Titre: Il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici
Auteur·e: Lucioles
Date: 2010
Source: Consulté le 09/10/2016 de lucioles.noblogs.org
Notes: Extrait de Lucioles n°1, bulletin anarchiste du Nord-Est de Paris, novembre/décembre 2010.

Une chose est sûre, tant que ce monde tournera autour d’un soleil si noircit de cupidité, d’avidité et d’autorité, la vie restera une plaie sur laquelle, quotidiennement, nos maîtres verseront du sel à coup de tabassages, d’humiliation, d’esclavage et d’arrêts maladie refusés. Cette vie est laide, elle nous retire toute possibilité de la saisir, elle nous dépossède de nos moyens les plus précieux de la mener, elle nous lacère le corps en même temps qu’elle nous travaille au cerveau pour nous introniser au sein d’un culte mystérieux de nos propres chaînes, un culte que l’on rejoint aussitôt l’âge adulte, pour apprendre à vivre de mort lente.

La rumeur court, discrètement, à pas de géant, elle ruisselle entre les branches feuillues des arbres, elle coule le long des tonnelles, elle franchit les ponts et les tunnels de la civilisation moderne et se propage comme des écrouelles que ne pourra guérir aucun roi providentiel :
La vie serait à fuir…

Cette vie là, plutôt la fuir vers quelques paradis artificiels. On va se mutiler l’esprit à coup de télévision pour se détourner un instant de notre misérable sort. On va cyber-vivre au lieu de vivre. On va se cramer le cerveau à la beuh pour se neutraliser, à la gnôle pour sortir de soi, au crack pour en finir ou à la coke pour se faire croire que l’on prend nos vies par les rênes. On va s’oublier à la tâche, courber l’échine à n’en plus pouvoir sur des caisses enregistreuses. On va noyer sa singularité sous un uniforme, un drapeau, dans une communauté, la famille, une bande de potes.
On brasse l’ennui à prix de gros.

Éviter à tout prix de se regarder en face, d’être capable de s’asseoir autour d’une table et de penser sans s’interrompre pour quelque futilité technologique que ce soit.

On oublie, on s’oublie, on prend le temps de léviter au-dessus de nos propres vies -regardez dans le ciel, vous les verrez voler- alors qu’en même temps se joue avec urgence le seul enjeu qui vaille la peine d’être affronté avec pleine force :
la liberté.

La rumeur court, discrètement, à pas de géant, elle ruisselle entre les branches feuillues des arbres, elle coule le long des tonnelles, elle franchit les ponts et les tunnels de la civilisation moderne et se propage comme des écrouelles que ne pourra guérir aucun roi providentiel :
il y aurait une autre vie pour laquelle nous devrions sacrifier la seule dont nous soyons sûrs de l’existence…

Fuir l’ici-bas pour un au-delà, fuir la vie pour rejoindre la vie d’après la mort, en priant à genoux, oui, à genoux. Le temple pour seul lieu de discussion, le mythe pour seul moteur, la superstition et l’obéissance pour seul rapport au monde.

Ils nous ont menti, il y a une vie avant la mort, une vie de révoltes, et il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici.