Titre: Vivre le pouvoir, répandre les barbouzeries : Ceci est un programme
Sous-titre: A propos d’une expédition punitive par des amis de l’ordre sur la ZAD
Auteur·e: Non Fides
Date: 2018

Que la ZAD de Notre Dame des Landes, haut lieu de l’expérimentation alternative s’il en est, se termine dans la négociation et la coproduction avec l’Etat d’un lieu où on pourra louer des cabanes le weekend et où l’agroalimentaire bio s’épanouira, n’a malheureusement rien d’étonnant.

Que des paysans qui n’avaient jamais rien demandé d’autre que l’abandon du projet d’aéroport, que des politiciens, des organisations respectables, des citoyens respectueux, des écologistes en communication spirituelle directe avec Leur Mère La Terre, des déconstruits trop occupés par eux-mêmes et leurs affects pour se préoccuper de l’état du monde, que tous ceux-là soient satisfaits de la situation, allant jusqu’à crier Victoire, et jusqu’à organiser pratiquement aux côtés de l’Etat l’achèvement de l’expérience zadiste, n’a à vrai dire rien d’étonnant non plus - Une « victoire » qui laisse un amer goût de défaite intégrale, si ce n’est d’humiliation d’Etat. Car il n’y a victoire que pour celles et ceux qui s’accommodent de ce monde avec zèle et dont la perspective concrète reste sa (qui plus est, bonne) gestion.

Que, pour en éduquer cent sans doute, l’un de ceux qui refusent d’applaudir cette normalisation se retrouve kidnappé et ligoté dans le coffre d’une voiture avec du scotch sur les yeux et la bouche, un bras et une jambe fracturés est véritablement ignoble : on ne pensait probablement pas en être arrivé là, ni que la décomposition post-moderne en cours prendrait des formes pires encore que ce que nous imaginions.

Que cette personne, après une série de mutilations diverses ait ensuite été relâchée dans un état déplorable aux abords d’un hôpital psychiatrique est certainement la touche d’immonde qui en dit le plus sur ses auteurs. Donner aux flics, donner aux psys, faire risquer un internement d’office : protéger la loi, protéger la normalité, répandre l’immondice.

Que l’on choisisse, avec toute la lâcheté qui caractérise la bourgeoisie, de s’attaquer à une personnalité apparemment des plus sinistres de la ZAD plutôt qu’à d’autres récalcitrants à l’image moins ternie, vient parachever la tactique de barbouze intégrale, certainement inspirée de la bataille d’Alger. C’est lui qui a été opportunément visé, mais c’est à tous ceux qui refusent de crier victoire aux côtés de l’ACIPA que l’on s’est attaqué ce jour-là, ne nous y trompons pas.

Ce n’est pas la première fois que des violences ou tentatives d’intimidation sont exercées par ce parti, que ce soit à l’intérieur de nasses policières ou dans des mails impériaux et impérieux de menaces [1].

Pourtant, faire taire ses compagnons de lutte qui récalcitrent et ne comprennent pas que l’heure est au renoncement et à recueillir les fruits empoisonnés de la « victoire » fait sans doute partie de toute bonne négociation mafieuse, et le plus spectaculairement possible, histoire d’assurer sa tranquillité par la terreur. On avait été prévenu, à une époque où ce genre de propos, ridicules quand ils sont tenus par le premier de la classe, ne faisaient que prêter à sourire : même pas peur de se comporter comme une mafia. Eh bien voilà, nous y sommes : ceci était bel et bien un programme.

Les barbouzeries font partie de ces pratiques illégales qui ne sont que le revers de la médaille du maintien légal de l’ordre, aussi vrai que, contrairement à ce que raconte Agamben depuis qu’il est institué philosophe officiel du parti, le prétendu « Etat d’exception » n’est que l’autre face de la normalité de l’Etat de droit. L’ordre s’assure toujours par tous les moyens, les moyens légaux et les autres, et il faut croire que, dans ses petites proportions, l’ordre alternatif fonctionne exactement comme la discipline de parti et l’ordre public : on fait d’abord voter la pacification, on la fait ensuite appliquer par des milices légitimes, et on terrorise en cagoule les récalcitrants pour s’assurer d’avoir les coudées franches.

C’est permis par l’esprit des lois, cela s’appelle l’exercice du pouvoir. On a les frappes de drones qu’on mérite…

Alors certes, les salissants procédés crypto-fascistes font tâche sur le tableau lisse d’une ascension politique en cours sur l’échiquier de la gauche de la gauche à coup d’élections locales, de « communes en commun » et de reconstitution du lien social marchand par l’épicerie de proximité. Il suffit alors que les épiciers de la politique haussent le niveau de la terreur, histoire que ce que tout le monde sait ne se dise pas et que les extrémités de l’échiquier politique ne se rejoignent pas (en effet, que penserait le soutien Francois Hollande de ce genre de pratiques ? Du bon boulot, mais publiquement indéfendable). On rejoue d’ailleurs le PS à sa meilleure période : capitalisation sur les luttes et leur radicalité, programme commun et alliances tactiques, élections et barbouzeries, et le tour est joué. En tout petit, tout sectaire, et tout minable bien sûr, loin du prédécesseur mitterrandiste. Mais le scotch, le coffre, les ficelles, les bras et les jambes cassés donnent un singulier goût de passage à l’acte à ce scénario qui tient pour le reste du fantasme. L’époque semble mûre pour que les Partis, imaginaires ou non, réactivent quelques SACs.

Alors on peut s’offusquer encore et toujours de ce que le pouvoir montre parfois son vrai visage, et que ce n’est pas beau à voir, ou encore de cette odeur nauséabonde, c’est simplement que ceux qui lèchent le cul du pouvoir ont mauvaise haleine. On peut aussi quitter le déni, cesser de se laisser mener en bateau, refuser à la racine les partis, leurs nécessités tactiques et leurs propositions de conquête du pouvoir, arrêter de se laisser bercer par des rengaines sur l’autonomie alors que se reproduisent les pires pratiques de maintien de l’ordre et d’obéissance partidaire. Le mouvement autonome, celui qui s’est développé dans les années soixante-dix, et pas sur Facebook, Twitter ou Les Inrocks, n’en était d’ailleurs pas exempt, et c’est bien malheureusement tout ce qu’il en reste dans cette morne époque…

Ne nous laissons pas terroriser, refusons les milices, les polices, les partis et les mafias alternatives, la judiciarisation et ses perspectives mortifères. Aucune forme de maintien de l’ordre, y compris vendue comme une nécessité tactique à prétention émancipatrice, ne peut donner autre chose que la désolation qui accompagne l’exercice du pouvoir. C’est la contre-insurrection qui vient… Balayons cet imaginaire vicié par le pouvoir, la magouille et la terreur : la révolution est ailleurs.

Pour finir, où va le monde et son monde ? C’est aux pauvres de kidnapper des bourgeois, pas le contraire…

[1] Notons que suite à notre Réponse ouverte à Lundi Matin, un autre mail plus menaçant et ridicule encore de Lundi Matin a été laissé sans réponse, par effet de mépris. En voici seulement un échantillon pour informer de la bonne tenue et des bonnes manières des gérants gâtés de l’organe de propagande Lundi Matin lorsque leurs amis journalistes et procureurs ne voient pas : « Ahah, on vient de voir ta super réponse publique, quelle enquête ! Bravo le petit flic, tu sais faire bon usage de ton temps ! As-tu seulement pris soin de communiquer directement l’étendu de ton travail de surveillance à la DGSI ? Il paraît qu’ils adorent te lire pour comparer tes notes de synthèses aux leurs (ne vois pas là un sophisme, c’est ce qu’ils déclarent d’eux-mêmes à tes confrères journalistes). » Pour donner suite à une bien mauvaise enquête, on leur apprendra que le « tu » auquel s’adresse Mathieu Burnel (bras droit du petit père des peuples qu’On mérite) n’existe pas. Contrairement à Lundi Matin, nous écrire n’est pas écrire à une individualité instituée en gestionnaire de start-up, mais à un collectif fluctuant d’anonymes divers et délocalisés depuis une décennie. Par ailleurs, se faire traiter de flics par des gens qui s’enorgueillissent d’être en ligne directe avec les journaflics (comme des… flics) ne sera pour déplaire à aucun amateur de Pierre Dac. Le seul journaflic que nous connaissons/utilisons pour notre part est votre confrère Jean-Pierre Sourceprochedelenquête