Lúcia Bruno
Qu’est-ce que l’Autonomie Ouvrière ?
L’Autonomie ouvrière : Une pratique de classe
De nos jours on parle beaucoup d’Autonomie Ouvrière. Différents auteurs ont discouru à ce sujet et les interprétations sont diverses.
Je ne prétends pas faire ici un tableau des différents manières d’aborder le sujet. Ni, d’affirmer mon point de vue comme le seul valable.
Dès maintenant je m’écarte de toute problématique qui se rapporte à une vérité éternelle, et pense que les idées d’un auteur sont toujours celles qui découlent de sa pratique sociale et non de l’humanité en général.
De plus l’autonomie ouvrière, son développement sa réalisation ne dépendent pas du débat théorique, mais des conditions objectives existantes dans la société contemporaine et de la position que chacun de nous occupe dans la pratique sociale. C’est à ce niveau que les individus s’unissent ou se séparent autour de questions cruciales de notre temps. Nous verrons, donc, une des possibilités de penser l’autonomie ouvrière, les conditions de son développement, les limites avec lesquelles elle est confrontée pratiquement, seul le futur nous l’indiquera.
Ce qui définit l’autonomie ouvrière, comme pratique sociale, c’est sa capacité à créer des relations sociales d’un nouveau genre, qui se structurent en antagonisme ouvert avec les relations sociales existantes dans la société capitaliste.
Dans quel sens ?
Dans le sens ou l’autonomie ouvrière s’exprime par la pratique de l’action directe contre le capital, sur les lieux de production — épine dorsale du capitalisme. Cette action directe unifie le pouvoir de décision et d’exécution, élimine la division entre travail manuel et intellectuel, abolie la séparation entre des dirigeants et dirigés, et fait cesser la représentation par la délégation de pouvoir.
Sur le terrain de l’autonomie ouvrière, le travailleur ne se fait pas représenter. Il se représente. Il s’agit d’un processus de lutte dans laquelle la classe ouvrière s’organise et se dirige, en se différenciant des classes dominantes de leurs institutions, des pratiques et idéologies d’intégration et d’exploitation. C’est une pratique qui unifie tout les fronts de lutte : économique, politique et idéologique, en ayant comme objectif final le communisme.
L’autonomie ouvrière est une tendance très ancienne à l’intérieur du mouvement ouvrier, qui s’est manifestée aux moments le plus aigus de l’affrontement de classes.[1]
L’organisation par laquelle le prolétariat en vient, historiquement, à exprimer son autonomie est le Conseil Ouvrier, où tout le pouvoir appartient aux assemblées générales de travailleurs, axe central des débats et de décisions.
J’utilise ici la dénomination Conseils ouvriers, parce qu’elle est déjà entrée dans le vocabulaire commun. En réalité ils ont existé et existent sous des noms divers : commission d’usine, commission de travailleurs, comités de grève, soviet, etc. Ce qui importe comme critère de définition c’est la structure interne de ces organisations, leurs objectifs et l’activité qu’elles développent réellement : le contrôle et la gestion de la production et de toute la vie sociale.
À cette niveau nous pouvons nous demander s’il possible à la classe ouvrière de développer un processus où elle se définit en complète rupture avec la société capitaliste comme un tout.
C’est ce que nous allons examiner maintenant.
La classe ouvrière n’est pas une réalité morale, mais sociale. Elle n’a de réalité que dans la manière dont elle s’organise et cette forme est contradictoire.
D’un côté, c’est la classe organisée par le capital, dans les lieux de production, structurée dans des formes imposées par le système capitaliste, des outils et une technologie déterminée.
Cette logique soumet la classe ouvrière à des opérations fragmentées, qui l’éloigne de la compréhension du processus de travail et en la soumettant à une stricte hiérarchie.
C’est la classe ouvrière organisée pour la production de profit dans et pour le capitalisme.
D’un autre côté, les ouvriers[2] développent autre eux, des relations libres et collectives et se livrent chaque fois à une lutte directe contre le capital.
Dans ces nouvelles relations, l’égalité entre les ouvriers, dans la lutte contre le système qui les exploite, élimine les hiérarchies imposées par l’entreprise. En outre, la participation dans les réunions et les décisions collectives de l’ouvrier fait qu’il ne s’éloigne pas de la compréhension de sa propre activité. C’est la classe ouvrière auto-organisée qui lutte pour la réalisation de ses propres objectifs.
De la contradiction entre ces deux formes d’organisation découle que tant qu’il y aura du capitalisme, l’une ne se développera pas sans l’autre. La discipline dans les entreprises suscite toujours des formes de luttes. Donc l’entreprise est le terrain premier, mais pas ultime du développement de la lutte pour l’autonomie.
A la suite de ces luttes, la classe ouvrière développe des relations sociales d’un type nouveau, auxquelles je me réfère au début, et qui structurent l’autonomie de la classe face la société capitaliste et la classe des exploiteurs.
Il s’agit de la création de nouvelles « institutions » sociales où se réalisent les relations établies par la démocratie directe, par la révocabilité et l’éligibilité des délégués par l’assemblée générale de travailleurs, qui auto-institue alors les conditions de développement de la société socialiste.
Dans ce sens, l’autonomie ouvrière ne signifie pas une autonomie organique, physique, en relations avec les institutions capitalistes. Elle ne signifie pas, par exemple, L’autonomie des syndicats en rapports avec l’État, ni des mouvements sociaux en relation avec les structures partidaires.
Ce que signifie ce type d’ « autonomie » en revanche, ce sont bien des relations avec les modèles capitalistes d’organisation et de gestion, qui comme toujours sont hiérarchisées, centralisent les décisions et reproduisent les inégalités sociales. Comme nous le verrons tout au long de ce livre, l’autonomie ouvrière s’attache à la création d’une nouvelle réalité sociale, dotée d’institutions spécifiques qu’ils se développent en rupture ouverte avec la société capitaliste.
La lutte Autonome
La force de travail est la seule marchandise dont la valeur s’établit à travers la lutte sociale.
Alors que l’ouvrièr(e) / le prolétaire cherche à incorporer le maximum de temps de travail dans une marchandise, qu’il vend au capitaliste afin d’en augmenter sa valeur, le capitaliste recherche quant à lui à réduire ce temps au minimum.
Cette lutte a un caractère très particulier dans le capitalisme. Tout d’abord parce que c’est un facteur déterminant du système, ensuite parce que c’est le processus économique lui-même qui détermine la fixation de la valeur de la force de travail, qui trouve dans le salaire son expression juridique.
Ensuite parce que la lutte n’a pas les possibilités de se développer sur un modèle capitaliste d’encadrement du monde ouvrier, que le système d’exploitation impose. La discipline d’usine/entreprise implique la complète obéissance et soumission au système technologique de production. C’est la seule forme d’organisation que le capitalisme puisse admettre.
Néanmoins, la lutte ne peut pas cesser d’exister parce qu’elle est exigée par le système économique lui-même. C’est à partir de ce moment qu’en résulte le salaire productif, et cette lutte aboutie à une augmentation de la productivité et à l’intensification du travail.
De plus, sans lutte du prolétariat pour la diminution du niveau d’exploitation, le prolétariat court le risque en ne résistant pas, de la misère, de disparaître physiquement.
Dans ce système économique où le prolétariat cherche à augmenter la valeur de sa force de travail et le capitaliste à la diminuer se développe un champ institutionnel qui garantit la reproduction de cette contradiction : le syndicat.
Le syndicat est le type d’organisation qui permet aux luttes et à ses objectifs d’être intégrés au capitalisme.
Si on y prête attention, à chaque fois que se développe une lutte prolétaire réelle, celle-ci déborde le champ syndical en créant ses propres formes d’organisation hors du syndicat. Par exemple les comités de grève, les commissions d’usine etc...
Quand on constate des augmentations de salaires où ces nouvelles formes d’organisations ne sont pas apparues, c’est qu’il n’y a pas eu de lutte prolétaire. Le syndicat comprend pleinement son rôle dans le capitalisme, de structure spécialisée qui planifie les augmentations de salaires dont le capitalisme a besoin pour l’expansion du marché de la consommation.
Quand, en revanche, se développent des luttes prolétariennes qui débordent à l’intérieur de chaque unité production, les limites du syndicat, les dirigeants syndicaux se chargent de négocier des compromis acceptables pour les patrons. C’est ce type de structure qui intègre les luttes prolétariennes dans la dynamique du capitalisme.
Ce que je veux dire, c’est qu’aucune lutte ne peut se développer dans les limites strictes de l’appareil syndical, comme sous le programme rigide de la discipline d’entreprise/usine.
Mais alors subsiste une question : Si la classe ouvrière lutte directement pour la diminution de l’exploitation, sans non plus agir dans les structures existantes au sein du capitalisme, où doit-elle agir ?
Je dirais qu’elle agit fondamentalement dans les formes qu’elle crée au cours de la lutte ; au sein des structures autonomes.
C’est une contradiction très importante du capitalisme. C’est la dynamique propre du développement du capitalisme qui détermine l’apparition de relations sociales qui lui sont antagonistes.
Des relations sociales égalitaires et non spécialisées qui détruisent le système de représentation caractéristique du capitalisme.
Dans la résistance à l’exploitation du capital tous les ouvriers sont égaux. Le mouvement social des exploités tend aujourd’hui à projeter cette égalité au-delà de la destruction du système qui l’a généré. Ce sont les nouvelles relations sociales créées au cours de la lutte qui tendent dans son expansion à réaliser de nouvelles formes économiques, donc un nouveau mode de production.
De cela nous pouvons donc dire que s’articulent deux réalités contradictoires dans les sociétés contemporaines : un mode de production capitaliste et un communiste en développement tendanciel et permanent fondé sur des relations égalitaires et collectives que le prolétariat crée au cours de la lutte.
Tout ceci est assez abstrait. Nous allons analyser d’une manière plus concrète comment ces luttes se développent et pourquoi elles ont été vaincues.
Les « formes » Autonomes
Les individus n’agissent pas dans le vide, mais à l’intérieur de formes qu’ils créent au cours de la lutte. Cela signifie que quand la classe des prolétaires lutte directement contre sa situation d’exploité/domination en se séparant de la logique capitaliste, elle crée par ses actes de nouvelles structures sociales qui sont les conditions de la transformation sociale.
Ces structures que j’ai nommé conseils ouvriers ou commissions d’usine, privilégient la lutte dans l’entreprise, dépassent les appareils syndicaux et les partis, développent de nouvelles pratiques, où elles affirment l’importance des bases de classe face au dirigeant, et la satisfaction des besoins dans la vie quotidienne face au capital.
Sorties directement de la dynamique de la lutte, ces « structures » unissent les travailleurs en fonction de leurs luttes réelles et non d’objectifs abstraits plus ou moins limités.
Pour pérenniser concrètement les formes naissantes de contrôle et de gestion de la production par les travailleurs, les commissions d’usine / entreprise structurent la forme embryonnaire des nouvelles relations sociales de production.
Au même moment, apparaissent des formes auto-instituées qui font disparaître progressivement le pouvoir politique, parce que ce sont des formes qui encadrent les représentants élus par les travailleurs, plus particulièrement quand la lutte s’étend et passe des commissions d’usine / entreprise vers d’autres formes plus avancées, constituées par des structures qui s’articulent avec d’autres commissions.
Il est important de souligner que la commission d’usine n’est pas une structure politique dans le sens traditionnel du terme. Elle n’a pas d’autonomie concernant sa relation à l’ensemble des producteurs, comme cela se produit avec l’Etat par exemple.
Plus se développent les commissions d’usine/entreprise comme structure de contrôle et de gestion de la production par exemple, plus diminuent les intermédiaires / la méditation dans le contrôle
Si nous créons des structures grâce auxquelles nous pouvons décider collectivement de tous les aspects de la vie sociale, nous éliminons ceux qui ont toujours décidé à notre place ; les politiciens professionnels qui contrôlent nos décisions. En créant les formes qui réalisent la démocratie directe nous détruisons l’État, pour décider pour nous et sur nous-mêmes.
Ce que je veux dire c’est que la dynamique du communisme est donnée par l’ensemble de la classe ouvrière au moyen de la création de ses propres structures de pouvoir, où les représentants sont contrôlés dans leurs attributions, par tous, et en pouvant être révoqués à tout moment. Il est nécessaire de différencier la représentation dans ces organisations, et la représentation dans les structures politiques capitalistes, où personne ne contrôle l’action de « nos représentants ».
Les individus élus par les travailleurs n’ont pas de possibilité de décider par eux-mêmes. Ils exécutent simplement. Seule l’ensemble des représentés peut décider.
Les représentants élus ne font qu’exécuter des tâches, ils ne déterminent pas les lignes d’action dont les limites sont fixées à l’avance, donc ils ne peuvent pas dépasser leurs fonctions.
Ils restent des représentants jusqu’à l’exécution de tâches précises et ne peuvent se reproduire comme une nouvelle classe dominante.
Les représentants restent dans la production et leurs actes peuvent être contrôlés à chaque moment. La qualité et les fonctions de représentants des travailleurs ne leur confèrent aucun type de privilège.
La discipline dans l’entreprise
implique la soumission
et l’obéissance totale
du prolétaire.
On peut souligner que le type d’organisation sociale que les ouvriers créent dans leur lutte directe et autonome est complètement différent et opposé au système de représentation existant dans le capitalisme. Dans le système dominant quelles possibilités de contrôle avons-nous sur les individus que nous élisons ? Aucun. Quelles informations avons-nous sur leurs actions au parlement ou à la tête d’un État ou d’une structure s’en approchant ? Il y règne le secret car c’est le propre de toute structure bureaucratique où l’information est pouvoir.
Il ne s’agit pas de mystifier ou d’idéaliser les commissions d’usine/entreprise. L’existence de ces structures valide le discrédit où sont tombées les syndicats et les partis politiques dans le monde contemporain. En même temps, elles expriment le degré d’autonomie de la classe ouvrière vis-à-vis des institutions capitalistes.
Mais pas toujours, cela veut dire qu’il existe une démocratie absolue dans la conduite des luttes et que c’est aux bases ouvrières / prolétaires d’avoir entre les mains l’initiative et le pouvoir dans le combat contre l’exploitation.
Il est nécessaire de voir les problèmes auxquels les commissions d’usine / entreprise sont confrontées ainsi que leur fonctionnement. En réalité, le caractère complexe du processus de transformation sociale rend impossible toute tentative d’imposer une forme de lutte préétablie.
L’étude de l’histoire du mouvement ouvrier et des nouvelles formes de luttes que nous observons, peuvent nous indiquer les tendances et les possibilités futures du mouvement, jamais leurs formes concrètes de réalisation. Elles dépendent de l’articulation complexe entre toutes les variantes et spécificités historiques de chaque moment considéré.
Revenons au problème posé. Il peut arriver qu’une commission se limite à jouer les intermédiaires entre le syndicat et les travailleurs. Si ceci démontre l’extériorité du syndicat par rapport à la classe, cela signifie aussi que le syndicat qui conduit toutes les luttes maintient les travailleurs dans une situation d’apathie. La commission se limite à dire au syndicat ce que les travailleurs aimeraient qu’il soit fait et elle dira aux travailleurs ce que le syndicat a décidé de faire. Nous voyons qu’en réalité cette commission exerce la fonction de section syndicale, subordonnée au syndicat.
Il y a aussi des commissions qui, malgré après avoir informé tous les travailleurs et les avoir consulté avant toute initiative, finissent par se couper de la base. Ceci arrive non parce qu’ils sont devenues des « pelegas »,[3] mais parce que les travailleurs retombent dans une certaine apathie. A quoi doit-on cette apathie ?
C’est une question centrale, aucune organisation ne peut faire seule ce qui incombe à l’ensemble des travailleurs de faire. Avant de poursuivre sur cette question, il nous faut analyser à quel moment s’opère l’isolement de la base.
L’apparition d’une commission d’usine / entreprise, autonome, démontre le degré élevé d’activité pratique des prolétaires, et cette pratique / activité va se refléter dans le contrôle dont sera l’objet la commission élue par l’ensemble des ouvriers/prolétaires. Au début tous décident réellement ce que la commission souhaite faire. Mais ensuite il commence à y avoir une distinction entre l’ensemble des ouvriers et ceux qui appliquent les décisions. Ce sont toujours les mêmes — les membres de la commission — qui exécutent et qui décident.
Les travailleurs s’éloignent alors de toute activité pratique et la commission s’empare de toutes les initiatives.
C’est à partir de ce moment que s’opère l’isolement de la commission et que se développe le terrain idéal pour sa bureaucratisation, pour la défense d’intérêts particuliers (partisans ou non) qui finissent en prévalant sur les intérêts de l’ensemble. C’est le moment idéal pour la répression patronale, qui en termine en renvoyant les travailleurs le plus combatifs.
Ceci parce que les travailleurs ont été exclus du travail pratique et sont devenus passifs. Ce que je veux dire, c’est que les formes autonomes ne peuvent seulement exister qu’aux moments de luttes directes avec l’ensemble des tous les intéressés.
Il ne sert à rien de critiquer les luttes des travailleurs parce qu’elles finiraient par être intégrées dans le capitalisme, ou de dire que les formes de luttes autonomes ne survivent que très peu de temps, parce qu’elles sont détruites par la répression ou subordonnées aux hiérarchies syndicales ou partisanes.
La question fondamentale relève plutôt de la recherche de nouvelles possibilités de faire vivre ces formes, en les généralisant et en les unifiant.
La circulation de l’information, l’échange d’expériences entre travailleurs présents dans des luttes différenciées, sont indispensables pour le développement de la solidarité et la cohésion des travailleurs.
Dans les sociétés contemporaines, le poids des pratiques sociales qui tendent à intégrer les individus et les groupes sociaux appartenant à des classes sociales opposées sont puissantes. Ces pratiques se font dans les modes de consommation, par les loisirs, à l’école, dans les partis politiques, les institutions religieuses, etc.
Au moment du processus révolutionnaire, elles sont niées par la pratique, par la création de nouvelles formes sociales — les commissions autonomes, les comités d’habitants, etc. Mais pour qu’elles se développent et se généralisent, il est fondamental que les luttes se développent et dépassent le localisme. L’existence « d’îles » autonomes n’est pas possible dans un monde capitaliste.
Une commission autonome a beaucoup de pouvoir parce qu’elle exprime ce qu’il y a de plus d’important dans l’usine/entreprise : la force de travail, sans laquelle le capital n’existerait pas.
C’est pour cette raison qu’elle est toujours l’objet de « convoitises ».
Ce sont les patrons qui tentent de l’accaparer pour qu’elle fonctionne comme un amortisseur des conflits internes à l’entreprise.
Ce sont les partis politiques qui essayent à chaque instant de l’utiliser pour se renforcer.
Ce sont les hiérarchies syndicales qui tentent d’étendre leur champ de contrôle à l’intérieur des entreprises.
C’est contre tout cela que les travailleurs doivent se battre, ceci en vue de maintenir la commission sous son contrôle direct. Pour qu’elle fonctionne comme un instrument de lutte et un lieu de développement des relations égalitaires, l’autonomie des commissions est fondamentale. Il ne sert à rien d’élire des commissions de travailleurs si celles-ci ne les contrôlent pas directement. Les travailleurs ne combattent pas par procuration, ils combattent eux-mêmes ou alors il n’y a pas de lutte révolutionnaire.
Une commission qui n’est pas l’expression de la lutte auto-organisée et autodirigée par les ouvriers n’est pas autonome. Encore moins que celle créée par le patronat ou encore fomentées du dehors par des militants qui prétendent les utiliser comme des cellules de leurs partis.
Le caractère subversif des organisations ouvrières réside dans le contrôle qu’a l’ensemble des intéressés sur l’action des individus élus comme leurs porte-paroles.
Penser que le capitalisme intègre ces structures, ce n’est considérer les choses que d’une manière superficielle. Il n’existe pas la moindre possibilité de concilier des d’organisations antinomiques.
Les commissions d’usine / entreprise, comme expression des relations égalitaires et collectives, n’ont rien à voir avec les commissions créées par le patronat, les partis politiques ou les hiérarchies syndicales.
Par ce type de structures, centralisées et bureaucratisées, il ne peut que de se développer des relations de type militaristes, de la soumission et du contrôle qui n’annoncent qu’une société d’exploitation.
L’intégration des commissions d’usine / entreprise comme les pratiques autogestionnaires se font par la destruction des formes et des pratiques. Bien des fois on conserve le même nom pour masquer des pratiques absolument autres.
C’est pour cela que nous ne devons pas prêter attention à la manière dont se nomment les organisations, mais à leur fonctionnement interne et à leurs pratiques concrètes. Ceci pas seulement à un instant T. Il est nécessaire de voir les choses en mouvement, sur le long, dans le flux des luttes, pour constater comment évoluent les organisations.
La dynamique du processus
Luttes revendicatives et révolution.
Comme nous l’avons précisé, la pratique ouvrière/prolétaire s’inscrit dans une contradiction impossible à résoudre dans le capitalisme. D’un côté la discipline d’usine/entreprise, le prolétariat dans et pour le capitalisme ; de l’autre, les nouvelles relations sociales développées par l’action directe. C’est le prolétariat contre le capitalisme comme fondement du communisme.
Tant que le capitalisme existera, l’un ne se développera pas sans l’autre. La discipline dans l’entreprise suscite toujours des formes de luttes. D’un autre coté les luttes ouvrières contribuent au développement du capitalisme dans la mesure où elle accélère le processus d’extorsion de la plus-value relative ou contraignent le capital à entrer crise et à inaugurer un nouveau cycle d’extorsion de la plus-value relative.
Ce qui veut dire que le prolétariat n’est pas seulement acteur de l’Histoire, il est aussi un produit de l’histoire dans le mesure où il transforme historiquement cette contradiction qui définit la pratique ouvrière.
Il est question d’une contradiction qui se reproduit toujours dans des formes renouvelées. De là provient le caractère fondamentalement changeant des formes de luttes et le fait que, de ces luttes découle l’existence et du prolétariat.
Quelle est la possibilité pour ces luttes revendicatives de se transformer en lutte révolutionnaire contre le système capitaliste ? Ou quelle importance ont ces luttes pour l’avancée du processus de transformation ?
Je pense que c’est le nœud du problème
Les travailleurs exploités réagissent spontanément par des revendications économiques qui ne mettent pas en cause l’ensemble du système comme un tout. Néanmoins, quand ce sont les travailleurs eux-mêmes qui luttent directement, les formes d’organisation créées pour les satisfaire entrent en complète opposition avec les formes traditionnelles d’organisation du travail dans l’usine / entreprise.
Ainsi, ce ne sont pas les revendications en elles-mêmes qui définissent la radicalité d’une lutte. Ce ne sont pas les objectifs immédiatement affirmés qui sont subversifs ou non. Une lutte est révolutionnaire quand elle crée des relations sociales qui permettent l’union des travailleurs. Quand elle permet l’association d’hommes/femmes libres qui en même temps devient la forme et la condition de la transformation sociale.
Lorsque les travailleurs créent des organisations où ils peuvent décider ensemble du cours de la lutte, ils redéfinissent une nouvelle division du travail et des formes collectives d’existence ; ils créent le terrain sur lequel le communisme peut se développer et se généraliser.
Mais pour que cela puisse se faire à un niveau chaque fois plus vaste, il est nécessaire que ce soit les travailleurs eux-mêmes qui luttent et non les directions (syndicales, des partis, des commissions bureaucratisées) qui le fassent en leur nom. à défaut de quoi les relations égalitaires n’émergent pas pratiquement et les relations capitalistes se renforcent.
La technologie capitaliste opère une double détermination sociale ; d’un côté la suppression totale des producteurs de la gestion et de la connaissance du processus de travail ; de l’autre, elle impose à tous une égalité formelle de base qui est celle des exploités.
Aujourd’hui, la division du travail productif n’est plus aussi verticale qu’à l’époque de l’artisanat, dans sa relation maître / apprenti.
Aujourd’hui elle se fait de manière plus horizontale entre des salariés interchangeables où chacun exécute une partie du travail global. La marchandise ne correspond plus à la production de quelqu’un en particulier mais à celle tous. C’est l’œuvre du travailleur collectif.
Cette « égalité » tend à se moderniser chaque fois que la classe combat directement. Ceci est le fondement logique du concept d »autonomie ouvrière que je viens d’exposer.
La grève est la forme la plus immédiate de la lutte prolétaire. Elle se développe à travers l’occupation du lieu de travail et le contrôle de la production par les travailleurs. C’est un moment déterminant pour la dynamique révolutionnaire. Au cours de la lutte, le prolétariat tend à réorganiser la production selon les mêmes critères égalitaires et collectivistes.
Les répercussions de ces luttes sur le processus de production permettent au prolétariat d’imaginer une transformation totale de la société. Les relations sociales d’un nouveau genre constituent le modèle de la nouvelle société.
Ce sont ces formes de luttes que le capitalisme craint, parce que ce sont les seuls formes de luttes prolétariennes qu’il n’arrive pas à intégrer.
C’est pour cela que tous les moyens sont utilisés pour les détruire ; répression directe par l’appareil policier ou indirect grâce aux médias, à la division entre travailleurs, ou encore à la bureaucratisation des organisations, etc…
La lutte pour des augmentations salariales, contre le chômage ou contre la dictature du capital dans l’usine/entreprise, quand elle est directe et autonome, permet aux travailleurs d’arriver à la compréhension de l’antagonisme qui existe entre les rapports sociaux égalitaires et les rapports de domination/exploitation du mode de production capitaliste.
Les relations communistes ne se construiront que si les travailleurs ont déjà acquis la conscience de ces mêmes relations. Cette conscience ne peut venir que de la pratique de la lutte.
C’est dans ce processus pratique que les travailleurs acquièrent une conscience révolutionnaire. C’est l’expérience de l’action collective qui modifie les comportements grâce à l’expérience acquise dans la résolution de problèmes concrets.
La forme d’organisation ne dépend pas du fond pour lequel on se bat. C’est cette dichotomie forme / fond que je rejette.
Le fond des luttes est la forme qu’elles prennent à un moment donné. La perspective communiste est intrinsèque aux types d’organisations égalitaires et collectives qui surgissent dans les luttes autonomes.
Le communisme n’est pas un projet fixe et éternel qui s’impose au mouvement ouvrier de l’extérieur . Mais plutôt une aspiration au contenu toujours renouvelé, qui exprime chaque moment historique des formes de lutte.
Ce n’est pas non plus une question morale. S’il existe une dimension éthique dans la construction d’une nouvelle société, cette éthique découle de la pratique sociale. Le communisme comme possibilité historique découle de la contradiction qui définit la pratique du prolétariat dans le capitalisme.
Le problème actuel du mouvement ouvrier ne se pose pas en termes d’objectifs immédiats (économiques) et de perspectives futures (politiques). L’interrogation relève de la possibilité pour la classe ouvrière de transformer les relations sociales de lutte en de nouveaux rapports sociaux de production. De créer de nouvelles formes d’organisation du processus de travail, qui abolit les hiérarchies et la division capitaliste du travail, qui sépare la décision de l’exécution, et de détruire définitivement le processus de valorisation du capital.
Il n’est pas question de privilégier la lutte économique face à la lutte politique ou vice-versa. Le combat prolétarien est un tout indissociable.
La transformation de la société capitaliste ne se fait pas par étapes où il faudrait revigorer les structures ou les institutions non contrôlées par les travailleurs.
L’histoire nous a montré que seules les formes sociales produites au cours du processus pratique de la lutte, lorsque les travailleurs s’opposent concrètement au mode de production capitaliste, sont subversives ; quand ils/elles nient leurs conditions d’homme/femme- marchandise.
C’est pour cela que toutes les luttes contre la discipline d’usine / entreprise, la division des travailleurs, la différence de salaires, même si elles se déroulent dans le cadre de la production actuelle, sont très importantes. Elles expriment toujours une avancée quant au développement de l’action directe.
Toutefois, cela ne signifie pas que chaque travailleur est un révolutionnaire en puissance. Les travailleurs deviennent révolutionnaires dans la mesure où ils s’associent aux luttes collectives. Ces luttes deviennent révolutionnaires non pas par les caractéristiques personnelles de chacun des participants, mais par les formes d’organisation qui se développent.
Si la classe ouvrière est capable de combattre directement et de manière autonome, elle est également en mesure de comprendre la lutte et de produire les idées nécessaires pour son développement.
Le fondement de la conscience révolutionnaire se trouve dans l’unité prolétarienne et sa pratique anticapitaliste. C’est grâce elle qu’elle prend conscience que la lutte n’a pas seulement pour objet de s’opposer à un patron individuel, mais à toutes les structures capitalistes.
Ce sont les conditions pratiques concrètes qui permettent l’avancée ou le recul des luttes ouvrières et le développement ou non de la conscience révolutionnaire. « L’inconscience » des masses que beaucoup critiquent n’est rien de moins que la limitation de sa pratique à un moment donné.
Quand il ne se pose pas d’alternative révolutionnaire, il peut arriver à la classe ouvrière de renforcer les institutions capitalistes pour rechercher à améliorer sa situation immédiate dans la société existante.
Par exemple lorsqu’elle accepte une politique de « collaboration de classe », de « défense nationale » de « reconstruction de l’économie », ou quand se développent des formes de contrôle de la production dont l’objet est d’assurer le bon fonctionnement de l’entreprise, etc.
Mais quand elle décide collectivement, avec l’élection d’individus, pour l’exécution de tâches spécifiques, et qu’elle contrôle ses attributions, elle développe une pratique de démocratie ouvrière et construit ainsi une nouvelle société.
Ce sont les deux mouvements dans lesquels le prolétariat s’insère. Toutes les luttes prolétaires doivent être analysées sous cet aspect contradictoire.
La transformation des relations de lutte en de nouvelles relations sociales de production
La formation de nouvelles relations sociales, qui émergent dans l’apparition de formes autonomes est simultanément la réalisation de formes embryonnaires de rapports de production communiste. Mais ce processus n’est pas linéaire c’est pour cela que nous ne pouvons pas le penser selon des critères rigides.
Quand les prolétaires, dans le cours de la lutte occupent l’usine/entreprise, ils perçoivent immédiatement que pour survivre il est nécessaire de continuer la production.
Dans le cas d’une lutte autodirigée, la tendance est à la réorganisation du processus de travail selon des critères collectivistes et égalitaires.
Tel est le sens de la fameuse autogestion. Il s’agit de l’élargissement des critères prolétaires de lutte pour la réorganisation du processus de travail.
Dès l’instant où l’autogestion commence, il s’établit une relation contradictoire entre les relations égalitaires de lutte et les capitalistes qui continuent à exister dans le reste de la société.
Cette contradiction impose une solution : ou les nouvelles relations sociales se reproduisent en se généralisant ou, au contraire, c’est la discipline d’entreprise / usine qui règne.
Ces deux aspects s’articulent dans une relation extrêmement instable et le recul ou l’avancée du processus relève dans la prépondérance de l’une des formes sur l’autre.
Nous pouvons poser que durant la radicalisation des luttes autonomes, l’autogestion signifie que les travailleurs gèrent eux-mêmes à la production. C’est une forme très avancée de la lutte où les travailleurs se réapproprient l’espace et le temps, en les redéfinissant, en détruisant les hiérarchies, en éliminant la dualité dirigeants / dirigés, la division entre le travail manuel et intellectuel.
On peut donc percevoir que l’autogestion implique une rupture ouverte avec toutes les structures capitalistes qui sont fondées sur le principe de l’exploitation / domination
Les commissions d’usine/entreprise sont les voies de la réalisation de l’autogestion. La rotation des commissions, fondées sur la convocation régulière et fréquente d’assemblées générale ouverte, éliminent la confidentialité qui caractérise toute structure bureaucratique.
Au fur et à mesure que l’autogestion se généralise en sortant de l’usine / entreprise et en passant du niveau régional à l’international, elle impose une nouvelle société fondée sur une technologie différente et de nouvelles unités de productions, etc.
L’autogestion est un point de départ pour de nouveaux développements du processus de transformation sociale. Il est le point de départ pour l’abolition des classes sociales et des institutions où l’exploitation et l’oppression sont subies, en commençant par l’État, puisque le communisme nécessite sa destruction.
Autogestion ouvrière et marché capitaliste.
Quand les travailleurs d’une entreprise commencent à gérer la production, un des premiers obstacles auxquels ils sont confrontés touche à l’approvisionnement en matières premières. La question s’aggrave quand les matériaux sont importés. L’expérience a montré qu’ils subissent immédiatement le boycott des capitalistes, qui ne leur fournissent pas les matériaux nécessaires.
En plus de cela il existe le problème du manque d’argent pour les acquérir. Quand ceci arrive, les travailleurs sont forcés de faire appel à l’État pour tenter d’obtenir des fonds. C’est la première étape vers la perte d’autonomie conquise par l’action d’occupation de l’entreprise.
En se servant de cette nécessité de l’argent, le gouvernement ou les propriétaires du capital vont chercher à encadrer et contrôler les ouvriers en leur imposant des restrictions, des buts et des objectifs.
Un autre problème non moins difficile à résoudre est celui de la distribution des produits de ces entreprises autogérées. De très nombreuses fois elles n’arrivent pas être aussi compétitives que les entreprises capitalistes de marché.
S’il existe une situation révolutionnaire généralisée dans le pays, il est possible d’établir un système d’échange direct entre les usines en autogestion et entre l’industrie et l’agriculture.
Mais si les luttes sont isolées, cela n’est possible qu’au moyen du marché capitaliste. La pression qu’il exerce force l’entreprise/usine à revêtir des formes capitalistes de gestion, pour restaurer la rentabilité et la compétitivité nécessaires.
A ce moment-là s’imposent les critères capitalistes fondés sur les indices de productivité et d’efficacité.
Ces critères produisent finalement de l’apathie entre les travailleurs et donc la bureaucratisation des comités d’usine est inévitable.
Quand les comités d’usine bureaucratisés ne disparaissent pas, ils deviennent les nouveaux gestionnaires du capital. C’est ce qui est arrivé au Portugal par exemple, avec diverses entreprises industrielles et agricoles qui se mirent en autogestion après la chute du régime salazariste en 1974.
En août 1975, on estimait à 308 environ le nombre de sociétés en autogestion dans le secteur urbain. Dans le sud, région latifundiaire, de vastes espaces ont été occupés et collectivisés par des salariés agricoles, donnant naissance aux Unités Collectives de Production (UPC).
Dans tous les cas ce fut une solution trouvée par les travailleurs pour éviter le chômage. A cette époque de nombreuses entreprises fermaient parce que déficitaires ou parce que le patron s’enfuyait à l’étranger avec l’argent, par peur du « communisme ».
Ces pratiques autogestionnaires auraient été une grande menace pour le capitalisme portugais si elles ne s’étaient pas limitées à des secteurs relativement périphériques de l’économie. Elles se sont produites principalement dans l’industrie textile, graphique, l’hôtellerie et le tourisme. Les initiatives qui ont émergées dans le domaine agricole sont restées isolées du reste du pays et n’ont pas eu d’autre choix que de faire appel à l’État.
La liaison entre les différents secteurs de l’économie était fondamentale pour créer une réelle autonomie de ces entreprises dépendantes du capitalisme portugais, cela aurait permis l’expansion vers d’autres niveaux de la société et bien plus, par-delà les frontières portugaises.
Cependant, comme le capitalisme portugais se réorganisait avec le reflux du mouvement révolutionnaire, la situation de ces entreprises était devenue de plus en plus difficile. La dépendance qu’elles avaient vis-à-vis des institutions capitalistes correspondait à la fragilité du mouvement qui s’était généralisé mais pas unifié, au point de créer un réseau de relations sociales fondées sur des critères de lutte prolétariens qui pouvaient être imposés pour la réorganisation globale de la société dans une perspective communiste.
L’expérience portugaise, parce-que contemporaine, est d’une grande importance. Elle nous permet de voir que l’un des plus grands obstacles du processus révolutionnaire est aujourd’hui le marché capitaliste.
Lorsque les luttes restent isolées, les expériences autogestionnaires finissent par être encerclées de tous les côtés ; par les marchés de capitaux, le crédit, des produits finis et aussi par les moyens de production (machines, semences, engrais, etc.).
L’internationalisme des luttes se pose dans ce contexte comme un impératif pratique et non comme un slogan qu’on lance au moment des grandes dates commémoratives. L’internationalisation de la révolution n’est pas une nécessité à long terme, mais une question de survie immédiate.
L’autogestion comme expression de l’autonomie de la classe ouvrière face au capitalisme ne peut être vue comme une particularité de tel ou tel autre entreprise/usine. Pas plus réduite à une solution provisoire pour temps de crise.
Autogérer ne signifie pas seulement gérer d’une manière différente un capital productif afin que son produit soit distribué de manière plus équitable entre les travailleurs.
Les pratiques autogestionnaires doivent profondément modifier les relations de travail et détruire la logique de valorisation du capital.
Ce n’est pas un but à atteindre dans la société capitaliste. L’autogestion est un moyen de lutte à travers lequel les travailleurs prennent conscience qu’ils sont capable de gérer la production, de créer de nouvelles formes d’organisation du travail, et de mettre la démocratie ouvrière en pratique.
Il est nécessaire de distinguer le mouvement des travailleurs des commissions qui en surgissent et qui se bureaucratisent à chaque fois que le cours de la lutte n’est pas ascendant. C’est la vivacité du mouvement autonome conjugué à la désagrégation des centres de pouvoir — deux aspects d’un même phénomène qui peuvent permettre la survie des pratiques autogestionnaires.
La légalisation de la lutte ouvrière
Le Droit ne reconnaît pas la lutte anticapitaliste de la classe ouvrière. Il ne reconnaît pas les mouvements autonomes, les occupations d’entreprises et l’autogestion.
Quand, par l’action, la classe ouvrière rompt avec la logique du capital, elle rompt par là même avec les normes juridiques établies. C’est pourquoi la préoccupation de la classe capitaliste est de tenter d’encadrer les luttes par la légalité en vigueur, spécialement quand la répression policière n’est pas la meilleure des solutions.
Ils tentent toutes les solutions. Ils tentent de canaliser le mouvement vers les syndicats reconnus par l’Etat et les patrons, ils tentent de transformer les entreprises / usines autogérées en coopératives, ou encore, de légaliser les commissions d’usine/entreprise en instituant le contrôle ouvrier.
Le contrôle ouvrier c’est quand un groupe de travailleurs est reconnu par la direction d’une entreprise, et qu’il se transforme en co-gestionnaire du capital. On parle de contrôle direct des ouvriers par d’anciens ouvriers. Il est légalisé dans presque tous les pays développés indépendamment de l’existence ou non de luttes.
Le contrôle ouvrier se fonde sur la délégation de pouvoir et non plus sur l’action directe.
On élit des délégués qui vont représenter les travailleurs et participer à la gestion de certains problèmes de l’entreprise / usine.
De manière générale, on les limite à des questions d’ordre interne à l’entreprise, plus directement liées aux problèmes de main-d’œuvre.
La séparation des délégués élus de l’ensemble des travailleurs est inévitable car ils ne sont l’objet d’aucun contrôle par la base qu’ils disent représenter.
Ils finissent donc toujours par se constituer comme un pouvoir qui se situe au-dessus des travailleurs en re-formalisant la relation dirigeants/dirigés qui caractérise toute société d’exploitation.
Pour qu’une entreprise autogérée se sépare de la logique du profit, en initiant le processus d’édification du communisme, il ne suffit pas d’élire des représentants des travailleurs pour participer de la gestion.
Alors que gérer signifie prendre pour soi-même des décisions en tant que personne ou comme collectivité souveraine, ceci en pleine connaissance des informations nécessaires, contrôler ne signifie que superviser ou vérifier les décisions prises par d’autres.
Le contrôle ouvrier implique une limitation de la souveraineté où certains déterminent les objectifs et les d’autres s’efforcent que soient appliquées les méthodes les plus appropriées pour les réaliser.
La légalisation de la classe ouvrière est une des formes les plus efficaces de démobilisation. C’est toujours une forme subtile pour la discipliner. Nous ne pouvons oublier que tout l’ordre juridique capitaliste est, d’un point de vue prolétaire, une légitimation de la violence. Violence de l’exploitation économique, du pouvoir disciplinaire, de la moralité imposée par la classe dominante, du savoir transmis par les moyens de communication, des écoles etc...
Il n’est pas possible de légaliser une lutte autonome, précisément parce qu’elle est la négation de l’ordre que le Droit structure.
La seule pratique prolétarienne qu’il est possible d’encadrer dans système capitaliste c’est sa pratique « d’agent de production » ; de reproducteur du capitalisme. C’est la classe organisée dans l’usine/entreprise par le capital.
Autogestion et technologie
La technologie, ce n’est pas seulement des machines ou des théories sur la rationalisation du processus de travail. C‘est avant tout la cristallisation de relations sociales de production très précises.
Chaque mode de production crée sa propre technologie. Le capitalisme en a développé une qui est venue répondre à ses nécessités d’augmentation de la productivité. L’augmentation de la productivité dans le capitalisme veut dire augmentation de la plus-value relative qui s’obtient grâce à l’augmentation de la quantité de marchandises produites dans un même laps de temps.
En répondant aux nécessités du capital, la technologie capitaliste cristallise et reproduit de manière chaque fois plus profonde la division entre travail manuel et intellectuel, aspects indissociables du travail humain qui le différencie du travail animal.
Cette scission entre le moment de la conception et le moment de l’exécution du travail, détermine la séparation entre ceux qui planifient, organisent et décident, et ceux qui ne font qu’exécuter. Toute société fondée sur l’exploitation reproduit cette division.
La concentration du capital et l’extraordinaire masse de capitaux que la technologie contemporaine exige pour chaque entreprise ont aboutis au développement des sociétés par actions et ainsi à diversifier les niveaux de propriété et de manière générale, à séparer la propriété de la gestion.
Aujourd’hui, le capitaliste traditionnel et particulier devient de plus en plus un simple usufruitier avec un droit sur une partie des profits, mais il est complètement éloigné de la gestion.
Ce sont les technocrates, le plus souvent séparés de la propriété formelle de la société, qui déterminent le montant de la plus-value dont pourra disposer le capitaliste particulier. Cela donne un pouvoir insoupçonné aux détenteurs des connaissances technico-administratives, qui déterminent des changements très importants dans la classe dominante.
Aujourd’hui la classe ouvrière ne lutte pas seulement contre la bourgeoisie privée. Elle se bat aussi contre la technocratie.
J’entends par technocratie l’ensemble des individus qui organisent les conditions générales de la production (moyens de transport, médias, systèmes énergétiques, appareils répressifs, écoles qui forment la main-d’œuvre pour le capital, etc.).
Ce sont encore des individus qui maîtrisent les connaissances techniques des moyens de production et du processus de travail dont le producteur est absent. Ils détiennent le savoir technique de la gestion du processus de production, dont s’écarte le propriétaire privé en proportion de la concentration des forces productives.
Au moment de l’apparition du mode de production capitaliste, la technocratie avait principalement pour fonction l’organisation des conditions techniques générales du capitalisme.
La deuxième révolution industrielle — l’automation — a marqué une nouvelle forme de capitalisme, caractérisée dans les formes de production par les concentrations monopolistes. Dans le rythme de la production, par la soumission du calcul de production au calcul de la distribution (Le Plan) et, dans la base matérielle de production, par la séparation totale du producteur d’avec le processus de travail.
Technologiquement a commencé le développement accéléré des conditions matérielles générales de production. L’unité de production particulière est de moins en moins une unité technologique, elle s’insère dans le processus technique qui englobe et intègre toute l’industrie capitaliste.
Cette séparation des producteurs d’avec le processus de travail a créé un vide comblé par la technocratie qui a permis un saut très important, du champ des conditions générales de la production vers le champ des unités de production individuelles.
Elle a vu de cette manière augmenter le champ de son développement social par le renforcement de l’importance des conditions technologiques générales.
On a vu dans le même mouvement se développer sa fonction sociale qui a comblée la séparation entre le producteur et le processus de travail. Elle avait jusque-là contournée les unités de production particulières, uniquement par les conditions générales de la production, elle pénètre maintenant à l’intérieur même des unités particulières, et achève son développement.
Il s’est créé dans cette première phase, une solidarité d’intérêts entre les représentants sociaux de la nouvelle forme de production (monopoliste) et les représentants sociaux des conditions générales de production et de la nouvelle base matérielle de production fondée sur la séparation du producteur du processus de travail — la technocratie.
Au niveau des formes économiques, l’expression des intérêts communs des deux groupes sociaux sera le plan, à savoir la soumission du calcul de la production au calcul de distribution.
Au début, le rôle de la technocratie était encore réduit. En raison de la manière dont s’est passée l’évolution de la base matérielle du processus de production, la technocratie a d’abord existé dans l’administration et non dans la gestion directe du processus de travail.
Il s’agissait d’une forme encore peu développée de technocratie, très différente de ce que nous connaissons aujourd’hui. Parce qu’ils étaient relativement loin du processus de travail, les technocrates restaient subordonnés à la direction des grands monopoles.
C’est seulement dans les étapes suivantes que la base économique a déterminé le développement de la contradiction entre les technocrates et les propriétaires privés, donnant finalement aux premiers la direction du processus social capitaliste.
Au début, le technocrate était un salarié du propriétaire privé et lui était subordonné, tant en termes de rétribution que dans sa manière de penser et dans sa pratique politique et sociale.
Aujourd’hui elle est une classe tendanciellement dominante, parce qu’ils sont les agents sociaux du passage du capitalisme privé au capitalisme d’État, où est assimilée la bourgeoisie, se reproduisant en bourgeoisie d’État.
Tous ces facteurs mettent en lumière la question technologique. Lorsque la classe ouvrière développe des relations de travail sous une forme autogestionnaire elle se révèle antagonistes au système technologique existant et une solution s’impose :
— Ou la création d’une nouvelle technologie qui réintègre le travailleur dans le processus de travail, et lui permet de contrôler la gestion de la production et, à partir de ce moment-là, toute la vie sociale
— Ou l’utilisation de la technologie capitaliste qui finira par reproduire d’une manière encore plus profonde/extrême l’exploitation et l’aliénation qui caractérisent l’emploi salarié.
Il n’est pas question de mettre de côté tous les acquis obtenus jusqu’à aujourd’hui et accumulés par l’homme. Il est question de les réadapter, de les transformer pour qu’ils se cristallisent en des rapports sociaux de production communiste.
Nous savons qu’une technologie révolutionnaire déterminée par de nouveaux rapports de production ne peut résulter que d’un processus collectif et relativement fastidieux. À ce jour, le rythme de la lutte de classe n’a pas permis que cela arrive.
Tant que la gestion de la production sera entre les mains d’une partie de la société — des compétents — l’utilisation et l’appropriation de la richesse produite sera un privilège de ce groupe. Tant que les fonctions de gestion et d’exécution seront séparées institutionnellement, l’exploitation perdurera.
Penser une société autogérée où le collectif social des producteurs domine la production implique de penser une technologie qui intègre le travailleur dans le processus de travail, tant au niveau de la propriété et au niveau matériel du processus, que sa gestion et son intégration dans le système de connaissances.
Enfin, je tiens à dire qu’il n’y a aucune possibilité de concilier l’autogestion avec le capitalisme, qu’il soit privé ou d’État. Le fait que le gouvernement Mitterrand, en France, l’ai placé dans son programme électoral reflète la tentative de la réduire à une simple technique de gestion de la force de travail, en masquant ses potentialités révolutionnaires.
Dans le même temps, cela montre qu’à l’heure actuelle les luttes qui s’occupent directement ou indirectement des questions de gestion du processus de production sont un fait. Même la classe capitaliste et les gouvernants sont obligés de reconnaître son existence.
Cependant l’autogestion n’est seulement possible que comme désagrégation permanente de l’État et de toutes les institutions capitalistes.
Autonomie ouvrière et partis politiques
A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, le prolétariat a commencé à s’organiser autour de ces institutions unifiées qu’étaient les syndicats de l’époque. L’Association Internationale des travailleurs, fondée en 1864, dont le siège était à Londres, exprimait cette nouvelle réalité. Elle proposait l’unification mondiale de ces organisations créées dans la lutte d’usine.
Ces syndicats n’avaient rien à voir avec ce que nous nommons aujourd’hui par ce terme. Il s’agissait d’organisations anticapitalistes et non de structures bureaucratiques d’intégration des luttes au capitalisme.
L’écrasement de la Commune de Paris en 1871, et la répression massive déclenchée sur le prolétariat, coïncide avec l’apparition des premiers monopoles et du développement d’une classe de gestionnaires technocrates, ont été des facteurs qui ont rendu possible l’émergence des partis ouvriers.
Ils s’appelaient ouvriers parce qu’il s’y trouvaient dans leurs rangs des masses ouvrières. Mais uniquement au niveau littéral du sens, parce que dans leurs fonctions ils étaient identiques aux partis bourgeois. Ils proposaient le contrôle et la gestion de l’appareil d’État séparé de la masse des producteurs qui en restaient toujours éloignés.
Ces partis se sont développés dans toute l’Europe et aussi dans des pays comme les États-Unis et en Australie, par exemple.
À partir de 1899, ils ont commencé à se regrouper dans ce qu’on a appelé la IIème Internationale. Elle a existé jusqu’au début de la Première Guerre mondiale en 1914. Ce fut l’époque glorieuse du réformisme social.
Le parti le plus important de cette organisation internationale était le Parti social-démocrate allemand qui avait le plus grand nombre d’adhérents et comptait sur le fait d’avoir eu le soutien de Marx et d’Engels au moment où il fut fondé. Il avait comme grand idéologue Karl Kautsky, l’un des premiers à faire connaître l’œuvre de Marx en Allemagne. L’influence de ses idées était considérable.
D’une manière générale, nous pouvons dire que les partis que nous connaissons comme étant de gauche aujourd’hui sont tous nés à ce moment là. Tous, d’une manière ou d’une autre restent prisonniers de l’axe idéologique de la IIème internationale, comme ligne dominante.
C’est-à-dire celle de la classique séparation entre le politique et l’économique, où la non-gestion économique par les producteurs s’articule avec la non-gestion du social, du politique.
Cette séparation rend impossible l’extinction du politique qui découle précisément de la fusion de ces deux niveaux. Le communisme ne peut être compris que comme disparition du politique, qui se réalise par la gestion chaque fois plus directe des producteurs sur l’économie et toute la vie sociale en général.
Ceci se produit grâce à la disparition des intermédiaires au niveau économique (les technocrates et les capitalistes privés) et aussi les intermédiaires dans la gestion sociale (les politiciens professionnels).
Il est utopique de penser que le prolétariat pourra prendre le pouvoir politique d’une manière à chaque fois plus directe, sans prendre par la-même la gestion directe du pouvoir économique.
Maintenir la scission entre les niveaux politiques et économiques c’est empêcher que les nouvelles formes par lesquelles se réalisent l’extinction du politique ne se constituent en de nouveaux rapports de production.
Empêcher la mise en œuvre de ces nouvelles relations, empêche le développement d’un nouveau mode de production. En reproduisant encore les catégories du capitalisme , elles reproduisent ce mode de production.
L’axe idéologique de la IIème Internationale, qui est à la base des partis politiques de gauche, se définie dans cette symétrie entre la non-gestion de l’ économique et la non-gestion du politique par l’ensemble organisé de la classe travailleuse.
Ce système réalise idéologiquement les íiterêts de la technocratie qui se pense donc, non pas seulement comme une classe économique, mais comme un groupe politique indépendant aspirant à la direction du processus social. A partir de ce moment-là ces partis se sont considérés comme uniques.
En pratique, la reproduction de la scission économico-politique fonde institutionnellement le Parti et le pouvoir politique. Dans ce processus, il se crée le terrain où les technocrates vont se reproduire en oppresseurs dans le domaine politique, comme classe capitaliste d’État, dans la mesure ou elle possède les moyens de production par le biais de l’appareil d’État.
Ils privilégient un élément sur le tout social, les forces productives (la technologie au sens large), comme l’élément clé de la transition du capitalisme au socialisme. Renforçant ainsi le rôle social des technocrates, dont la raison d’être découle précisément du développement technologique. Simultanément ils défendent la représentation par délégation de pouvoir dans le Parti, en perpétuant ainsi les politiciens professionnels. C’est quand s’élimine toute possibilité d’action directe contre le capitalisme.
D’autre part, la conception de l’avant-garde développée par Kautsky et reprise par Lénine dans son fameux livre « Que faire ? » Se fonde sur la négation d’une pratique prolétarienne anticapitaliste.
En d’autres termes, le prolétariat n’est perçu que comme un « agent de production » dont la pratique est réduite à la création de profit, ce qui implique la reproduction sans fin du capitalisme comme un tout.
Mais, si la classe ouvrière par elle seule n’est pas capable de lutter contre le capitalisme, elle n’est pas non plus en mesure de penser ce combat. Selon Lénine, la conscience révolutionnaire dépend de la connaissance des lois de l’histoire, de l’économie et de la philosophie ; la connaissance à laquelle la classe ouvrière n’a pas accès.
En partant de ce schéma logique, il est légitime de formuler une vision globale critique extérieure à la pratique du prolétariat — la théorie, le socialisme scientifique — fruit de l’effort des intellectuels appartenant à la petite bourgeoisie. On justifie alors la nécessité d’introduire de l’extérieur la théorie du mouvement ouvrier, en attribuant au parti un rôle prépondérant dans ce processus.
Le parti apparaît comme le gardien de la vérité ouvrière. Celui qui doit la diriger et l’organiser à pour but de faire comprendre au prolétaire sa « mission historique » — la construction du socialisme.
C’est de là que vient la prétention des avant-gardistes à diriger les masses, selon les principes doctrinaux du parti. Mais aussi de vouloir subordonner la pratique prolétarienne à ce que le parti définit comme étant le « bon » chemin.
Comme cela est très difficile, ces partis sont toujours minoritaires. Ceux qui ont encore une certaine audience ouvrière fonctionnent plus comme des partis inter-classistes que comme spécifiquement ouvriers. Tel est le cas des partis socialistes et communistes européens, qui ont éliminé de leurs programmes la révolution sociale.
Par ailleurs, dans la mesure ou ces organisations exigent une homogénéisation de la pensée parmi ses militants, les constantes auto-critiques et purges caractérisent tous les partis qui se revendiquent du léninisme.
Privilégier l’action d’une avant-garde au détriment de l’action de classe c’est nier le potentiel révolutionnaire du prolétariat. C’est renforcer l’idée que la société doit nécessairement être divisée entre dirigeants et dirigés. Que la classe ouvrière sans une tutelle ne peut rien faire.
Si l’on considère l’histoire, on constate que ces idées ont toujours été utilisées pour justifier toutes les formes d’exploitation / domination, de l’esclavage jusqu’à l’oppression des femmes.
Quand on met en doute la capacité de la classe ouvrière à s’émanciper par elle-même, on met alors immédiatement en doute sa capacité à gérer l’économie dans la société que l’on prétend construire. Dans cette perspective, le socialisme devient très difficile, voire impossible.
Souvent, on identifie l’autonomie ouvrière avec le spontanéisme, ceci compris comme ligne politique et non comme action de classe.
Parler de spontanéisme c’est reconnaître que le prolétariat lutte indépendamment des partis politiques et des avant-gardes. Il lutte parce qu’il est impossible de ne pas se battre. Il sait que s’il ne le fait pas il peut être rongé par la pauvreté. Nous avons eu la tragédie de Vila Socó à Cubatão pour le confirmer, où des centaines de personnes sont mortes en raison de la précarité des installations d’Oléoducs de la Petrobras.
En fait, spontanéisme ou organisation est un débat inutile et déjà dépassé. Il n’y a pas de lutte sans organisation.
La question fondamentale c’est de ne pas confondre organisation et bureaucratie, mais aussi l’unité de la pratique avec le centralisme démocratique.
Les critiques développées ici ne sont pas limitées aux partis léninistes. Elle s’étendent à tous et à n’importe quel parti politique. Même ceux qui se disent être démocratiques et dont la fonction ne serait pas de diriger les masses, mais d’unifier les différents mouvements sociaux. Ou même ceux qui ne prétendent pas prendre le pouvoir d’État d’assaut, mais conquérir des espaces dans les institutions capitalistes, en particulier le parlement.
Du point de vue de l’autonomie des mouvements, il ne s’agit pas de conquérir des espaces sur le terrain des classes dominantes, mais de les détruire, tout en créant simultanément de nouvelles formes fondées sur la démocratie directe.
Celui qui, au lieu de lutter contre l’État, y participe, renforce et légitime l’existence des conditions du capitalisme.
Toute pratique partidaire se base sur la représentation par délégation de pouvoir.
Mais qu’est-ce que le pouvoir ? Le pouvoir on l’a ou on ne l’a pas. Et quand on le délègue, on cesse de l’avoir.
Cette idée de la délégation du pouvoir n’a pas de sens. C’est la bourgeoisie qui s’accommode des structures du pouvoir dans cette idéologie, et particulièrement la bourgeoisie parlementariste.
Quel contrôle avons nous sur les actions de ceux qui ont été élus pour participer au gouvernement et qui prétendent nous représenter ? Aucun.
Ceux qui ont été élus pour participer au gouvernement — et qui prétendent nous représenter -, quels comptes nous rendent-ils de leurs actions ? Aucun.
Parler de représentation n’a de sens que quand les représentés ont un contrôle effectif de l’action de ces représentants.
Les représentants des travailleurs sont les comités d’usine, les comités d’habitants créés par la base et contrôlés par eux.
C’est seulement dans les organisations résultant de l’action directe et fondées sur la révocabilité permanente de ceux qui ont été élus, qu’il est possible d’assurer la participation et l’exercice de la décision par tous et non par une minorité qui tend à se perpétuer comme telle.
Il est possible d’utiliser les partis, sans nécessairement y adhérer, et se soumettre à des programmes élaborés par des « intellectuels organiques » de la classe ouvrière.
En période de reflux des mouvements sociaux, les travailleurs ont tendance à faire appel aux partis pour obtenir certaines améliorations immédiates.
Mais l’histoire est chargée d’exemples ; quand les luttes se développent, les partis sont rapidement dépassés, parce que la classe ne lutte déjà plus dans le camp capitaliste. Elle développe ses propres organisations.
L’idée que c’est uniquement via le Parti que la classe ouvrière est capable de participer politiquement, et que de nier la pratique partidaire mène à l’immobilisme c’est-à-dire que seuls ses représentants — les compétents — sont en mesure de la mettre sur la scène politique. C’est considérer la classe ouvrière comme « mineure » et incapable de se représenter, et d’avoir à se faire représenter.
Il ne s’agit pas de réformer les partis, pas plus d’en construire un « comme il devrait-être » car c’est par définition, une structure qui est destinée à remplacer la pratique de la classe ouvrière. Celle qui tend à se substituer à elle tant au niveau de la direction de la lutte que dans la gestion de la nouvelle société.
À mon avis, la question qui se pose est la suivante : qui va gérer la production une fois les classes capitalistes vaincues ? Les gestionnaires technocrates et les politiciens se transformant en une unique et nouvelle classe dirigeante ? Ou l’ensemble des travailleurs auto-organisés ?
Si nous pensons que ce sont les producteurs auto- organisés, nous devons admettre que cela ne sera possible que s’il existe les conditions de formes basiques : les organisations de gestion et de contrôle de la production. De plus, si les travailleurs dans le cours de la lutte, ont déjà expérimenté l’auto-organisation, l’auto-gestion économique et sociale est la seule voie à suivre.
D’autre part, dire que le Parti unifie les luttes c’est entretenir une grande confusion. Le parti ne peut unifier des individus qu’ à travers la pratique qu’il développe. Il ne pourra jamais unifier des mouvements extérieurs a lui.
Les défenseurs du Parti considèrent les travailleurs les plus combatifs comme des éléments à préserver pour le Parti dans une « boîte de conserve», comme si l’avant-garde n’était que des individus et non une situation sociale (les prolétaires).
Les individus ne sont pas révolutionnaires par les idées qu’ils affichent, mais par la pratique qu’ils développent. Le prolétaire est révolutionnaire parce qu’il intègre les luttes collectives et commence à penser sa pratique à ce niveau.
Mais faire une critique des partis ne suffit pas. Il est nécessaire de comprendre la grande importance qu’ils ont eu dans l’histoire du mouvement ouvrier. Comprendre le point par lequel s’est effectué une convergence d’intérêts entre des secteurs du prolétariat et les défenseurs de l’action partidaire.
Il s’agit de questions très complexes que je vais seulement effleurer.
Tout d’abord, les partis politiques de gauche, en utilisant un discours ambigu où la socialisation des moyens de production apparaît comme synonyme d’étatisation et la fin du capitalisme comme élimination de la propriété privée, visent à intégrer d’une façon détournée les exploités dans le camp idéologique des nouveaux exploiteurs — les gestionnaires technocrates du capital étatisé.
Identifier la structure du mode de production capitaliste avec les lois du marché concurrentiel. Établir que la disparition de ce marché signifie la disparition du mode de production comme un tout c’est produire un champ de convergence idéologique entre ceux qui veulent mettre fin à toute exploitation et ceux qui pensent seulement la réaliser sous une nouvelle forme — le capitalisme de l’État.
Un des points par lesquels cette ambiguïté se structure c’est la question du plan. Le plan est un calcul élaboré par un collectif et antérieurement à la réalisation de résultats.
Mais ce qu’il importe de définir, c’est qui élabore le plan, qui le détermine.
Nous devons savoir si c’est une planification préparée par l’ensemble des travailleurs auto-organisés et dont la réalisation a lieu sous son contrôle direct. Ou si nous parlons d’une planification résultant de l’action de technocrates et de politiciens qui, séparés des travailleurs, définissent de manière anticipée les intérêts de tous ?
Beaucoup de ceux qui se proclament marxistes-léninistes, dans ses plus diverses versions, confondent l’aspect juridique des rapports de propriété (propriété collective d’État, propriété capitaliste privé) avec l’aspect infra-structurel des rapports de production (socialistes, capitalistes).
Ils en déduisent que de la propriété d’État il en découle des rapports de production communistes, et qu’il est possible d’affirmer que s’il y a propriété d’État et planification, il y a socialisme.
Cependant, c’est la logique même du développement capitaliste qui détermine la concentration de la propriété et du capital par l’appareil d’État.
Par ailleurs, la planification de l’économie fut l’exigence même du capitalisme quand ont surgit les premières concentrations monopolistiques.
C’est le développement technologique capitaliste qui, en accélérant chaque fois plus l’intégration des d’unités de production particulières aux conditions générales de production, permet l’antériorité du calcul de la production par rapport au calcul de distribution.
De nombreux courants marxistes-léninistes et sociaux-démocrates présentent le plan comme une forme de contrôle social sur la production. Ils voudraient faire croire que la classe ouvrière aurait le contrôle de la structure économique en éliminant ainsi l’anarchie de la production capitaliste et en réalisant une production dirigée vers la satisfaction des besoins sociaux.
Mais ici nous nous heurtons de nouveau à la question technologique.
La technologie développée sous le capitalisme est basée sur la lois de la valeur. Le développement technico-scientifique découle de la nécessité d’un temps de travail toujours plus réduit. En conséquence, le développement des forces productives c’est le développement de la mécanisation qui, par son propre principe fondamental, éloigne les producteurs d’une quelconque forme de connaissance de son environnement de travail et du processus de production.
Il est inutile de dire que, sans la connaissance du processus de production, il ne pourra y avoir aucun contrôle, ni ré-appropriation de ce qui est produit par le producteur.
A partir de la technologie capitaliste la société ne peut jamais s’auto-contrôIer. Le contrôle social ne peut exister que dans une société non divisée par des antagonismes. Dans le cas contraire, la forme du contrôle sera toujours celle d’une partie de la société sur une autre.
Tant que le contrôle de la production sera dans les mains d’une partie de la société — des compétents — l’utilisation de la plus- value sera le privilège de ce groupe.
D’autre part, si le développement de la technologie capitaliste accroît la collaboration entre les travailleurs parce qu’il soumet un grand nombre de travailleurs par unités de production toujours plus grandes et intégrées entre elles, ce travail n’est social que dans le sens ou l’était celui des esclaves qui construisaient les pyramides d’Égypte, ou encore le travail des prisonniers condamnés aux travaux forcés.
Ce n’est pas un travail social socialiste parce que la séparation entre l’homme et la technique n’a pas été abolie, pas plus que les rapports d’exploitation.
Tant que les fonctions de gestion et d’exécution seront séparées dans des structures distinctes, l’exploitation perdurera. Que le gestionnaire technocrate reçoive une partie de la plus-value qui lui revient du capitaliste traditionnel ou qu’il l’obtienne à travers le contrôle de l’appareil d’État propriétaire des moyens de production, cela ne modifie que la forme juridique par laquelle se réalise l’exploitation.
Penser le plan à partir de la technologie capitaliste et vouloir étendre le contrôle des gestionnaires à toute la vie sociale qui sont le produit du développement accéléré des forces productives, c’est le brillant futur de son existence de classe.
Penser la société socialiste comme domination collective des producteurs sur l’économie, c’est penser le plan comme découlant de relations sociales égalitaires qu’établissent les travailleurs dans leur pratique de lutte.
C’est penser une production déterminée par ces relations à une technologie qui soit l’expression matérielle de cette domination du social sur l’économique.
Nous ne pouvons parler de domination du social sur la production que lorsque le critère de celle-ci ne sera plus le temps de travail qui cesse alors de fonctionner comme un élément de comptabilité de base.
Lorsque la valeur d’usage social, ou sa valeur, non pour des individus particuliers mais quand son institutionnalisation sociale, sera le critère fondamental et dominant.
Nous traitons ici de ce qu’un auteur de l’Autonomie João Bernardo, a appelé dans son livre Pour une théorie du mode de production communiste, la Loi de l’institutionnel. Ce serait la loi nucléaire du mode de production communiste, autour duquel se développera la nouvelle société.
Dans ce texte j’utilise le mot socialisme, et non celui de communisme, en raison de l’association quasi immédiate qui est faite entre ce dernier et le système en cours en Union soviétique.
Mais ce qui est important de souligner c’est que s’il persiste une scission entre les producteurs et les re-producteurs de richesses, d’une part, et ceux qui se l’approprient et décident de son utilisation, l’exploitation est alors évidente. Que cela se fasse d’une façon planifiée ne change rien.
Plan est un mot vague peu éclairant. Il peut englober sous la même terminologie des intérêts de classes antagonistes et des projets contradictoires de société. Un autre problème qui est à la source de cette ambiguïté c’est la question de la propriété sociale. Quelle est la signification de ce social ?
Une chose est d’éliminer la propriété des moyens de production par une minorité en étendant cette propriété collective (collective de cette classe, soyons clair) sans que les mêmes ne soient socialisées avec l’ensemble des travailleurs.
Sous cette forme, la fin de la propriété privée bourgeoise n’est pas la fin du capitalisme, mais la réalisation du capitalisme d’État.
C’est la reproduction de la séparation des producteurs d’avec les moyens de production et du produit du travail.
Aucun Parti ne peut gouverner par les travailleurs, mais seulement sur eux et contre eux. Si aucun pouvoir n’est exercé par nous il est exercé sur nous, il ne suffit pas de remplacer les patrons privés par l’État-Patron
C’est cette ambiguïté du mouvement ouvrier qui a permis des points de convergences entre le prolétariat et les défenseurs du capitalisme d’État, et pas le résultat de la naïveté des masses travailleuses.
En fait, les mots ne se distinguent pas de ce que la pratique sociale n’a pas réussit a différencier en premier. Par exemple : il a fallu de nombreuses années d’expérience pour que nous puissions comprendre la différence fondamentale entre la socialisation des moyens de production et l’étatisation, entre la propriété sociale et la propriété d’État .
L’existence de groupes de résistance et de lutte en Union soviétique, la lutte des travailleurs polonais organisés dans Solidarnosc, a augmenté l’intervention de l’État dans l’économie ces-dits pays.
Aujourd’hui la société socialiste ne peut être pensée que comme extinction de l’État qui se réalise par la gestion chaque fois plus directe par l’ensemble des producteurs de l’économie et la totalité de la vie sociale.
Par l’élimination des intermédiaires au niveau économique (managers technocrates et les capitalistes privés) et les intermédiaires de la gestion sociale (les politiciens professionnels).
La construction du socialisme implique la destruction du Parti, parce que cela signifie la fin de la séparation entre le politique et l’économique.
L’alternative me semble claire : soit les travailleurs gèrent directement l’économie et le niveau politique desquels disparaissent les intermédiaires. En créant dans ce processus des nouvelles formes sociales qui constituent les conditions du développement du socialisme. Ou bien la séparation perdure en se développant dans un processus qui reconstitue le mode de production capitaliste sur de nouveaux modes, le capitalisme d’État.
Défendre la théorie de l’avant-garde, aujourd’hui, c’est défendre la subordination du mouvement ouvrier au contrôle idéologique et organisationnel de la technocratie et des spécialistes de la politique qui aspirent à la nouvelle et unique classe dominante.
Lorsque tous les travailleurs d’une entreprise ou tous les habitants d’un quartier luttent et décident collectivement de leurs problèmes, ils gardent en main le pouvoir de décision, en développant leur cohésion et leur conscience révolutionnaire.
Ils développent dans cet acte leurs organisations : les commissions autonomes, en rotation, avec révocabilité des charges, qui tiennent des assemblées générales avec des axes de décision. Il est nécessaire de préciser que l’assemblée générale n’a de sens que si elle est précédée par de vastes discussions sectorielles, régionales, etc . On ne peut pas décider de quelque chose que l’on ne connait pas. La circulation de l’information est la garantie de la démocratie ouvrière.
Décider dans une assemblée générale est bien plus que lever ou baisser le bras. C’est prendre des résolutions, définir des lignes d’action, en pleine connaissance des difficultés, des alternatives possibles, et des objectifs à atteindre.
C’est dans ce processus que le prolétariat, pôle exploité de la contradiction sociale, se constitue en sujet de la transformation, en se redéfinisant d’exploité en non- exploité.
C’est ainsi que l’expression « dictature du prolétariat», perd tout son sens, parce que dans le processus de développement de l’autonomie ouvrière, le prolétariat s’élimine en tant que classe. Il élimine le niveau politique parce qu’il détruit le représentativité de la délégation de pouvoir.
La fin de la classe ouvrière n’est pas un objectif à atteindre dans le nouveau mode de production. Au contraire, le processus a lieu dès le début de la lutte.
C’est ainsi que la problématique de la transition perd son sens.
Conçue comme une sorte de pont qui permettrait le passage vers le communisme, elle a servi à légitimer la reproduction des inégalités typiques des sociétés d’exploitation.
Les relations socialistes qui prennent effet immédiatement sur le terrain découlent de la résolution de la contradiction capital / travail. La forme de réalisation de ces nouveaux rapports de production est l’ensemble organisé des comités d’usine, dont la défense ne peut résulter que de l’armement général des travailleurs sur leur lieux de travail et d’habitation.
C’est seulement dans les mains des intéressés que les armes peuvent défendre la démocratie.
La résolution de la contradiction du capital / travail signifie la fin de l’appropriation du travail par le capital, il en résulte l’abolition de la loi de cette appropriation — la loi de la valeur.
Autonomie ouvrière et syndicat
Le syndicat, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est plus l’organisation des travailleurs en lutte contre l’exploitation. Dans le monde contemporain, il est devenu la grande institution de l’encadrement des travailleurs dans la dynamique du capitalisme.
Il s’agit d’une fonction structurelle qui ne peut être confondue avec le fait que certaines directions syndicales soient plus ou moins combatives, ou plus ou moins « pelegasées ».[4]
Quand le capitalisme est entré dans sa phase monopoliste, la planification de l’économie est devenue une exigence pratique.
Les capitalistes ont créé leurs organes de planification, des aspects de la production et de la circulation des marchandises. Vint ensuite la nécessité de planifier la répartition de la main-d’œuvre, et son niveau de salaire. Ces organismes sont les syndicats d’aujourd’hui.
Le syndicat est souvent compris comme l’organisation des travailleurs pour la défense de leurs salaires. Alors que les classes capitalistes cherchent à augmenter le taux d’exploitation des travailleurs, les syndicats cherchent souvent à le réduire avec des augmentations de salaire.
Lorsque cela se produit nous pouvons dire qu’en terme de plus-value absolue (augmentation des heures de travail, réduction des salaires) le syndicat est en train de défendre les travailleurs.
Mais en termes de plus-value relative (modernisation des machines, augmentation de l’intensité du travail), les syndicats finissent toujours par céder aux intérêts du capital.
Si la reproduction du capital est basée sur l’augmentation permanente de la productivité, sur le passage constant de la plus-value absolue vers la plus-value relative, nous savons que les objectifs des syndicats coïncident avec ceux du capitalisme.
La célèbre Négociation Collective du Travail[5] est l’un des aspects les plus importants de l’intégration du syndicat dans le capitalisme. Ce que ces contrats ont de neuf ce n’est pas à proprement parlé les éventuelles augmentations de salaires, mais le fait que ces hausses se produisent à la même époque de l’année et constituent un compromis du syndicat pour ne pas lutter pendant une période de temps donné.
En ce sens, la négociation collective du travail est un élément de la planification de la force de travail, qui sert peu la lutte du prolétariat contre l’exploitation.
Dans le capitalisme qui se développe sous l’influence nord-américaine les syndicats font totalement partie de la lutte du secteur II de la production (biens de consommation) contre le secteur I (matières premières, moyens de production et les biens d’équipement).
Les capitalistes du secteur de la consommation ont tout intérêt à l’augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs, car ils ont besoin de l’expansion permanente du marché de la consommation privée.
Ce sont les capitalistes liés au secteur I qui souhaitent absolument baisser les salaires. Il est logique, de manière générale, que tous les capitalistes sans exception aient comme objectif la diminution de la valeur de la force de travail.
Cependant, nous pouvons dire qu’il y a une divergence d’intérêts entre les capitalistes qui appartiennent aux deux secteurs. Ces divergences ont tendance à s’accentuer en temps de crise économique et les syndicats se trouvent toujours du coté des entreprises du secteur II.
Nous pouvons trouver un exemple de cela en Allemagne en 1933 lorsque les entreprises du secteur I et la technocratie qui lui était lié (National-socialiste) prennent le pouvoir absolu contre les entreprises produisant des biens de consommation et contre les syndicats contrôlés par les sociaux-démocrates.
Cette divergence entre les secteurs de la classe dominante doit être vue de manière dynamique car, à partir d’un certain niveau, le secteur I a des intérêts identiques à celui du secteur II, une fois que celui-ci constitue un marché de ses produits.
Le point important dans cette séparation, simplifiée, c’est de nous permettre de comprendre de quelle manière le syndicat réalise les intérêts du capitalisme.
Dans les pays capitalistes d’État tels que la Chine, l’Union soviétique, la Pologne, les syndicats sont totalement différents. Intégrés à l’appareil d’État, leurs fonctions sont simplement répressives.
Dans les pays développés qui composent le dénommé monde occidental, l’importance de l’industrie orientée vers la consommation privée (nourriture, vêtements, appareils électroménagers, etc.) détermine la nécessité d’une réévaluation constante des salaires et il est nécessaire que les désaccords et les mouvements des travailleurs ne dépassent pas les limites consenties par les capitalistes.
Ce sont les syndicats qui cherchent à contrôler les travailleurs, en canalisant leurs luttes pour qu’elles ne soient rien de plus que la périodique expansion du marché de la consommation privée.
Au Brésil, où l’hétérogénéité de la main d’œuvre est très forte, le faible niveau de syndicalisation et l’économie ne sont pas axés sur le développement d’un important marché de consommation privé. Le syndicat a plus fonctionné comme un organisme de rétention des luttes et éventuellement d’assistance.
Ce n’est que lorsque la classe ouvrière lutte directement ou hors du syndicat qu’elle crée de nouvelles organisations comme une caisse de grève, une commission d’usine, des comités de grève, ou ce type de structures que de nombreux dirigeants syndicaux les qualifient démagogiquement de parallèles.
Cependant, il ne peut y avoir aucun parallélisme entre des organisations qui s’opposent.
Syndicat vertical, bureaucratisé, organisé par catégorie professionnelle, liée à l’État, « authentique » ou pas (les adjectifs en soi ne définissent rien), et les commissions d’usine fondées sur l’action directe, ne suivent pas des chemins parallèles. Il ne suivent pas non plus les mêmes objectifs.
Il ne peut y avoir parallélisme qu’entre des structures similaires. Dans le cas contraire, ce qui existe c’est de l’antagonisme, le développement de l’une implique l’assimilation /destruction de l’autre.
Nombreux sont ceux qui défendent la subordination des commissions d’usine au syndicat. Mais au Brésil cela signifie les subordonner directement à l’État, puisque le syndicat lui est lié.
D’autre part, il est utopique de croire que les lois et décrets peuvent assurer la survie des commissions d’usine combatives. Une commission doit avoir la reconnaissance des travailleurs qui l’ont élu. C’est de là que vient sa légitimité et sa force.
Une commission qui demande la reconnaissance de l’État ne peut être que privée de base ouvrière. On ne demande pas de légitimité à l’ennemi.
L’ennemi se combat. D’autre part, il ne sert à rien de lutter pour un syndicat dégagé de L’État si sa forme d’organisation reste hiérarchique et bureaucratique. Si tous les travailleurs restent coupés des processus de prise de décision. S’il n’y a pas de mécanismes de contrôle direct des travailleurs sur l’action de ses représentants élus.
Dans les pays développés les syndicats sont libres dans le sens où ils ne sont pas liés juridiquement à l’État. Mais ce n’est pas pour autant que ces syndicats défendent les intérêts réels des travailleurs.
Le rôle intégrateur des syndicats, que je viens de souligner, se reflète dans leur structuration interne. Avec leurs présidents, directeurs, secrétaires, trésoriers, ils reproduisent la même forme d’organisation existante dans toute entreprise capitaliste.
Bien que les dirigeants syndicaux soient des ouvriers à l’origine, ils finissent par défendre les intérêts de l’organisation au détriment des intérêts de la classe ouvrière, parce qu’ils se trouvent éloignés de la vie quotidienne de l’usine.
Les fonctionnaires syndicaux ne sont plus exploités par les capitalistes. Ils ne sont plus menacés par le chômage. Ils s’asseyent dans leurs bureaux à des postes relativement stables. Ils sont préoccupés par bonne marche de l’organisation qu’ils dirigent et contrôlent.
Dans les pays industrialisés, le syndicat s’est transformé en patron. En République Fédérale Allemande, c’était pratiquement la totalité de l’appareil syndical. En 1974, la fédération syndicale a créé une société Holding pour contrôler la plupart des sociétés qu’elle possède.
Les actionnaires des entreprises sont les syndicats eux-mêmes et ils contrôlent également les coopératives de consommation. Ses administrateurs sont nommés directement par les dirigeants syndicaux et ne sont pas des ouvriers. Au contraire, ce sont des technocrates.
Comme groupe économique, ces entreprises employaient en 1982, 40.000 salariés. Les dividendes et intérêts perçus en 1977 ont dépassé les 5,4 milliards de marks (équivalant à l’époque à 2,2 milliards $), et ses actifs étaient de 25 milliards de dollars.
En Israël, la confédération syndicale est le deuxième plus grand employeur du pays, L’État étant le premier. En 1977, les exportations des entreprises qui étaient la propriété des syndicats représentaient environ 50% des exportations totales d’Israël.
Aux États-Unis, en 1979, les syndicats détenaient 13,7% de des Holliday Inn ; 13,6% de K Mart ; 12,6% de Delta Air Lines ; 11,4% de J. C. Penney. Cela a été possible grâce à l’utilisation des fonds de pension de retraite des salariés.
Le syndicat minier United Mine Workers of America détient la National Bank of Washington. En outre, il existe de nombreux cas où le syndicat impose des sacrifices salariaux aux travailleurs de l’industrie avec des problèmes financiers sous la menace de fermeture et de licenciements collectifs.
Il y eu un cas curieux avec le syndicat de la métallurgie Independent Steelworkers Union, qui souhaitait acheter une des installations sidérurgiques de l’entreprise National Steel Corp. Ses 9000 employés se sont engagés en Mars 1983 à accepter une réduction de 32% des coûts salariaux. Cela aurait signifié une économie de 120 millions de dollars par année si la transaction était faite.
Il existe des exemples similaires dans de nombreux pays européens, mais je pense que ceux qui sont mentionnés sont suffisants pour montrer le mécanisme par lequel le syndicat se transforme en patron.
En réalité, l’absence de grèves et de combats importants dans les pays développés au cours des dernières années a permis aux syndicats d’utiliser l’argent perçu pour renforcer leur rôle économique dans le capitalisme.
Le capitalisme des syndicats résulte de l’utilisation par les dirigeants syndicaux de sommes extorquées aux travailleurs pour développer la propriété des syndicats.
Dans aucun de ces cas il n’est question de processus autogestionnaire ou même de participation à la gestion de ces entreprises. Il ne s’agit que d’appropriation du capital par la bureaucratie syndicale, où le prolétariat n’a aucune participation.
Dans les pays moins industrialisés, où le marché du travail est plus hétérogène, le syndicat n’a pas de pouvoir au niveau national.
Cependant, dans les secteurs industriels où la force de travail est plus homogène et le marché du travail réglementé, il se développe un processus identique à celui des pays développés.
Le cas du Venezuela, pays exportateur de pétrole, en est une bonne illustration. La plus grande banque privée — la Banco de los Trabajadores — est principalement contrôlée par la fédération syndicale CTV. Le gouvernement ne possède que 30% de cette banque.[6]
Là où se développe le capitalisme des syndicats se développe de nouvelles formes de relation entre le syndicat et la classe ouvrière.
Comme nous l’avons déjà vu, les syndicats cherchent traditionnellement à encadrer les mouvements et à les orienter avec comme l’objectif de leur enlever tout aspect révolutionnaire. D’autre part, ils utilisent les travailleurs comme moyen de pression auprès du patronat, en ayant en vue de renforcer le poids et l’influence des syndicats.
Mais dans la mesure ou ils se transforment en propriétaires, d’importantes modifications se produisent :
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Les syndicats eux-mêmes deviennent des patrons d’une main-d’œuvre importante. En temps de crise, le syndicat -patron, comme tout autre patron capitaliste, tend à réduire les salaires et à licencier les travailleurs.
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En se transformant en propriétaires, les syndicats obtiennent des éléments de pression auprès des autres capitalistes, leur permettant la dé-mobilisation des travailleurs.
Mais le syndicat ce n’est pas seulement le sommet de la direction mais aussi sa base. Le problème des dirigeants c’est que bien souvent ils sont incapables de contrôler « les excès » de la base. De plus, de manière générale le mouvement ouvrier est toujours une menace pour les bureaucraties syndicales, parce que rien ne garantit que son encadrement puisse être un frein véritable à l’expansion révolutionnaire d’un mouvement.
En ce sens, ils cherchent à utiliser d’autres moyens de pression sur le patronat. La force économique que contrôle les syndicats leur permet cela.
Dans les confrontations avec les capitalistes privés, ce n’est plus la grève qui est utilisée comme arme, mais la manœuvre financière et le boycott économique permis par le montant du capital investi dont ils disposent.
Ces syndicats affrontent maintenant le patronat non sur le terrain des exploités mais à l’intérieur du processus de la relation inter-capitaliste.
En résumé, les syndicats aujourd’hui sont des organes de gestion capitaliste qui organisent et planifient la force de travail. Plus haut est le degré d’homogénéité atteint par la classe ouvrière, plus est efficace cette activité.
Le syndicat exprime et reproduit l’aspect de la pratique ouvrière intégrée dans le capitalisme, organisé par lui. Les organisations qui découlent de luttes autonomes expriment leur pratique anti-capitaliste, et son auto-organisation.
L’unité du prolétariat ne résulte pas de la discipline d’usine, de l’organisation de la classe ouvrière par le mécanisme de la production capitaliste. Cela ne peut qu’encourager la soumission et la division de la classe, parce qu’elle l’organise comme une extension de la machine, instrument vivant de la technologie qui la domine.
L’unité révolutionnaire du prolétariat résulte de la lutte collective contre cette réalité.
[1] Il est possible de lire ouvrière et / ou prolétaire.
[2] La Commune de Paris (1871), dans la Révolution Russe (1917), ans la Révolution Allemande (1918/19), dans la Révolution Espagnole (1936/39), etc..
[3] Vient de « Pelego » : Le terme a été popularisé dans les années 1930 au Brésil . Dirigeant syndical — corporatiste proche du gouverment Getúlio Vargas — est passé dans le langage courant comme traître et allié du gouvernement et des patrons .
[4] Contratação Coletiva do Trabalho (CTT)
[5] Nous traduisons littéralement d’après et créons : Vient de « Pelego » : Le terme a été popularisé dans les années 1930 au Brésil . Dirigeant syndical — corporatiste proche du gouvernement Getúlio Vargas — est passé dans le langage courant comme traître et allié du gouvernement et des patrons .
[6] (Les données relatives au capitalisme des syndicats ont été prises à partir d’un texte photocopié par un auteur portugais João Bernardo. Vous pouvez le trouver à la ( biblioteca de Pós-Graduação da PUC/SP e na biblioteca da Fundação Getúlio Vargas.)