Titre: L’Expropriateur
Auteur·e: Novatore Renzo
Sujet: expropriation
Date: 1919
Source: Consulté le 21 décembre 2016 de fr.wikisource.org
Notes: Paru dans Iconoclasta ! n°10, Pistoia, 26 Novembre 1919.

L’Expropriateur est la figure la plus belle, la plus virile et sans complexes que j’ai eu à rencontrer dans l’anarchisme. Il est celui qui n’attend rien. Il est celui qui n’a aucun autel sur lequel se sacrifier. Il glorifie la vie seule par la philosophie de l’’Action. Je l’ai connu un après-midi d’août éloigné alors que le soleil brodait dans l’or la nature verdoyante, parfumée et festive qui chantait une chanson joyeuse à la beauté païenne.

Il m’a dit : « j’ai toujours été un agité, un vagabond, un esprit indocile. »

J’ai étudié les hommes et leur esprit dans des livres et dans la réalité. J’ai constaté qu’ils étaient un mélange entre le comique, le vulgaire et le lâche. Ils m’ont rendu nauséabond. D’une part, de sinistres fantômes moraux, créés du mensonge et de l’hypocrisie qui règne. D’autre part, des animaux sacrificiels qui adorent avec fanatisme et lâcheté. Tel est le monde des hommes. Telle est l’humanité. Je ressens du dégoût pour ce monde, pour ces hommes, pour cette humanité. Les plébéiens et les bourgeois sont les mêmes. Ils se méritent bien les uns les autres. Le socialisme ne serait pas d’accord. Il a découvert les bons et les mauvais. Et pour détruire ces deux antagonismes, il a créé encore deux autres fantômes : l’Égalité et la Fraternité entre les humains…

« Mais les hommes seront égaux sous l’Etat et libres sous le Socialisme… Le socialisme a renoncé à la Force, la Jeunesse, la Guerre ! Mais quand la bourgeoisie, ces mendiants spirituels, ne veut pas se voir égale à la plèbe, ces mendiants substantiels, alors même le socialisme pleurnicheur permet la guerre. Oui, même le socialisme permet de tuer et d’exproprier. Mais au nom d’un idéal d’égalité et de fraternité humaine… L’égalité et la fraternité sacrées qui commença avec Caïn et Abel !

« Mais avec le socialisme et sa demi pensée ; on est demi-libre ; on vit nos vies à moitié ! Le socialisme est l’intolérance ; c’est l’impotence de la vie ; c’est la foi en la crainte. Je vais au-delà !

« Le Socialisme trouve l’égalité bonne et l’inégalité mauvaise. Les esclaves bons et les tyrans mauvais. J’ai traversé le seuil du bon et du mauvais pour vivre ma vie intensément. Je vis aujourd’hui et je ne peux pas attendre demain. L’attente est pour le peuple et pour l’humanité, elle n’est donc pas mon affaire. L’avenir est le masque de la crainte. Le courage et la force n’ont aucun avenir pour la raison simple qu’ils sont eux-mêmes l’avenir qui prend le passé et le détruit.

« La pureté de la Vie continue seulement avec la noblesse du courage qu’est la philosophie de l’action. »

J’observe : « la pureté de cette vie qui est la votre me semble avoisiner le crime ! »

Il répond : « le Crime est la synthèse la plus haute de la liberté et de la vie. Le monde moral est un monde de fantômes. Voici là des spectres et leurs ombres ; voici là l’Amour Idéal, universel, l’Avenir. Regarde, l’ombre des spectres : l’ignorance, la crainte et la lâcheté sont là. Obscurité profonde, peut-être éternelle. J’ai moi aussi vécu dans cette prison sombre et sale. Alors je me suis armé d’une torche sacrilège, mettant le feu aux fantômes et violant la nuit. Quand j’ai atteint les portes du bon et du mauvais, je les ai furieusement démolis et j’ai traversé leur seuil. La bourgeoisie m’a lancé son anathème moral, la cohue idiote sa malédiction morale.

« Mais tous les deux sont l’humanité. Je suis un homme. L’humanité est mon ennemi. Elle veut m’étreindre dans ses mille vilaines tentacules. J’essaye de saisir tout ce qui me reste de mes alanguissements. Nous sommes en guerre. Tout ce que j’ai la force d’arracher est mien. Et je sacrifie tout ce qui est mien sur l’autel de ma vie et de ma liberté. Cette vie mienne que je sens palpiter parmi les flammes propulsives qui flambent dans mon cœur ; parmi l’agonie sauvage de mon être tout entier qui remplit mon esprit des bouleversements divins et crée les fanfares tonitruantes de guerre et les symphonies polyphoniques d’un plus haut et plus étrange amour inconnu, qui se répercute dans mon esprit. Cette vie qui remplit mes veines d’un sang vigoureux et vif qui étend les spasmes diaboliques d’exaltante expansion par tous les nerfs de mes muscles et ma chair ; les spasmes de cette vie mienne que j’entrevois à travers la vision affolée de mes rêves, désireux et dans le besoin d’un développement infini. Ma devise est : exproprier et bruler, en laissant toujours derrière les cris d’atrocité morale et en détruisant les troncs antiques derrière moi.

« Quand les hommes ne possèdent plus la richesse morale — les seuls trésors vraiment inviolables — alors je jetterai mes brise-serrures. Quand il n’y aaura plus de fantômes dans le monde, alors je jetterai ma torche. Mais cet avenir est loin et peut ne viendra-t-il jamais ! Et je suis un enfant de cet avenir éloigné, tombé dans ce monde par le hasard, dont je salue la puissance. »

Voici donc ce que l’Expropriateur m’a dit en cet août éloigné alors que le soleil brodait dans l’or la nature verdoyante, parfumée et festive qui chantait une chanson joyeuse à la beauté païenne.