Titre: « Séparées et égales » ? Mujeres Libres et la stratégie anarchiste pour l’émancipation des femmes
Sous-titre: « Separate and equal » ? : Mujeres Libres and anarchist strategy for women’s emancipation
Auteur·e: Ackelsberg Martha
Source: http://libcom.org/history/%E2%80%9Cseparate-equal%E2%80%9D-mujeres-libres-anarchist-strategy-women%E2%80%99s-emancipation
Notes: “Separate and equal” ? : Mujeres Libres and anarchist strategy for women’s emancipation Feminist studies Vol. 11, No. 1 (Printemps 1985), pp. 63–83

L’insistance anarchiste à prétendre que les mouvements révolutionnaires ne peuvent se développer efficacement seulement si ils s’adressent aux réalités précises de la vie des gens conduit logiquement à la conclusion qu’un mouvement réellement révolutionnaire doit s’accommoder de la diversité. Il doit être le reflet de la prise en compte des expériences de vie de celles et ceux qui y participent comme premier pas pour les engager dans un processus révolutionnaire. Le besoin est particulièrement capital, et les questions stratégiques particulièrement complexes, dans le cas des femmes dont les expériences de vie quotidienne dans de nombreuses sociétés ont été, et continuent d’être, différentes de celles des hommes.

Durant les premières années de ce siècle, les anarchistes espagnols – hommes et femmes – ont exprimé une vision d’une société non-hiérarchique, communautaire, dans laquelle les femmes et les hommes participeraient sur un pied d’égalité. Et cependant, dans l’Espagne pré-guerre civile, la plupart des femmes étaient loin d’être « prêtes » à une telle participation avec les hommes dans la lutte pour concrétiser cette vision. Même si le mouvement anarcho-syndicaliste organisé (la Confederación National del Trabajo -CNT) s’était orientée en priorité dans les luttes sur les lieux de travail, la majorité des femmes espagnoles n’étaient pas employées en usine. Beaucoup de celles qui occupaient un emploi salarié – la plupart dans l’industrie textile — travaillaient à domicile, payées à la pièce, et n’étaient pas syndiquées. Les femmes qui travaillaient et avaient des familles continuaient à exercer un « double emploi » comme femmes au foyer et mères. Les formes particulières de l’oppression des femmes en Espagne les maintenaient concrètement subordonnées aux hommes même au sein du mouvement révolutionnaire anarchiste.

Si les femmes voulaient participer activement à la lutte sociale révolutionnaire, cela demandait une « préparation » spéciale, une attention particulière aux réalités de leur subordination et de leurs expériences de vie particulières. En mai 1936,un groupe de femmes anarchistes fondèrent Mujeres Libres, la première organisation féministe autonome prolétarienne en Espagne, pour remplir précisément ce rôle. Son but était de mettre au fin au « triple esclavage des femmes, l’ignorance, le capital et les hommes ». Si quelques-unes des fondatrices exerçaient des professions libérales, la vaste majorité de ses membres (20 000 environ en juillet 1937) étaient issues des classes ouvrières. Les femmes de Mujeres Libres visaient à la fois à surmonter les obstacles de l’ignorance et de l’inexpérience qui les empêchaient de participer en tant que égales à la lutte pour une société meilleure, et à combattre la domination des hommes au sein même du mouvement anarchiste.

La majorité des anarchistes organisés étaient opposés à la lutte et à l’organisation séparés des femmes au nom d’un engagement dans l’action directe et à l’égalité. Mujeres Libres plaidait pour une lutte séparée sur la base d’une interprétation différente de ce même engagement. Les difficultés qu’elles rencontrèrent au sein du mouvement anarchiste illustrent à la fois le rôle problématique des femmes dans les mouvements révolutionnaires et la complexité de la prise en compte des expériences des femmes dans l’élaboration et la création d’une société nouvelle.

Les anarchistes promettent l’égalité. Cela signifie que les expériences d’un groupe ne peuvent pas être considérées comme normatives pour tous, et que, dans une société pleinement égalitaire, il ne peut pas exister d’institutions par le biais desquelles quelques individus exercent un pouvoir politique, social ou économique sur d’autres. Une telle société atteint une coordination à travers ce qu’un écrivain récent[1] appelé « l’ordre spontané » : les gens se rassemblent volontairement pour satisfaire des besoins mutuellement définis et coordonnent des activités à grande échelle par la fédération.[2]

Cette perspective anti-hiérarchique est lourde de conséquences pour la stratégie révolutionnaire. Les anarchistes soutiennent que l’action révolutionnaire et l’organisation doivent partir de réalités concrètes quotidiennes des gens et que le processus lui-même doit être transformatif. Un engagement envers l’égalité dans ce contexte implique que les expériences de divers groupes sont tous des points de départ valides pour l’action révolutionnaire et l’organisation.

En outre, les anarchistes insistent sur le fait que les moyens sont inséparables des fins. Les gens ne peuvent établir, et apprendre à vivre dans, une société non-hiérarchique seulement en s’engageant dans des formes d’actions révolutionnaires non-hiérarchiques et égalitaires. En s’opposant aux affirmations que la hiérarchie est indispensable à l’ordre, particulièrement dans une situation révolutionnaire, les anarchistes soutiennent que la coordination peut être accomplie soit à travers « la propagande par le fait », une action exemplaire qui suscite l’adhésion par le pouvoir de son exemple positif,[3] ou à travers « l’organisation spontanée », qui implique que, à la fois, la forme et les objectifs d’une organisation sont décidés par les gens, dont ils expriment les besoins.[4]

Enfin, les anarchistes reconnaissent qu’il est difficile pour les gens dont les circonstances de vie leur ont refusé l’autonomie et les ont maintenus dans des situations de subordination, de se transformer en personnes indépendantes et ayant confiance en elles. Une « préparation » intensive pour une telle participation constitue une partie essentielle du processus de transformation personnelle, qui, elle-même, est un aspect du projet social révolutionnaire. Mais une telle préparation, si elle ne veut pas prendre une forme hiérarchique, ne peut se dérouler qu’à travers les expériences individuelles de formes nouvelles et variées d’organisation sociales. Le mouvement anarchiste espagnol a essayé de fournir l’opportunité de telles expériences. A travers la participation directe à des actions et des grèves, et à travers les connaissances enseignées dans des actions d’éducation informelles, les gens se « prépareraient » à des changements révolutionnaires plus profonds. Pour être efficaces, cependant, une telle préparation doit correspondre aux différentes expériences de vie des gens dont elle tente de répondre aux besoins.

Dans la guerre civile espagnole, les femmes constituaient un groupe spécial, avec des besoins spécifiques. Leur subordination – à la fois économique et culturelle – était beaucoup plus marquée que celle des hommes. Les taux d’illettrisme étaient plus élevés parmi les femmes que chez les hommes. Les femmes salariées étaient reléguées aux emplois les moins bien payés dans les conditions les plus difficiles. Les femmes et les hommes vivaient de manière très différentes. Comme un des ces femmes le raconte :

« Je me souviens très précisément de comment cela se passait lorsque j’étais enfant : les hommes avaient honte d’être vus dans la rue avec des femmes!… Les hommes et les femmes vivaient des vies totalement séparées. Chacun était confiné dans une société presque exclusivement composée de son propre sexe. »[5]

Néanmoins, bien que ces différences auraient apporté la preuve flagrante de la nécessité pour l’organisation révolutionnaire de traiter la question de la subordination spécifique des femmes, une majorité du mouvement anarchiste a refusé de prendre en compte soit la spécificité de l’oppression des femmes ou la légitimité d‘une lutte séparée pour la surmonter. Seul Mujeres Libres a exprimé une perspective qui reconnaissait, et traitait, la particularité des expériences féminines.

Tout en étant engagés dans la création d’une société égalitaire, les anarchiste espagnols démontraient une attitude complexe envers la subordination des femmes. Certains prétendaient que celle-ci découlait de la division sexuelle du travail, de la « domestication » des femmes et de leur exclusion du salariat qui en résultait.[6] Pour surmonter cela, les femmes devraient rejoindre la main d’œuvre salariée comme ouvrières, parmi les hommes, et la lutte syndicale pour améliorer la condition de tous les ouvriers. D’autres insistaient sur le fait que la subordination des femmes était le résultat d’un vaste phénomène culturel, et reflétait la dévaluation des femmes et de leurs activités véhiculée par des institutions telles que la famille et l’église. Cette dévaluation prendrait fin en même temps que ces institutions, avec l’établissement d’une société anarchiste.

Mais la subordination des femmes restait, au mieux, une préoccupation périphérique du mouvement anarchiste dans son ensemble. La plupart des anarchistes refusaient de la reconnaître et peu d’hommes souhaitaient abandonner le pouvoir sur les femmes dont ils jouissaient depuis si longtemps. Comme le secrétaire national de la CNT l’écrivait en 1935, en réponse à une série d’ articles sur la question féminine :

« Nous savons tous qu’il est plus agréable de commander que d’obéir…. Il se passe la même chose entre la femme et l’homme.L’homme est plus satisfait d’avoir une servante pour lui faire la cuisine et la lessive …. Voilà la réalité. Et, face à cela, c’est rêver que de demander aux hommes d’abandonner leurs privilèges. »[7]

Certains, probablement représentatifs de la majorité au sein du mouvement, niaient que les femmes étaient opprimées d’une manière qui demandait une attention particulière. Federico Montseny, par exemple, l’anarchiste intellectuelle, qui servit plus tard comme ministre de la santé dans le gouvernement républicain pendant la guerre, admettait que « l’émancipation des femmes » était « un problème crucial du moment ». Elle insistait sur le fait que l’objectif approprié n’était pas l’accession des femmes à des positions actuellement détenues par des hommes mais la restructuration de la société qui libérerait tout le monde. « Féminisme ? Jamais ! Humanisme toujours ! »[8] Dans la mesure où elle reconnaissait une oppression spécifique des femmes, elle la concevait essentiellement en termes individualistes et soutenaient que tous les problèmes spécifiques qui existaient entre les hommes et les femmes avaient autant leur source dans leur « sous-développement » que dans la résistance aux changements des hommes et qu’ils ne pouvaient pas être résolus dans ou par une « lutte organisationnelle ».[9]

Une petite minorité au sein du mouvement admettait que les femmes subissaient des formes spécifiques de subordination liées à leur sexe et demandant une attention particulière. Mais beaucoup d’entre eux insistaient sur le fait que la lutte pour surmonter cette subordination, que ce soit dans la société en général ou au sein du mouvement anarchiste, ne devait pas se dérouler dans des organisations séparées. Comme le déclarait une militante :

« Nous sommes engagés dans un travail de création d’une société nouvelle et ce travail doit être réalisé dans l’union. Nous devrions nous engager dans des luttes unitaires, avec les hommes, en luttant pour notre place, en demandant à être prises au sérieux. »[10]

Elles trouvaient une argumentation à leur position dans la perspective anarchiste de transformation sociale, particulièrement dans l’accent mis sur l’unité entre fins et moyens.

Ceux qui s’opposaient à des organisations autonomes de femmes soutenaient que l’anarchisme était incompatible non seulement avec des formes hiérarchiques d’organisation mais aussi avec une organisation indépendante qui pourrait nuire à l’unité du mouvement. Dans ce cas, puisque le but du mouvement anarchiste était la création d’une société égalitaire dans laquelle les femmes et les hommes agiraient en tant qu’égaux, la lutte pour la réaliser devrait impliquer les femmes et les hommes ensemble, comme partenaires sur un pied d’égalité. Ces anarchistes craignaient qu’une organisation consacrée spécifiquement à mettre un terme à la subordination des femmes mettrait plus l’accent sur les différences entre hommes et femmes que leurs ressemblances et rendrait plus difficile la réalisation de l’objectif égalitaire révolutionnaire. La stratégie consistant à baser l’organisation sur l’expérience vécue n’allait pas jusqu’au point de justifier une organisation indépendante centrée sur les besoins des femmes.

Pour résumer, bien que quelques groupes au sein du mouvement anarchiste organisé admettaient l oppression spécifique des femmes et le sexisme des hommes au sein du mouvement, les principales organisations anarchistes consacraient peu d’attention aux questions féminines, et niaient la légitimité d’organisations séparées pour traiter de ces questions. Ces femmes qui insistaient sur la spécificité de l’oppression des femmes et la nécessité d’une lutte séparée pour la surmonter, créèrent une organisation : Mujeres Libres.

On peut déceler les antécédents directs de Mujeres Libres aussi loin que 1934, lorsque des petits groupes de femmes anarchistes à Madrid et Barcelone (indépendamment les uns des autres) commencèrent à se préoccuper du nombre relativement peu élevé des femmes impliquées activement dans la CNT. Elles avaient remarqué, comme l’une l’a raconté, que :

…les femmes venaient une fois à une réunion – elles pouvaient même adhérer – ou venait par exemple à une sortie du dimanche ou à un groupe de discussion – elles venaient une fois et puis on ne les voyait plus…. Même dans des industries où il y avait beaucoup d’ouvrières – le textile par exemple – peu de femmes prenaient la parole dans les réunions syndicales. Nous étions préoccupées par les femmes que nous perdions, alors nous avons réfléchi à la création d‘un groupe de femmes pour traiter de ces questions…. En 1935, nous avons lancé un appel à toutes les femmes du mouvement libertaire… tout en nous concentrant principalement sur les plus jeunes compañeras. Nous avons appelé notre groupe « Grupo cultural femenino, CNT ».[11]

A l’origine, ces groupes de femmes existaient plus ou moins au sein, ou ou moins sous les auspices, de la CNT. Leur but était de d’amener plus de femmes au militantisme à l’intérieur du mouvement anarchiste.

Mais peu de temps après, les femmes à Barcelone comme à Madrid (qui, fin 1935, étaient en contact les unes avec les autres) réalisèrent que développer le militantisme féminin était un processus complexe et qu’elles avaient besoin d’autonomie si elles voulaient atteindre les femmes qu’elles désiraient et de la manière dont elles le désiraient. En mai 1936, elles mirent en place Mujeres Libres.

Ses fondatrices soutenaient que les femmes devaient s’organiser indépendamment des hommes, à la fois pour surmonter leur subordination et pour lutter contre la résistance masculine à l’émancipation des femmes. Elles fondèrent leur programme sur les mêmes engagements d’action directe et de préparation qui caractérisaient le mouvement anarchiste espagnol dans son ensemble, et insistaient sur le fait que la préparation des femmes pour s’engager dans l’action révolutionnaire devait s’effectuer à partir de leurs expériences de vie spécifiques. Le processus exigeait à la fois que les femmes surmontent leurs subordination spécifique en tant que femmes et qu’elles acquièrent le savoir et la confiance en elles nécessaires à leur participation à la lutte révolutionnaire et à la remise en cause de la domination masculine de ces organisations qui ne prenaient pas leurs expériences au sérieux.

Emma Goldman avait affirmé, auparavant, que :

« La vraie émancipation ne commence ni dans les urnes ni dans les tribunaux. Elle commence dans l’esprit des femmes… Son épanouissement, sa liberté, son indépendance doivent venir d’elle et à travers elle. »[12]

Des commentateurs sur d’autres mouvements d’émancipation des femmes ont fait des déclarations similaires. Sheila Rowbotham, par exemple, a mis l’accent sur les manières avec lesquelles les mouvements socialistes et communistes ont continuellement subordonné les revendications des femmes.[13] Ellen DuBois considère la formation d’un mouvement indépendant des femmes pour le droit de vote comme un signe de « l’arrivée de l’âge » du féminisme aux États-Unis, marquant le point à partir duquel les femmes ont pris assez au sérieux la question de leur propre subordination pour lutter pour leurs droits.[14] Les femmes de Mujeres Libres ont agi dans une même idée d’évolution de la conscience. Selon une de ses membres :

« Le secrétaire national de la CNT nous soutenait. Il nous a offert une fois tout l’argent et le soutien nécessaire – si nous étions d’accord pour fonctionner dans le cadre de la CNT. Mais nous avons refusé. Nous voulions que les femmes trouvent leur propre liberté. »[15]

Le souci d’indépendance des femme était si fort qu’il a même affecté le nom de l’organisation. Malgré le fait que la plupart de ses fondatrices avaient éveillé leur conscience politique à travers le mouvement anarcho-syndicaliste et se considéraient « libertaires, » elles ne prirent pas le nom de Mujeres Libertarias (Femmes Libertaires). A la place, elles choisirent Mujeres Libres (femmes libres), pour dire clairement qu’elles étaient libres vis à vis de toute participation institutionnel ou organisationnel, y compris avec la CNT.

A la fois la forme et le programme de l’organisation reflétait leur analyse de la subordination des femmes et de ce qu’il serait nécessaire pour la surmonter. En premier lieu, Mujeres Libres consacra la plus grande attention sur les problèmes intéressant les femmes au premier chef : l’illettrisme, la dépendance économique et l’exploitation, l’ignorance sur les questions de santé, le soin aux enfants et la sexualité. Ensuite, elles insistèrent sur le fait que l’engagement dans la lutte exigeait une transformation de l’idée de soi. Les femmes ne pouvaient développer et garder une telle évolution de la conscience que si elles agissaient indépendamment des hommes, dans une organisation destinée à protéger ces nouvelles conceptions de soi-même. Mujeres Libres a essayé d’être l’environnement pour le développement d’une telle transformation de la conscience. Enfin, elle croyaient qu’une organisation séparée et indépendante était essentielle pour remettre en cause le sexisme et la hiérarchie masculiniste de la CNT et du mouvement anarchiste dans son ensemble. En tant qu’organisation, Mujeres Libres releva ce défi.

L’organisation reconnaissaient trois sources différentes à la subordination des femmes : l’ignorance (illettrisme), l’exploitation économique,et la subordination aux hommes à l’intérieur de la famille. Bien que les déclarations officielles ne présentaient pas ces facteurs comme prioritaires, la plupart des activités de l’organisation se focalisait sur l’ignorance et l’exploitation économique. Dans un résumé révélateur de ses articles sur la « question féminine » dans Solidaridad Obrera en 1935, Lucía Sanchez Saornil,une fondatrice de Mujeres Libres, expliquait :

« Très certainement, je crois que la seule solution aux problèmes sexuelles des femmes se trouve dans la solution des problèmes économiques. Dans la révolution. Rien d’autre. Tout autre chose perpétuerait le même esclavage sous un autre nom. »[16]

Dans son programme, l’organisation portait la plupart de son attention sur l’ « ignorance », qui, croyait elle, contribuait à la subordination des femme dans toutes les sphères de leur vie. Mujeres Libres organisa une campagne d’alphabétisation massive pour fournir les fondations nécessaires à l’ « inculturation » des femmes. Cette alphabétisation permettrait aux femmes de mieux comprendre leur société et la place qu’elles y occupaient,et de lutter pour l’améliorer.[17] Elles organisèrent trois niveaux de cours : pour les illettrées, pour celles qui savaient lire un peu et pour celles qui savaient bien lire mais qui souhaitaient « s’immerger dans des questions plus complexes ». Elles ne confondaient pas l’illétrisme avec le manque de compréhension des réalités sociales ; elles insistaient plutôt sur le fait que leur embarras concernant leur « sous-développement culturel »était une barrière pour l’engagement de nombreuses femmes dans la lutte pour le changement révolutionnaire. L’alphabétisation devint un outil pour acquérir la confiance en soi aussi bien que pour faciliter leur pleine participation à la société et au changement social.

L’attention portée à la vie des femmes

Pour s’attaquer aux racines de la subordination due à la dépendance économique, Mujeres Libres avait mis en place un programme complet pour l’emploi avec une forte attention portée sur l’éducation. Les organisatrices insistaient sur le fait que la dépendance des femmes résultait d’une division sexuelle extrême du travail qui les reléguaient aux tâches les moins bien rémunérées, dans les conditions les plus difficiles. Mujeres Libres a salué le mouvement lié à la guerre qui a poussé les femmes hors de la maison et dans le salariat, non pas comme une disposition temporaire, mais comme un espoir d’une intégration permanente des femmes et une contribution à leur indépendance économique.[18]

Le programme pour l’emploi de Mujeres Libres traitait des problèmes spécifiques auxquels les femmes étaient confrontées et essayait de les préparer à prendre leur place dans la production comme égales. Elles travaillèrent étroitement avec les syndicats CNT, et co-organisaient des programmes de soutien, formation et apprentissage pour les femmes entrant dans la vie active. Dans les zones rurales, elles organisèrent des programme de formation à l’agriculture. En outre, elle plaisaient pour, mettaient en place et soutenaient des équipements de gardes d’ enfants, à la fois dans les quartiers et les usines, pour offrir aux femmes la possibilité de travailler. Et elles se battirent pour un salaire égal entre hommes et femmes.

Néanmoins, elles ne portaient que peu d’attention à la division sexuelle du travail elle-même. Ni elles n’exploraient les implications pour l’égalité sexuelle des stéréotypes de certaines tâches réservées aux hommes et aux femmes. Des analyses féministes plus récentes ont examiné la relation entre monogamie, accouchement, éducation des enfants et participation différentielle aux tâches salariées, et ont souligné les implications de ces relations pour la subordination des femmes.[19] Ni Mujeres Libres, ni aucune autre organisation féministe ou anarchiste en Espagne à l’époque, cependant,n’avait remis en cause le fait que la responsabilité de l’éducation des enfants et des activités domestiques resteraient aux femmes.

En fait, l’approche de Mujeres Libres de la subordination « culturelle » des femmes dans une société dominée par les mâles était ambiguë. Quelques-unes de ses membres soutenaient que la morale bourgeoise traitait les femmes comme une propriété. Amparo Poch y Gascón, qui devint une fondatrice de Mujeres Libres, critiquait à la fois la monogamie et l’affirmation que le mariage pouvait être « contracté, en pratique, pour toujours ». Elle insistait sur le fait que ni le mariage ni la famille ne doivent nier la possibilité de « cultiver en dehors d’autres… amours ».[20] La majorité des femmes de Mujeres Libres étaient probablement en désaccord avec son rejet du mariage et de la monogamie. Mais l’organisation critiquait les formes extrêmes de la domination masculine au sein de la famille. Lucía Sanchez Saornil, par exemple, rejetait la définition des femmes dans la société comme étant seulement des mères et soutenait que cette définition contribuait à pérenniser la subordination des femmes :

« Le concept de mère absorbe celui de femme, la fonction annihile l’individu. »[21]

Les membres de l’organisation se mettaient d’accord plus facilement sur d’autres manifestations de le subordination « culturelle » des femmes. Selon elles, la prostitution exprimait le plus clairement les rapports entre subordination économique et sexuelle, contribuant à la fois à la dégradation de l’image de la femme qui la pratiquait et de la sexualité en général. Dans l’absolu, le sexe ne devait pas être considéré comme une marchandise ; Les femmes comme les hommes devaient être capables d’expérimenter pleinement et librement leur sexualité. Cette analyse les a conduit à l’une de leurs idées les plus innovantes : un plan (jamais réellement appliqué à cause des contraintes du temps de guerre) pour mettre en place liberatorios de prostitución, des centres où d’anciennes prostituées pourraient être aidées pendant qu’elles se « recycleraient » en vue d’une vie meilleure. [Leur espoir de voir la révolution sociale changer radicalement la nature du travail salarié – y compris le travail en usine – renforçait l’affirmation que le travail « productif » était, en fait, moins dégradant que le sexe commercial.] L’organisation avait également publié des appels aux hommes anarchistes pour qu’ils n’utilisent pas les services des prostituées et soulignait qu’en faisant cela, ils pérennisaient des modèles d’exploitation qu’ils étaient supposés engagés à éliminer.[22]

Mujeres Libres s’intéressa aussi à la santé. L’organisation forma des infirmières pour travailler dans les hôpitaux et remplacer les religieuses qui en avaient auparavant le monopole. Elle mit en place de vastes programmes d’éducation et d’hygiène dans les maternité, notamment à Barcelone, et essaya de surmonter l’ignorance des femmes au sujet de leur propre corps ainsi que des soins et du développement de leurs enfants. Plus généralement, elle essaya de combattre l’ignorance des femmes au sujet de leur sexualité, ignorance perçue comme une autre source de la subordination sexuelle des femmes. Amparo Poch y Gascón, par exemple, a souligné l’ignorance au sujet des fonctions du corps et de la contraception comme facteur de la difficulté supposée des femmes à expérimenter le plaisir sexuel. Elle a doublé son plaidoyer pour une plus grande ouverture dans ce domaine avec l’affirmation selon laquelle la répression sexuelle des femmes servait aussi à maintenir la domination des hommes.[23]

Les programmes d’éducation pour surmonter la subordination culturelle s’étendaient aussi bien aux enfants qu’aux femmes adultes. Mujeres Libres organisa des cours d’éducation à destination des mères, pour qu’elles soient en mesure de préparer leurs enfants à la vie dans une société libertaire. Elle développa de nouvelles formes d’éducation, destinées à remettre en cause les valeurs bourgeoises et patriarcales et à préparer les enfants à développer par eux-mêmes, une conscience critique. Enfin, elle contribua au développement d’un nouveau noyau dur d’enseignantes ainsi que des structures nouvelles, non-hiérarchiques d’enseignement et d’apprentissage.

Bien que l’idée générale de ces programme est claire, ils n’en reflètent pas moins l’ambivalence de Mujeres Libres quant au rôle de la femme dans la lutte et la société révolutionnaires. Malgré l’insistance sur le fait que la subordination des femmes était un problème qui pourra être traité plus efficacement par les femmes et qui méritait une reconnaissance et une légitimité au sein du mouvement anarchiste dans son ensemble, Mujeres Libres à l’époque se présentait comme une organisation de soutien glorifiée.[24] Il existait aussi une ambivalence, même dans la remise en cause du rôle de la famille traditionnelle. Cependant, quelques appels à destination des femmes pour qu’elles aillent travailler et qu’elles profitent des facilités de garde mises en place dans les usines suggèrent que ce « sacrifice »était seulement temporaire.[25]

Néanmoins, la propagande de Mujeres Libres était différente de celle des autres organisations de femmes de l’époque en Espagne. La plupart d’entre elles n’étaient, en fait que des « auxiliaires féminines » de différentes organisations de partis, encourageant les femmes à assurer leur rôle de soutien traditionnel, et les appelant à s’occuper des usines jusqu’à ce que leurs hommes reviennent.[26] Par contraste, le journal Mujeres Libres rappelait à ses lectrices :

« Au milieu de tous ces sacrifices, avec une volonté et une persévérance extrêmes, nous travaillons pour nous découvrir et pour nous situer dans un milieu qui, jusqu’à ce jour, nous a été refusé : l’ action sociale. »[27]

Mujeres Libres a continué à soutenir que l’émancipation des femmes ne devait pas attendre la conclusion de la guerre, et qu’elles pouvaient s’aider elle même, et aider l’effort de guerre de la meilleure des manières en insistant sur leurs demandes d’égalité et de participation aussi totale que possible à la lutte en cours.[28]

Sous tous ses aspects, à travers ses attaques contre l’illettrisme, la dépendance économique, et l’exploitation sexuelle-culturelle, et cela même dans le contexte particulier de la guerre, le programme de Mujeres Libres traitait des sources spécifiques de la subordination des femmes dans la société espagnole. De son point de vue, seule la dénonciation directe de ces problèmes permettrait aux femmes de le surmonter et de participer pleinement au mouvement social révolutionnaire. Et seule, une organisation de femmes, pour les femmes, avait un intérêt, la préoccupation et la capacité de le mener à bien.

Modifier la conscience de soi des femmes

Surmonter la subordination des femmes et rendre possible sa pleine participation à la lutte révolutionnaire demandait plus qu’une dénonciation des sources de cette subordination. La conscience de soi des femmes devait être changée, afin qu’elles puissent commencer à se considérer comme indépendantes, comme actrices agissantes dans l’arène sociale.

Le programme de Mujeres Libres reflétait la croyance selon laquelle, du fait de leur longue subordination, la plupart des femmes n’étaient pas préparées à occuper un rôle dans la révolution sociale en cours, sur un pied complet d’égalité. Leur « préparation » demandait qu’elles participent à une organisation libertaire, mais exclusivement féminine, qui avait, pour fonction première le développement des capacités.[29] Une telle participation enrichirait les capacités des femmes de deux façons : d’abord, en comblant les déficits essentiels d’informations qui leur interdisait une participation active ; et, en second lieu, en surmontant leur manque de confiance en soi qui accompagnait leur subordination. Une fois préparée, les femmes pourraient se confronter au problème spécifique de leur subordination au sein de la société ainsi qu’à l’intérieur du mouvement anarchiste, et pourraient se battre pour la reconnaissance de la légitimité de ces questions au sein du mouvement dans son ensemble.

A l’origine, comme une militante le raconte, « nous voulions seulement faire des anarchistes ». Mais elles réalisèrent bientôt que, si les femmes devaient devenir des militantes anarchistes, elles devaient « gérer leurs propres affaires ». Elles devaient « sortie de la maison » et se prendre suffisamment au sérieux pour s’engager dans le militantisme syndical.« L’éveil de la conscience » était, par conséquent, un aspect essentiel du programme de Mujeres Libres ; et les organisatrices ne laissaient passer que peu d’occasions pour engager les femmes dans le processus. Elles mirent en place des groupes de parole et de discussion à travers lesquels elles habituèrent les femmes à entendre le son de leur propre voix en public, et les encouragèrent à surmonter leur réticence à parler et à participer. Mais la preparación sociale devint un élément de chaque projet qu’elles entreprenaient. Des groupes de femmes de Mujeres Libres, par exemple, visitaient des usines, pour soutenir ostensiblement la syndicalisation et encourager les femmes à devenir actives –et donnaient en même temps des « petites leçons », soit au sujet de l’anarcho-syndicalisme ou la nécessité pour les femmes de participer davantage. A Barcelone, le « Grupo Cultural Femenino » mit en place des guarderías volantes, (gardes d’enfants volantes) : des femmes venaient dans d’autres maisons pour garder les enfants, afin que les mères puissent assister à des réunions syndicales. Et quand les mères revenaient à la maison, elles étaient souvent accueillies par une courte conversation informelle au sujet du communisme libertaire, de l’anarcho-syndicalisme ou quelque chose de semblable.

Disposer d’une organisation séparée offrit à ces femmes la liberté de développer des programmes indépendants qui répondaient à leurs besoins spécifiques, et permit de traiter directement la question de leur subordination. L’organisation insista sur le fait que les femmes étaient confrontées à une « double lutte » lorsqu’elles essayaient de s’engager dans le militantisme révolutionnaire, et que, seule, une organisation indépendante et séparée (bien qu’en même temps elle travaillait étroitement avec d’autres organes du mouvement anarcho-syndicaliste) pouvait offrir le cadre et le soutien nécessaires pour traiter la question de la confiance en soi. Selon les mots d’une adhérente :

« Les révolutionnaires hommes qui luttent pour leur liberté combattent uniquement contre le monde extérieur, contre un monde opposé aux désirs de liberté, d’égalité et de justice sociale. Les femmes révolutionnaires, d’un autre côté, doivent se battre sur deux plans. D’abord elles doivent se battre pour leur liberté extérieure. Les hommes sont leurs alliés avec le même idéal dans une cause identique. Mais les femmes doivent aussi se battre pour leur liberté intérieure, dont les hommes ont joui pendant des siècles. Et, dans cette lutte, les femmes sont seules. »[30]

De nos jours, certaines ont soutenu que des organisations séparées ne sont pas nécessaires pour l’éveil de la conscience. Wini Breines a suggéré, par exemple, qu’une leçon des mouvements pour les droits civiques et contre la guerre aux Etats-Unis est que la conscience des femmes peut commencer à changer même au sein d’organisations mixtes qui perpétuent la subordination des femmes.[31] De nombreuses études attestent de la justesse de ce point de vue.[32] D’un autre côté, Estelle Freedman a soutenu que sans « la mise en place d’institution féminine » une conscience transformée peut aisément disparaitre.[33] Bien que les femmes de Mujeres Libres ne présentaient pas d’arguments aussi directs quant à la nécessité de « construire des institutions féminines », ces débats contemporains se font l’écho de beaucoup de leurs préoccupations. Il est évident qu’elles pensaient que un changement de la conscience de la part des femme – essentielle pour toute participation à l’action sociale révolutionnaire – ne pouvait se développer et se maintenir seulement dans le cadre d’une organisation mise en place par et pour les femmes et qui traitait de ces questions.

Un défi pour le mouvement anarchiste

Enfin, en plus de s’intéresser aux expériences spécifiques de la vie des femmes et de fournir un cadre pour l’éveil d’une nouvelle conscience de soi, Mujeres Libres questionna le sexisme des organisations du mouvement anarchiste. Mujeres Libres avait vu le jour en réponse à ce que ses fondatrices percevaient comme une insensibilité de beaucoup d’hommes au sein du mouvement anarchiste envers les problèmes spécifiques des femmes.[34] De plus, Mujeres Libres interpella les organisations pour qu’elles prennent plus au sérieux ses membres féminines. Comme une militante le rappelle :

« Les hommes aussi avaient remarqué qu’il n’y avait pas beaucoup de femmes militantes. Mais cela ne les dérangeait pas. En fait, beaucoup étaient heureux d’avoir une compañerita[35] qui n’en savait pas aussi long qu’eux. Cela me dérangeait beaucoup – ils me rendaient furieuse. Ils m’ont pratiquement transformé en féministe enragée ! »

D’autres ont dénoncé le sexisme des membres de la CNT en des termes encore plus forts :

« Ces troglodytes déguisés en anarchistes, ces lâches qui – bien-armés – attaquent par derrière, ces ‘courageux’ qui élèvent la voix et gesticulent devant les femmes, ceux-là révèlent leur vraie nature fasciste et ils doivent être démasqués. »[36]

Bien que de nombreux anarchistes hommes étaient partisans, en théorie, d’un mouvement égalitaire sur le plan sexuel (et plus généralement d’une société égalitaire), pour un trop grand nombre d’entre eux, les convictions prenaient fin au seuil de la maison ou à l’entrée du local syndical. Comme une femme, née et élevée dans une famille anarchiste, le regrette :

« Pour ce qui se passait à la maison, nous n’étions pas meilleurs que les autres…. Il y avait beaucoup de discussions au sujet de la libération de la femmes, de l’amour libre et de tout cela. Les hommes parlaient de cela du haut d’une estrade. Mais il y en avait très très peu qui s’engageaient réellement d’eux-mêmes dans la lutte des femmes en pratique …. Chez eux, ils l’oubliaient. »[37]

Une des fondatrices de Mujeres Libres se souvient que, en 1933, on lui avait demandé de participer à une réunion dans un des locaux syndicaux de la CNT. Des militantes locales voulaient qu’elle leur donne un mini-cours et les aide à la préparation des ouvrières.

« Mais ce fut impossible, du fait des attitudes de quelques compañeros. Ils ne prenaient pas les femmes au sérieux. Ils pensaient que tout ce que les femmes avaient besoin de faire, c’était la couture et la cuisine …. Non, c’était impossible. Les femmes osaient à peine parler dans ce contexte. »[38]

Jusqu’à ce que ces pratiques ne prennent fin – et que les anarchistes homme ne commencent à prendre au sérieux les femmes et leurs problèmes – aucune stratégie ou programme anarchiste ne peut espérer réussir, et surtout pas attirer des femmes. Ce fut un domaine dans lequel la pratique du mouvement semblait « hors syndicat » dans sa théorie.

Le mouvement anarcho-syndicaliste espagnol était sensible, par exemple, au besoin de « préparer » les gens à participer à l’action révolutionnaire. Mais, dans le cas des femmes, cette perspective était souvent oubliée. Les femmes qui assistaient à des discussions et à des sessions de formation étaient souvent ignorées ou ridiculisées. (En fait, ce fut précisément l’expérience du fait d’être tournées en dérision qui poussa un certain nombre de femmes à créer Mujeres Libres.) L’éducation informelle peut être un outil puissant pour le développement de la confiance en soi mais seulement si ceux qui s’engagent dans un tel processus traitent les autres avec respect. Si ils ne le font pas, alors les réunions informelles d’éducation peuvent devenir un domaine de plus pour la subordination des femmes.

Mujeres Libres a été créé par des femmes dont l’expérience leur avait appris qu’elles ne pouvaient pas attendre une telle sensibilité de la part du mouvement anarchiste organisé. La seule façon de s’assurer que les femmes seraient prises au sérieux était de créer une organisation indépendante qui pourrait remettre en cause ces attitudes et comportements, à partir d’une position de force. Leurs expériences avaient été répétées et rapportées par des femmes d’organisations révolutionnaires jusqu’à nos jours. Le problème n’est certainement pas limité à la société espagnole. Et il est certainement plus aigu dans ces organisations affirmant une « ligne de parti » cohérente. Dans ce cas, la supériorité de l’homme envers la femme est aggravée par une prétendue hiérarchie du « savoir » idéologique.[39]

Le défi de Mujeres Libres pour le mouvement anarchiste était organisationnel dans un autre sens également. En octobre 1938, elle demanda sa reconnaissance comme branche autonome du mouvement libertaire au même titre que la FAI ou la FIJL.[40] La réponse du mouvement fut complexe. Comme le dit Mary Nash, la proposition des femmes fut rejetée, sous le prétexte que :

« Une organisation spécifique de femmes injecterait un élément de désunion et d’inégalité au sein du mouvement libertaire et aurait des conséquences négatives pour la défense des intérêts de la classe ouvrière. »[41]

Les parallèles avec les expériences du mouvement pour le droit de vote des femmes au dix-neuvième siècle aux Etats-Unis est évident. Il est important aussi de souligner les inquiétantes similitudes avec la manière dont les femmes noires et du tiers-monde – et les membres d’autres groupes aux demandes et perspectives spécifiques –ont été trop souvent traitées au sein du mouvement des femmes contemporains.[42]

Les femmes de Mujeres Libres furent déconcertées par cette réponse. Elles se considéraient comme semblables à la Jeunesse Libertaire (FIJL), et s’attendaient à être accueillies à bras ouverts. Elles ne comprenaient pas pourquoi le mouvement acceptait une organisation autonome dans un cas et pas dans un autre. Le refus de reconnaitre Mujeres Libres – qui avait pour effet de refuser à ses membres l’accès au prochain congrès national en tant que déléguées de l’organisation, même si certaines y assistèrent comme représentantes des syndicats CNT – confirma l’idée de la nécessité d’une organisation séparée pour soulever ces questions de manière permanente.[43]

Notre analyse nous permet d’offrir une interprétation supplémentaire. L’affirmation selon laquelle une organisation spécialement consacrée aux besoins des femmes est inadapté au mouvement anarchiste contredit l’engagement explicite du mouvement envers l’action directe. Il nie, en particulier, l’idée que l’organisation est fondée sur les expériences de vie des individus et de leurs perceptions de leurs besoins. Si l’organisation est basée sur de tels principes, alors nous pouvons penser que différentes expériences conduisent à des organisations séparées. Les dirigeants du mouvement ont semblé accepter cette conclusion dans le cas des jeunes, et ils ont soutenu une organisation autonome de la jeunesse. Mais ils ne souhaitaient pas le faire dans le cas des femmes. Pourquoi ?

La différence cruciale entre les deux cas semble être l’épicentre de l’organisation, plutôt que la nature de ses membres. Bien que la FIJL ne s’adressait qu’aux jeunes, son projet était un projet anarchiste, à court comme à long terme. Mujeres Libres, en tant que organisation autonome de femmes, était différente. Non seulement elle ne s’adressait qu’aux femmes mais avait aussi mis en place un ensemble séparé et indépendant d’objectifs. Sa remise en cause de la domination masculine au sein du mouvement anarchiste menaçait, au moins à court terme, d’affecter la structure et les pratiques des organisations anarchistes existantes.[44]

En 1937, par exemple, Mercedes Comaposada, une dirigeante alors de Mujeres Libres, vint rencontrer avec Lucía Sanchez Saornil (secrétaire nationale de l’organisation) « Marianet » (Mariano Vazquez, secrétaire national de la CNT, et dirigeant implicite du mouvement libertaire) pour discuter de la reconnaissance de Mujeres Libres comme organisation autonome au sein du mouvement. Selon ses termes :

« Nous avons expliqué encore et encore ce que nous faisions : que nous ne tentions pas de détourner les femmes de la CNT mais, en fait, tentions de créer une situation dans laquelle elle pourrait aborder les questions spécifiques de femmes afin de devenir des militantes efficaces dans le mouvement libertaire. »

Mais, finalement, le projet était de toute évidence trop menaçant. Elle se souvient ainsi de la conversation :

A la fin il a dit : « O.K., vous pouvez avoir tout ce que vous voulez – même des millions de pesetas [pour l’organisation, l’éducation, etc.] parce que nos caisses – à la condition que vous travaillez aussi sur les questions qui ont de l’intérêt pour nous, et pas seulement sur celles des femmes. » A ces mots, Lucía sauta en l’air et dit : « Non. Cela nous ramènerait exactement à notre point de départ ! » Et j’étais d’accord avec elle – et je le suis encore. L’autonomie était essentielle. Si ils ne nous la permettaient pas alors nous aurions perdu l’objectif principal de l’organisation.[45]

Conclusions

Les femmes de Mujeres Libres étaient d’accord avec les autres anarchistes qu’un engagement envers l’action directe entrainait une opposition à des formes hiérarchiques d’organisation. Mais elles avaient choisi de se focaliser sur un autre élément de la stratégie d’action directe : que nous avons appelé ordre spontané. Les gens s’organisent, et s’organiseront, autour des questions qui constituent un intérêt immédiat leur vie quotidienne. Lorsqu’ils commencent à réaliser des changement dans ces domaines, et à prendre conscience de leur pouvoirs et capacités, ils seront plus « préparés » à s’engager dans d’autres actions pour le changement social. Les femmes de Mujeres Libres insistaient sur le fait que, au moins dans le cas des femmes, des organisations séparées seraient essentielles à cette fin.

Cette perspective semble particulièrement appropriée à la situation espagnole. Une large proportion de femmes espagnoles ne se seraient senties concernées en aucune manière par la stratégie syndicale de la CNT. Elles ne travaillaient pas en usine ; ou, lorsque cela était le cas, elles avaient peu ou pas de temps pour s’engager dans des luttes syndicales du fait de leurs responsabilités à la maison. Nous devons remarquer que beaucoup d’hommes aussi – ceux engagés dans des occupations non syndicales– auraient été exclus d’une participation active dans le mouvement anarchiste pour des raisons semblables. Mujeres Libres mettait le doigt, par le biais du cas des femmes, sur un problème qui avait des ramifications beaucoup plus larges pour la stratégie de l’organisation révolutionnaire.

Les femmes argumentaient leur point de vue en s’appuyant sur la tradition anarchiste.Mais leur plaidoyer pour une lutte séparée ne découlait pas seulement d’un engagement envers l’action directe et la satisfaction de besoins tels que exprimés par les intéressées. Il se développait à partir d’une analyse de la nature particulière de la société espagnole et son impact sur le mouvement anarchiste. Mujeres Libres insistait sur le fait que, dans ce contexte, l’action commune entre hommes et femmes ne ferait que perpétuer les modèles existant de domination masculine. Une lutte séparée était particulièrement nécessaire dans ce cas parce qu’elle était la seule manière à la fois de rendre possible la préparation efficace des femmes et de remettre en cause le sexisme des hommes.

Mujeres Libres n’essayait pas seulement de donner du pouvoir aux femmes [empower] mais aussi de lancer un défi permanent aux anarchistes hommes. Son existence nous rappelle le besoin de surmonter la domination masculine au sein du mouvement. La plupart des activités de Mujeres Libres s’adressait aux femmes. Mais elles défiaient les anarchistes hommes en tant qu’individus et le mouvement anarchiste organisé, en de nombreuses occasions. Mujeres Libres tenta d’obliger les hommes (et les femmes?) à reconnaître à la fois la légitimité et l’importance des question d’intérêt spécifique pour les femmes. L’existence même de l’organisation est la preuve du pouvoir autonome potentiel des femmes. Le degré d opposition que souleva Mujeres Libres au sein du mouvement suggère que au moins quelques membres de la CNT prirent au sérieux ce potentiel.[46] Le programme et l’expérience de Mujeres Libres permettent d’affirmer que la logique et la pratique de l’action directe demandent un « rassemblement des forces » (temporairement) séparé. Comme nous l’avons vu, les femmes de Mujeres Libres se sont définies, non pas comme un groupe de femmes qui luttaient contre les hommes, mais comme un des nombreux groupes potentiels participant à une large coalition pour le changement social<strong>.[47]

Le changement révolutionnaire exige l’alliance des femmes et des hommes. Mais à moins que l’égalité ne règne au sein de cette coalition, il n’existe pas de garantie pour un processus révolutionnaire égalitaire ou pour l’établissement d’une société égalitaire. L’engagement envers l’action directe et l’égalité ne signifie rien d’autre. Comme les féministes américaines contemporaines ont commencé à le reconnaître dans le cas des différences de classe, d’ethnie, et de culture, on ne peut pas « agir pour » les autres même dans le cadre d’une organisation révolutionnaire. L’action révolutionnaire doit reconnaître la spécificité des expériences de vie. Mujeres Libres espérait rendre possible. Fidèles à leur interprétation de la tradition anarchiste, elles insistaient sur le fait que la stratégie pour atteindre une telle unité exigeait la reconnaissance de la diversité.

[1] NDT : Friedrich Hayek, sans doute.

[2] Voir Colin Ward, Anarchy in Action (New York : Harper & Row, 1973), chaps. 2 et 4 ; également Daniel Guérin, Anarchism : From Theory to Practice, [L’anarchisme, De la doctrine à la pratique ] Introduction par Noam Chomsky, traduit par Mary Klopper (New York : Monthly Review Press, 1970) ; et Peter Kropotkin, The Conquest of Bread [la Conquête du Pain] (London : Chapman & Hall, 1913).

[3] Pour un exemple parlant contemporain sur l’impact d’une telle action, Wini Breines sur l’évolution de la conscience dans le mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis, « Personal Politics : The Roots of Women’s Liberation in the Civil Rights Movement and the New Left, by Sara Evans : A Review Essay, » Feminist Studies 5 (automne 1979) : 496–506.

[4] Une version légèrement différente du résumé et de l’analyse qui suit a été développée dans « Anarchism and Feminism, » MS, 1978, Smith College, Northampton, Mass. par Kathryn Pyne Parsons et Martha A. Ackelsberg,

[5] Matilde, interview avec l’auteure, Barcelone, 16 février 1979.

[6] Voir, par exemple, la déclaration du Congrès de Saragosse de 1870 du mouvement espagnol citée dans El proletariado militante, 2 vols. (Toulouse : Editorial del Movimiento Libertario Español, CNT en Francia, 1947), 2 : 17–18. de Anselmo Lorenzo,

[7] Mariano R. Vazquez, « Avance : Por la elevacibn de la mujer, » Solidaridad Obrera, 10 Oct. 1935, 4 ; voir également Jose Alvarez Junco, La ideologia politica del anarquismo español, 1868–1910 (Madrid : Siglo Veintiuno Editores, 1976), 302 n. 73 ; et Kahos, « Mujeres, Emancipaos ! » Acracia 2 (26 Nov. 1937) : 4.

[8] Federica Montseny, « Feminismo y humanismo, » La revista blanca 2 (1 Oct. 1924) : 18–21 ; voir aussi « Las mujeres y las elecciones inglesas, » ibid. 2 (15 Feb. 1924) : 10–12.

[9] Carmen Alcalde, La mujer en la Guerra civil española (Madrid : Editorial Cambio 16, n.d.), 176. également Federica Montseny, « La mujer : problema del hombre, » dans La revista blanca, 2, núm 89, February 1927 ; et Mary Nash, « Dos intelectuales anarquistas frente al problema de la mujer : Federica Montseny y Lucía Sanchez Saornil, » Convivium (Barcelona : Universidad de Barcelona, 1975), 74–86.

[10] Igualdad Ocaña, interview avec l’auteure Hospitalet (Barcelone), 14 février 1979.

[11] Soledad Estorach, interview avec l’auteure, Paris, 4 Janvier 1982.

[12] Emma Goldman, « Woman Suffrage » (224) et « The Tragedy of Woman’s Emancipation » (211), tous les deux dans Anarchism and Other Essays (New York : Dover Press, 1969).

[13] Sheila Rowbotham, Women, Resistance, and Revolution (New York : Vintage Books, 1972), et Woman’s Consciousness, Man’s World (Hammondsworth, Middlesex, England : Pelican Books, 1973).

[14] Ellen Carol DuBois, Feminism and Suffrage : The Emergence of an Independent Women’s Movement in America (Ithaca : Cornell University Press, 1978), 78–81, 164, 190–92, 201.

[15] Suceso Portales, interview avec l’auteure, Móstoles (Madrid), 29 juin 1979. Une histoire semblable a été racontée avec des petites variantes par Mercedes Comaposada, Soledad Estorach, et d’autres lors d’interviews à Paris, en janvier 1982. L’analyse qui suit repose principalement sur les interviews et conversations que j’ai eu avec des femmes anarchistes espagnoles qui avaient participé aux débats et aux actions au moment de la guerre civile. Les interviews ont été conduites en Espagne et en France durant le printemps 1979, l’été 1981, et l’hiver 1981–82.

[16] Lucía Sanchez Saornil, « La cuestión femenina en nuestros medios, 5, » Solidaridad Obrera, 30 Oct. 1935, 2.

[17] « ‘Mujeres Libres’ : La mujer ante el presente y futuro social, » dans Sídero-metalurgía (Revista del sindicato de la Industria Sídero-metalúrgica de Barcelona) 5 (Novembre 1937) : 9.

[18] Mary Nash, ed., « Mujeres Libres » España, 1936–39, Serie los libertarios (Barcelona : Tusquets editor, 1976), 21.

[19] Voir, entre autres, Verena Stolcke, « Women’s Labours, » dans Of Marriage and the Market, ed. Kate Young, Carol Wolkowitz, and Roslyn McCullagh (London : CSE Books, 1981) ; Jean Gardiner, « Political Economy of Domestic Labour in Capitalist Society, » dans Dependence and Exploitation in Work and Marriage, ed. D.L. Barker and S. Allen (New York : Longman, 1976), 109–20 ; Sherry Ortner, « Is Female to Male as Nature is to Culture ? » (67–88) et Michelle Zimbalist Rosaldo, « Women, Culture, and Society : A Theoretical Overview » (17–42), dans Woman, Culture, and Society, ed. Michelle Zimbalist Rosaldo and Louise Lamphere (Stanford : Stanford University Press, 1974). Sur la question précise de l’éducation des enfants par la femme seule, voir Isaac Balbus, Marxism and Domination (Princeton : Princeton University Press, 1981) ; Nancy Chodorow, The Reproduction of Mothering : Psychoanalysis and the Sociology of Gender (Berkeley : University of California Press, 1978) ; Dorothy Dinnerstein, The Mermaid and the Minotaur : Sexual Arrangements and Human Malaise (New York : Harper & Row, 1976) ; et Adrienne Rich, Of Woman Born : Motherhood as Experience and Institution (New York : W.W. Norton, 1976).

[20] Amparo Poch y Gascón, « La autoridad en el amor y en la sociedad, » Solidaridad Obrera, 27 Sept. 1935, 1 ; voir aussi sa La vida sexual de la mujer, Cuadernos de cultura : Fisiologia e higiene, no. 4 (Valencia : 1932) : 32.

[21] Lucía Sanchez Saornil, « La cuestión femenina en nuestros medios, 4, » Solidaridad Obrera, 15 Oct. 1935, 2 ; pour un parallèle contemporain, voir Rich.

[22] Pour l’exemple d’un appel, voir Nash, « Mujeres Libres, » 186–87.

[23] Poch y Gascón, La vida sexual, 10–26.

[24] Voir Alcalde, 122–40 ; and Nash, « Mujeres Libres, » 76–78.

[25] Nash, « Mujeres Libres, » 86, 96, 205–6.

[26] Voir Alcalde, 142–43 ; « Estatutos de la Agrupación Mujeres Antifascistas, » Bernacalep, 26 Mai 1938 (document de Archivo de Servicios Documentales, Salamanca, Spain, Sección político-social de Madrid, Carpeta 159, Legajo 1520) ; et Mary Nash, « La mujer en las organisaciones de izquierda en España, 1931–1939 » (Ph.D. diss., Universidad de Barcelona, 1977) ; chap. 9. Des parallèles avec l’expérience de femmes aux Etats-Unis et ailleurs en occident, durant la première et seconde guerre mondiale sont, bien sûr, évidents. Des expériences semblables dans la période contemporaine ont convaincu beaucoup de femmes de la nécessité d’organisations séparées consacrées à l’émancipation des femmes, qui ne subordonneront pas les besoins des femmes à ceux des hommes avec lesquels elles sont probablement engagées dans une lutte commune. Voir, par exemple, Margaret Cerrullo, « Autonomy and the Limits of Organisation : A Socialist-Feminist Response to Harry Boyte, » Socialist Review 9 (janvier-février 1979) : 91–101 ; Sara Evans, Personal Politics : The Roots of Women’s Liberation in the Civil Rights Movement and the New Left (New York : Alfred A. Knopf, 1979) ; et Ellen Kay Trimberger, « Women in the Old and New Left : The Evolution of a Politics of Personal Life, » Feminist Studies 5 (automne 1979) : 432–50.

[27] Cité dans Alcalde, 154.

[28] A cet égard, la position de Mujeres Libres semble se faire l’exact écho de celle du mouvement anarchiste sur la révolution sociale et la guerre en général : Les anarchistes étaient en désaccord avec le parti communiste, par exemple, en insistant sur le fait que les avantages sociaux révolutionnaires ne devaient pas attendre la fin de la guerre civile pour être appliqués.

[29] NDT capacitación traduit en anglais ici par « Capacitation » qui selon la note de l’auteure : « n’est de toute évidence pas un terme anglais courant. Il prend le sens de développement d’un potentiel traduit par le mot espagnol. Empowerment est une autre traduction possible. »

[30] Ilse, « La doble lucha de la mujer, » Mujeres Libres, 8 mes de la Revolución, cité dans Nash, « The Debate over Feminism in the Spanish Anarchist Movement, » MS, Universidad de Barcelona, 1980.

[31] Breines, 496–97, 504.

[32] Voir, par exemple, Evans, dont s’inspire Breines ; également William Chafe, Women and Equality (New York : Oxford University Press, 1977) ; et Frances Fox Piven and Richard A. Cloward, Poor People’s Movements (New York : Vintage Books, 1979).

[33] Estelle Freedman, Separatism as Strategy : Female Institution Building and American Feminism, 1870–1930, » Feminist Studies 5 (automne 1979) : 514–15, 524–26.

[34] Pour des détails sur l’évolution dans les premiers temps de Mujeres Libres voir Nash, « Mujeres Libres, » 12–16 ; Temma Kaplan, « Spanish Anarchism and Women’s Liberation, » Journal of Contemporary History 6 (1971) : 101–10 ; et Kaplan, « Other Scenarios : Women and Spanish Anarchism, » dans Becoming Visible : Women in European History, ed. Claudia R. Koonz and Renate Bridenthal (New York : Houghton Mifflin, 1977), 400–422.

[35] Soledad Estorach, interview, Paris, 6 Jan. 1982. Le terme compañerita est le diminutif de compañera, signifiant « camarade », ou « compagne ». Dans ce contexte, il démontre une attitude condescendante de la part de l’homme.

[36] Cité dans Nash, « Mujeres Libres, » 101.

[37] Azucena (Fernandez Saavedra) Barba, interview, Perpignan, France, 27 Dec. 1981.

[38] Mercedes Comaposada, interview, Paris, 5 Jan. 1982.

[39] Kathryn Pyne (Parsons) Addelson a trouvé des modèles semblables dans son étude, par exemple, sur une organisation « marxiste-léniniste » de Chicago, Rising Up Angry. Voir également Evans ; Trimberger ; and Jane Alpert, Growing Up Underground (New York : Morrow, 1981).

[40] Le « mouvement libertaire » était un autre nom, plus général, du mouvement anarcho-syndicaliste. Le terme devint d’usage courant en 1937 et 38 seulement. Le mouvement plus large comprenait en son sein la CNT (confédération syndicale anarcho-syndicaliste), la FAI (Fédération Anarchiste Ibérique), et la FIJL (Federación Ibérica de Juventudes Libertarias – Fédération Ibérique de la Jeunesse Libertaire)

[41] Nash, « Mujeres Libres, » 19.

[42] Sur la question de la diversité au sein du mouvement des femmes contemporains, voir particulièrement Audre Lorde, « Age, Race, Class, and Sex : Women Redefining Difference, » et « The Uses of Anger : Women Responding to Racism, » dans Sister Outsider (Trumansburg, N.Y. : Crossing Press, 1984).

[43] Voir Nash, Mujer y movimiento obrero en España, 1931–1939 (Barcelona : Editorial Fontamara, 1981), particulièrement les pages 99–106 ; et les interviews avec des membres de Mujeres Libres.

[44] Il faut remarquer que le mouvement anarchiste espagnol ne s’est jamais libéré de ce qu’on pourrait appeler le « fétichisme organisationnel ». Le mouvement a souvent été écartelé par des controverses ces derniers temps et continue à l’être aujourd’hui. La préoccupation de la « loyauté organisationnelle » ne s’exprimait pas uniquement dans l’opposition à Mujeres Libres. Je voudrais remercier Paul Mattick, Molly Nolan, et les autres participant-es au Study Group on Women in Advanced Industrial Societies du Centre for European Studies, Harvard University, avec qui j’ai discuté de ces questions lors d’un séminaire le 9 Mai 1980.

[45] interview Comaposada.

[46] Je suis reconnaissante à Donna Divine pour m’avoir permis de clarifier ce point.

[47] Comparez avec les débats au sujet du black power aux Etats-Unis, particulièrement Stokely Carmichael et Charles V. Hamilton, Black Power (New York : Random House, 1967) ; et Bayard Rustin, « Black Power and Coalition Politics, » Commentary 42 (Septembre 1966) : 35–40.