla.

Politicailleries. Face à ces deux nouvelles journées très enflammées, que voulez-vous que fît le président Piñera ? Tout d’abord, il a envoyé son fils avec sa famille se mettre à l’abri en Australie. Ensuite, il a annoncé renforcer les effectifs de carabiniers régulièrement débordés avec 1000 nouveaux partis en retraite récemment (ils sont déjà 48 000), puis il a changé quelques têtes (d’abord des ministres, et maintenant le chef des services chiliens, l’Agencia Nacional de Inteligencia-ANI). Enfin, il a proposé un « grand accord national » en trois points mercredi soir, après que certains ministres aient écartés l’option du retour à l’état d’urgence : l’un « pour la paix et contre la violence » (soit un appel à l’unité nationale), l’autre « pour la justice » (soit un calendrier social avec les syndicats, bien qu’il se refuse pour l’instant à lâcher d’autres miettes) et le dernier pour lancer le chantier d’une nouvelle constitution. On vous passe les détails, mais en gros la droite (UDI et RN) voulaient un Congrès constituant (composé des députés et sénateurs en place), la gauche voulait une Assemblée constituante (avec des délégués élus parmi la population juste pour cela), et après deux journées de discussions entre tous les partis politiques (soit de l’UDI post-pinochetiste jusqu’au Frente Amplio, sauf le PC), ils ont trouvé vendredi 15 novembre au matin un compromis entre les deux pour une Convention constituante mixte (avec 50% de parlementeurs et 50% de délégués élus pour la rédiger). Cet «  accord pour la paix et une nouvelle constitution  » signé entre tous les partis comprend un référendum en avril 2020 où les électeurs trancheront entre réformer ou pas la Constitution, et si oui entre Convention constitutionnelle (délégués élus pour cela en octobre 2020) et Convention constitutionnelle mixte (la même + 50% de parlementaires en exercice), suivi d’un second référendum avec vote obligatoire plus tard pour la ratifier.

Et pendant que les politiciens de tous bords s’alarment et multiplient les réunions pour tenter de trouver comment dévier la rage vers les rails des institutions, le peso chilien ne cesse de dégringoler (il a atteint son plus bas niveau depuis 2002) malgré l’injection mercredi de 4 milliards de dollars par la banque centrale pour tenter de freiner sa chute, le ministre des Finances pleure sur 300 000 emplois perdus à cause de la révolte et sur les centaines de millions de dollars de dégâts (4500 millions de dollars, dont 380 millions pour le seul métro, 2 330 millions pour les infrastructures publiques et 2 250 millions pour les locaux non résidentiels, selon la Chambre chilienne de la Construction, CChC), des hackeurs ont mis en ligne le 10 novembre un annuaire interactif comprenant les données professionnelles et personnelles de plus de vingt-neuf mille carabineros (pacolog.com/maps/), les joueurs de l’équipe nationale de football ont refusé le 13 novembre de disputer le match en amical contre le Pérou en solidarité avec la révolte, les éboueurs du Grand Santiago sont en grève illimitée depuis trois jours et les poubelles s’accumulent dans les rues, la compagnie aérienne chilienne Latam chiffre à 82 000 le nombre de ses billets annulés et à 117 000 les demandes de changements de date (lui ayant coûté 30 millions de dollars de pertes du 18 octobre au 5 novembre), le puissant syndicat des patrons de l’industrie métallurgique (Asociación de Industrias Metalúrgicas y Metalmecánicas-Asimet) sort de son silence pour « condamner la violence, les pillages et l’anarchie qui sont un frein pour parvenir à des accords d’amélioration sociale et qui délégitiment les justes revendications des chiliens« , les derniers chiffres de l’INDH sont de 2.365 blessés par les carabiniers, et qui ont dû être hospitalisés (dont 217 aux yeux crevés), et selon la Cour Suprême 26.126 manifestant.e.s/émeutier.e.s ont été arrêtés du 18 octobre au 11 novembre, dont 1.396 sont incarcérés en prison préventive ou comme condamnés, près de 68 tribunaux ont déjà été endommagés officiellement et 283 pharmacies pillées ou endommagées, … et les participant.e.s à la révolte autonome sans leaders ni partis continuent jour après jour dans la rue les pillages, les saccages et la destruction de pans de ce monde de misère et d’oppression. Y compris les moyens technologiques de télécommunication. Et nous, ici, n’existe-t-il pas de structures identiques à saluer chaleureusement ?




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