Titre: Pris dans la toile
Auteur·e: anonyme
Date: 2017
Source: Consulté le 2 avril 2017 de cettesemaine.info/breves
Notes: Traduit de l’allemand du journal anarchiste Dissonanz n°43, Zurich (Suisse), 16 février 2017, pp. 1-2, par Brèves du Désordre.

En quelques décennies, le monde entier a été recouvert par différentes nouvelles toiles. Internet, réseau de téléphonie mobile & co… Avec quelle rapidité cette toile allait se développer, à quel point elle se tisse de manière toujours plus serrée… quasiment personne n’aurait osé le prédire. Les câbles en fibre optique tirés comme des veines sous les villes, les signaux vibrant dans l’air à toujours plus haute fréquence, les antennes, les modems, les portables, le wifi, le home monitoring, les objets « intelligents », les smart cities…

Aujourd’hui, on parle de manière inflationniste de réseaux sociaux, de mise en réseau, de toile, etc. Ces concepts se frayent un chemin dans le vocabulaire des entreprises, de la politique, de groupes d’intérêts et de cercles d’amis… en réalité, on en entend parler presque partout. Cela correspond à une transformation complète des théories sur l’organisation, ce qui ne devrait pas surprendre, puisqu’en même temps l’ensemble de la société se restructure sur de nouvelles bases.

Mais quel est le but d’une toile ? C’est clair : une araignée tisse sa toile pour attraper des insectes qu’elle peut ensuite dévorer vivants. Un pêcheur a besoin de filet pour attraper des poissons. Alors à quoi sert le magnifique nouveau réseau qui s’étend sur le monde entier, élaboré par différentes entreprises et institutions étatiques et dont le développement semble sans fin ? Et bien, ceux qui le tissent et le financent visent avant tout à une chose : le Capital. Tout ce qu’attrape ce réseau se transforme en informations sous forme de zéros et de uns, en informations potentiellement exploitables représentant davantage de capital pour les « up to date ».

Ce réseau se déploie depuis maintenant quelques décennies, et beaucoup y voient encore un bon potentiel de développement. Pourquoi ne pas intensifier son extension au-dessus de l’architecture urbaine ? Le faire pénétrer dans les appartements ? Ou même à l’intérieur des corps humains ? Cela fournirait bien plus d’informations encore. De l’information détaillée, de l’information supposément susceptible de refléter l’ensemble de la réalité, ce qui équivaudrait à encore beaucoup plus de capital. Du capital sous forme de sécurité, de contrôle, de vitesse, de prévisions et de prévisibilité…

La restructuration actuelle destinée à perpétuer le capitalisme provoque aussi des changements dans les rapports sociaux. Cela se dessine depuis longtemps. On renonce de plus en plus à certaines choses aujourd’hui quelque peu démodées, même si cela pourrait bien sûr changer encore à l’avenir. Dans la famille, à l’école, au travail, les comportements personnels directement et ouvertement autoritaires se transforment au fur et à mesure que la relation humaine directe et non médiée passe en tant que telle progressivement à l’arrière plan. Ils cèdent régulièrement la place à la logique de réseaux collaboratifs, des réseaux "transparents" constituant dans le meilleur des cas une maille productive supplémentaire dans la grande toile. La domination en devient de plus en plus impersonnelle, et il est toujours plus difficile de voir selon quel algorithme nous sommes en train de danser, comment il a été programmé et qui contrôle le programme… Comme des mouches dans une toile d’araignée, nous voilà bien englué-e-s, à la différence près que selon toutes les apparences, il semble que nous ayons été privé-e-s de l’instinct de nous faufiler et de tout simplement essayer de nous échapper en volant. Souvent, nous ne savons même plus ce que voler veut dire.

A mon avis, en tant qu’anarchistes, nous ne devrions pas accepter si facilement le discours des réseaux etc. La toile est un filet pour attraper, dans lequel on s’empêtre et duquel on peut à peine sortir. Nous devrions bien plus baser nos luttes sur une organisation souple, une libre association pouvant toujours et directement être déliée par celles et ceux qui y participent à partir du moment où cela fait sens, et préférer le rapport non médié, refusant les normes sociales et toute hiérarchie, au-delà des algorithmes et des programmes.

Et pendant que manifestement beaucoup tombent littéralement comme des mouches dans la toile, appâté-e-s ad nauseam par des images scintillantes, des commodités et des gadgets faciles, nous ferions mieux de réfléchir à comment passer à travers les mailles du filet, comment en briser les fils, jusqu’à ce que l’ensemble de la toile se déchire !