Titre: Une question à Mme Madeleine Pelletier
Auteur·e: VERNET Madeleine
Date: 1908
Source: Consulté le 25 septembre 2016 de marievictoirelouis.net
Notes: Paru dans Le Libertaire, 28 juillet 1908.

Il faut croire quand même, Madame, que la question du suffrage des femmes vous intéresse énormément puisque vous avez créé un journal dans le but spécial de revendiquer pour la femme des droits politiques.[1] Je vous ai d’ailleurs entendue assez souvent pour savoir quelle importance vous attachez à la conquête par la femme des pouvoirs publics.

Et comme je ne voudrais pas croire qu’une femme de votre valeur puisse se passionner pour des problèmes puérils ; comme je ne veux supposer que, si vous défendez avec tant d’ardeur les droits politiques de la femme, c’est que vous voyez pour celle-ci la libération de son esclavage sexuel, je me permets de vous poser une question :

« Quand la femme sera électeur et éligible, le problème de la prostitution sera t-il résolu ? »

Et j’entends bien, n’est-ce pas, la prostitution sous toutes ses formes.

Certes la femme ayant droit de suffrage obtiendra peut-être la suppression de la réglementation. Mais ce n’est qu’un détail du calvaire féminin de la prostitution.

En carte ou sans carte, soumises ou insoumises, connues ou inconnues, nombreuses sont les femmes qui doivent, pour vivre, avoir recours à la prostitution.

Depuis la mondaine que des revers de fortune firent déchoir dans le demi-monde, jusqu’à l’ouvrière qui subit les exigences d’un patron ou d’un contremaître pour sauvegarder l’emploi qui assure le pain à ses petits ; depuis la jeune fille riche qui se vend au mariage pour racheter une faute jusqu’à la pauvre jeune fille que cette même faute mènera au ruisseau (pour employer la commune expression), nombreuses, excessivement nombreuses sont les formes de prostitution.

Au cours de mes pérégrinations premières pour trouver à « l’Avenir social » quelques appuis et quelque argent, je me trouvais un jour avec un Monsieur très bien, d’idées avancées à qui je confiais mon embarras matériel et la difficulté où j’étais d’en sortir. Il m’exposa alors un plan que, disait-il, je mettrais facilement à exécution. Il m’indiqua le personnage influent qu’il faudrait aller trouver et ajouta ceci :

« Et puis, dame, quand vous le tiendrez, ce sera à vous de savoir vous y prendre pour ne pas le perdre : vous êtes jeune, vous êtes intelligente et… vous êtes femme ! Et vous savez qu’une femme a à sa disposition des moyens que n’a pas un homme pour se faire ouvrir des portes ! »

N’était-ce pas une incitation à la prostitution ? Et celui qui me parlait ainsi avait tout à fait l’air convaincu de quelqu’un qui dit une chose tout à fait ordinaire.

Eh bien ! moi, je vous demande ceci :

« Les droits politiques conquis par la femme, la prostitution, toute la prostitution, sera t-elle supprimée ? »

Jusqu’à présent, je n’ai vu la solution du problème que par des remèdes économiques pour le côté matériel de la chose, et des remèdes éducatifs pour son côté moral.

Et comme c’est une question qui m’intéresse au plus haut point, je serais heureuse d’apprendre comment les droits politiques accordés à la femme pourraient la solutionner.

Car, tant que la prostitution existera, la femme ne sera pas affranchie, quels que soient les apparentes conquêtes qu’elle puisse faire. Si le droit de déposer dans l’urne un carré de papier ne la délivre de la nécessité de se vendre, ce droit ne sera qu’une fumisterie de plus, sa liberté ne sera qu’illusoire et son égalité avec l’homme sera une dérision. Peut-il y avoir une égalité entre l’homme qui a le pouvoir d’acheter, et la femme qui doit se vendre ?

— Je suis une femme, oui, Madame, une femme qui ne renie pas son sexe, une femme qui est épouse et mère et qui sait tout de ce que peut sentir et souffrir une femme.

Et, précisément à cause de cela, j’aime toutes les femmes, mes sœurs, et je n’exclus pas de ce sentiment les malheureuses victimes de la prostitution. Que les femmes bourgeoises les oublient, ces sœurs douloureuses, libres à elles ; mais j’estime que nous qui avons conscience d’être des vraies femmes, nous ne pourrions pas nous sentir affranchies et heureuses tant que nous saurons que cette souffrance féminine existe.[2]

Le bulletin de vote et l’éligibilité la supprimeront-ils cette souffrance ?

Auront-ils un pouvoir vraiment efficace contre elle ?

C’est une question que je vous pose et à laquelle j’espère que vous voudrez bien répondre.[3]

[1] Note de l’éditrice : Il s’agit de La Suffragiste.

[2] Note de l’éditrice : Ce paragraphe n’est compréhensible que par le fait qu’il s’agit d’attaques personnelles à l’égard de Madeleine Pelletier.

[3] Ibid. Je n’ai pas trouvé de réponse de Madeleine Pelletier dans les numéros suivants du Libertaire.