Travailler, pour quoi faire ?

A celui qui vous dira qu’il s’est enrichi par le travail, demandez : « De qui ? »

Le travail, c’est la santé (des patrons).

L’aliénation par le travail, c’est le sentiment du travailleur de ne pas se reconnaître dans ce qu’il produit. De plus, le travail produit plus de valeur que le travailleur n’en retire en échange. En effet, Le commis de cuisine d’un quatre étoiles qui cuisine des plats qu’il n’aura jamais les moyens de se payer, l’ouvrier du bâtiment qui construit des villas qu’il ne pourra jamais habiter ou le travailleur à la chaîne qui assemble des pièces de voitures qu’il ne pourra jamais conduire sont tous des exemples vivants de l’aliénation par le travail, véritable cause du mal-être généralisé de notre société malade et obstacle à notre volonté d’émancipation. Et pourtant nos sociétés occidentales ne sont pas les plus mal loties.

Le travail comme identité.

Le travail, du latin trepalium (torture visant à empaler la victime par trois fois) a pris le pas sur toute autre forme d’expression de notre humanité, la privant ainsi de sa liberté. En effet, Lorsque l’on demande au passant ce qu’il fait dans la vie, il répond banquier, assureur, chômeur, cadre, ouvrier, ingénieur et non père, mère, amant, amoureux, lecteur, musicien, poète. Le travail occupe, tout simplement, trop de place dans notre journée pour nous permettre d’avoir le temps de faire autre chose, car le pouvoir ne nous reconnaît d’autre valeur que celle de travailleur salarié et tire profit de notre soumission, alors que nous aspirons à faire valoir notre originalité.

Le travail comme nous l’entendons.

Le travail, au lieu d’être la principale cause de nos maladies sociales (accidents du travail, suicides, dépressions nerveuses, harcèlements etc.) devrait être le meilleur moyen de marquer le monde du sceau de notre intériorité, comme l’enfant jetant la pierre à l’eau pour en admirer l’effet produit. Nous pensons que le travail doit être l’expression de notre créativité et de l’assouvissement de nos besoins fondamentaux et non pas l’instrument de domination ou d’enrichissement d’un tiers. En effet les ouvriers sont indispensables aux patrons mais pas le contraire. C’est pourquoi, afin de nous émanciper nous devons lutter pour l’abolition du salariat et du précariat, nous permettant ainsi de nous réaliser dans la dignité et le respect de l’humanité qui réside en chacun. Nous voulons être considérés comme des fins et non comme des moyens.

Ce que nous voulons.

Nous souhaitons, hormis l’abolition du salariat, l’organisation collective du travail, la propriété commune des moyens de production, mettre un terme au productivisme effréné, à la course à la croissance meurtrière et à la destruction des écosystèmes, en produisant moins et plus utile. Nous sommes opposés à la mise en concurrence des individus en fonction de leur "mérite" et nous voulons vivre en harmonie avec la nature, pas la détruire. Voilà notre vision du travail. De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins.

Organisons nous de façon autonome et solidaire !
Grève générale expropriatrice !

Non Fides
Groupe anarchiste autonome

La délation en entreprise

Il y a quelques temps, un témoignage d’un ancien salarié de l’entreprise carrefour mettait en lumière la façon dont la direction du groupe poussait ses employé(e)s à se tirer dans les pattes mutuellement. Dans les faits, on mettait des salariés (la plupart se trouvent dans une situation précaire et sont forcés d’accepter des boulots rébarbatifs et peu payés) dans une situation où ils étaient incités à piquer des marchandises sur leur lieu de travail. Ce procédé pervers et malsain avait deux objectifs :

  • faire en sorte que les salarié(e)s soient eux/elles mêmes leurs propres mâtons,

  • leur faire « choisir » la loyauté et la fidélité vis-à-vis de la direction, plutôt que la solidarité entre exploités.

Ainsi, les vigiles, déjà amenés à surveiller les client(e)s, ces potentiell(e)s « voleurs/ses », devaient désormais avoir un œil sur les caissiers/ères et autres magasinier/ères. Le tout étant placé sous le regard de big brother, symbolisé par de nombreuses caméras cachées.

L’ex- vigile racontait dans son témoignage comment sa mission l’avait poussé à dénoncer plusieurs dizaines de collègues, tous licenciés immédiatement après avoir été pris sur le fait par cet infâme dispositif. Il avait fini par démissionner, ne supportant plus moralement la sale besogne qu’il devait remplir.

On comprend à quel point ce procédé vise à renforcer le « culte de l’entreprise », dont on bourre le crâne des demandeurs d’emploi avant de leur faire signer leur contrat. Ce type de gestion se retrouve dans les grandes entreprises majoritairement. Théoriquement, on incite les salarié(e)s à s’identifier totalement à la « grande famille » qu’est l’entreprise capitaliste, en faisant sien l’esprit de celle-ci, son immoralité, son impératif de profit. Dans la pratique, tous les « enfants » de cette entreprise doivent montrer de la méfiance réciproque entre eux, et faire preuve d’une soumission sans faille à l’autorité du « père de famille » qu’est le responsable de rayon, le supérieur, le manager, la direction.

D’autres exemples peuvent venir appuyer ce constat écoeurant. Le prochain est basé sur une expérience personnelle vécue plus récemment.

Ayant postulé pour un emploi de facteur à la poste,nous étions conviés, après la traditionnelle étape de lèche-culterie qu’est la lettre de motivation, à nous rendre à des tests écrits de pré-sélection. Ces tests commençaient par des exercices anodins pour vérifier les capacités en matière d’expression écrite, de calcul mental, de mémoire, et de sens de l’orientation. Rien de bien exceptionnel jusque là. Mais ces tests ne s’arrêtaient pas là, puisque la fin du « cahier d’exercice » (n’est-ce pas terriblement infantilisant ?) était réservée à une série de questions où les candidats devaient imaginer leur comportement face à d’éventuelles situations pratiques. Essentiellement, vis-à-vis des « clients » (on ne dit plus « usagers de service public »), des collègues et de la hiérarchie. Vis-à-vis des « clients », les questions étaient posées de façon à ce que les postulent(e)s culpabilisent à l’avance d’une situation où, étant en retard sur leur tournée de distribution du courrier, ils/elles préfèrent la rentabilité de la poste au service rendu aux populations. La poste avoue donc que les intérêts des « clients » sont diamétralement opposés à ceux de l’entreprise, qui, comme n’importe quel grand magasin, prône une compétitivité poussée et une haute rentabilité.

Venons-en aux relations « intra-entreprise » maintenant.

Il faut préciser que cette série de questions était précédée, dans le fascicule fourni, d’une pleine page visant à enseigner le respect de la hiérarchie et de l’autorité au sein de la boite. Nous nous contenterons de prendre un seul exemple, qui nous semble assez éloquent. Pour résumer, le problème était formulé ainsi :

Votre responsable du centre de tri vous annonce qu’une plainte a été déposée par un client dont le courrier semble avoir été ouvert et lu ; vous savez vous-mêmes qui est responsable de cette faute parmi vos collègues, que décidez-vous de faire ?

  1. vous ne dites rien, prétendant ne rien savoir de cette histoire.

  2. vous savez de qui il s’agit, mais vous dites que vous garderez le silence pour ne pas trahir la personne concernée.

  3. vous dites tout à votre responsable.

  4. vous essayez de minimiser l’affaire, en disant qu’il n’y a pas mort d’homme et que ça n’est pas si grave.

Il est clair que ce questionnaire, tout comme la lettre de motivation d’ailleurs, est un des piliers de l’aliénation que le boulot entraîne dès qu’il commence à nous bouffer la vie. Dans la lettre, nous étouffons notre sincérité et la vérité de nos « motivations » ; nous ne disons pas que nous sommes forcés de bosser parce qu’il faut bien bouffer et qu’en dehors du salariat, nous sommes condamnés, nous clamons que nous sommes prêts à servir notre futur employeur.

Dans le questionnaire, nous devons affirmer que nous n’hésiterons pas à balancer nos compagnons et compagnes de misère salariale pour prouver notre dévouement à la Cause de l’entreprise. Dans les deux cas, il est évident qu’il s’agit d’une opération essentiellement idéologique, dont le message serait le suivant :

« En économie capitaliste, les intérêts de votre employeur sont les vôtres, la solidarité entre travailleurs est bannie. »

Montrez que vous avez saisi ce message et que vous allez l’intérioriser, vous êtes les bienvenu(e)s dans le monde merveilleux de l’entreprise, une ascension fulgurante s’ouvre à vous. Vous refusez ce message, vous le repoussez ? Allez crever ! Vous avez donc choisi le chômage, être feignant et ingrat que vous êtes ! Vous étiez « libre » de saisir la fameuse opportunité vantée par la société libérale, libre de vous en sortir, vous avez craché dans la soupe.

Cette facette du chantage à l’emploi, en vigueur dans tant de boites, est partie intégrante de ce monde hypocrite et inhumain qu’est l’entreprise soumise aux « valeurs » capitaliste et marchande. Si nous voulons nous émanciper, il faudra la détruire.

Cuitlacoche

Et après, que nous reste-t-il ?

C’est un réveil qui sonne à intervalle régulier, depuis des dizaines d’années, et toujours dans le même but. C’est une alarme réglée par une sphère qui me dépasse, pour dresser « ma sphère » privée, ma vie, ma pensée. Déjà enfant, j’entendais souvent ce signal habituel qui signifiait : « attention dés maintenant tu ne te lèvera que pour ça ! ». Le bip retentissait, aussi prévenant qu’un mot d’amour : « Alors ma petite, quel travail veux tu faire plus tard ? » me demandait-on. Quelques années passèrent et ce fut un double bip, un signal récurant qui se réenclenche même quand vous l’arrêtez, histoire de mieux vous réveiller : « Alors qu’est ce que tu veux faire de ta vie ? », la nuance était subtile mais elle suffisait à soulever la question sous jacente : « Quel travail veux tu être ? » puisque travail = vie. C’était donc ça qu’il fallait comprendre de toutes ces années de dressage au réveil matinal (et/ou mental). Ce fut la révélation.

Mais oui, enfin, me disait on, avec le travail, on a un rôle, une fonction à jouer au sein de l’organisation sociale, on « gagne sa vie » et puis, plus on travaille, plus on gagne bien sa vie ! La vie elle se gagne, au prix de nombreux efforts ! Il fallait l’intégrer ! Un bon travail = une bonne vie. L’équation parfaite d’une société où l’on glorifie théoriquement le travail, où on le dresse en valeur, en condition même de la cohésion sociale. Alors oui, en effet, le réveil est la plus grande invention, dans le meilleur des mondes.

Et pourtant, si je tends l’oreille, j’entends chuchoter aux arrêts de bus, dans la rue, au supermarché, partout, des petites phrases telles que : « vivement les vacances ! Marre de ce boulot ! j’suis crevé, j’en peux plus ! ». Une rumeur s’échappe de tous les recoins de la société, la rumeur silencieuse et timide qui porte en elle ce vieux rêve d’une vie sans travail, d’une vie, sans labeur et sans contrainte. Oui, mais quoi ? Quoi à la place du travail ? me dira-t on. Sommes nous au moins capable de penser la vie sans le travail… ?

En effet, tant d’années de conditionnement n’auront pas servi à rien. Car malgré notre épuisement, notre lassitude, nous ne pouvons plus penser notre vie sans travail. Alors on se rattache à ce qui nous reste et on continue…On continue à se lever quand le réveil sonne… Finalement, que nous resterait-il si on nous l’enlevait ? Pourquoi se lèverait-on le matin ?

Pour rien ! Penser sa vie comme une œuvre, penser sa vie comme une création, comme un voyage…ou tant d’autres manières de la penser, ceci semble impossible (même si au fond on le souhaite plus que tout) dans une société qui nous empêche de penser par soi même, dans une société où je ne peux pas me réveiller toute seule, quand je veux et surtout pour faire ce que je veux. Voila le drame d’une société enchaînée malgré elle au réveil matinal du travailleur.

Aspirine

Il y a des choses qui explosent la boite crânienne

Trouver un boulot c’est pas compliqué, arrête de te prendre la tête. Tu as besoin de survivre et pour survivre tu as besoin de manger, pour manger tu as besoin d’argent, pour avoir de l’argent tu as besoin de travailler, pour travailler tu as besoin de chercher un travail et pour chercher un travail, travailler, gagner de l’argent, manger et survivre tu as besoin d’accepter cet état de fait.

Amen. Tout semble si simple. Il suffit de nier ce qu’il y a d’idéel en nous et de ne retenir que le pur matérialisme qui consiste à dire que pour obtenir B, il faut obtenir A. Il faut « jouer le jeu » sans questionner. Extirper de soi-même tout recul et le sacrifier sur l’autel sacré du pragmatisme et de l’adaptation. Mais parfois les temps sont durs et le caisson peut exploser. Le recul mène parfois jusqu’au rejet de cette systématique du fatalisme. Mais ce recul dépasse l’entendement du « bon sens » et l’inquiète, un défaut de fabrication sur un être qui n’arrive plus à s’adapter à ce monde qui fait la guerre aux défectueux, à ceux qui sont les marginaux, ceux auxquels le service après vente sociétal n’a pas pensé lors de l’élaboration. Le matérialisme ras du sol révèle d’autant plus chez eux le fait que cette boite crânienne bien adaptée est parfois trop petite pour contenir l’esprit de révolte. Dépassant la logique illogique de ce système qui se veut simple et limpide, il peut parfois fissurer ce crane mal né qui ne peut plus contenir tant de rage née de l’inadaptabilité du sujet.

Car il y a des choses qui explosent la boite crânienne,

car les normes de fabrications du crane et de son cerveau imposées par dieu le conditionnement ne sont pas prêtes à supporter le choc d’une remise en cause de ce système, sa mise en doute.

Nous sommes les rêveurs. Nous sommes les inadaptés et nous voulons vivre, nous aussi sans que notre crane n’explose et n’illumine le ciel d’un feu d’artifice expiatoire.

Nous exigeons de nouvelles boites crâniennes et un nouveau système d’organisation sociale qui prendra soin de ne plus conditionner. . .

« Il ouvrit, comme d’habitude, la boite de cigares, et il sortit pour fumer. Seulement, ce soir-là, il ne fumait pas un cigare : il fumait une cartouche de dynamite. La petite braise, le petit fanal de voiture, c’était le grésillement de la mèche.

Et il y eut, au fond du jardin, l’énorme éclaboussement d’or qui éclaira la nuit pendant une seconde. C’était sa tête qui prenait, enfin, les dimensions de l’univers.

Qui a dit un roi sans divertissement est un homme plein de misères ? » (Jean Giono)

Courtois, Accueillant, Dynamique, Organisé, Rigoureux

<em>« Vous partagez nos valeurs et notre ambition ?

Vous êtes passionnés d’événementiel, de street marketing, d’affichage ?

Vous aimez le contact ?

Votre dynamisme et votre créativité se conjuguent avec votre écoute client ?

Rejoignez les équipes Posterscope et participez au développement de la Communication Out Of Home. »</em>[1]

Après avoir postulé par Internet, Posterscope, société de « street marketing », me propose un rendez vous à son siége dans le quartier de la Défense à Paris. Quartier où règnent les zombies encravatés, les buildings surdimensionnés, ainsi que divers personnels d’origine étrangère pour récurer les chiottes des zombies et buildings sus mentionnés. C’est moche à se damner.

Arrivé à bon port, je me rends compte que nous sommes sept dans cette salle décorée de posters à l’effigie de marques de sport bien connues. Cette salle me rappelle les locaux dans lesquels travaillait mon père avant de se faire jeter (d’ailleurs, il m’est désormais plus simple de comprendre comment trois employés ont pu s’y suicider ces dernières années) : pas de couleurs, pas de beauté, que du fonctionnel. Des trous dans les bureaux pour y faire passer des fils, bords caoutchouteux, faux plafond, faux sols, faux murs, faux sourires.

L’atmosphère est oppressante. Les volets sont entrouverts, je soupçonne la personne qui doit nous « briefer » de nous observer à travers lorsqu’il n’est pas dans la salle pour nous permettre de lire la petite brochure censée nous expliquer en quoi consiste ce fameux job.

« Charte du bon équipier.
UN POSTE, UNE DEVISE
L’équipier « Posterscope contact » est un C.A.D.O.R.
Courtois, Accueillant, Dynamique, Organisé, Rigoureux

AMBASSADEUR du titre auprès de ses lecteurs,
il est ponctuel, dynamique, souriant, avenant. »

Le jeune homme censé représenter tout ce que nous devrions vouloir atteindre, le statut de CADOR, entre enfin. Seulement le jeune homme est hésitant, bégayant, mou et peu convaincu. Il me paraît tout de suite plus humain qu’un CADOR. Il nous fait lire à voix haute la brochure à la con en attendant que nous prenions l’initiative de commencer. Même s’il désigne tout d’abord les deux seuls noirs de l’assistance, certainement pour s’assurer qu’ils ne sont pas illettrés. Une jeune fille mal à l’aise, Ana,[2] lève le doigt timidement pour lire mais Jean[2] un garçon plus dynamique et plus enjoué réussit à attirer l’attention de l’examinateur vers lui en s’agitant et en parlant bruyamment. Bravo garçon, tu es dynamique. La jeune fille semble frustrée et déçue d’elle même de n’avoir pas réussi à faire montre de plus de dynamisme, mais soulagée tout de même de ne pas avoir à se donner en spectacle pour épater monsieur posterscope. S’en suit alors deux ou trois autres compétitions successives à celui qui aura le plus d’initiative en léchage de cul.

Je ne me sens pas bien dans cette atmosphère. Je n’ai qu’une seule envie, partager un moment seul ou avec les gens que j’aime pour enfin pouvoir relâcher ma colère et détendre mes muscles, me sentir à l’aise et sans surveillance de mes moindres faits et gestes. Examinateur, si seulement tu savais comme je peux être « dynamique » et passionné pour distribuer des tracts écrits ou co-écrits pour exprimer des sentiments sincères, comme je suis enjoué lorsque je m’adonne à mes passions. Là je suis faussement à l’aise, les dents serrées, la gencive qui saigne et les mains moites. J’ai envie de te casser la gueule pour m’insurger contre ton vocabulaire immonde. Car tu es ce que je hais, ce qui pourris ma vie. Ce qui fait la norme à laquelle ma boite crânienne est inadaptée.

On passe à un tour de table « afin que tout le monde s’exprime ». Ana, mal à l’aise, semble improviser tout en récitant des phrases toute faites. « Je veux travailler parce que j’aime travailler ». Je ne te crois pas mais je sais que cette contrition est difficile. Je suis incapable de faire des courbettes à un employeur comme tu viens de le faire. Je reste admiratif que tu puisse y arriver alors que je sens bien qu’au fond de toi tu aimerais toi aussi être ailleurs.

Dans ce tour de table, Jean, sort du lot : « Je suis étudiant en économie et passionné de street marketing hors foyer car j’aime le contact avec les clients. Je suis dynamique et j’ai l’esprit d’initiative. Je suis président d’une association et j’ai milité pendant trois ans dans un parti donc la communication et le marketing ça me connaît ! » avec un clin d’œil ostentatoire et insoutenable.

Je le regarde, ébahit de constater que c’est un être humain que j’ai en face de moi. Cravate bien serrée mais style « décontracté ». il se donne l’image d’un gars « cool » et « détendu ». il est à l’aise. Dents plus longues que les bras et ton plus que déterminé, il souhaite montrer que dans cette pièce, s’il ne fallait en prendre qu’un, ce serait lui, pas les autres. L’examinateur termine son speech et demande à l’assemblée si quelqu’un a une question en montrant bien à tout le monde que c’est le moment ou jamais de se faire remarquer. Jean revient à la charge, toujours aussi sur de lui même : « moi j’ai une question, quelles sont les possibilités d’évolution à posterscope ? ».

Benzoriders

Réveil enroué. Somnifère pas dissipé. L’angoisse qui frappe aux paupières dès que tu recommences à penser. Fatigué, tellement fatigué. Estomac serré. De toute façon pas le temps de déjeuner.

Café, et encore café. Prozac vite avalé.

Métro bondé. Défaillance technique, retard, correspondance manquée. Mouvement social, suicide en direct, SDF effondrés, jeunes contrôlés, sans papiers raflés. Se blinder, pas regarder.

MP3, 3GPlus, MMS, Bluetooth, wifi. Info Matin et Direct Soir. Direct Soir et Info Matin.

Visages composés. Conversations arrangées. Bonjour bonsoir, quelle importance, c’est toujours la même journée. Pointer avec la carte, avec l’œil la main ou le pied.

Eclairage artificiel, climatisation immuablement réglée, bureau standard, coupe papier siglé, cartes postales ou fonds d’écran, la même plage, la même mer figée.

Collègues formatés : petit chef énervé, syndicaliste fatigué, rigolard éculé, de service la cinglée. Surtout éviter d’être catégorisée, pas chialer, pas crier, pas de remarques déplacées, penser à s’aseptiser.

Prozac et encore café. Barres céréales allégées.

Se forcer. A bosser ou à parler. Se souvenir de la télé, râler contre les déficits, les parasites, ou les grévistes. Evoquer ses petits bobos pour éviter de causer des gros.

Saisir des données, envoyer paître les usagers.

Se souvenir du compteur, de la caméra. Je suis peut être filmé, peut-être enregistré.

Performance, audit de qualité, prime de mérite, participation, objectifs, résultats, comparatifs.

Lombalgie, migraine, bouffées de chaleur, stress musculo et squelettique.

Voltarène, anxiolityques, guronzan, amphétamines, alcoolisme honteux, rêve de cocaine pour quand on sera promu.

Pause midi ou pause café. On bouffe ensemble sans se supporter. Publicités filiformées, au régime il faut penser. L’estomac domestiqué. Les coupe-faim ont augmenté.

Sveltesse, Slimfast, Taille Fine. Chocolat allégé, une pomme verte et déprimée.

35h supprimées. Les heures supplémentaires, c’est décrété, faut les aimer. L’entreprise, suspect d’avoir envie de la quitter. Aux résultats s’intéresser.

Innovation, motivation, réaction, esprit d’équipe, tous ensemble se détester mais feindre la convivialité.

Six heures, la nuit est tombée. Rentrer, rêver sur des rencontres fantasmées, mais garder les yeux baissés, pour pas croiser d’autres entités. Danger, danger, racailles, pédophiles, violeurs, jeunes immigrés ou vieux cinglés, l’Autre est toujours l’Etranger.

Caméras, interphone, code compliqué, rondes rapprochées, grilles ajoutées, serrure neuf points, volets fermés.

La famille c’est sacré, ne pas s’avouer qu’on préfère la télé. Mes enfants sont pas enjoués, ils sont compliqués.

Obésité, hyperactivité, anxiété, manque de compétitivité.

Chez le psy les emmener. Cinq fruits et légumes, je vais leur faire bouffer. Acadomia, cours particuliers, activités imposées, le chômage leur éviter. Compétitivité, leur faire capter, la vie c’est pas un conte de fées.

Chut, le Président va parler. Tant pis s’il nous fait pas rêver, l’important c’est qu’on soit pas les seuls à cauchemarder. Les autres enfermés, radiés, tabassés, aux frontières repoussés, pas de raison que je sois le seul à morfler.

Chut, le Président va me parler, il comprend mon anxiété.

Vache folle, hormones de croissance, cancer. OGM, réchauffement, la guerre.

La terreur, le sang, le nucléaire, le loyer en retard, trop de crédits pour être propriétaire. Trouver le sommeil.

Lexomil, Atarax, Rohypnol, Dormomyl.

Avant de sombrer, je rêve du non réveil.

Collectif RTO

On aimerait faire grève

On aimerait faire grève, mais ce n’est pas toujours possible. Nous sommes les travailleurs, les chômeurs, hommes, femmes, jeunes, plus âgés, exploités, nous sommes parmi les 5 millions de travailleurs non qualifiés, aux salaires minimum, pour certains enchaînant les cdd, les vacations, alternés par des périodes de chômage. Nous sommes les millions de travailleurs plus qualifiés dont le salaire suffit à peine à vivre. Alors on aimerait faire grève, parfois on peut mais c’est difficile, le code du travail n’est pas fait pour nous, les patrons, leur DRH, leurs cadres et managers ont toutes les facilités pour nous licencier. Ils nous tiennent par le salaire, la peur !

Parfois on se bat, on se regroupe, et collectivement, tous ensemble on limite la casse !

On aimerait faire grève, d’autant plus que nous faisons tourner les boites, les entreprises, on pense d’ailleurs les faire tourner pour nous, pour nos besoins, l’avenir nous le dira !

Nous savons, nous avons le Savoir, la connaissance de nos métiers, d’ailleurs leurs projets ne fonctionneraient pas sans notre savoir, ce que l’on a appris dans le boulot, on corrige leurs erreurs, on règle leurs machines, on s’adapte. On fera tourner les usines, les lieux de travail pour nous, on en fermera certaines, celles qui fabriquent des choses qui nous seront inutiles, alors on aura plus de temps pour rêver, créer. On construit aussi de superbes maisons, des apparts de standing en résidence qui ne sont pas pour nous, que l’on n’habite pas, alors on les prendra un jour quand nous serons plus forts, il y en aura pour tous car aujourd’hui plus de 3 millions d’entre nous ne sont pas ou mal logés. On aimerait faire grève pour pouvoir vieillir à l’abri du besoin, nous soigner et vieillir dignement. C’est pour bientôt.

On aimerait faire grève pour avoir tous accès à la santé, aujourd’hui on évite d’aller voir le médecin et le dentiste, c’est cher et mal remboursé, alors la sécu ce n’est pas si égalitaire que cela. On fera grève pour ensuite mettre en place la santé pour tous.

On aimerait faire grève pour casser les chefs, les mettre dehors tout en acceptant ceux et celles qui voudront construire leur vie avec nous. On aimerait faire grève, parfois on la fait, à notre manière, on ralentit le boulot, on applique à la lettre les consignes (ce qui ralentit la cadence), on s’absente, on gueule, on sabote...on discute, on se laisse pas faire par les petits chefs, les managers, les patrons ou les collègues vendus. On aimerait faire grève pour accueillir ceux et celles qui viennent d’ailleurs, d’autres endroits sur terre. Eux aussi ils nous rejoindront, on partagera... !

On aimerait faire grève, on fera grève même si nous sommes une minorité, on se battra et les autres nous rejoindront ! Pas besoin d’être majoritaires pour être légitimes, la démocratie n’est pas pour nous. Nous sommes pour la liberté de vivre notre vie, de l’organiser. Certaines majorité ont par le passé amenées le fascisme. On fera grève pour ne plus être exploités, pour que notre travail profite à tous.

On fera grève pour obtenir la liberté de nous organiser comme nous le voulons, sans maître !

C’est pour maintenant !

Que ceux qui étaient en grève hier, le sont aujourd’hui et le seront demain sache que nous sommes avec eux !

Vive la solidarité et vive la révolution sociale.

A propos d’une idée ignoble appelée « compétition »

Nous sommes tous suffisamment bien placés pour le savoir : tout mômes déjà, nos parents nous emmenaient aux portes d’une institution qui allait nous « prendre en charge ». Dès l’âge de trois ans, il était manifeste, pour certains d’entre nous, que cette première forme de « socialisation forcée » (appelez cela comme il vous plaira) ne passait pas. Certains pleuraient, d’autres traînaient des pieds, on exprimait notre révolte avec nos faibles moyens et nos petits poings animés par une rage naissante mais piquée à vif. Passée la maternelle, nous mettons les pieds dans « le monde des grands » -ainsi que le disaient les profs en nous « accueillant » en primaire, puis au collège et au lycée-, avec sa caractéristique principale : le jugement par notations. Qui n’a pas le souvenir d’un cinglant cinq sur vingt, agrémenté d’un commentaire non moins cinglant du type « très insuffisant » ou « devoir plus que médiocre » ?

N’ayant choisi ni l’école, ni les matières enseignées, ni la méthode d’apprentissage, on nous a habitué à la peur qui nous prend au ventre à l’idée que nos parents puissent tomber sur un bulletin de note défavorable. Rappelez-vous ces fameux bulletins, où notre moyenne apparaissait entre la plus haute et la plus basse, offrant une comparaison évidente, dure comme un coup de massue derrière la tête. La fierté de la « réussite » pour les parents du fiston qui a fait du zèle, la honte pour ceux du « cancre » en qui ils avaient placé tant d’espoir. Et le mal-être pour ceux à qui l’institution fait comprendre qu’ils ne sont « pas assez bon », étant « en dessous de la moyenne ». Petit à petit, le système nous fait avaler l’idée de la vertu de la compétition comme moteur de la réussite sociale, le grand mythe propagé par toutes les sociétés hiérarchisées. Notre bulletin de note sert de préface à notre futur bulletin de paye, les matières que l’on ingurgite de force seront plus tard le boulot qui nous emmerde.

Nous avons subi la honte de la note en dessous du terrifiant « dix sur vingt », nous subirons la culpabilisation d’être le smicard en bas de l’échelle des salaires. Nous n’avons rien compris à l’utilité des fonctions exponentielles en mathématiques, nous sommes destinés à l’échec. Et pour nous persuader que nous ne sommes décidément que des bons à rien, on nous ressortira à l’occasion l’exemple du « self-made man » parti de rien et ayant fondé son empire…

L’école est ainsi faite parce que le système a besoin d’une sorte d’anti-chambre afin de nous formater l’esprit, de nous habituer à regarder l’autre non pas comme un camarade, mais comme le compétiteur présent ou à venir, celui qui sera « meilleur » ou « moins bon » que nous, en fonction de sa capacité à s’intégrer dans ce monde de hiérarchie et de domination.

Parce que cette idée-là, celle qui fabrique de bons exploiteurs d’une part et de bons esclaves soumis de l’autre, est une des clés de voûte de ce système abjecte, il est important de lui livrer une critique sans merci, en ayant pour objectif haut et clair, une existence où le mot « chef » cèdera la place au mot « compagnon ». Un monde où la solidarité aura botté le cul de la compétition.

Cuitlacoche

La grève générale

Nom de dieu, ça a l’air de chauffer bougrement dans tous les patelins. Si ça marche sur ce pied, nous allons en voir de belles : ça pourrait bien être le commencement de l’entrée en danse.

Dans le Pas -de-Calais et dans le Nord, les mineurs se remuent et font du pétard.

En Belgique, dans un patelin qui est tout noir de charbon, le Borinage, et où les pauvres bougres triment dur et gagnent peu, ça bibelotte aussi.

Les Angliches eux, font des réunions épastrouillantes, dans les rues et sur les places. Ils sont des millier, et des milliers à discuter la question de la Grève Générale.

Y a pas jusqu’aux Alboches qui n’aient des intentions de faire du chabanais. Les mineurs de Westphalie ont été roulés comme des couillons par leur cochon d’empereur et leurs salops de patrons. Ils ont ça sur le coeur, et ils n’attendent qu’une occase pour recommencer plus hardiment que la première fois.

Ah, mille tonnerres, l’hiver s’annonce bougrement mal pour les richards ; tout ça va leur foutre une frousse du diable !

Ils pourraient bien piquer un de ces chahuts, très hurf, quelque chose dans les grands prix, qui les ferait rire jaune. Et nom de dieu, m’est avis que ça ne serait pas trop tôt.

Seulement les amis, si on veut que ça aille comme sur des roulettes, faut pas faire les daims comme on a fait jusqu’ici. Faut plus se foutre en branle les uns après les autres, on n’y gagne que de se faire assommer chacun à son tour, - et sans profit pour personne.

Aujourd’hui c’est la Grève Générale qu’il faut. Par exemple, pour le moment c’est les mineurs qui font du pétard ; le plus beau coup serait que tous les bons bougres qui travaillent dans les mines cessent illico de sortir du charbon.

Puis, qu’il y ait de l’entente, que les uns ne tirent pas à hue, les autres à dia ! D’autant plus que s’il n’y a pas de solidarité entre les bons bougres, c’est eux qui en supportent les conséquences.

A preuve les mineurs de Lens ; ils s’étaient foutus les premiers en grève, et les premiers ils ont repris le turbin. La Compagnie leur avait promis 10 pour 100 d’augmentation, les types étaient contents, ils croyaient avoir dégotté le Pérou, parce que leurs singes leur foutaient dix sous de plus par jour ! Tas de couillons.

Or, savez-vous ? La Compagnie les a augmenté de dix sous, mais du même coup, elle les a diminué de quinze ; bénéfice net : cinq sous de perte par jour !

Ah, nom de dieu, les patrons sont de meilleurs calculateurs qu’on ne pense : à chipotter sur les centimes avec eux, le populo sera toujours foutu dedans. Je vois d’ici la gueule que vont faire les Lensois le 6 novembre, qui est le jour de sainte Touche pour eux. Quand ils vont voir que leur quinzaine après leur victoire est moins forte qu’avant, ils allongeront un de ces nez, - qui pourrait bien porter malheur aux crapules de la Compagnie.

Voilà ce qu’ils ont gagné à vouloir faire la grève partielle !

Oui, nom de dieu, y a plus que ça aujourd’hui : la Grève Générale !

Voyez-vous ce qui arriverait, si dans quinze jours ou trois semaines y avait plus de charbon. Les usines s’arrêteraient, les grandes villes n’auraient plus de gaz, les chemins de fer roupilleraient.

Ça serait la grève forcée pour un tas de métiers. Du coup le populo presque tout entier se reposerait. Ça lui donnerait le temps de réfléchir, il comprendrait qu’il est salement volé par les patrons, et dam, il se pourrait bien qu’il leur secoue les puces dare-dare !

Mais nom de dieu, faudrait pas se borner à la grève toute pure. C’est une blague infecte, qui ne procure que davantage de mistoufle, si au bout d’un mois ou deux, il faut rentrer couillons comme la lune, dans le bagne patronal.

Faut plus de ça mille tonnerres ! Les bons bougres comprendront qu’ils ont mieux à faire qu’à s’enfermer dans leurs piaules, ou à se balader en rangs d’oignon, en gueulant des chansons pacifiques.

Ils comprendront que le moment est venu de foutre les pieds dans le plat.

Tant que le populo ne se sera pas foutu dans la caboche qu’il doit se passer de patrons, y aura rien de fait. Or pour apprendre à se passer de cette sale vermine, faut faire comme si elle n’existait pas.

Ainsi par exemple les mines, c’est les mineurs qui les ont creusées, c’est Le eux qui les entretiennent et les pomponnent, c’est eux qui en sortent le charbon : les grosses légumes ne font qu’empocher les picaillons, et rien de plus.

Donc, une fois que les mineurs seraient tous en l’air, que la grève serait quasiment générale ; après avoir affirmé en quittant le turbin, qu’ils en ont plein le cul de travailler pour leurs singes.

Faudrait, nom de dieu, qu’ils se foutent à turbiner pour leur propre compte ; la mine est à eux, elle leur a été volée par les richards, qu’ils reprennent leur bien, mille bombes !

Et si les mineurs travaillaient pour eux, s’ils refusaient aux exploiteurs les gros bénéfices, y aurait plus les avaros qu’il y a : plus de grisou, plus de types écrabouillés, plus de purée pour les vieux, plus de mistoufle pour les estropiés !

Oui, ce nom de dieu, voilà ce qu’il faudrait ! Et le jour où assez marioles, y aura une tripotée de bons bougres qui commenceront le chabanais dans ce sens, eh bien, nom de dieu, foi de Père peinard, le commencement de la fin sera arrivé !

Émile Pouget
3 novembre 1889

P.S.

« C’est l’homme tout entier qui est conditionné au comportement productif par l’organisation du travail, et hors de l’usine il garde la même peau et la même tête. Dépersonnalisé au travail, il demeurera dépersonnalisé chez lui. »

[1] www.posterscope.fr : « Posterscope, l’agence leader en communication hors foyer ».

[2] Pseudonyme.

[2] Pseudonyme.