#title Vers le néant créateur
#author Renzo Novatore
#SORTauthors Novatore Renzo
#SORTtopics nihilisme, individualisme
#date 1921
#source Parties I à X reprises du blog hydre-les-cahiers.blogspot.fr/ traduit sous le titre "Vers le rien créateur" en 2015. Les parties X à XVII traduites de l'italien original par Bus Stop Press en mai 2018.
#lang fr
#pubdate 2018-05-23T09:11:53
* I.
Notre époque est une époque de décadence. La civilisation bourgeoise & christiano-plébéienne est parvenue au à la phase terminale de son évolution il y a déjà bien longtemps.
La démocratie est arrivée !
Mais sous les fausses splendeurs de la civilisation démocratique, les plus hautes valeurs spirituelles, bouleversées, se sont effondrées,
La volonté affirmée, l’individualité barbare, l’art libre, l’héroïsme, le génie, la poésie ont été méprisées, moquées, brisées en morceaux.
Et pas au nom du « Je » mais au nom du « collectif.» Pas au nom de « l’Unique » mais au nom de la société.
Ainsi du christianisme –qui a condamné la force primitive et sauvage de l’instinct innocent –tué la vigueur du « concept » païen de joie terrestre.
Sa progéniture, la démocratie, se glorifie elle-même de justifier ce crime et révèle par-là sa sinistre et vulgaire énormité.
Tout cela nous le savons déjà !
Le christianisme a brutalement planté sa lame empoisonnée dans la chair frémissante et saine de toute l’Humanité ; Avec une fureur mystique brutale, il a orienté une froide vague de ténèbres pour noyer l’exultation sereine et festive de l’esprit dionysien de nos ancêtres païens.
En un seul soir glacial, l’hiver s’est fatalement abattu sur un doux midi d’été. C’est le christianisme qui a substitué le fantasme « Dieu » à la réalité vibrante du « Je » se déclarant par là-même l’ennemi acharné de la joie de vivre et se vengeant d’une manière déshonorante de l’existence terrestre.
Avec le christianisme, la Vie s’en alla pleurer dans l’affreux Abysse des plus amères renonciations ; Elle fut expulsée vers le glacier du désaveu et de la mort. Et c’est de la glace mortelle du rejet que la démocratie est née. Ainsi la démocratie, mère du socialisme, est fille du christianisme.
* II.
Avec le triomphe de la civilisation démocratique l’esprit de la foule a été glorifié. Le féroce anti-individualisme de la démocratie l’a rendu incapable de comprendre une telle chose. Toute la beauté héroïque de l’anti-collectiviste et créatif « Je » a été foulé aux pieds.
Les crapauds bourgeois et les grenouilles prolétariennes se serrent mutuellement les mains dans une bassesse spirituelle commune, et pieusement, ils reçoivent la communion de la coupe suprême qui contient la liqueur visqueuse des mensonges sociaux que la démocratie leur tend aux uns et aux autres.
Et l’Oie victorieuse et triomphante reçoit le vulgaire et bruyant « Hourrah ! » des bourgeois et des prolétaires qui communient spirituellement.
Et tandis que l’éclatant et frénétique Hourrah ! résonne bien haut, la Démocratie se coiffe de sa casquette plébéienne, proclamant avec une sinistre et sauvage ironie l’égalité…des Droits de l’Homme !
Alors l’Aigle, avec sa conscience avisée, fait battre ses ailes titaniques plus vite ; dégoûté de la performance triviale, il s’élève vers les sommets de la méditation.
Ainsi, l’Oie démocratique demeure la reine de ce monde et la Dame de toutes choses, maîtresse impérieuse et souveraine.
Mais depuis que quelque chose la surplombe en riant, elle veut lancer –par l’intermédiaire du socialisme, son seul véritable enfant- une pierre et un mot, vers le laid et marécageux royaume des crapauds et des grenouilles croassant ; Brandir un poing de guerre matérialiste pour dévaster au terme d’une guerre démente la splendeur des idées et de la spiritualité. Et le poing de guerre, dans le marais survint. Il apparut d’une manière si plébéienne, pour répandre sa boue si haute qu’il en ternit les étoiles.
Ainsi, tout a été contaminé avec la démocratie.
Absolument tout !
Même le meilleur de jadis.
Et le pire.
Sous le règne démocratique, les luttes qui adviennent entre le capital et le travail ne sont que des combats d’arrière-garde, les fantômes d’une guerre impotente, ne contenant ni une spiritualité supérieure ni la grandeur du courage révolutionnaire, incapable de faire émerger une conception différente de la vie, qui soit plus solide et plus belle.
Bourgeois et prolétaires, quoique se disputant sur des questions de classe, de pouvoir et de nourriture, demeurent toujours unis par leur commune haine de tout esprit vagabond, unis dans l’hostilité à la solitude de l’Idée. Unis contre ceux qui guident la pensée, contre tous ceux que transfigure une beauté supérieure.
Avec la civilisation démocratique, c’est le Christ qui a triomphé.
En supplément du paradis dans le ciel, les « pauvres en esprit » ont la démocratie sur la terre.
Si le Triomphe n’est pas encore intégral, le socialisme le complètera. De par sa structure théorique, il pointe le bout de son nez depuis déjà un long moment. Sa finalité est le nivellement de toute valeur humaine.
Écoutez, esprits infantiles !
La guerre contre l’individualité humaine a commencé avec le Christ et au nom de Dieu, elle se développa avec la démocratie au nom de la société et menace d’être complétée avec le socialisme et au nom de l’humanité.
Si nous échouons à découvrir en temps et en heure comment détruire ces trois absurdités qui ne sont que de néfastes fantômes, l’individu sera inexorablement anéanti.
Il faut que la révolte du « Je » s’étende, s’élargisse, se généralise !
Nous –les prophètes de cette révolte- avons déjà allumé un fanal !
Nous avons embrasé les torches de la pensée.
Nous avons brandi la hache de l’action.
Et nous avons frappé.
Et nous sommes devenus intolérables.
Mais nos crimes individuels ne peuvent être que l’avertissement fatal d’une immense tempête sociale.
De la grande et terrifiante tempête qui pulvérisera les structures des mensonges convenus, qui abattra les murs de toutes les hypocrisies, qui réduira le vieux monde à un tas de décombres et de ruines fumantes !
Car c’est de la ruine de Dieu, de la société, de la famille et de l’humanité qu’un nouvel esprit humain pourra naître et fleurir, festif. Un nouvel esprit humain qui –sur les décombres du passé- pourra chanter la libération de l’homme, du libre et glorieux « Je. »
* III
Le Christ était une incompréhension paradoxale du gospel. C’était un triste et peinant symptôme de décadence, né d’une païenne fatigue. L’Antéchrist est le sain fils de toute l’intrépide haine que la Vie féconde a nourri en secret dans son sein, à l’insu de l’ordre chrétien qui dura vingt siècles et plus encore.
Car l’histoire se répète.
L’Éternel Retour est la loi qui gouverne l’univers.
La destinée du monde !
L’Axe sur lequel tourne la vie elle-même !
Pour se perpétuer.
Pour revenir en arrière.
Pour se contredire.
Pour se prolonger.
Ne pas mourir.
Car la vie est mouvement, action.
Qui poursuit la pensée.
Qui frémit pour la pensée.
Qui aime la pensée.
Et qui marche, tourne et court autour.
La Vie désire semer la pagaille dans le royaume des idées.
Mais si la chose lui est refusée, alors, la pensée gémit. Elle pleure et désespère…
L’épuisement la rend faible, la rend chrétienne.
Alors elle prend sa sœur la vie dans une main et tente de la confiner dans le royaume de la mort.
Mais l’Antéchrist –l’esprit du plus profond et du plus mystérieux des instinct- rappelle la vie à elle-même, lui jetant ce cri barbare : Recommence à nouveau !
Et la Vie recommence de nouveau !
Parce qu’elle ne veut pas mourir.
Et si le Christ symbolise la fatigue de vivre, le crépuscule de la pensée, la mort de l’idée…
L’Antéchrist symbolise la volonté de vivre.
La résurrection de la pensée.
L’Antéchrist symbolise une aube nouvelle.
* IV.
Si la civilisation démocratique agonisante (bourgeoise & chrétienne & plébéienne) réussit à niveler l’esprit humain, déniant toutes les hautes valeurs spirituelles vers lesquelles il cherche à s’élever, il n’a cependant et heureusement pas réussi à abolir les différences de classes, de privilèges et de castes, qui, comme nous l’avons dit précédemment, se réduisent en définitive à des disputes alimentaires.
Pour une classe comme pour l’autre – elle le confesse en permanence - l’estomac reste l’idéal suprême. Et le socialisme l’a parfaitement compris.
Il l’a compris, et depuis qu’il est devenu futé – voire même, qui sait, un spéculateur astucieux- il déverse son poison, la doctrine de l’égalité (l’égalité d’être un pou sous la majesté sainte de l’État souverain) dans les puits où l’innocence béate voulait apaiser sa soif.
Mais ce poison que répand le socialisme n’est nullement un poison assez puissant pour accorder l’héroïsme de la vertu à qui le boit.
Non : Ce n’est pas le poison radical capable d’accomplir ce miracle : élever l’esprit humain, le transfigurer et le libérer. C’est plutôt un mélange trompeur de « oui » et de « non.» Une mixture livide à base d’autorité et de foi, d’état et de futur.
Et donc, avec le socialisme, la foule prolétarienne rejoint de nouveau la foule bourgeoise et ensemble ils se tournent vers l’horizon, attendant plein d’espoir le Soleil du Futur.
Et cela du fait que le socialisme n’est pas à même de changer les mains tremblantes des esclaves en autant de griffes pilleuses, iconoclastes et sans pitié. Il n’est pas davantage capable de changer l’avarice des tyrans en cette vertu noble et supérieure qu’est la générosité.
Avec le socialisme, le cercle vicieux et corrompu crée par le christianisme et développé par la démocratie n’a pas été brisé. Au contraire, il se renforce.
Le socialisme demeure un pont aussi dangereux qu’impraticable entre les tyrans et les esclaves ; une conjonction manquée et fausse, comme l’est le mélange ambigu de « oui » et de « non » inhérente à son absurde principe.
Et, une fois encore, nous voyons la blague fatale et obscène qui nous dégoûte. Nous voyons le socialisme, le prolétariat et la bourgeoisie, parcourir ensemble l’orbite de la plus basse insignifiance spirituelle que vénère la démocratie. Mais la démocratie –c’est-à-dire le peuple gouvernant le peuple et le battant à coup de gourdins au nom du peuple- ainsi que s’en est moqué un jour Oscar Wilde, ne peut que s’opposer aux esprits véritablement libres, les grands vagabonds de l’idée, qui sentent plus intensément le besoin d’un élan décisif vers la frontière du sacrilège le plus extrême, pour préparer les phalanges d’aigles humains vers le désert silencieux ; Ceux qui, de leurs griffes d’acier, vont furieusement prendre part à la célébration tragique du crépuscule social qui renversera la civilisation démocratique, et la plongeront dans le gouffre d’un temps qui n’est plus.
* V.
Lorsque, dans le temple sacré de la démocratie, la bourgeoisie a reconnu à genoux la légitimité du socialisme, ils s’entendirent en secret dans le lit de l’espérance pour dormir de leur sommeil de paix absurde. Mais les prolétaires, ayant, pour avoir bu le poison socialiste, perdus leur innocence joyeuse, criant depuis le côté gauche, troublant le doux sommeil de l’idiote et criminel bourgeoise.
Pendant ce temps-là, sur les cimes montagneuses de la pensée, les vagabonds de l’idée surmontèrent la nausée, annonçant quelque chose comme le rire rugissant de Zarathoustra dont l’écho se faisait sinistre.
Le vent de l’esprit, pareil à un ouragan, aurait dû pénétrer la conscience humaine et l’amener impétueusement dans le tourbillon des idées pour écraser les vieilles valeurs venues des ténèbres du temps, élevant de nouveau la vie de l’instinct sublimé dans le soleil d’une pensée neuve.
Mais, se réveillant, les crapauds bourgeois comprirent qu’une chose inimaginable criait depuis les hauteurs, menaçant les fondations même de leur existence. Oui : ils surent que quelque chose arrivait depuis les cimes tel un rocher, un rugissement, un défi.
Ils comprirent que les voix sataniques de devins déchaînés annonçaient une tempête furieuse, qui, d’une aube renouvelée par quelques solitaires, exploserait dans les entrailles de la société pour la raser et la rendre à la poussière.
Mais ils n’ont pas compris (et ne le feront qu’une fois pulvérisés) que ce qui passe sur le monde est le vent tout-puissant d’une vie libérée, dont le battement de cœur est la mort de « l’homme bourgeois » et de « l’homme prolétaire », car chaque personne peut être « unique » et « universelle » en même temps.
Et c’est la raison pour laquelle toutes les bourgeoisies du monde sonnent leurs cloches, faite d’un métal faussement idéaliste, se convoquant mutuellement à une grande assemblée.
L’assemblée fut générale…
Toutes les bourgeoisies se rassemblèrent.
Elles se réunirent parmi les joncs visqueux qui croissent dans le bourbier de leurs mensonges communs et là, dans le silence de la foule, elles décidèrent de l’extermination des grenouilles prolétariennes, de leurs serviteurs et de leurs amis.
Dans le féroce complot toutes les parties sont vouées au Christ et à la démocratie.
Tous les anciens apôtres des grenouilles attendaient également. La guerre fut décidée et le prince de la vipère noire bénit les fratricides armées au nom de Dieu qui a dit « Ne tue pas,» tandis que le vicaire symbolisant la mort implora sa déesse qui vint danser sur le monde.
Alors le socialisme – acrobate plein de talent, jongleur entraîné – fit un bond en avant. Il se hissa sur le mince fil de la spéculation politique sentimentale, son front cerclé de noir, et, endolori et pleurant, dit plus ou moins de cette manière : « Je suis le véritable ennemi de la violence, l’antithèse de la guerre, et je suis également l’ennemi de la révolution, l’ennemi du sang. »
Et après avoir encore parlé de « paix » et d’ « égalité,» de « foi » et de « martyr,» d’ « humanité » et du « futur,» il entonna un chant fait de « oui » et de « non,» inclina sa tête et pleura.
Il pleura ses larmes de Judas, qui n’ont même pas le « Je m’en lave les mains » de Pilate.
Et les grenouilles partirent…
Elles partirent vers le royaume de la bassesse humaine complète. Vers la foule de toutes les tranchées.
Elles partirent…
Et la mort arriva !
Elle vint boire le sang et danser horriblement sur le monde.
Cinq longues années durant…
C’est alors que les grands vagabonds de l’esprit, pris d’un nouveau dégoût, chevauchèrent leurs aigles libres une fois de plus, grimpant la hauteur vertigineuse de leurs distants glaciers, et dans la solitude ils rirent et maudirent.
Même l’esprit de Zarathoustra –le véritable amant de la guerre et le plus sincère ami des guerriers- doit être sacrément dégoûté et empli de mépris depuis que quelqu’un l’a entendu s’exclamer : « Pour moi, tu dois être de ceux qui tendent le regard à la recherche de l’ennemi –de ton ennemi. Et chez quelques uns la haine flamboie au premier regard. Tu dois chercher ton ennemi, mener ta guerre. Tes idées en dépendent ! Et si tes idées succombent, ta rectitude criera ton Triomphe ! » Mais hélas! Le sermon héroïque du barbare libérateur fut sans grands résultats.
Les grenouilles humaines ne savent ni reconnaître leur ennemi ni se battre pour les idées (les grenouilles n’ont pas d’idées !)
Et en plus de cela, elles se battent pour être repues de fraternité dans le Christ, d’égalité démocratique.
Elles se combattent les unes les Autres pour la plus grande joie de l’ennemi.
Abel, ressuscité, meurt pour Caïn une seconde fois.
Et cette fois-ci, de sa propre main !
Volontairement…
Volontairement, car il aurait pu se rebeller, et le mensonge ne le fait jamais…
Car il aurait pu dire : Non !
Ou oui !
Parce que dire « non » aurait été un signe de force !
Parce que disant « oui,» le mensonge aurait démontré qu’il croyait dans la cause pour laquelle il combattait.
Mais il ne dit ni « oui » ni « non.»
Il est parti !
De couardise.
Comme d’habitude.
Il est parti…
Il est parti vers la mort.
Sans savoir pourquoi.
Comme toujours.
Et la mort est venue…
Danser sur le monde cinq longues années !
Et elle a dansé hideusement dans les tranchées boueuses de tous les recoins du monde.
Avec ses pieds de foudre…
Elle a dansé et ri…
Ri et dansé…
Cinq longues années !
Ha ! Comme est vulgaire la mort qui danse sans être portée par les ailes des idées.
Quelle idée stupide de mourir sans savoir pourquoi…
Nous la voyons quand elle danse –la Mort. C’est une mort noire, qui ne transmet aucune lumière.
Une mort dépourvue d’ailes !
Comme c’était vulgaire et laid…
Comme sa danse était maladroite…
Mais elle danse quand même !
Et comme elle se déplace –faisant danser tous les superflus et tous ceux de la majorité.
Tous ceux qui disent que le libérateur ultime -l’État- a été inventé.
Mais hélas ! Elle n’emporte pas que ceux-là…
La Mort –qui veut venger l’état- fauche aussi ceux qui n’étaient pas sans valeur, et même ceux qui étaient essentiels !
Mais ceux qui ne sont pas sans valeur, ceux qui ne font pas partie de la majorité, ceux qui sont tombés en disant « non » ! Ceux-là seront vengés.
Nous allons les venger.
Nous les vengerons car ils sont nos frères !
Nous les vengerons parce qu’ils sont tombés les étoiles plein les yeux.
Car en mourant, ils ont absorbé le soleil.
Le Soleil de la vie, le soleil de la lutte, le soleil de l’Idée.
* VI.
Qu’est-ce que la guerre a renouvelé ?
Où est l’héroïque transfiguration de l’esprit ?
Où ont-ils accroché les tables phosphorescentes des valeurs nouvelles.
Dans quel temple repose la sainte amphore dorée qui contient les cœurs éclatant de lumière des plus grands et plus créateurs héros
Où est la splendeur de la grande nouvelle lune ?
D’atroces rivières de sang se déversent sur toutes les prairies et tous les chemins du monde.
D’effrayants torrents de larmes forment l’écho d’une complainte à vous briser le cœur.
Dans tous les cours d’eau de la terre: des montagnes d’ossements et de chair humaine blanchissent et pourrissent sur le soleil.
Mais rien n’a été transformé, aucune évolution n’est advenue.
L’estomac bourgeois est simplement parvenu à satiété et celui du prolétaire crie d’une trop grande faim.
Ça suffit !
Avec Karl Marx la pensée humaine est descendue dans les intestins. Le rugissement qui a résonné dans le monde d’aujourd’hui est un rugissement de faim. Notre volonté peut le changer en un hurlement de l’esprit.
En une tempête spirituelle.
En un cri de vraie vie.
En un ouragan d’éclairs.
Notre foudre pour déchirer la réalité présente, fracturer la porte du mystère inconnu de nos rêves longtemps attendus et montrer la beauté sans égale de l’homme libéré. Car nous sommes les prophètes déments d’un Age.
Les feux.
Les faisceaux.
Les signaux.
Les premiers annonceurs.
* VII.
La Guerre !
Vous vous en souvenez ?
Qu’a créé la guerre ?
Ceci : La femme a vendu son corps et nommé la prostitution « amour libre.»
L’homme, qui veut éviter les balles manufacturées et prêche la sublime beauté de la guerre, appelle sa lâcheté : « astuce délicate et prévoyance héroïque ».
Celui-là qui a vécu depuis toujours dans une infamie inconsciente, dans l’humilité, l’indifférence et les renonciations des faibles, maudit de petites audaces – qu’il a toujours détestées parce qu’il n’a pas la force de protéger son estomac des puissances qui lui mentent et lui promettent sa vile bouchée de pain.
Car même les mendiants de l’esprit –ceux qui restent toujours à se motiver dehors pendant que la partie la plus noble de l’humanité entre dans l’enfer de la vie- ces humbles et dévoués servants de leurs tyrans, ces inconscients pourfendeurs des esprits supérieurs, même eux, disons-nous, ne veulent pas partir.
Ils ne veulent pas mourir.
Ils se tordent, pleurent, implorent, ils prient !
Mais ils ne le font que sous l’influence d’un pauvre instinct impotent et bestial d’auto-préservation, dépourvus qu’ils sont du rugissement héroïque de la révolte, et ignorent le problème d’une humanité supérieure, de la profondeur d’un sentiment raffiné, de la beauté spirituelle.
Non, non, non !
Rien de tout cela !
L’estomac !
Rien que l’estomac des bêtes.
L’idéal prolétariano-bourgeois – l’estomac !
Mais pendant ce temps la mort vient…
Dansant sur le monde sans être portée par les ailes d’une idée !
Et elle danse…
Elle danse et rie.
Cinq longues années…
Et pendant que sur la frontière la mort dépourvue d’ailes s’enivre de sang, à la maison dans la tranquillité sainte –dans les vulgaires « gazettes » mensongères- le moral miraculeux et l’amélioration matérielle de nos femmes sont célébrées et chantées avec la même ferveur que l’héroïque et glorieux soldat marchant vers les sommets. Celui-là qui meurt sans savoir « pourquoi ».
Combien de mensonges féroces, de cynisme vulgaire nés des têtes sinistres de la société démocratique et de l’état sont vomis dans les « gazettes ».
Qui se souvient de la guerre ?
Comme les foules croassent…
Les foules et les hiboux !
Tandis que danse la mort !
Dansant sans une idée pour la conduire à travers les airs ! La dangereuse idée féconde et créatrice. Elle danse…
Elle danse et rit !
Et elle se déplace –faisant danser les superflus. Tous ceux qui composent la majorité. Ceux pour qui l’État a été inventé.
Mais hélas ! Elle ne fait pas danser que ceux-là.
Elle possède aussi ceux qui avaient regardé en face le soleil
Ceux qui avaient eu des étoiles dans les yeux.
* VIII.
Où sont l’art épique, l’art héroïque, l’art total et la guerre qui nous est destinée ?
Où sont la vie libre, le Triomphe d’une nouvelle aube, la splendeur de la lune, la gloire festive du soleil ?
Où est la rédemption de l’esclavage matériel ?
Où est celui qui a créé la belle et profonde poésie qui a éclos douloureusement dans les abysses effrayants et tragiques du sang et de la mort, pour nous dire la silencieuse et cruelle torture ressentie par la pensée humaine ?
Qui a dit la douce et bonne parole qui nous invite à un matin clair après une terrible nuit de tempête ?
Qui a prononcé la parole supérieure qui nous a fait grands malgré la peine, purs par la beauté et profonds par l’humanité ?
Qui est, qui a jamais été le génie connaisseur du moyen de se lier lui-même par l’amour et la ferveur au-dessus des plaies ouvertes dans la chair vivante de notre vie, pour recevoir les nobles larmes de ceux dont le rire tout-puissant est la rédemption de l’esprit et la Némésis des griffes des monstres crevant de faim, venus de nos erreurs passés pour nous permettre de nous élever à une éthique supérieure où, à travers les principes lumineux de la beauté humaine purifié par le sang et la peine, nous pourrons nous relever, fort et majestueux –tel une flèche décochée par l’arc de la volonté –pour chanter la plus douce et la plus gentille des mélodies dédiée aux plus grands espoirs de la vie terrestre !
Où ? Où ça ?
Je ne le vois pas.
Je ne le ressens pas !
Je regarde autour de moi, mais ne vois que la pornographie du vulgaire et le faux cynisme…
Au moins il nous a été donné d’avoir un Homère dans l’art et un Napoléon pour les choses de la guerre.
Un homme ayant la force de détruire une époque, de créer une histoire nouvelle…
Mais rien !
La guerre ne nous a donné ni grands chanteurs ni grands leaders. Rien que des fantômes qui mentent et des parodies sinistres.
* IX.
La guerre a passé, balayant l’histoire et l’humanité dans le sang et les larmes, mais l’époque est demeurée inchangée.
Une époque de désintégration.
Le Collectivisme est mourant et l’individualisme ne s’est pas encore enraciné.
Nul ne sait obéir, nul ne sait commander.
Et compte tenu de tout cela, tout en sachant comment vivre librement, il demeure un abysse.
Un abysse qui ne peut être comblé que par le cadavre de l’esclavage et de l’autorité.
La guerre ne peut combler cet abysse. Elle ne peut que l’élargir.
Mais ce que la guerre ne saurait accomplir, la révolution doit s’en charger.
La guerre a rendu les humains plus bestiaux et plus plébéiens. Plus vulgaires et plus laids.
La Révolution doit les changer pour le meilleur.
Elle doit les anoblir.
* X.
Dès à présent –d’un point de vue social –nous avons emprunté la pente fatale, et il n’est plus possible de revenir en arrière.
Tenter de le faire, seul, serait un crime.
Un crime sans grandeur ni noblesse, de surcroît.
Un crime vulgaire. Un crime au-delà de l’inutile et du vain. Un crime contre la chair de nos idées.
Mais comme nous ne sommes pas les ennemis du sang…
Nous sommes ennemis de la vulgarité !
A présent que l’âge de l’obligation et de l’esclavage touche à sa fin, nous voulons refermer le cycle de la pensée théorique et contemplative pour ouvrir la brèche de l’action violente, ce qui est encore la volonté de vivre et l’exultation de l’expansion.
Sur les ruines de la piété et de la religion nous voulons que se dresse la dureté créatrice de nos cœurs fiers.
Nous ne sommes pas les admirateurs de l’« homme idéal » des « droits sociaux », mais les affirmateurs de l’« individu concret », ennemi des abstractions sociales.
Nous combattons pour la libération de l’individu.
Pour conquérir la vie.
Pour le Triomphe de nos idées.
Pour la réalisation de nos rêves.
Et si nos idées sont dangereuses, c’est parce que nous sommes de ceux qui aiment vivre dangereusement.
Et si nos rêves sont insensés, c’est parce que nous sommes fous.
Mais la folie est notre suprême sagesse.
Et nos idées sont le Cœur de la vie ; nos pensées, les flambeaux de l’humanité.
Et la Révolution doit réussir ce que la guerre n’a pas fait
Parce que la révolution est le feu de notre volonté et un besoin de nos âmes solitaires, c’est le devoir de l’aristocratie libertaire.
Pour créer de nouvelles valeurs éthiques.
Pour créer de nouvelles valeurs esthétiques.
Pour partager la richesse matérielle.
Pour individualiser la richesse spirituelle.
Parce que nous – intellectuels violents tout autant que sentimentaux passionnés – nous comprenons et nous savons que la révolution est une nécessité de la douleur silencieuse qui nous déchire au plus profond, et un besoin de libres esprits qui nous déchire au plus haut. Car si la douleur qui nous déchire au plus profond veut accéder au sourire heureux du soleil, les esprits libres qui s’agitent plus haut ne veulent plus se voir offensés par le supplice du vulgaire esclavage qui les entoure.
L’esprit humain est partagé en trois flots :
Le flot de l’esclavage, le flot de la tyrannie, le flot de la liberté !
Avec la révolution il faut que le dernier de ces trois flots l’emporte sur les deux autres et les submerge.
Il faut qu’il crée la beauté spirituelle, qu’il enseigne aux pauvres la honte de leur pauvreté, et aux riches la honte de leur richesse.
Il faut que tout ce qui s’appelle « propriété matérielle », « propriété » privée », « propriété extérieure » deviennent pour les individus ce qu’est le soleil, la lumière, le ciel, la mer, les étoiles.
Et ceci adviendra !
Ceci adviendra parce que nous – les iconoclastes- nous l’imposerons !
Il n’est que de richesse éthique et spirituelle qui soit invulnérable.
C’est la vraie propriété de l’individu. Pas le reste !
Le reste est vulnérable ! Et tout ce qui est vulnérable, sera abattu.
Il le sera par la puissance sans scrupules du « je ».
Par la force héroïque de l’homme libéré.
Et par-delà toute loi, toute morale tyrannique, toute société, tout concept de fausse humanité…
Nous devons diriger nos efforts pour transformer la révolution qui s’avance en « crime anarchiste », pour pousser l’humanité au-delà de l’État, au-delà le socialisme.
Vers l’Anarchie.
Si par la guerre les hommes ne purent se réaliser dans la mort, la mort a purifié le sang de ceux qui sont tombés.
Et le sang que la mort a purifié – et que le sol a bu avec avidité – hurle maintenant sous terre !
Et nous solitaires, ne sommes pas les chantres du sein où gisent les morts, mais auditeurs, auditeurs de ces voix qui hurlent sous la terre.
Des voix du sang « impur » qui s’est purifié dans la mort.
Et le sang de tous ceux qui sont tombés hurle !
Il hurle sous terre !
Et le hurlement de ce sang nous appelle vers les abysses…
Il faut le libérer !
O jeunes mineurs, tenez-vous prêts !
Préparons nos torches et nos estafettes !
Il nous faut retourner la terre !
Il est temps ! Il est temps! Il est temps !
Le sang des morts doit être libéré
Depuis les ténèbres profondes il veut s’élancer vers le ciel et conquérir les étoiles
Parce que les étoiles sont les amies des morts.
Les tendres sœurs qui les ont vu mourir.
Elles sont celles qui tous les soirs s’en vont vers leur sépulcre avec leurs pieds lumineux et disent : Demain !…
Et nous les fils des lendemains nous sommes venus aujourd’hui vous dire :
Il est temps ! Il est temps ! Il est temps !
Et nous sommes venons avant l’aurore…
Accompagnés de l’aube et des dernières étoiles !
Et nous avons ajouté aux morts d’autres morts...
Mais tous ceux qui tombent ont une étoile d’or qui brille dans leur pupille !
Une étoile d’or qui dit :
La couardise des frères survivants deviendra rêve créateur : en héroïsme vengeur !
Parce que s’il en était autrement, ça ne vaudrait pas la peine de mourir !
Comme ce doit être triste de mourir.
Le cœur sans espérance, sans incendie dans la tête ; sans un grand rêve à l’âme ; sans une étoile d’or qui brille dans notre pupille !