#title Lettres d'insurgé-e-s #author Sophia Nachalo #SORTauthors Sophia Nachalo, Yarostan Vochek, #SORTtopics correspondence, #date 1976 #source Traduction originale #lang fr #pubdate 2019-01-19T14:38:45 #notes Initiallement publié par Black & Red Press, Detroit, 1976. Traduction en français en cours par Bus Stop Press, 2016-2019. * Première lettre de Yarostan

Chère Sophia,

Pardonne moi pour t'adresser avec une telle familiarité, comme a une amie. Je n'ai aucun moyen de savoir si tu es toujours la personne que j'ai connu. Je ne peux pas me souvenir du son de ta voix, de la forme de ton visage ou de la sensation de ta main. Je me souviens vaguement d'admirer l'énergie et l'intelligence chez quelqu'un de si jeune, mais regrette que tu n'ai pas laissé une empreinte plus durable, que tu ne sois pas devenue mon guide pendant mon voyage en enfer. Je ne me serai pas souvenu de ton nom si tu ne m'avais pas écris il y à douze ans. Ma femme Mirna a mémorisé ton nom et l’adresse sur l'enveloppe parce qu’elle attribuait à la lettre un pouvoir étrange. Il est dommage que je n'ai jamais vu cette lettre ou découvert son contenu. La raison pour laquelle je t'écris est en partie due au fait que les activités de notre police omnipotente et omnisciente ont été interrompues. Les lettres ne sont plus lues par les yeux de lynx des censeurs, et celles et ceux qui les écrivent ne sont plus escorté.e.s hors de leur maison par des visiteurs au milieu de la nuit. Enfin c'est ce qu'on m'a dit. Je veux y croire. Mots rebelles, ou même des gestes deviennent plus fréquents et je n'ai pas vu ou entendu parlé d'arrestation de rebel.le.s. Quelque chose est en train de changer dans cette ville, dans ce pays, et je ne sais pas si ce changement est permanent. Ce changement a ravivé mon intérêt pour mon environnement, en mes camarades, en moi même, en toi. S'il n'y a pas de changement, et s'il s'agit d'une autre illusion ; si je n'écris pas à Sophia mais à un.e bienveillant.e protecteur.ice des véritables interprêtes du peuple, un.e censeur, alors je préférerai être de retour en prison que « libre. » Il n'y a pas de joie dans une telle liberté. Une vie comme ça est pleine de terreur, et les seul.e.s à en être libre sont celles et ceux qui sont déjà en prison. Si le changement qui a lieu autour de moi est une illusion ou un piège, alors je ne me soucie plus d'être arrêté à nouveau. Même en cellule d'isolement, un.e prisonnièr.e torturé.e par l'humidité et les rats est conforté.e par l'idée que d'autres y ont survécues, qu'illes n'ont pas été écrasé.e.s par des murs mouvants ou des plafonds descendants. Mais les « citoyen.ne.s libres » policé.e.s ne peuvent jamais se débarrasser de la peur qu'illes pourraient être tiré.e.s de chez elleux à n'importe quelle moment, ou qu'illes soient, qu'importe qui les accompagnent, que toutes leurs amitiés et entreprises pourraient soudainement s'arrêter ; que la porte d'entrée de leur maison peut se faire enfoncer à minuit ; que le plafond de leur chambre pourraient commencer à leur descendre dessus pendant qu'illes dorment. Dans un contexte ou n'importe quel mot ou geste peut mener à l'effrayante arrestation, il n'y a pas de liberté. Dans un tel contexte, des êtres vibrant de cette volonté de vivre sont transformé.e.s en celles et ceux pour qui la mort n'est pas pire qu'une vie marquée par la terreur de la mort. Les prisons et les camps ne contiennent pas seulement celles et ceux à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur. Chaque être humain transformé en prisonnièr.e ou gardien.ne. Je ne place pas la faute sur les guardien.ne.s de prison. Illes sont seulement des travailleur.se.s. Illes ne sont pas des choses inanimées, murs de ciment qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni penser. La plupart d'entre elle.ux n'ont pas choisi leur travail, et fini.e.s là parce qu'illes pensaient qu'illes n'avaient pas d'autre choix. J'ai passé un total de douze ans derrière des barreaux et des grillages, et n'ai jamais rencontré un gardien dans lequel je ne me suis pas partiellement reconnu moi même. Je n'ai jamais rencontré de garde qui aurait rêvé que la patrouille quotidienne d'une cours de prison soit l'apogée de leur quotidien. Très peu de ceux que j'ai rencontré ont avoué ne jamais avoir rêvé, jamais s'être imaginés fiers de projets entrepris avec un.e ou plusieurs véritables ami.e.s. Est-ce que nos points de départs étaient les mêmes et qu'à un moment nous aurions été interchangeables ? À quel point chacun.e d'entre nous a contribué à ce que chacun.e des autres a vécu ? Si un garde a jamais rêvé, était-ce de prisons et de camps et était il déjà là mon emprisoneur-en-devenir ? Je ne peux pas te dire que je n'ai pas réussi à t'écrire plus tôt parce qu'il y avais des censeurs. J'aurai pu trouver des moyens de te contacter sans envoyer une lettre à travers leurs mains. J'aurai également pu trouver des astuces simples pour camoufler l'origine de la lettre, sa destination et son contenu et l'envoyer furtivement au delà du regard omniscient des censeurs. Ça fait maintenant trois ans depuis qu'illes m'ont relâché. Pendant les deux premières années je n'étais pas capable de rester en place assez longtemps pour écrire une lettre. Il s'agit apparement là d'une maladie qui affecte nombre d'individu.e.s libéré.e.s après de long emprisonnements. Quand le jour de ma libération était tellement lointain que je pensais ne pas vivre assez longtemps pour y arriver, j'étais capable de formuler clairement et distinctement des idées ordonnées dans une logique impeccable. Pendant des conversations avec d'autres détenu.e.s ou dans mon imagination, j'ai composé des livres les uns après les autres pour dévoiler les pratiques dérangées qui saisissent un champ conçu pour un jardin et y construire un camp de concentration. J'ai pensé que tout ce dont j'avais besoin était une table et une petite pièce, une plume, du papier et occasionnellement un repas, pensant que les idées viendrais d'elles même. Quand je suis arrivé chez nous, en moins d'une demi-heure après ma libération, je me suis précipité hors de la maison et ai passé le reste de la journée à marcher en rond. Ce n'était pas parce que je voulais voir ce qui avait changé lors de mes huit années d'absence. J'ai même évité l'étude de ces changements et orienté mon regard vers le sol. J'étais bien trop familié avec l'état d'esprit dans lequel ces changements avaient pris place. Je ne voulais pas non plus voir ou communiquer avec des gens qui n'étaient pas des détenu.e.s. Illes étaient tou.te.s étranges pour moi, presque une autre espèce, et je les évitais. Les camarades que j'avais laissés à l'intérieur me manquaient. Nous avions partagé des intuitions et des peines, une vision commune du monde, un même ennemi et les mêmes espoirs. Je n'aurai plus pu m'imaginer devenir un imbécile auto-policé qui aurait volontairement mis fin à son sommeil de manière à se rendre à l'atelier à huit heure du matin seulement pour passer la journée à volontairement faire un quota de pièces que des planificateurs et managers auraient assigner à « sa » machine. En prison, une telle idiotie caractérisait les nouveaux venus, et s'ils n'étaient pas rapidement soignés par d'autres détenus, ils devenaient alors des outils de l'administration pénitentiaire, ou bien leurs stupidité étaient tellement abusée par des gardes sadiques qu'ils en devenaient fous ou mouraient de surmenage. Pendant deux ans après ma libération, j'étais incapable de m'exprimer par aucun moyen. J'étais « désorienté » et avais besoin de temps pour « m'adapter à la liberté.» Je m'étais habitué à la routine des repas, du travail, des gardes, et je m'étais attaché à mes camarades, à nos conversations et disputes, à nos entreprises communes imaginaires et à nos évasions époustouflantes. Cela me manquait. J'étais un exilé, un étranger parmi des gens dont les activités me paraissaient incompréhensible, dont je ne pouvais pas parler ou comprendre le langage et dont je rejetais la sympathie ou le contact parce qu'illes me semblaient condescendant.e.s et hypocrites. Bien sûr que je comprenais déjà que les usines sont des prisons, les contremaitres ne sont pas si différent des gardiens de prison et que la peur d'être renvoyé ou expulsé apporte autant de terreur que celle de la cellule d'isolement ou la déportation. Pendant ces deux années cependant, je me suis concentré sur les différences entre les deux situations. Les prisonniers que j'avais connu avaient réprimés les mots et les gestes à la vue d'un fusil, mais avaient retrouvés leur humanité au retrait de cette force répressive. Parmi celles et ceux du dehors, je me suis rendu compte d'une toute autre forme de répression : l'auto-repression.. Mon voisin de pallier, M. Ninovo fais le ménage dans un bar. La première fois que je l'ai rencontré, j'ai souri et dis « bonsoir. » Quand il a manqué a répondre à ma salutation, je me suis excusé en disant que « la soirée n'allais certainement pas être bonne pour une personne qui va la passer à nettoyer après des bureaucrates ivres. » Il me répondit en hurlant « vous autres n'êtes que des fauteurs de troubles ! Illes n'auraient jamais du vous libérer !» J'eu l'envie soudaine de le gifler, la même envie que j'avais ressenti en prison envers un informateur. Mais je lui ai tourné le dos et suis parti. D'après Mirna, M. Ninovo aime son travail, admire le président et est fier de « son » pays. Il apprécie d'écouter à la propagande officielle à la radio. Il a passé sa vie à nettoyer la crasse du bar après les client.e.s et en est satisfait. Je n'ai jamais rencontré personne comme lui en prison. J'étais porté vers le désespoir par la pensée que M. Ninovo n'était pas l'exception mais la règle. Il me semblait que les dernièr.e.s êtres humains étaient en train de mourir en prison et dans des camps et n'auraient pas d'héritier.e., pendant qu'une horrible mutation de l'espèce prenait place à l'extérieur. J'ai pensé au suicide, ou à trouver un moyen de revenir à ma cellule de manière à vivre mes jours parmi des camarades et mourir parmi des humains. Ces visions d'horreur sont des utopies inversées. Récemment, Yara, ma fille de dix ans à mis fin à stupeur, mon « égarement. » Ma condition commença à s'améliorer au moment ou elle entra dans la maison. Ses gestes exprimaient la fierté découverte en achevant quelque chose de grand. Je n'avais plus vu depuis des années la joie sans qualification et sans honte qui illuminait son visage. Sur sa poitrine étaient accroché une feuille de papier avec les mots « rendez nous notre professeur ! » « Qu'est-ce qui est arrivé à ton professeur ? » J'ai demandé. « Illes nous ont dit qu'il avait disparu, mais mon amie Julia a écris un signe qui disait « les gens ne disparaissent pas, quelque chose leur arrive ! » « Qu'est-ce qui leur arrive ? » j'ai demandé. « La même chose qui t'es arrivé à toi, il a été arrêté » « Combien d'entre vous ont protesté ? » « Tout les enfants de l'école, » me répondit Yara avec enthousiasme. « tout le monde chuchotait là dessus pendant la matinée, et après le déjeuner, nous sommes tous retourné dans la cours de l'école. Pas un.e seul.e écolier.e n'est retourné en classe. » « Comment tout ça a commencé ? » J'ai demandé. « Les autres professeur.e.s étaient illes fâché.e.s qu'il se soit fait renvoyé ? » « Les autres professeur.e.s semblaient tou.te.s content.e. qu'il ai disparu, » me dit Yara. « Hier, moi et trois autres de ma classe avons fais des pancartes et ce matin nous avons dit aux autres que nous les porterions dans la cours de l'école. On leur a dis de ne pas le faire savoir aux professeur.e.s. Je l'aimai et j'ai pleuré quand il s'est fait remplacer par un autre professeur qui ne voulait pas nous dire quand il reviendrait et qu'il avait disparu. Beaucoup d'enfants l'aimaient, et si nous n'avions pas commencé à faire des pancartes, d'autres l'auraient fait, parce que la cour en était pleine. » « Mais quand est-ce que toi et tes ami.e.s ont appris à faire ce genre de choses ? » « Tu veux dire des manifestations ? On nous raconte toujours des milliers de travailleur.se.s marchant dans la rue en portant des pancartes. Si illes peuvent le faire, pourquoi pas nous ? » «Donc vous vous êtes tou.te.s rassemblé.e.s dans la cours... » « Elle était pleine d'enfants avec des pancartes. On y était debout en silence pendant longtemps, beaucoup à avoir peur. Quelqu'un.e à commencer à chuchoter que l'on serait arrêté.e.s. Une professeur est sortie pour nous rejoindre. Un garçon à côté d'elle l'a embrassée et éclaté en larme. On savait qu'on avait gagné. D'autres professeur.e.s nous ont rejoint. Finalement c'est le principal qui est sorti. Il a dit que le professeur avait été muté par erreur et qu'il serait de retour la semaine prochaine. Tout le monde savait qu'il mentait sur le fait que ce soit une erreur mais personne ne s'en souciait. Les enfants ont commencé a hurler, chahuter, se prendre dans les bras, et même les professeur.e.s. Certain.e.s ont même couru jusqu'au principal pour l'entourer de leurs bras. » « Est-ce que tu sais pourquoi ton professeur à été arrêté ? » « Bien sur : Il voulais que nous pensions par nous même, et pas eux. C'est pour ça. Il nous répétais toujours que les explications dans nos livres n'étaient pas les seules, et que beaucoup de choses ont plusieurs explications et que c'est à nous de choisir celle que nous préférons. » Les mots sont trop pauvres pour communiquer ce que j'ai ressenti quand Yara décrivait sa « manifestation. » J'étais « guéri. » En un bon soudain, j'avais rejoint les vivant.e.s. Mon espèce n'avait pas après tout subi une mutation, ou au moins une qui soit permanente. Une telle chose devrait donc requérir une catastrophe bien plus grande que la domination par une organisation de gardien.ne.s de prison. « les gens ne disparaissent pas. » Elle a tellement raison ! Partout ou il y à des gens, il y à du refus, de la rébellion, de l'insurrection. Quand des gens de vingt ans répriment et mutilent leur humanité, cette humanité réprimée réapparait intacte chez ceux de dix ans. J'ai entouré Yara de mes bras et elle les pris pour me faire danser autour de la pièce. « Père, est-ce que tu pourrais m'apprendre les explications différentes des choses pour que je choisisse celle qui me plais le plus ? » m'a elle demandé. Mirna éclata en larme. Elle s'était tenue sans un bruit dans un coin de la pièce pendant toute l'explication. J'avais à tort interprété son silence comme de l'hostilité vis à vis de l'acte rebel de la petite. Elle se précipitait pour prendre Yara dans ses bras, posant sa tête sur ses épaules et sanglota. « Sois pas triste Mama.» Mirna chuchota « Je ne suis pas triste, mais heureuse pour vous deux. » Je ne peux pas te dire combien ça signifiait pour moi. Mirna aussi s'en sortait indemne. Toutes ces longues années d'humanité réprimée annulées par un geste simple et quelques mots. Ce jour là, j'ai retrouvé le désir de m'exprimer, et l'envie urgente de tout écrire. Pourtant je ne peux pas imaginer qui tu es maintenant, ce que tu pense, ce que tu a fais, si tu es mariée et a des enfants ou si tu es vivante et en bonne santé. Je n'ai aucun droit de t'ennuyer d'une lettre interminable que tu pourrais prendre comme une intervention non demandé par un parfait inconnu. Tu m'a pourtant envoyé une lettre autrefois, mais étant donné que je ne l'ai jamais vue, je ne peux pas supposer qu'elle ai contenu quoi que ce soit d'autre qu'un veux de noël en retard. Tu a pourtant écris quelque chose, commencée une sorte de correspondance, et j'essaye de t'écrire une sorte de réponse en expliquant pourquoi je n'ai pas pu écrire plus tôt. Je veux te dire tout sur moi, et m'enquis d'apprendre à ton sujet. L'acte de bravoure de ma file ma' fait renouer avec mon intérêt pour les vivant.e.s et intensifié ma curiosité. Depuis ce jour, j'ai appris que la manifestation de Yara n'était ni exceptionnelle ni originale. Des manifestations contre des renvois ou arrestations d'enseignant.e.s étaient récemment devenus fréquents dans les écoles, et n'étaient pas non plus limitées aux étudiant.e.s. De véritables grèves, avec des comités, bulletins, et groupes de soutien ont aussi lieu dans de grandes usines. Jusqu'à peu, tout le monde savait ce qui se passait, pourtant chacun.e le niait. Officiellement, rien ne se passait. Le langage de tout les jours, une langue appauvrie par les mensonges officiels avait pour vingt ans cessé d'être un outil de communication pour les événements réels. Quand je suis revenu de prison, Mirna avait peur que j'exerce une influence démoniaque sur Yara. Elle prévenait quotidiennement l'enfant : « Ne commence rien qui pourrait te faire avoir des problèmes.» Les problèmes ne menaient qu'à l'emprisonnement. Mais Yara a commencé à faire l'expérience des « problèmes » comme quelque chose de positif : les problèmes menaient à des protestations, manifestations et grèves, ils menaient a des actes de résistance individuelles et collectifs. Les problèmes résonnaient avec les actes héroïques d'individu.e.s et de groupes tant vantés dans ses manuels scolaires. Je n'avais aucune idée de la résistance grandissante chez Yara jusqu'au jour de sa manifestation, de la même manière que j'avais échoué à la remarquer dans les épiceries, les rues ou les expressions faciales dans les bus et trams, les gestes de défiance dans les bars, les slogans dans les toilettes ou les cris dans la nuit. Yara m'a aidé à commencer à voir et entendre le retour des réprimé.e.s, et maintenant je m'enquis de voir plus loin et d'en entendre plus. J'ai commencé cette lettre il y à plusieurs semaines, mais j'avais réussi à me convaincre qu'elle ne t'atteindrait jamais et l'ai abandonnée par deux fois. Ma curiosité a vaincu mes doutes. J'aimerai savoir pourquoi tu m'a écris et qu'est-ce que contenait cette lettre il y à douze ans. J'aimerai savoir qui tu es, ce que tu a fait, avec qui et pourquoi. Pendant des mois après ma libération je voulais m’échapper de cette ville et retourner au monde clos des mûrs de prison. Maintenant je trouve que cette ville elle même est close et j'essaye de t’atteindre pour m'aider à voir et ressentir un monde plus vaste, au moins par le biais d'une lettre. Si la seule connexion avec la Sophia que j'ai autrefois connue est ton nom, alors s'il te plais je te demande une petite faveur pour un autre être humain dont la vie n'a pas été très bonne dans ce monde étrange : S'il te plais, fais moi savoir que tu a reçue cette lettre. Je ne peux pas cacher l'impatience avec laquelle j'attend ta réponse. * Première lettre de Sophia Cher Yarostan,

Quelle merveilleuse surprise ! Tu te rappelles surement de Luisa. Elle était toute excitée quand elle arrivée avec ta lettre la nuit dernière. Sabina et Tina, mes cohabitantes étaient toutes deux à la maison. Luisa n'était jamais venue chez nous avant ça. Nous avons passé la soirée et la plus grande partie de la nuit à lire et relire ta lettre, faisant revivre notre passé à Tina, en discutant d'événements que nous n'avions jamais discuté avant ça. Nous étions toutes étonnées d'apprendre combien d'années tu avais passé en prison, et nous étions profondément mues par le contraste entre cette magnifique lettre et la vie misérable que tu avais mené. Luisa et moi sommes revenues vingt ans en arrière, reconstruisant le monde d'expériences que nous avions partagées avec toi. Je considère toujours ces moments comme clefs pour l'ensemble de ma vie. Luisa avait vécu à travers de tels moments plus tôt, mais pour moi, ces jours passés avec toi ont toujours été uniques. J'avais aussi vite lu ta lettre que Tina me demandait qui tu étais et si nous t'avions toutes les trois connues. J'ai commencé à lui raconter ce large soulèvement auquel nous avions pris part. « Oui, nous étions ensemble, pas juste tout les quatre mais des milliers d'entre nous, » je disais à Tina. « Ces événements ont déclenché une large vague de satisfaction d'enthousiasme et d'initiative dans l'ensemble de la population ouvrière. Enfin nous allions nous occuper de nos propres affaires, enfin le peuple serait maitre et personne ne pourrait exploiter nos efforts pour leurs propres objectifs, personne ne pourrait plus être capable de nous duper, nous vendre à nos ennemi.e.s, nous trahir. » « Si c'est ce qui s'est passé, alors pourquoi diable êtes vous parties, et pourquoi avez vous laissé Yarostan passer la moitié de sa vie en prison ? » demanda Tina. « Ce n'est pas ce qui s'est passé, » dit Sabina sèchement. « Qu'est-ce que tu veux dire par « ce n'est pas ce qui s'est passé » ? T'étais là aussi ! Tu ne t'en souviens plus ? » J'ai immédiatement souhaité ne pas avoir dit ça à Sabina, parce qu'elle a une mémoire phénoménale : Elle se souviens d'événements de son enfance aussi vivement que s'ils étaient arrivés hier. « Qu'est-ce qui s'est passé alors ? » demanda Tina à Sabina. « Un ancien chef s'est fait sortir, et un nouveau l'a replacé, c'est tout. La satisfaction, l'enthousiasme et l’initiative étaient une vaste feinte, » lui dit Sabina. Luisa se tourna indignée vers Sabina et cria « Tu ne sais pas de quoi tu parles ! Tu n'avais que douze ans à l'époque ! » Sans se soucier de Luisa, Sabina se tourna vers Tina et lui dit « Yarostan et deux autres ouvriers, Claude et Jan, ont pris d'assaut le bureau du patron de la fabrique de carton, un M. Zagad. J'y suis allé avec eux. Claude ouvra la porte en criant « nous sommes les représentant du conseil ouvrier. » On n'étais rien de tout ça, mais Zagad avais l'air d'un lapin piégé dans un coin. Il se précipita au porte-manteau, pris le sien par dessus l'épaule et disparu en laissant tout ses papiers importants étalés sur son bureau. Puis un autre officiel s'est installé au bureau de Zagad. C'est ce qui s'est passé et tout ce qui s'est passé. » « C'est tout ? » a demandé Luisa avec sarcasme. « Des ouvriers sont allé dans le bureau d'un patron d'usine, l'ont mis dehors et c'est tout ? » Sabina haussa les épaules et tourna le dos à Luisa. Ces deux là ne se sont jamais entendues et ce n'est toujours pas le cas. J'étais d'accord avec Luisa et allais demander à Sabina combien de fois au cours de l'histoire des ouvrier.e.s avaient mis dehors leurs patrons. Mais Luisa s'est tournée vers Tina et poussé son argument dans la direction inverse. « Évidement que ce n'est pas tout ce qui s'est passé. Sabina parle seulement des événements au cours desquels elle a pris part. Elle n'a pas vu plus loin que le bout de son nez. Des masses d'ouvrier.e.s remplissant les rues pour la seconde fois en trois ans. La première fois, quand les armées libératrices ont marché en direction de la ville alors assiégées de forces militaires ennemies, des milliers d'ouvrier.e.s ont rejoints la résistance et se sont battu.es pour libérer leur ville. La seconde, quand illes ont appri que des éléments réactionnaires étaient à nouveau assez puissant pour reprendre leur contre-offensive, et ont appelé à la grève générale. » « Les ouvrier.e.s n'ont pas appellé à la grève, les centrales syndicales l'ont fait. » dénigra Sabina. Qui que ce soi, » lui rétorqua Luisa, « c'était une grève générale » puis en mimant Sabina, elle ajouta « Une grève générale ? C'est tout ? » Tina, complètement abasourdie nous demanda « Pourquoi êtes vous là à vous crier dessus à propos de choses qui se sont passées il y à vingt ans ? » J'ai essayé d'expliqué que « C'était notre expérience la plus importante des vingt dernières années et Sabina la ridiculise. » « Qu'est-ce que tu faisais à ce moment là ? » Me demanda Tina. Je ne me souvenais pas de M. Zagad, de la grève générale ou de qui l'avais appelée, mais je me souvenais de ce que j'avais fait et des gens avec qui je l'avais fait. « Tout ce dont je me souviens » j'ai dit à Tina, « c'est que j'étais à la maison quand Luisa s'est précipitée à l'intérieur pour nous dire à Sabina et moi « Allez ! Il n'y a pas de temps à rester assise à la maison ; les ouvrier.e.s occupent l'usine ! » J'étais toute excitée. J'avais trois ans de moins que toi maintenant. Je n'étais jamais entrée dans aucune usine d'aucune sorte. Des montagnes de carton empilées le long des murs. Des machines gigantesques et immobiles, je n'avais aucune idée de ce qu’elles faisait. Des ouvrier.e.s étaient assis.e.s sur des tables, riant et fumant. Je me souviens de Claude, Yarostan, Jan et quatre ou cinq autres. Je ne pouvais pas suivre la plupart des discussions, mais il y à une chose que je comprenais, et je l'ai comprise pour le reste de ma vie. Ils parlaient de problèmes sociaux, d'événements historiques. Et ils ne faisaient pas qu'en parler, mais ils y prenaient part, en définissant leurs propres actions. Ils faisaient l'histoire et j'en faisais partie. » « Quel genre de décisions a-tu prise ? » demanda Tina. Luisa se tourna vers Tina comme si pour répondre à sa question, mais s'adressa plutôt elle même pour répondre au commentaire de Sabina : « Bien sur qu'à la fin un patron en a remplacé un autre dans les bureau du gouvernement ou dans ceux des usines. C'était le même problème que j'avais déjà rencontrée. Nous nous heurtions à des ennemi.e.s sur deux fronts différents : les capitalistes à nos devants et les étatistes derrière nous. Certain.e.s d'entre nous les pensaient aussi dangereux les uns que les autres, d'autres que les capitalistes devaient être défait.e.s d'abord. » « Quel est le rapport avec les décisions que vous avez prise ? » demanda Tina. « La manière dont nous comprenions la situation affectait les prises de positions et les slogans que nous mettions sur les affiches et tracts » expliqua Luisa. « Je me souviens de ces débats ! » j'ai crié, toute excitée « Luisa voulait que l'on s'attaque en même temps aux deux côtés. Tout le monde faisait attention a tout ce qui était dit et je pensais que chacun.e était particulièrement attentif.ve à chaque fois que tu parlais, Luisa. Je pensais qu'au moins la moitié d'entre elleux te soutiendrait. » « Tout.e.s les personnes qui semblaient me soutenir pensaient différemment, » dis Luisa, « tandis que tout.e.s celleux de l'autre côté n'avait qu'une seule position. Deux d'entre elleux étaient convaincus que la seule menace venait des propriétaires... » « C'était Adrian and Claude » rappela Sabina. « et bien que les deux autres étaient d'accord sur le fait que nous avions des ennemi.e.s aussi bien devant que derrière... » « Marc et Titus » interrompit à nouveau Sabina. « Marc et Titus étaient d'accord sur les deux dangers, » continua Luisa, « mais ils disaient que l’unité était la priorité, étant donné qu'en étant divisés, nous serions utilisé.e.s par les deux côtés pour nous battre entre nous. » « Quelle était ta position ? » demanda Tina. « Je défendais qu'il était impossible pour des ouvrier.e.s de s'unir avec des politicien.ne.s étatistes, étant donné qu'après la victoire contre les dominants du moment, les ouvrier.e.s se retrouveraient dominé.e.s par leurs ancien.ne.s allié.e.s. C'était ce qui s'était passé dans chaque révolution ou les syndicats ouvriers s'étaient alliés à des politicien.ne.s luttant pour le pouvoir. Les ouvrier.e.s ont toujours appris trop tard que leurs allié.e.s révolutionnaires avaient du pouvoir sur elleux. » « Est-ce que Yarostan était bien d'accord avec toi et les deux autres ? » Je demandais. Luisa répondit, « Soit ils n'étaient pas d'accord, soit ils ne comprenaient pas. Ce téméraire de Jan défendant que la vraie bataille commencerait quand les ouvrier.e.s ruineraient les machines en mettant des clefs et boulons dans les rouages, qu'illes commenceraient à détruire les usines avec des scies et des haches, quand les ouvrier.e.s commenceraient des émeutes, démentelleraient, bruleraient. Jasna applaudissait et Yarostan rigolait ! Adrian Povrshan, celui qui était calme et ne prenait jamais parti jusqu'à ce que la dispute soit terminée suggérait un compromis et chacun y trouva son compte, excepté Jan. Adrian suggérai que les slogans n'avaient pas besoin de décrire ce contre quoi nous étions, mais seulement ce en faveur de quoi nous étions. Par exemple « Les usines devraient être administrées par les ouvrier.e.s directement, » « les gens devraient gérer leurs propres problèmes » et c'est ce que nous avons décidé de faire. » « À ce moment là, » j'ai dit à Tina, « dix individu.e.s distinctes qui une minute plus tôt auraient semblé incapable d'être d'accord sur quoi que ce soit sont devenu.e.s un groupe coordonné avec un projet unique. Soudainement, sans élire un représentant, sans avoir désigné de tâches, chacun.e savait ce qui devait être fait ensuite. » « Jan n'était toujours pas satisfait, » se rappela Luisa. « Il allait en grômelant sur le besoin de se battre avec des haches plutôt qu'avec des mots. » « Je me souviens de ça ! » m'exclamais-je. « C'est à ce moment que Yarostan a annoncé que pendant que nous étions en train d'essayer de nous mettre d'accord entre occuper l'usine ou la raser, le patron était assis dans son bureau à se demander comment il allait devoir surmener les ouvrier.e.s après la reprise pour compenser ses pertes. » Je m'en souviens clairement ! Je t'ai vraiment admiré à ce moment, et je pense que c'est là que je suis tombée amoureuse de toi. « Ce lourdeau de Claude a suggéré que nous nous armions et nous précipitions vers le bureau du patron, » S'exclama Luisa. J'ai continué, « Yarostan demandait si nous ne pouvions pas simplement demander au patron de s'en aller. C'est là que Sabina a accompagnée Yarostan, Claude et Jan au bureau. Avant qu'illes n'y aillent, Adrian suggéra de dire à M. Zagad de revenir après la révolution étant donné qu'il avait de l'expérience dans le travail et que les ouvrier.e.s se souviendraient de lui. Tout le monde en rit. La tension était retombée. Nous sommes devenu.e.s un groupe d'ami.e.s J'avais cette sensation que je les avais tou.te.s connu.e.s depuis des années. » Sabina mis fin à mon enthousiasme en disant « puis illes ont tou.te.s été arrêté.e.s. » « ce n'était pas « et puis » ! » ! rétorqua Luisa avec colère. J'ai demandé, « Sabina, comment te souviens tu de choses aussi bien, et pas du tout d'autres ? Tu a prise part à tout ça, et tu n'étais pas la moins active d'entre nous ! » Sabina bailla. Son bâillement avait la même signification que ses arguments précédents « et c'est tout ce qui s'est passé. » Luisa avais du comprendre le baillement de Sabina comme une insulte lui étant destinée tout particulièrement et ne dis plus un mot jusqu'à ce que Sabina et Tina aillent se coucher. Mais mon enthousiasme était encore montant et je voulais le communiquer à Tina. Je lui ai dis que ces jours étaient les seuls au cours de ma vie ou j'avais su pourquoi j'étais au monde. Le seul moment ou je savais quelle rôle j'avais dans la création de notre monde commun, le seul moment ou j'ai fait partie d'un projet social qui ne m'était pas imposé. Je lui ai parlé des journées merveilleuses ou tu m'a patiemment apprise à utiliser une presse, les journées que j'ai passée à imprimer et sérigraphier des poster par moi même. Au cours de chacune de ces journées, j'ai d'avantage appris que pendant toutes mes années d'école. Je lui ai décrite nos assemblées quotidiennes, nos discussions sur les tâches du jour, et j'ai dit dit à Tina que chacun.e d'entre nous pouvais faire ce qu'illes voulaient, personne n'étaient attaché.e.s à une tâche, pas même pour une journée, et personne n'était forcé.e à terminer quoi que ce soit. En dépit de cette liberté absolue, chaque tâche a été accomplie, les décisions prises et les affiches imprimées. J'ai tenté de décrire les rondes à vélo que toi et moi faisions pour les distribuer et recevoir les suggestions pour en faire de nouvelles, les excursions de Sabina avec Jan, la joie de voir nos affiches sur les murs des bâtiments publics, et dans les bus et trams. Ou que nous allions, nous étions parmi des ami.e.s. Il s'agissait d'une répétition générale de ce que le monde serait. Quand j'ai enfin pris une pause, Tina m'a demandée, « Pourquoi avez vous été arrêté.e.s ? » Cette question me fis tourner la tête. J'ai regardée sans pouvoir me retenir vers Luisa, mais elle fixait un mûr, probablement toujours à penser au baillement de Sabina et entendre « c'est tout ce qui s'est passé. » J'ai surprise ou même en colère car Tina s'est sentie obligée de s'excuser. Elle n'avais pas à le faire. Je n'avais perçue aucune hostilité dans sa voix quand elle a posée cette question. Pourtant, j'ai ressenti la question elle même comme hostile. Je me suis démenée pour une explication, mais je ne savais même pas ou commencer. Mes mémoires si vives se retiraient jusqu'à ce qu'elles soient à nouveau recouvertes par les lourds rideaux du temps et J'ai aussitôt oublié tout ces noms et expériences nouvellement remémorées. Je ne m'étais jamais posée cette question, et il était inutile de chercher dans ma mémoire pour y trouver une réponse. J'avais fait tant d'expériences pendant ces quelques jours il y à vingt ans. Tant des événements qui avaient influencé l'ensemble de ma vie s'étaient passés si rapidement que je n'avais pas eu le temps de les apprécier chacun pleinement, d'en refaire l'expérience dans ma mémoire, de les analyser ou de les expliquer. Et quand la tempête passa, je me suis retrouvé dans un monde complètement différent. Désorientée et appeurée ; entourée d'être qui m'étaient incompréhensibles. Je tâtonnait, « Ce qui s'est passé était exactement ce dont Luisa avait peur qu'il arrive. Les ouvrier.e.s furent trahi.e.s, poignardé.e.s dans le dos par leurs propres allié.e.s. Je me rappel le premier indice qui m'a fait penser que quelque chose n'allait pas. Un après midi, alors que Luisa et moi rentrions chez nous, George Alberts y était déjà. Il travaillait d'habitude jusqu'à tard dans la nuit, mais ce jour là il était rentré avant la tombée de la nuit et on pouvais se rendre compte qu'il était énervé. Luisa lui demandait si quelque chose était arrivé. Il dit qu'il avait été renvoyé, et dit de ne jamais revenir. Illes l'avaient même appelé un saboteur et d'autres choses, » « Qui l'a viré ? Je pensais que les ouvrier.e.s étaient en grève ! » demanda Tina. « Le conseil de la centrale syndicale, » répondit Sabina. Je ne pouvais rien dire de plus, ma gorge refusant de continuer. Sabina se leva et bailla encore comme si pour dire qu'elle avais raison : « c’est tout ce qui est arrivé. » Elle pointa à Tina qu'il était trois heures du matin et que si elle comptais se lever pour aller travailler, elle se sentirait probablement mieux si elle dormait un peu. J'acquiescai. Des douzaines « d'explications » commençaient à afflouer dans ma tête au moment ou Sabina quittais la pièce. Je ne voulais pas que Tina aille se coucher sans comprendre comment les événements en étaient arrivé là. Mais je ne l'ai pas arrêté quand elle s'est levée et nous à dit bonne nuit. Elle avais l'air triste, peut-être parce qu'elle avait vue les larmes de frustration sur mon visage, peut-être parce qu'elle voulait toujours trouver un moyen de s'excuser pour avoir demandée pourquoi nous avions été arrêté.e.s. Aussitôt Sabina et Tina parties, Luisa recommença à parler. Elle aussi comptais aller travailler le lendemain, mais elle insista à rester éveillée le reste de la nuit, en disant que son travail était tellement répétitif elle pouvait le faire en dormant. Elle a un emploi terriblement ennuyant dans une usine d'automobiles. Elle a relu ta lettre à nouveau. Certains passages la dérangeaient, elle me les lu et nous les avons discutés. J'aimerai te résumer cette discussion en espérant que ça ne t'offense pas ni ne te blesse. Nous avons toutes deux ri et pleuré en relisant ta description de la censure. Ta lettre ne semble pas avoir été ouverte. Ce qui dérangeait Luisa était la partie suivante, quand tu t'identifie aux censeurs et aux gardien.ne.s de prison, même pour dire que ton point de départ aurait pu être le même que les leurs. Ça m'a également dérangée lorsqu'elle me l'a lue. En essayant d'appliquer ce passage à nous même, nous avons aussitôt ressenti quelque chose de faux. Serions nous devenues des emprisonneuses si nous n'avions pas été arrêtées ? Par exemple, si George Alberts n'avait pas été le « mari » de Luisa (ce qu'il n'a en fait jamais été), nous n'avions jamais été directement affectées par son envoi. Serions nous restées à l'usine de carton à continuer les tâches urgentes du jour ? Nous serions nous assises en protestation pendant qu'un autre travailleur était étiquetté comme « contre-révolutionnaire » et un autre « saboteur » ? Serions nous restées à regarder pendant que l'un.e ou l'autre de nos camarades étaient appelé.e.s « éléments dangereux » ou « agents étrangers » ? Avons nous mal lu ce que tu a écris ? N'était-ce pas ce que tu voulais dire par tou.te.s avoir le même point de départ ? Te demandes tu même à quel point a tu contribué à ton propre emprisonnement ? Est-ce que Luisa & moi devrions nous demander à quel point avons nous participées à ton arrestation, ou combien nous avons contribué à la souffrance que tu a vécu ces vingt dernières années ? Je pense que ton présupposé est complètement faux. Je ne suis pas vraiment sûre de ce que tu entend par « point de départ, » mais je suis certaine que le mien aussi bien que le tien ou celui de Luisa n'était pas le même que celui de celleux qui ont virés Alberts, t'ont mis en prison, et nous ont arrêté. C'est tout bonnement ridicule de t'identifier à eux. Les gens qui m'ont arrêté n'étaient pas des ouvrier.e.s mais des agent.e.s de police. Illes ne s'étaient jamais engagé.e.s dans l'auto-émancipation des ouvrier.e.s, bien au contraire, le but de leurs vies étant d'établir une dictature sur les travailleur.se.s, de transformer la société en une ruche dont illes auraient été les reines, à devenir les matons d'une gigantesque prison. Illes ont gagné et nous avons perdu.e.s. Ca résume assez bien l'ensemble de l'histoire de la classe ouvrière. Mais comment peu tu dire que celleux qui se sont battu.e.s contre elleux ont contribué.e.s à leur victoire ? Prend par exemple les gens de notre groupe. Luisa et moi passions de longs moments à nous en souvenir. Tout au plus, tu peux dire que certain.e ne savaient pas ce qu'illes faisaient. Jasna par exemple était devenue quelque chose comme une « disciple » de Luisa. Elle se souviens de cette pauvre Jasna répéter constamment des choses qu'elle lui avait dites, mais seulement les mots et incidents, pas leur sens. Cela ne veux pour autant pas dire que Jasna avait le même point de départ qu'un.e inquisiteur.ice ou un.e garde de prison. Prend Jan. Luisa l'a appelé « téméraire. » Peut-être qu'il l'était, mais sa témérité était une réponse saine et humaine à l'abus et l'exploitation. Il n'y à même pas de question sur aucun des autres. Vera et Adrian n'auraient pas pu laisser passer un.e étrangè.r.e sans tenter de les convertir à « l'auto-gouvernement des producteur.ice.s.» Je me souviens d'à quel point j'admirai la rapidité avec laquelle Vera répondait aux questions des gens. Une fois, alors que quelqu'un.e lui avait demandé « Qui ramassera les ordures dorénavant s'il n'y à plus de gouvernement ? » elle répliqua immédiatement « Qui les ramasse maintenant, tu penses, le gouvernement ? » Ou prend Marc. Luisa se souvient de lui comme étant plus lent que Vera, mais aussi plus réfléchi. Il pouvait passer des heures à parler des types de relations sociales les gens serraient capable de créer et développer aussitôt qu'illes seraient libre de l'autorité. Et il était plein de ressources. Quand les matériaux ou les outils manquaient, il savait toujours ou en trouver ou quoi utiliser comme substitut. Pour ce qui est de Claude, tout ce dont je me souviens de lui est qu'il semblais dévoué à chacun des projets auquel il prenait part. Je ne me souviens pas non plus très bien de Titus. Je me souviens par contre ne pas beaucoup l'apprécier, car il me semblait comme trop « réaliste », toujours à calculer « les rapports de force. » Mais il était un vieil ami de Luisa, et elle était convaincue de sa dévotion totale à la lutte ouvrière Je me souviens aussi que tu l'admirais pour sa connaissance et son expérience. Qu'importe ce que tu entende par « point de départ, » le mien était cette expérience que j'ai partagé avec toi. C'était le seul moment de ma vie ou je me suis engagée dans un projet collectif. Pas de force extérieure, pas d'institution, ni patron ni chef pour définir notre projet, prendre nos décisions ou déterminer nos emplois du temps ou nos taches. Nous définissions et déterminions nous même. Personne pour nous pousser, nous mener ou nous forcer. Chacun.e d'entre nous libre au plus haut sens. Nous avons brièvement succédé.e.s à créer une véritable communauté, une condition qui n'existe pas dans les sociétés répressives et donc ne peut y être comprise. Notre communauté était le sol dans lequel des individu.e.s grandissaient et fleurissaient, à l'inverse des sables mouvants qui enfouissaient la graine, la racine ou même toute la plante. Si c'était ça notre point de départ, alors nous étions différent.e.s des donneur.se.s d'ordres et de celleux qui les reçoivent tout autant qu'une cellule saine diffère d'une cancéreuse, d'un chêne d'une bombe à hydrogène. Luisa et moi avons parlé d'autres choses de ta lettre, mais pas avec autant d'insistance. Nous étions toutes deux fatiguées. Tu penses peut-être cette discussion nocturne de ta lettre étrange. Je devrais te dire que Luisa et moi ne nous étions pas vues depuis l'année dernière et que cela faisait plus longtemps que nous n'avions plus rien eu à nous dire. En partie parce que j'avais choisi de vivre avec Sabina et Tina, mais surtout parce que nous avions arrêtées d'avoir quoi que ce soit en commun. Ta lettre a ranimé le seul sujet que nous partageons encore : notre passé. Grace à ta lettre nous avons appris que nous pouvions êtres de « vieilles amies » ; et nous a aider à raviver une relation qui avait dégénéré au niveau d'une indifférence polie. La question du mariage est un autre sujet qui a dérangé Luisa. Cela ne m'avais pas choquée jusqu'à ce qu'elle le soulève. Tu es « marié » tu à une « femme » et une « fille ». Évidemment, pourquoi ne le serais-tu pas ? J'avais accepté ces informations comme des faits que tu racontais. Mais aussi tôt que Luisa les avait questionnées, je me suis souvenue de qui tu étais et m'en suis voulue pour l'avoir pris reçue comme des évidences. Je ne suis vraiment pas observatrice : Dès que je quitte un environnement familier, il me semble perdre toutes mes facultés d'observation et de prendre tout pour acquis. Luisa disait que tes déclarations sur ta « femme » et ta « fille » étaient tout aussi étranges que si tu avais écrit sur le retour du saveur. Ma propre mémoire a tout bloqué à l'exception de ces quelques jours que j'avais passé avec toi dans les rues et l'usine. Luisa me rappela que nous t'avions connu pendant des années avant ça. C'était Titus qui t'avait d'abord amené chez nous. Tu y venais au moins une fois par semaine, et comme Luisa l'a dis, tu étais de manière indiscutable l'un des « nôtres. » Tu dois savoir ce qu'elle veux dire. Une personne dont le but de la vie aurait été d'avoir une belle maison, une belle famille, un bon travail dans la bureaucratie ne venait tout simplement pas chez nous. Une opposition à l'état, la religion et la famille était prise pour acquis chez chaque personne considéré.e comme un.e ami.e. C'est une attitude que nous avons continué de partager quelque soient les différences qui avaient grandi entre nous au fil des années. Luisa a eu un nombre incalculable de relation (je n'ai probablement pas entendue parler de chacune), mais elle n'a jamais été mariée. Elle a toujours insistée n'avoir vraiment été amoureuse qu'une fois, de Nachalo, son premier compagnon, mon père. Mais elle n'avait jamais été sa « femme. » Elle a adoptée son nom le jour après sa mort : C'était la seule commémoration dont elle avait été capable. L'appropriation de son nom a peut-être été un caprice, ou une expression de sentimentalisme romantique, mais elle n'était pas une concession à une institution : l'union avec un cadavre ne compte pas comme un mariage Le « mari » suivant de Luisa était George Alberts, mais aussitôt Luisa s'était rendue compte qu'il la transformait en une « femme », qu'elle le chassait de la maison. Sabina a eu un enfant mais ne s'est jamais mariée. Pour ma part, je n'ai jamais voulue d'enfant, pour un grand nombre de raisons que je peux résumer en disant que j'ai toujours été « trop révolutionnaire. » Aucune de nous ne sommes jamais devenues des « mères » internationalisées, comme nous n'avions jamais non plus été des « filles. » Tu t'en rendais surement déjà compte. Dès le moment ou nous avons été capable de marcher et parler, Sabina et moi avons pris part au travaux, aux discussions et aux décisions. Avant ça, alors que Sabina était encore un bébé, c'était moi qui l'a « élevée » et non ses « parents.» Bien sûr qu'il s'agit la de quelque chose de commun chez les travailleur.se.s mais dans notre cas, ce n'était pas uniquement parce que nos « parents » avaient chacun.e à travailler. Nous avions véritablement éliminé.e.s toute trace de cette détestable institution, de toute évidence dans les limites possible dans une société qui ne l'avait pas fait. Je ne peux pas me souvenir avoir jamais pensé Luisa comme « ma mère » : Tout au plus nous étions des amies, il fut un temps très proches, et dans les dernières années nous ne l'étions même plus. Sabina est la « mère » de Tina, mais je suis certaine qu'aucune d'entre elle ne pense l'autre comme mère ou fille. La simple pensée que Tina et moi sommes « apparentées », et que je puisse être quelque chose comme sa « tante » me rend dingue. Pour nous même ou pour nos amies, nous sommes simplement trois femmes qui habitent ensemble. C'est moins cher comme ça, on s'entraide et nous apprécions généralement mutuellement nos compagnies. Si l'une d'entre nous décidait qu'elle en avait assez des deux autres, rien ne l'empêcherait de partir, et certainement pas la pensée que nous soyons « apparentées. » Pas que ce soit si simple ou évident. Sur un plan légal nous sommes « soeurs » du fait de notre nom. Aux étrangèr.e.s inquisiteur.ice.s qui suspectent que ce ne soit pas le cas, nous sommes bizarres et des preuves vivantes que le monde arrive en effet à sa fin. Tu parle de « mère et père, femme et filles » comme ci celles ci étaient les relations les plus naturelles au monde, comme si les gens n'avaient jamais vécu.e.s en dehors de ces catégories. Bien entendu, ces choses sont « naturelles » à ma plupart des gens, mais il fût un temps où elles ne t'étaient pas pour toi. Elles t'étaient aussi étrangères que la religion, l'état ou le capital. Était-je dans l'erreur ? Est-ce que c'était la manière dont je t'avais imaginé, ou est-ce que tu a changé ? Luisa s'est souvenue de longues discussions qu'elle avait eu avec toi, pas seulement à propos de « politique » au sens le plus restreint, mais aussi de l'insensibilité de promettre à un juge bouché de passer le reste de ta vie avec l'individu.e que tu apprécis à un moment donné, ainsi que l'horreur d'enfermer des enfants dans la prison familiale. Avais-tu adopté ces positions parce que tu savais ce que Luisa, ou moi en pensions ? Je ne peux pas me convaincre que tu ne faisais que prétendre. Je n'aurais pas été plus dérangée si tu nous avais dit avoir investi des millions dans une mine d'uranium. Comment as tu pu tant changer ? Je peux tout à fait comprendre que tu présentes Mirna comme « ta femme » à un parfait inconnu. Mais je ne suis pas une étrangère pour toi, ni Luisa ou Sabina. Que font-illes aux gens dans ces prisons ? Luisa et moi nous sommes fait du café et avons regardé le soleil se lever au dessus des immeubles derrière notre jardin enneigé, en continuant de discuter le contenu de ta lettre. Tu doit maintenant penser que nous la disséquions. Nous y avons en effet trouvé un autre élément étrange, bien qu'il ne soit pas comparable au fait que tu soi devenu le mari d'une femme ou le père d'une fille. Nous avions été émues par tes tirades contre le système carcéral, par ton expérience a de petits informateurs ou bourreaux que nos voisin.e.s se retrouvent souvent être, par ta magnifique description de la manifestation de Yara. Pour autant, tu a traité l'ensemble du sujet de la rébellion d'une manière qui nous semblait étrange. Dans tes mots, la rébellion devenait quelque chose de métaphysique, quelque chose transcendant les individu.e.s de chaire et de sang et se réfère au cœur de l'être. « Partout ou il y à des gens, il y a du refus. » C'est très beau. J'ai trouvé le passage puissant et poétique, mais nous avons aussi trouvé qu'il avait quelque chose de faux. (Par « nous » je veux dire que je ne m'en suis rendue compte qu'après que Luisa le mentionne.) Tu n'as surement pas découvert le « refus, rébellion, insurrection » il y à seulement un an, ou parce que des écolièr.e.s manifestaient pour un professeur ! Il y à une guerre en cours ! Elle a lieu depuis des siècles, depuis que les êtres humains se sont retrouvé.e.s dans des société de classes. Et la défaite, ou même les défaites répétées de l'une d'entre elle ne veux pas dire qu'elle est terminée. Aussi longtemps que le géant vaincu ne sera pas exterminé, il se soulèvera encore et encore, revenant au combat dans une fureur plus grande. Tu devrais particulièrement comprendre ça. Après tout tu a pris part à deux soulèvements de grande envergure, deux inoubliables actes de rebellions du peuple ouvrier. Je me rend bien compte que je suis injuste et extrêmement insensible. Luisa et moi nous rendons bien compte que le monde des emprisonneur.se.s et des détenu.e.s n'est pas un monde dans lequel le bien-être commun peut être construit. Tandis que je remet en question les conclusions que tu a tiré de tant de souffrance, je réalise que je n'en ai aucunement le droit et je me sens honteuse. Pas de ce que j'ai dis, mais de mon environnement relativement confortable et de mes ami.e.s généreux. J'ai honte d'avoir été relâchée seulement deux jours après notre arrestation alors que tu a passé toutes ces années en prison, honteuse d'avoir été arrêtée seulement une fois après ça ou j'ai à nouveau été relâchée deux jours plus tard. Je ne suis même pas certaine d'être d'accord avec Luisa. Je pense que ce qui l'a dérangée n'était pas tant ton traitement de la rébellion et tes description des imbéciles « auto-réprimés. » Plus tôt dans la soirée, alors que Tina lisait ta lettre, après que le reste d'entre nous l'ai déjà lu, elle éclata de rire. Nous savions toutes qu'elle en était arrivée au passage ou tu décris l'imbécile qui s'exploite volontairement. Sabina et moi en rions également : Aucune d'entre nous ne pouvons supporter des travailleur.se.s qui « aiment » leur boulot. Mais il ne fallut pas longtemps pour que mon rire se transforme presque en larmes : Je me suis rendu compte que Luisa, choquée et morne se voyait comme cette « imbécile .» Luisa s'était « volontairement » levée chaque matin pour aller au même boulot répétitif pendant les dix-sept dernières années. Le rythme, le produit, les tâches sont imbécilisantes. Cela fait il pour autant de Luisa une imbécile ? Mon premier réflexe avait été d'être d'accord avec toi, et j'avais ri aussi. Mais je ne suis plus si sûre. Quand Luisa se referait à ta posture « métaphysique » vis-à-vis de la rébellion ou ton attitude « simpliste » par rapport au travail, je comprenais ce qu'elle voulait dire. Je ne pouvais m'en empêcher : Dans quelques minutes elle aurait à se dépêcher pour aller au travail. Aussitôt partie, Tina s'est précipitée dans la cuisine, à engorgée du jus de fruit et s'est précipitée dehors elle aussi, sans dire un mot, en claquant la porte comme à son habitude. Je sais qu'elle ne gardera jamais ce boulot plus de dix-sept semaines. Pour autant c'est Luisa et non Tina qui va à chaque réunion dont elle entend parler, la première pour chaque grève, à rejoindre chaque piquetage ou à porter la plus grande pancarte dans les manifestations. Tina reste à la maison à lire pendant une grève. Elle est aussi hostile aux manifs qu'aux spectacles de fillettes, et la seule fois ou elle est allée à une réunion « radicale, » son seul commentaire avait été « chacun d'entre eux pense qu'il est Napoléon. » Au plus j'y pense, au plus je trouve dérangeante ta description de « l'imbécile. » Il y à plusieurs années j'ai passé un mauvais moment avec Luisa. J'habitais chez elle. Elle était rentrée du travail en sanglotant. Elle répétait que sa vie n'était plus bonne à quoi que ce soit, et qu'elle n'avait pas de raison de se la coltiner d'avantage. Je ne me sentais pas capable de simplement lui demander ce qui s'était passé ce jour là. Et bien sur rien n'étais arrivé le jour même, ni le jour précédent, ni l'année précédente. Elle s'était décrite comme un vieux chiffon effiloché et poussé à sa limite. Ce dont tu parle dans ta lettre m'est passé dans la tête à ce moment là. Je savais que je ne pouvais pas passer chaque jour de ma vie a répéter les mêmes mouvements, a aider à construire les mêmes machines qui m'oppriment et contribuer à ma propre souffrance, comme tu l'a écris. Je ne l'ai d'ailleurs pas fait : mon « historique d'emploiement » est pire que celui de Tina. En pratique, je suis d'accord avec toi. Luisa s'en est par ailleurs tirée, bien que je n'ai été d'aucune aide. Elle s'est lancée à corps perdu dans de nouvelles activité, en continuant de retourner au travail tout les jours. Je voulais résumer nos réactions à ta lettre et je me retrouve à résumer ma confusion. Je ne suis plus certaine que mes derniers paragraphes ai quoi que ce soit à voir avec ta lettre. Ils ne participent certainement pas à une « critique raisonnée » de quoi que ce soit que tu ai écrit. Quand j'ai commencé à te raconter notre « nuit avec la lettre de Yarostan, » je pensais qu'il s'agirait d'un moyen de commencer à répondre à tes questions : qui suis-je, ce que je pense, ce que j'ai fait, si je suis « mariée » et ai des enfants, si je suis toujours en vie. Je t'ai déjà répondu pour certaines d'entre elles, et tu ne t'attendais surement pas à des réponses expéditives. Je suppose que tu veux en savoir autant sur ma vie que moi de de la tienne. Peut-être que j'ai fait une erreur en essayant de combiner l'histoire de ma vie et l'histoire de cette discussion. Il se trouve que c'est l'un des « mécanismes » que j'ai utilisé lors des deux fois ou j'ai commencé à écrire un roman. Pourtant, même si cette combinaison du présent avec le passé est « seulement » un outil littéraire, les romans dans lesquels je voulais les utiliser n'ont jamais rien été que des réponses anticipant tes questions. Cette lettre en est le premier chapitre. Chaque fois que j'ai tenté d'imaginer qui mes lecteur.ice.s seraient, je me suis toujours concentrée sur une seule et même personne : Toi. Ça aurait du être un roman sur toi et moi, sur les jours que nous avions passés ensemble. Ça aurait du être le « passé. » Le « présent » aurait consisté en mes tentatives frustrées de recréer ces jours dans d'impossibles circonstances. Tout cela était vrai, exactement comment ça c'était passé. J'allais seulement changer les noms des gens, et dans mes brouillons je n'ai même pas fait ça et me suis contentée de ne changer que ceux que je fréquentais encore, trop attachée aux autres pour les changer. Une grande partie auraient du être de la « fiction » même si les noms ne l'avaient pas été parce que je n'ai pas la mémoire de Sabina. J'étais désolée que tu ne mentionnes pas l'expérience que nous avons partagé.e.s. J'étais triste que tu m'ai presque oubliée. L'expérience que j'ai partagé avec toi a marqué tout ce que j'ai pensé et fait. C'est là que ma vie commence. Cette expérience m'a donné un repère à partir du quel j'ai comparé toutes mes expériences suivantes et chacune des personnes que j'ai rencontré. Des personnes entières ont un jour pris un coin du monde et commencé à le remodeler. D'elleux, j'ai appris ce que les gens et les activités pourraient être, que chaque idéal théorique n'était qu'une combinaison de mots, et que chaque utopie intellectuelle n'était que réorganisation des répressions existantes. Je comprenais les imperfections des gens avec qui j'étais parce que j'avais connue des personnes qui ne les avaient pas. J'avais appris que les gens pouvaient être d'avantage que des pions sans vie attendant d'être déplacés ou supprimés par des mains surhumaines. Luisa avait vécu à travers des expériences bien plus riches que les miennes, pour autant ses attentes du présent étaient bien plus modestes. Après que nous soyons arrivées ici, elle s'est lancée dans les activités syndicales et les manifestations pacifistes avec un enthousiasme sans nom. Personne n'aurait pu imaginer que trois fois au cours de sa vie elle avait fait l’expérience de tremblements qui avaient mis à mal les fondations même du monde. Peut-être qu'elle entretenait l'illusion que chaque grève était le début d'une grève générale, que chaque manifestation était un signal pour l'insurrection, chaque mouvement le point de déclenchement de la révolution. Je me suis lancée dans des activités similaire, sans en partager l'enthousiasme. Si j'avais partagée son euphorie à chaque fois que fois que la même vieille momie rabougrie était représentée au public comme la dernière mode, Sabina et Tina ne m'auraient pas tolérée. Ce n'est pas qu'aucune d'entre elles soit « conservatrices.» Si l'on compare la vie personnelle de Luisa à celle de Tina, je ne peux m'empêcher de ressentir que Tina est celle qui est subversive. Pour ce qui est de Sabina, elle rejette les conventions sans aucun compromis, qui fait que tout le monde la trouve « dérangée ». Pour Sabina, « l'enthousiasme révolutionnaire » de Luisa n'est rien de plus qu'une autre convention. Pour la citer, toutes les postures de Luisa peuvent être résumées en deux phrases : À chaque fois qu'un ouvrier pète, la classe dirigeante tremble, à chaque fois qu'un ouvrier pisse, c'est la marée de la révolution qui commence à inonder le monde. Je n'ai jamais entendu parler de deux individues qui auraient moins en commun. Je dois admettre que toute ma semblance de sagesse est rétrospective. Dans la fureur du moment je suis tout aussi hystérique que Luisa. L'année dernière seulement, il y à eux deux émeutes de grande envergure ici. Des gens ont brulé des magasins, brisé leurs vitrines et rapporté chez elleux autant que ce qu'illes pouvaient porter. Je suis rentrée avec une télévision. Quelqu'un.e me l'avait passé et je n'ai pu la passer à personne parce que tou.te.s les autres avaient déjà les mains pleines. Tina était rentrée avec une nouvelle paire de chaussures qui lui allaient parfaitement. Les festivités ont tournées au massacre quand la police et les soldats ont assassiné beaucoup de gens. Sabina a commenté « qu'au moins Tina avait eu du bon sens.» Ce qu'elle voulait dire c'était que « c'est tout ce qui s'est passé ! » Dans une formulation égoïste, les chaussures de Tina étaient tout ce que nous avions tiré de cette émeute, étant donné que j'avais donné ma télévision le lendemain, vu qu'aucune d'entre nous supportais de la regarder. Mais je refusais de réduire les événements à la paire de chaussures de Tina. Pour moi, les vitrines de la propriété privée avaient été abattues par la population. Cette émeute avait été le geste le plus sain que j'avais vu des habitant.e.s de cette ville pendant les vingt années ou j'ai vécu ici. Je devais un cours à l'université à l'époque, et le jour après la fin de l'émeute je suis arrivée en classe pleine de cet esprit de pillage. J'ai demandé aux étudiant.e.s qui d'entre elleux avaient pris.e.s part à l'émeute. Puis je me suis tournée vers l'un des étudiant qui n'y avais pas participé et lui ai demandé s'il avait toujours été un bon garçon. Il se trouve que oui, donc je lui ai demandé s'il n'avais jamais secrètement espéré rejoindre les gamin.e.s plus intelligent.e.s nageant dans l'étang plutôt que de suer dans leurs fringues de catéchisme comme des caniches obéissant.e.s en costume et nœuds papillons. Prévisible : Le bon garçon me rapporta au doyen et je fus renvoyée la fois suivante ou je vins donner ce cours. À la différence de Yara, aucun.e de mes étudiant.e.s n'a penser à manifester pour moi. L'idée n'a apparement pas semblée leur venir. Elle ne m'est pas venue non plus parce que je détestais mon boulet que que mon « émeute » était le prétexte que j'avais longtemps attendu pour démissionner. L'émeute était un carnaval avant que les tueurs professionnels n'entrent en scène. En fin de compte, Sabina avait raison. Quelques personnes ont récupéré des choses dont illes avaient effectivement besoin, et c'est tout ce qui s'est passé. La plupart des gens sont rentré.e.s chez elleux les bras chargés, comme moi, pour aussitôt tout entasser dans leurs greniers ou les redonner. Les murs de la propriété privée ne se sont pas effondrés. La tension qui s'était accumulée depuis des années s'est évaporée comme des pets dans un air déjà pollué. Les vitrines brisées des magasins ont été remplacées par des murs de brique et les gens sont retournés au travail pour produire davantage de marchandises, puis se sont remis.e.s à patienter en files pour les acheter. Quelques personnes ont fait du tapage au sujet de celleux tué.e.s par l'armée et la police, avec raison. Mais se plaindre au gouvernement d'avoir tué des pilleur.se.s à la place de les mettre en prison n'est pas équivalent à l'expropriation des exploiteur.se.s Je ne me suis assagie qu'après les faits. Mais Luisa ! Je l'ai vu peu de temps après. Elle m'a dit qu'au moment ou l'émeute à commencée, elle s'était enfermée chez elle et avait allumée la radio. Quand j'ai exprimée ma surprise, elle m'a dit que les ouvrier.e.e avec qui elle avait combattu avaient attaqué le système de propriété et non la propriété elle même. « Quel bien cela leur ferait-il d'hériter d'un monde en ruine? » m'a-t-elle demandée. Elle était restée en retrait, mais au plus la température rebaissait dehors, au plus la sienne montait. Elle commençait à être excitée quand l'armée fut appelée, retrouvant son tempérament enthousiaste et militante quand tout était fini. C'est là qu'elle a rejoint une manifestation contre la répression policière. Quand je l'ai vu, elle était à travailler dans le bureau sombre du comité anti-répression. Tout était fini. Le « comité » n'était rien de plus qu'une opération de nettoyage, après les grands événements. Pour autant Luisa était euphorique. Elle était proprement malade d'enthousiasme. Pour elle, la révolution ne faisait que commencer et je n'ai même pas essayée d'en débattre avec elle. J'étais polie et indifférente, souriante avec condescendance. Je ne l'avais pas vue depuis des années, et je ne l'ai pas revue jusqu'à ce que ta lettre arrive. Je n'ai toujours pas répondu à toute tes questions. Pourquoi est-ce que je t'ai écrit il y à douze ans ? J'avais été à la recherche de quelqu'un comme toi depuis le jour ou j'étais arrivée ici, et ceux que j'avais trouvé n'étaient pas assez similaires pour mettre fin à cette recherche. J'avais donc décidée de te contacter, et au cas ou tu ne puisse pas être trouvé, j'ai essayé de contacter les autres de notre groupe. J'avais juste « fini » l'université (je devrais plutôt dire que c'est elle qui m'avait fini : j'avais été renvoyée). J'avais prise part à l'une des première actions de ce qui allait plus tard être appelé « le mouvement étudiant, » et cela n'avait abouti à rien. Ces dernières années, l'expérience n'étaient même pas considérée comme faisant partie de l'histoire du mouvement étudiant. Mais je ne raconterai pas ça maintenant. Ce qui me dérangeait à l'époque n'était pas que personne ne sache ce que nous avions fait, mais l'expérience cauchemardesque elle même. J'ai couru du mieux que j'ai pu mais ne suis arrivée nulle part. J'étais incapable de m'orienter, désespérée. Il m'avait semblé que depuis que j'étais arrivée ici, je ne voyais que des murs : des murs de bétons, des murs de brique, des murs de métal, chacun d'entre eux assez haut pour ne pas pouvoir regarder par dessus. Je n'avais aucune idée de ce qui se passait de l'autre côté des murs ou qui y était. J'ai depuis appris qu'il s'y trouve des ateliers ou la plupart des gens passent la plupart de leurs vies. Des ateliers très semblables aux prisons dans lesquelles tu a passé la plupart de ta vie. Mais à l'époque je ne connaissais que les murs qui m'excluaient, et je me souvenais qu'a une époque je n'étais pas exclue. Que j'avais connu des individu.e.s vivant.e.s et pris part à des activités pleines de sens. Je me souvenais qu'à un moment dans ma vie, les murs avaient cessés d'être impénétrables et commencés à s'effondrer. Je pensais que tout ce que je pouvais faire était de prendre contact avec toi et les autres, y trouver un cadre de référence. J'ai attendu et attendu pour une réponse. Rien n'arriva. Je suis surprise d'apprendre que Mirna ai vu ma lettre. Je pensais qu'aucune de mes lettres n'étaient arrivées à leur destination. Je suppose que tu n'avais pas vu ma lettre parce que tu étais en prison. Pourquoi ne l'a tu pas trouvée après ? Était-elle perdue ? Et pourquoi a-t-elle mémorisée l'adresse ? Savait-elle que la lettre serait perdue ? Ce qui me me mystifia le plus dans ta lettre est la déclaration que Mirna pensait ma lettre particulière et lui « attribuait un pouvoir étrange.» Qu'est il arrivé à ma lettre ? Je veux tout savoir, et en détail. Je veux savoir ce que tu as fait, et les choses qui t'ont été faites, sur les gens que tu a rencontré et les personnes que tu as apprécié.e.s, et ce que tu penses d'elleux maintenant. Je veux tout savoir sur Yara et Mirna et sur les gens d'il y à vingt ans. Ta lettre nous a toutes fait comprendre l'abîme qui sépare ton monde du notre. Aucune d'entre nous ne croît la littérature officielle d'aucun des deux côtés (elles sont toutes deux en fait le même côté : l'extérieur), mais le résultat est que personne ne sait quoi croire. Les murs impénétrables que j'ai mentionné plus tôt semblent être l'architecture principale du monde. Quand tu es derrière l'un de ces murs, tu ne peux pas savoir qu'il y à encore un mur de l'autre côté. Pour ce qui est des gens derrière cet autre mur, illes n'existent simplement pas. Si l'une d'entre eux apparaît néanmoins parmi nous, nous sommes suspicieuses : il doit être un agent de l'état, qui d'autre aurait pu escalader ces deux murs ? J'ai entendue parler de tel.le.s agent.e.s de l'état : Illes en savaient aussi peu sur les personnes qui avaient été mes camarades que j'en sais sur les mannequins à un bal de débutantes, mais illes étaient tout aussi dédaigneux.ses. Nous apprenons quelque chose d'eux : Quand tu entend une histoire d’horreur assez de fois, tu commences à la penser comme vrai, pour autant c'est une piètre manière de déterminer si c'est vrai, en particulier quand tu sais que les répétitions de mensonges sont le fond de commerce des propagandistes. J'étais abasourdie quand tu as écrit à un moment avoir le mal du pays pour la prison. Je doit admettre que je suis l'une des nombreuses personnes craignant l'arrestation et l'emprisonnement. En dépit de ma brève expérience avec les prisons, j'imagine toujours la vie carcérale consistant en de longues files d'hommes et femmes silencieuses se trainant des chaines et des boulets de fer. Luisa m'a rappelé que la condition ouvrière était souvent similaire à celle des détenu.e.s servant une peine longue, et que ces conditions stimulaient des sentiments d'entraide et de solidarité autant que des objectifs partagés et des amitiés de longues durées. Une personne qui se trouve chamboulée par leur solidarité et leur camaraderie n'est pas l'un.e d'entre elleux, un.e étranger.e, un.e outsider, possiblement un.e ennemi.e. J'espère simplement que tu ne me prendras pas pour une étrangère, ou ce que tu appelle une « imbécile ». Tout mes encouragements et mon admiration vont vers toi, Yara et Mirna et à tou.te.s nos camarades toujours emprisonné.e.s. Et si tu ne pouvais pas cacher ton impatience pour une réponse, je n'essayerai pas de cacher la mienne.
Amour,
Sophia * Seconde lettre de Yarostan Chère Sophia,

L'image que j'avais de toi était un peu trouble la dernière fois que je t'ai écrit, mais je me souviens maintenant de toi aussi clairement que si nous avions été ensemble hier. Personne qui t'aurai connu il y à vingt ans ne pourrait s'empêcher de te reconnaître. La lettre que tu m'as écrite avait la chaleur de la camaraderie. J'aimerai te répondre avec le même esprit, ou au moins être poli, mais vingt ans ont passés. Tou.s.tes le monde autour de moi a changé. L'image que tu décris de toi-même aujourd'hui est étonnement similaire à celle que tu étais il y à vingt ans. Ce que je reconnais dans ta lettre n'est pas tant l'événement dont nous avons partagé l'expérience mais un que nous n'avons jamais vécu. J'ai écrit à une personne vivante et reçu une réponse par une personnage imaginaire célébrant des événements qui n'ont jamais eu lieu. J'admet avoir un temps partagé l'illusion que ta lettre me vante. Il y a vingt ans, nous étions toi et moi comme des enfants qui ont vu un groupe de gens creuser dans un champ, et nous les y avons rejoint. Illes chantaient, mais nous en comprennions mal le sens, n'y entendant pas la souffrance et la résignation. Nous pensions qu'illes chantaient la joie. On a trouvé des pelles et creusé avec elleux. Nous chantions plus fort que les autres, jusqu'à ce que l'une d'entre elleux se tourne vers nous et demande si « vous savez ce que vous faites ? » Sophia, ne te rappelles tu pas des visages terrifiants ridés de douleur ? « Regardez là », dit-il en pointant vers les fusil dirigés vers le groupe. Nous avions rejoint un groupe de prisonnièr.e.s comdamné.e.s à mort, et nous les aidions à creuser la fosse dans laquelle illes seraient jeté.e.s après avoir été fusillé.e.s. Comment n'as-tu pu retenir que les souvenirs du moment ou nous étions a chanter joyeusement à leurs côtés ? Est-il possible qu'après vingt ans tu ne sache toujours pas ce qu'on les a aidé à faire ? Tu m'as déçu dans ta lettre, mais j'étais encore plus déçu par Luisa. Peut-être que tu étais trop jeune et pleine de vie pour comprendre la nature de ce que tu appelles ton expérience clé. Mais je ne peux croire que Luisa, cette Luisa que je pensais connaître, pouvait entretenir une illusion de cette ampleur pendant deux décennies. C'est pourquoi j'envois cette lettre à ton adresse plutôt qu'à la sienne. Quand j'ai commencé à lire ta lettre, j'étais rempli de joie d'avoir réussi à vous contacter toutes les deux. Après la seconde ou troisième page, cette joie se transformait en incrédulité. J'ai recommencé et confirmé mon impression. Tu situes ta naissance, ton point de départ dans l'événement qui m'a abattu ; ton émergence coïncide avec ma destruction. Et Luisa qui t’encourage ! Il n'y à que Sabina qui semble comprendre ce qui est arrivé , même si elle n'avait guère que douze ans à l'époque. Peut-être que mon inaptitude à reconnaître la Luisa que tu décris dans ta lettre est similaire à la tienne à te souvenir ce que nous avons fait ensemble. J'ai aussi entretenu une illusion pendant des années, celle d'une personne appelée Luisa, dont le seul trait commun avec la véritable Luisa était son nom. J'ai conservé mon portrait de Luisa pendant mon premier séjour en prison. Aucun enquêteur ne pouvait me le prendre, aucun tortionnaire ne pouvait le souiller. J'admirais et respectais cette Luisa. Je l'aimais. Elle était la guide qui m'avait fait traverser sans heurt à travers toute cette souffrance, ce désespoir, cette horreur. Elle était ma première véritable professeur. Chacun de ses commentaires, depuis ceux sur les armées de libération à sa qualification de Jan Sedlak comme « téméraire » ont défiguré cette image que j'avais conservée avec tant d'attention. Ma « Luisa » est désormais en lambeau. Tu m'as débarrassé d'une illusion. Ma « Luisa » imaginaire est brisée, et des fragments d'une personne complètement différente me reviennent en mémoire. J'avais réprimés ces fragments pendant des années, faisant de la Luisa mythique la seule dont je me rappelais. Le retour de ces fragments suggère que j'ai autrefois connu une Luisa différente de celle dont je préservais l'image, que j'ai connu autrefois une Luisa similaire à celle de ta lettre. J'avais connu cette personne et l'avais rejeté parce qu'elle n'était pas quelqu'une que j'aurais pu admirer, respecter ou aimer. Les années de séparation ont détruit les traces laissées par la personne réelle, et la Luisa imaginaire avait fini par expulser la Luisa véritable de ma mémoire. Je fais cet effort lassant de mettre à plat les fonctionnements de ma mémoire afin de peut-être en déduire les tiens. Se pourrait-il que cette expérience commune que tu décris n'était que partiellement réelle et et en grande partie ton invention ? Se pourrait-il que ton expérience passée illusoire, si gratifiante et complète ai avec le temps supprimé la mémoire des événements réels ? Si c'est le cas, et si tu es attachée à ton illusion, alors tu n'as pas besoin de lire davantage : Le reste de cette lettre pourrait avoir le même effet sur toi que la tienne a eu sur moi, remplaçant mes illusions brisées par par de douloureux souvenirs longtemps supprimés. Je vois des gens et des moments que j'avais tenus à l’écart pendant deux décennies. J'avais seulement quinze an quand Titus Zabran m'a amené pour la première fois chez vous. Luisa et lui travaillaient tou.te.s les deux à l'usine de carton. J'avais rencontré Titus une année auparavant, juste avant la fin de la guerre. Nous étions tout les deux dans un groupe de résistance qui s'était battu contre l'armée occupante. Je me souviens sans effort que Titus ne m'avait pas présenté à une mère et ses filles. Il m'avait présenté à trois femmes : Luisa, une femme approchant la trentaine, Sophia ; tu devais avoir douze ou treize ans ; et une petite Sabina de neuf ou dix ans. Vous vous appeliez entre vous par vos prénoms, comme des égales. Sabina et toi aviez préparé le souper pour nous tou.te.s. Luisa avait demandé à Sabina s'il y avais quoi que ce soit qu'elle aurait pu faire pour donner un coup de main, mais la petite lui avait répondu sur un ton assuré de « s'assoir et parler ; tout est prêt.» J'étais ébloui. Je n'avais jusqu'alors jamais fait l'expérience d'une absence aussi totale d'autorité dans des relations entre enfants et adultes. En y repensant, il serait plus juste de dire que j'étais charmé, comme sous le coup d'un sortilège. J'ai commencé à me des représentations mythique de vous trois dès le moment ou nous nous sommes rencontré.e.s. À partir de ce moment là je n'ai seulement vu, entendu ou ressenti que les expressions et gestes qui correspondaient avec ces créatures imaginaires que vous étiez déjà devenues, et supprimé tout ce qui entrait en conflit avec ces images. Les éléments réprimés sont restés quelque part dans ma mémoire, enterrés sous le mythe. Ils me reviennent maintenant par fragments, mais parfaitement conservés. Ils n'ont jamais été davantage que des fragments. J'étais attiré vers ta maison comme l'abeille vers les fleurs, une fois par semaine, puis deux ou parfois trois. J’assommais Luisa de questions sur la révolution à laquelle elle avait prise part dix ans plus tôt. Il n'y en avait pas assez pour me rassasier. Titus y avait aussi participé, mais je ne lui posait aucune question. Chaque fois qu'il plaçait un commentaire, il s'agissait d'une vague généralisation historique. Il se référait à des gens ou des événements qui ne m'étaient pas familier. Je ne voulais pas seulement apprendre sur cette révolution, mais l'apprendre de Luisa. Je comprenais chaque mot qu'elle prononçait. Ses descriptions étaient si claires, si vives, que lorsqu'elle parlait, je m'imaginait prendre part aux actions qu'elle décrivait. Elle m'a aidé a vivre ces moments en les comparant à des expériences que j'avais moi même vécu. Luisa comparait le jour du déclenchement de la révolution avec le premier jour de résistance, quand mes voisin.e.s et ami.e.s se sont précipité.e.s hors de leurs maisons, armé.e.s et rempli.e.s d’enthousiasme Le jour ou j'ai aidé à construire une barricade, puis aidé à la défendre. Neuf ans séparaient les deux événements, et dans les descriptions de Luisa, c'était là tout ce qui les séparait. Je savait alors clairement que ces deux moments n'avaient rien en commun hormis les barricades. Pour Luisa, ils avaient tout en commun : Les deux événements ne faisaient qu'un. Pour autant cela ne me dérangeait pas. Sa comparaison m'aidait à comprendre. Des groupes de gens qui n'avaient jamais rien entrepris ensemble ; certains d'anciennes connaissances du quartier ou de l'usine, la plupart de parfait.e.s inconnu.e.s, étaient devenu.e.s les meilleur.e.s des ami.e.s en un instant. Tout d'un coup illes avaient tout en commun : des craintes comme des espoirs, des taches immédiates et des projets lointains. J'en faisais parti. J'avais transféré les expériences de la résistance que j'avais vécue un an plus tôt dans l'expérience révolutionnaire de Luisa. Je suis devenu un membre de cette communauté combattante, un égal parmi des gens qui s'étaient libéré.e.s elleux-mêmes. Un camarade parmi des ouvrièr.e.s déterminé.e.s à détruire le monde répressif. Je n'étais dorénavant plus le gamin bon-à-rien, le vagabond, le lumpen que j'avais été pendant la guerre. Je n'étais pas fier de ce que j'avais été avant ça : Mon passé récent n'avait pas sa place dans le monde que vous habitiez toutes les trois, ce monde mythique dans lequel je vous avais moi même placées. Tu voulais en savoir plus sur mes expériences « héroïques » pendant la résistance, mais je ne t'en ai jamais parlé. Luisa m'avait aidé à les oublier, en m'aidant à transformer ces véritables moments de ma vie en des événements imaginaires, dont j'avais seulement fait « l'expérience » en écoutant ses histoires. Mes parents avaient été emmenés peu de temps avant la fin de la guerre. J'étais censé me cacher dans la corbeille à charbon de la maison d'en face. Je me suis rapproché de la fenêtre de la cave, et je les ai vu se faire escorter hors de la maison et mis à l'arrière d'un camion. Illes avaient tou.te.s deux travaillé.e.s dans des usines. Illes venaient de rentrer du travail, et c'était la tombée de la nuit. Plus tôt ce jour là, quand les voisin.e.s m'avaient poussé dans la corbeille, j'avais insisté à savoir pourquoi. Illes m'avaient « expliqué » que la mère de mon père avait été juive. Cette explication ne m'appris rien. Mes parents n'avaient jamais discuté politique ou religion ou quoi que ce soit d'autre que la quantité d'argent qu'il restait pour payer les dépenses de la semaine. L'explication que je comprenais était écrite sur le visages de nos voisin.e.s : Mes parents étaient souillé.e.s. J'étais souillé. Tout le voisinage avait regardé pendant que mes parents se faisaient emmener. Celleux qui ne pouvaient pas voir depuis leur fenêtres sont sorti.e.s pour regarder. Personne ne dit ou fit quoi que ce soit. C'était comme un enterrement. Tout les visages étaient tristes, pourtant ils exprimaient quelque chose d'autre que la tristesse : Ils étaient soulagés de ne pas avoir de grand-pères juifs. Mes voisin.e.s, aussi pauvres que mes parents, et nerveux.ses comme des écureuils s'étaient déjà procuré.e.s de faux-papier pour prouver que j'étais leur fils. Mais je ne pouvais pas rester là. Illes n'étaient pas habitué.e.s à avoir un invité permanent, et je savais qu'illes ne pouvaient pas se permettre la dépense de me nourrir. Puis, et je pense maintenant que c'était injuste, mais je pensais que sous leur gentillesse et générosité, illes étaient effrayé.e.s que tôt ou tard je les souillent aussi. J'ai quitté « ma ville » sans jamais ressentir le moindre désir d'y retourner, même pour une visite. J'ai marché vers la ville, dormant dans des champs ou dans des grandes, me nourrissant de fruits et de légumes crus sur la route. Quand je suis arrivé ici, j'ai erré dans les rues comme un chien abandonné, à dormir dans des entrées d’immeubles et dans les traverses. L'hiver, je forçais des fenêtres de caves. Ma dernières « résidence volée » était la réserve d'une usine, un large couloir rempli de feuilles et rouleaux de carton. J'ai survécu en volant, mais ni aux occupant.e.s ni aux riches. Un jour j'ai vu un garçon de mon age courir sur le trottoir, il avais arraché un sac de courses à une veille femme, sans ralentir ni même manquer un pas et disparu. Je me suis donc entrainé pendant plusieurs heures avec un sac d'ordures pour m'entrainer à ce nouveau talent, pour ressortir dans le monde et gagner ma croute. Un matin, je ne me suis pas réveillé, jusqu'à ce qu'un homme m'atrappe par l'oreille et me crie dessus de manière hystérique : « Comment t'es rentré là, salle vagabond ? Je t’amène illico à la police. » D'autres ont acourru.e.s de l'atelier. L'un d'elleux s'approcha de mon tortionnaire et lui cria de « laisser partir le garçon ! » « Non, il va de suite à la police ! » lui cria l'homme en retour, me tirant si fort par l'oreille que j'ai cru qu'elle allait casser. J'ai plus tard appris qu'il était le contremaitre. Le groupe l’entoura, mon défenseur se plaçant droit en face de lui. Le contremaitre a alors lâché mon oreille brulante pour m’agripper le bras. Mon défenseur lui a dit que « c'est l'un de mes amis, et il cherche du travail. Je lui ai demandé de me rencontrer ici. C'est glacial dehors et tu vois bien qu'il n'est pas habillé pour ça. Est-ce que toi t'attendrais dans le froid dehors si tu pouvais aussi t’abriter à l'intérieur ? » Le contremaitre n'était visiblement pas dupe, mais il lâcha mon bras. Il ne pouvait rien prouver excepté que j'avais trouvé un refuge pour me protéger du froid, d'autant plus qu'il était entouré. Ce soir là j'ai appris le nom de mon défenseur : Titus Zabran. L'une des personne du groupe qui avais entouré le contremaitre était Jasna Zbrkova. Quand j'ai finalement trouvé du travail là bas après la guerre, elle m'appelait « le vagabond qui s'est fait prendre à trop dormir . » Je suis retourné à l'usine ce soir là, voulant remercier Titus. À la place il m'a remercier de l'avoir attendu. Il m'a demandé si j'aurais voulu travailler là si il y avais un poste de libre. Je n'avais jamais pensé à travailler. Je lui ai raconté comment mes parents n'avaient jamais rien fais d'autres de leur vies et avaient fini.e.s par être emporté.e.s à l'arrière d'un camion. Titus m'a introduit à ses ami.e.s. L'un.e m'hébergeait, d'autres prenaient des tours à me nourrir. Tou.te.s étaient des travailleur.se.s, tou.te.s m'ont supplié.e.s d'arrêter de voler : Illes m'ont dit que cela mettait en danger leur organisation, que la police viendrait pou me trouver et finiraient par les arrêter tou.te.s. J'ai arrêté, et me suis retrouvé sans rien à faire. J'étais présent à chaque réunion de l'organisation mais je m'y ennuyais à mourir. Quand illes débattaient, je fixais mes yeux dans le vide et rien qu'illes pouvaient dire n'avait quoi que ce soit à voir avec moi. Illes utilisaient des mots comme « révolution » et « libération, » mais de manières bizarres. Illes me faisaient penser à des marchand.e.s exotiques se chamaillant et se tirant les cheveux parce que l'un.e aurait arnaqué l'autre dans une transaction ayant eu lieu des années avant, dans une autre partie du monde. (J'ai plus tard fini par prendre part à ces discussions, et en y repensant je considère ma première réaction avoir été plus saine.) Je ne suis pas resté inactif très longtemps. La guerre approchait sa fin. Le mot « libération » commençait à être utilisé de manières qui prenaient tout leur sens : Il commençait à signifier fusils, grenades et balles. Quand le mot passa que je connaissais des cachettes dans chaque recoins de la ville, je n'ai plus eu le temps de voler ou l'occasion de regarder dans le vide pendant les réunions. Les trois jours et nuits du soulèvement ont été le point culminant de ma vie. Tout les éléments dont j'ai plus tard entendu Luisa décrire y étaient présent et sont probablement des éléments que l'on retrouve dans chaque soulèvements populaires. Mais il y en avais d'autres, plus sombres ; que Luisa m'a plus tard aider à réprimer : Elle m'a aidé à me souvenir de ces trois jours comme s'ils avaient été les trois premières journées de la révolution dont elle avait fait l'expérience . Oui : la coopération, sociabilité et camaraderie étaient là, mais je les prenaient pour acquis. Après tout, pendant les mois précédent, j'avais passé tout mon temps et mon énergie à cacher des armes et préparer pour cet événement, et je n'en attendais pas moins des autres. La seule émotion que j'ai ressenti pendant ces trois jours, une émotion dont les traces dans ma mémoires ont plus tard été poussées à se cacher par le mythe fondateur de Luisa était le désir sanguinaire de vengeance Construire une barricade était une expérience importante, ou projet social comme tu les appelles, et même un type d'architecture populaire. J'en appréciais véritablement le travail d'une manière dont le travail routinier et institutionnalisé du quotidien ne peux pas être apprécié. Mais le projet était gâché par son objectif. Je travaillais avec enthousiasme, mais mon esprit était sur l’ennemi : je regardais en avant, non pas à la finissions de ce projet commun mais à l'attaque. Et quand illes ont attaqué, ma sociabilité et mon intérêt pour l'architecture se sont évaporés. Je n'avais plus qu'un but : loger chacune des balles dans un corps en uniforme. J'ai d'abord tiré pour venger mes parents. Plus tard j'ai juste tiré, ma seule préoccupation étant d'atteindre ma cible. Je peux déjà entendre que « ce n'est pas juste toi, c'est la guerre » C'est juste, c'est seulement la guerre. Si nous le prenons tant pour acquis, pourquoi alors est-ce que nous le supprimons de nos mémoires ? Quelques mois plus tôt, j'avais volé les courses d'une pauvre vieille femme et avais été un voleur vicieux, une brute. Maintenant j'assassinais des douzaines d'êtres humains, la plupart d'entre eux des travailleur.se.s à peine plus âgé.e.s que je l'étais et j'étais un héros Je n'ai jamais été fier de mes vols, mais je n'ai jamais non plus ressenti le besoin d'en repousser la mémoire. Pour ce qui est des actions qui ont faites de moi un héros, je ne pouvais m'en éloigner assez vite. J'ai eu à les repousser, les remplacer par d'autres et là encore je n'avais pas confiance en ma fierté de héros Luisa m'a aidé à repousser ces souvenirs du véritable soulèvement. Elle m'a aidée à me sortir de la conscience les tirs, les corps tombant et les expressions sur leurs visages. Je l'ai rencontrée quelques jours après le soulèvement, quand j'ai été embauché à l'usine de carton. Claude Tamnich, Vera Neis et Adrian Povrshan ont aussi été embauché.e.s au même moment. Le soulèvement avait rendu un bon nombre de postes vacants. Plusieurs travailleur.se.s avaient été tué.e.s par une seule grenade alors qu'illes quittaient l'usine. Elle avait probablement été lancée par un.e jeune travailleur.se pour venger la mort de l'un.e de ses camarades, peut-être l'un.e de celleux que j'avais tué quelques minutes ou heures plus tard. Même le contremaitre était parti, tué par « notre camps » le jour après l'insurrection quelqu'un avait crié « Tuons le sale collaborateur ! » et plusieurs personnes l'avaient visés et tirés comme s'il avait été un chien galeux, et si j'avais été présent, j'aurais surement été l'un des premiers à tirer. Peut-être que l'homme qui avait crier « Tuons le collabo ! » était un conducteur de camion, peut-être même que deux ans plus tôt il avait conduit un camion qui avait à l'arrière deux travailleur.se.s âgé.e.s transporté.e.s vers un camp. La narration charismatique de Luisa ne laissait aucun espace pour ce genre de spéculations. J'oubliais tout à propos de mes expériences de résistance quand je l'écoutais décrire le jour où neuf ans plus tôt, l'armée avait commencé à attaquer la population qu'elle était censée défendre. En réponse à l'attaque, le peuple se souleva : Hommes, femmes, garçons et filles. travailleur.se.s employé.e.s et chomeur.se.s ont commencé à s'armer et construire des barricades. Des rouages isolé.e.s de la machine sociale étaient devenus une communauté d'être humain.e.s tenu.e.s ensemble par un projet commun : Défendre leur ville et construire un monde nouveau, le leur. Dans mon expérience, un tel projet n'en a été ni l'intention de départ, ni le résultat, mais je souhaitais qu'elle puisse avoir été les deux et croyais en Luisa, d'autant plus que vous étiez toutes les trois la preuve vivante de ce nouveau monde, ou au moins la seule dont j'ai besoin. Le point culminant de cette histoire était la victoire. L'armée avait été vaincue. Le vieil ordre s'était effondré, et la révolution avait enfin triomphé. La population s'en sortait transformée. Sur les barricades et dans les batailles, la sous-classe passive, soumise et réprimée s'était transformée en une communauté d'individu.e.s indépendant.e.s. C'est à ce moment qu'un processus régulier et ininterrompu à commencé : Les églises étaient transformées en crèches, écoles et lieux de réunions. Les prisons détruites. Les ouvrièr.e.s ont occupé les usines ou illes avaient travaillé.e.s commencé à les autogérer, sans propriétaires ou gérant.e.s. Quelques jours après la victoire, les bus et tramways avaient retrouvé un fonctionnement normal. Dans les usines d'armement, les travalleur.se.s ont commencé.e.s à produire des armes qui n'y avaient jamais été fabriquées. La révolution s'étendait, des paysan.ne.s ont expulsé des grands propriétaires et occupé la terre. Comment se fait-il qu'une telle suite de victoires se termine par une si aberrante défaite? Les ouvrier.e.s étaient attaqué.e.s sur deux fronts. Luisa répète cette explication dans ta lettre. Le pouvoir des forces qui oppriment les travailleur.se.s étaient écrasantes. Les généraux avaient levés de puissantes armées à l'étranger. Ils avaient reçu de l'aide de chaque coin du monde quand les ouvrier.e.s n'en avaient pas. En plus de ça, avec une présence subversive s'était développée à l'intérieur. La révolution aurait pu être victorieuse contre l'une ou l'autre de ces forces, et s'était déjà prouvée dans la confrontation avec les généraux. Mais à faire face aux deux, elle a été défaite. L'image qu'en donne Luisa est magnifique, édifiante et triste. Tout ce que notre camp à fait a été de répandre cette révolution, de la renforcer, de l'approfondir. Celles et ceux qui ont travaillé.e.s contre y étaient extérieur.e.s, étrangèr.e.s et hostiles à ses buts. Des années plus tard, en prison, j'ai rencontré Manuel, un homme qui avait pris part à cette révolution. Il avait été dans des prisons et des camps déjà quatorze ans au moment ou je l'ai rencontré. Il avait été arrêté par la police du « peuple » quelques mois après la victoire révolutionnaire contre l'armée, et a passé sa vie depuis ce moment à être transféré d'une prison ou d'un camps à un un autre. Son récit des l'expérience n'était similaire à celui de Luisa seulement par le fait qu'il me rappelait des événements avec lesquels Luisa m'avait familiarisé. Le langage était différent, mais les événements étaient les mêmes : Je les avais reconnus au détail près. Ce que j'échouais à reconnaître étaient les fragments que Manuel narraient qui n'entraient pas du tout dans l'image de Luisa. J'échouais à voir que le langage était différent parce que l'image décrite était différente. Les descriptions de la révolution, de la résistance, du soulèvement auquel tu as pris part faite par Luisa, ont toutes une chose en commun : elles sont les descriptions d'événements imaginaires. Le même langage qu'elle a utilisée pour falsifier de véritables événements et les remplacer par des histoires profondes, complètes et édifiantes, seulement par le fait qu'elles étaient des mythes. Je m'en rends bien compte maintenant parce que ta lettre a opéré la même magie à une expérience que j'ai vraiment vécu, une expérience dont je peux encore me souvenir. Tu m'as renvoyé une image miroir distordue de moi-même, engagé dans des activités qui ne se sont jamais produites mais assez similaire pour que je m'y reconnaisse. Quand je vois ce que toi et Luisa avez fait à mes expériences, je commence à comprendre ce qu'elle a pu faire aux siennes. Elle a vécu l'un des grands moments de l'histoire, et en a réprimé la moindre trace de sa mémoire. Elle a vu les opprimé.e.s, les balafré.e.s et les rachitiques se transformer en des êtres humains rayonnant de potentiel, et en a détournée les yeux de manière à ne pas être aveuglée. Sur les barricades, elle a pris part à un projet qui était complètement le sien, un projet né des groupes dans lesquels elle était engagée, un projet qui aurait rendu tous les autres possibles. Pendant un instant, l'imagination des individu.e.s libres s'est baladé dans un univers de possibilités infinies, et pendant ce moment, les possibilité de véritables activités humaines ont été à la portée de chacun.e. C'était là l'apogée de la révolution, et chacune des choses qui ont suivi ont roulé sur la pente accentuée du déclin. Pourtant c'est ce même moment qui est manquant de la narration de Luisa. Ou bien elle regardait ailleurs, ou bien elle l'a supprimé. À l'inverse, elle glorifie la suite d'événements qui a détruite ces possibilités, réduite l'imagination et balafrée les vies d'individu.e.s qui avaient été si brièvement libres. La « révolution » de Luisa est toujours ascendante au moment où, le jour après la victoire, « nos militant.e.s » rencontrent les politicien.ne.s sans pouvoirs d'un appareil d'état en ruine et se constituent comme « comité du peuple. » Elle est toujours ascendante quand, plutôt que de nous lancer dans nos propres projets, nous retournons à « nos » usines, bus, tramways, quand « nos » militant.e.s remplacent les contremaitres, gerrant.e.s et directeur.ice.s. Toujours ascendante encore quand nous produisons « nos » propres armes dans « nos » usines d'armement. Et le déclin ne commence qu'au moment ou des éléments extérieurs commencent à utiliser des forces étrangères pour trahir « nos militant.e.s » du « comité du peuple » et transforment ces comités en une police ; quand ces éléments forcent « nos militant.e.s » à convaincre les paysan.ne.s de rendre leurs terres à leurs propriétaires précédent.e.s et les ouvrier.e.s d'accepter les gerrant.e.s nommé.e.s par l'état, ou même l'ancien propriétaire comme patron. Le déclin ne commence que quand la nouvelle « armée du peuple » et la « police du peuple » ravivée commencent à arrêter les ouvrier.e.s qui résistent au retour d'un chef, les paysan.ne.s au retour d'un propriétaire, et quand des travailleur.se.s commencent à être tué.e.s par « leurs » balles, tirées depuis des fusils produits dans « leurs » usines, quand l'armée et la police paradent à travers les rues avec des camions et tanks d'un type jamais encore produit avant dans les usines d'armement « du peuple. » Nous étions écrasé.e.s par des forces extérieures, par les « étatistes » et les « agent.e.s intérieur.e.s » A aucun moment il n'y à eu de traces pourries en notre cœur. Peut-être que quelques, très peu de nos militant.e.S ont fait des erreurs, mais elles étaient mineures et insignifiantes, et tout le monde peut en faire. Je croyais ce que Luisa m'avais dit. Il le fallait. Elle avait été présente et moi non. Mais quand elle utilisait le même langage et la même imagerie pour décrire la résistance à laquelle j'avais pris part, aussi bien que le coup qui m'a pris la moitié de ma vie, je me rend compte qu'elle a fait quelque chose de drastique à la réalité : Elle me l'a extirpée de ma mémoire. Mais que t’es-t-il arrivé Sophia ? Qu'as tu fait à ta mémoire ? Comment peux tu te référer à la résistance en mentionnant dans la même phrase à la fois les « milliers de travailleur.se.s se battant et mourant pour libérer leur ville » et « l'approche des armées libératrices » ? Si nous nous sommes battu.e.s pour libérer la ville, alors nous avons perdu, les « armées libératrices » ayant détruites la liberté de la ville. Mais si nous nous sommes battu.e.s pour libérer la ville, pourquoi est-ce que nous, les milliers d'entre nous dans les rues comme tu dis, avons célébré.e.s et dancé.e.s quand les tanks et les soldats de « l'armée de libération » ont marché dans une ville déjà libérée ? Si nous avons combattu pour libérer la ville, pourquoi alors n'avons nous pas retourné nos pistolets sur ces nouveaux envahisseurs ? Pourquoi n'avons nous pas abattu les officiers et fraternisé avec les soldats et commencé à construire notre ville libre ? C'est cette même image distordue et familière. Nous étions pur.e.s, nous nous battions pour la liberté. Illes étaient des despotes et se battaient pour faire de nous des esclaves. Cette image est fausse. J'étais l'un de ces milliers, et j'ai tiré pour me venger et pour tuer. Il en était de même pour les autres avec moi sur les barricades. J'ai seulement appris que j'avais aidé à « libérer la ville » qu'après avoir rencontré Luisa. Et c'est seulement à ce moment la que je me suis « souvenu » l'avoir fait, mais ce n'est pas vrai. Je n'ai pas cru un instant que moi et les autres personnes avec qui j'ai construit des barricades allaient créer de nouvelles activités sociales, inventer de nouveaux moyens de transports et rêver de nouvelles relations sociales vis-à-vis d'autres personnes, activités ou de notre environnement. Je savais que des bandits, flics et soldats nous avaient toujours gouverné.e.s par le passé et je ne pensais pas que quoi que je fasse les empêcherait de nous gouverner dans le futur. Je ne créais pas de lien entre ça et mes activités sur les barricades. Pendant que je tirais, et pendant que des centaines d'autres comme mois étaient tué.e.s, nous avons préparé le terrain pour « l'armée de libération victorieuse. » Ce n'était pas intentionnellement que j'ai aidé à ça, et jamais je n'aurai intentionnellement risqué ma vie pour ça. Pourtant, parmi ces milliers qui ont d'après toi « libéré leur ville, » certain.e.s ont risqué.e.s leurs vies pour préparer l'entrées des nouveau envahisseurs. Peut-être pensaient-illes être récompensé.e.s par les nouvelles et nouveaux maitres.ses. Peut-être l'ont-ils été. J'avais rencontré certain.e.s d'entre elleux dans l'organisation de résistance. Je soupçonne qu'illes n'ont pas du se battre si dur que ça ou prendre beaucoup de risques étant donné que les mort.e.s ne peuvent pas apprécier leurs récompenses, mais j'ai peut-être tort. Mais comme les plus nobles des esclaves, illes ont tout risqué en espérant qu'au cas ou illes meurent, les nouvelleaux maitres.ses décoreraient au moins leurs tombes. Tu te réfères à ce qui s'est passé trois ans plus tard comme l'expérience la plus signifiante de ta vie. « Aucune force extérieure ne définissait notre projet ou ne prenait nos décisions. » Tu as retenu cette image pour aussi longtemps que j'ai retenu mon image d'une Luisa rejetant le travail salarié, la famille, l'état, une Luisa qui rejetait toute illusion. Pourtant, des fragments d'autres expériences survivent surement quelque part dans ta conscience. Une « force extérieure » a en fait défini ton projet et pris tes décisions. Il s'agissait des mêmes politicien.ne.s qui trois ans plus tôt avaient aidé à préparer le terrain en aidant à se débarrasser d'une armée pour en installer une autre à la fin. Toi et moi n'avons que récité les lignes d'un script, nous déplaçant sous le contrôle d'un marionnettiste Même les émotions que nous exprimions étaient prédéfinies. Tu as apparement tellement aimé ton costume et ton maquillage que tu as continué de les porter longtemps après la fin de la pièce. La pièce était une démonstration du pouvoir des politicien.ne.s « parmi les travailleur.se.s », l'histoire traitant des « luttes ouvrières » contre les politicien.ne.s ennemi.e.s, le point culminant arrivant quand les travailleur.se.s ont sorti Zagad de l'usine. À ce moment là, hors-scène, des politicien.ne.s ont sorti des ami.e.s de Zagad des bureau du gouvernement, et chaque personne n'appréciant pas les politicien.ne.s était automatiquement l'un.e de ses ami.e.s. L'appareil syndical était le marionnettiste. Ces politicien.ne.s syndicaux étaient à l'origine de la grève, et préparaient les manifestations spontanées, et prononçaient des discours sur la solidarité, le pouvoir et la détermination de la classe ouvrière. Notre rôle était de confirmer notre solidarité en récitant notre script, manifester notre pouvoir en gesticulant et montrer notre détermination en faisant des grimaces. La pièce était éducative : son but principal était d'instruire l'audience sur leurs lignes, gestes et émotions. Ce sentiment que tu exprimes encore aujourd'hui, l'illusion de l'autonomie, l'illusion que nous définissions nos propres projets et prenions nos propres décisions, était précisément l'illusion que la pièce avait été écrite pour véhiculer. Animé.e.s par cette illusion d'autonomie, nous n'avions pas seulement performé.e.s nos rôles avec un enthousiasme contagieux mais nous avons également convaincu audience après audience que nous avions véritablement considéré les ennemi.e.s des politicien.ne.s comme nos propres ennemi.e.s. J'étais bien sûr pris là dedans autant que toi. L'esprit de carnaval s'était emparé de chacun.e. Nous étions tou.te.s sur scène, la plupart d'entre nous pour la première fois de notre vie. Il y avait parfois même jusqu'à cinq pièces de marionnettes se jouant les unes aux autres. Il était impossible de dire qui était ou n'était pas sur scène. Comme tou.te.s les autres, j'ai pris mon rôle au sérieux, et je voulais le faire bien. Quand j'ai porté une pancarte qui disait « les usines aux travailleur.se.s!» j'agissais comme si je le désirais aussi. Je savais que des politicien.ne.s avaient arrangé.e.s la manifestation, que le syndicat l'avait préparée. Ce que je ne savais pas, à ce moment là, c'était que mon slogan ne voulait dire que « je soutiens le nouveau chef. » Peut-être que je le savais, mais je ne le souhaitais pas. Peut-être que je pensais que les pancartes elles-mêmes aideraient à faire apparaître la situation qu’elles décrivaient. Je me suis senti comme un agent, un instrument, quand nous avons marchés jusqu'au bureau de Zagad comme une milice de quatre personnes, mais je pensais être un instrument de « la classe ouvrière, » et non comme celui du syndicat ou de l'état. Pourtant les détails dont Sabina se souvient auraient du me mettre sur mes gardes. Pour Claude, nous n'étions pas de simples travailleur.se.s, quatre parmi tant d'autres, mais les « représentants du conseil ouvrier de l'usine, » des agent.e.s de l'appareillage. Je n'étais pas seulement séduit, j'étais envahis. L'atmosphère carnavalesque était si contagieuse qu'elle avait infectée mes émotions les plus intimes. Une expérience dont je me souviens clairement avait à voir avec George Alberts. Je le connaissais à peine, le plus que nous nous étions dit l'un à l'autre avait été « bonsoir. » Peu avant notre arrestation, quand les slogans sur « les usines au travailleur.se.s » avaient été remplacées par des slogans sur « les ennemi.e.s parmi nous, » Claude et Adrien m'avaient approchés, pour « parler d'Alberts. » Ils m'avaient demandé ou Alberts étaient parti avant la fin de la guerre et pourquoi n'avait-il pas combattu dans la résistance Ils m'avaient demandés de quel coté il s'était battu. J'étais en colère. Je leur ai dit de demandé à Luisa, qui vivais avec Alberts, ou Titus Zabran, qui s'était battu à ses côtés plusieurs années auparavant. Je leur ai dit que je ne connaissais rien d'Alberts. Je n'avais jamais ressenti comme de mon devoir de demander ou il avais été ou ce qu'il avait fait, et je savais seulement que quand il était revenu, il avait été employé comme un spécialiste hautement qualifié. Adrian m'a dit qu'ils ne voulaient pas confronter Titus Zabran « prématurément, » avant d'avoir pu déterminer « tout les faits. » Pour ce qui était de Luisa, ils allaient lui parler dès lors que leurs « affaire » serait aboutie et la confronter avec un ultimatum : dénoncer Alberts ou quitter l'usine. Je leur ai crié dessus, furieux, leur disant qu'ils étaient devenus fous. Je leur ai demandé s'ils étaient payés par la police, mais leur performance, comme toutes le autres a réussi à communiquer son message. Ce jour là, mon antipathie pour Alberts s'est transformer en suspicion. Oui, il m'est devenu douteux. Il était souillé d'exactement la même manière que mes parents l'avaient été. Tu me dis que tes projets et décisions étaient les tiennes. Mêmes mes émotions ne l'étaient pas. Ma suspicion d'Alberts n'était pas plus la mienne que n'importe quelle autre au cours de cette « expérience signifiante » Je reproduisait en moi les « émotions » de l'état. La signification de ma suspicion pour Alberts ne me sont devenu claire que lors de ma première année en prison. J'y ai rencontré d'innombrables prisonniers dont le seul crime avait été «l'acte » d'être suspicieux pour d'autres. Parfois, un.e politicien.ne répandait une rumeur sur quelqu'un.e qu'ille n'appréciait pas, parfois la rumeur venait d'un.e travailleur.se.s pensant pouvoir obtenir un autre emploi. La victime était toujours sans défense, et chaque chose dite ne faisait que visibiliser la souillure. Bientôt, tou.te.s pouvaient la voir et chacun.e était prête à les balancer : d'autres travailleur.se.s, ses camarades, ses voisin.e.s devenaient tou.te.s des agents de police, pointant pathétiquement leurs doigts à la manière de mon voisin Ninovo en criant « Vous êtes tou.te.s des agitateur.ice.s, illes n'auraient jamais du vous laisser sortir. » Ta lettre continue par une description des individu.e.s qui ont pris part à ton « expérience significative, » tu t'y réfère comme « notre groupe. » Les seuls traits que tes portraits partagent avec les individu.e.s dont je me souviens sont leurs noms. Étant donné que tu as désanchanté mon portrait illusoire de Luisa, je devrais essayer d'en faire autant avec toi. J'avais déjà connu ces individu.e.s pendant trois ans. Tu étais avec eux pendant deux semaines, pendant une période de crise. Je me rend compte que les gens sont souvent changé.e.s lors de crises, faisant l'acquisition de traits qu'illes n'auraient jamais manifesté en temps normal, et vivent d'importants changements. Je me rend compte que tu as peut-être rencontré ces individu.e.s pendant un moment ou illes avaient cessé.e.s d'être ce qu'illes avaient été. Mais je me souviens de manière très nette que ce n'est pas le cas. Soit parce que la crise n'étaient pas réelle, ou parce que ces individu.e.s n'étaient pas capable de se muer hors de leur personnalités précédentes, d'aller à travers de profonds changements, chacun.e d'entre elleux demeurant ce qu'il ou elle avait été avant. Tu te souviens de la rapidité de la répartie de Vera Neis. Moi aussi. J'étais reconnaissant de son esprit chaque jour que j'ai passé à l'usine. Nous l'étions tou.te.s : Elle rendait la routine supportable, comme une radio qui était allumée quand elle commençait à travailler et n'aurais pu être éteinte jusqu'à ce que nous ayons fini.e.s. Dans d'autres circonstances, sa répartie aurait été insupportable. Dans cette circonstance particulière, cela représentait quelque chose d'important. Elle nous divertissait par des rumeurs à propos de la classe dirigeante. Occasionnellement, elle nous apprenait une ou deux choses sur les machination derrière la façade. S'était une missionnaire : apparement, elle croyait réellement qu'aussitôt nous aurions tou.te.s compris.e.s les messages dans ses histoires, le monde changerait. Ce n'était pas ce que nous apprécions chez elle. Ce qui faisait d'elle une véritable héroïne dans l'usine étaient que ses longues tirades sabotaient la production dès lors que le travail commençait. Elle considérait sa croisade plus importante que le travail qu'elle avait été embauché à faire, et elle n'a jamais permis à son travail d'interférer avec ses discours. Le débat continu dans lequel elle prenaient l'un.e ou l'autre de nous à parti à bien du réduire notre production de moitié. Nous nous attendions tou.te.s à ce qu'elle soit renvoyée. La bienveillance du contremaitre était l'une des choses que nous avions gagnée dans la résistance. Quand la grève générale à commencée, elle est restait la même. Tes mots : « Elle n'aurait pas pu laisser passer un.e étrangè.r.e sans tenter de les convertir.» À ce moment là, sa répartie ne représentait plus un échappatoire à l'ennui de la routine, et n'était plus un sabotage informel. À ce moment là, elle était simplement une missionnaire prêchant le salut à travers une croyance dans une demi-douzaine d'abstractions et un amas de rumeurs, convertissant les Romains des temps modernes à un nouveau Christianisme. Tu écris « qu'il n'y a même pas de question sur quoi que ce soit d'autre. » Pourtant, tout ce que tu écris d'Adrian c’est : « Vera et Adrian. » C'est tout à fait exact. Avant que tu ne le rencontre, il avait été « Titus et Adrian, » et quand la grève a commencé, « Claude et Adrian. » C'est tout ce qu'il pouvait être dit sur lui. Il était comme une aiguille attirée par l’aimant le plus puissant, comme de la pâte façonnée par le boulanger le plus proche, ou un rouage qui aurait pu tenir dans n'importe quelle machine. Lorsque les syndicats ont lancés la « campagne pour une société ouvrière, » Adrian est devenu le seul converti de Vera. Il a mémorisé deux ou trois abstractions et à commencé à prêcher de son côté, une version lente et sans humour du même thème. Quand le moment est venu « d'expurger l'ennemi.e de nos rangs, » il est devenu le disciple de Claude, en essayant pathétiquement d'émuler la « dévotion » de celui ci, son dédain pour les autres travailleur.se.s. Ton portrait de Jasna Zbrkova était moins favorable. Elle était l'exacte opposée de Claude, et de loin la personne la plus sympathique et généreuse du groupe. Elle était l'une des rares êtres humain.e.s capable de sentir la douleur d'une autre personne ou se réjouir de leurs espoirs. Il est vrai que son empathie pour les autres a été jusqu'au point de se sentir désolé pour le « pauvre propriétaire » qui avais tant de problèmes à gouverner une usine aussi complexe. C'est aussi vrai que sa générosité était aveugle aux réalités politiques et économiques. Mais dans un contexte ou Claude était prêt à fusiller ses pairs, ou Adrian a changé instantanément d'une solidarité universelle à une suspicion généralisée, et c'était précisément cette générosité « aveugle » qui manquait. Je n'ai pas de souvenirs distinct de Marc Glavni. Il avait été embauché quelques semaines ou tout au plus quelques mois avant que la grève ne commence. Je me souviens m'être tenu à l’écart de lui. C'était un étudiant, et il ne faisait clairement que passer par l'usine pour aller « plus haut. » Il a peut-être été plein de ressources, comme tu le dis, mais je me souviens uniquement qu'il se considérait comme tel. Nous connaissons Luisa. Cela laisse uniquement Jan et Titus. Tu n'appréciais pas Titus, et Jan était « exalté . » Cette caractérisation de Jan apparaît tôt dans ta lettre, et j'ai eu du mal à continuer à la lire après ça. C'est la manière dont ses bourreaux l'ont décrit. Titus Zabran était un « réaliste. » À l'époque, je pensais que son « réalisme » lui avaient permis de voir à travers cette mascarade. Il semblait tout aussi au courant que Jan que l'expulsion de Zagad n'était qu'un commencement, que notre appropriation victorieuse d'un projet existant n'était pas du tout une victoire. À la différence de Jan qui était impatient, Titus semblais avoir une stratégie au long-terme ; il semblait « réaliste » parce qu'il considérait le présent comme un pas nécessaire, « un état » vers le suivant. Pourtant c'était Titus qui était un « réaliste » et Jan un « téméraire. » Est-ce que Titus savais que ce pas, cet « état » allait éliminer la possibilité d'en faire un second ? Au fait, tu étais aussi dans l'erreur pour ce qui est des circonstances pour notre arrestation. Ton lien avec Alberts, ou celui de Luisa, n'avait rien avoir avec ça, quelque soit la suspicion de Claude à son encontre. Grâce aux imaginations comme les nôtres, ou celles de Luisa ou Vera, nous avons tou.te.s pris.e.s nos rôles sérieusement, et infecté tou.te.s les autres par notre enthousiasme. Quand les grèves et manifestations se sont arrêtées, la plupart des ouvrier.e.s ont réalisé.e.s que le carnaval était fini et sont retourné.e.s travailler, notre groupe a continué à performer son spectacle. Nous continuions à imprimer des affiche, et les aller coller « Les usines aux ouvrièr.e.s » sur des murs récemment nettoyés, à crier le bien-commun des travailleur.se.s. À ce moment là, nous étions devenu.e.s dangereux.ses parce que c'est le moment ou d'autres comme nous, ailleurs, ont pu voir que certain.e.s avaient vraiment souhaité ce qu'illes disaient et que la représentation dans la pièce n'avait pas été la seul possibilité. Si d'autres n'avaient pas réalisé.e.s ça, les autorité au moins l'avaient fait. C'est seulement à ce moment que nous avons commencé à « agir par nous même, » même si nous n'étions pas au courant. Nous étions si emporté.e.s par notre représentation que nous avions échoué.e.s à voir que le rideau était tombé et que le carnaval était fini. Plutôt que d'agir par nous même, nous avons continué.e.s à réciter les lignes du script et performer les gestes répétés, alors que le souffleur et le directeur avaient quitté le théâtre. Nous avons été arrêté.e.s parce que nous avions sans en avoir l'intention, transporté.e.s notre performance du théâtre vers la rue, parce que nous avions continué à jouer alors que le temps était venu de retourner au travail. Du fait de mon échec à arrêter mon jeu, j'ai passé quatre ans à aller d'un donjon à un autre. Mes excès d'enthousiasme dans ma performance de la pièce avaient été interprétés par les inquisiteur.ice.s omniscientes du prolétariat comme de dangereuses activités antisociales, comme sabotage des formes sociales de production, et donc comme une menace au bien-être présent et futur de la classe ouvrière. Quatre ans plus tard, j'ai connu l'opportunité d'apprécier la nouvelle société en laquelle notre expérience significative avait abouti. La plupart de l'ancienne avait survécu dans la nouvelle, comme le mariage. Pourquoi prends-tu à partie le mariage ? Je me souviens des débats dans votre maison. Je me souviens également que ce n'est pas seulement le mariage mais aussi le travail salarié, la police, les prisons, gouvernements et écoles qui seraient absentes de cette société nouvelle. Elles ont toutes survécu, intacte et même renforcées. Pensais-tu que notre expérience significative avait changé tout ça ? Que le mariage, le salariat et les prisons avaient été abolies ? Ce que j'ai vu à ma sortie ressemblait davantage à la prison dont j'étais sortie qu'à une ville libre. Il y avait des détenu.e.s et des gardes. Les officiels dans des automobiles, les travailleur.se.s dans les bus et les trams, et tou.te.s étaient « en uniforme. » J'ai vu des fonctionnaires, policiers, soldats, travailleur.se.s, marchand.e.s et étudiant.e.s, mais je n'ai pas vu de simples être humain.e.s non catégorisé.e.s. J'avais la sensation qu'aucune de ces personnes que je voyais ne se rencontrait dans des maisons comme la tienne pour discuter de l'abolition du mariage et du salariat. Ces gens là avaient tou.te.s été arrêté.e.s et les discussions prenaient place en prison. Je n'avais nulle part où aller étant donné que je n'avais pas de famille et que mes ami.e.s étaient tou.te.s en prison. J'étais pourtant enthousiaste : Le premier séjour ne m'avait pas brisé de la même manière que le second allait le faire. Je voulais trouver du travail puis continuer la lutte pour exprimer ce que j'avais vu et appris. Je voulais apprendre ce qui était possible dans la nouvelle situation. Je suis aller à l'usine de carton. Chaque visage était nouveau, et chaque membre du groupe que nous avions connu.e.s n'étais plus là, le contremaitre sympathique inclus. C'est seulement ça qui était nouveau, les machines restaient les mêmes. Les murs restaient les mêmes et n'avaient pas été repeints. Les gens y travaillaient dans un silence total. Je me suis baladé et j'ai regardé. Ces gens me fixaient puis s'éloignaient. Personne ne m'a demandé qui j'étais ou ce que je voulais. Le silence et l’indifférence étaient nouvelles. Quelque chose d'autre avait changé, peut-être le produit de l'indifférence. Chaque carton que j'ai vu était mal imprimé, et nous les aurions tous placés dans la pile des rébus, mais maintenant toutes les piles étaient des rébus et il n'y avais plus rien de correcte. Les travailleur.se.s étaient silencieux.ses et semblaient indifférent.e.s, même si sous ces masques effrayants illes étaient toujours en vie. Un vieil homme travaillait à « mon » poste à une lenteur d'escargots. Il avait réduit la vitesse de la machine au dernier cran. La presse craquait et grinçait. Elle n'avais visiblement pas été graissée depuis quatre ans. Je n'ai vu nul part dans l'usine de boite de graisse dans l'usine entière, et apparement les planificateur.ice.s n'avaient pas trouvé de raison d'allouer de la graisse à l'usine de carton. L'absence de graisse avait causé le roulement à bille du cylindre principal à tourner en ellipse, avec comme résultat l'impossibilité de ne pas imprimer une image floutée. Le vieil homme ne pouvais évidement pas être tenu pour responsable du sabotage. Il était aussi lent et prudent qu'il pouvait l'être, et faisait du mieux qu'il pouvait. Qui a besoin de cartons bien imprimés de toute façon ? J'ai voulu lui serrer la main pour l'en féliciter, pour partager une blague et en rire avec lui. À la place je lui ai demandé si c'était possible de candidater pour un boulot dans l'usine. Il m'a dit de parler avec un.e représentante du conseil syndical. C'était une autre nouveauté, signe de la victoire des travailleur.se.s. Il m'a pointé dans la direction de ce qui avait été le bureau de Zagad quand j'ai demandé ou est-ce que je pouvais les trouver. J'avais bien deviné : j'étais déjà venu ici. Le représentant syndical au bureau de Zagad était un peu plus gras que Zagad l'avait été et m'a appelé « camarade. » Sous toute autre couture il lui était très semblable. Il me demanda mon nom et téléphona, puis me dis très poliment « Désolé camarade, la situation économique est très critique et on ne peux pas se permettre d'embaucher un individu condamné pour sabotage. » Avant de quitter l'usine, je me suis arrêté à côté du vieil homme pour lui poser quelques questions. Je voulais savoir à quel point le sabotage que j'avais vu était organisé, et quelles formes de communications les travailleur.se.s avaient réussi.e.s à créer. Le vieil homme était nerveux, et n'arrêtait pas de regarder autour de lui avec une peur que je n'avais jamais vue sur le visage de quelqu'un. D'autant que je puisse voir, le contremaitre avait fini pour la journée, et le gérant devait avoir son bureau ailleurs. Le représentant syndical fumait dans son bureau et tou.te.s les autres s'affairaient. Le vieil homme était il vraiment effrayé que quelqu'un.e le regarde ou l'entende ? Vera n'aurait pas tenu plus d'une journée dans cette usine. Je l'ai attendu dehors de la même manière dont j'avais attendu Titus Zabran presque huit ans plus tôt. Il était plus causeur. Il m'a demandé si j'avais été embauché. « pas d'ex taulards, » lui ai-je répondu. Il a regardé autour de lui de la même manière qu'il l'avait fait à l'intérieur, et j'ai eu peur d'avoir déjà mit fin à notre conversation. L'impression sur son visage était une que je n'avais jamais vu avant. Personne ne m'avais jamais regardé comme ça en prison. C'était donc ça le monde dans lequel j'avais été relâché ! J'ai senti un intense soulagement quand il m'a dit que nombre de ses ami.e.s, les « plus politiques » avaient aussi été emprisonné.e.s et ma colère grandissante m'a quitté quand il a dit « qu'un jour, ces arrogant.e.s récolter le fruit de ce qu'illes ont semé.e.s. » Il se rendait compte que son regard précédent m'avait choqué, et étais devenu plus causeur sans pour autant être amical. Le syndicat, me disait-il, avais reproduit la supervision du travail par les gestionnaires, et tout les deux étaient supervisés par la police. Le contremaitre était directement responsable vis-à-vis de la police, et plus d'un.e ouvrièr.e était policier.e. Il ri quand je lui ai demandé comment faisait les organisations informelles dans ces conditions. Il n'y avais jamais eu autant de méfiance parmi les ouvrier.e.s. « En plus des vrai.e.s agent.e.s de police, » me dit-il, « il y à des ouvrier.e.s qui croient sérieusement que les usines sont les leurs et donc que les ouvrier.e.s sont leurs propres patron.ne.s. Ce sont des fanatiques. Ces personnes ne restent jamais ouvrier.e.s très longtemps vu que leurs convictions les mène à des promotions rapides. Mais tant qu'illes sont à l'usine, illes sont pire que les représentants syndicaux ou même les agent.e.s de police. Illes travaillent plus durement que quiconque, critiquent les autres travailleur.se.s et font en renvoyer d'autres pour sabotages. Les gérrant.e.s et représentant.e.s syndicaux voudraient bien évidement n'embaucher que des travailleur.se.s de ce type, mais c'est impossible. L'enthousiasme ne dure pas longtemps si les promotions ne suivent pas et illes ne peuvent pas promouvoir l'ensemble des équipes de production. En conséquences, ces travailleur.se.s là ne sont jamais qu'une minorité, mais une minorité qui prévient efficacement toute action unifiée. Même un grommellement peut aboutir à une arrestation. Mais ne pense pas qu'illes ont fait de nous des bœufs, » ajouta t'il pour conclure. « Toutes leurs menaces, arrestations et harcèlements, tout leurs discours à propos de records de productivité et de production, celle-ci n'est toujours pas revenue au quotas d'avant-guerre. » Au moment de nous quitter, le vieil homme me donna un conseil étrange. Il me dit de ne pas être déçu de ne pas avoir été embauché, que la vie d'usine n'était pas pour les « gens politiques. » « la bonne vie est en politique, c'est là votre place à vous les activistes, » dit-il. Il avait compris le concept de ce que tu appelais une expérience significative, et ce n'était pas la dernière fois que je recevais ce conseil. J'ai cherché du travail ailleurs. J'ai parfois parlé à des gérrant.e.s, parfois à des représentant.e.s syndicaux. La conclusion était toujours la même : le même coup de téléphone, le même « désolé camarade, quatre ans pour sabotage... » La production n'avait peut-être pas retrouvée le niveau d'avant-guerre mais la centralisation et communication des fichiers de police avaient dépassés tout les records et ne cessait de conquérir de nouveaux sommets. L'enthousiasme avec lequel j'avais quitté la prison s'était évaporé. J'étais désespéré, fauché. J'ai dormi dans des traverses mais ce n'était pas aussi facile que ça l'avais été huit ans plus tôt. J'étais plus vieux, et les gens étaient beaucoup plus méfiant.e.s des étrangèr.e.s. J'avais peur que quelqu'un.e me vois dans une rue ou une traverse et me dénonce comme vagabond. J'ai commencé à comprendre pourquoi la police était devenue si énorme. J'étais piégé. J'avais le choix entre mourir de faim et me suicider. Il me restait encore un « choix. » C'est à ce moment que j'ai compris que la police n'étaient pas une autre espèce, au moins pas tou.te.s. Tôt ou tard je serait arrêté, j'aurais un toit et dormirai sur une sorte de matelas. Je pourrais même leur dire « Je jette l'éponge. Qu'est-ce que j'ai à faire pour survivre ? » Illes souriraient, me diraient de m'assoir et m'offriraient une cigarette. « Ah oui, nous t'attendions camarade. On se doutait que tu reviendrai vers nous à un moment ou un autre. Les temps sont durs, si tu veux travailler, on peut te trouver un boulot. » C'était mon humeur quand je suis parti à la recherche de Jan Sedlak. J'avais arrêté de m'inquiéter de lui causer des problèmes au cas ou il venait aussi de se faire libérer. J'avais besoin de communiquer avec un autre être humain. J'avais très peu d'espoir de le retrouver. Je n'avais aucune idée du nombre d'année pour lesquelles il avait été condamné, ou si il avait été libéré. Je n'étais allé chez lui qu'une seule fois, peu de temps avant notre arrestation. Il nous avait emmené.e.s avec Sabina, un ou deux jours après que Zagad se soit fait mettre à la porte de l'usine de carton. Illes vivaient dans un quartier pauvre prolétaire aux marges de la ville. Illes avaient été forcé d'abandonner leur ferme pendant la guerre et avaient emménagé dans la section de la ville qui ressemblait le plus à un village. Comme leurs voisin.e.s, la plupart d'ancien.ne.s paysan.ne.s, illes élevaient des poulets et des oies et entretenaient un grand jardin. Le père de Jan avait trouvé un emploi de conducteur de bus pendant la guerre, et avait continué à le conduire pendant la guerre, la résistance, le coup et les arrestations. Dans le tram, je me persuadais que les Sedlaks n'y seraient plus. Surement les vielleux paysan.ne.s auraient trouvé.e.s un autre travail, ou quitté la ville. Que celleux qui avaient autrefois été des paysan.ne.s dans ce quartier seraient finalement devenu.e.s de simple ouvrier.e.s et laissé.e.s leurs maisons et leurs potagers à de nouvelleaux arrivé.e.s des villages. J'ai retrouvé le quartier. Les maisons s'étaient détériorées, et de nombreuses avaient été abandonnées, mais les ancien.ne.s occupant.e.s n'avaient pas été remplacé.e.s par d'autres. Il y avait des rideaux aux fenêtres de la maison de Jan. Elle était de toute évidence inhabitée. J'ai frappé. La vieille femme qui a ouvert la porte portait la même robe noire et le même voile qu'elle avait portée avant. Son visage était ridé par les années et elle était paniquée comme si elle venait de voir un fantôme. Son choc se transforma en une expression qui est restée gravée dans ma mémoire. Je suis toujours certain qu'il s'agissait d'une expression de regret. Avec une tristesse évidente, elle annonça « L'ami de Jan, » et m'indiqua de rentrer. Elle semblait déjà connaître à ce moment là la nature des cadeaux que j'apportais dans la maison des Sedlak. Elle me nourri de sucreries et de café et me laissa seul dans la pièce principale. Il y avait plusieurs chaises et une table, mais sinon la pièce était vide, excepté pour les trois livres empilés dans un coin : mathématique, zoologie et une « histoire du mouvement ouvrier. » J'ai feuilleté les pages de l'histoire. J'y ai appris que la classe ouvrière avait commencée à bouger au moment exact ou je pensais qu'elle s'était arrêtée, et que les mouvements de la classe étaient ceux des politicien.ne.s. J'étais soulagé en feuilletant le livre de zoologie, de voir que les noms des animaux n'avaient pas changé. Une jeune femme est entrée dans la pièce portant des patates dans son tablier, et les a faite tomber aussitôt qu'elle m'a vu. J'étais surpris qu'illes entretiennent toujours un potager. Rien ici n'avait changé. Les gens étaient plus âgé.e.s, et certain.e.s des voisin.e.s étaient parti.e.s, mais ça s'arrêtait là. Le vieil homme conduisait probablement toujours le même bus. Je supposais que la jeune femme était la femme de Jan. C'était clairement une paysanne, en dépit de sa robe urbaine. Elle m'a fixée avec une expression que je ne pourrais appeler autrement que sauvage, comme une bergère solitaire sur une montagne isolée qui aurait rencontré sans prévenir un étranger. Tout d'un coup, elle a criée « T'es Yarostan ! » Elle a dit ça avec tant de joie que je pensais qu'elle allait me prendre dans ses bras. Tout d'un coup, c'était mon tour de voir un fantôme : « Comment se fait-il que tu sache qui je suis? » « T'es l'ami de Jan ! » Je commençais à douter de ma première impression, mais j'ai quand même formulé la question, « Et tu es... sa femme ? » « Non, idiot ! Tu ne te souviens pas ? C'est Mirna ! » Sa sœur. Comment aurai-je pu me rappeler d'elle ou même le déduire ? La dernière fois que je l'avais vu elle devait tout au plus avoir dix ou onze ans, à l'école primaire. Elle devait avoir quinze ans tout au plus. Je l'ai aidée à ramasser les pommes de terre. Elle n'a rien dit de plus, continuant de m'observer, et je ne pouvais m'empêcher de la regarder. Ça l'a gêné. Elle a porté les patates dans la cuisine et y est restée. J'étais à nouveau seul dans la pièce principale. Mes pensées et émotions étaient chaotiques. N'est-ce pas génial à quel point nous sommes ambivalent.e.s allant d'une émotion extrême à une autre ? Deux heures plus tôt seulement, je pesais le pour et le contre en comparant mes options entre l'emprisonnement, le suicide ou la résignation. J'étais maintenant à nouveau plein d'enthousiasme, plein de pensées sur la vie et la construction d'un monde nouveau avec ces gens, près de cette fille. J'ai regardé les trois livre avec l'envie de les jeter hors de la maison. Ils n'avaient ni leur place dans cette pièce, ni dans cette ville. Quelles forces avaient forcées cette paysannes hors des champs et dans des salles de classes autoritaires ? Pourquoi ? Qu'y a-t-il à gagner quand ces êtres libres se retrouvent confinés derrière un bureau et forcé.e.s à enoncer les faits et gestes de ses patrons ? Le père de Jan est rentré du travail en portant sa casquette de conducteur. Il m'a pris dans ses bras aussitôt qu'il m'a vu. Il n'était ni étonné ni inquiet, et agissait comme si j'avais été l'un de ses vieux amis, et s'était attendu à me trouver là. « Tu vis quelque part? » J'ai menti en lui disant que je louais une chambre en ville. « C'est là que son tes affaires? » « Je n'en ai pas, » admis-je. « Mirna ! » il cria, « prépare la chambre d'ami.e. L'ami de Jan va rester avec nous. » Il semblait savoir que je n'avais nul par ailleurs ou aller et rien d'autre à faire, et que j'avais atteint la fin de mon voyage. « détends-toi » me dit-il, comme s'il savait ce à quoi j'avais pensé plus tôt. « Ensemble on réparera tout ça. » C'est seulement quand Jan est rentré à la maison que j'ai commencé à me détendre. Il était enchanté, les larmes aux yeux quand il m'a pris dans ses bras. Il a dit qu'il savait que j'arriverais tôt ou tard. Libéré quelques mois avant moi, il avait d'une manière ou d'une autre appris la date de ma libération. Il savais que je ne pourrais pas trouver de travail et que je n'aurais nul part ailleurs ou aller, et ne me voyant pas arriver il avait commencé à s'inquiéter, se demandant s'illes n'avaient pas réussi à me libérer ou si j'avais déjà été à nouveau arrêté. Jan avait un boulot à l'atelier du dépôt de bus. Il l'avait eu à travers une étrange coïncidence. Quelques mois avant sa sortie, son le bus de son père était tombé en panne. Pendant que l'employait posait les questions habituelle à Sedlak : nom, matricule, route et ainsi de suite, un représentant syndical a demandé au conducteur s'il était lié à Jan Sedlak. Méfiant de tou.te.s les bureaucrates, Sedlak lui a demandé avec inquiétude pourquoi il lui demandait ça. Le bureaucrate s'excusa très poliment, admettant qu'en ces circonstances sa question avait été insolente. Il s'est empressé d'expliquer qu'il avait été l'ami de Jan depuis la guerre, et qu'ils avaient travaillés ensemble pendant de nombreuses années, et que lui, un bureaucrate, avait seulement récemment été libéré de prison. Le jour suivant la sortie de prison de Jan, ils sont allé avec son père voir ce bureaucrate. C'était Titus Zabran, et le jour après ça, il était employé à l'atelier. Il a changé de prénom et bientôt reçu un livret de travail. Titus l'avait discrètement recommandé comme le neveu paysan de Sedlak, un jeune travailleur qui venait d'arriver en ville. Ce soir là j'ai soupé pour la première fois en quatre ans avec des ami.e.s qui n'étaient pas des prisonnier.e.s. Jan et moi sommes partis ce matin là une heure avant le levée du jour. On a voyagé en tram et bus jusqu'à l'autre bout de la ville. Le siège du syndicat était situé juste à côté de l'atelier. Jan a frappé à la porte du bureau de Titus. Quand celui ci à ouvert, j'étais certain l'espace d'un instant que l'expression que j'ai vu sur son visage était celle d'une même alerte et déception que j'avais vu sur celui de la mère de Jan. Il avait vu un fantôme. Plus tard, Jan m'a assuré que Titus n'aurait pas pu être effrayé, étant donné que c'était de lui qu'il avait appris la date de ma libération. De toute façon, il s'en était rapidement remis. Il m'a pris dans ses bras et m'a demandé si j'avais besoin d'argent ou d'un endroit ou rester. Jan lui expliqua qu'il en avait « déjà pris soin » et que tout ce qu'il me fallait était un travail. Titus décrocha le téléphone. Il y parlait d'un autre Sedlak nouvellement arrivé de la campagne. Soudainement, il s'est retourné pour me demander “Ton prénom?” J'ai hésité puis presque crié, “Miran!” Je me sois tourné vers Jan pour lui lancer un sourire un peu niais. “Miran Sedlak,” répéta Titus au téléphone. Il me dit que je commençait à conduire un bus dans la semaine. Il rit quand je lui dit que je n'avais jamais rien conduit d'autre qu'une bicyclette. D'après lui, j'apprendrai en une semaine, et je m’ennuierai déjà dès la seconde. Il n'y avait pas de réglages de précision à faire (comme ça avais été le cas sur la presse). Titus nous pris tout les deux dans les bras et on s'en alla. C'était la seconde fois qu'il m'aidait à m'en sortir. La première semblait s'être passée il y à si longtemps que je n'étais plus certain qu'elle ai jamais eu lieu, peut-être que je l’avais rêvé. Le dîner ce soir là était une célébration : J'avais rejoint l'humanité. J’avais trouvé une maison, une famille, un boulot. « On est presque remis sur pieds, » dit Jan. « Bientôt on courra à nouveau. » « Tu courras directement vers la prison, » grommela sa mère. Mais son père ne laissa pas l'humeur générale s'assombrir. « Un nouveau membre dans la famille ! » s'exclama t'il. « Il y aura bientôt des Sedlaks pour conduire la moitié des bus, des Sedlaks dans la moitié des usines. Bienvenu à toi Yarostan Sedlak ! » « Miran Sedlak, » corrigea Jan. « Miran ? » demanda Mirna. « Alors nous sommes jumeaux ! » « Jumeaux ? » repris le vieil homme. « N'importe qui à des kilomètres à la ronde peut bien se rendre compte que vous êtes n'importe quoi sauf des jumeaux ! » Elle rougit, fit tomber sa nourriture et couru dans sa chambre. Jan rit. Il était déjà compris que Mirna et moi nous marierions Rien d'autre n'allait être dit la dessus ; le sujet était clos. J'étais plein de joie. Ce n'était pas ta lettre qui fit apparaître mes premiers doutes. Ceux là on commencé le lendemain matin alors que je quittais la maison avec le père de Jan pour ma première leçon de conduite. Qu'est-ce que j'avais célébré ? Qu'est-ce que ma joie signifiait ? Quelle était cette humanité que j'avais rejoint ? Une humanité d'être s'était débarrassées de leurs chaines et transformant leurs rêves en projets, ou l'humanité de maisons, familles et boulots ? Est-ce que je venais de célébrer ma première résignation ? Est-ce que je venais de devenir un traitre à mes propres engagements, à toi, à Luisa et tout les camarades avec qui j'avais combattu pour un monde différent ? Est-ce que mon emprisonnement m'avaient brisé, assagi, domestiqué ? Est-ce que ma trahison de mon passé et de mes camarades auraient été encore plus grande si j'avais rejoint la police, ou si, comme tu l'a suggéré, j'avais choisi la religion ou investi du capital ? Ne venais-je pas de passer quatre ans en prison pour avoir rejeté ce que j'étais justement en train d'embrasser, d'apprécier et de célébrer ? Au début de ma condamnation, Je m'étais plaint de la nourriture, que le pain était rassi, et que la soupe était un égout tiède Un détenu assis en face de moi me dit qu'il avait lu que des gens qui avaient si peu à se mettre sous la dent qu'illes mangeaient l'écorce des arbres ; et quand un feu à détruit la forêt, illes rêvent de cette écorce comme si elle était une friandise. Quelques temps plus tard, j'ai passé une semaine dans un donjon moite et renfermé. Mon régime consistait alors de pain rassi et d'eau froide. En rejoignant les vivants, la soupe d'égout chaude m'était devenu une friandise. Je la mangeais lentement, la buvant de manière à apprécier le parfum de chaque cuillère. J'étais sans aucun doute brisé et assagi, mais pas par les quatre années de prison. J'avais quitté la prison avec un certain enthousiasme. J'avais au moins eu de l'écorce à manger, mais le feu qui détruisit ma forêt a brulé dans les neuf ou dix jours après ma sortie. C'est seulement à ce moment là que je me suis retrouvé dans rien. C'est seulement à ce moment là que je me retrouvais privé de toute amitié, de toute communication, de tout espoir. J'étais exclu de chaque communauté et de toute activité sociale. Je ne voulais pas plus que de l'écorce, mais elle était complètement réduite en cendre. Ma pire privation était mon exclusion du travail. Je m'étais battu contre le fait d'avoir à me vendre, m'étais engagé dans une lutte pour l'abolition du salariat, et pourtant je me sentais torturé de ne pas pouvoir me vendre pour un salaire. Je souffrais parce que cette exclusion était une torture beaucoup plus atroce que la cellule d'isolement. Si la mort et la démence n'étaient pas rares en isolement, elles n'étaient pas non plus inévitables. Nombreux étaient ceux que j'en avait vu sortir intacts. C'était la possibilité d'en sortir intact qui avait été enlevée. Une nouvelle arrestation, ou l'affamement voudraient dire que je me serait assassiné moi-même, l'ensemble de ma vie passée, en supprimerai d'autre comme moi, les assassinant aussi. J'avais été exclu de l'humanité. Cette exclusion était le donjon duquel j'étais sorti quand je l'avais rejoint. Et j'ai bu avec une réjouissance véritable cette même soupe que j'avais dénigré comme un égout. J'ai embrassé une famille traditionnelle, archaïque et patriarcale, et j'étais rempli de joie. Je me serai satisfait de l'écorce, et je me retrouvé à table en face d'un repas complet, qui me semblait un festin. J'étais avec des êtres humains chaleureux et sociables qui m'avaient accueilli comme l'un des leurs, avec des paysan.ne.s qui n'avaient jamais vraiment été urbanisé.e.s ; j'étais avec des gens qui étaient plus humain.e.s que mes contemporain.e.s précisément parce qu'illes avaient été laissé en arrière ; parce qu'illes n'avaient pas remplacés les liens familiaux par des responsabilités civiques, ou l'amitié par un devoir envers l'état. J'étais avec des gens qui n'avaient pas vécu notre belle société comme leur bénédiction ou leur victoire, mais comme leur sort, leur destin, comme une catastrophe incompréhensible, une punissions pour un délit inconnu Et pour un instant j'ai senti que j'avais finalement rejoint mes pairs. J'étais plein de joie. J'ai embrassé le monde que j'avais autrefois rejeté, et accepté que ce que nous avons à un moment appelé népotisme et suis devenu un neveu, un cousin de la campagne, un parent. J'ai ressenti de la gratitude quand j'ai finalement été permis de rejoindre la communauté des travailleur.se.s salarié.e.s, et ce bonheur a été couronné avec la perspective de marier la magnifique paysanne qui étaient restée pure de toute corruption urbaine, insouillée par les usines et les prisons. Cet état ne dura qu'une journée. Je ne pouvais pas me transformer de fond en comble en permanence pour devenir quelqu'un d'autre, et tourner le dos à qui j'avais été jusque là. Je ne pouvais pas non plus oublier tou.te.s celleux comme moi qui étaient toujours en prison, tou.te.s celleux qui étaient mort.e.s, ou celleux qui en étaient ressorti.e.s si balafré.e.s que leur seul espoir étaient leur prochaine relâche. Le vieux paysan m'emmena avec lui dans son bus pendant une semaine. Il n'y avais rarement de personne pendant les deux heures de l'après midi ou il me laissait conduire. Le cinquième jour, il me laissa conduire toute la journée. À la fin de la semaine, j'étais un conducteur expérimenté et tout ce qu'il me restait à apprendre était le trajet. C'était chose faite à la fin de la semaine suivante. J'ai commencé à reconnaître un bon nombre de passagèr.e.s. J'ai commencé à comprendre la nature et l'utilité de mon activité sociale, la fonction de l'emploi que j'avais été rempli de joie de trouver. Le matin, les passagèr.e.s étaient presque tou.te.s des travailleur.se.s se rendant dans leurs usines, entrepôts et parfois bureaux. Illes étaient dans le processus de vendre leur énergie et leur temps en échange d'un salaire. Le bus était le véhicule qui livrait la marchandise vendue à ses acheteurs. La transaction était étrange parce que les vendeur.se.s avaient besoin d'accompagner la marchandise qu'illes vendaient : Illes ne pouvaient pas rester à la maison pendant que les acheteur.euse.s emportaient avec elleux leur temps. Au résultat, le bus avait l'air de transporter des gens, mais les gens n'étaient là que pour accompagner leur marchandise. Ce n'étaient pas les gens qui étaient livrées chaque matin, mais seulement ces marchandises. Les passager.e.s de l'après midi, en générale parent.e.s de celleux du matin prenaient le bus pour se rendre au magasin, et y racheter, non pas l'énergie vivante vendue par les travailleur.se.s, mais quelques uns des objets qui avaient consommés cette énergie. Illes dépensaient le salaire. Une fois dépensé, le bus livrait à nouveau la marchandise, cette fois tangible, des objets matériels, des choses, ces choses dans lesquels les travailleur.se.s avaient versé.e.s leurs vie. Le soir, les coquilles vides des travailleur.se.s rentraient chez elleux. Le contenu spécifique de chacun.e s'était dissout en une substance homogène qu'illes avaient vendu.e.s pour un salaire, fuyant goute-à-goute au fil de la journée comme un excrément liquide. Cet excrément était la marchandise que le bus avait livrée le matin, transportée par les mains, bras, jambes et yeux des passagèr.e.s. L'énergie potentielle avait été transformée en une substance qui pouvait être extraite du corps et vendue. Étant donné que les travailleur.se.s ne pouvaient se séparer des objets vendus, la transaction n'était pas terminée jusqu'à ce que l'objet soit consumé. Dans la soirée, illes rentraient dans leurs maisons pour régénérer leurs coquilles vides, retrouver cette énergie, seulement pour l'en laisser ressortir une nouvelle fois le lendemain, pendant une diarrhée de huit heures. C'était ma fonction utile de faciliter cette transaction, de faire circuler l'excrément parmi ses consommateur.ice.s. Et tandis que je circulais, j'étudiais les objets dans lesquels cette énergie liquide se déplaçait, les monuments en lesquels elle s'était faite mouler. Je passais à côté de ces produits du travail humain tout les jours : les quartiers résidentiels étroits dans lesquels l'énergie consommée se régénérait chaque nuit, les structures menaçantes dans lesquelles l'allocation de l'excrément et la rapidité de sa disparition étaient déterminées quotidiennement. J'ai également étudié les produits les plus sophistiqués de ce travail humain : bureaucrates, politicien.nes, et la police, quand illes me dépassaient avec leurs voitures luisantes. C'était là la victoire à laquelle notre expérience significative avait contribuée. Et tu me dis : « Je savais exactement le rôle que je jouais dans la création de notre monde commun. » Vraiment ? Es-tu fière, vingt ans plus tard d'avoir aidée à créer ce monde ? Mon enthousiasme a diminué le jour après mon expérience d'une telle joie pour avoir rejoint ce monde, et elle avait complètement disparu à la fin de ma première semaine à conduire le bus. Mon intérêt à vivre était revenu. J'avais quitté la prison avec un désir intense de m'exprimer, de communiquer avec d'autres, d'explorer le possible et de faire des plans pour l'impossible. Ce désir m'était revenu aussitôt que j'étais « presque remis sur pied » et avais commencer à « courir à nouveau, » comme Jan l'avait dit. J'avais retrouvé la posture que tu me connaissais : ma posture « militante. » Mes hôtes étaient devenu.e.s mon audience, mes insurgé.e.s potentiel.le.s, ma communauté révolutionnaire. J'ai commencé à débattre avec le vieux conducteur sur la raison de la conduite du bus dans une société constituée d'entreprises et de salarié.e.s. Je débattais du rôle des liens de parentés dans une société de consommateur.ice.s et de vendeur.se.s. Et lorsqu'il ne répondait pas, je débattais des dangers d'héberger deux saboteurs, deux élément menaçant le présent et le futur bien-être de la classe ouvrière. Le vieux paysan ne voulais rien entendre, mais il appris que son futur « gendre» était un agitateur. Sa réponse à cette découverte était identique à celle du vieux travailleur dans l'usine de carton. « Tu conduiras pas un bus pendant longtemps, » me dit Sedlak. « Illes ont un autre boulot pour toi la haut. » Il était fier de son futur gendre. S'était un homme perspicace et calculateur. Je savais que pour une fois il se trompait, mais je n'aurais pas pu savoir à l'époque à qu'elle point il était dans l'erreur, sur moi, mes perspectives, et la situation dans laquelle il allait se retrouver à cause de moi. Les attentes de sa femme étaient bien plus modeste, et ses suppositions ancrées dans des observations plus solides. Elle se contentant de secouer la tête à chaque fois que je parlais, et de ne rien dire. Je débattais aussi du mariage avec Mirna. Je n'avais jamais appris à considérer le mariage comme « la relation la plus naturelle au monde » ; et je ne m'étais jamais convaincu que « les gens ne vivaient jamais hors de cette catégorie. » Je suis d'accord avec tout ce que tu dis dans cette partie de ta lettre, et j'admire la manière dont vous avez toutes refusées de vous compromettre avec cette institution. Mais ça me pousse à te poser une question : Étant donné que tu est également opposé au salariat, as-tu refusé de te compromettre également avec celle ci ? Et si oui, comment est-ce que tu t'en sors ? Mirna et moi faisions de longues marches dans ce quartier qui ressemblait à un village. C'est seulement à ce moment là que tout le monde pour des kilomètres à la ronde ont su que Mirna et Miran n'étaient pas jumeaux. J'ai tenté de lui expliquer que cette histoire de mariage était une absurdité, une erreur, peut-être même un crime. Tôt ou tard je serait arrêté à nouveau. Ma sentence serait probablement plus longue étant donné que je serait un récidiviste. Nous serions tou.te.s les deux vie.eux.lles quand je reviendrai, si je revenais un jour. Je doutais pouvoir survivre à une condamnation plus longue. Si je mourrais, elle se demanderaient probablement si j'étais toujours vivant quelque part dans ce sous-monde de mort.e.s-vivant.e.s. Informer les parent.e.s sur ces faits n'étaient pas très haut dans la liste des priorité de notre industrie du contrôle à l’excès Ses voisin.e.s paysan.ne.s archaïques, monogames et patriarcal.e.s ne la laisseraient pas me divorcer s'il était possible que je sois encore vivant. Elle se retrouverait enchainée à un corps enterré. Ce mariage lui volerai sa jeunesse. Elle se retrouverait liée à vie à une personne qu'elle pourrait cesser d'aimer le lendemain de la cérémonie. Cette possibilité était au cœur de chaque mariage. Il y avait l'autre possibilité que je pouvais être arrêté le jour après le mariage. La jeune fille de quinze ans se retrouverait lier à vie à quelqu'un qu'elle ne reverrait jamais. Mirna m'écoutait de la même manière que son père. Elle n'entendait rien. Son énergie, sa passion, et son anticipation joyeuse n'étaient en rien amoindries. Le mariage n'était qu'une date sur le calendrier, une fête à venir, et se rapprochait d'un jour à chaque aube : aussi inévitable que le passage du temps. Il n'y avait plus rien qu'elle ou moi puissent faire en restant décent.e.s. L'ami de son frère, un jeune homme intelligent et sensible qui avait connu la torture et l'emprisonnement, vraisemblablement décent. Une telle personne ne pouvait de toute évidence par l'humilier ou la souiller à vie, en faire la risée du village en fuyant avant le mariage. Mon discours ne suggéraient même pas cette possibilité. Ces choses là arrivaient. Des jeunes femmes forcées à marier des gens qu'elles haïssaient, de jeunes hommes effrayés à l'idée de faire face au monde que parfois iles s'enfuyaient juste avant la cérémonie. Aucun.e de nous deux n'avait de raison de s'enfuir. Nous nous aimions et je n'étais pas capable de communiquer mes doutes. Aurais-je du m'enfuir ? Ou serais-je allé ? Retourné en prison ? Aurais-je du sacrifier la propre vie pour éviter de détruire la sienne ? Et si je l'avais fait, comment être certain que l'humiliation aurait été moins dure pour elle que ce mariage ? Comment est-ce que j'aurai pu être sure qu'elle ne se torture ou ne se blesse parce que je l'avais « abandonnée » , la laissant devenir « la risée du village » ? J'ai aussi parlé à ses parents, mais c'était comme parler à des pierres. Son père « savait » que j'irai « loin. » Et sa mère ne voulait rien entendre. Au début, j'avais pensé pouvoir l'atteindre : Elle ne m’appréciait pas depuis le jour où j'étais arrivé, et elle semblait prédire une fin catastrophique là ou son mari prévoyait une ascension rapide et illimitée. Mais la catastrophe à venir aurait pu tout aussi bien avoir déjà eu lieu. De la manière dont elle le voyait, nous ne pouvions pas éviter notre futur, pas plus que notre passé, et tout ce que nous avions à faire étaient de nous résigner à ce qui nous arrivait. Mon bafouillage n'était que du bruit, étant donné que pour elle je ne pouvais pas plus éviter ce qui était à venir que je pouvais effacer être jamais arrivé dans leur maison. Jan était le seul à m'entendre, mais ça n'aidait à rien. Tout mes arguments et mes doutes l'énervaient. Il m'accusait de détruire les fondements de chaque amitié et solidarité. Il ajoutait que n'importe qui pouvait mourir d'une maladie le jour après avoir commencé une relation avec une autre personne et que ce n'était pas une raison d'éviter de former de tels liens. Pour ce qui était de l’institutionnalisation des relations, Jan débattait que si nos vies devaient jamais avoir un sens, nous nous débarrasserions bientôt de l'institution et Mirna et moi pourrions nous choisir ou nous rejeter librement. En dépit de mes doutes, c'était là les moments les plus heureux de ma vie. Tandis que le jour s'approchait, Mirna était constamment rayonnante. Dans nos promenades du soir, elle prenait des enfants et des vieillard.e.S dans ses bras, elle dansait avec de parfait.e.s inconnu.e.s dans la rue. Je parlais de moins en moins de la possibilité de mon arrestation, et davantage de la possibilité de nos vies ensembles. Je parlais du jour ou tou.te.s les travailleur.se.s se prendraient dans les bras les un.e.s les autres et danseraient dans la rue. La cérémonie fut archaïque, patriarcale et autoritaire. J'en ai fait l'expérience comme quelque chose de beau. Mirna donnait l'impression d'être une plume flottant dans l'air. Elle ne faisait pas le moindre effort de cacher son bonheur, qui était aussi clair qu'un ciel sans nuage. Elle papillonnait d'une personne à l'autre, les infectant de sa joie effrénée. J'avais été sur des nuages dès le moment ou je m'étais levé. Pour moi l'ensemble de la journée était un rêve. J'étais surpris, aussi inconscient que si je ne m'étais pas réveillé du tout. Je ne pense pas avoir prononcé quoi que ce soit de cohérent de la journée, ne faisant que rire. Nous n'avons pas cessé de nous aimer le jour suivant la cérémonie, ou après cela. Il y à eu des moments ou j'ai maudit le mariage à cause de la douleur et de la misère qu'il avait apporté à sa traine, mais je ne l'ai jamais regretté Mirna a embrassée les moments heureux, et il en eu beaucoup mais ils sont tous passés pendant les premiers mois, avec une joie non camouflée, et elle a accepté les tragédie avec une résignation silencieuse, sans jamais pourtant partager l'acceptation absolue de sa mère. J'ai conduit un bus pendant un an, pendant lequel Mirna et moi vivions chez ses parents. Jan déménageait peu de temps après notre mariage. Il expliqua qu'il n'appréciait pas d'avoir à se déplacer d'un bout à l'autre de la ville deux fois par jour. C'était sans aucun doute l'une de ses raisons pour partir. Il était aussi probablement venu à se sentir comme étranger à notre bonheur. Il avait perdu sa sœur aussi bien que son meilleur ami et la maison commençait sans doute à sembler bondée pour lui : envahie d'étranger.e.s. Vesna est née vers la fin de la première année. Cette enfant malchanceuse et malheureuse est née dans une sorte de trou entouré de ces murs impossibles à escalader que tu décris de manière si vive dans ta lettre. Ce n'était pas de Mirna que je devais m'inquiéter mais de Vesna. Le bébé était né trop tard dans l'automne, et n'avais pas demandé d'être mis au monde, elle n'avait pas demandée d'être née dans une cage de laquelle elle ne sortirai jamais. Nous avions négligé ce sujet lors de nos discussions chez Luisa : la naissance. De quel droit est-ce que nous amenions un enfant sans défense dans un monde que nous n'avions pas pu changer, de quel droit peut-on forcer un autre être humain à respirer un air qui nous étouffe, de quel droit laissons nous cette petite fille s'écorcher les ongles à essayer pathétiquement d’escalader un mur qu'elle ne peux ni grimper ni détruire ? Je ne peux lire la description de Luisa de notre expérience significative, ni la tienne, sans me rappeler sa signification. Je ne peux pas oublier le sens qu'elle a eu pour le vieux paysan, pour sa femme, pour Jan et Vesna, pour Mirna, pour moi et d'autres comme moi. Comment peux-tu me rappeler les rêves que nous avons partagé et les possibilités que nous avions anticipé tout en glorifiant les événements qui les ont déformés et détruites ? Comment peux-tu indiquer tout ce qui est mort à ce moment là et me dire que c'est apparu là et me demander d'en célébrer la naissance ? Je suis capable de t'écrire seulement maintenant parce qu'après vingt ans, le sens de notre expérience est enfin exposé. Je peux t’atteindre seulement maintenant parce que ces murs impénétrables commencent à se fissurer. Ce n'est pas tant le fruit des efforts de mes contemporain.e.s, mes pairs, que ces murs se fissurent, et certainement pas à cause des miens. Ils s'effondrent plus ou moins d'eux même. La ville émerge d'un sommeil de mort de vingt ans. Des coquilles ressemblant à des corps aux vies usées, aux capacités rachitiques et à l'imagination désêchée commencent à montrer de nouvelles étincelles dans leurs yeux, de nouvelles énergies dans leurs membres. Les gens de cette ville se sont rendu compte tout d'un coup qu'illes construisaient ces murs : les murs hauts, les murs bas, les murs extérieurs et intérieurs, et davantage encore à l'intérieur de ceux là ; illes construisaient les murs qui les emprisonnaient. Peut-être qu'illes ne le découvrent pas que maintenant, peut-être l'ont-illes toujours su. Mais leur conscience n'avait pas prise sur leurs activités. Illes agissaient comme s'illes ne les voyaient pas, comme si de grandes pancartes, et de colossales tapisseries colorées avaient été accrochées pour cacher ces murs. Les pancartes représentaient des êtres humain.e.s libres engagé.e.s dans des projets commun, des travailleur.se.s impliqué.e.s dans la création de leur propre histoire. Nous avons tou.te.s les deux aidé à peindre ces pancartes. Si les gens s'étaient rendu compte qu'il y avait des murs derrière les pancartes, illes ne pouvaient pas en parler sans être arrêté.e.s ; si illes savaient que leurs activités n'étaient pas celles représentées sur les pancartes mais celle de construire et renforcer les murs, illes devaient le garder pour elleux. La seule activité dont illes étaient autorisé.e.s à parler était celle des pancartes. On pouvais voir une infinité de vastes champs ouverts alors que l'on s’accommodait nous même de cellules de prison bondées. Tout d'un coup, les tapisseries sont arrachées et les mûrs qu'elles cachaient sont attaqués. Tout cela arrive à cause d'une excentricité dans les rouages de la prison, une erreur de la part de son directeur. Quelques semaines avant que je ne t'écrive ma première lettre, l'une des relève de la garde habituelle à eu lieu. Celle ci en particulier était un peu moins routinière que les changements quotidiens, mais néanmoins périodique, du fait du remplacement du directeur par son lieutenant. Étant donné que les administrateur.ice.s de la prison n'avaient insouciant.e.s et négligé.e.s de remplacer le directeur des années auparavant, celui ci s'était habitué à son poste et était devenu sénile dans son bureau. Quand le moment est venu de quitter son poste, il a refusé. À la place, lui, et quelques chefs de gardien.ne.s qui lui étaient resté.e.s loyaux.les ont élaboré.e.s un plan pour le garder en place. L'un.e des gardes qui s'apprêtait à prendre part à la conspiration à alors perdu confiance qu'il avait en le directeur sénile et dit aux reste des administrateur.ice.s qu'illes allaient se faire arrêter. Celleux là ont alors rapidement remplacé le directeur et empêché la conspiration. Les putschistes ont été empêché. L'un d'entre elleux, deuxième ou troisième plus haut gradé de la prison, s'est enfui pour se vendre aux administrateur.ice.s, qu'il avait jusqu'à là appelé le camp ennemi. Le remaniement se termina, somme toute, de manière plutôt habituelle. De tels changement avaient eu lieu avant ça, et même la conspiration n'avait rien d'extraordinaire. De tels événements n'ont normalement pas d'écho chez les détenu.e.s, sans autre raison que parce que la population n'en est pas tenue informée. Cette fois-ci, quelque chose d'autre arriva. Les administrateur.ice.s qui avaient été presque-arrêté.e.s, en découvrant que les gardes étaient impliqué.e.s dans la conspiration avaient, pour se protéger, suspendu les activités des gardes. Il ne pouvaient de toute évidence pas savoir ce qu'illes faisaient. Peut-être qu'illes n'avaient pas le choix. En suspendant l'activité des gardes, illes avaient enlevé la colle qui tenait ensemble le système entier, et il a commencé à s'effondrer. Les gens ont commencé à soulever la tapisserie, les arracher, et montrer du doigt les murs qu'elles cachaient. « C'est ce que l'on construit et tout ce que l'on construit, » cria quelqu'un.e. Et quand cette personne ne fut ni abattue, ni enfermée, d'autres ont commencé à crier et arracher les pancartes. Rien ne leur arriva. Des gens qui avaient été silencieuses.x pendant vingt ans ou soudainement commencé à parler. Beaucoup n'étaient ps capable de trouver les mots. Pendant deux décennies, illes n'avaient fait que parler des gens et activités représentées sur les tapisseries. Tout d'un coup, illes parlaient d'elleux même et de leurs véritables activités, des emprisonneur.se.s et des murs de la prison, de leurs vies sacrifiées et des tortures. Beaucoup n'arrivaient pas à comprendre. Et pourtant, il n'arrivait toujours rien à celleux qui arrachaient les pancartes et parlaient des murs. Progressivement, celleux qui avaient oublié comment parler d'elleux même ou de leurs activité commençaient à se souvenir ou à apprendre les mots, et celleux qui pensaient que leurs vies étaient représentées par les tapisseries apprenaient à faire l'expérience de leurs propres vies. Y compris les enfants qui n'avaient jamais rien connus d'autre que le langage des pancartes, et les étudiant.e.s qui n'avaient fait l'expérience de la vie seulement comme décrite sur les tapisseries ont commencé.e.s à arracher le pancartes et à échanger sur les murs de la prison. Illes avaient à inventer des mots pour parler d'elleux même et de leur véritable environnement. C'est seulement parce que le sens des événements que tu glorifies est enfin exposé que je suis capable de t'écrire aujourd'hui. Si ces événements n'étaient pas en train d'avoir lieu, ma lettre ne pourrait surement pas t’atteindre, et je ne serait peut-être même pas ici. Dans ma première lettre je t'ai parlé d'une manifestation à laquelle Yara a participé à son école. Dans des circonstances légèrement différentes, cette manifestation aurait pu mener à mon troisième et probablement dernier emprisonnement. Mon voisin M. Ninovo, le nettoyeur de bar auto-réprimé qui ne s'exprime qu'avec le langage des pancartes, a eu vent de la manifestation et du rôle de Yara. Il m'a aussitôt dénoncé à la police. Dans d'autres circonstances j'aurai été ré-arrêté, accusé d'inciter une dangereuse activité anti-sociale et emprisonné. J'ai eu du mal à croire ce qui s'est passé à la place. Un bureaucrate est venu chez nous. Il était extrêmement poli et s'est excusé pour sa visite. Il nous a dit que M. Ninovo m'avait dénoncé, s'empressant de nous prévenir de nous méfier de nos voisin.e.s, nous disant que M. Ninovo était un homme rancunier, jaloux et dangereux. (Bien sur dans d'autres circonstances il n'y aurai pas eu de manifestation à l'école de Yara et M. Ninovo n'aurait pas pu m'accuser de l'avoir incitée.) Nous avons cherché M. Ninovo mais il n'est apparement pas rentré dormir chez lui. Il y à eu deux autres manifestations à l'école de Yara depuis. Une métamorphose incroyable à pris place. À l'exception des Ninovos (qui ne sont malheureusement pas rares), les machines prévisibles se transforment en êtres humains, les instruments spécialisé deviennent des créatures vivantes aux potentiels infinis. L'apparence de tant d'êtres humain.e.s de ces coquilles et de ces cages est stupéfiante. La première chose qu'elle indique est que pour la durée où l'appareil répressif a fonctionné, les êtres humain.e.s avaient disparu. La communauté humaine avait cessé d'exister. Il n'y avait que des ensembles sourds et balourds d'instruments spécialisés, des ensemble de Ninovos lié.e.s les un.e.s aux autres par le biais de la police. Les réprimé.e.s reviennent aussi au sens littéral. J'ai entendu des rumeurs de prisonnier.e.s relâché.e.s commençant à former des clubs, pour parler de leurs expériences et découvrir leur sens. Je veux prendre part à cette activité mais jusque là Mirna a réussi à me dissuader de contacter ces groupes. Elle ne croit pas que ce dont nous faisons l'expérience aujourd'hui durera, et est convaincue que mon contact avec d'autres ancien.ne.s prisonnier.e.s ne fera que raccourcir la durée de ma relâche J'aimerai pouvoir croire que la méfiance de Mirna est exagérée, et que ses peurs n'ont pas d'ancrage dans la réalité présente, mais je ne peux m'empêcher d'entendre ce qu'elle entend. La situation n'est toujours pas claire. Les nouvelles communications contiennent toujours de vieux sons sinistres. Les politicien.ne.s utilisent toujours le langage et l'iconographie des tapisseries arrachées. Les prêtres affectueux qui dirigent les presses prêchent toujours l'omniscience de leurs dieux, et justifient les sagesses et et bontés passées, présentes et futures, à tou.te.s usagèr.e.s. De nouveaux moyens de communication véritablement nouveaux remplacent progressivement ces anciens échos du passé. C'est une communication entre pairs, une communication sur elleux même, leurs vies et leurs potentiels. C'est une communication que j'ai connu pour la première fois sur les barricades de la résistance, il y à vingt-trois ans, une communication dont j'ai découvert le sens seulement quand Luisa m'a parlé des barricades de la révolution dont elle avait faite l'expérience. Une communication qui n'avait jusqu'à présent existé qu'en période de crise, sur les barricades, faisant face à une mort presque certaine. Pourtant si elle n'a jusqu'ici jamais existé ailleurs, elle s'est révélée un potentiel humain permanent, et c'est cette possibilité qui est saisie par celleux qui m'entourent aujourd'hui. Cette renaissance de la communication est ce qui me motive à chercher mes pairs, pas seulement chez les ancien.ne.s prisonnier.e.s et autres travailleur.se.se mais n'importe où dans le monde. Je t'ai écris parce que je voulais explorer le présent et en explorer les possibilité, dépasser notre passé. Je ne t'ai pas écris pour le revivre et certainement pas pour célébrer les événements qui ont mis fin à toute communication, au moins pour moi. C'est parce que nous étions dans les affres de la victoire que tu célèbres maintenant que la lettre que tu m'as écrite il y à douze ans n'a pas pu m'atteindre. Je l'aurais accueilli à ce moment là. C'était une autre période d'agitation, une agitation qui a été largement supprimée, une agitation qui a créé des fissures dans les murs mais pas assez longtemps pour permettre d'y passer des messages à travers. C'était aussi le moment de ma seconde arrestation. Mirna me dis que la police est venue chercher cette lettre quelques heures après qu'elle arrive. Par pure coïncidence je ne suis pas rentré du travail le jour ou elle est arrivée, ni le jour suivant, ou aucun autre pendant les huit années suivantes. Il y à quelques jours j'ai demandé à Mirna si elle se souvenait des promenades que nous faisions juste avant de nous marier. Elle se souvenait de la marche mais pas des discussions. Quand je lui ai rappelé que j'ai une fois essayé de la prévenir de ne pas s'enchainer à un saboteur condamné, un élément socialement dangereux, elle m'a demandé avec colère, « Étais-tu dieu ? Est-ce que tu savais que cette maudite lettre allait arriver des années avant qu'elle ne soit jamais écrite ? » Mirna tient cette lettre pour responsable de mon second emprisonnement. Elle pense toujours qu'elle est la cause de mon arrestation. J'ai tenté de lui expliquer que l'arrivé de la lettre le jour de mon arrestation n'était qu'une coïncidence, mais elle me répond simplement, « il n'y a pas de coïncidence » C'est la raison pour laquelle elle pensait la lettre étrange et lui attribuait un pouvoir, et le pense toujours aujourd'hui : Elle pense que ta lettre avait le pouvoir de m'envoyer en prison pour huit ans.
Yarostan * * Seconde lettre de Sophia Cher Yarostan,

Ta lettre était cruelle mais tu le sais déjà. Elle n'appelle même pas à une réponse : C'est un dernier mot. Les victimes ne partagent pas leurs expériences avec leurs bourreaux. C'est clair. Pourquoi devraient-elles le faire ? Étant donné que tu m'as définie comme ça, je suis surprise qu'elle soit si longue ! Pourquoi n'as-tu pas communiqué le même message en ne me répondant tout simplement pas ? Pourquoi t'es-tu senti redevable d'une explication envers ce type de personne ? Tu ne peux surement pas t'imaginer à quel point ta seconde lettre était une expérience cruelle pour moi. Si c'est le cas, tu es alors peut-être plus cruel que ta lettre. Pendant de nombreuses années j'ai rêvé de te trouver, de partager à nouveau un projet avec toi, ou te raconter ce que j'avais vécu depuis le moment ou nous avions été ensemble, les comparer avec ce dont tu avais fait l'expérience. Si j'échouais à te revoir, j'espérais au moins pouvoir t’atteindre avec une lettre ou une autre, chacune en croisant une des tiennes, et aussi pleine de détails que ta dernière lettre. Ce rêve commençait à devenir réalité mais jamais je n'aurais pensé en recevoir une avec un tel contenu, une lettre qui détruisait si cruellement une correspondance qui venait à peine de commencer. Je ne peux pas dire que je n'avais jamais imaginé un tel contenu. Je l'ai en fait rêvé, dans un cauchemar. C'était là ma plus grande peur. La pensée m'avait traversée l'esprit que la longue séparation, et les expériences différentes créeraient un mur entre nous, et que nous n'aurions plus rien en commun l'un.e avec l'autre, que nous serions simplement poli.e.s, froid.e.s et étrangèr.e.s l'un.e envers l'autre. Mais même dans ce cauchemar je n'ai jamais rêvé que tu me verrais comme ton ennemie ! Cette même lettre n'aurait pas été aussi cruelle si tu l'avais envoyé de prison. J'aurais compris ta colère, ton désir de détruire mon cadre de référence. Je l'aurais compris comme un ressentiment contre quelqu'un.e n'étant pas en prison. Mais tu ne l'as pas écrite de prison. Tu l'as écrite d'une situation bien plus heureuse que la mienne. Tu y décris un monde dans lequel l'agitation fermente encore, un contexte social qui est vivant d'espoirs et de potentiels. Tu décris exactement l'expérience sur laquelle je souhaiterai apprendre et partager, une expérience qui pourrait penser la plaie ouverte que j'ai portée avec moi depuis que j'ai été arrachée de toi. Tu m'en as exclue. Ta lettre n'était pas celle d'un prisonnier, mais d'une personne en train de se libérer, envoyée à quelqu'un qui est toujours en prison. Plutôt que de partager les joies, et les espoirs d'une ville nouvelle, tu m'as craché dessus, poussé de côté, rejeté. Pourquoi ? Je me rend compte de la douleur et des souffrances que tu as vécu. Je dis « me rendre compte » parce que dans ta description j'ai vu ma propre douleur et ma propre souffrance. Les miennes n'ont pas pris les même formes, mais elles n'étaient parfois pas si différentes ; la douleur était communiquée par ta lettre et je l'ai ressenti aussi. J'y ai reconnu l'aigreur, une aigreur que j'avais aussi ressenti contre celleux qui infligeaient cette fouleur, mais jamais envers les autres personnes qui la subissaient. C'est la cruauté froide et calculée dirigée contre l'une de tes « pairs, » une être humaine demandant de l'aide dans « ce monde bizarre » comme tu l'as appelé avec un esprit si différent dans ta première lettre. C'est ça que je ne peux pas comprendre. Penses-tu vraiment que l'excuse de la souffrance justifie la cruauté inhumaine que tu m'as infligée ? L'inhumaine. Je ne trouve pas de meilleur mot. Un manque total de chaleur humaine, de compréhension sympathique, de camaraderie. La froide dissection d'un animal sans passion. Avec la prétention de démasquer ce que tu appelles mes illusions, tu déchires mes expériences passées, mes engagements, mes quelques accomplissements et l'ensemble de mes rêves. Le silence ne serait-il donc pas la réponse la plus appropriée à ta lettre ? C'est peut-être ce que à quoi tu t'attends. Tu m'as sortie de ta vie pour de bon et mon silence confirmerait la justesse de ton analyse. Je ne serais pas silencieuse ! Je ne laisserais pas notre correspondance se terminer là où tu l'as arrêtée parce que tu as tort. Tu as tort à propos de moi, à propos des amitiés et des expériences que j'ai partagées avec toi, à propos de toi. Ta cruauté est aveugle et injuste. Je ne me tairai pas jusqu'à je t'ai montré à quel point tu as tort. Si tu jettes ma lettre aux ordures sans l'avoir lu, alors tu n'auras pas conforté la justesse de ton analyse, mais son erreur la plus complète et sa cruauté. Il est dommage que je ne puisse pas te réfuter point par point, que je ne puisse pas exposer chaque détail erroné des jugements de ta lettre parce que je ne peux pas me résoudre à la lire une fois de plus. Je me suis déjà effondrée en larme deux fois, des larmes de honte et d'humiliation. Ce n'était pas la seule fois ou j'ai été exclue de mon monde par mes camarades. Ce n'était probablement pas la dernière. Mais cette exclusion me pousse hors du seul monde que je pensais être le mien, toi le seul ami par qui je n'aurai pas penser me faire repousser. Tu ne peux tout simplement pas inverser ma propre expérience et me dire que je m'en rappelle mal. C'est toi qui as tort. Si je portais une pancarte disant « Les usines aux travailleur.se.s ! » je ne voulais pas dire « Je soutiens le nouveau patron ! » Si c'est ce que tu voulais dire, alors tu es un hypocrite et ta lettre est le témoignage de ta propre hypocrisie. Mais tu sais déjà très bien que ni toi ni aucun.e parmi nos ami.e.s n'a anticipé l'établissement de ces nouve.lles.aux chef.fe.s, le renforcement des prisons ou l'élargissement de la police politique. Comment peux-tu être si absurde ? Comment est-ce que ton imagination peut même formuler cette vision bizarre de milliers de personnes anticipant joyeusement et avec enthousiasme leur propre incarcération ? Je pense que ce n'est pas Luisa ou moi qui avons perdu contact avec la réalité mais toi. Je pense que ton esprit est embrumé par une confusion terrible. Ta première lettre l'insinuait déjà, quand tu avais traité les détenu.e.s et les gardes interchangeables. Tu sembles avoir perdu ta capacité à distinguer la victoire de la défaite, le bourreau de ses victimes. Notre activité a été suivie de notre emprisonnement. Ta confusion commence dès le moment où tu modifies ne serai-ce qu'un mot de cette phrase pour dire : Notre activité a mené à notre emprisonnement. En le mettant comme ça, tu conclus que c'est notre activité qui a été la cause de notre emprisonnement et que nous étions nos propres juges et gardes, les constructeur.ice.s de nos propres prisons. Si notre lutte a été suivie par la restitution de patron.ne.s et maton.ne.s, alors cela veux dire que notre lutte a été pour rien. Nous avons été vaincu.e.s. Nos intentions ont été détournées. Cela ne veut en aucun cas dire que les patron.ne.s et maton.ne.s sont le fruit de nos victoires et la réalisation de nos intentions. Les patron.ne.s et maton.ne.s sont ce contre quoi nous nous sommes battu.e.s, et illes ont gagné. Non pas à cause de nous mais en dépit de nous. Afin de consolider leur victoire, illes avaient à nous emprisonner. C'est si logique ! Le monde dans lequel tu es entré quand tu as été relâché de prison n'était pas le monde pour lequel je me suis battue, quel que soit le nombre de fois où tu m'écris que j'ai aidé à le construire. Est-ce qu'il porte la moindre trace de mon engagement, du tien ou de celui de Luisa ? Ou sont les prisons détruites ? Ou sont les ruines d'anciens bâtiments gouvernementaux ? Ou sont les êtres humains engagé.e.s dans des projets choisis par elleux même sans supervision ou gardes ? Le monde que tu décris ne porte aucune marque de celui pour lequel je me suis battue. Ce que tu décris est ce même monde que je me suis battue pour détruire. Ne le reconnais-tu pas ? Tu devrais. Tes descriptions étaient assez vives. C'est le monde du salariat et du capitale, un monde de détenu.e.s et de geôllier.e.s. C'est le monde dans lequel nous sommes tou.te.s les deux né.e.s. Nous n'aurions pas pu avoir aidé à construire ce monde : Il l'était déjà avant nos naissances. Si tu prétends que ce monde était le résultat de nos luttes, tu dois admettre qu'il a été le résultat de chaque lutte. Jusqu'à présent il n'y a pas eu d'autre aboutissement dans l'histoire. C'est le résultat des luttes dans lesquelles celleux qui l'ont combattu ont perdu. Illes ont été vaincu.e.s comme nous l'avons été. Tu as construit ton argumentaire en omettant ce petit détail : la défaite. C'est cette omission qui te permet de dire que le monde des chef.fe.s et des geôlier.e.s a été reconstruit, non pas par celleux qui se sont battu.e.s pour le réinstaller et gagné.e.s, mais par celleux qui se sont battu.e.s pour le détruire et échoué.e.s. Si c'est ça que tu as appris en prison, alors la prison n'est pas la grande école que Tolstoï avait dit être. Ou alors c'est toi qui as mal appris les leçons. Peux-tu vraiment dire que les insurgé.e.s ne se sont soulevé.e.s contre l'ordre dominant que pour le ré-instituer ? Peux-tu vraiment dire que les seuls rêves des rebelles sont fait d'autorité et soumission ? Tu m'accuses même d'avoir aidé à déformer ces rêves et détruit des possibilité. Quels rêves ont été déformés, supprimés, détruits ? Certainement pas ceux de réinstaller l'autorité, mais ceux de la détruire. Tu admets que les insurgé.e.s se sont battu.e.s pour détruire le monde des geôlier.e.s. Pourtant tu dis qu'illes l'ont remis en place. Comment ? En le combattant, en se battant pour mettre au monde leur rêve d'un monde sans geôlier.e.s ? Est-ce que ce paradoxe est la sagesse ultime de l'éducation carcérale ? Je ne comprend pas vraiment ta lettre. Certaines parties sont pleines de ressentiment, dirigé contre Luisa et moi. D'autres parties sont si pleines de compassion, en particulier tes descriptions de Mirna. Tu dis que Jan a quitté la maison quand vous vous êtes marrié.e.s. Il s'est senti comme un étranger dans votre bonheur. Si tu l'as traité de la même manière que ta lettre m'a traitée, je peux parfaitement comprendre ses raisons pour partir. Tu l'y as poussé de la même manière que tu me pousses hors de ta vie. Je suis certaine qu'il ne se soit senti ni jaloux ni amer, mais confus et étonné. Jusqu'au jour avant hier, il avais été ton meilleur ami, et tout d'un coup il ést devenu un étranger. Tu a écris ta première lettre à une personne qui avait à une époque été une amie, une camarade et plus encore : une personne que tu as aimé. Pourquoi ne devrais-je pas te le rappeler ? Il est évident que tu l'as oublié ; dans ta première lettre tu as même écrit te souvenir difficilement de moi ! Pourtant je n'ai pas oublié. Je peux comprendre comment j'ai pu devenir une étrangère pour toi au fil de tant d'années ; Je peux même comprendre que nous puissions être devenu.e.s des ennemi.e.s. Ce que je ne peux pas comprendre c'est que tu me traites comme si j'avais déjà été ton ennemie à ce moment là, au moment précis où nous nous aimions. Et nous nous sommes aimé. Passionnément. Tu ne peux pas enlever ça, c'est déjà inscrit dans le temps. Tu ne peux pas m'enlever cet amour quel que soit la fréquence avec laquelle tu m'accuse, m'exclue ou m'insulte. Parce que la personne que j'ai aimé n'est pas la personne qui a écrit ces accusations. La personne que j'ai aimé était présente dans ta lettre, non pas dans les affirmations sur moi mais dans tes descriptions de Mirna. J'ai reconnu ton amour pour moi dans celui que tu a pour Mirna. J'ai reconnu les promenades le soir, et même les attentes que les ouvrièr.e.s nous rejoindraient bientôt, nous embrassant et danseraient avec nous dans les rues. Si tu as essayé de te présenter à moi comme une personne complètement différente de celle que j'ai autrefois connu, tu as échoué. Tu m'as donné l'envie d'être Mirna. Non pas en dépit de ton amertume envers moi, mais à cause de celle-ci. La Sophia de ta lettre est une damnée perfide qui ne t’as causé que douleur et peine, alors que Mirna est une créature merveilleuse et pure qui t'apporte du bonheur. Comment aucun.e hypothétique lecteur.ice de ta lettre puisse vouloir être Sophia ? Pas moi. Je veux être celle qui partage l'embrassade aussi bien que le bonheur ; être celle dans la rue avec toi quand la danse commence. Au point de consentir au mariage ? Oh mais tu as tout bonnement éludé la question. Oui, dans ces circonstances : Si je suis une bergère, une villageoise, oui. Pour partager ce bonheur. Je ne veux pas être étrangère à ce bonheur. Je ne veux pas en être exclue. Pourquoi ne veux tu pas le partager avec moi ? Je ne rechigne pas tes moments de bonheur avec Mirna. Au contraire, j'ai trouvé de la joie dans les descriptions que tu en as faite, parce que je m'y suis trouvée moi. Comment l’empêcher ? J'avais exactement le même âge lorsque je t'ai connu que Mirna lorsque tu l'as rencontrée. Tu étais plus jeune pour moi, mais pour moi tu n'as pas vieilli. Et cette joie que tu as décrite m'était familière, parce que moi aussi je l'avais connu autrefois, seulement une fois, avec toi. La douleur et la peine prédominent ta vie. Cela justifie-t-il la douleur que ta lettre m'inflige ? La douleur est prédominante dans ma vie aussi, sans doute moins intense que dans la tienne, mais mes moments de bonheur ont eux aussi été moins intenses, et bien moins nombreux que ceux que tu décris. Ma relation avec toi, ma participation à ce projet que nous avons partagé avec d'autres, comptent comme les moments les plus heureux de ma vie. Pourquoi voudrais-tu m'arracher ça maintenant ? Ne vois-tu pas que ton argumentaire rejette le blâme sur Luisa et moi parce que tu as passé douze ans de ta vie en prison et pas nous ? Ne vois-tu pas l'absurdité d'accuser des esclaves de s'enchainer elleux-mêmes à travers l'acte même d'essayer de se libérer ? Ne peux-tu pas te souvenir que mon projet était de détruire le monde qui avait causé ta souffrance, et non pas de le réimposer ? Ne peux-tu pas reconnaître mon projet dans l'agitation qui a lieu autour de toi pendant que tu m'écris ? Les gens arrachant les pancartes, la tapisseries, d'où viennent-illes ? Sont-illes tombé.e.s du ciel ? Tu admets que ce n'est pas le cas. Tu admet que ce sont les mêmes individu.e.s qui n'étaient rien d'autre que des corps mouvant hier encore. Aujourd'hui les coquilles vides deviennent tout d'un coup pleines de vie, d'imagination et de potentiel. Les rêves sont à nouveau réalisables. D'où viennent cette vie et ces rêves ? Tu ne le dis pas. Mais je sais que comme les gens, ces rêves ne sont pas soudainement tombés du ciel. Ce sont des rêves qui avait été supprimés, des rêves qui avaient été gardés en secret jusqu'au jour où ils pourraient à nouveau être exprimés. Ce sont mes rêves, ceux de Luisa et les tiens. Ce que tu décris est la renaissance de notre lutte, de nos projets et espoirs. Pourquoi es-tu si résolu à nous exclure, nous tous : Vera, Marc, Jasna, Titus, Adrian et Claude ? Étions-nous si criminel.le.s pour avoir tenté et échoué là où personne d'autre n'a encore réussi ? Les murs qui s'effondrent autour de toi aujourd'hui étaient les prisons qui réprimaient notre lutte. Pourquoi t'efforces-tu tant de prouver que nous emprisonnions nous-même nos propres espoirs, que nous étions les tombeaux de nos rêves ? Je ne comprend pas ! Sans cette lutte, sans ce projet nous ne sommes rien. Ta lettre abonde d'images qui montrent à quel point tu comprends cela : Sans ces rêves nous ne sommes que des corps, des coquilles, des instruments, des machines. Si tu mets à terre le reste d'entre nous, tu pourrais te retrouver très haut Yarostan, mais pas dans une communauté humaine. Tu as brisé mes rêves, révisé mon passé, et maintenant tu me dis que j'ai déformé les deux. Tu es celui qui déforme. Je n'aurai pas du te dire que j'avais mauvaise mémoire. Peut être pensais tu que je ne remettrai pas ta révision en question, ou même que je te croirai. Mais c'est de mon propre passé que tu me parles ! Et il se trouve que le fantasme de Luisa, tel que tu choisis de l'appeler, coïncide avec une grande partie de ma vie, d'une manière telle qu'il m'est également familier. Tu as fais une référence cryptique à un certain Manuel que tu as rencontré en prison. Il t'a aidé à tout voir plus clairement. Il t'a fourni les faits manquants. Il a complété l'image qui jusque là avait été partielle, et cette image montre Luisa et ses camarades se poignarder dans le dos les un.e.s les autres. Je ne sais pas d'où sortent les informations de Manuel mais je sais que je tiens les miennes viennent de plusieurs individu.e.s qui les ont véritablement vécu. La raison pour laquelle je m'en souviens est parce que ces faits font parti de ma vie aussi. Nachalo, le premier compagnon de Luisa (et mon père) est le premier fait qui ne tiens pas dans ton portrait, et l'ensemble de sa vie remet en question ce que tu as appris de Manuel. J'avais seulement deux ans quand il a été tué, mais je n'ai pas arrêté d'apprendre sur lui depuis, pas seulement de la part de Luisa, dont tu nies la véracité, mais aussi d'Alberts qui n'a jamais eu aucune illusion (ni rêve.) Nachalo était un paysan, comme les Sedlaks, mais quand il a rencontré Luisa, il avait déjà divorcé de toutes les traditions villageoises, tabous et cérémonies. Il était bien plus âgé que Luisa. Quand illes se sont rencontré, il avait déjà l'expérience d'un soulèvement paysan révolutionnaire, qui s'était fait vaincre par des étatistes déguisé.e.s en révolutionnaires. Il avait vu son village détruit, ses ami.e.s et sa femme tué.e.s par une bande de meurtrier.e.s s'appelant l’armée du peuple. Il s'est enfuit avec un nouveau né et une poignée de camarades. Il a plus tard appris qu'aucun.e des paysan.ne.s insurgé.e.s n'étaient devenu maton.ne.s ou bourreaux parce qu'illes avaient tou.te.s étaient tué.e.s. En exil, il a fait des petits boulots et s'est mis à boire. Sa fille, qu'il avait nommé Margarita a grandi comme une enfant de la rue : en haillons, affamée et illettrée ! Pendant l'un de ses boulots il a rencontré Luisa, une fille qui avait seulement trois ou quatre ans de plus que Margarita. Selon ses mots à elle, Luisa l’a séduite. Elle était fascinée, hypnotisée même par Nachalo, et pas seulement par l'homme mais aussi par ses expériences. Sa mère était morte quand elle était petite ; Son père avait été abattu par la police lors d'une grève. Avant qu'elle ne rencontre Nachalo, elle avait été activement impliquée dans les activités syndicales. Nachalo lui a apporté une perspective totalement nouvelle, de nouveaux espoirs et possibilités. Il y avait là un homme qui non seulement avait combattu et perdu des batailles défensives contre les oppresseur.se.s, mais qui était allé à l'offensive, mettant en déroute les exploiteur.se.s, et tenu ses positions pendant des années. Elle ne pouvais pas s'arrêter de l'écouter. Elle le suivait après le travail, aux bars, puis jusque dans sa chambre misérable. Elle a emmené Nachalo et Margarita a des réunions syndicales et les a présenté à des camarades militant.e.s. C'est dans l'une de ces réunions que ces trois là ont rencontré George Alberts. Après ma naissance, Nachalo, Luisa et Margarita ont déménagé dans un appartement plus grand et plus propre. C'était si grand que leurs camarades l'utilisaient pour y tenir leurs réunions. Alberts était le visiteur le plus régulier, et lui et Margarita sont devenu.e.s inséparables. Quand l'armée a attaqué la ville, Nachalo était le premier parmi les travailleur.se.s du quartier à sortir armé, et commencer à construire des barricades. Luisa était derrière lui. Margarita les a rejoint alors qu'elle était enceinte, et refusa de rentrer alors même qu'une balle lui avait éraflé le bras. Elle est morte en donnant naissance à Sabina. Nachalo est mort deux ou trois mois plus tard, en se battant contre les forces combinées de l'armée, des propriétaires et de l'église. Je ne te demande pas de larmes ou même de sympathie. Tout cela s'est passé il y à très longtemps et j'ai déjà pleuré toutes les larmes que je pleurerai jamais là-dessus. Tout ce que je demande s'est pourquoi m'as tu donc envoyé une telle lettre. Comment peux tu me dire qu'un certain Manual a dis que Nachalo, Luisa, Margarita et tou.te.s leurs camarades mort.e.s ou blessé.e.s ne se sont battu.e.s que pour remettre en place les propriétaires, l'état et l'église ? Que suis-je devenue pour toi ? Pourquoi ? Tu as procédé à réviser de la même manière mes illusions de la résistance Il se trouve que j'étais là aussi, et j'étais bien plus âgée ; me rappelant même de certains de ces événements directement, et non pas seulement comme histoires racontées par d'autres. Ce que tu me dis est que les travailleur.se.s de la ville, certain.e.s que je connaissais personnellement, se sont battu.e.s pour se libérer d'une dictature militaire seulement pour faire de la place pour une autre. J'ai trouvé ta description de tes propres activités durant la guerre fascinantes ; tu n'en avais jamais parlé. Mais ta nouvelle réflexion, la manière dont tu met en avant la véritable nature des événements, n'est ni réfléchie ni vrai. T'attends-tu vraiment à ce que je purge ma mémoire de ce que tu appelles le fantasme de Luisa de manière à la remplacer par les tiens ? Il me semble que je m'en tirerai encore moins bien que les travailleur.se.s de ta résistance imaginée, se battant dans une ville déjà libérer pour faire de la place à une dictature militaire. Tu décris mes activités avec toi comme un spectacle de marionnettes. Ta description ne correspond ni aux événements dont j'ai fait l'expérience à l'époque, ni à ceux dont j'ai fait l'expérience plus tard. Je ne suis pas entrain de mal lire ta lettre. Je pense que je comprend parfaitement bien ce que tu dis. Nous pensions agir de notre plein gré alors que nous étions en fait manipulé.e.s. Nous étions donc des marionnettes. Étant donné que nous ne sommes en fait pas des marionnettes mais des personnes, nous avons du nous transformer en marionnettes. Nous nous sommes donc manipulé.e.s nous même. Tes conclusions ne suivent pas ta logique de départ. Je vais te montrer. Je ne me servirai pas de notre expérience commune pour illustrer mes arguments, étant donné qu'elles t'aigrissent tant. Je me réferai à une expérience similaire qui n'a rien à voir avec ton emprisonnement. Il y à deux ans, j'ai eu un emploi pour enseigner une classe d'université. La première chose que j'ai remarqué était que les étudiant.e.s, et particulièrement les hommes, n'étaient pas les mêmes personnes avec qui j'étais allée à l’école. Mes contemporains avaient été des automates aux cheveux courts qui applaudissaient dans les cinémas à chaque fois qu'une bombe détruisait un village. Cette nouvelle génération était presque d'une espèce différente. Plutôt que de considérer l'université comme un camp d'entraînement pour augmenter leur capacité à tuer, nombre d'entre eux pensaient l'université comme un moyen d'éviter ou retarder leur départ pour la guerre. Ils n'applaudissaient plus les meurtres de masse. La plupart d'entre eux ne voulaient pas devenir des tueurs professionnels, et aucun d'entre eux ne voulaient mourir pour le drapeau. Les moyens d'éviter d'avoir à a tuer ou mourir constituaient le sujet principal de leurs conversations. Quelques mois après le début de l'année scolaire, j'ai reçu une visite de deux jeunes gens qui n'étaient pas étudiants. Ils se présentaient comme des organisateurs révolutionnaires. Illes m'ont introduite à des étudiant.e.s qui faisaient paraître le journal radical, à des étudiant.e.s ne mâchant pas leurs mots, et à ce qu'illes appelaient des membres du personnel engagé.e.s comme moi. Illes ont appelé à une assemblée dans le plus grand des amphithéâtres de l'école ; et avaient fait les arrangements nécessaires préalables avec les étudiant.e.s qui allaient être les hôtes de l'événement, et j'ai accepté d'être la membre du personnel présente pour encadrer. Ces deux organisateurs n'étaient plus assujettis à la conscription militaire. Ils voyaient la conscription comme un moyen, une « cause » autour de laquelle ils pouvaient organiser des disciples. Ils voyaient les étudiant.e.s le protestant comme une «base » potentielle pour leur organisation. En d'autres termes, ils étaient des politiciens professionnels. Plus de deux cent étudiant.e.s sont venu.e.s à l'assemblée. Ça a été le plus grand rassemblement politique tenu à l'université depuis des décennies Les étudiant.e.s y sont venu.e.s dans l'espoir de communiquer leurs envies, comme tu le dis ; pour apprendre ce que d'autres avaient appris.e.s, pour aider et être aidé.e.s. Tout leurs espoirs ont été contrecarrés. Illes ont du endurer plusieurs heures de sermon politique bien moins inspirantes que leurs cours quotidiens. Les organisateurs avaient sélectionné les intervenant.e.s, en s'y incluant ; ils ont aussi choisi les sujets des sermons, et placé des gens dans la salle pour poser les questions à la fin. La plupart des deux cent personnes qui étaient initialement venu.e.s pour l'assemblées sont parti.e.s avant qu'elle ne se termine. À la fin, nous n'étions plus que huit, mis à part les organisateurs. Je suis restée au fond de l'amphithéâtre jusqu'à la fin. Ces huit étudiant.e.s se sont élu.e.s elleux même pour devenir le nouveau chapitre de l'organisation. J'ai plus tard appris que sept d'entre elleux s'étaient déjà élu.e.s elleux même à ce poste plus tôt. Pour le restant de cette année, ces huit étudiant.e.s sont devenu.e.s les représentant.e.s et porte paroles, non seulement des deux cent étudiant.e.s qui étaient venu.e.s à l'assemblée, mais de l'ensemble des étudiant.e.s de l'université. Aux termes de ton analyse, les étudiant.e.s qui sont originellement venu.e.s à l'assemblée se sont enchainé.e.s d'elleux même, aussi bien que tous les autres étudiant.e.s à ces bureaucrates politiques. Illes ont été manipulé.e.s a légitimer le pouvoir de ces politicien.ne.s. Mais c'est absurde. Illes sont tou.te.s parti.e.s aussitôt qu'illes ont réalisé que les discours sortaient de conserves. Une seule personne parmi les deux cent a été pris dans cette marmelade politicienne étalée par ces chefs politiciens, qui ne différent des professeur.e.s ou des gerrant.e.s d'usine qu'en âge. Bien entendu, tu diras qu'au moment ou illes se sont rendu compte que le programme de l'assemblé était pré-enregistré, il était déjà trop tard. Leur simple présence à l'assemblée avait déjà validé les prétentions des politicien.ne.s à être les porte paroles de la masse des étudiant.e.s. Après ça, illes ne pouvaient plus se rencontrer publiquement les un.e.s les autres sans avoir un.e politicien.ne.s pour les présider (c'est en fait ce qu’il s'est passé). Donc, simplement en étant venu.e.s à l'assemblée, illes s'étaient elleux même musellé.e.s, s'attachant aux nouvelleaux chef.fe.s, qui étaient plus sournois.e.s que les ancien.ne.s parce qu'illes venaient de leurs rangs. Alors, les étudiant.e.s ont été des marionnettes, des objets inanimés déplacés par des forces qui leurs sont extérieures, des poupées manipulées par des marionnettistes Ton analyse réduit une image de deux dimensions à une seule, réduit deux côtés à un seul. Les étudiant.e.s protestataires était d'un côté, les politicien.ne.s et les autres officiel.le.s d'un autre. Le fait que les officiel.le.s universitaires ont accepté les politicien.ne.s étudiant.e.s comme portes-parole des étudiant.e.s protestataires ne veux pas dire qu'aucun.e de ces étudiant.e.s les aient accepté.e.s comme portes-parole. Cela veux seulement dire que les officiel.le.s les ont reconnu et embrassé comme des pairs, et momentanément passé outre l'âge requis pour faire partie de leur club. En omettant le second côté, tu perds de vue la relation entre les deux côtés. Tu enlèves ce qui était appelé la lutte entre la classe dominante et la classe réprimée, la lutte de classe. Le fait que les dirigeant.e.s recrutent leurs agent.e.s parmi les réprimé.e.s ne veux pas dire que les réprimé.e.s sont agent.e.s de leur propre répression. Tu n’omets pas seulement la lutte elle-même. D'un côté, des parties de ta lettre se moquent de la description que fait Luisa des forces externes ayant supprimé les travailleur.se.s et paysan.ne.s révolutionnaires qui n'étaient pas devenu.e.s des marionnettes. D'après toi, il n'y avaient pas de forces externes et la pourriture est toujours à l'intérieur. Quoi qu'il m'arrive, c'est de ma propre faute. Ta nouvelle réflexion profonde n'est rien de plus qu'une réinterprétation de l'ancienne doctrine du péché originel. Tu comprends de travers l'observation de Cassius, « La faute, cher Brutus, n'est pas dans nos étoiles mais en nous même, que nous sommes des subalternes. » Dans ta version, les balles, chère Sophia, ne sont pas dans leurs pistolets, mais dans nos têtes, et font de nous des subalternes. Ceux qui nous ont arrêté toi et moi n'étaient pas des êtres imaginaires, et je ne me suis pas non plus arrêté toute seule. Ma mémoire a en fait retenu certains faits, et ceux là ont été parfaitement préservés. L'un de ces faits est que j'ai été arrêté par des agents de police. Un autre fait est que j'ai été amenée à un commissariat, et une prison que je n'ai pas aidée à construire : Les deux étaient bien plus vieux que je ne l'était. Un troisième fait est que ces slogans sur mes pancartes et les mots sur mes lèvres n'étaient pas des instructions secrètes à la police pour qu'elle t'arrête. La police a reçu ses instructions de ses supérieur.e.s et ultimement des politicien.ne.s de l'appareil étatique, et non de gens comme toi ou moi. Si tu penses que j'étais une marionnette arborant le mandat pour mon arrestation sur ma pancarte, tu l'hallucines. Ni Luisa ni moi. Il était absurde de ma part de dire à Tina que nous avions été arrêté.e.s parce que nous étions lié.e.s à Alberts, étant donné que huit ou neuf d'entre nous ont été arrêté.e.s et seulement deux d'entre nous étaient lié.e.s à Alberts. En plus, Alberts n'a pas été arrêté. Je suppose que c'est cette erreur ridicule dans ma mémoire qui te permet de confirmer tes arguments concernant mon incapacité à me souvenir de mon propre passé. Cette erreur m’embarrasse, et me laisse à souhaiter une mémoire plus digne de confiance, mais cela ne me convainc pas pour autant d'avoir systématiquement falsifiée mon passé, ne me convainc pas qu'en dessous de mon apparence modeste se cache un ogre qui extermine ses victimes et les faits disparaître dans le néant. Je me souviens par contre qu'Alberts n'avait rien à voir avec nos arrestations, mais je pas d'avoir peint des pancartes et des tapisseries qui ont été suspendues à des murs de prison ; Je ne me souviens pas d'avoir aidé à enterrer une communauté humaine et noyer le son de leurs voix. Tout au long de ma vie j'ai été entourée de ces même pancartes et tapisseries, par ces mêmes murs, par ce même silence et manque de communauté. Toute ma vie je n'ai rien désiré d'autre que de communiquer avec mes pairs dans un champ sans pancartes ni murs. Comment est-ce que je peux te le prouver ? Tu as réussi à me joindre et je t'ai répondu. J'aurais essayé de te contacter le jour de ma sortie de prison, et chaque jour après ça si j'avais pensé que mes lettres t'auraient été délivrées. Mais tu sais très bien qu'elles me seraient revenues sans aucune explication. J'ai eu ma première vraie chance à te contacter il y a douze ans. L'un de mes amis, Lem Icel , allait se retrouver près de toi sur sa route pour une conférence internationale. J'ai frénétiquement écrit des lettres à vous tou.te.s. J'étais profondément triste quand rien n'arriva en réponse a aucune de ces lettres. Je n'ai pas revu Lem pendant plusieurs années après ça. Il m'a dit qu'il avait été arrêté pour avoir transporté mes lettres. Il s'est alors mis à lister les horreurs qu'il avait enduré dans des prisons et camps, concluant en m'annonçant sa récente conversion à une antique religion égyptienne. J'ai à peine écouté ce qu'il m'a dit et n'en ai rien cru. J'en avais conclu qu'il avais perdu mes lettres et avait inventé la plupart de son emprisonnement et des tortures. Je pensais qu'il masquait sa culpabilité en prétendant que j'étais moi même coupable de son emprisonnement. Maintenant tu me dis que l'une de mes lettres à atteint sa destination, mais que tu ne l'as jamais vu. Lem n'a donc pas perdu ces lettres après tout. Cela veux dire que le reste de son histoire pourrait aussi bien avoir été vrai. J'ai peut-être causé l'arrestation de Lem. D'après Mirna, j'ai été responsable de la tienne. Cela fait de moi une dangereuse schizophrène : Douce et bien-intentionnée le jour tandis que la nuit, je complote les arrestations, emprisonnements et la torture de mes ami.e.s. Je ne supporte pas de me voir telle que tes lettres me décrivent. Ne vois-tu pas qu'il y à quelque chose de ridicule à toutes ces insinuations et accusations ? Lorsque je t'ai écrit il y à douze ans, et lorsque je t'ai écrit la dernière fois, pour répondre à ta lettre douce de camaraderie, j'étais désespérée pour du contact, de la compréhension, sympathie et communication humaine. Ta dernière lettre réduit ces deux gestes à de terribles crimes. Toi, Lem et Mirna suggèrent que je n'ai rien fait d'autre de ma vie a instruire la police. Si je ne me sens pas l'envie de rire, je suis convaincue qu'il y a quelque chose d'amusant en train de se passer. Je suis pas plus schizophrène que le reste de mes contemporain.e.s et ma paranoïa est en dessous de la moyenne. Je me peux pas me faire croire que ma lettre a eu quoi que ce soit à voir avec l'arrestation de Lem ou la tienne. Je n'ai aucune idée de ce que Lem faisait là à part délivrer mes lettres, mais je sais que mes lettres ne contenaient aucune instructions à la police. C'était des lettres privées de nature personnelles. Elle se référaient seulement à mes propres expériences insignifiantes et ne contenaient aucune référence à la politique ou aux politicien.ne.s. Je ne savais pas quel était le nom du présent ou même s'il y avais un président. La police arrête-t-elle, emprisonne et torture-t-elle des gens pour transporter de telles lettres ? La police n'a-t-elle rien d'autre à faire ? Sont-illes folles et fous ? Tout ça ne sonne-t-il pas terriblement ridicule et paranoïaque ? J’avais connu Lem pendant des années et je savais que la paranoïa n'était pas dis qualifiable pour ce qui le concernait. La paranoïa était à la base de sa vanité, elle confirmait son importance et son efficacité politique. Il s'était toujours vu comme persécuté. Lorsqu'il s'appelait un révolutionnaire, il s'était convaincu lui-même que son téléphone était sur écoute, qu'il était continuellement suivi et observé. Toute l'attention qu'il a reçu lui prouvait à quel point il était révolutionnaire. Quand il est plus tard devenu mystique, il se convainquait lui-même que des objets le persécutaient. Aurais-je du croire une personne pareille lorsqu’il m'a dit que mes lettres avait menées à son arrestation ? Je ne sais pas quoi dire sur les suspicions de Mirna. A-t-elle aussi des côté paranoïaques ? C'est toi qui l'as suggéré ainsi quand tu m'as dit que tu ne considérais pas ma lettre comme la raison de ton arrestation. Je ne peux bien évidement rien prouver étant donné que je n'ai pas accès aux dossiers de police. Tout ce que je peux dire c'est que je trouve ces accusations ridicules. Je vais admettre quelque chose d'autre, parce que je n'ai soudainement plus rien à faire de ce que tu puisses faire de cet aveu. Je ne t'ai pas tout dit de mes raisons pour penser que Lem me mentait quand il m'a parlé de son arrestation et emprisonnement. Ce n'était pas seulement parce que j'étais familière avec sa manie de la persécution que je ne l'ai pas cru. L'histoire elle même me semblait prétentieuse. Je n'y ai pas prêté plus d'attention. L'enchainement des horreurs ne semblait pas seulement terriblement exagérée mais aussi similaire au détail près, avec les représentations mises en avant par les propagandistes officiel.le.s. J'étais certaine qu'il avait lu l'histoire entière dans un journal. À cette époque, j'étais convaincue que ces histoires étaient complètement fabriquées, fictionnelles du début à la fin. Non, je n'avais pas été séduite par la propagande du camp opposé. Je savais au sujet des prisons et des camps, des purges politiques, des syndicats gerré par l'état, des améliorations de rendement et des campagnes de productivité. Ce à quoi je ne croyais pas s'était toutes les histoires récurrentes de prêtres, nonnes, et de tout petits enfants torturé.e.s dans des donjons médiévaux, étant donné qu'il était évident qu'il s'agissait là de fiction journalistique tirée de dossiers poussiéreux de l'hystérie de guerre, noms et dates changées à chaque occasion. J'ai reconnu ces articles de journaux dans le récit de Lem, sans y voir aucun élément d'un monde avec lequel j'aurai due être familière étant donné que comme tu le dis si crassement, j'aurai contribué à le construire. Il était après tout en train de parler de l'endroit ou j'avais autrefois connue plusieurs travailleur.se.s qui n'étaient pas si différent.e.s de milliers d'autres travailleur.se.s. Il me disait que toutes ces personnes avec qui j'avais vécue et travaillée, et tou.te.s les autres comme elleux s'étaient tout simplement évaporé et s'étaient fait remplacer par des chaines, des portes, et de terribles instruments de torture. Il me disait que tou.te.s ces travailleur.se.s avaient soient permis à ces horreurs de ce produire, ou s'étaient fait emprisonner et exécuter et que les seul.e.s personnes restant.e.s étaient des singes ou des moutons. Je n'en croyais pas un mot. Je ne pouvais pas me résoudre à croire que tou.te.s ces personnes avaient disparu.e.s, tout les rêves pour lesquels je m'étais battue avaient disparus sans laisser de trace. Je ne pouvais pas accepter de vision similaire à celle que tu a exprimée dans ta lettre ; Je ne pouvais pas me résoudre à croire que les dernièr.e.s êtres humain étaient en train de mourir en prison pendant que des êtres auto-réprimé.e.s les avaient remplacé à l'extérieur. J'ai ménagé mes illusions et me suis dupée. Prend le de la manière dont tu voudra. Si j'avais crue Lem, J'aurais été soit directement dans un hôpital psychiatrique ou me serait tuée. Je pensais qu'il y avait des gens comme moi la bas, qu'illes avaient maintenu.e.s leurs rêves et leurs espoirs et qu'illes luttaient encore. J'ai tenté de les contacter. Cela fait il de moi une criminelle ? Est-ce criminel que d'avoir des espoirs et des rêves que la réalité puisse rendre invalides ? Est-ce que les rêves d'une prisonnière sur ses projets d'après libération parce qu'il pourrait mourir en prison ? Étant donné que nous savons tou.te.s que nous allons éventuellement mourir, et étant donné que n'importe qui d'entre nous pourrait mourir demain, tout nos rêves et espoirs ne sont ils donc que des illusions ? Sommes nous criminel.le.s lorsque l'on choisi de les réaliser ? Tu contredis ton argument principal. Tu me dis qu'en dépit de l'incertitude concernant ta libération, tu a fait des plans en prison. À chaque paragraphe, tu parles de projets, de rêves et d'espoirs. Tu écris de la poésie sur les imaginations déchaînées, sur les possibilités de création d'un monde à la lueur de nos rêves. Tu es hypocrite. Je pense que tu étais aussi de mauvaise fois quand tu as dis à Mirna et ses parents que tu étais opposé à votre mariage. Ton argumentaire contre le mariage semble aussi creux que tes arguments sur mes illusions. À aucun moment lors de ton récit je n'ai ressenti le moindre doute que tu marrirai Mirna. Lorsque tu me dis à quel point illes étaient tou.te.s certain.e.s que l'événement aurai lieu, je l'étais moi aussi tout autant du début à la fin. Et lorsque tu me parles de mes illusions, je suis convaincue que tu les partage jusqu'à la dernière. Si tu ne les partageais pas, tu ne serais pas capable de décrire l'agitation qui t'entoure aujourd'hui ; tu ne serais pas même capable de la percevoir. Ces ces ferments d'agitation aujourd'hui ne partageant pas ce que tu appelles mes illusions, ils n'existeraient pas aujourd'hui autour de toi. Les gens sans ce genre d'espoirs et rêves ne sont pas des êtres humains, et il n'y à que des êtres humains qui puissent sortir de ce type de ferments que tu décris. Tu es hypocrite, et tu y appliques une logique de deux poids, deux mesures. Quand j'exprime l'espoir que nous détruirons les murs qui nous emprisonnent , cet espoir est une illusion ; mais quand tu exprimes le même espoir, elle devient une intention, un projet, la raison motivant communication, camaraderie et lutte. Je me souviens de mon passé seulement de manière à halluciner là où tu te souviens de ton passé de manière à comprendre ton présent. Crois le ou non. J'utilise mon passé exactement de la même manière que toi le tiens. Je ne l'utilise pas comme sujet pour l'admiration, la distorsion ou l'hallucination, mais comme une perspective depuis laquelle observer mon présent. Exactement de la manière dont tu le fais ! Si je n'avais pas à un moment de ma vie été avec des gens qui ont momentanément arrêté.e.s d'être des salarié.e.s, j'aurai été parfaitement satisfaite de demeurer une travailleuse salariée la première fois que j'ai trouvé un boulot. De la même manière que tu serais toujours à conduire ce bus infernal délivrant des excréments humains aux égouts de la ville. J'ai démissionné de mon premier boulot, et aussi de mon second, parce que j'avais connu des gens qui avaient été bien plus que ça, que des salariés. Si je n'avais pas une fois eu une véritable expérience d'apprentissage, j'aurai accepté mes années de lycée et d'université comme une expérience d'apprentissage, sans pouvoir imaginer l'éducation sous aucune autre forme. Mon expérience passée m'a aidé à voir à travers, découvrir et me rebeller contre mon expérience présente ; elle m'a aidé à voir à travers le ratatinage et l'incapacitation systématique qui passe pour de l'éducation. Si je n'avais pas une fois dans ma vie faite l'expérience de l'amitié, de la solidarité et de la communication, je n'aurais jamais été capable de deviner ce qui n'allait pas avec tou.te.s les M. Ninovos qui peuplent le monde, et rien dans ma vie ne m'aurait empêché de devenir l'une d'entre elleux. Les gens que toi et moi avons connu.e.s autrefois, les espoirs que nous avons partagés avec elleux, les projets que nous avons mis en place m'ont servi de point de comparaison. Peut-être que des personnes et projets imaginaires m'auraient servi tout aussi bien. Ne s'agit-il pas là de la définition sensée d'une utopie : un exemple auquel on compare le présent ? Mon utopie est peut-être un peu plus vive que celle de la plupart des gens parce que j'en avais véritablement faits l'expérience pour un moment. C'est pour ça que toutes tes attaques manquent leur cible. Je ne suis pas, après tout, en compétition pour un concours de mémoire, pour en écrire l'histoire, ou impliquée dans une recherche académique sur mon passé. Si je l'avais été, tu aurais dévasté mon projet comme absurde, faux, et indigne de confiance. Étant donné que j'essaye seulement de déterminer qui je suis et ce que je fais, tu échoues à amener ton argument en tirant des coups contre un ballon imaginaire. Loin d'essayer de reconstruire la succession exacte des événements passés, j'utilise les miens et dans une moindre manière ceux de Luisa et Nachalo comme un moyen de comparaison pour me guider dans mes décisions et actions présentes. Tu m'as été mon guide au tout au long de ma vie de la même manière que Luisa a été la tienne. Et tu as tort de la déraciner de ta mémoire, de t'en débarrasser Tu ne fais là que t’appauvrir. En éliminant ce moyen de comparaison, il ne te reste plus rien d'autre que le monde tel qu'il est. Si tu te prives de la capacité de voir ce que les gens et la vie peuvent être, tu ne seras plus capable que de voir ce qu'illes sont en concluant que c'est tout ce qu'illes puissent être. Néanmoins, alors que tu déracines Luisa de ta mémoire, que tu rejettes ce monde dans lequel tu as été libéré. Alors même que tu te débarrasses de ton moyen de comparaison, tu continues de comparer et de mesurer. Par quels standards définis-tu une personne ou un être humain rachitique si toutes tes idées d'êtres humains pleinement épanouis sont des illusions ? Comment peux-tu même te rendre compte que tu es en prison si tu ne peux imaginer qu'il y ai des êtres humains en dehors ? Si j'ai retenu la mémoire des mes expériences avec toi, je ne l'ai pas fait pour glorifier ce à quoi cette expérience a abouti, étant données qu'elle n'a pas eu d'aboutissement, mais pour transporter cette expérience dans un nouveau contexte. Si j'ai conservé les espoirs et les rêves que j'ai partagée avec toi, ce n'était pas parce que je pensais que nous les avions réalisés, mais parce que je voulais continuer à lutter pour les réaliser. J'ai emporté avec moi ces espoirs et ces rêves dans un monde auquel ils manquaient, un monde qui avait déraciné et tué ce genre d'espoirs et de rêves. Si ces rêves te semblent maintenant rachitiques, c'est parce que ce monde dans lesquels je les ai emporté ne contenait pas un sol viable pour les y faire grandir. Accuses moi d'avoir trainé ces rêves dans un environnement inopportun, accuses moi d'avoir échoué à les réaliser, mais ne m'accuses pas dans la même phrase de les avoir supprimé. Je suis désolée que tu n'ai pas lu ma dernière lettre dans l'esprit avec lequel je l'ai écrite. Je suis désolée parce que nos vies n'étaient pas si différentes après que nous avons été arrêté.e.s et séparé.e.s. Je comprends parfaitement le désespoir que tu as ressenti immédiatement après ta libération de prison. J'ai compris pourquoi tu considères ces quelques jours comme plus lugubres que tes années d'emprisonnement. Je l'ai compris parce que quand je t'ai écrit il y a douze ans, je considérais les huit années depuis ma sortie comme plus lugubre que mon emprisonnement. Je m'excuse pour la manière dont ça peut te sembler. Quand j'ai écrit cette lettre, je n'avais aucune idée que tu avais passé quatre années en prison. Luisa et moi avions été relâchées après deux jours de prison et pour une raison ou une autre je pensais que tu avais été libéré peu après nous. Pourtant, même en sachant que tu avais passé la moitié de ces années en prison, j'aurais préféré passer ces huit années de la manière dont tu l'as fait. J'aurais au moins été emprisonnée pour des faits que j'aurais su avoir commis. À ma sortie, je me serais à nouveau retrouvée dans un monde qui m'était familier, avec des gens qui étaient des ami.e.s. Ne me méprend pas encore. Je ne suis pas en train de glorifier la bureaucratie ou la police qui se sont installées comme dominantes. Je ne sais pas grand chose à leur sujet, mais ce que je sais me donne des sueurs froides. Ce n'est pas du tout là dessus que j'écris. J'essaye de te dire que toute ma vie ici, j'ai souhaité ne jamais t'avoir quitté, que mon émigration n'était rien d'autre qu'une grosse erreur, qu'ici je n'étais pas capable de devenir davantage que ce que j'avais été quand tu m'as connu. J'espère cette fois ci que je me suis fait comprendre. Tu m'as dit que le monde que tu as trouvé à ta libération n'était pas paradisiaque. Je ne l'ai jamais pensé. J'essaye de te dire que quelque chose de similaire m'est arrivé. Le monde vers lequel je suis allé n'était pas paradisiaque non plus, bien moins proche que mon expérience avec toi. Le monde dans lequel j'ai été amenée était considéré publiquement comme le premier paradis sur terre de l'humanité, la première communauté d'êtres humains heureu.se.x. Il m'a fallu seulement quelques minutes pour apprendre que ces images d'êtres humains heureu.se.x sur les pancartes et les tapisseries étaient identiques à celles que tu décris, que le miel et le lait renversé avec hésitation dans le désert qui ne contenait ni communauté, ni camaraderie, ni chaleur humaine. J'avais été emportée dans cette utopie des objets sans aucune raison. J'y étais emprisonnée, pas à cause d'actes que j'aurais commise, mais parce que quelqu'un pensait qu'il me rendait service en m'emmenant là. Il n'y à aucune issue à ce paradis désertique. C'est la culmination de tout ce qui puisse être désiré, mais pas par des êtres humains. Toutes les routes qui y mennent sont des pentes à pic. D'ici tu ne peux qu'aller vers le bas ; d'ici je peux seulement être libérée dans des prisons dans lesquelles tu as passé la moitié de ta vie. Je souhaite tellement avoir pu entendre ce que tu m'as entendu dire. C'est si frustrant de communiquer à travers une distance aussi grande. Évidement tu ne m'entends plus dire que ton emprisonnement était la réalisation de mes rêves ! Si je m'en réferre à mes expériences avec toi en décrivant le monde vers lequel j'ai été amenée, c'est parce que celles ci étaient les expériences que j'ai eu avant d'arriver ici, elles étaient le point d'observation depuis lequel je voyais où j'étais. Tu a décris la naissance de Vesna dans une cage de laquelle elle n'est jamais sortie. Je suppose que ce que tu veux dire est qu'elle n'a jamais rien connu de la vie en dehors de la cage étant donné que ces souvenirs les plus anciens étaient ceux de la cage. Elle n'avait pas d'autres souvenirs, même oubliés pour les y comparer à l'expérience de la cage. En conséquence, comment aurait-elle pu savoir qu'elle était en cage ? J'ai des souvenirs et c'est grâce à eux que je suis capable de décrire ce paradis comme une cage. Toi aussi ! Si ce n'était pas le cas, comment pourrais-tu savoir que Vesna est née dans une cage ? Et si tu ne te souvenais pas d'un instant de vie en dehors de la cage, quelque soit sa durée, tu n'aurais, comme Versna, pas été capable la cage autrement que comme le monde, le seul monde possible, et peut-être même le meilleur des mondes possibles. Je me souviens de ma sortie de prison et de mon voyage pour arriver ici comme d'un périple terrible à travers un tunnel très long. Ma vie n'était qu'a son début et je la quittais, m'attendant déjà à ne rien trouver de l'autre côté. Libérées après deux jours de prison, je pensais que Luisa et moi retournerions vers nos ami.e.s, je pensais que nous continuerions le travail que nous n'avions pas fini ; je pensais que la lutte n'en était qu'à son commencement. Je m'attendais à te trouver, avec tou.te.s les autres ami.e.s engagé.e.s dans les activités desquelles j'avais été si soudainement arrachée. « Nous partons ! » a dis Luisa. Quoi ? Nos ami.e.s ? Nos projets ? Mais notre projet n'avait pas encore commencé, et le monde nouveau n'était pas encore construit. Est-ce que nous partions tou.te.s ? Allions nous continuer la lutte ailleurs ? Est-ce que notre monde était déjà réalisé ailleurs ? Sinon, pourquoi partions nous et ou allions nous ? Je ne comprenais pas. J'étais frustrée et en état de choc. J'ai conservé chaque détail de ce projet et de ces ami.e.s aussi bien que chaque espoir que j'avais pu partager avec elleux. J'ai maintenu mon expérience dans ma mémoire comme si j'avais déjà su à ce moment là que j'étais emmenée vers une cage de laquelle je ne sortirai jamais. Si je n'avais pas conservé ces souvenirs, j'aurais oubliée mes expériences et mes ami.e.s, et alors, comme Vesna, je n'aurais connu que la cage. J'aurais grandi comme celles et ceux autour de moi qui ne connaissent aucune vie ailleurs. J'aurai eu à accepter mes compagnon.ne.s de cage comme les seul.e.s êtres humains possible, et mes expériences de la cage comme les seules expériences humaines possible. Je n'aurais pas pu comparer ma vie dans la cave à la vie que j'avais eu avant d'être enfermée. Si je t'avais oublié, je n'aurais pas pu t'écrire il y à douze ans, et je n'aurais aucune raison au monde pour t'écrire maintenant. Je n'aurais pas répondu à ta première lettre parce que je t'aurais pensée étrange et bizarre. J'aurais été un oiseau de paradis qui n'aurais certainement pas pu comprendre la lettre d'un étranger, et même si je l'avais lu, je n'aurais pas envoyé l'un de mes mots à un insurgé qui était en plus de ça un criminel récidiviste. Luisa m'a dit plus tard que j'avais été malade pendant l'ensemble du voyage, que je m'étais effondrée. J'étais très hostile envers Alberts, et ingrate. Je ne lui montrant pas la moindre appréciation pour le service qu'il nous rendait. Je lui était hostile, aussi impoli à son égard que s'il avait été mon gardien de prison. Luisa semblait reconnaissante. Je me souviens de ça. C'était en partie ce qui m'a rendu malade. À la lueur des événements qui ont suivi, elle avait eu tort. Sa gratitude n'a duré que quelques mois. Je m'accrochais à Luisa mais pour la première fois de ma vie je ne lui faisais pas confiance. Je pensais qu'elle ne savais pas ou nous allions, pourquoi nous partions, ou ce que l'on ferait une fois arrivé.e.s. J'avais raison. Sabina était la seule d'entre nous à savoir exactement où elle allait et ce qu'elle ferait une fois arrivée. Alberts lui avait dit qu'elle allait au pays des objets géants et des jouets monstrueux. (Il avait raison.) Elle bouillonnait d'enthousiasme et débordait d'impatience d'y être. Elle sautillait partout comme un singe libéré de sa cage. Je la haïssais pour son enthousiasme ; faisant tout mon possible pour assourdir le son qu'elle faisait. Je la voyais comme un poulet se baladant dans le jardin en caquetant, pendant les quelques minutes avant que ça tête ne se fasse découper. Les souhaits de Sabina ont été exhaussés. Cet Eldorado était tout ce qu'Alberts avait promis. L'Eldorado originel, celui ou les rues avaient été pavés de graines d'or et ou les gens avaient marché sur l'or dans un respect mutuel avait disparu il y à bien longtemps, ses habitant.e.s exterminé.e.s. À sa place avait grandi un autre Eldorado, où l'or était gardé dans des cryptes et les rues étaient pavées de chair, ou les objets marchent sur les gens et se respectent les uns les autres. C'est bien là un pays de jouets gigantesques. Les jouets ont vaincu les gens. Les objets gouvernent les rues de la ville, les autoroutes de campagne, les ponts et les tunnels. Les objets sont hébergés, nourris, et soignés. Les objets sont mis en avant, vanté, honorés et adorés. Les gens sont petit.e.s et effrayé.e.s ; préposé.e.s aux besoins des objets. Quand illes ne prennent pas soin d'objets, les gens ne sont rien de plus que des obstacles sur le chemin d'objets pressés. Chaque collision entre une personne et un objet détruit la personne laissant l'objet intacte. Seuls les objets ont des buts et des directions. Les gens dérivent dès qu'illes ne sont pas en train de prendre soin d'objets. Illes ne se reposent pas, au contraire, toujours sur le qui-vive ; Illes gardent leurs yeux rivés sur les objets de manière à éviter de les percuter. Illes ne rêvent même pas de communiquer les un.e.s avec les autres. Illes n'ont pas le temps. Illes savent que dans l'instant qu'il leur faudrait pour établir un contact avec l'un.e de leur pairs, illes se feraient écraser. Illes écoutent furtivement les communications entre les objets. Sans communication, illes ne peuvent pas entreprendre des projets commun et ne peuvent pas plus les imaginer. Où ai-je trouvé le langage et les images que j'utilise pour comprendre et décrire ce monde ? Tu le sais bien : Dans l'usine de carton il y à vingt ans parmi de braves et intimidables êtres humains communicant les un.e.s avec les autres, engagé.e.s dans un projet commun, parmi des individu.e.s qui marchaient sur des objets et se respectaient les un.e.s les autres. C'était ça mon utopie, mon Eldorado. N'as-tu pas gardé avec toi une image similaire pour au moins autant d'années ? Que sont ces barricades qui n'ont existé que si brièvement et encore seulement dans des situations de crises ce n'est la révélation d'une possibilité humaine permanente ? C'est ce que mon image me montre : une possibilité humaine permanente. En me montrant ce que les gens peuvent être, cela m'aide à comprendre ce que les gens autour de moi sont devenu.e.s. En me montrant des gens engagé.e.s dans des projets commun, ça me renseigne sur la dérive qui n'est pas la seule existence possible pour la vie humaine. Non, je n'ai pas été une hermite pendant les vingt dernières années. Je ne suis pas demeurée si isolée des gens autour de moi. Je ne suis pas restée assise dans ma chambre à contempler une image de mes ami.e.s d'autrefois. Mon effondrement n'a pas duré depuis cette époque jusqu'à maintenant. J'ai rencontré d'innombrables personnes. J'ai travaillé avec un grand nombre d'entre elleux. J'essaye de décrire la manière dont j'en ai fait l'expérience. J'essaye de te dire qui illes étaient et ce qu'illes étaient en les comparant avec ce qu'illes ne sont pas. J'essaye de décrire la cage comme la cage comme j'en ai fait l'expérience et non comme le paradis qu'imaginent certain.e.s de ses autres habitant.e.s. Je ne peux faire ça que du point de vue extérieur à la cage, du point de vue de l'expérience que j'ai partagée avec toi, du point de vue de cette image que j'ai conservée toutes ces années. En déchirant mon image en morceau de la même manière que tu avais déchiré mon image de Luisa, c'est aussi ma vie que tu déchires. Les possibilités que j'ai tenté d'approcher avec chaque rencontre et chaque événement étaient les seuls événements vécus de mes expériences. S'il-te-plais ne m'enlève pas les gens qui m'ont informée de ces possibilités. Illes font partie des quelques personnes que je savais ne pas être des marionnettes. Illes sont la seule communauté humaine dont j'ai jamais fait l'expérience. Illes n'étaient pas parfait.e.s Ce n'était pas des dieux ou des déesses. Illes avaient des défauts, étaient humain.e.s, identiques en ça à des millions d'autres. C'est pourquoi illes ont révélé une possibilité humaine. Pourtant tu fais apparaître leur humanité même comme inhumaine. C'est toi qui est à la recherche de divinités. Je suis seulement à la recherche d'autres Veras, Adrians, Marcs et Claudes. Je me souviens d'une Vera parlant, non pas comme une radio. La radio est un instrument qui tue la communication, qui vole les gens de leurs langues, qui diffuse la voix d'un individu unique à des millions d'auditeur.ice.s, les réduisant à des récepteurs passifs. Si communication à la même racine que commun, et communauté, la radio est un instrument qui arrache les trois. La Véra dont je me souviens avait la voix simple d'une personne unique parmi des milliers d'autres, elle était l'une des milliers à éteindre la radio et retrouver leurs propres voix. Pour moi elle est l'exacte opposé de ces innombrables politicien.ne.s que j'ai rencontré depuis, rêvant seulement du jour ou ce serait leurs voix qui seraient le seul son dans l'océan d'une audience silencieux.ses. Je me souviens d'un Adrian se déplaçant avec la marée. Quand les gens autour de lui ont commencé à se sortir de la boue, il a été infecté par leur esprit et fait de son mieux pour se libérer lui même. Si l'esprit de libération peut s'étendre à Adrian, il peut s'étendre à tou.te.s. Il était la preuve vivante que c'était chose possible. J'ai rencontré de nombreux.ses conformistes, mais étant donné qu'aucun.e d'entre elleux n'ont jamais été infecté par un esprit de libération, ou par aucun esprit du tout : Illes se déplacent tou.te.s dans les limites confinées de la routine officielle. Je me souviens d'un Claude un peu lourdeau, mais je me souviens aussi qu'au moins l'espace d'un instant, il utilisait sa taille imposante pour se défendre lui et ses camarades. Tu as exprimé un dégout intense à son encontre. Pour moi, il était un symbole de la classe ouvrière, se réveillant de la stupeur du salariat, se retournant leur force contre le capital. Les brutes que j'ai connu depuis ont utilisées la leur pour défendre leurs maitre.sse.s et opprimer leurs pairs. Tu décris Marc comme un expert autodidacte. Je le pensais un ouvrier comme les autres. Je m'en souviens comme d'un rêveur. Il laissait son imagination aller ou bon lui semblait à travers le champs des possibles (l'expression est de toi). Il m'a donné un aperçu du monde tel qu'il pourrait l'être si l'imagination de tou.te.s était libérée. J'ai rencontré un grand nombre de gens se considérant comme des expert.e.s, mais je n'ai jamais souhaité d'un monde qui en contienne davantage. D'après toi, ces gens aux émotions et projets propres ont existé seulement dans le privé de mon imagination. Tu n'as de choses bonnes à dire que sur Jasna, Jan et Titus précisément car ce sont là les trois que je n'ai pas considéré comme des modèles ou des guides. Je n'ai jamais été capable de considérer Titus un camarade étant donné qu'après la mort de Nachalo, lui et Alberts se sont tout deux considérés comme un père vis-à-vis de moi. Mais soit. Disons que les travailleur.se.s dont je me rappelle sont imaginaires. Disons que les expériences que j'ai partagé avec elleux n'ont jamais eu lieu. Ça n'a pas vraiment d'importance. Même si je n'avais jamais vécu une telle expérience, je peux toujours dire que mon imagination a une fois aperçu la possibilité d'une véritable activité sociale qui n'était ni triviale ni marginale. Même si je n'ai jamais connu ces gens, j'ai imaginé des insurgé.e.s luttant pour se défaire de leurs chaines et non pour les passer à d'autres. Imaginaire ou non, cette expérience et ces gens ont influencé l'ensemble de mes perceptions depuis l'instant de ma sortie de prison. C'est à cause d'elleux et à cause de toi que j'ai vécu ma sortie et mon émigration à une descente en enfer. Plutôt que d'être réjouie, j'était maussade. À la place d'être reconnaissante envers Alberts, je pensais qu'il m'avait séparé du monde des vivant.e.s. Je n'ai pas accepté les événements de la manière dont la mère de Mirna les a accepté ; comme la conséquence, notre sort. Mon expérience réelle ou imaginée ont faite de moi une critique. Alberts avait déjà un emploi quand nous sommes arrivées. Ça avait été arrangé par des gens avec qui il avait travaillé pendant la guerre ; Je ne les ai jamais connu.e.s ou ce qu'il avait fait avec elleux. Il enseignait les sciences naturelles dans un lycée, bien que tes descriptions en tirent un portrait plus approprié : il faisait des pas devant trente ou quarante adolescent.e.s de neuf heures à trois heures tandis que des excréments s'écoulaient de lui. Je le sais parce que pendant un an après que nous soyons arrivées, je l'ai regardé avoir des fuites pendant un semestre entier. Grace à toi je sais ce qu'est un enseignant. Nous avons été acceuillies à notre arrivée, ou je devrais dire flattées, par un comité de réception informel. Illes nous ont dit que la liberté était le surnom de leur drapeau, que le danger mortel de traverser la rue était une preuve des standards de vie élevés, et que nous serions heureux.ses une fois que nous aurions appris.e.s à vivre comme ça. Des vantards et des va-t'en-guerre. Illes nous ont trouvé un endroit où vivre, illes appelaient ça une maison, l'euphémisme local pour parler des murs qui séparent les gens de leurs voisin.e.s. Illes nous ont dit qu'il nous aideraient volontiers à résoudre le moindre problème que nous pourrions avoir, mais ne nous ont laissé.e.s ni noms ni numéro de téléphone et nous n'en avons jamais revu.e.s aucun.e.s. J'avais ma propre chambre dans notre maison. Je n'en avais jamais encore eu avant. Elle n'était ni humide ni froide et n'avais ni cafards, souries ou rats. Il y avait un lit et des murs. Ce n'était pas comme une cellule de prison parce que je pouvais en sortir quand bon me semblait. Pendant des jours je suis restée là assises sur mon lit à regarder les murs, et c'était exactement comme une cellule de prison. Ils me séparaient de mes ami.e.s et de mes activités. Ma vie était ailleurs, dehors, loin. J'étais une prisonnière. Luisa m'apportait mes repas. Parfois elle était l'ancienne Luisa, elle comprenait, sympathisait, regrettait le voyage et haïssait la maison, le comité de réception et Alberts. À d'autres moments elle était la nouvelle Luisa, celle qui avait été reconnaissante envers Alberts et polie avec le comité de réception, qui m'a appelée une oie têtue et insisté à ce que je me fasse de nouvelleaux ami.e.s et oublie les ancien.ne.s Des voisin.e.s sont venu.e.s nous rendre visite. Je voulais sortir et les fixer des yeux mais je suis restée dans ma chambre à écouter. Illes disaient vouloir se présenter, mais en fait illes étaient venu.e.s pour nous espionner Illes ont demandé à Luisa quels âges avaient ses deux filles. Illes avaient du nous compter quand nous avons emménagées Je n'avais pas quitté une seule fois ma chambre depuis ce jour là. Illes ont demandé à Luisa pourquoi nous n'allions pas à l'école. Luisa leur a dit que nous apprenions toujours la langue. Ce n'était pas vrai. Sabina parlait couramment grâce à Alberts et je pouvais comprendre la plupart de ce qui était dit. Luisa leur dit que le voyage avait été un choc pour nous deux et que nous étions toujours à nous en remettre. Ce n'était clairement pas le cas pour Sabina et les voisin.e.s devaient savoir que Luisa leur mentait. Elle avait déjà plusieurs fois couru d'un bout à l'autre du quartier et personne n'aurait pu penser qu'elle soit malade. Elle refusait simplement d'aller à l'école. Elle argumentait que ni elle, ni Luisa ni moi n'étions venues ici pour aller à l'école. Seulement Alberts. Quelques jours après la visite de nos voisin.e.s, des bureaucrates sont venu.e.s. Elleux aussi ont demandé.e.s à Luisa pourquoi ses filles n'allaient pas à l'école. Tu n'es pas le seul à avoir un M. Ninovo comme voisin. Luisa était intimidée. Elle a promis de nous envoyer toutes les deux à l'école le matin suivant. (Tu orientes ta critique à la Luisa qui s'est bravement battue dans la révolution. Tu ne sembles pourtant pas au courant de cette seconde Luisa, celle qui s'est enfuie de ses ami.e.s et projets par deux fois, celle qui était apeurée et intimidée. Tu t'es défais de tes illusions sur la mauvaise Luisa.) Luisa m'a suppliée d'aller à l'école, et c'est là que j'ai perdu mes illusions. Je me suis sentie désolée pour elle et j'ai abandonné, surtout vu que je n'avais jamais eu l'intention de passer le reste de ma vie dans cette chambre. Sabina a tenu davantage sur ses positions que moi, et Alberts était moins servile que Luisa. Il a appelé l'une de ses connaissances et s'est débrouillé pour que Sabina soit inscrite dans une école privée à laquelle elle n'est jamais allé. Elle s'était simplement faite dire de rester hors de la vue des voisin.e.s pendant les heures d'écoles, ce qu'elle a réussi à faire jusqu'à ce qu'elle et Alberts déménage quelques mois plus tard. Elle n'a jamais passé la moindre journée à l'école. À quel point les gens s'adaptent ! Pendant mes premiers jours à l'école, j'étais révoltée, choquée et indignée. Des jeunes gens énergiques restaient assis.e.s là comme des caniches dressé.e.s, laissant des fonctionnaires ignorant.e.s farcir leur têtes d'ordures. Je m'efforçais de penser à des moyens de saboter les leçons de dressage, mais les seules choses auxquelles j'ai pensé était de refuser de répondre à des question sur la bases qu'elles étaient biaisées et triviales. À la place de prendre des notes sur les cours, je prenais des notes sur les professeur.e.s et les élèves. J'avais l'intention de m'en servir lorsque j'écrirai des lettres à mes ancien.ne.s camarades. J'allais te décrire ce qui ce en quoi se transformaient les êtres humains lorsqu'illes perdaient les luttes qu'illes entreprenaient. J'ai toujours ces notes. Je les aie relues avant de commencer cette lettre, pour voir à quel point ma mémoire ne contenait seulement que des expériences inventées. Il n'en était rien et tes accusations étaient sans fondement. Je n'ai jamais écrit les lettres pour lesquelles ces notes avaient été faites, pourtant j'ai continué à en faire. Plus tard, je les ai réarrangé : J'allais écrire un roman comparant mon passé avec mon présent. Progressivement, mon choc, mon indignation et mon désir d'exposer au grand jour la farce qui se faisait appeler éducation se sont retrouvé confiné à mes notes. Ma vie était contenue dans ce carnet. Je me trainais à l'école mécaniquement, sans y penser, comme si j'étais en train de porter un sac d'ordures à la déchetterie. Je m'adaptais. Je devenais comme les autres. Seul mes cahiers de notes ont continué à se rebeller, mais je n'ai jamais montré ces note à personne. Elles étaient pour toi. Pourtant, maintenant que je t'en fait enfin part je suis embarrassée. Ta lettre me met sur la défensive. J'avais toujours été certaine que tu me comprendrais. Ta lettre m'aura au moins faite douter fait douter que j'avais une illusion; celle d'avoir ta compréhension. Quoi qu'il en soit, ta lettre n'était pas une d'un parfait inconnu. Je t'y ai reconnu à chaque fois que tu arrêtais de parler de moi ; dans les passages ou tu te décrivais et les gens autour de toi étaient les passages dans lesquels je retrouvais ma propre expérience et c'est à cause d'eux que je pense que tu peux comprendre les miennes. J'ai compris ta colère et ta frustration quand tu as feuilleté le livre d'histoire de Mirna. Les miens étaient similaires et contenaient les mêmes histoires de l'ascension de bureaucrates aux postes du gouvernement. Je vivais dans un environnement dans lequel chaque attribut humain et chaque aspect de la nature avait été transformé en travail salarié et en capital, et pourtant ni l'un ni l'autre n'étaient mentionnés dans les livres d'histoire. Je vivais dans une ville dans laquelle les êtres humains avaient été systématiquement dépossédé.e.s et opprimé.e.s à des niveaux inconnus auparavant pour des êtres humains et les livres d'histoire ne parlaient que d'égalité et de liberté. Les étudiant.e.s n'y prêtaient pas trop attention, mais ces mensonges les imbibaient, par osmose. L'un des premier élève à me parler était un autre étranger. Il m'a dit que son père avait travaillé dans une usine métallurgique pendant deux ans, qu'il avait soulevé des charges trop lourdes pour lui et s'était cassé le dos, et lorsqu'il n'a pas réussi à s'en remettre et retourner au boulot, il avait été renvoyé. Sa mère était partie travailler pour les soutenir lui et son père malade. Puis le garçon m'a demandé : « Là d'où tu viens, est-ce que ça fait aussi partie du monde libre ? » La professeur de langue a passée six mois à lire un seul roman à la classe. Peux-tu t'imaginer ça ? Puisque j'avais déjà lu ce livre, j'ai passé ce temps là à élaborer mes notes. Il y avait aussi une classe de cuisine, que j'ai tout simplement refusé de suivre. Aussitôt fait, je me suis faite dire que j'étais libre de prendre une classe de charpenterie ou menuiserie. J'étais la seule fille à le faire. Apparement aucune autre n'avait refusé de suivre la classe de cuisine en conséquence de quoi aucune ne s'était jamais rendu compte qu'elle était optionnelle. Tu décris à quel point les livres d'école de Mirna semblaient déplacés dans sa maison. Des livres semblaient tout aussi déplacés entre les mains de certain.e.s de mes professeur.e.s, en particulier celui de mathématiques. En plus d'être le prof de math, cet homme était aussi l'expert sportif de l'école. Il était l'un des seuls professeur de l'école à posséder l'un des plus haut degré d'éducation. Il se faisait appeler un docteur et la rumeur voulait qu'il avait son diplome encadré et accroché au mur de son salon. Elle disait aussi que la thèse pour laquelle il avait reçu ce diplôme avait à voir avec le dribble du basketball. Je pense que ces deux histoires étaient vrais. Il pouvait certainement être excellent à écrire sur le dribble du basketball, mais ne pouvait absolument pas diviser des fractions et je suspectais qu'il n'avait jamais appris à résoudre la moindre équation algébrique. Il ne résolvait sur le tableau que ceux des problèmes déjà résolus dans le livre. Un jour il a fait une erreur en le recopiant. De manière à arriver à l'étape suivante, il lui fallait diviser la même quantité de part et d'autre de l'équation. Il a divisé les côtés par une quantité différente puis continué à copier avec nonchalance. J'étais furieuse « Hé, vous ne pouvez pas faire ça ! » J'ai crié. « Vous n'auriez pas à le faire si vous aviez recopié les bons chiffres du livre ! » Il s'est retourné rouge comme une tomate. « Vous les rouges vous êtes trop malin.e.s pour votre propre bien ! » m'a-t-il crié dessus. L'athlète a alors marché jusqu'à moi et m'a giflé. J'ai hurlé et il est devenu rigide comme une planche. D'autres élèves l'ont alors encouragé en criant « Montrez lui, coach ! » Ces élèves l'encourageaient parce qu'illes le considéraient comme le rebelle. J'étais dans un monde dans lequel chaque chose qui m'était familière marchaient sur leur tête. Les rôles étaient inversés. La brute de prof était vu comme un rebelle et l'élève rebelle comme une représentante de l'autorité. La police était considérée comme des agent.e.s de la liberté et les insurgé.e.s comme agent.e.s de la répression. Des conformistes autoritaires se considéraient comme des individualistes et les révolutionnaires étaient appelés Rouges ou Comissaires. La plus grande inversion de toutes était que les plus autoritaires des autoritaires, celleux glorifiant l'état et rêvant de devenir des chef.fe.s d'une police omnipotente se considéraient comme des révolutionnaires. Mon ami Lem Icel, qui t'a plus tard porté ma lettre était l'un de ceux la. J'ai rencontré Lem le jour où l'expert du dribble m'a giflé, Lem a couru vers moi après l'école, dans son costume et sa cravate, portant des lunettes un une sacoche en cuir. « Je pense que tu avais raison » m'a-t-il dit. « Qu'est-ce que tu veux dire que j'avais raison ? Je sais que oui ! J'ai crié. « regarde dans ton livre! » « Oui je sais, » dit-il « J'avais mon livre ouvert aussi. Ce que je voulais te demander, c'est sur ce nom qu'il t'a appelé. » « Rouge ? C'est pas mon nom ! ». « Je sais que nom. Mais je veux dire, est-ce que c'est vrai ? Tu l'es ? Enfin, tu crois à ces tendances, tout ça ? Cette dernière question avait le même ton qu'une personne m'ayant demandé « Crois-tu que le soleil va s'effondrer dans le lac après demain et le monde s'arrêter ? » ou « Crois-tu que chacune des statues de Jésus saigne toutes les nuits ? » Et je savais déjà qu'il n'avait que l'envie de se soulager en me disant « Moi aussi. » « Tendances et tout ça ! Qu'est-ce que tu peux bien vouloir dire? » j'ai demandé. « Oh, tu peux me le dire, je suis un Camarade, pas un indic' ! » Il chuchotait tout ça. Je criais « De quoi est-ce que tu parles ? Qu'est-ce que tu veux ? » « Chh. Tu sais bien ce que je veux dire, les tendances, les forces, la dialectique ! » Je savais malheureusement bien de quoi il parlait mais ça n'avait rien de très excitant, et ce n'était pas même en soit très bien vivant. Mais c'était quelque chose. C'était la forme que prenait la rébellion dans cet environnement et j'étais extrêmement seule. Ça me rappelle ces gens que tu as décrit mangeant de l'écorce. Lem était un clown répugnant, un bureaucrate bien brossé qui pourrait un jour diffuser l'ordre d'exterminer des millier de travailleur.se.s, un agent de l'état renfrogné qui avait été vieux longtemps avant l'âge. Mais je n'avais parlé avec personne à part Luisa depuis notre arrivée et après avoir commencé à aller à l'école, j'avais aussi commencé à l'éviter elle. Je ne pouvais m'empêcher de me lier à Lem. « Tendances, » J'ai dit avec hésitation comme si j'étais en train de me souvenir de quelque chose. « Mais oui bien sur ! Les tendances ! » oubliant d'y ajouter « et tout ça ! » « Je savais que tu étais l'une des nôtres aussitôt que le coach t'a appelée une Rouge » et je savais déjà que Lem allait dire longtemps avant qu'il ne le fasse. « Et est-ce que j'ai confimé ce que tu savais déjà ? » « Bien entendu ! Nous pouvons le garder secret des autres, mais pas entre-nous ! » Il était évidement un débutant dans la profession de conspirateur, et n'avait encore rien appris de la sécurité. « Est-ce que personne d'autre n'est au courant que tu es l'un d'elleux ? Enfin je veux dire des nôtres ? » J'ai demandé. «C'est un secret pour tout le monde, même mes parents » affirma-t-il fièrement. « Oh, vois-tu ça ! » Je n'ai même pas essayé de cacher mon admiration pour sa capacité à garder des secrets. « Pas même a tes parents ? Tu dois être très courageux ! » « Je pensais que ce serait dur, mais pas vraiment, » m'expliqua-t-il. « Mon groupe de travail se rencontre chaque vendredi soir et je dis à mes parents que je vais au cinéma. J'avais l'habitude de faire ça souvent le vendredi soir, et je fais toujours en sorte de connaître ce qui est projeté, mais illes ne m'ont jamais encore demandé ce que j'étais aller voir. » « Et le groupe de travail, » j'essayais, « ça doit être plus intéressant que nos cours à l'école ? » « Oui bien sur, bien plus discipliné, » me dit il si prévisible. « Quiconque y aurait fait ce que tu as fait aujourd'hui en aurait été exclu.e immédiatement. » « Génial ! » « Est-ce que tu te moques de moi ? » « Bien sur que non ! » « Evidement, aucun des présentateur.ice.s dans ce groupe de travail ne se ferait prendre à faire une erreur aussi stupide ! » « Peux-tu me dire ton nom ? » Je lui ai demandé ça pour changer de sujet ; J'en avait déjà entendu assez sur ce groupe de travail. « Ou est-ce que c'est un secret ? » J'avais ajouté cette dernière question par amusement, et j’espérai bien ne pas gâcher celui-ci en me souvenant que j'aurais tôt ou tard appris son nom lors du prochain appel en classe. « Oh non je peux te dire mon nom ! » Il s’est empressé de me répondre : « C'est Lem, Lem Icel. Ça viens du dieu grec Icelus, mais mon grand-père l'a raccourci. » « Moi c'est Sophia. » « Oui je sais. Sophia Nachalo. Je l'ai vu écrit sur ton cahier de notes. » « Tu l'as prononcé correctement ! » Mon nom était la seule chose qu'il ai dite qui me faisait plaisir. « Cela ne te dérange pas quand ce génie le prononce ''Naturel'' ? » « Sa prononciation est son problème et pas le mien. » « Elle n'est pas meilleure que ses maths, » répondit Lem. « Est-ce que tu veux que je me fasse gifler aussi pour corriger sa prononciation ? Pourquoi tu ne le corriges pas toi-même ? » Lem rougit. Il aurait pu au moins corriger les maths du sportif, étant donné qu'il avait lui aussi le livre ouvert. « Les conditions objectives. » répondit-il avec hésitation. « Tu vois ce que je veux dire ? » « Oui, bien sur ! Elle n'était pas réunies. » « Wow ! T'en sais pas mal ! » Il semblait vraiment impressionné « Je n'ai appris ça qu'il y à quelques semaines ! » « N'es tu pas fatigué de passer tes fins de semaines à apprendre ? Ne préférerais-tu pas aller au cinéma les vendredis soirs ? » « Es-tu jamais allée à un groupe de travail ? » il demanda. Je n'ai rien répondu. J'étais déjà fatiguée de ce petit jeu, et de Lem. « Le groupe de travail est complètement différent » expliqua-t-il alors que je m'éloignais. « Ici, tout ce qu'illes disent sont des mensonges. Là bas, j'apprend sur les tendances et les forces. Tu sais, la vérité sur les choses. Nous devrions parler plus tou.te.s les deux. Tu sais. On devrais devenir ami.e.s étant donné que nous sommes déjà camarades. » Mon premier ami était un admirateur de celleux qui avaient trahi.e.s Luisa, m'avaient arrêté et t'avaient emprisonné. Le plus j'en apprenais sur lui, le moins appréciable il devenait. Lem était l'un des élèves les plus riches de l'école. Son père était le gérrant d'un grand magasin. Les autres gens de sa classe sociale étaient envoyé.e.s dans des écoles privées, mais le père de Lem voulait donner à son fils ce qu'il considérait un avant-goût de la réalité. Sa religion politique nouvellement acquise donnait à Lem une nouvelle manière d'exprimer son statut social, et rien de plus. Il se considérait supérieur aux élèves de familles ouvrières du fait de sa classe sociale. Il se considérait aussi plus intelligent, étant donné qu'il avait été entrainé depuis son plus jeune âge à mémoriser et obéir. Et lorsque un.e professeur.e l'a introduit au monde des tendances et des forces, il est devenu un géant dominant tou.te.s les autres, le seul élève de l'école à avoir été initié à la véritable dialectique des choses. Il était devenu un bien meilleur membre de la classe dominante après sa conversion politique. Je l'ai laissé me raccompagner à la maison plusieurs jours par semaine. Nous allions fréquement ensemble voir des films et une fois, je l'ai invité à un bal. Bien qu'il ai insisté à ce que l'accompagne à son groupe de travail, je n'y suis jamais allé. Je ne pense pas que nous ayons beaucoup parlé après notre première rencontre, ou au moins je ne me rappelle d’aucune autre conversation. Et parce qu'il avait été amical avec moi quand j'avais été complètement seule, cette mascarade d'un rebelle, cette crâneuse sangsue s'est accrochée à moi pendant la plus grande part du reste de ma vie. Je ne sais pas si j'ai vraiment besoin de préciser ça ou si je suis claire cette fois ci : Si je ne t'avais pas connu, je n'aurais pas été capable de voir à travers Lem. Je l'aurais peut-être perçu de la manière dont il se considérait lui même, et comme la mythologie officielle le définissait : Comme un rebelle, un insurgé. Lem ne comblait évidement pas ce vide que je ressentais depuis ma sortie de prison. À l'inverse de toi, je n'avais aucun.e ami.e ici. Il n'y avait pas de Jan Sedlak vers lequel j'aurais pu me tourner. Quand j'ai finalement rencontré un véritable ami, c'était quelqu'un qui avait quelque chose en commun avec les Sedlaks. Comme eux, il se déplaçait dans les marges. Il n'était pas un paysan, mais tout autant un marginal. Son nom était Ron Matthews. Je l'avais vu marcher à travers les couloirs de l'école avec ses trois compagnons, tous en blousons de cuir, longtemps avant que je ne rencontre Lem. Je l'avais vu pendant la pause déjeuner se diriger vers le mur derrière le parking pour y fumer avec ses compagnons. Les autres élèves ainsi que la plupart des professeur.e.s avaient peur d'eux, pourtant je n'avais jamais vu aucun d'eux lever la main sur personne. Lem les appelaient « le lumpen. » Ils s'inspiraient des bandits dans les films et les bandes dessinées. Ron, le plus grand et le plus fort des quatre était le chef. Dans son dos, les autres élèves l'appelaient « le Comissaire, » un surnom qu'il était connu pour détester. Sa mère enseignait à l'école et la rumeur voulait qu'elle était une subversive. Elle a d'ailleurs été renvoyée quelques temps plus tard pour ses orientations politiques. C'était elle qui avait converti Lem, mais je ne l'ai rencontrée que bien des années plus tard. Ron triplait sa première année de lycée. Il n'avais quitté l'école élémentaire uniquement parce que le directeur avait eu peur de lui. Ses trois camarades auraient du être ses gardes du corps, mais pour ce qui était de la taille et de la force, il semblait plutôt être le leur, car seuls, ils n'auraient pas fait grande impression. J'ai commencé à être impatiente d'arriver à la pause déjeuner. L'ennui, la solitude et la curiosité m’amenaient de plus en plus vers le parking, plus proche du mur. Un jour, je suis allé de l'autre côté du mur. L'un des lieutenants a donné un coup de coude à Ron, qui s'est tourné vers moi. « Tiens, tiens, qu'est-ce que nous avons là ? Viens un peu plus proche chérie, qu'on puisse te regarder d'un peu plus près. Cigarette ? » Tandis que Ron parlait, les autres souriaient stupidement. « Je ne suis pas une chérie et j'ai un nom ! » « Voyons ça. So-Fi Naturel. C'est vraiment un nom ça les gars ? » Ils ont tout les trois acquiescé « Ok, Naturel. Voudrais-tu partager avec nous le plaisir de fumer une cigarette ? » Il m'a tendu son paquet. « Merci, Tarzan. C'est exactement pour du plaisir que je suis venue. » Je n'étais pas très certaine du rôle que je voulais jouer, ni jusqu'où. « Du coup on se posait cette question sur toi. Si t'es assez futée pour remettre ce génie de coach à sa place, pourquoi est-ce tu l'as laissé de frapper ? » « Parce que t'étais pas là pour me protéger, Superman ! » Jusqu'ici tout allait bien, mais j'ai fauté Je me suis étouffée en toussant au moment où j'ai allumé ma cigarette, et il était évident pour tout les autres que je n'avais jamais fumé avant ça. Ron a encore une fois pris l'offensive. « Regardez ce que nous sommes en train de faire les gars, emporter une jeune fille bien élevée à travers la frontière, en infraction au Mann Act. » « N'en fait pas trop Monsieur Muscles, j'ai marché jusqu'ici par moi-même. » « Qu'est-ce que ton copain dirait de ça ? Il en dirait qu'on a fait une infraction au Mann Act. Puis pendant qu'on parle de ton copain, dis nous ce qu'une gentille fille comme toi fais avec ce cherche-la-merde de professeur. » « Si j'avais su qu'il y avait des commissaire comme vous dans le coin, je ne l'aurais jamais remarqué celui là. » « T'as la langue bien pendue Miss Nonchalante. Si tu fais pas gaffe quelqu'un.e te la coupera. » « Illes n’oseraient pas si je vous ai tout les quatre pour me protéger. » Ron rit, pendant que ses trois copains continuaient de sourire. Il se tourna vers eux pour leur dire, « Vous entendez ça bandes d'attardés ? Elle viens juste de nous embaucher comme ses bites privées. » Ça ma énervé et je me suis levée pour partir. « Au revoir Tarzan, merci pour la cigarette. » « Pars pas déjà, chérie. On voulais pas dire ça comme ça, pas vrai les gars ? On n'a même pas à moitié fait connaissance. » « Je n'ai pas entendu ce que tu voulais dire, Tarzan, mais ça sonnait comme un au-revoir » Je continuais à reculer. « Pas si bas, chérie. Tu t'irrites trop facilement. » « Je ne suis pas irritée ! » « Prouves le Non-chat-l'eau ! Que dis-tu de me rencontrer ici ce soir, vers minuit ? » « T'en fais trop Tarzan ! Tu penses vraiment que j'aurais confiance de laisser mon corps entre les mains d'une personne qui écorche mon nom ? » Les trois gardes-du-corps ont réagi pour la première fois en riant de Ron. J'ai contourné le mur et commencé à retourner jusqu'à l'autre côté du parking. Ron m'a suivi en criant, « Je comprends ! Une gentille fille comme toi ne voudrais pas se retrouver coincée dans un terrain vague avec un singe comme moi qui la violerait et la poignarderait ! Tu voudrais pas te retrouver coincée la nuit, mais tu veux voir à quoi les singes ressemblent en plein jour, ouais ? » « C'est ça » j'ai crié en retour. « Je n'avais jamais vu de singe avant. » L'espace d'un instant, avant qu'il ne me tourne le dos, Ron avait l'air d'un enfant blessé qui allait se mettre à pleurer. Il murmura « Salope ! » en piétinant la terre avant de disparaître à nouveau derrière le mur. J'ai regretté mon dernier commentaire. Je l'aimais bien. Sous l'apparence du cancre qui échouait à tout ses cours, je voyais une vive intelligence qui refusait de se soumettre à la routine de l'école. Sous le blouson de cuir et la posture du chef de bande, je pensais y reconnaître un véritable rebelle, le premier que je rencontrais ici. J'était assoiffée d'activités qui n'auraient pas fait partie de la routine officielle. Assoiffée d'avoir pour compagnon celui qui n'était pas sorti du moule standard. Je te désirai toi, nos camarades et les projets que j'avais laissés derrière moi. Je pensais qu'il y avais une forte ressemblance ; la forme était tout à fait différente, mais le contenu semblait le même. J'ai une nouvelle fois traversé la cour le jour suivant. Le dos toujours tourné, Ron m'a dit calmement, comme pour m'implorer « Écoute Lady ! Rends nous service et laisses nous apprécier notre intimité tranquillement dans notre coin, et par ça on veux dire qu'on aimerai que tu partes de ce bout de terrain. » « Je m'excuse Ron. » « On aimerai que tu partes d'ici, » dit-il, toujours calme. « Je ne voulais pas dire ce que j'ai dit hier, » Lui ai-je dit. Il s'est tourné vers moi, le visage rouge. La colère semblait monter dans sa voix tandis qu'il disait, « On accepte pas les excuses des gens comme toi, Lady ! Maintenant s'il-te-plais, fais nous plaisir et arraches toi d'ici ! » « C'est toi qui a mis ces mots dans ma bouche, Ron ! » Je suppliais. Ils me regardaient maintenant tout les quatre. Ron s'est retourné vers les trois autres en criant, « Semblerait que la bonne femme est sourde les gars ! » « Je te rejoindrais ici à n'importe quel moment... » Il a reculé et failli tomber. « Tu ? quoi ? » « ...du jour ou de la nuit, » J'ai continué, presque en murmurant. « Lady, est-ce que tu pourrais s'il te plais répéter ça ? » Sa colère était partie. « Comment est-ce que je m'appelle ? » J'ai demandé, toujours en murmurant. J'avais peur. « Sophia Nachalo, » Il criait. Le savait il depuis le début, ou est-ce qu'il l'avais appris depuis la veille ? « Choisis l'heure. » Mes genoux tremblaient. Je pensais que j'allais me mettre à pleurer. « Est-ce que tu veux dire que toi, Sophia Nachalo, tu vas me faire confiance... » Je ne l'ai pas laissé finir. Je ne pouvais plus cacher ma nervosité. « Ici, juste là ? » J'ai demandé en commençant à m'enfuir. « À minuit ? Ce soir ? » J'ai couru aussi vite que possible. J'ai tremblé pendant des heures. Je pensais que j'allais être malade. Ma peur ne m'a pas quitté jusqu'à minuit ce soir là. Ron était déjà là, appuyé contre la partie du mur la plus proche du lampadaire, à fumer. Il ne leva pas les yeux. Je m'assis à portée de bras de lui mais il n'a pas bougé. Je réalisais soudain qu'il était aussi nerveux que je l'avais été. C'est moi qui lui ai demandé « Tu n'as pas peur de moi quand même ? » Il m'a regardé. Il semblait si triste. « J'allais t'attendre ici toute la nuit, mais je n'ai jamais pensé que tu viendrais. » Il s'est retourné pour fixer le sol à nouveau, tirant sur sa cigarette. J'ai vu qu'il s'était rasé et avait brossé ses cheveux. Seul, il était seulement un garçon, timide, nerveux et solitaire. « Je pensais que tu retrouvais des filles ici tout les soirs, » Je lui ai dit, bien que je n'en pensais rien. « Tu rigoles ? » demanda t'il de manière un peu amère/ « Tu n'as jamais été avec une fille la nuit? » « Ouais pour sur » dit-il avec une aigreur grandissante. « J'ai passé plein de nuit avec des putes de pacotille. Les autres parlent beaucoup mais c'est tout ce qu'ils font. Et c'est vrai aussi : Tu n'aurais pas du venir ici, Sophie. Aucune fille décente ne sort la nuit pour aller retrouver des singes. » « Je suis désolée » J'ai dit, lui prenant la main. Il la pris et la serra. « Ouais, j'sais. Je t'ai mis les mots dans la bouche. » On est resté.e.s assis.e.s là au moins une demi heure. J'étais soulagée d'apprendre qu'il inoffensif, mais une demi heure à s'asseoir sur du béton est terriblement long. Je m'ennuyais et c'était inconfortable. « C'est tout ce qui va se passer ? » J'ai demandé. Il sursauta comme si je venais de le réveiller. « Est-ce que la jeune dame voudrait une visite guidée de la ville la nuit ? » « Oh oui ! C'est exactement ce que la jeune dame voudrait ! » J'étais enthousiaste, lui serrant la main avec les deux miennes quand il m'a aidé à me relever. Mon excitation était réelle. Je n'avais pas encore vue la ville, même de jour. La ville que Ron m'a montrée avait du être similaire à la ville que tu connaissais pendant la guerre. Elle était faite de cachettes, de zones de danger, d'endroits à explorer et d'autres à éviter. C'était le monde privé et personnel de Ron, et il ne l'avait jamais montré a personne d'autre, mais il me laissait le partager. « Un jour, je te monterai là ou l'autre moitié vie, » dit-il alors que l'on marchait le long d'une rue ou d'une autre bordée de maisons de deux étages presque identiques. « C'est la que les fourmis vivent. Des fois, je viens ici avant l'école, vers six ou sept heure du matin. Je les regarde tou.te.s partir en file de leurs maisons, avec leurs boites de cantine, comme des enfants sortant des toilettes. Illes s'empilent dans leurs voitures au même moment et illes restent là, bloqué.e.s dans les embouteillages sur l'autoroute pendant des heures à s'en tirer les cheveux. Les gens qui vivent ici conduisent jusqu'à une usine à l'autre bout de la ville, et celleux qui vivent la bas font tout le chemin jusqu'ici, et s'illes ne sont pas déjà sourd.e.s quand illes arrivent ici, ce sont les bruits de l'usine qui les achèvent. Mais illes klaxonnent jusqu'à s'en réduire le cerveau en compote sur le chemin du retour, juste parce qu'illes sont à nouveau sur la route. » « Mais c'est pas de leur faute ? » Je m'aventurai. « Tu ne sais pas de quoi tu parles. Certains de ces gars conduisent des bulldozers. Ils pourraient réduire ces usines en miette et les jeter à la rivière s'ils en avaient l'envie. » On a continué de marcher. Il m'a emmené à travers des quartiers qui ressemblaient à des forêts qui auraient brulées. En me pointant ce qui ressemblait à la décharge publique de la ville, il a dit : « C'est ce que les gens passent tout leur temps à fabriquer ici. » En nous rapprochant, j'ai remarqué qu'il s'agissait d'une décharge pour carcasses de voitures. Derrière cette parcelle-ci il y avais d'autres maisons de deux étages encore plus à l'abandon que celles que nous avions déjà vu.e.s. Pointant l'une d'elles, il dit « Le gars qui vit là s'en sort sans aller à l'usine. Il prend les batteries des épaves et les revend au magasin dont il s'occupe. Une fois, je l'ai vu lui et un autre type nettoyer toutes les batteries dans le parking. C'est un boulot super dur par contre. » Nous nous sommes assis.e.s sur le trottoir. « Je connais le gamin d'a côté aussi, » continua Ron. « Son vieux est un flic. Tu penserais qu'il aurait déjà capté le truc des batteries, mais c'est pas son job. Il passe son temps à patrouiller ce bordel de l'autre côté de la ville : Au rez-de-chaussée, il y a un bar ou pas mal de came est vendue. Il gagne deux fois plus du bar que de son boulot et illes partent tou.te.s faire un grand voyage chaque année. Mais merde, qui veut devenir flic ? » Nous nous sommes assis.e.s et on a fumé. J'ai demandé à Ron comment est-ce qu'il connaissait ces gens. Il disait qu'il avait vécu ici avant de déménager plus proche de l'école. « Je connais cet autre type plus bas dans la rue, » il disait « Son vieux construit des moteurs. Il travaille dans l'atelier mécanique, et tout les jours il prend une pièce qu'il cache dans le faux-fond de sa cantine. Tous les six ou sept mois, il a un moteur entier d'assemblé, puis il le vend à cet endroit qui revend des moteurs. Je pensais que c'était cool. Mais maintenant je trouve qu'il doit avoir son cerveau en miette : Il aurait pu commencer son propre atelier de mécanique il y à vingt ans et il aurait la belle vie maintenant. » On s'est lever pour continuer à marcher. Une construction au coins de la rue avait l'air d'un wagon abandonné. C'en était un. Il y avais un signe au dessus qui disait « Diner. » « C'est là que mon vieux traine, » me dit Ron. « Tu veux dire qu'il mange la bas ? » « Non, il le gère. Il cuit les œufs et beurre les tartines, de huit heures du matin a huit ou neuf du soir, six jours par semaine. Il a économisé pendant des années pour acheter cette ruine. Il pensait qu'elle ferait de lui un businessman. Moi et les copains on sèche souvent les cours de l'après midi juste pour venir ici au déjeuner. C'est l'heure de pointe, et tout le monde l'appelle, la plupart mangent debout. Dès le moment ou l'on passe la porte, tout ces cris s'arrêtent et tou.te.s nous regardent comme si nous étions des gens important ou quelque chose comme ça. Ça enrage mon père mais il n'en montre rien et fais comme s'il ne m'avait encore jamais vu. Il saute tout les autres et nous demande ce que l'on veux, et personne ne trouve rien à y redire comme s'illes étaient tou.te.s d'accord à ce que l'on coupe la file, et lui ne veut absolument pas que l'on reste ici à attendre On les lui brise. Huit œufs au plat, je lui dit. Et que ça saute, on n'a pas toute la journée. Tu devrais le voir courir comme ça ! Il va si vite que tu penserait que les œufs tombent du plafond. Comme un larbin qui reçoit des ordres dans l'armée. LA seule chose qu'il ne fait pas, c'est de nous dire « Oui messieurs ! » Quel Businessman ! Il garde tout en lui jusqu'à ce qu'il soit rentré à la maison, et il se laisse exploser comme une bombe. Je lui demande pourquoi diable est-ce qu'il est si en rogne, que je faisais que lui apporter plus de clientèle, que c'est pour ça qu'il est là, non ? Est-ce qu'on n'avais pas payé pour nos œufs comme les autres ? S'il allait mettre un signe disant ne pas accepter de loubards, de chiens ou de gens de la famille ? » Nous sommes passés devant la maison ou Ron avait vécu avant. « Je ne sais pas qui y vis maintenant. Ça doit être un.e jardinier.e. » Il y avait des fleurs devant. J'ai posé des questions à Ron sur sa mère. « C'est une rouge, » dit-il, comme s'il s'agissait là d'un fait de la même manière qu'il aurait pu dire « Elle est grande. » Il avait aussi considéré et rejeté cette possibilité. « Elle a commencé à l'être pendant la dépression. Elle aime en parler, mais je n'ai jamais rien compris à cette histoire ou les travailleur.se.s voudraient voir les communistes gouverner les syndicats et les usines. J'ai jamais rencontré personne voulant ça. Mais elle, elle pensait que c'est ça qu'illes voulaient, et le syndicat la payait à organiser des travailleur.se.s à le vouloir. Après la guerre, illes l'ont foutue dehors et pas un.e seul.e travailleur.se.s ne lui est venu en aide. Elle pense toujours que c'est ce qu'illes veulent tou.te.s. Elle est comme une fanatique religieuse qui pense vraiment que tout le monde veux mourir de manière à rejoindre jésus dans le ciel. Maintenant c'est l'école qui s’appète à la foutre dehors une nouvelle vois, et ces salauds vont le faire. Je comprend rien à ce merdier là non plus. Pendant que les rouges avaient leurs chances, avant la guerre, illes les laissaient tranquilles Mais maintenant qu'illes ne sont plus qu'une poignée, et plus aucune chance, ils s'acharnent tou.te.s sur celleux qui restent, comme une bande de pervers violant un.e gamin.e. Merde ! » il conclut, jetant sa cigarette dans le caniveau. « Et ces même salauds sont ceux qui disent que c'est moi qui suis dangereux ! » Le jour commençait à se lever quand Ron m'a raccompagnée jusqu'à chez moi. Il m'a serré la main et m'a demandé si je voulais qu'on sorte se balade en vélo ensemble le week-end suivant. J'ai accepté. J'étais heureuse. J'avais trouvé un ami. Le jour suivant, j'ai piqué du nez pendant chacune de mes classes. J'attendais avec impatience le week-end. J'étais amoureuse pour la seconde fois de ma vie, pourtant je m'imaginais continuant mon premier amour. Dans mes rêves éveillés, je m'imaginais sur ma bicyclette, des tracts sur le bras et tu étais là à côté de moi. Je n'étais pas très en forme et nous ne sommes pas allé loin, par contre on a réussi à sortir de la ville. Nous avons laissé nos vélos dans un champs de maïs et marché jusqu'à l'étang le plus proche. Nous étions complètement seul.e.s. La route et la ferme la plus proche étaient au moins à un mile. Ron m'avait dit que le propriétaire venait parfois pécher dans l'étang, mais seulement très tôt le matin, il avait été là avant. Bien que le soleil s'était déjà couché, et que ce n'avait pas été une journée très chaude, nous transpirions tout les deux de la ballade et de la marche. Ron a enlevé ses vêtements et était entré dans l'étang. Je l'ai suivi. En sortant, nous avons fait l'amour sur l'herbe de la rive. Cette nuit là, la pleine lune a fait que la brume de l'étang avait l'air de vapeur, ayant l'air de s'évaporer. J'avais l'impression de passer la nuit dans une peinture de paysage hollandais. Mais je ne pouvais pas dormir. Je n'avais jamais connu un tel silence, et les bruits de la ville me manquaient. J'avais grandi en apprenant à les ignorer, et je me concentrais là sur les bruits qui y avaient, et qui ne m'étaient absolument pas familier : bruissements de feuilles, criquets, et la respiration de Ron. J'ai regardé la lune retomber dans un champs de l'autre côté de l'étang, et lorsqu'il fit complètement noir, j'ai commencé à m'inquiéter que le fermier ne choisisse le matin suivant pour venir pécher. Je l'ai entendu arriver, je l'ai imaginé venir avec un fusil plutôt qu'une cane à pêche, à chaque fois qu'un écureuil ou un oiseau remuaient dans les branches des arbres autour. Quand il a commencé à faire jour, j'ai réveillé Ron en lui disant que j'avais entendu quelqu'un.e approcher. Il sauta sur ses pieds et on se rhabilla, nous avions utilisé.e.s nos vêtements comme couvertures. Aussitôt habillé, il s'est immobilisé pour écouter. « Merde, Sophie ! » dit-il, agacé et quelque peu énervé, « C'est des criquets qu't'as entendu ! Ces gens là pèchent pas le dimanche matin ! Illes vont à l'église ! » Mais quand j'ai baillé, il a du voir à quel point j'avais l'air fatiguée, et a passé son bras autour de moi et me chuchota, « j'aurais bien éteint ces criquets avant de m'endormir pour éviter qu'ils ne t'empêchent de dormir. J'ai aussi déjà passé la nuit à les entendre. Tu regrettes d'être venue ? » «Non, je suis heureuse, » j'ai chuchoté, et pour le prouver, commencé à pleurer, probablement parce que j'étais épuisée. « J'aimerai venir chaque week-end. » Nous y sommes retourné.e.s deux fois, mais je n'ai plus jamais vu la vapeur sortir de l'étang, ou passé la nuit à écouter les criquets et les feuilles, et nous n'avons jamais rencontré le pécheur fermier. La fin de semaine suivante, nous sommes parti.e.s sur des nouveaux complètement différents. J'avais appris que Ron avait vendu les deux vélos précédents, et en avait volé de nouveaux. « Comment penses-tu que j'ai mon argent de poche ? De mon vieux ? Demanda-t-il. « J'en vole depuis l'école élémentaire. C'est facile. Tu prends une scie de poche et tu va à l'arrière de n'importe quel cinéma pour choisir celui que tu veux. Je ne prends que ceux qui sont enchainés. Je me dis que si un.e gamin.e est trop pauvre qu'ille ne peut pas s'acheter une chaine, illes voudrait probablement pas perdre son vélo. Je perce un pneu et le descend à la cave en disant à ma mère que les autres gamins me payent pour réparer et repeindre leurs bicyclettes. C'est vraiment ce qu'elle pense que je fais. Mon vieux pense bien que je les vole, mais en même temps il pense que je cambriole une banque à chaque fois que je passe la nuit dehors donc il dit pas grand chose avec les bricoles comme des vélos. Il ne pourrait pas prouver grand chose sauf s'il me prenait sur le fait, ce qu'il aimerait probablement faire, mais il aime retourner ses œufs encore plus. Un peu de bombe de peinture prend soin du cadre, et du papier de verre et un peu de soudure s'occupe des numéros de série, et un autocollant de l'immatriculation. T'en fais pas, et il est comme neuf. J'ai tout appris de mon demi-frère. Tout ce que tu as à faire c'est de ne pas balancer la chaine découpée sous le nez d'un flic, comme ce gamin que j'connais qui s'est fait envoyer en pension. » Ça semblait assez simple, mais je ne me suis pas empressée de rejoindre Ron dans ses activités, comme Sabina l'a fait quelques temps plus tard. J'ai seulement profité du fruit de son travail. Pour l'occasion de nos balades du week-end, il a commencé à se spécialiser dans des vélos qui étaient plus légers et plus adaptés à de longs-trajets, et pour notre troisième ou quatrième excursion, je pouvais pédaler aussi loin et aussi longtemps que lui. Deux ou trois fois, nous avons rencontré des orages et une fois, nous avons passé l'après midi et la nuit dans une grange avec des chevaux. En plus de nos sandwiches, j'emportais souvent mon cahiers de notes avec moi dans ces périples, en particulier lorsque nous décidions à l'avance de ne pas passer l'ensemble du week-end à pédaler. J'adorais m'assoir sous un arbre dans un champs, ou sur un rocher à côté d'un lac, noircir la page d'observations sur moi-même ou sur Ron. La plupart de cette lettre est prise directement de ce même carnet. J'ai dit à Ron que j'écrirai un roman sur lui un jour. Il m'a promis qu'il ne le lirait jamais, et que je pouvais l'écrire sur lui si bon m'en chantait, mais que je ne devais pas m'embêter à l'écrire pour lui. Je lui ai dit que son nom serait Yarostan. Il me dit que le nom en lui même l'empêcherait de s'y reconnaître Si je décidais en fait d'écrire un roman sur Yarostan, il allait être un composite de toi et Ron. Mais je ne suis jamais allé plus loin qu'écrire sur quelques unes de mes expériences et conversations avec Ron. Au plus je le connaissais, le moins il semblait approprié pour l'histoire que j'avais en tête. Le personnage de mon histoire, composé de vous deux, allait exprimer mes propres émotions, mes propres observations, mes propres choix. Progressivement, et tristement, je me suis rendu compte que Ron et moi n'étions pas du tout les même. Ron s'en est rendu compte bien plus tôt que moi. La toute première fois que j'ai ouvert mon cahier, alors que nous venions de nous assoir sous un arbre au sommet d'une colline, il s'est relevé en disant qu'il allait se promener. Il n'était pas jaloux du carnet, il ne le considérait pas comme un intrus ou un obstacle entre nous deux, et il ne semblait pas offensé que je préfère écrire plutôt que de l'accompagner dans sa promenade. Ce cahier me définissait instantanément comme quelqu'une qui un jour serait très éloignée de lui, une personne qu'il ne reconnaitrait pas et dont il ne se rappellerait pas de leur amitié passée. La première fois que j'ai ouverte ce cahier, il savait que notre relation serait courte. Il pensait probablement que ce serait lui qui y mettrais fin, et si c'est le cas, il n'avais tort que là dessus. C'est moi qui y ai mise fin, mais pour la raison exacte à laquelle il avait pensé. Avant cela, j'ai quand même eu la chance d'avoir deux aventures sans comparaison avec ce que j'ai vécu avant ou depuis. Un dimanche nous sommes rentré.e.s de notre week-end tard dans la nuit. Nous avions passé le plus clair de la journée à dormir sur une plage au bord d'un lac et nous étions tou.te.s les deux parfaitement éveillé.e.s. Nous avons pédalé.e.s jusqu'à sa maison et il m'a demandé de le suivre dans sa chambre. J'ai acquiésce, en partie parce que je voulais m'amuser, mais surtout parce que je voulais voir à quoi elle ressemblait. Alors que nous étions sur la pointe des pieds dans l'escalier sombre venant de la cave, la lumière s'est tout d'un coup allumée et une voix rugit « Où diable crois-tu pouvoir aller comme ça ? » Un homme grand, fin à l'air vicieux mais portant un pyjama et un manteau nous regardait d'en haut. C'était le père de Ron. J'étais effrayée et désarçonnée. « Oh merde ! » dit Ron « Pourquoi est-ce que tu vas pas te coucher et t'occuper de tes affaires ? » «Sale vaurien ! » cria l'homme. « Tu n'ammenera pas de salope dans ma maison ! » Une voix de femme, la mère de Ron, cria « Reviens te coucher, Tom et laisse le gosse tranquille, pour l'amour de dieu. » « Il ammene une femme à l'intérieur de la maison » cria Tom Matthews. « Et alors, imbécile ! Tu n'as jamais entendu parler de ça ? » cria-t-elle en retour. « Tu l'as entendu 'pa, » dit Ron, toujours calme. « Maintenant retourne te coucher et laisses nous tranquille » « Je n'irai nul part tant que tu feras pas sortir cette pute d'ici ! » dit l'homme. J'ai commencé à trembler. « L'appelles pas comme ça, 'pa, » dit Ron en haussant la voix. « Je l'appelle une pute et je te dis de la ramener au bordel ! » Je pouvais sentir Ron commencer à trembler, il remuait son poing en faisant un pas en direction de l'homme, criant « Appelles la comme ça encore une fois et j... » « Tu quoi, fiston ? Tu me tueras ? T'aimerai bien ça, hein ? Tu penses pas que je ne m'y attends pas tout les jours depuis des années ? Tu penses que je suis allé acheté ce machin pour empêcher quelqu'un de piquer les douze dollars de la caisse enregistreuse, hein ? Je l'ai acheté pour t'empêcher toi et ta pute d'entrer dans ma maison ! » J'ai entendu Ron dans sa voix étourdie dire lentement « Vieux con ! » Mais je l'ai entendu comme dans un rêve. J'avais du m'évanouir. Tout ce dont je me souviens c'est de ce flingue pointé sur nous et de cette voix que je ne peux décrire autrement que diabolique. Je ne sais pas comment nous sommes arrivé.e.s là, mais j'étais soudain avec Ron dans la rue. Il me tenait. Je tremblais comme une feuille et ne pouvais pas marcher. Je lui ai demandé de m’amener chez moi, et il m'a presque portée. Quand j'ai ouvert la porte, je l'ai supplié de rester avec moi et de ne pas retourner chez lui. « Ton père va pas me faire sauter la tête ? » Il ne savait pas qui Alberts était, il ne m'avais jamais posé de question sur ma vie. « Personne ne va te tirer dessus. Je te présenterai demain matin. » Le matin suivant, nous avons tou.te.s pris.e.s notre petit-déjeuner ensemble. Alors que nous racontions l'histoire de l'escapade de la nuit précédente, Sabina rigolait et Luisa s’étouffa Alberts n'y prêta pas attention, ni à l'histoire, ni à Ron, mais quand il l'a vu chercher dans les poches de son blouson de cuir pour sortir un paquet de cigarette vide, il lui en proposa une et la lui alluma. Luisa ne l'aimait visiblement pas et ne fit aucun effort de cacher sa peur de lui. Sabina était attirée par lui comme une aiguille à un aimant. Ron est resté chez nous, dans ma chambre pendant une semaine. Il n'allait pas à l'école et ne quitta la maison qu'une fois, pendant les heures de classe, quand ni son père ni sa mère ne serait à la maison, pour ramener trois vélos. Ce week-end là, bien que tou.te.s les deux agissaient comme si Ron et moi étions marrié.e.s, Sabina et Ron sont devenu.e.s de bon.ne.s ami.e.s, à la vie, et leur relation dura jusqu'à ce que Ron soit tué. On a pédalé jusqu'à une forêt. La nuit, je dormais avec Sabina, Ron dormait seul. La nuit précédente avait été notre dernière seule ensemble. Quand nous sommes rentré.e.s, Ron a appelé sa mère (son nom est Debbie). Elle a pleuré tout le temps qu'elle lui a parlé, lui disant qu'il était parti pour de bon. Elle était sortie de sa chambre avant que nous soyons parti.e.s et avait vu Matthews pointer son pistolet sur nous. Elle lui avait prit des mains, et l'avait hystériquement frappé au visage avec, lui disant de foutre le camp et de ne jamais revenir. Matthews était revenu deux jours plus tard avec un cadeau, la suppliant de le pardonner et promettant même de s'excuser auprès de Ron. Debbie a supplié Ron de revenir, lui disant que le flingue avait été jeté avec les ordures. Ron a décidé de rentrer. L'expérience de ma dernière escapade avec Ron a eu lieu peu de temps après ça. Il est venu un soir de semaine en nous demandant d'aller se balader. On est sorti.e.s en s'attendant à des vélos : Il avait une voiture. « C'est celle du vieux, » expliqua t'il. « Il s'est un peu détendu avec moi là. Il me tend les clés et dit tiens, vaurien, tu veux prendre ta copine pour une ballade ? » Son imitation était parfaite et je l'ai cru. « Ou est-ce que tu nous emmènes ? » j'ai demandée. « Ou est-ce que vous voudriez aller ? » il demanda. « à la plage ! » répondit Sabina. Ron nous a conduit jusqu'au lac. Nous n'étions que tou.te.s les trois, seul.e.s sur cette immense plage de sable. La nuit était sans lune. Ron enleva ses vêtement et couru jusqu'à l'eau. Sabina l'a suivi. « Sophie ! » il appelait « Tu viens ? » « J'ai froid, » je criais en retour. « Amusez vous bien la dedans. » Je les ai entendu s'éclabousser, crier, rire. Je regardais le ciel . Après un moment, je ne les ai plus entendu, et le seul son qui m'arrivait était celui de l'eau sur la rive. Je ne sais pas combien de temps nous sommes resté.e.s là. Je me suis réveillée alors que Ron me portait dans ses bras. Illes étaient tou.te.s les deux habillé.e.s. Il me laissa quand j'ai refusé d'être portée. Sabina m'a poussée gentiment sur la banquette avant de la voiture avant de rentrer, pour que je me retrouve assise entre elleux deux. J'étais certaine qu'illes avaient fait l'amour. Personne ne dit quoi que ce soit. Prenant un virage soudain hors de la route principal, Ron demanda comme s'il venait à peine d'y penser. « Ah, Sophie, tu te rappelles cette première nuit quand je t'ai dis qu'un jour je te montrerai là ou l'autre moitié vivent ? Bien, régale toi les yeux, parce que c'est ici qu'illes habitent ! » Je regardai virement à d'énormes manoirs entourés de fontaines et de jardins. Les seuls bâtiments que j'avais jamais vu comme ça avaient été des musées ou des monuments publics. Ici on conduisait en les passant les uns près les autres, manoirs, chacun avec sa propre plage et ponton. Mais la dernière journée de ma visite a eu une fin abrupte et déplaisante. Trois garçons dans une voiture de sport nous ont croisé.e.s. Ils habitaient de toute évidence l'un des manoirs. « Merde, il faut qu'on dégage d'ici. Ces bâtards mettrons les flics sur moi et j'ai pas de permis. » L'un des garçon nous cria, en imitant un argot de quartier, « Hé le loubard, qu'esstu fais là ? Partages ta meuf ? » « J'vais pas m'en prendre plein la gueule par un bourge comme toi. Bouffon ! Lui répondit Ron. Il entra dans une allée pour faire demi tour et retourner vers la route. Ils nous ont rattrapé au feu. « Ou est-ce que t'as volé cette limousine, gamin ? » cria un autre. Sabina sortit par la fenêtre pour crier « Pourquoi est-ce que vous êtes sortis de vos poussettes les fils-à-maman ? » auquel Ron à ajouté « Sortez votre conserve de la route avant que je ne l'éclate à l'ouvre-boite ! » Ron s'était arrêté au feu, mais quand la circulation était passée, ils se sont mis à côté de nous, du mauvais coté de la route. L'un d'eux cria « Les voleurs et les putes n'ont pas le droit d'utiliser cette route, » un autre ajouta « ouais, on a vu vos visages au bureau de poste et illes sont plein à vous rechercher. » Sabina, qui en savait probablement autant que moi sur les voitures insistait pour que Ron aille plus vite. Il mit le pied au plancher, mais les autres restaient à notre niveau, en criant « Donne tout ce que t'a gamin ! » et « Illes t'inscriront à la course des enfants ! » Puis ils ont filés devant nous pour éviter une voiture arrivant dans l'autre sens, manquant de peu celle de Ron. « Ces salauds de riches n'en ont rien à foutre s'ils enfoncent leur caisses, ils les usent comme des jouets, » grogna Ron. J'ai comme à mon habitude commencée à trembler. « Ralentis, Ron ! » j'ai suppliée. « On n'a qu'à fermer les fenêtres et les ignorer. Ils finiront par s'ennuyer. » Sabina objecta, « Ratrapes les ! Enfonce les ! » Elle s'en faisait de toute évidence autant pour la voiture des Matthews que les gosses de riches s'en faisaient pour la leur. Quand nous étions à nouveau à leur niveau, l'un d'eux cria « T'y arriveras jamais comme ça, gamin ! Laisses les filles sortir pour qu'elles poussent ! » Ron cria en retour, « C'est pas une voiture ça, c't'un bulldozer ! » Sabina cria « On va vous aplatir et se servir de vous comme de tapis ! » J'ai hurlée à Sabina « T'es folle ! Dis lui de ralentir ! » Sabina me répondit en criant, « Froussarde, t'es juste comme ta mer ! » Tout d'un coup, nous étions aveuglé.e.s par les phares d'une voiture arrivant de notre côté. La coupée nous a accroché, et nous a apparement envoyé a l’extrémité droite de la route, parce qu’on s'est retrouvé.e.s à aller droit dans une voiture garée. Ron pila sur les freins, mais on s'enfonça dans son coffre. On a entendu la voiture de sport accélérer et disparaître. Ron est sorti. Il a donné un coup de pied sur l'aile et dit « Merde, c'est une épave ! Et les flics seront là d'un moment à l'autre. » Tout d'un coup il s'est précipité dans la voiture pour prendre les clés, et nous a rapidement dit « Allez on se casse d'ici ! » Je suis sortie. Ron et Sabina se sont précipité pour prendre la tangente, mais j'ai continué de marcher le long de la route. Ron s'est rapprocher pour m'attraper le bras, « Dépêche toi Sophie, rends pas les choses trop facile pour la police. » Je me suis dégagée pour continuer à marcher, laissant les larmes couler sur mon visage je ne pouvais plus presque rien voir de là ou j'allais. Il s'était passé beaucoup trop de choses ce soir là, et j'étais seule à nouveau. Je souffrais et j'étais humiliée. Je n'arrêtait pas de répéter le dernier commentaire de Sabina avant que l'accident. Ça me faisait plus mal que le reste. Elle pourrait le redire aujourd'hui, non pas par colère mais de manière froide et analytique. C'est évidement vrai. J'avais due marcher au moins une heure quand Ron et Sabina m'ont rejoint sur des vélos. « Montes sur le guidon, Sophie ! » dit Ron, à moitié à me supplier, à moitié à m'en donner l'ordre. Je les ai ignoré.e.s et ai continué à marcher. «Allez Dépêches toi, petite maline ! T'as encore au moins dix miles à te faire ! » Je m'en serai moquée si j'en avait eu cent. La dernière chose que je l'ai entendu dire était « Merde ! » Il était probablement en train d’attendre de voir si j'hésitais. C'était pas le cas. Je marchais et je pleurais. Je savais alors que je n'allais plus passer de week-end à faire du vélo avec Ron. Je savais aussi que je n'allais pas écrire de roman sur lui. Je l'ai revu deux fois. Une fois un an après l'accident de voiture, dans un tribunal ou il était jugé pour un braquage. Je l'ai revu une seconde fois et dernière fois après sa sortie de maison de correction. Mais chacune de ces deux fois il était une personne complètement différente. Alors que je m'éloignais de l'épave de la voiture de son père, je savais que le Ron que j'avais connu, le Ron que j'avais aimé n'avait été qu'une illusion ; et le projet de sa vie n'était pas le mien. Je n'avais jamais connu Ron. Alors que je marchais en pleurant, je savais que je n'utiliserai jamais ces notes que j'avais prises sur lui. Il était aussi hors-sujet dans le plan de ma vie que j'étais dans le sien. J'ai appris longtemps plus tard que Tom Matthews n'avait en fait pas prêté les clés de sa voiture à Ron, et que celui-ci les avait pris dans les poches du pantalon de son père. Après l'impact, quand il s'était précipité pour prendre les clefs, Ron avait déjà pensé à toute une stratégie se succédant jusqu'à un point. Lui et Sabina avait pris deux vélos dans un garage à l'apparence luxueuse, et s'étaient précipité.e.s jusqu'à chez Ron après s'être résolu.e.s. Au fait que je ne les suivrai pas. Ron replaça les clés dans le pantalon de son père. Au matin, Ron et Sabina ont rejoint Tom et Debbie Matthews pour prendre le petit-déjeuner. Ron la présenta, et Tom fut extrêmement poli avec elle étant donné qu'il la prenait pour la « femme » sur laquelle il avait failli tirer. Ron a placé son alibi. « J'espère que l'on ne vous a pas réveillé quand on est rentré vers une heure. C'était une nuit calme, pas une sirène ou quoi que ce soit. » Il espérait qu'il n'ai pas été éveillé à une heure, ou qu'il n'y avais pas eu d'incendie dans le coin. Il avait eu bon, et a presque réussi sa stratégie. Matthews avait été prévisible en revenant dans la maison aussitôt après en être parti. « La voiture a disparue ! » C'est là que Ron a ruiné tout son stratagème. « Oh merde, c'est terrible 'pa ! Nous devrions appeler la police tout de suite. Son inquiétude était si excessive et inhabituelle que Tom est devenu immédiatement suspicieux, jusqu'à se convaincre par lui même que c'était Ron qui avait détruit la voiture. Typiquement, Ron aurait du dire « à quoi est-ce que tu t'attendais ? » « ça devait arriver tôt ou tard. » Pour exprimer son inquiétude, il aurait tout au plus dit « Merde ! » Ses soupçons ont été confirmés quand les enquêteurs de la police ont insisté sur le fait que le voleur devait avoir eu les clefs étant donné que la voiture n'avait pas été fracturée. Rien de tout cela ne prouvait que Ron l'ai volée, étant donné que pas mal de voleur.se.s ont des clés universelles et que la police ne trouve pas toujours comment une voiture a été volée. Debbie n'en démordait pas que Ron était innocent, et croyait fermement que Ron était rentré à une heure et avait calmement passé la nuit avec Sabina. Mais Tom était fermement convaincu que Ron avait volé et accidenté sa voiture. Il savait qu'il ne pouvait rien prouver, et sa colère bouillit pendant plus d'un an, avant qu'il ne puisse enfin trouver un moyen bizarre de se venger de son fils. Cette épisode coïncide avec le chahut qui à eu lieu chez nous, et sur lequel je ne sais absolument rien, aussi étrange que ça puisse être. Quelques soirs après l'accident de voiture, alors que je rentrais d'une ballade en solitaire, j'ai trouvée Sabina et Alberts en train de faire leurs valises. Je leur ai demandé ce qui se passait, mais ni l'un.e ni l'autre ne voulaient me dire un mot. J'en ai donc conclu que mon comportement après l'accident en était la cause et ça m'a rendu hystérique. J'ai attrapé Sabina, la secouant et la bousculant. « C'est parce que nous sommes des froussardes que vous partez ? Vous n'êtes pas des froussard.e.s ? Vous vouliez qu'on se fasse tou.te.s tuer ! » Sabina se dégagea et se tourna vers moi, pleine de haine, ne me disant seulement « Occupes toi de tes affaires, Sophia ! » J'ai couru jusque dans ma chambre en hurlant. Illes ont claqué la porte en partant. Quand Luisa est rentrée plusieurs heures plus tard, j'étais toujours en train de de brailler. Elle avait du m'entendre car elle est allée directement dans sa chambre en fermant la porte. J'ai couru pour l'ouvrir. Je pouvais voir qu'elle avait pleuré aussi. « C'est quoi ton problème ? » J'hurlais. « Vas-tu coucher Sophia, tout ça n'a rien à voir avec toi, » et c'est tout ce qu'elle a dit, et c'est tout ce que j'ai jamais su de ce qui s'était passé. Je n'ai jamais revu Alberts. Lui et Sabina ont emménagé dans une autre maison, pas très éloignée de la notre. J'ai plus tard apprise que Ron avait emménagé avec elleux. Les soupçons de son père ne le faisait pas se sentir en sécurité dans sa propre maison. Ce départ définitif avait de toute évidence confirmé ces soupçons en certitudes. Ron ne venais plus rendre visite chez nous. Pendant une courte période, je l'ai aperçu à l'école, mais je l'évitais. Quand sa mère se fit renvoyer, il décrocha pour de bon et je l'y ai plus revu non plus. Luisa et moi étions seules et je détestai ça. Je détestais être là ou j'étais. Je n'étais rien devenue et je n'avais rien fait. Tout ce que je pouvais voir dans mon avenir était un désert interminable et une abysse intérieure. Je faisais des va-et-viens à l'école de manière indifférente et mécanique comme je l'avais fait pendant mes premiers jours. Je ne prenais plus de notes, et je n'observais plus les gens. Je ne sais pas si c'est juste de le dire comme ça : Je suis devenue ce que ta lettre semble défendre : J'ai perdu mes illusions, j'ai arrêté d'essayer d’interpréter mes expériences, de les comparer pour en saisir le sens. J'ai simplement prise part à une routine insensée aussi passive et indifférente que possible. Je suis devenu un objet. Mes ami.e.s maintenant me disent que j'ai encore fréquemment des moments d'absence dans une pose acquise pendant ces jours : J'arrête de faire attention à quoi que ce soit, je regarde dans le vide et me déplace comme un robot. Illes me flattent en supposant que je suis perdue dans mes pensées, mais je ne le suis pas : mon esprit est complètement vide. Je ne comprends pas ta lettre parce que pour moi ces instants sans illusions ne sont pas des instants dans lesquels je fais l'expérience de la réalité. Ce sont des moments dans lesquels je ne ressens rien du tout, des moments que j'imagine être assez similaire à la mort. Luisa a été ma béquille pendant ces derniers mois de lycée. Elle n'a jamais abandonné ses rêves, elle ne s’est jamais laissée réduire à un objet. Si elle a parfois été désespérée ce n'était pas parce qu'elle avait perdu contact avec son passé mais parce qu'elle échouait à lui rendre justice. Je me suis reposée sur Luisa une nouvelle fois après avoir lue ta lettre. Oui, je lui ai montré en dépit de la douleur qu'elle m'avait causé, et en dépit de tes avertissements. C'était Luisa qui m'a en fait aidé à formuler mes arguments contre ta philosophie d'une culpabilité universelle. Si je n'avais pas partagé ma lettre avec elle, je n'aurais pas été capable d'y répondre. Je me serait contenté de pleurer jusqu'à ce qu'elle soit retranchée dans ma mémoire comme une énième mauvaise expérience avant que je ne l'oublie. J'ai appelé Luisa quelques jours après que ta lettre soit arrivée. J'ai essayé de la prévenir avant qu'elle ne la lise, lui disant que tu avais beaucoup changé du fait de ton emprisonnement. Elle pouvait aussi lire sur mon visage que je n'avais pas reçu une lettre agréable. Mais elle ne l’a pas lu de la manière que je l'ai fait. Elle n'a pas pleuré, elle n'était pas déchirée en la lisant. Elle l'enragea. Tu avais tort sur les effets que ta lettre à eu sur elle. Ton portrait révisé d'elle ne peut être plus exact que celui que tu as supprimé. Luisa n'a pas lu ta lettre comme une attaque à son encontre, mais comme ta confession. « Il a bien changé, » étaient ses mots. « Ce ne sont pas là les idées d'un camarade toujours engagé dans la lutte. C'est là l'argumentaire d'un ancien camarade devenu réactionnaire. Il confesse maintenant que la lutte n'était rien d'autre qu'un tour de mémoire et une illusion de jeunesse. » Même si elle n'a pas vu ta lettre comme une attaque, elle a du la ressentir quand même car toutes ses réactions étaient défensives. J'emmagasinais chacune de ses défenses parce qu'elle me défendait moi au passage. Elle a balayé d'un revers de main ton analyse de notre expérience révolutionnaire comme illusoire: « Ce n'est la rien de plus qu'une justification à peine déguisé du statut-quo : Le présent est réel et ce qui s'y oppose est illusoire. » Elle m'a rappelé qu'elle avait déjà remarqué l'un de tes argument spécifique dans ta première lettre : « Cette supposition chrétienne que nous sommes tou.te.s responsables pour nos propres conditions, que les serfs sont responsables pour le féodalisme et les ouvrier.e.s pour le capitalisme. Il parle comme si des systèmes historiquement imposés sur les gens de force étaient le résultat de leurs luttes contre eux. » Elle n'a même pas fait de commentaire sur tes descriptions de ses expériences passées, les disqualifiant tous comme des arguments réactionnaires basés sur des faits fabriqués. « Il n'a jamais rencontré aucun Manuel en prison. Manuel n'est rien d'autre que le nom qu'il donne à ses idées réactionnaires. Dans sa prochaine lettre il nous racontera comment il à rencontré Jésus en prison. Yarostan eu une vie difficile, et nous ? Nous n'avons pas tou.te.s utilisé.e.s cette excuse pour nier nos expériences et tourner nos dos à nos camarades. » Je n'ai pas lu ta lettre comme la confession d'un insurgé devenu réactionnaire. Je savais que tu n'avais pas renoncé à notre lutte pour une communauté humaine, que tu ne t'étais pas retourné contre ces rêves que nous avions partagé. C'est la raison pour laquelle elle m'a tant blessé. Luisa me communiquait néanmoins sa colère, et m'a en fait motivée à formuler mes idées contre les parties de ta lettre que je trouvais offensantes. Les pire sont précisément celles ayant à voir avec Luisa, les paragraphes qui contrastent ses supposées illusions avec une réalité supposée. Je suis convaincue que tu ne sais tout simplement pas de quoi tu parles dans ces passages. L'expérience de Luisa après sa libération n'était pas plus grandiose que la mienne. La réalité dans laquelle elle s'est retrouvée n'était pas plus vrai, sensée ou humaine que celle que tu appelle ses expériences passées illusoires. Le débarras des illusions que tu défendais n'aurait pas remis Luisa sur ses pieds. Sans ces rêves basés sur ses expériences passées, elle n'aurait été qu'un oiseau en cage sans espoir de libération, comme ta description de Vesna. Le seul mystère pour moi est pourquoi elle a jamais consentie à Alberts de l'emmener loin de sa lutte et de ses camarades. Espérait-elle vraiment trouver ici une lutte plus sensée ? Ou est-ce que l'explication de Sabina était la seule ? Est-ce que Luisa avait consenti à cet échappatoire seulement par peur, parce qu'elle était effrayée à l'idée d'un emprisonnement long ? Si c'est le cas, elle a fait une erreur grandiose, s’échappant d'une cellule pour attérir dans une tombe. Elle s'est retrouvée dans un environnement dans lequel elle est en permanence demeurée une étrangère, un environnement qui n'avait ni lutte plus significative, ni camarades plus humain.e.s. Ce qui est surprenant n'est pas qu'elle ai conservé des souvenirs d'expériences précédentes, mais qu'elle les ai tous gardés, alors que le nouveau monde ne contenait rien pour les lui rappeler. Après une vie entière d'agitations avec d'autres travailleur.se.s, après l'expérience de plusieurs drames sociaux dans lesquels les fondations de l'ordres dominant ont tremblées, elle s'est retrouvée dans un monde dans lequel l'ordre dominant n'avais jamais été remis en question. Luisa a trouvé un emploi peu de temps après qu'Alberts et Sabina soient parti.e.s. Elle a commencé à travailler à la chaine dans l'usine de voiture, et a toujours le même boulot aujourd'hui. Elle a tenté dès le premier jour de communiquer avec les gens de son travail. Elle a rencontré des gens qui étaient des expert.e.s à regarder les tournois de baseball, des gens ayant mémorisé une quantité astronomique d'anecdotes prises des pages sportives des journaux, des gens qui ne savaient rien des événements qu'elle avait vécu. Non seulement illes étaient ignorant.e.s de toutes les luttes que les travailleur.se.s avaient mené pour leur émancipation, mais illes la revendiquaient. Ce sont la des travailleur.se.s qui étaient devenu ce pourquoi illes étaient fait pour, du point de vue du capital : Temps de travail, échangeable et remplaçable, celleux même que tu compare à des excréments. En tant qu'êtres humains, illes étaient mort.e.s. Les espoirs de Luisa se sont réveillés quand elle fut acceptée dans le syndicat. Elle était impatiente de prendre part à sa première assemblée syndicale. Elle pensait y trouver un.e camarade, peut-être même plus. À la place, elle y a trouvé des hommes ressemblant à des héros de comic-books, modelés après les assassins en uniforme héros des films de guerre. Un ami à moi, Daman (Je t'en dirai plus sur lui plus loin), prétend que la génération des travailleur.se.s d'après guerre que Luisa a rencontré quand elle a commencé à travailler était aussi militante que n'importe quelle autre. S'il a raison, alors les travailleur.se.s ici sont d'une autre espèce que celleux que j'ai connu, ou alors sa définition de « militante » est très étrange. De toute façon, Daman tiens ces faits de son idéologie politique. Les travailleur.se.s que Luisa a rencontré aspiraient précisément à ce que le capital leur proposait : Des maisons remplies de marchandises, un bloc de métal grotesque monté sur roues qui doit se faire remplacer chaque année, et l'outil ménager standardisé connu comme « une femme » et deux petit.e.s et demi pour remplir à nouveau le marché de m'emploi. L'engagement politique de ces travailleurs là consistant en une admiration pour l'armée et la police. Leur principale observation était : « On les écrasera ! » et par « On » ils voulaient dire « Notre armée et notre police. » Jamais jusqu'alors des travailleur.se.s s'étaient retrouvé aussi privé de traits humains. Les assemblées syndicales où allait Luisa n'auraient pas pu être bien différente de celles des syndicats d'état avec lesquelles tu t'es familiarisé. Seulement une poignée d'ouvriers s'y rendaient, tous des hommes. Ces hommes n'avaient jamais ne serait-ce que rêvé à se rencontrer pour discuter de stratégies pour prendre le contrôle des usines. Ils ne discutaient même pas de stratégies pour éliminer les risques sanitaires ou de sécurité, ou pour réduire les cadences. En fait, ils n'avaient même pas de stratégie pour se battre pour hausser leurs salaires. Ça s'était le rôle de bandes de raquetteurs qui capitalisaient sur les prix des salaires. À une réunion, les membres du syndicat ont discuté un pique-nique, une sortie du dimanche à laquelle devaient aussi venir les femmes et enfants. Ils discutaient de qui apporterait le punch et la vaisselle. Pour ces hommes, les réunions syndicales avaient la même fonction que les assemblées paroissiales d'autres. Luisa était autant à sa place dans ces réunions qu'elle l'aurait été dans des toilettes pour hommes. Un grand nombre faisait des blagues crasses sur les femmes, la plus plus récurrente étant sur sa présence aux réunions. Ces réunions faisaient partie de ce que Luisa appelait le mouvement ouvrier. Les hommes ne voyaient aucune raison pour sa présence aux réunions, pensant qu'elle ne venait y chercher qu'un homme comme eux. Le mouvement ouvrier était mort. S'il y en avait jamais eu un ici, il était maintenant un corps se décomposant au soleil, et l'air aurait été moins puant si le corps avait été enterré plutôt que laissé là exposé. Ça aurait été dégoutant. Qu'avait Luisa dans se monde si ce n'est ce que tu appelles ses illusions ? Si elle s'en était débarrassée, aurait-elle été davantage comme la Luisa dont tu tu te souvenais et t'es débarrassé, ou comme ces travailleur.se.s vaincu.e.s dans le bus que tu conduisait ? Aurait-elle du s'accepter comme une machine à gagner un salaire, décorer sa maison et achetée une voiture, utiliser sa vie pour l'échanger contre des marchandises, et oubliée qu'elle avait autrefois faite l'expérience d'une vie humaine fondamentalement différente ? Elle a dans les faits passée la plupart de sa vie à la troquer pour un salaire, mais elle n'a pas pour autant effacée ses expériences passées de sa mémoire, et elle n'a jamais arrêté d'essayer de réaliser les rêves qu'elle avait failli a réaliser dans le passer. Avec le temps, Luisa a fini par trouver des camarades avec lesquel.le.s elle était capable de communiquer. Au fur-à-mesure, elle a aussi pris part a des événements qui avaient un semblant de signification sociale, et qui en quelque sorte ressemblaient les grands événements qu'elle avait connu dans le passé. Sans ses rêves, sans ses illusions que tu trouves maintenant critiquables, elle n'aurait pas été en quête de camarades différent des admirateurs professionnels des joueurs de baseball, et elle ne les aurait pas reconnu si elle les avait rencontré. Il me semble que si Luisa avait suivi tes conseils et s'était débarrassée de ses illusions, elle se serait retrouvée confrontée au même désespoir que celui que tu as connu après ta sortie de prison. Si elle avait eu à choisir entre l'abandon des rêves pour lesquels elle s'était battue ou le suicide, je suppose qu'elle aurait en fin de compte choisie le suicide, en dépit de la froussardise que Sabina voit en elle. Tournant le dos à tout ce pourquoi elle s'était battue, et survivre uniquement sous la forme d'une quantité de temps de travail à échanger pour de l'argent n'aurait voulu dire que survivre comme un corps, une entité ne contenant plus aucune vie. Le seul à correspondre aux critères que ta lettre décrit est George Alberts. Il s'est débarrassé de toutes ses illusions. Mais je ne penses vraiment pas que tu le tiendrais pour une quelconque sorte de modèle, en dépit du fait que tu te sens désolé de l'avoir autrefois soupçonné. Je ne peux pas dire quand est-ce qu'Alberts a oublié ses rêves, ou s'il en a jamais eu. Nous n'avons jamais été proches. Je ne sais pas quelle était la profondeur de son engagement quand il s'est battu aux côtés de Nachalo, Luisa et Titus Zabran ; et sais seulement que lui et Titus ont aidé Luisa à sortir de la lutte quand je n'avais que deux ans. Je sais aussi qu'il n'avait ni rêve ni illusion lorsque nous nous sommes installé.e.s ici, ni principe ni scrupule. Mais Alberts ne peut pas toujours avoir été la personne sans scrupule que j'ai connu, étant donné que Luisa l'a respecté à un moment, et considéré comme un camarade. Et Sabina, qui n'est rien si ce n'est critique l'adorait, et le considérait comme un dieu, et pas seulement enfant mais aussi à la fin de son adolescence, longtemps après qu'elle n'ai plus dépendu de lui financièrement. Des années après qu'elle et Alberts aient quitté la maison, Sabina l'a soudainement laissé et ne l'a pas revu depuis. Je ne sais pas s'il avait changé tout d'un coup, ou si Sabina l'a enfin vu de la manière dont je l'avais toujours fait. J'ai appris la plupart de ce que j'ai jamais su d'Alberts quand nous avons brièvement vécu ensemble après notre arrivée ici. Il nous a transporté avec lui comme des dépendances, comme des bagages qu'il avait abandonné. Il nous traitait comme s'il était responsable pour nos vies. Ils nous logeait chez lui comme si nous étions des meubles ou des animaux exotiques. Il était notre hôte, son rôle étant de nous héberger, nous vêtir et nous nourrir. Le notre était d'arrêter d'être exotiques et d'apprendre à nous comporter comme les meubles de toutes les autres maisons. Luisa s'est rendue compte de la nature de leur relation aussitôt que nous sommes arrivé-e-s ici. Illes ne se touchaient jamais, et je ne me souviens pas de jamais les avoir se vu se parler. J'ai vraiment du mal à imaginer comment est-ce qu'illes ont un jour pu s'entendre. Bien que Luisa veuille aussi peu en parler que Sabina, je penses que la raison pour laquelle elle lui a demandé de quitter la maison était sa connaissance du rôle qu'il avait pris dans des événement dont je n'ai appris l'existence que bien des années plus tard, et encore seulement par chance. Alberts avait commencé sa carrière d'enseignant ici dans une période réactionnaire. Des individu.e.s non-conformistes qui avait par le passé eu des divergences avec le modèle officiel se faisaient renvoyer de leurs travail. Notre siècle semble battre toutes les époques précédentes pour ce qui est des chasses aux sorcières hystériques. Les enseignant.e.s subversif.ve.s étaient une cible de marque pour les inquisitions. Dans mon école, une rumeur en suivait une autre et chaque enseignant.e était à un moment ou un autre accusé.e de subversion. Je n'en connaissais que le résultat : Debbie Matthews et deux autres avaient été renvoyé ; George Alberts avait continué à enseigner. Des années plus tard, j'ai appris qu'Alberts avait été amical avec les trois professeur.e.s renvoyé.e.s, qu'il s'était présenté à elleux, avait pris part à des discussions régulièrement et agit comme s'il avait été leur ami depuis des années. Pourtant, quand l'inquisition officielle commença, il les décrit chacun.e dans des détails précis, avec documentation à l'appui comme quelqu'un qui aurait eu des interactions quotidiennes avec le diable, comme des joueurs de flutes qui auraient entrainé tou.te.s les écolier.e tout droit en enfer. Il devint un M. Ninovo, un agent de l'état. Il s'était débarrassé de toutes ces qualités que tu appelles illusions : Solidarité, camaraderie et la moindre décence. Il a fait en réalité à plusieurs personnes ce que Claude avait autrefois voulu lui faire, mais réussi là ou Claude avait échoué. Tu me dis que Claude et Adrian avaient des soupçons sur Alberts et que ça t'as fait en avoir aussi. Tu prétends qu'il y avais quelque chose n'allant pas avec vous trois tandis qu'il n'y avais rien d'étrange à propos d'Alberts. C'est une exagération J'avais aussi des soupçons sur Titus, Zabran et Alberts. Ils ne faisaient pas parti des personnes que je considérais comme mes camarades. Cela ne veux pas dire que je voulais les emprisonner ! Je n'ai jamais au cours de ma vie rêvé d'une situation dans laquelle j'aurais le pouvoir de faire ça ! Alors que Luisa lisait ta lettre, elle a eu des commentaires grossiers à ton en encontre. Je ne pensais pas que ça ai une quelconque importance sur le moment, mais je pense que ça révèle quelque chose sur Alberts. Elle a dit que « George le considérait comme un voyou. Il avait raison. Yarostan va d'une destruction absolue à une acceptation absolue. Les deux extrémités se rencontrent parce qu'il se déplace au fil de la circonférence d'un cercle sans jamais poser le pied à l'intérieur. Il a toujours rejeté les véritables luttes. » Je ne suis pas d'accord avec l'analyse de Luisa parce que je ne pense pas que ta lettre indique une acceptation absolue. Ce qui m'intéresse est qu'Alberts te considérait comme un voyou destructeur. Cela en dit beaucoup parce que c'est exactement ce que nos geôlier.e.s nous ont appelé. Penses-tu que Claude n'avait aucune raison d'avoir des soupçons sur Alberts ? J'en doute. Je pense que Claude savait quelque chose des liens d'Alberts avec celleux qui nous ont arrêté. Je pense qu'Alberts était déjà, à ce moment là, en train de se sauver la peau en déclarant et divaguant sur les subversif.ve.s et les voyous. Je pense qu'Alberts s'était déjà à ce moment la débarrassé de ses illusions pour s’accommoder des réalités. Apprécierait-tu Luisa davantage si elle avait fait de même ? Je ne pense pas, étant donné que ton portrait de M. Ninovo n'est pas tracé avec la moindre once de sympathie pour ce type de gens. Et même si tu as raison, et que les soupçons de Claude étaient infondés. Si Alberts était à ce moment là dévoué corps et âme à ses camarade, qu'est-ce que cela prouverait ? Que les soupçons de Claude et les tiens sur Alberts indiquent une mentalité similaire à celle de la police ? C'est ridicule ! Mon manque de confiance en quelqu'un veux simplement dire que je préférerai ne pas travailler avec lui. Cela ne peux pas vouloir dire que je le voulais en prison étant donné que le projet de l'ensemble de ma vie a été orienté vers l'abolition des prisons et geôlier.e.s. Notre projet était de communiquer, pas d'excommunier. Maintenant, je me suis convaincue moi même que tu ne voulais pas dire la moitié des choses écrites dans ta lettre. Il y a beaucoup trop de contradictions. Tu as du te laisser emporter par ta propre rhétorique. La seule personne que je connais qui semble s'être débarrassé de ses illusions de la manière dont tu en parles est George Alberts et il n'est de toute évidence pas ton modèle d'être humain pleinement accompli. Et même s'il l'état, ni Luisa ni moi n'aurions pu suivre le chemin d'Alberts, car ni l'une ni l'autre n'aurions sauvé nos peaux en vendant ou répriment nos instincts. Pourquoi m'aurait tu écrit si tu pensais que j'avais supprimé mes désirs et que j'étais devenu une marchandise qui marche et parle ? N'est-il pas déjà suffisant que le monde dans lequel je vie mobilise toutes ses forces pour supprimer mes désirs et mes rêves ? Pourquoi devrais-je laisser ma propre volonté se faire recruter aux côtés de ces forces ? Pourquoi devrais-je me laisser devenir une simple fonction de mon environnement ? Et pourquoi voudrais-tu échanger des lettres avec une fonction comme celle ci ? Ces fonctions sont aussi prévisibles qu'elles sont fades. Se débarrasser de nos illusions, réprimer nos désirs, oublier nos potentiels : Ce sont là les slogans de l'ordre dominant, et ils sonnent faux venant de toi. Je suis à nouveau devenue une « fonction » il y à quelques semaines. Après tout, l'auto-répression, même temporaire, est toujours l'une des conditions de survie dans cette société. Pourtant, je ne réprime pas complètement mes désirs même quand ma survie en dépend. Dans ma première lettre je te racontais comment j'ai perdu mon dernier emploi, lors des émeutes de l'année dernière. J'appréciai depuis d'être sans emploi, mais étant donné que je ne veux pas vivre aux dépends de Tina, je me suis à nouveau vendue. Daman Hesper, un ami de l'université qui y est maintenant professeur m'a parlé d'une ouverture pour un poste appelé quelque chose comme instructeur de sociologie, dans ce qui s'appelle un community college. Mon travail est de faire la leçon à des ouvrier.e.s trois soirs par semaine. L'ensemble du truc a l'objectif de donner à quelques personnes l'illusion qu'illes avancent, alors qu'illes sont en fait immobiles, un peu comme les wagons de train du cinéma dont le paysage n'est en fait qu'une projection sur un écran. Tout d'abord, je n'ai aucune idée de ce qu'est la sociologie, et je suis convaincue que ce n'est rien de plus qu'un emploi de classification : Une personne est sociologue de la même manière u'elle pourrait être directeur.ice ou secrétaire. Deuxièmement, le community collège mérite chaque épithète sauf « Communauté, » étant donné que c'est non seulement quelque chose qui y manque, mais qu'elle est même niée par cette institution. Troisièmement, les travailleur.se.s qui assistent à mes cours sont précisément celleux dont le but dans la vie est d'opprimer leurs pairs. En fait, la seul destination de cette activité appelée « éducation pour adultes » par euphémisme, est de fournir les qualifications aux aspirant.e.s contremaitres, chef.fe.s syndicaux et même gerrant.e.s. Le rôle de ces qualifications est de donner à ces gens les apparences d'une légitimité en tant que donneur.se.s-d'ordres. Les étudiant.e.s vivent ces cours du soirs comme l'un des travaux herculéens : Il s'agit de l'un des nombreux rites arbitraires auquel illes doivent prendre part pour accéder à un échelon supérieur de cette échelle interminable. Quatrièmement, je ne fais aucune leçon. C'est la ma propre innovation. Le premier jour je me suis simplement assise et j'ai attendue comme tout le monde. Lorsque l'un des étudiants s'est levé pour partir, je lui ai demandé s'il resterait dans l'hypothèse qu'une personne dans la pièce soit l'instructeur.ice. Il n'a rien répondu, mais est resté. J'étais bien sur la première sur la liste des suspect.e.s. Quelqu'un d'autre s'est levé pour partir. Il était assez déterminé et en colère. Il a dit qu'il rentrait chez lui étant-donné que là ou non, la professeur n'allait pas faire son travail. J'ai suggéré qu'à la place de rentrer chez lui, il dénonce une tel professeur à l'administration de l'école, étant donné qu'il avait payé son admission et ne recevait rien en retour. Tou.te.s semblaient acquiescer, et j'ai donc ajouté : « À chaque fois que tu vois une personne ne faisant pas son travail, tu devrais la dénoncer. » À ce moment là, il a perdu sa détermination et est retourné s'asseoir à sa place. À ce moment là, je m'étais aussi exposée. Je me suis donc faite demander si je comptais continuer à ne pas faire mon travail, et j'ai dit oui. Certain.e n'aimaient pas de faire avoir ; dès lors qu'illes lâchent leur pièce dans une machine distributrice de cigarette, illes voulaient soit les cigarettes, soit récupérer leur pièce. D'autres ne pensaient pas qu'il soit de leur ressort d'être des balances. Le débat continua une demi heure après l'heure à laquelle la classe aurait du prendre fin. C'est moi qui me suis levée pour mettre mon manteau. Je me suis fait demander si je reviendrait la fois suivante, et j'ai dit oui. J'aurai probablement du dire que je ne savais pas. Chacun.e des étudiant.e.s est revenu.e pour la session suivante, ou illes ont presque exclusivement parlé entre elleux. Pourtant si illes n'avaient pas su que j'allais être présente, aucun.e ne serait revenu.e. N'est-ce pas amusant ? Si des chiens se faisaient officiellement agrémenter comme instructeur.ice.s de sociologie, une salle pleine de gens fournie avec le bon chien serait qualifiable comme classe de sociologie. Pourtant, certain.e.s de mes soi-disant.e.s collègues pensent que les étudiant.e.s viennent pour être anobli.e.s par les mots précieux comme des diamants qui tombent de leur bouche. Lors d'une discussion sur le sabotage, surtout sur comment l'éviter, malheureusement, une des étudiantes cria en triomphe « Mais c'est de la sociologie, putain ! J'aurais jamais pensé que ce soit si intéressant. » Tout le monde semblait d'accord avec ce dernier commentaire à part moi, mais je ne dis rien comme à mon habitude. Je n'étais pas d'accord parce que ce n'était pas socio-quoi-que-ce-soit, mais du temps uniquement alloué pour de futurs récompense. Ma rémunération est immédiate, la leur différée, et le slogan qui décrit cette activité dans son ensemble est « l'éducation paie. » S'illes étaient tou.te.s d'accord sur le fait que ces classes étaient intéressantes, tu peux t'imaginer comment sont les autres, celles ou les donneur.se.s de leçon font part de leur sagesse à un auditoire attentif et ignorant. Le fait est que ces classes ne sont pas intéressantes. Le langage, les concepts et même les expériences que nous discutons sont rarement celles d'individu.e.s : Ce sont presque uniquement des mots-bateau, des idées banales et des expériences stéréotypées répétées quotidiennement par l'appareil de propagande. Ces gens parlent la langue et pensent les images des pancartes que tu décris. Ces cours ne sont rien de plus qu'une adaptation à l'ennui. Elles renforcent les esprits fermés et nient la possibilité même de l'apprentissage. L'anticipation, l'exploration et l'aventure des expérience d'apprentissages sont manquantes, et il n'y à aucune sensation de découverte. Tout ce qui est discuté est prévisible, chaque intuition déjà connue. Si cela est intéressant, à quoi ressemblent donc le reste de leurs vies ? Il est évident que je serait renvoyée tôt ou tard, mais d'ici là j'aurais à nouveau mis assez d'argent de côté pour ne pas avoir à dépendre de Tina. Si je ne suis pas renvoyée assez tôt, je démissionnerai Pourquoi ? Parce que j'ai fait l'expérience de l'apprentissage, de la camaraderie et de la communauté dans cet événement que tu mets beaucoup d'efforts à salir et distordre, et que je me refuse donc à accepter une activité comme celle-ci à être quoi que ce soit d'autre qu'un simulât dégradant. Après mon premier emploi dans l'enseignement, j'ai décidé que je n'allais plus me laisser réduire à un moyen de production pour la production des moyens de production. C'est vrai qu'en acceptant déjà ce travail, je joue un rôle similaire à celui que tu jouais quand tu conduisais le bus, mais je ne conduis rien. La seule discussion à laquelle j'ai pris une quelconque part était celle sur le sabotage. Seul l'un des étudiant a eu quelque chose de positif la dessus : « Ca doit être nécessaire dans certaines circonstances. » Je lui ai alors demandé avec intérêt quel type de sabotage lui étaient familier. Bien que ses témoignages étaient très dociles et qu'il joignait pelle-melle des gestes de solidarité avec du sabotage, c'était là la seule fois où j'ai sentie que je communiquait avec quelqu'un, la seule fois où nous avons parlé de nos activité du point de vue différent d'une activité potentielle pas encore réalisée. Il semblait légèrement intéressé quand je lui ai dit que j'avais connu des travailleur.se.s qui avaient séquestré les propriétaires et avaient géré l'usine par elleux même. Mais pour ce qui était des autres élèves, c'était comme si j'avais commencé à parler dans une langue étrangère. J'ai essayé de te montrer que l'ensemble de ma vie s'est organisé autour de l'expérience que nous avons partagé et que j'ai désiré toute ma vie pouvoir communiquer avec toi. J'espère avoir pu clarifier ce que je voulais dire. Sans cette expérience, ma vie est réduite à la vie d'objets qui n'en ont pas, elle devient la période durant laquelle les objets sont consommés, une banalité dans la vie du capital. Pour aller au travail, je prend un bus qui traverse des parties de la ville ou la « vie » a lieu, et j'y passe pendant les horaires quand les habitant.e.s de la ville la « vivent. » La vie de la ville consiste à mettre en évidence des marchandises : derrière des vitrines, derrière des murs de béton, sur des écrans. « La vie » est une prolifération d'objets à vendre : Tout, des cuvettes de toilette aux êtres humains ont des étiquettes indiquant le prix. L'art, la philosophie et l'histoire, l'ensemble du passé et du présent de l'humanité sont apprécié, non pas par des personnes mais par l'argent. « La vie » ne consiste pas en des projections, communications ou créations mais en un portefeuille contenant des billets. Le fait de « vivre » consiste à dépenser de l'argent pour lequel du temps de vie a été échangé durant les jours de travail. La seule parcelle de vie humaine dans cette danse des marchandises avec les corps est la lutte pour la destruction de ce jeu déshumanisant. La seule parcelle d'humanité que j'ai en moi est le souvenir de cette lutte. Je pense que tu as tort quand tu dis que mes souvenirs de notre lutte sont déformés. Je pense que le fait qu'ils influencent chaque moment de mon présent signifie qu'ils sont en fait très vifs. Je connais en fait une personne avec des expériences et des espoirs passés similaires, arrêtés. Il s'agit de mon ami Daman, la personne qui m'a aidé à trouver mon emploi. Son engagement temporaire est devenu sa profession. Son expérience passée est le sujet de ses cours, et il les donne depuis trois ou quatre ans maintenant. Il a décrété la même révolution dans sa classe année après année, la compartementalisant en des travaux et des questions de contrôles. Il a conservé et mis en boite les rêves de sa vie pour les revendre à ses employeurs. Il les décongèle pour les servir en sauce à ses client.e.s qui veulent simplement les avaler avec les autres ingrédients de la sauce. Je n'ai pas fait ça de mon passé. Que cela ai été ou non ton intention, tu as validé ces mêmes rêves que tes arguments voulaient dénigrer comme illusions. Tu m'as dit que les gens qui avaient sembler n'être rien de plus que des objets inertes redevenant des êtres humains. Tu m'as dit que des voix humaines pouvaient à nouveau se faire entendre dans ces espaces ou elles semblaient avoir été noyées pour toujours par les sons des inventions électriques. Tu m'as dit que mes espoirs et ceux de Luisa revenaient à la vie. Et pourtant, tu insistes que ni Luisa ni moi ne les avions jamais partagé. Luisa avait de toute évidence tort quand elle disait que tu était devenu un réactionnaire ; si ça avait été le cas tu ne serais pas capable de décrire ce qui se passe autour de toi. Pourquoi alors as-tu insisté sur le fait que Luisa et moi avions été des réactionnaires tout ce temps ? Si c'était vrai, nous ne pourrions comprendre tes descriptions, et nous ne pourrions commencer à nous saisir de ce que tu entends par la naissance de rêves, projets et communication. Ce qui est vivant dans ma mémoire, ce que tu proclame comme biaisé, c'est précisément ce qui cause ton enthousiasme au sujet des événements que tu décris. La communication au sujet de tels événements est précisément ce qui m'a manqué depuis que je suis ici. Ta lettre me fait miroiter cette communication puis me ferme la porte au nez. Je supplie. Je le sais. Je ne pense vraiment pas mériter ta lettre. Je n'étais pas ta geôlière Tu n'as pas été arrêté ni du fait de mon lien avec George Alberts ni pour la lettre que je t'ai fait parvenir par le biais de Lem. Ni Luisa ni moi ne t'avons enchainé avec une vue distordue du passé. Luisa n'était pas ton infirmière quand tu étais trop jeune pour formuler tes propres pensées, et elle n'était pas une hypnotiseuse s'insinuant dans ta conscience quand tu étais en transe Les moments les plus significatifs de ma vie n'étaient pas ceux pendant lesquels j'ai déformé tes rêves et détruits tes potentiels. Ma lettre précédente n'était pas la glorification de ton emprisonnement, mais un appel pour de la chaleur, camaraderie et compréhension. S'il-te-plais, n'abandonnes pas notre relation là ou ta dernière lettre l'a laissée. Tu tuerai quelque chose que j'ai maintenu en vie dans un environnement hostile, insistant à vouloir le tuer, mais échouant. S'il-te-plais, ne m'exclue pas du seul contexte dans lequel je ne me suis pas sentie étrangère. Ne mets pas fin à la seule véritable amitié que j'ai réussi à former.
Avec appréhension et amour,
Ta Sophia * * Troisième lettre de Yarostan

Chère Sophia,
Ta lettre était pleine de camaraderie et je vais essayer d'y répondre dans le même esprit, mais je ne suis pas d'accord avec toi. Tu déclares que : « Notre projet n'était pas d'excommunier mais de communiquer. » Il s'agît là d'une mauvaise blague. Je vais essayer de te montrer que notre projet était d'excommunier, et non pas de communiquer. Mirna l'a lu. Elle est toujours convaincue que tu es l'ogre qui a causé mon arrestation, mais elle te considère désormais comme une ogresse plutôt agréable. Elle a même exprimé le désir que nous nous rencontrions, avec toi et Sabina, si les circonstances le permettent un jour. Elle pensait néanmoins que les passages dans lesquels tu glorifies tes expériences passées devaient être sortis des discours de nos politicien.ne.s. Mirna et moi avons été étonné.e.s par certains faits décrits dans ta lettre. J'étais surpris d'apprendre que George Alberts n'avait pas été arrêté au moment ou toi, Luisa, moi et les autres l'ont été. Je pense aussi comme il est étrange que toi et Luisa n'aient passé que deux jours en prison ; J'y ai passé quatre ans et du peu que j'en sache, je ne connais que très peu d'entre nous qui aient été condamné.e.s à des peines plus courtes que ça. La raison pour laquelle j'étais surpris qu'Alberts n'ai pas été arrêté était parce que j'avais toujours pensé qu'il serait arrêté avant n'importe lequel autre d'entre nous. Je pensais que les soupçons de Claude sur lui comme faisant partie d'une campagne officielle pour préparer ses ami.e.s et ses proches à son arrestation. De telles campagnes de stigmatisations d'individu.e.s, comme personnages douteux.ses venaient normalement du haut de la hiérarchie politique, et étaient transmises jusqu'à des personnalités susceptibles comme Claude. Un ordre se faisait transformer en une rumeur largement répandue jusqu'à ce qu'elle devienne progressivement une certitude largement partagée, jusqu'au moment ou les ami.e.s de la victime approuvaient sa liquidation, permanente ou temporaire, se sentant souvent soulagé.e.s d'être débarassé.e.s d'une si dangereuse fréquentation. Le fait qu'Alberts n'ai pas été arrêté suggère que ce soupçon n'était pas un ordre venant d'en haut, mais venait de Claude. Étant donné que Claude n'a jamais eu de contact personnel avec Alberts, c'est Luisa, ou alors moi ou Titus Zabran qu'il devait pointer du doigt, étant donné que nous étions ses plus proches amis, et donc par extension, ceux d'Alberts. Le jeu de Claude doit avoir été l'une de ces parades politiques classiques : Il incriminait l'un.e d'entre nous, ou les trois de manière a se mettre dans une position de pouvoir vis-à-vis des autres. Son succès contre nous serait une menace permanence qu'il pourrait brandir sur les autres et sa position de chef de groupe serait assuré par son pouvoir éliminer ses concurrent.e.s réel.le.s ou potentiel.le.s. Cela ne voudrait pas dire que Claude Tamnich était moins un gorille que dans mes souvenirs, mais qu'il était considérablement plus intelligent. Une autre raison pour laquelle je suis surpris d'apprendre qu'Alberts n'a pas été arrêté est parce que cela contredis un événement que tu as mentionné dans ta première lettre, c'est à dire son renvois de son travail. Je l'avais su à l'époque et je l'avais pris comme une première étape vers son arrestation et son emprisonnement. Je supposais qu'il avait été arrêté pour les même raisons que nous, et je pensais que son renvois avait été quelque chose comme l'annonce de notre arrestation. Il était accusé de sabotage, d'être un agent étranger et de représenter un danger contre les force productives de la société. Je sais qu'il n'était pas la raison de notre arrestation, mais j'étais certain qu'il avait été arrêté. En es-tu sûre ? Je n'essaye pas de t'accrocher sur un autre faute de mémoire, mais d'en clarifier ma compréhension. Étant donné que Titus Zabran aussi bien que Luisa avaient été ses camarades de longues date, je supposais que ses activités avaient été similaires, au moins avant son émigration, et en conséquence, qu'il avait été arrêté pour les mêmes raisons. Le détail qui dérange Mirna concerne la lettre que tu m'as envoyé il y à douze ans. J'ai l'impression que tu me donnes le besoin de m'excuser pour remettre ce sujet sur la table. Avant de mentionner ce qui gêne Mirna, je devrais mettre au clair que je ne te considère pas toi, ni Luisa, personnellement responsable pour mon arrestation ou mon emprisonnement. Tu as apparement lu ma critique de notre activité passée commune comme une critique de toi et Luisa et compris les soupçons de Mirna concernant ta lettre comme faisant partie de cette critique. Il s'agît principalement d'une réévaluation de mon propre passé qui n'a rien a voir avec les soupçons de Mirna. Je t'ai dit que je ne considérai pas ta lettre comme responsable de mon arrestation et je n'ai pas fait de suggestion absurde comme quoi tu aurais envoyé des instructions à la police. Au moment de ma seconde arrestation, des milliers de personnes ont été emprisonné.e.s. Illes étaient accusé.e.s d’avoir participé à des actions hostiles à l'état. J'ai été arrêté pour les activités dans lesquels Jan Sedlak, moi, et beaucoup d'autres camarades ont pris part à ce moment là. L'arrivé de ta lettre a coïncidé avec un grand soulèvement s'étant déchaîné depuis Magarna, un soulèvement qui a eu de nombreux échos ici. Jan et moi faisions parti de ces échos, et tous ont été supprimé. Mirna y vit un lien de causalité quand ce n'était rien de plus qu'une coïncidence. Pourtant ma mention des conclusions erronées de Mirna t'ont faite penser que je t'accusais indirectement d'un revers de la main. Une compréhension comme celle ci de ma lettre rend difficile pour moi de t'écrire sur la réponse de Mirna à ta lettre la plus récente. Elle était énervée d'apprendre que le messager qui avait apporté ta lettre avait été arrêté. Cette information confirmait sa supposition comme quoi ta lettre était la raison de mon arrestation. Sa croyance demeure infondée, mais l'arrestation de ton ami pose une autre question. Que faisait-il ici mis à part apporter ta lettre ? Pourquoi était-il si important pour la police ? Pensaient-illes que ta lettre était un document important ou délivrait-il aussi quelque chose d'autre ? Tu n'as pas cru au récit de l'expérience de ton ami, sur son traitement en prison. Tu as admis ouvertement ne pas pouvoir en croire qu'un monde que nous avions aidé à construire puisse dégénérer en une telle chambre de torture primitive. Je ne sais pas ce qu'il t'a raconté, mais je sais que certaines des expériences que j'ai vécu sont difficiles à mettre en mots. Je soupçonne que la plus grande injustice qui lui ai été faite était de penser qu'il mentait. Le destin de ta lettre illustre l'argument que j'essaye de démontrer. Quel est le lien entre les intentions de nos actes et leurs conséquences sur les autres ? Comment est-ce que d'autres répondent à nos mots et nos agissements ? La réponse de Mirna à ta lettre montre que cette relation n'est pas aussi claire et évidence que tu le laisses entendre. Habitant un monde dans lequel les arrestations sont fréquentes, où les informations sont rarement bonnes, où les conséquences d'événements inhabituels ne sont pas anticipées par de la joie mais de la peur, Mirna a vu ta lettre comme un présage. Pour elle, cette lettre ne peut avoir été qu'une menace ou une sommation, et c'était là le seul type de messages qu'elle ai jamais reçu. Je ne cherche pas à suggérer que Mirna a raison de penser ta première lettre comme la raison de mon arrestation. Je cherche a comprendre ce que son attitude vis-à-vis de ta lettre signifie. C'est ce que tu exclus de ton analyse du contexte social dans lequel nos actions prennent place. Quand tu as écrit ta lettre il y a douze ans, ton intention était de partager sur les expériences que nous avions partagé. C'était le contenu de ta lettre. Pourtant pour Mirna, c'était un présage, un objet qui n'avait rien en commun avec tes intentions. Elle avait tord, mais imaginons un moment qu'elle ai eu raison, et que ta lettre a eu quelque chose à voir avec mon arrestation. Dans ce cas là, ta lettre aurait été précisément l'objet que Mirna a vu, et non la communication que tu avais voulu. Dans ce cas là, il y aurait eu un écart gigantesque entre ton intention, communiquer, et la conséquence de ton action, ma mise en détention. Après ma première sortie de prison, mon point de vue était très semblable au tien maintenant. La plupart de ce dont j'avais fait l'expérience lors de ces quatre années aurait du le changer, mais échoua à le faire pendant encore plusieurs années. Comme toi, je considérai mon passé, notre expérience commune et ma compréhension de l'expérience de Luisa comme des modèles de comparaison, contrastant avec le monde dans lequel j'avais été libéré. Les quatre années de prison n'avaient seulement fait que renforcer mon désir de communiquer cette expérience à d'autres. Comme toi, je voulais faire revenir à la vie mes expériences passées ; et je cherchais des camarades avec lesquel.le.s reprendre cette même lutte. Comme toi, je ne voulais pas devenir un « outil aveugle du monde qui m'entoure. » Je voyais à travers ce monde, je le voyais comme une cage, parce que j'avais fait l'expérience de l'extérieur, d'une utopie, parce que j'avais lutté avec d'autres pour réaliser un monde différent. Il s'agissait de ma perspective lorsque j'ai rejoint Mirna et ses parents. Je les voyais comme les gens du peuple, exemples typiques de la plus grande partie de la population ouvrière. J'étais certain que si je pouvais communiquer mon projet à ces quelques personnes, elles le communiqueraient à toutes celles comme elles et le projet révolutionnaire se propagerait comme un raz-de-marée. J'étais convaincu que tôt ou tard, le père de Mirna traduirait dans son propre langage sa compréhension que les contraintes et les impasses routinières n'étaient pas imposées par la nature comme le cycle des cultures et récoltes mais socialement imposées, en grande partie parce que lui et ses pairs consentent quotidiennement à reproduire ces contraintes et cette routine. J'étais certain qu'il trouverait ses propres mots pour exprimer sa compréhension que lui et ses pairs avaient la capacité à mettre un terme à cette routine infernale et celle de projeter et construire un monde complètement différent. J'étais aussi persuadé que Mirna comprendrait facilement que le mariage, l'enfantement ou les travaux domestiques n'étaient pas son devoir, et que ces activité ne continueraient pas si elle et ses pairs ne s'y plaisent pas. J'étais convaincu qu'aussitôt qu'elle aurait traduit cette compréhension dans ses propres mots, elle les communiqueraient à d'autres comme elle, et qu'un nouveau champ de possibilité s'ouvrerait. Quand Jan habitait encore dans la maison des Sedlaks, je ressentais une certaine hostilité à l'encontre de mes arguments. Bien que je sache qu'il était d'accord avec moi, il ne m'a jamais soutenu. Une fois, après un long débat, dont je ne me souviens plus du sujet, il m'a dit qu'il ne s'était jamais rendu compte à quel point j'étais un missionnaire. Il prenait mes arguments pour des tentatives de convertir sa famille à une religion. Je n'ai pas essayé de comprendre son attitude. Plus tard, quand lui et moi travaillions ensemble, je n'ai pas tiré de conclusion des différences évidentes entre son comportement et le mien. Comme ton ami Ron, il bafouait l'autorité, ne se soumettait a aucune discipline, évitait le travail autant que possible et volait le plus qu'il pouvait. Aussi comme Ron, et à l'inverse de toi et moi, il ne cherchait pas à débattre, et n'essayai pas de convertir qui que ce soit à son Utopie, il n'essayait pas de communiquer son expérience passée aux autres. Je n'ai appris la raison de l'hostilité de Jan que plusieurs années plus tard, quand il était bien trop tard pour lui faire savoir que j'avais enfin compris ce qu'il avait essayé de me dire. Ce que je faisais pendant ces débats après le repas n'était pas de la communication, mais une activité de missionnaire. Il s'agit exactement du genre d'activité qui a lieu dans ces écoles que tu décris, et ne pourrait jamais créer de communauté, seulement en détruire. Je me comportais avec mes hôtes et ma futur famille comme un prêtre, un professeur, un pédagogue. Mon esprit avait transformé mon expérience passée en une révélation de vérité et je la professais en cherchant à convertir Mirna, son père et même sa mère si possible. Je m'étais convaincu qu'aussi vite je communiquerai cette vérité de ma tête aux leurs, au plus vite elle se propagerait. Chaque soir après le dîner, je me lançais dans une tirade contre une activité marchandée ou une autre, le plus souvent la conduite des bus. Ce que le père de Mirna entendait était une tirade, une leçon, qui n'avait que très peu à voir avec sa propre activité de conducteur de bus, et absolument rien en commun avec une rébellion ou une insurrection. Il connaissait des gens qui se rebellaient de différente manières : Certain.e.s allaient travailler saoul.e, d'autres endommageaient ou accidentaient les bus, ou s'en servaient le week-end pour des sorties en famille. Il avait pu avoir des sympathies pour chacune d'entre elles et les comprenaient toutes comme des formes de rebellions. J'étais de toute évidence différent d'elleux. Mes grands discours sur le besoin d'abolir les véhicules n'étaient pas de la rébellion mais de la pédagogie. Des professeur.se.s en insurrection ne sont pas des insurgé.e.s. Plus loin dans cette lettre j’essaierai de décrire ce que j'en pense. La plupart des gens le savent. Par exemple, lorsque Mirna a lu ta lettre, elle a pointé que ton ami Ron lui rappelait son frère. Ron rejetait le travail salarié, la propriété privée, l'éducation et sa famille à travers des actes concrets ; il se battait contre ces institutions dans sa pratique quotidienne. Ron était un insurgé alors que toi et Luisa sont des pédagogues, des missionnaires. Tu reconnais la nature contradictoire d'une telle position dans ta description de ton ami universitaire Daman, mais tu ne la vois pas en Luisa ou en toi même. Pour le père de Mirna, je n'étais ni un ivrogne, ni un voleur, mais pas un rebelle non plus. J'arrivais au travail à l'heure, conduisais le bus en suivant les horaires et la ligne, ne me saoulais pas et n'ai jamais essayé d'emprunter le bus. Sedlak n'avait aucun problème à discerner ce que j'étais dans ce monde : un pédagogue politique, et dans son monde, ces gens là n'étaient pas conducteur.ice.s de bus mais politicien.ne.s. Il me reconnaissait non du fait de ma naissance, ou de ma fonction sociale mais de par mon comportement. Il savait que dans son monde, les philosophes politiques ne restaient pas des paysan.ne.s ou des conducteur.ice.s de bus très longtemps, et qu'illes étaient éventuellement transféré.e.s aux échelons supérieurs des bureaucraties syndicales ou gouvernementales. Quand j'essayais de communiquer mes intentions, il n'entendait que l'expression de mes aspirations de politicien. Tout ce qu'il voyait dans mes gestes était la capacité à satisfaire de telles aspirations, et il interagissait avec moi en fonction de ce qu'il voyait en moi, et non des projets et potentiels que je pensais être en train de lui communiquer. Je t'ai déjà raconté à quel point il était enthousiaste à propos de mon mariage avec Mirna. Celui-ci ne peut pas être expliqué par le fait qu'il m'appréciait, et pas non plus par le fait qu'il soit tombé amoureux de mes rêves et espoirs, de mes projets ou de mon expérience passée. Il était agréable et généreux mais c'était aussi un paysan perspicace et calculateur. Les années de conduite de bus ne l'avait pas privé de son aptitude paysanne à s'orienter vers le marché du village. Il pouvait toujours percevoir le moment précis auquel le prix d'une marchandise augmentait, et connaissait toujours les personnes qui payeraient le prix fort. Il n'avait pas perdu cet instinct commercial des paysan.ne.s dont l'activité productive est orientée vers le marché. Il était aussi conscient que les politicien.ne.s étaient devenu.e.s les diamants et le caviar sur le marché des valeurs humaines. Mes tentatives a communiquer avec lui n'avaient fait que l'informer que j'étais une marchandise de ce genre là. Son enthousiasme pour le mariage était motivé par une combinaison de considérations traditionnelles et commerciales. Traditionnellement, le mari ou la femme d'un.e villageois.e se doit d'être fort.e et en bonne santé, selon les mêmes standards appliqué aux vaches ou aux chevaux. Une vache ou un cheval malade aurait été un poid-mort ; ce qui était désiré était un animal qui aurait contribué au maintien de la maison familiale et assurerait la survie des parents dans leur vieux-jours. Sedlak appliquait cet étalon aux conditions de la société dans laquelle il se trouvait. Le mari se devait encore d'être fort et en bonne santé, mais ces caractéristiques perdaient de leurs significations physiques et se référaient désormais à des qualité commerciales. En bonne santé devenait marchandable, c'est à dire la caractéristique d'être utile à de potentiels acheteurs spécifiques. Il se devait d'être fort, non pas physiquement, mais commercialement, au sens quantitatif de valoir un prix-fort, en opposition aux marchandises communes de mauvaise qualité qui se reconnaissent par leur bas-prix. En conséquence, pour Sedlak, le mariage était une transaction commerciale calculée ou il vendait sa ville en échange de l'anticipation d'un futur qui ferait bien plus que récompenser son investissement original. Il ne fit qu'une seule erreur dans ses calculs, et en considérant les limites de sa connaissance de ce marché, son erreur était en fait mineure. Ses estimations principales étaient toutes exactes. Les conditions du marché étaient celles sur lesquelles il avait misé : Les acheteur.se.s d'aujourd'hui payent le prix fort pour des politicien.ne.s, plus que n'importe quelle autre marchandise humaine, notre époque étant après tout l'âge d'or du racket politique. Grace à Luisa j'étais en fait devenu une marchandise de ce type là. Sa seule erreur découlait de son manque de familiarité avec les spécificité de la marchandise en question. S'il avait s'agit de pommes, il aurait su quelles type étaient vendues pour un prix ridiculement haut et n'aurait pas fait l'erreur d'en apporter de mauvaises au marché. Mais il n'était pas aussi familier avec les politicien.ne.s qu'il l'était avec des pommes. Il ne saisissait pas les différences subtiles qu'il pouvait y avoir en les politicien.ne.s et n'était même pas au courant qu'il pouvait y en avoir. Pour lui, illes étaient tou.te.s semblables, et il lui manquait un système de classification pour cette marchandise, ce qui l'a mit dans l'erreur. Il avait placé ses attentes sur une marchandise de la bonne catégorie, et même du bon genre, mais de la mauvaise espèce, et il ne l'a jamais compris. Mes mots ne renseignaient pas Sedlak sur mes expériences passées ou mes espoirs, ou ma détermination dans la lutte pour un monde différent. Ils le renseignaient sur les caractéristiques et le prix de vente potentiel d'une marchandise. Je pensais qu'en communiquant ces expériences et en formulant ces argumentaires, j'aurai cessé d'être objectifié par mon environnement, un simple objet dans un monde d'objets. Pourtant le résultat de mon activité était une inversion complète de mes intentions : Je n'ai réussi qu'a me redéfinir comme un objet d'un type spécifique. Je n'essaye pas ici de disséquer les motifs et manies d'un paysan, mais de comprendre ce qui est arrivé aux espoirs et aux projets que j'ai autrefois partagé avec toi quand j'ai tenté de les communiquer à d'autres êtres humain.e.s. Comment est-ce que les autres me percevaient moi, mes projets et mes expériences passées ? Était-ce la perception de Sedlak ou celle que j'avais de moi-même qui était distordue ? Il reconnaissait le pédagogue derrière le faiseur de discours, le politicien derrière le pédagogue et l'appareil répressif de l'état derrière le politicien. Il reconnaissait la rhétorique politique comme l'attribut principal des dirigeant.e.s d'aujourd'hui. C'était moi qui ne comprenais pas la nature de mes propres activités. Je ne la comprenais qu'en les termes de mes intentions, comme tu le fais encore aujourd'hui. À l'époque, je partageais ta motivation actuelle. C'est pour ça que tu es juste de comparer me comparer au moment de ma première sortie de prison avec ton expérience après que tu ai émigré. Nous avions tou.te.s les deux ce manque et nous essayons de reconstituer ce projet que nous avions partagé. Je voyais les Sedlaks comme des gens avec qui je pouvais partager ce projet ; c'est comme ça que tu voyais Ron, mais tu as échoué à apprendre de Ron ce que j'ai fini par apprendre des Sedlaks : Je n'étais pas l'un d'entre elleux, mais l'un des pédagogues, et que mes enseignements n'étaient pas distinguables de ceux qui avaient créé leur monde répressif, et que cette pédagogie n'était rien de plus qu'une série de rationalisations pour justifier la domination des pédagogues sur le reste de la société. Quand le père de Mirna a vu un politicien derrière le pédagogue, il ne faisait pas preuve de son ignorance mais plutôt de son aptitude aiguë pour l'observation. Il voyait mes rêves comme des illusions et liait mes gestes aux actes répressifs de l'ordre dominant. C'était lui qui exposa la nature de nos expériences passé, non pas parce qu'il était un philosophe social ou un critique mais parce qu'il avait cette perception lucide du monde qu'il habitait et parce que, tel un prisonnier dans une cellule bondée, il essayait de s’accommoder autant que possible sans mettre d'autres dans l'inconfort et sans se déshumaniser lui même. L'engagement que j'ai autrefois partagé avec toi me revint comme un coup au visage. À un moment j'ai eu a le ré-examiner Quand j'ai réalisé que mes expériences passées aussi bien que mes tentatives pour les communiquer étaient biaisées, j'ai commencé à les rejeter. Je trouve très significatif que l'enseignement soit le domaine d'activité dans lequelle tu t'es engagé. Je suis désolé si je semble intentionnellement cruel. Je sais des descriptions de tes activités dans la vie, et de ton attachement à des expériences que j'ai rejeté que tu es offensée par mon attitude présente. Quand j'ai commencé à t'écrire, je me demandais si tu aurais changé et si je te reconnaîtrais ; mais quand j'ai lu ta première lettre, je t'y ai bien trop retrouvée, me rendant compte que c'était moi qui avais changé. J'avais ré-examiné les qualité que tu avais conservé. C'est pour ça que j'ai répondu à ta lettre avec une certaine colère. Je ne te répondais pas à toi mais à moi même et à mon passé récent, à des comportements avec lesquels j'avais du réfléchir et rejeter pour moi-même. Si tu pensais que mes attaques te visaient directement, il s'agit d'une incompréhension. Elles étaient dirigées vers un passé que je partage avec la plupart de mes contemporain.e.s. Aujourd'hui je suis l'un des centaines, peut-être millier à le rejeter, le déraciner, l'exposer. Contrairement à ce que tu répètes plusieurs fois dans ta dernière lettre, les ferments qui m’entourent aujourd'hui ne sont pas une continuité d'aucun projets auquel nous avons pu prendre part. Tout autour de moi, dans les usines, les écoles et dans les rues, mes contemporain.e.s tournent leur dos aux expériences que tu célèbres dans tes lettres, mais aussi aux rêves que nous avons autrefois partagé toi et moi. Il y à quelques jours, je suis retourné rendre visite à l'usine ou j'avais trouvé mon premier travail, ou j'avais rencontré Titus, Luisa et toi. La dernière fois que j'y étais allé était il y a quinze ans au moment de ma première sortie de prison. Tes lettres, et mes tentatives de me souvenir et de décrire l’usine m'ont motivé a aller la revoir. J'avais aussi un vague désir d'apprendre ce qui était arrivé à ces gens qui ont joué un rôle aussi significatif dans ta vie. J'étais choqué par ce que j'y ai vu, bien que j'aurai du m'y attendre. Le nom de Zagad avait été enlevé de la devanture du bâtiment, de toutes les fenêtres et des cartons, remplacé par le mot « populaire. » Presque rien d'autre n'avait changé dans l'usine ; en plus de vingt ans ! En fait, ça ressemblait plus à l'endroit ou j'ai autrefois travaillé plutôt qu'à l'usine que j'avais visité après ma sortie de prison. Les machines semblaient graissées et huilées, et tout semblait fonctionner. D'un autre côté, le bâtiment se détériore, et les murs n'ont pas été repeint depuis au moins un quart de siècle, et l'espace de travail est encore plus sale qu'il l'avait été il y a quinze ans, et l'impression sur les cartons est d’une qualité encore moindre. Les affiches rouges sur les murs avec leurs messages célébrant la victoire glorieuse de la classe ouvrière sont maintenant recouverts de crasse. La seule différence d'importance des vingt dernières années avait pourtant lieu sous mes yeux ; et les travailleur.se.s étaient en grève. C'est la première en vingt ans et elle a commencé la semaine dernière. Tout à propos de cette grève rend évident qu'elle n'a rien en commun avec la dernière dans cette usine, celle à laquelle toi et moi avions pris part, tou.te.s à l'usine le savent très bien, et je n'ai pas eu même à poser de questions. Aussitôt que je m'étais présenté comme quelqu'un qui y avait travaillé autrefois, emprisonné pour sabotage, tou.te.s se sont mis.e.s à parler en même temps. Ce qui était le plus clairement exprimé était un indubitable soulagement : « C'est fini ! La terreur est terminée ! » C'était comme si une guerre ou une épidémie de peste avait soudainement pris fin. Un grand nombre de travailleur.se.s m'ont dit que pendant plusieurs semaines, illes avaient été sceptiques et prudent.e.s. Illes avaient appris la tentative de coup du président et de l'armée et la suspension de la police, mais illes n'en parlaient pas. Illes écoutaient les discours des politicien.ne.s, d'abord seulement sur leurs radios à la maison, puis plus tard l'un.e d'elleux apporta une radio à l'usine et illes l'écoutaient toute la journée, commençaient à les discuter, mais ne faisaient rien. Illes étaient suspicieux.ses. Illes pensaient que tout cela pouvait être une manigance manipulée par celleux d'en haut, une performance en deux actes, une relève de la garde, un simple remplacement d'un groupe répressif par un autre avec des noms et des slogans différent mais tout aussi répressif. C'est là qu'illes ont commencé à entendre parler de mises en grève dans d'autres usines, mettant à la porte les agent.e.s de police, les gerrant.e.s et les représentant.e.s syndicales. Illes ont appris que les ouvrièr.e.s qui prenaient part à ces actions n'étaient pas arrêté.e.s, emprisonné.e.s ni même renvoyé.e.s. À un moment, illes ont arrêté de commenter les discours de la radio et commencé à parler de leur usine. La décision d'une grève est sortie de ces discussions. C'était une décisions collective des travailleur.se.s de l'usine, et non une prise par des politicien.ne.s et transmise aux ouvrièr.e.s par le biais de leurs représentant.e.s syndicaux, ou de quelconques autres agent.e.s du pouvoir. En fait, l'un des but de la grève était de mettre les délégués à la porte, une demande qui fût acquise immédiatement : L’officiel a quitté son poste aussitôt que la grève fût déclarée, mais les travailleur.se.s sont toujours en grève. Illes ont trouvé un procédé pour remplacer le délégué, voulant que le poste tourne entre tou.te.s les ouvrièr.e.s de l'usine par ordre alphabétique. Chacun.e devant l'occuper pour un mois. Le gerrant insistait sur un.e représentant.e permanent.e. Les travailleur.se.s ont alors abandonné leur plan initial, insistant seulement sur leur droit d’élire un.e représentant.e permanent.e, une demande que le gerrant est prêt à leur accorder. Je leur ai demandé pourquoi est-ce qu'illes avaient abandonné leur demande initiale, et pourquoi est-ce qu'illes n'avaient pas mit le gerrant à la porte avec le représentant syndical. Plusieurs m'ont expliqué que le gerrant actuel était un bureaucrate médiocre et accommodant, faisant ses tâches sans zèle et obéissant aux instructions comme les autres, tandis que le délégué syndical précédent était la véritable force derrière la gestion dure, l'individu le plus détesté et craint de l'usine. Le délégué syndical était un membre de la police politique et son véritable rôle était celui d'un gardien de prison. Aussitôt mit à la porte, tou.te.s les agent.e.s police de moindre importance parmi les travailleur.se.s ont disparu discrètement. Ainsi, la disparition d'un seul fonctionnaire permet d'éclaircir l'atmosphère et de créer une ambiance de liberté tel qu'elle n'avait jamais été vécue avant par la plupart des ouvrièr.e.s de l'usine. Je me suis fait dire que toutes les autres choses qu'illes pourraient faire aurait eu des conséquences mineures comparées à celle-ci ; et que maintenant qu'illes avaient retrouvé leur aptitude à agir en enlevant leur principale entrave, illes verront quels autres avancées sont maintenant rendues possibles par la situation. Derrière ce réalisme, j'ai perçu une très grande peur. En dépit de leurs doutes et de leurs précautions, ces travailleur.se.s ne sont pas les marionnettes que nous étions. Cette fois-ci, le projet est véritablement le leur. Je ne souhaite pas exagérer l'importance de ce qu'illes ont fait jusqu'à présent. Des grèves commencées par les travailleur.se.s ont été presque impossible ici lors des vingt dernières années, mais de telles grèves n'ont rien d'une nouveauté. Rien de nouveau non plus dans le fait de mettre à la porte un représentant syndical. Tout ce que je veux est de mettre l'accent sur la différence entre cet événement et celui dont nous avons fait l'expérience. Les forces en présence sont presque identiques. Un groupe de politicien.ne.s est en course pour une position de pouvoir. Les admirateur.ice.s journalistiques de ces politicien.ne.s leurs dessinent des auréoles et des couronnes, essayant hystériquement de stimuler des manifestations d'admiration pour l'une ou l'autre des cliques de raquetteurs. Professeurs et bureaucrates syndicaux vont d'une usine à l'autre essayant pathétiquement et sans relâche de générer des applaudissement pour l'une ou l'autre de ces panacées bureaucratiques. Chacun des groupes politiques essaye d'installer ses agent.e.s parmi les travailleur.se.s et de les stimuler pour manifester du soutien à l'une ou l'autre des parties de leur programmes. À l'inverse d'il y à vingt ans, les politicien.ne.s ne réussissent pas. Les discours sont applaudis et ignorés. Les travailleur.se.s invitent des conférencier.e.s, les vantaient, les applaudissaient puis discutaient entre elleux les prochaines étapes à suivre ; et celles ci étaient presque tout le temps diamétralement opposées à celles défendues par les intervenant.e.s qu'illes applaudissaient. Les travailleur.se.s que j'ai vu à l'usine n'appliquaient pas les directives des officiel.le.s mais exploraient et mettaient en place leurs propres désirs. J'y ai ressenti une impression de solidarité que je n'avais pas vécu il y à vingt ans ; une solidarité cimentée par de l'entraide à la place d'un soupçon mutuel. Ce groupe de gens m'a accueilli. À l’inverse de mon expérience d'il y a quinze ans quand le bureaucrate syndical m'a dit qu'il ne pouvait pas se permettre d'embaucher un saboteur condamné, celleux là m'on invité à les rejoindre avant même que je leur demande. Plusieurs m'on demandé si j'avais un autre boulot, et étant donné que je n'en avais pas, illes m'ont incité à « revenir. » Plusieurs postes avaient été libérés par la démission soudaine des agent.e.s de police qui s'étaient enfui.e.s quand leur chef s'était fait mettre dehors, de peur de la vengeance des autres travailleur.se.s. Je leur ai dit que j'allait y réfléchir et illes me répondirent qu'illes me garderaient une place. La possibilité même d'une telle invitation est probablement le plus gros changement de l'histoire de l'usine. Je ne me faisais pas embaucher mais inviter : la différence entre ces mots indique à elle seul les changements profonds en cours. On est embauché pour un emploi ; J'étais invité à prendre part à une expérience dont le contenu est encore inconnu. Pour ce qui est de celleux m'invitant, illes n'étaient ni propriétaires ni gerrant.e.s et encore moins des bureaucrates syndicaux mais des travailleur.se.s. Illes m'invitaient à les rejoindre dans une activité en train d'être transformée d'une routine épuisante en un projet, bien que personne ne sache vraiment comment. Ce que j'ai vu, entendu et ressenti représentait un rejet complet de notre expérience commune passée. Je suis désolé si cela semble cruel ou insensible. C'est comme ça que je te lis quand tu décris notre activité passé comme un projet dans lequel l'ensemble de la population s'est soulevé contre la soumission. Une description comme celle-ci est une parodie des événements réels. Ta description se réfère au moment où la population entière s'est immergée d'elle-même dans une soumission sans précédent. Elle ne commence à s'en sortir que maintenant, effrayée et affaiblie après vingt ans à se courber, sans pour autant se briser. Ce que ces travailleur.se.s sont à enfin questionner est tout ce qui leur a été imposé il y à vingt ans. Tout, à part les fonctions de l'usine en elle-même, ce que Jan Sedlak et ton ami Ron aurait certainement remis en question, mais pas toi ni moi ni Luisa. Illes discutaient de tout sauf la nature de leur activité ; une activité dans laquelle les gens vendeur leurs vies de manière a empaqueter la vie vendue à d'autres personnes. ; une activité qui incarne le cannibalisme de la monstruosité commerciale se nourrissant de vies humaines. Je n'ai aucune idée de si ces travailleur.se.s vont ou non prendre d'assaut la forteresse. S'illes le font, toi et moi n'auront pas contribué à cette lutte avec nos slogans sur l'autogestion par les ouvrièr.e.s de leurs propres usines. Avant de partir de l'usine, j'ai demandé aux travailleur.se.s si l'un.e d'entre elleux savait quoi que ce soit sur ce qui était arrivé à nos ancien.ne.s camarades. Plusieurs avaient entendu parler de trois de nos ami.e.s, mais étaient surpris.e.s d'apprendre qu'illes avaient travaillé à l'usine. Tu seras surement davantage surprise par ce que j'ai appris que je l'ai été. Le rêveur, et d'après toi un travailleur comme les autres, Marc Glavni est l'un des bureaucrates les plus importants de l'appareil étatique. Il a été au comité central de la planification étatique pendant plusieurs années. Illes ont trouvé mon ignorance plus surprenantes que j'ai trouvé la nouvelle. J'ai dû admettre que je ne lisais jamais les journaux. Illes étaient encore plus surpris.e.s quand j'ai demandé au sujet d'Adrian Povrshan. « Tu n'écoutes pas la radio non plus ? » me demanda quelqu'un.e. Je l'écoute de occasionnellement, mais apparement pas de manière très attentive. Notre ami Adrian, duquel tu dis qu'un esprit de libération s'étendait sur lui, donne fréquemment des discours à la radio et est l'un des politicien célèbre « du nouveau genre » m'a-t-on dit. Comme le vieux Sedlak, je ne peux plus faire la distinction entre les politicien.ne.s. Une femme connaissait aussi Jasna Zbrkova et cela m'a également beaucoup surpris, non pas parce que Jasna était aussi devenue riche et célèbre mais parce qu'elle enseigne dans l'école ou va Yara et vit dans mon quartier. J'aurais pu demander à Yara à son propos, et elle aurait pu demander à Yara de mes nouvelles. Je me suis précipité à l'école aussitôt sorti de l'usine. Quand Yara sorti de l'école, elle pensait que j'étais venu pour la raccompagner à la maison et était heureuse étant donné que je n'avais encore jamais fait ça. Je lui ai dit que je venais d'apprendre qu'une vieille amie à moi enseignait dans son école. « Est-ce que je la connais ? » demanda Yara. « Je suppose que oui, » j'ai répondu. « C'est Jasna Zbrkova. » « Oh, non pas elle ! » dit Yara, intensément déçue. « Elle était la dernière à nous rejoindre. Elle est restée en dehors de toutes les manifestations mise à part la dernière et ne nous a rejoint que la semaine dernière parce que c'est devenu à la mode. » J'ai vu Jasna sortir de l'école alors que Yara était encore en train de parler et je n'ai pas eu le temps de répondre à sa description parfaite. Je lui aurait alors dit « Oui, c'est bien elle ; C'est exactement la personne que j'ai connu. » Jasna avait l'air vingt ans plus vieille. Je ne pense pas que je l'aurai reconnue si je n'avais pas été là à la chercher. Elle semblait embarrassée de nous voir tout les deux. Elle salua Yara poliment, puis accouru pour m'embrasser et fondre en larmes. Avec une voix étouffée par ses sanglots elle dit « Dieu merci c'est enfin terminé ! » Me relâchant, elle a embrassée Yara en lui disant « Et merci à toi pour être la plus mature et la plus courageuse d'entre nous ! » Jasna a commencé à s'excuser abondement à Yara et à moi bien qu'aucun.e d'entre nous n'ai dit quoi que ce soit. Elle a admit avoir su depuis des années que Yara était ma fille et s'excusa pour n'avoir jamais dit à Yara qu'elle me connaissait. Elle savait pour ma libération et que j'étais à la maison. « Je voulais vraiment venir te voir, » m'a-t-elle dit. En se tournant vers Yara, elle continua : « De la même manière que je voulais vraiment prendre part aux deux premières manifestations Mais je suis restée en retrait. J'avais peur. J'étais en prison aussi, pas aussi longtemps que Yarostan, mais assez pour remplir le reste de ma vie avec la peur d'être arrêtée. » J'ai parlé à Jasna de ma correspondance avec toi et demandé si elle se souvenait de toi, Luisa et Sabina. « Je n'aurais pas pu plus les oublier que je ne pouvais t'oublier toi ! » dit-elle. « C'est parce que je me souviens de vous tou.te.s que j'ai commencer à me détester pour ma peur et ma lâcheté ; pour rester en retrait des élèves et des manifestations ; je me sentais comme si je trahissais non seulement les élèves mais aussi tout ce que et qui je n’avais jamais aimé. » J'ai demandé si elle était toujours effrayée de rendre visite à notre maison. « Si tu n'étais pas venu aujourd'hui, je serai venu te trouver, » répondit-elle. « Le sort s'est dissipé il y à une semaine. Je n'ai plus peur. Ce qui m'a empêché de venir hier ou le jour d'avant n'était non plus la peur mais l'embarras ; Je ne pouvais pas faire face à ta courageuse Yara ; et j'avais honte d'être aussi lâche. » Yara a pris la main de l'enseignante dans les siennes, apparement convaincue qu'elle avait mal jugée notre camarade. « Cette peur est si irrationnelle, si insensée et pourtant c'est celle qui nous tient comme si nous étions prisonnièr.e.s d'une boite, » expliqua Jasna. « Mais aussitôt que j'ai pris part à la manifestation d'il y à une semaine, cette peur s'est dissipée comme si j'avais tout d'un coup quitté la boite. C'était fantastique ! Comme au bon temps ! » Afin de savoir si elle était vraiment en train de dire ce que tu avais dit dans tes lettres, je lui ai demandé « Exactement comme au vieux temps ? » La même Jasna dont nous nous souvenons répondit, « Non, ce n'était pas vraiment comme à l'époque, c'était complètement différent. Ces enfants ont bien plus de courage que je n'en ai jamais eu. Je n'ai jamais rien fait à moins de penser que tou.te.s le monde faisaient de même. Les enfants ont commencé complètement par eux même alors que personne n'était de leur côté, alors qu'illes ne savaient pas ce qui pourraient leur arriver et que tou.te.s les officiel.le.s et enseignant.e.s étaient contre elleux. Et Yara était parmi les premièr.e.s. » J'ai demandé à Jasna si elle avait vu aucun.e des personnes que toi et moi avions connu. Elle m'a dit avoir vu Titus Zabran régulièrement au cours des années. Elle connaissait aussi des choses sur tou.te.s les autres et me promis de me raconter quand elle viendrait nous rendre visite. Tout ce qu'elle me dit sur elleux était « Qu'illes s'en sortaient tou.te.s mieux qu'elle. » Ce soir là, j'ai raconté à Mirna ma visite de l'usine et ma rencontre avec Jasna. J'étais décidé à accepter l'offre généreuse des travailleur.se.s et de retourner travaillée à la fabrique de carton. J'ai demandé à Mirna si elle quitterait son travail quand je commencerais le mien. Elle dit qu'elle n'y pensait pas une seconde. Quand j'ai parlé à Mirna de mes désirs intenses de rendre visite à un club nouvellement formé de prisonnièr.e.s politiques, elle répéta une nouvelle fois qu'une telle visite apporterait plus de soucis que ce que j'en retirerai. Par contre quand j'ai mentionné la réluctance de Jasna à nous rendre visite et ses raisons, Mirna dit « C'est une chose d'avoir peur de prendre part à une manifestation, et si Yara m'avait demandé la permission, jamais je ne lui aurait donné. Mais c'est une chose terrible d'avoir peur de rendre visite à de vieilleux ami.e.s. Elle était l'amie de mon frère ! Elle aurait dû venir me voir longtemps avant que tu ne sois libéré. » « Ne vois-tu pas que j'ai autant de raisons d'aller rendre visite à ce club de prisonnièr.e.s ? » j'ai demandé. Je ne cherchais pas tant à avoir sa permission qu'a calmer ses peurs. Mirna a été un jour aussi insoucieuse et aventurière que Yara ; mais deux décennies de « paradis » l'ont rendu craintive, prudente et résignée. Je suis allé au club de prisonnièr.e.s le jour d'après. J'avais l'impression de visiter les enfers des anciens grecs, un endroit ou les gens allaient après leur mort. Chaque personne se tournait pour regarder à chaque fois que quelqu'un.e entrait dans la pièce, et sur chaque visage la même expression : Est-ce un.e autre fantôme ou un.e ancien.ne ami.e ? Les nouvelles personnes entrant hurlaient de joie en permanence en reconnaissant leurs ancien.ne.s camarades. C'était très émouvant. Des hommes et des femmes, la plupart plus vieilles que moi criant les prénoms de gens qu'illes reconnaissaient soudainement. Des gens qui s'étaient rencontré.e.s en prison pleuraient, des gens qui ne s'étaient pas revu depuis vingt ans s'embrassaient, pensant chacun.e que l'autre était mort.e. Mais ce n'était pas l'œuvre d’Hadès Les personnes que je voyais étaient bien vivantes et exprimaient tou.te.s la même impression de soulagement que j'avais ressenti partout ailleurs : « C'est enfin terminé !» Il ne s'agissait pas d'esprits se rencontrant dans l'autre monde mais d'être vivant.e.s dansant sur une tombe ; une tombe contenant ce que tu appelles notre projet. Ces gens émergent enfin du sort de ce projet, se dégageant se son pouvoir, et tu fais partie des dernières encore en transe. Je ne suis pas resté comme un observateur externe à la cérémonie et suis devenu rapidement l'un des célébrant.e.s. « Yarostan ! » cria quelqu'un. Je ne l'ai pas reconnu. C'était un homme aux cheveux gris qui avait l'air d'avoir plus de soixante ans. Quand il m'a pris dans ses bras et m'a secoué afin de vérifier que j'étais bien en vie, j'étais extasié. Je l'ai reconnu. J'ai crié. « Zdenek Tobarkin ! » Je l'ai rencontré lors de mon premier séjour en prison. Il avait été un organisateur syndical. Je ne pensais pas qu'il était beaucoup plus vieux que moi, mais il avait mal vieilli. Il m'a brièvement raconté son expérience après sa sortie, qui était assez différente de la mienne. Il était sorti quelques mois après moi, et s'était aussi fait refuser par un bureaucrate syndical quand il avait essayé de récupérer son ancien boulot. Mais comme beaucoup de travailleur.se.s de son usine se souvenaient de lui, illes ont menacé de se mettre en grève s'il ne récupérait pas son poste. Ce qui s'est passé alors est inouï pour cette époque là. Les travailleur.se.s ont gagné, et Zdenek fut ré-embauché. Il m'a dit qu'il avait passé plusieurs semaines a essayer de me retrouver ; demandant même à un.e ami.e de chercher dans les dossiers du syndicat. Il rigola quand je lui dit que j'étais devenu Miran Sedlak, un paysan fraîchement débarqué. « Je me suis rendu de la maison au travail, puis de retour à la maison. L'unique chose extraordinaire que j'ai fait toutes ces années a été de venir dans ce club de prisonnièr.e.s » me dit-il. « Ce ne sont pas les prisons qui doivent être exposées. Partout ou il y à des prisons, elles vont être pareil. Ce qu'il faut exposer ce sont les activités qui ont mené les travailleur.se.s a tolérer l'emprisonnement de leurs camarades, d'accepter sas lutter la destruction la plus intégrale de leurs droits et une surveillance policière permanente. » Je lui ai demandé quelles formes ces expositions pourraient prendre et il me dit, « Je ne sais pas, mais je sais que ce sera la tâche la plus importante que j'aurai fait au cours de ma vie. » Mes opinions avaient été similaires à celles de Zdenek quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois. J'étais très heureux d'apprendre qu'il avait éprouvé les mêmes changements que moi et que nous partagions encore des points de vues. Il est aussi convaincu que moi que le genre d'activité dans lesquelles nous étions engagés quand nous nous sommes rencontrés sont à la racine de ces relations qui nous ont enchaînées. Il s'agît précisément de l'activité qui est devenu pour toi l'étalon avec lequel tu mesures tes pratiques actuelles. Tu t'es intoxiquée de cette expérience et tu t'offenses de mes tentatives d'en comprendre la nature. Mais si l'on refuse de voir où est-ce que ça nous a mené, nous pouvons difficilement éviter d'en reproduire les mêmes résultats encore et encore. Si nous avons à éviter ce résultat, nous devons confronter les éléments qui y mènent, les exposer, déraciner, les enterrer. S'il-te-plait comprend bien que je ne suis pas en train d'élaborer un argumentaire à jeter sur toi ou Luisa. Je m'efforce à décrire un processus dans lequel pas seulement Zdenek et moi sont engagés, mais aussi la plupart des gens autour de nous. Ce processus est une examination minutieuse des racines de notre soumission. Si je trouve que mes propres activités passées en font partie, alors je dois exposer cette activité avec les autres racines. J'ai d'abord rencontré Zdenek en prison environ un an après notre arrestation. Au cours d'un repas, j'ai commencé à écouter une discussion qui avait lieu de l'autre côté de la table. Quelqu'un a dit qu'avait la guerre, le syndicat s'était battu pour les intérêts des travailleur.se.s en leur garantissant une part du produit social. Quelqu'un d'autre a dit que les syndicats avaient toujours été des instruments dociles aux mains des segments les plus influents de la classe dirigeante, et que nos syndicats d'état nouvellement mis en place ne sont différents des autres qu'en degré mais pas dans le fond. Un troisième, Zdenek, argumentait qu'aussi bien les organisations d'avant-guerre que celles d'après le coup n'appartenaient pas aux travailleur.se.s mais étaient des organisations capitalistes au sein de la classe ouvrière. Il disait qu'un véritable syndicat devait être un instrument d'appropriation des forces productives de la société par les travailleur.se.s ; et qu'une organisation consistant en des racketteur.euse.s s'enrichissant elleux même en vendant la force de travail des travailleur.se.s ; et assistant la police à discipliner les travailleur.se.s n'en était pas une. Dans l'argumentaire de Zdenek, je reconnaissait ce que j'avais appris de Luisa et j'ai cherché des opportunités de lui parler. Nous avons parlé pendant plusieurs mois continuellement lors des sessions d'exercice et pendant les repas. Il était fasciné par ma narration des expériences de Luisa ; et il vit dans ma description de ces événement une réflexion de ses propres activité en tant qu'organisateur syndical. Zdenek a été actif dans les politiques syndicales avant la guerre dans la même usine où il travaille encore aujourd'hui. Pendant la guerre, il a été membre d'une organisation de résistance, et après il s'est retrouvé à un poste mineur dans la bureaucratie syndicale. Il ne s’épuisait jamais à m'expliquer que, alors qu'il s'y identifiait à l'époque, il ne prenait sa fonction au sérieux que par respect respect vis-à-vis des demandes des travailleur.se.s, se battant pour des augmentations de salaire, des améliorations des conditions de sécurité et conditions de travail ; sans prendre au sérieux les directives venant de la hiérarchie concernant la discipline de travail et la productivité. Sa première grande implication politique coïncidait avec la tienne et la mienne, mais à l'inverse de toi et moi, Zdenek était un membre de la bureaucratie syndicale. Il prenait au sérieux la propagande étatique à propos de dangereux cercles réactionnaires qui menaçaient de priver les travailleur.se.s de leurs droits et d'instituer un régime militaire répressif. Il s'est engagé dans la lutte officielle pour neutraliser ces cercles en mobilisant les travailleur.se.s pour des manifestations et des grèves. Il savait que les travailleur.se.s n'étaient pas à l'initiative des grèves et manifestations étant donné qu'elles étaient des instructions qui lui avaient été donné par les officiel.le.s syndicaux.lles. Mais il n'a pas remis en question son rôle, et était convaincu qu'il y avait une menace à écarter et que les grèves et manifestations étaient des réponses appropriées. Zdenek a lancé la grève dans son usine, appelée pour expulser le gerrant de l'usine et était là pour accompagner la délégation qui l'a réalisée. Il en était devenu critique au moment ou il me l'avait d'abord raconté, mais me communiquait l'enthousiasme qu'il avait ressenti au moment des événements. Il s'est rendu au congrès des conseils ouvriers en tant que délégué officiel de son usine. Je me souviens qu'il m'a dit « Des centaines de délégué.e.s sont arrivé.e.s. Nous avons décidé de déclarer une grève générale, et seulement dix votes ont été enregistrés contre. » Si je ne m'en souviens pas de son récit mot-pour-mot, son résumé de l'expérience était très similaire au tien, la considérant comme la plus belle expérience de sa vie « Ces événements ont relâché une vague de satisfaction, d’enthousiasme et d'initiative à travers la population ouvrière : Enfin, nous allions pouvoir gérer nous même nos propres affaires ; enfin le peuple étaient les maître.sse.s et personne ne serait plus capable d'exploiter nos efforts pour leur propre gain, personne ne serait plus capable de nous tromper, de nous vendre à nos ennemi.e.s ou de nous trahir. » Il est resté enthousiaste quand, au moins en apparence, des travailleur.se.s armé.e.s ont occupé les stations de radio, les bureaux de poste et de télégraphe, les gares ferroviaires. Quand des comités d'action et des milice ouvrière sont apparues dans chaque usine, et chaque institution publique, il pensait que la communauté des travailleur.se.s était née. Zdenek n'a commencé à avoir des doutes que lorsqu’il s'est fait virer de son poste syndical. Un nouveau conseil de l'usine avait été nommé et il n'en faisait pas partie. Lui même n'avait jamais été élu, mais s'était fait mettre en place par des politicien.ne.s issu.e.s de la résistance et il n'avait jamais questionné son propre droit au poste qu'il avait occupé. Alors qu'il racontait ça, il ressentait l'amertume de n'être devenu critique de sa propre imposture qu'au moment ou il se faisait remplacer. Zdenek était exclu parce qu'un conseil syndical temporaire s'était nommé lui même comme organe dépassant hiérarchiquement le conseil de l'usine ; et ce groupe temporaire se composait exclusivement de travailleur.se.s qui avaient été membre d'une organisation : Le parti gouvernemental. Ce groupe temporaire s'est ensuite mis à mettre en place un nouveau conseil d'usine constitué de travailleur.se.s qui étaient ou avaient été membres du même parti, ou au moins des sympathisant.e.s enthousiastes. Zdenek était populaire parmi les travailleur.se.s pour sa défense constante de leurs intérêts en tant que travailleur.se.s, mais il était également connu comme critique du parti gouvernemental. Le conseil d'usine nouvellement mis en place a ensuite procédé au vote pour élire un nouveau conseil syndical, y confirmant les mêmes individu.e.s précédemment placés là par le conseil de l'usine, et par cette manœuvre le statue du conseil syndical se retrouvait légitimé en tant qu'instance hiérarchiquement supérieure au conseil d'usine, et donc à même de nommer les membres de ce dernier. Zdenek s'est lancé dans une campagne solitaire pour exposer ces machinations, mais son effort n'eut aucun effet. Les travailleur.se.s qui le connaissaient lui faisaient des clin d'œil au fait n'avait pas tant fait d'histoire quand il était lui même une créature placée là par des politicien.ne.s. Il l'avait toujours su mais n'avais pas fait grand chose pendant les années où il avait fait partie de la machination. Au moment où je l'ai rencontré, il ne pouvait pas se taire sur la nature fallacieuse de la victoire ouvrière ou le caractère orchestré des grèves et manifestations. C'est de Zdenek que j'ai appris que l'initiative pour ces événements n'était pas venue des travailleur.se.s et que l'enthousiasme était stimulé artificiellement par des bureaucrates aguérri.e.s, que les instructions venaient du haut de la hiérarchie politique jusqu'à la base. Dans ma dernière lettre j'ai essayé de résumé ce que j'avais appris de Zdenek mais ta description des marionnettes et marionnettistes me fais me rendre compte que j'ai échoué à communiquer ce que j'ai découvert. Les descriptions de Zdenek étaient pleines de détails net, ayant lui même joué son rôle dans la stimulation de cette enthousiasme artificiel, il était intimement familier avec la manière dont ça avait eu lieu et savait pertinemment comment les décisions de manifester et se mettre en grève avaient été prises. Je me souviens encore de chaque détail de ses descriptions. Plusieurs jours avant une réunion syndical prévue, il s'était fait informer par un secrétaire local du parti gouvernemental que plusieurs usines se déclareraient en grève ce jour là, en opposition aux manigances des cercles réactionnaires. Puisque Zdenek était heureux d'apprendre ça, les prenant pour des réponses appropriées à une menace réelle, il fût le premier à prendre la parole le jour de la réunion pour parler en faveur d'une mise en grève. Trois ou quatre autres on suivi avec des discours également en faveur de la grève, et quelques minutes après le dernier, la décision de grève était acclamée unanimement. La décision qui avait été transmise à Zdenek par le secrétaire de l'organisation locale avait aussi été transmise par ce même secrétaire aux trois autres qui avaient pris la parole en sa faveur. La décision avait de toute évidence été transmise au secrétaire local par le secrétaire régional étant donné que celui-ci n'aurait pas autrement pu savoir à l'avance que plusieurs autres usines allaient prendre des décisions identiques le même jour. Quand la grève éclata dans presque toutes les autres usines au début de la journée, il était clair qu'aucune de ces grèves n'étaient des gestes spontanés de solidarité, et évident que la décision venait d'encore plus haut, du secrétaire général de l'organisation qui était à l'époque en compétition pour le rôle de premier ministre. La décision venait du sommet de l'appareillage étatique et en la transmettant, Zdenek avait été un agent de l'état. C'est seulement après son arrestation que Zdenek a réalisé que toutes les manifestations et grèves, toutes les démonstrations de force par des travailleur.se.s en armes avaient la même origine, et c'est à ce moment là qu'il a perdu tout enthousiasme pour les événements qui venaient d'avoir lieu. Les milices ouvrières et les comités d'action, qu'il avait jusqu'alors vu comme des excroissances des travailleur.se.s armé.e.s, spontanément créé par les travailleur.se.s comme des instruments de lutte et d'auto-défense, étaient composés exclusivement de travailleur.se.s qui avaient longtemps été membres de cette même organisation qui venait de le sortir de son poste. En prison, il réalisa que les membres de cette organisation avaient réussi a devenir le seul corps armé dans chaque usine et institution publique. Puisque la police était alors sous le commandement de cette même organisation, le rôle des comités d'action, milice et tout autre groupe de travailleur.se.s en arme était d’agir comme leurs adjoint.e.s. Il se rendait compte que l'ensemble du mouvement de travailleur.se.s armé.e. n'avait pas constitué une communauté ouvrière mais un dense réseau policier, et que des ensembles entiers de la classe ouvrière s'était fait recruter par la police ; que sous la bannière de l'auto-émancipation de la classe ouvrière, des travailleur.se.s s'étaient attaqué à d'autres et en avaient arrêté. Ce dont Zdenek se rendait compte c’est qu'il avait joué son rôle non pas dans la victoire du mouvement des travailleur.se.s mais dans sa défaite la plus totale. Ce qui l'affectait encore plus était la réalisation que cette défaite avait détruit l'ensemble des victoires des décennies précédentes de ce mouvement : les activistes qui s'étaient battu.e.s pour les demandes des travailleur.se.s étaient tou.te.s emprisonné.e.s ; les ouvrièr.e.s ont perdu leur droit de grève ou la possibilité de former des organisation indépendantes. Bien qu'il ai aidé à infliger cette défaite, en tant que membre de l'appareil syndical, il ne comprenait pas encore, au moment de nos discussions, le rôle que ses activités en tant qu'organisateur syndical avaient eu dans cette défaite. Son point de vue était identique aux positions que Luisa maintient encore aujourd'hui. Il ne se blâmait lui-même que marginalement et encore seulement pour son aveuglement ; il accusait des éléments extérieurs pour la défaite, défendant que les véritables syndicats ouvriers avaient été transformé en syndicats fantoches, que le véritable mouvement ouvrier avait été remplacé par un simili-mouvement fait de politicien.ne.s et de bureaucrates. Les politicien.ne.s avaient infiltré les syndicats ouvrier et les avaient détruits de l'intérieur ; illes en avaient pris le contrôle et les avaient fait dérailler le véritable mouvement ouvrier. Zdenek ressentait qu'il avait été, avec le reste des travailleur.se.s, trahi. À la place de prendre le pouvoir dans les usines et de les diriger elleux même, les travailleur.se.s avaient remplacé Zagad, seulement pour se retrouvé aux ordres d'un Gengis Khan. Illes avaient réussi à prévenir une dictature policière et militaire imposée par des cercles réactionnaires qui se sont plus tard révélés n'avoir jamais été que de pures inventions de propagandistes, et se sont retrouvé encerclé par des soldats et des policièr.e.s dans une police immensément étendue qui incluait d'ancien.ne.s ami.e.s, d'autres travailleur.se.s, membres de la famille ou du voisinage dans ses rangs. Tout au long de sa peine de prison, Zdenek est resté convaincu qu'il restait un vrai mouvement ouvrier encore actif, que les travailleur.se.s pouvait encore rendre vie à leurs syndicats, que tout ce qu'illes avaient à faire était d'en dégager les éléments étrangèr.e.s qui les avaient infiltré. À la fin de sa peine il était tout autant un missionnaire que je l'avais été. Il était sorti de prison avec l'enthousiasme des premiers organisateur.ice.s syndica.ux.les. Sa mission était d'exposer ce que les travailleur.se.s ne savaient pas, qu'illes avaient été dupé.e.s, que les agent.e.s de l'état et les raquetteur.se.s avaient pris le pouvoir dans leurs syndicats et fait en sorte qu'ils servent leurs propres dessins. Il était tout aussi convaincu que toi et Luisa que ses expériences passées, ses intentions et espoirs étaient des bases préliminaires pour entreprendre des relations avec d'autres. Son objectif était de retourner à la lutte telle qu'elle avait été avant que ces forces extérieures ne la fasse dérailler de son cours par une défaite temporaire. Zdenek était toujours amer à propos du fait qu'il n'avait pas commencé à re-examiner son passé jusqu'à ce qu'il perde son poste syndical. Même lorsque je lui parlais il y à seulement quelques jours, il insistait qu'il serait toujours un bureaucrate syndical s'il ne s'était pas fait renvoyer il y à vingt ans et qu'il n'aurait toujours pas développé de sens critique s'il avait continué à accomplir ses fonctions officielles. Il admet qu'il aurait tôt ou tard été sorti de l'appareil parce qu'il aurait continué à utiliser sa position pour avancer les intérêts des ouvrièr.e.s à chaque fois que c'était possible. Mais il dit que si l'appareil avait été assez flexible pour lui permettre au moins de faire ça, il ne se serait jamais retourné contre celui ci de lui-même. Quand je l'ai rencontré pour la première fois, sa critique était similaire à la tienne. Ses espoirs et projets en tant qu'organisateur syndical formaient encore la base de son engagement et il n'avait pas essayé de réexaminer la nature de ses activités précédentes. Il défendait le syndicat, non pas uniquement comme instrument par lequel les ouvrièr.e.s pouvaient s'approprier les forces productives, mais aussi comme le seul instrument apte à cette tâche. Il rejetait les conseils et toute autre forme d'organisation ouvrière. Il ne faisait pas de distinction entre les véritables conseils et ceux d'apparat, considérant que tous pouvaient être manipulés par n'importe quel groupe de politicien.ne.s bien organisé.e.s. Il insistait que les conseils étaient par nature des organisations locales alors que les syndicats étaient des organisations de masse et donc moins susceptibles d'être utilisées par un groupe extérieur. Il maintenant ces positions en dépit du fait qu'il avait vu un groupe politique utiliser les conseils aussi bien que les syndicats comme instruments avec lesquels illes avaient détruit tout ce que Zdenek avait lutté pour bâtir. Quand j'ai revu Zdenek au club de prisonnièr.e.s il y a quelques jours, il avait changé d'avis sur pratiquement tout ce qu'il avait défendu quand l'on s'était rencontré. Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour lui parler parce qu'il s'est impliqué dans un débat assez mouvementé qui dura la plupart de la soirée. Nous avons échangé nos adresses et nous sommes mis d'accord pour qu'il me rende visite dans un futur proche. J'ai appris de ses arguments qu'il en était arrivé à des conclusions similaires aux miennes aujourd'hui. Le débat a commencé quand un vieil homme a entendu Zdenek me dire que « Le même langage que nous avions à un moment utilisé avait à être démystifier ; des concepts comme mouvement ouvrier, syndicats, populaire qui devraient être abandonnés jusqu'à ce que l'humanité se régénère d'elle même et sache ce qu'elle entend par là. » « Ça semble là un projet bien ambitieux mon ami, et ça requiert des ressources organisationnelles qui ne nous sont pas disponibles aujourd'hui, » dit l'homme. J'appris plus tard qu'il avait, fût un temps, été un politicien, et qu'il avait été arrêté en tant que membre d'une organisation fictive d'opposition, et était un enseignant dans une école élémentaire depuis sa sortie. Zdenek se tourna vers l'homme et éclata ; « Des ressources organisationnelles sont bien une chose dont nous n'avons pas besoin ; Ce sont encore d'autres mystifications. » « Je ne te comprends pas, » dit l'enseignant. « Des concepts comme le mouvement ouvrier et syndicat ont été transformés en des synonymes du mot État. Ils doivent être démystifiés, et leur sens véritable doit être restauré. Cela requiert une forme ou une autre d'organisation, ou au moins une activité d'édition. » « Ce n'était pas ce que j'entendais par là, » dit Zdenek, « Ces concepts n'ont aucun sens véritable. Peut-être que démystification n'est pas le bon mot. Peut-être que l'on doit tout simplement s'en débarrasser. Chacun de ces concepts et un grand nombre d'autres, incluant le mot organisation se réfèrent à leurs opposés. Prends le mot syndicat. Il se réfère à la fois à l'ensemble des ouvrièr.e.s et aux politicien.ne.s qui parlent en leur nom. C'est exactement la même sorte de concept que le bien-être commun, qui semble se référer à l'ensemble des êtres humain.e.s et au monde qu'illes partagent quand dans la pratique il se réfère uniquement aux monarques qui ont dominé les êtres humain.e.s à travers l'histoire. » « Je suis d'accord avec toi, » dit l'enseignant. « Il n'y a pas de doute qu'une quantité innombrable de concepts ont été distordus au delà de toute reconnaissance. Mais tu ne peux pas nier qu'une forme ou une autre d'activité organisée est nécessaire pour combattre cet effet ? Je ne veux pas parler d'une organisation d'expert.e.s ou d'un cercle d'intellectuel.le.s. Je parles d'une organisation transformant le langage en transformant la réalité elle même ; comme les organisations ouvrièr.e.s du passé, conseils, syndicats, et autres formes que les travailleur.se.s ont trouvé utile au cours de leur lutte. » Zdenek haussa le ton. « Ces organisations n'ont jamais été utiles aux travailleur.se.s. Autant les syndicats que les conseils n'ont été utiles qu'aux politicien.ne.s. Toutes ces formes dont tu parles n'ont fait que permettre à ces politicien.ne.s de se faire les représentant.e.s des travailleur.se.s, et donner corps au mouvement ouvrier. Tu n'as pas du comprendre ma comparaison avec un bien-être commun, les monarques syndicaux parlent pour, dominent, répriment et vendent leur sujet.te.s. » « Bien sûr que c'est vrai aujourd'hui, mais... » Zdenek interrompit l'enseignant en criant que « C'est vrai à n'importe quel moment ou les travailleur.se.s perdent le contrôle du langage qu'illes utilisent, quand leurs pensées même sont remplies de concepts qu'illes ne comprennent pas, des concept comme organisation ! » « Mais c'est ridicule, » objecta l'enseignant. « Tu sembles vouloir que chaque génération détruise le langage et s'en invente un nouveau à elle. » « Peut-être que c'est exactement ce que je veux, » dit Zdenek. « Pour les gens de détruire le langage aussi bien que l'ensemble des conditions dans lesquelles illes naissent ; que chaque génération donne forme à son propre monde et invente son propre langage. Comment pouvons nous parler d'une révolution dans laquelle les gens changent la forme de leur monde si l'on ne peux même pas imaginer des gens changer la forme de leur langage ? Comment des gens peuvent donner forme à quoi que ce soit s'illes ne quittent jamais le monde dans lequel illes sont né.e.s ? » « Comment peux-tu ne serait-ce que que communiquer avec des gens si tu refuses d'utiliser leur langage ? » demanda l'enseignant. « Penses-tu communiquer quoi que ce soit quand tu utilises ce langage ? » demanda Zdenek. « Bien sûr, il y à un cercle vicieux dans ce problème de communication, mais ce n'est pas aussi fermé que tu le laisses entendre, » dit l'enseignant. « Je suis de toute évidence au fait que le langage d'une époque exprime les idées de sa classe dominante, mais cela n'a jamais voulu dire qu'il était donc impossible d'y trouver du soutien pour une lutte contre cette classe dominante ; et ça ne veux pas dire qu'une organisation révolutionnaire disciplinée doit en permanence se retrouver piégée dans ton cercle vicieux. » « Ça ne l'a pas toujours été ? Vraiment, jamais ? » demanda Zdenek. « J'ai l’impression que ça a toujours été le cas. Les organisateur.ice.s même d'une telle lutte sont les instruments qui restaurent la classe dominante. Qu'il s'agisse d'une question de syndicats ou de conseils ou de mouvements ouvriers, le langage même des organisateur.ice.s concrétise déjà les relations entre dominant.e.s et dominé.e.s, relations de dominations et de soumission. Que diable penses-tu que soutiens et discipline veulent dire ? » « Je te remercies de ne pas identifier mes mots avec ceux des politicien.ne.s au pouvoir, » insista l'enseignant. « Je parle là d'opposition à l'ordre dominant. » « Tu parles de soutenir les politicien.ne.s qui dirigent l'organisation, » insista Zdenek. « Quand je soutiens les politicien.ne.s qui dirigent les organisations, je fais de leurs ennemi.e.s les mien.ne.s, je me méfie de leurs ennemi.e.s et à la fin, je deviens reconnaissant à la police pour liquider ces gens qui n'ont jamais été mes ennemi.e.s, mais des ennemi.e.s des chef.fe.s de l'organisation. Tu parles de l'ordre dominant et non de son opposition. » Alors que Zdenek parlait, je me remémorais à nouveau les soupçons de Claude sur George Alberts il y a vingt ans. Tu as beaucoup insisté sur le fait qu'Alberts était une personne étrange et ce n'était donc pas surprenant si des gens se méfiaient de lui. Les soupçons de Claude, ou les miens n'avaient rien à voir avec la personnalité d'Alberts ou ses actions. J'en arrivais à la même conclusion que Zdenek. Mes soupçons illustraient le fait que j'étais, comme Claude, devenu l'instrument des autorités, et que j'en étais venu à penser leurs ennemi.e.s comme les miens. Le fait qu'Alberts avait des défauts n'a rien avoir avec le fait que Sabina ai eu une idée exagérée de ses vertus Ça n'avait rien à voir avec les soupçons de Claude ou les miens. Qui était Alberts pour moi ? Tout le monde dans la pièce écoutait le débat et Zdenek criait. Je ne sais pas combien de personnes étaient d'accord avec ce que Zdenek disait, mais je sais que tou.te.s comprenaient ce qu'il voulait dire. Il maudissait le rôle qu'il avait joué dans l'établissement du système dominant. « Quand tu parles de soutien, tu ne fais que parler d'obéissance, » continua Zdenek. « Quand tu parles d'une organisation disciplinée, tu parles de gens qui transmettent les instructions du haut vers le bas. » « Dans les conditions historiques présentes, il est impossible de renverser un ordre social dominant sans discipline ni organisation, » objecta l'enseignant. « Mais mon bon ami, » cria Zdenek, « Ne vois-tu pas qu'il est impossible de renverser un ordre social dominant avec de l'organisation et de la discipline ? Que tout ce dont tu parles est la remise au pouvoir d'un ordre dominant, et non son renversement. Nous commençons par combattre, non pas pour nous même mais pour l'organisation, et nous finissons par nous méfier les un.e.s des autres et nous battre entre nous, et à la fin, ce n'est ni ta volonté ni la mienne qui détermine les décisions prises, mais celle de l'état : Elles sont prises au final non pas par toi et moi mais par un organisme central de la volonté de l'état : la police ! À ce moment là nos milices ouvrières, nos conseils syndicaux et nos comités d'actions ont cessé d'être des instruments pour renverser l'ordre dominant pour devenir des instruments de l'état pour notre répression. À ce moment là nos engagements initiaux nous sont revenus à la figure sous la forme d'engagements de l'état. » « Bien sur que c'est ce qui s'est passé ici, » admis l'enseignant. « Mais ce qui s'est passé ici était du à des conditions historiques très spécifiques que tu laisses complètement hors de ton récit. Tu oublies que la clique au pouvoir a fait une grande utilisation de ruse et de discours ambigu pour garantir la stabilité de leur pouvoir et que c'est en grande partie grâce à ces ruses qu'illes se sont accaparées les organisations ouvrières des travailleur.se.s pour les transformer en leur propres instruments. » « Je ne pense pas que ce soit aussi simple, et je ne pense pas que ruse soit le bon mot, » dit Zdenek. « Ruse suggère une relation à sens unique, et ce dont j'ai fait l'expérience allait dans les deux sens. Je suppose que tu faisais partie de celleux qui ont aidé la clique actuelle au pouvoir... » « Oui, mais... » Zdenek lui coupa la parole en disant, « Moi aussi. Et je ne me souviens pas non plus d’avoir pensé être dupé par celleux au dessus de moi, ou que ma tâche ai été de duper celleux d'en dessous. Et toi ? J'ai transmis les instructions et attendu pour que le monde change, pour que les usines se transforment, la disparition de l'état, pour l'effondrement du capitalisme. Et qu'est-ce que je faisais pour faire en sorte que ça arrive ? Je transmettais des instructions. Qu'est-ce que tu faisais ? » « Bien sûr... » « Bien sûr, » dit Zdenek en l’interrompant à nouveau. « Ne le faisions nous pas tou.te.s ? Est-ce que j'étais la victime d'une ruse ? Non. J'étais parfaitement au courant de ce qui se passait. Je transmettais des instructions, la personne suivante les transmettait encore plus loin, et éventuellement on les transformaient en actions. Pour ce qui est des usines, de l'état ou du capitalisme, je supposais comme chacun.e autour de moi que d'autres allaient s'en charger si je prenais soin de faire la tâche qui m'avait été confiée. Et qui s'en chargeait pendant que je transmettais mes instructions ? L'organisation, bien entendu ! Les conseils ! Le syndicat ! Le mouvement ouvrier ! Je suis démuni mais l'organisation est toute puissante ! Son pouvoir et son efficacité étaient constamment vérifié. Te souviens-tu de ce qui faisait la preuve du pouvoir de l'efficacité et de l'organisation ? L'efficacité avec laquelle elle se débarrassait de ses ennemi.e.s. Un ici, une autre là, parmi nous ! L'organisation se débarrassa des deux. Dieu merci l'organisation savait comment les reconnaître ! Dieu merci l'organisation les fit disparaître ! Dieu merci l'organisation sait ce qu'elle fait et sait comment mener à bien mes buts ! L'organisation se débarrassera de l'empereur, des capitalistes, de l'état, de la police et instituera un monde nouveau à leur place. Tout ce que j'ai à faire est d'obéir à mes instructions et rester à mon poste. » À ce moment là de la tirade de Zdenek, je pensais aux commentaires que tu avais fait dans ta lettre. Toi et moi, n'avions après tout fait que porter des pancartes au moments et aux endroits donnés, pensions nous que nos promenades avec ces pancartes mettraient à mal l'ordre dominant ou que c'est avec nos mouvements que nous allions construire un nouveau monde ? Et si nous n'étions pas en train de détruire le vieux monde et d'en construire un nouveau par nos actes, alors qui le faisait ? Je suis convaincu que nous faisions parti de celleux décrit.e.s par Zdenek. « C'était la même chose partout tout au long de l'organisation. La classe ouvrière s'était soulevée, les travailleur.se.s bougeaient. Mais nous regardions tou.te.s vers le haut pour voir du mouvement. Pour nous tout.e.s, seul le sommet bougeait, ses mouvements confirmés par des actes de répression. Nos ennemi.e.s se faisaient rafler et la défaite de ces ennemi.e.s était notre victoire, notre seule victoire. Bientôt, nous pensions que la victoire sur ces ennemi.e.s était la victoire ultime. Mais où étions nous allé.e.s et d'où étions nous parti.e.s ? Ne nous rendions nous pas compte que les ennemi.e.s que nous avions écrasé n’avaient jamais été nos ennemi.e.s ? Avions nous oublié que l'ennemi que nous avions commencé à combattre était la situation dans laquelle nous étions né.e.s ? Cette situation est demeurée intacte et pourtant nous avons fait l'expérience d'une victoire. Une victoire contre des ennemi.e.s. Lesquel.le.s ? Pas les mien.ne.s. Des groupes hostiles aux vainqueurs ont été écrasé, et quand le dernier fût rayé de la carte, et et la victoire proclamée, nous nous sommes retrouvé.e.s face à la même police, qui venait de liquider ces ennemi.e.s. La seule chose que notre lutte pour la libération ne nous apporta pas fût notre libération. La police étaient les seul.e.s vainqueurs. Nous n'avons jamais retrouve nos pouvoirs perdu, nous ne sommes pas devenu.e.s des êtres commun, nous n'avons pas même commencé à communiquer les un.e.s avec les autres, et nous ne nous sommes pas constitué déterminant ses propres relations, son environnement, sa direction. Tu ne peux pas me dire que j'ai été dupé. J'étais pleinement conscient. Si j'ai été dupé, alors je me suis dupé moi-même. Personne ne m'a rusé. J'ai moi-même combattu pour la victoire des entités qui me tenaient dans leur poigne, les syndicats, les conseils ouvrier, le mouvement, ces entités qui ont autant en commun avec la vie humaine que les saint.e.s et les anges. Ces mots... » Cette fois-ci, l'enseignant interrompit Zdenek. « C'est l'analyse nihiliste la plus consistante que j'ai jamais entendu. D'abord tu identifies les organisations ouvrières avec la police et ensuite tu prétends que les syndicats et les conseils sont des organisations religieuses. » « Précisément, » dit Zdenek. « Ce que tu appelles organisations ouvrières ne sont que des mots. Syndicats, conseils, mouvement. Ce sont des mots sur les banderoles portées par des opportunistes, raquetteurs et gangsters aussi bien que des inquisiteur.ice.s et bourreaux. Nous, toi, moi et probablement la majorité des personnes dans cette pièce ont à un moment ou un autre marché avec ces banderoles ; on a fourni le nombres, le masque qui a permis à ces chef.fe.s de gang de s'appeler syndicat, conseils, mouvement ouvrier. Grâce à notre discipline et notre soutien aux syndicats et les politicien.ne.s sont devenu une seule et même entité, et la lutte pour la construction d'un monde nouveau est devenue synonyme de la prise de pouvoir de ces raquetteur.se.s politiques. En soutenant ces inquisiteur.ice.s et geolièr.e.s nous sommes devenu.e.s des êtres démuni.e.s et dociles, tout au plus de la chair à canon dans leurs luttes. Nos représentant.e.s étaient les seul.e.s à pouvoir agir. Nos propres actions indépendantes sont devenues impossibles et inconcevables. Appelles-ça comme tu veux. Notre rôle était de réintroduire la religion dans un monde quand elle était en train de mourir. Nous avons aidé des êtres humain.e.s à se vider de leur humanité. Nous avons aidé à transformer leur humanité en une image, un mot que nous gardions en tête, délogeant le potentiel réel des gens de leurs actions pour les mettre dans les têtes de prêtres.se.s. Tu m'as parfaitement compris. Syndicat, conseil, mouvement. Tous nos mots préférés sont devenu synonymes du paradis. Nous ne l'avons jamais vu. Tout ce que nous avons vu était les chasses aux sorcières, les purge et nous remercions ces pouvoirs paradisiaques pour liquider les êtres imaginaires que nous connaissions comme les seuls démons qui nous oppressaient. » Il ne m'était pas difficile d'imaginer les expériences qui ont mené Zdenek à ces conclusions. Elles avaient du être similaires aux miennes. L'ensemble de ce qui constituait notre environnement en prison était rempli d'indices que nous échouions à comprendre. Nous ne regardions ni n'écoutions. Nous étions envouté.e.s par ces images que nous transportions dans nos têtes. Nous échouions a comprendre le sens des murs, des gardes ou des interrogatoires, et nous échouions à en tirer des conclusions tandis que nous faisions l'expérience de ce qu'un être humain devenait quand il avait un pouvoir absolu sur un.e autre. Zdenek et moi étions ensemble pendant le début de mon premier emprisonnement. Mon expérience après notre séparation aurait du me faire ré-examiner mes engagements précédents, mais ce ne fut pas le cas à ce moment là, ni pendant les quatre ans après ma première sortie. J'en suis sorti avec un point de vue presque identique au tien ou à celui de Luisa maintenant. Peu après ma sortie, quand Jan Sedlak m'accusait d'exagérer l'importance de mes idées claires et distinctes, tandis que je me défendais avec des arguments proches des tiens maintenant. À un moment dans ta lettre, tu dis que je t'ai donné l'impression de me considérer comme plus observateur et instinctif que toi. L'opposé est vrai. Je m'en suis tenu à des conclusions similaires aux tiennes tout en ayant vécu des expériences qui les minaient complètement, n'étant ni observateur, ni instinctif. J'étais aveugle. Je n'explore le sens de ces expériences que maintenant, presque vingt ans plus tard, et beaucoup de ces impressions sont formulées pour la première fois en réponse à ta lettre. Pendant les quatre années de ma première détention, j'avais l'impression d'être deux personnes différentes : l’un d’eux voyait, entendait et ressentait les événements qui avaient lieu, l'autre répondait comme s'il était sourd et aveugle. J'ai gardé en mémoire mes expériences de la prison, mais mon comportement et mes opinions n'en ont été affectés que bien des années plus tard. Mes expériences pendant les premières semaines après mon arrestations étaient à bien des égards similaires aux tiennes après ta sortie de prison et ton émigration, quand tu t'es retrouvée seule dans un environnement hostile. J'étais un étranger dans un monde que je ne pouvais comprendre. Les autorités carcérales me semblaient appartenir à une autre espèce. Elles étaient cruelles, sadiques, arbitraires, elles m'étaient incompréhensibles. Ces brutes et ces sadiques n'étaient pas mes pair.e.s, et n'étaient en rien similaires aux personnes avec lesquelles j'avais partagé mes espoirs et mes projets. Ce n'étaient pas des personnes avec qui je pouvais communiquer. J'était remplis de colère en apprenant qu'un grand nombre des gardes avaient eux-mêmes été prisonniers pendant la guerre et que leurs pratiques les plus vicieuses leur venaient de leurs propres geôlliers. Mais l'impression que ces geôlliers étaient d'une espèce différente ne m'est pas restée. Beaucoup de gardiens avaient été prisonniers et beaucoup de prisonniers avaient été gardes. J'ai bientôt rencontré des prisonniers qui avaient eu des postes d'autorité dans des prison ou des camps, ou agents de police pendant la guerre. Leur comportement dans les cellules, dans la cours, les couloirs de la prison ou du refectoire n'étaient pas différent de celui des autres prisonniers. Ils n'étaient pas d'une espèce différente. J'ai même rencontré des gens qui avaient été geôlliers seulement quelques mois où semaines avant que je ne les rencontre et pendant cette brève période avaient acquis des caractéristiques humaines manquante complètement aux geôllier.e.s. Et la première personne à devenir un ami, Zdenek Tobarkin avait été une partie intégrante de l'appareil bureaucratique avant son arrestation, et pourtant, lorsque je l'ai rencontré, il était quelqu'un dont je partageais les expériences et les perspectives. Est-ce que la mutation prenait place quand une personne se déplaçait d'un côté à l'autre des barreaux ? Je ne suis pas en train de dire ce que toi et Luisa ont compris que je disais. Je ne considère pas les prisonnièr.e.s interchangeables avec les gardes. Je ne suis pas en train de suggérer que toi ou moi puissions avoir été des geôlièr.e.s. Une telle hypothèse peut très bien être absurde, ou non, je ne sais pas et je n'en fais pas mon affaire d'en explorer la question. Tout ce que je suis en train de dire c'est qu'à un moment, j'ai appris qu'au moins certain des gardes n'étaient pas des êtres si différents. Il y avait quelque chose de familier au delà de leurs fonctions sociales. Au delà des gestes et attitudes qu'ils avaient appris des autres gardes, j'en ai vu d'autres. Elles n'avaient pas pu être apprises en prison mais dans les rues et les usines ; Elles avaient trait à des expériences que j'avais partagé et indiquaient qu'à un moment de leurs vies, ces gens s'étaient engagé dans une lutte similaire à la mienne, qu'ils avaient pris part à un moment à des grèves et des manifestations, qu'ils avaient à un moment partagé mes perspectives et espoirs. Bien sûr, ce n'était pas vrai de tous. Certain étaient si torturés qu'ils restaient les mêmes d'un côté ou l'autre des barreaux, et ce n'est pas en eux que j'ai reconnu des parties de moi-même. Ceux que j'ai décris étaient tout autant des brutes dans leurs comportements mais cette brutalité n'était pas la seule composante de leurs personnalités. Il y avait autre chose, quelque chose de familier, quelque chose qui me ressemblait. Cette ressemblance n'était pas superficielle, et ne consistait pas en des similarité de mots qui en réalité n'ont aucun sens. Ce que je reconnaissais n'était pas des mots mais des espoirs et l'expérience derrière les mots. Ce que j'ai reconnu s'était les expériences autour desquelles tu as construit ta vie. J'y reconnaissais les rêves et les espoirs que j'avais partagé avec toi et Luisa. Le rôle cachait les rêves de la même manière que mon rôle de conducteur de bus a caché les miens des années plus tard. Et pourtant, aussitôt qu'un bureaucrate comme Zdenek s'est fait déloger de son poste, aussitôt qu'un garde se faisait mettre en prison, la personne derrière le masque devenait visible. Ces expériences, espoirs et rêvent ne naissaient pas après l'emprisonnement du garde, mais avaient toujours été là, masquées par le rôle social du geôlier. Il est ironique que quelques uns des gardes dans lesquels j'ai reconnu mes propres expériences passées étaient des partisans d'une discipline stricte et des tortionnaires cruels. Les sadistes habituels étaient arbitraires et donc inconsistants et corruptibles et parfois même indulgents. Mais ceux qui s'étaient à un moment engagés dans une lutte similaire à la mienne et se voyaient toujours engagés dans celle ci étaient incorruptibles, sans pitié et indéfectibles. Ils étaient les gardes les plus strictes et les tortionnaires les plus cruels parce qu'ils étaient toujours engagé dans cette lutte. De leur point de vue, ce n'était pas de la cruauté mais de l'engagement. Ils se voyaient eux-même comme les incarnation de la lutte de la classe ouvrière et considéraient les prisonnièr.e.s comme des ennemi.e.s de cette classe. Leur cruauté n'était pas dirigée contre des individu.e.s mais contre le principe même du mal, et à travers eux, le mouvement ouvrier se protégeait lui-même de ses ennemi.e.s. Ces geôlliers étaient convaincus que la lutte que toi et moi avions mené avait été victorieuse, que les ouvrièr.e.s avaient pris le pouvoir sur toutes les activités sociales. Ils se voyaient comme les protecteurs de cette victoire. La preuve de la victoire était que des gens comme eux étaient au pouvoir, des gens dont les mots exprimaient la libération de la classe ouvrière, dont les esprits contenaient une représentation de l'auto-libération des ouvrièr.e.s. Leur pouvoir sur les prisonniers était la preuve du succès de leur projet. Comme Zdenek l'a observé dans son débat avec l'ancien politicien, des gens avaient transformé le mouvement ouvrier en une religion. Ils en étaient les prêtres, servant leur religion en supprimant ses ennemi.e.s. Les prisons et les camps de concentration étaient la preuve vivante de la victoire de cette religion, la surveillance stricte des détenu la preuve de sa vitalité et la liquidation de tou.te.s les ennemi.e.s consacreraient sa réalisation. Les messagers de mes propres projets étaient mes pires tortionnaires. Ils étaient mes pairs, non pas au sens où j'aurai aimé qu'ils le soient, mais au sens qu'ils portaient le message que j'avais transporté. J'étais leur pair, non pas au sens où j'avais été le geôlier d'un.e autre être humain, mais au sens où je portais toujours ce projet au nom duquel ils me torturaient. À travers ma détention, je suis restée engagée dans les mêmes représentations, la même religion. J'étais moi aussi un prêtre. Je n'ai pas compris le caractère répressif de mon engagement, je n'ai pas vu les prisons et les camps de concentrations comme des aboutissements de la victoire de ma religion, et non pas de sa défaite. Ma lettre précédente était unilatérale. Je t'ai bombardée de conclusions qui m'ont pris vingt ans à atteindre, mais sans décrire les expériences qui m'ont permis d'y arriver. J'y faisais comme si tu t’étais enivrée d'illusions que je n'avais jamais partagé et que je trouvais incompréhensibles. En fait, en dépit du fait que je me reconnaissais dans un ancien bureaucrate syndical, mon engagement demeurait inchangé pendant les quatre années de ma première détention, et j'en suis ressorti avec le même enthousiasme que tu exprimes. Je suis ressorti dans le monde extérieur déterminé à répandre ce projet. Ta lettre m'a mis en colère en me rappelant mon long entêtement à me tenir à cet engagement, me confrontant à des comportements que je n'avais rejeté que récemment Je n'avais jamais mis cette réjection sur papier. Tu n'avais pas très loin quand tu a dis que je me laissais emporter par ma rhétorique. Je mettais des mots pour la première fois sur ce que je venais d'apprendre, en faisant comme si je l'avais toujours su. J'essaye maintenant d'y remédier en décrivant les expériences qui m'on poussé à rejeter ces attitudes que j'ai autrefois partagé avec toi. C'est seulement graduellement que j'ai appris à voir ces comportements comme une base instable pour mes actes présents. C'est seulement après de nombreux chocs que j'ai commencé à voir que ces attitudes et comportements étaient des éléments de relations sociales communes aux religions, et que les aboutissements concrets de telles pratiques étaient le palais, l'église et le donjon à qu'à l'époque de la fusion et de la fission, de tels projets étaient interminablement répressifs. J'ai fait l'expérience d'un autre de ces chocs quand j'ai appris sur notre résistance pendant la guerre d'un prisonnier qui y avait pris part. J'ai rencontré plusieurs personnes qui, en plus de Zdenek, avaient « pris une part active dans la résistance. » Presque tous n'étaient devenu critique de leur rôle dans la lutte qu'après avoir été exclus d'une fonction officielle. Avant ces exclusions, ils comme Zdenek n'avaient pas remis en question la nature de leur engagement. Ce fait est très significatif, mais pas de la manière dont Luisa a lu ma première lettre. Je ne veux pas dire que chacune des victimes aurait été un.e bourreaux s'illes avaient seulement été permis.e.s de demeurer à leurs postes. Les prisonniers que j'ai rencontré auraient tous été tôt ou tard éventuellement virés de leurs postes, et ils auraient tous arrêter de remplir leurs fonctions officielles à un moment ou un autre. Certains auraient arrêté tôt, d'autres plus tard. Ils étaient prêts à aller jusqu'à un certain point mais pas plus loin. Ils différaient les uns des autres par l'endroit où ils traçaient cette ligne. Et ceux qui remplissaient toujours leurs fonctions et qui donc nous semblaient si différent des autres pourraient tracer cette ligne au tour suivant ou à celui d'après. Les geôlliers d'aujourd'hui pourraient alors rejoindre les victimes d'hier et être victimisées par celles de demain. Qu'en est-il de toi, Luisa et moi ? N'avons nous pas entrepris un projet jusqu'à une limite que nous refusions de franchir ? La réponse de Luisa à ma dernière lettre est que le projet que nous poursuivions était une insurrection et que mon rejet de notre activité passée était un rejet de l'insurrection en faveur d'une approbation de l'ordre dominant. En d'autres termes, je suis un traitre et personne ne veux en être un.e. La peur d'être considéré comme un.e traitre est la raison qui nous maintien pour la plupart plus longtemps que l'on ne voudrait dans une direction que nous soupçonnons fausse. Certaines des personnes ayant accusé Luisa de prendre part à l'arrestation des ennemi.e.s de la classe ouvrière, mais ayant refusé de prendre part aux exécutions étaient accusé.e.s par leurs camarades de la veille de tourner le dos à la révolution, abandonnant leurs engagements précédents, se ramollissant et devenant conservateur.ice.s et à la fin, de devenir des réactionnaires et des contre-révolutionnaires. Nous ne devenons critiques que lorsque nous cessons d'aller dans le sens du courant, et même, la plupart d'entre nous ne deviennent vraiment critique que des événements ayant lieu après que nous ayons arrêté de suivre. Je n'ai rencontré qu'un seul individu qui s'est battu dans la résistance par lui même, sans aucune connexion à aucun des groupe de résistance organisé. Je ne me souviens pas de son nom et l’appellerai Anton. Quand je l'ai rencontré, je le considérais très différent de moi et de la plupart des gens que j'avais rencontré. Il était complètement apolitique. Il n'exprimait pas de rêves ou d'espoir que toi et moi auraient pu reconnaître comme les nôtres Anton était un travailleur un peu plus vieux que moi de quelques années. Il avait un grand nombre des traits de Ron. Il rejetait les institutions sociales en pratiques pas pas en mots. Jeune, il avait quitté sa famille, s'était enfuis vers la ville et avait trouvé un boulot. Il rejetait toutes les règles du travail et avait été viré à répétition pour absentéisme et vol. Il s'était fait expulser d'un appartement après l'autre pour refuser de payer un loyer. Le premier jour de la résistance il a rejoint un groupe de gens qui étaient en train de construire une barricade. Il détestait les militaires qui occupaient la ville et était déterminé à faire tout ce qu'il pouvait pour les en débarrasser. Quand l'armée de libération est entrée dans la ville, il est revenu à la barricade et à continué à tirer. Il ne faisait pas de distinction entre les deux armées. Pour lui, elles étaient la même chose. Pour lui, la résistance n'avait pas pris fin. Il a été arrêté immédiatement en tant qu'agent ennemi et condamné à la prison à perpétuité. Cela ne m'était pas venu à l'époque, que si je n'avais pas rencontré Luisa et si je n'avais pas appris à m'exprimer en des termes politiques, j'aurait surement été très similaire à Anton quand nous nous sommes rencontré. J'avais moi-même combattu dans la résistance avec très peu de notions politiques, étant donné que je n'avais pas appris grand chose de Titus Zabran et de ses ami.e.s. La seule raison pour laquelle je n'ai pas tiré quand les « libérateurs » ont paradé dans la ville était mon ignorance ; et Anton était bien mieux informé que je ne l'étais. Quand il m'a raconté les événements qui avaient précédé l'entrée de l'armée de libération dans la ville, j'étais convaincu que si je l'avais su à l'époque, j'aurai tiré moi aussi. Le récit d'Anton sur la fin de la résistance était identique à ceux que j'avais entendu de personnes avec qui j'avais combattu et qui avaient été informées des forces en jeu. Mais le récit d'Anton était unique et terrifiant. À l'inverse des autres, il n'était pas brodé de ce langage politique qui m'était récemment devenu familier, et ne contenait pas de qualifications, de possibles, d'interprétations politiques et de pseudo-explications. Il décrivait une succession d'événements dont la signification parlait aussi fort que des gouttes de sang coulant d'une plaie. Je n'ai jamais rencontré personne ayant pu contester les faits du récit d'Anton. Tous les autres récits que j'ai entendu, aussi bien que le grand nombre de décomptes que j'ai vu ne faisaient que confirmer l'exactitude des descriptions d'Anton jusqu'aux détails les plus infimes. « Pendant la première nuit du soulèvement, des milliers de barricades ont été érigées à travers la ville, en travers de rues et d'allées. » (Je raconte l'histoire d'Anton de mémoire.) « La ville entière était tenue par ses habitant.e.s à part pour quelques morceaux encore sous le contrôle de l'armée d'occupation. Le jour suivant, les occupant.e.s ont mobilisé l'ensemble des troupes aux alentours, les tanks et l'artillerie contre la ville. Il y avait au moins quatre soldats lourdement armé pour trois ouvrièr.e.s faiblement armé.e.s. Des résistant.e.s ont envoyé des convois aux deux armées qui étaient en route pour « libérer » la ville, des armées qui avaient incité la population à se soulever contre les occupant.e.s. Ces deux armées étaient à quelques heures de marche de la ville, chacune d'entre elles surpassant en nombre les occupant.e.s, et pourtant pendant trois jours et trois nuits, aucune d'entre elles ne bougea. Campées si prêt qu'elles pouvaient presque entendre les obus exploser. Elles attendaient pendant qu'hommes, femmes et enfants étaient massacré.e.s dans chaque rue de la ville. Une boucherie de plusieurs milliers de personnes. Et pourtant les gens se sont battu.e.s avec tant de détermination que les forces d'occupation ont été vaincues. Illes ont capitulé à la fin de la troisième journée et commencé à évacuer la ville. Le jour suivant la capitulation des dernières forces d'occupation, la soi-disante armée de libération est entrée dans la ville. Des gens qui n'avaient pas pris part au soulèvement et avaient du rester caché dans leurs caves pendant l'ensemble des combats ont perdu à la tête à fêter l'arriver de ces libérateurs. Je me suis mis derrière un mur et j'ai commencé à tirer. Quand j'ai été capturé, les gens me regardaient comme si j'étais fou-à-lier. Je me suis souvent demandé pourquoi pas plus de gens ne s'étaient pas mis à tirer quand les nouveaux envahisseur.se.s sont entré.e.s en ville. L'explication est que la plupart des gens qui auraient continué à se battre ont été tué.e.s pendant ces trois jours et ces trois nuits. Les « libérateurs » ont attendu pendant que des gens comme moi se faisaient exterminer par les anciens occupant.e.s. Il aurait été embarrassant pour de soi-disant libérateurs de commencer à libérer une ville en fusillant des milliers de ses habitant.e.s. Celles et ceux qui se sont battu.e.s le plus durement, et qui étaient les plus exposé.e.s sont celleux qui auraient tiré sur les envahisseur.se.s suivant.e.s, et j'ai été appelé un agent étranger pour tirer sur une armée étrangère paradant et occupant la ville. » D'autres témoignages que j'ai entendu différaient de celui d'Anton seulement dans le sens placés dans ces même faits. Des gens considéraient comme raisonnable que l'armée de libération ai laissé les envahisseur.se.s nettoyer la racaille comme Anton de manière à ne pas avoir a le faire elle-même. Illes en parlaient comme d'une purge nécessaire des éléments dangereux.se.s menée sans inconvénient ou coût pour celleux qui en on bénéficié. D'autres étaient si grossièr.e.s qu'illes justifiaient le massacre finallement. Toutes les personnes que j'ai rencontré ont admis avoir su tout ce temps que les armées de libération étaient à quelque pas des combats pendant les trois jours et nuits, et pourtant chacun.e avait célébré la parade des armées de libération dans la ville le jour suivant le massacre, alors qu'elle était déjà libérée. Illes ne l'on admis qu'après leur emprisonnement. Avant ça, alors qu'illes occupaient des fonctions officielles, illes avaient nié que les armées de libération avaient été ou que ce soit dans les environs de la ville tout ce temps. Pourtant, même quand illes admettaient les faits, illes n'en admettaient pas le sens. Illes se rendaient compte, dans leurs esprits de tout un tas de raisons militaires pour le fait que l'armée de libération n’ai pas bougé : les routes de ravitaillement étaient trop déliées et donc trop exposées. Illes n'avaient pas même rêvé d’invoquer ces raisons avant d'être emprisonné, et n'ont jamais adressé les contradictions entre leur connaissance et leur réjouissance. Illes savaient que les troupes, les tanks et l’artillerie campaient pas loin pendant que des milliers de gens se faisaient massacrer, mais illes refusaient de voir cette armée comme telle. Illes la prenaient pour le mouvement de la classe ouvrière. Ce n’est pas des tanks et des soldats qui sont entrés dans la ville mais une représentation de la victoire de la classe ouvrière. C'étaient nos rêves, nos aspirations et nos espoirs qui ont marché sur la ville. C'était une image de notre libération, de notre détermination pour vivre nos vies libre d'armées, de prisons et de tanks. C'est ça que ces camarades aveugles ont vu entrée dans la ville quand ils se sont réjouis. J'ai entendu Anton et sympathisé avec lui, mais je n'ai rien appris. Je continuais de m'identifier aux politicien.ne.s. Bien que ma propre participation à la résistance avait été presque identique à celle d'Anton, mes expériences politique qui avaient suivi m'avaient transformé d'une telle façon que je ne me reconnaissais plus en lui. Avant de pouvoir faire ça, j'avais à enlever une couche après l'autre de mes peaux politiques qui m’avaient tellement recouvert que je ne me reconnaissais pas en Anton. Avant tout, il me fallait enlever les couches que j'avais prises de Luisa. C'est ce que Manuel fit pour moi. Il n'a pas vraiment enlevé cette épaisseur, mais il m'a permis d'acquérir les perspectives me permettant de l'enlever. Non, Manuel n'est pas une personnification de mes arguments réactionnaires, et il n'est pas non plus une invention. Manuel était un prisonnier que j'ai rencontré pendant la seconde année de ma détention. Lors d'un débat avec un autre prisonnier, je défendais le potentiel révolutionnaire des syndicats. À un moment, j'ai fait référence à un exemple que j'avais appris de Luisa, illustrant mon propos avec un événement historique pendant lequel les travailleur.se.s avaient utilisé le syndicat comme un instrument à utiliser dans leur propre lutte. Manuel m'interrompit. Il m'a dit être familier avec les événements dont je parlais parce qu'il y avait participé. Il disait qu'il avait autrefois été d'accord avec la position que je défendais mais que sa vie même l'avait désenchanté. Il disait aussi que je gardais mon argumentaire cohérent en supprimant neuf-dixième du portrait. Manuel a grandi dans un village de paysan.ne.s. La pauvreté l'a conduit à la ville et il est devenu un ouvrier des transports. Au moment du soulèvement de l'armée contre la population, il faisait partie d'une petite organisation politique. Il a expliqué qu'il n'avait pas rejoins cette organisation parce qu'il l'avait sélectionné parmi d'autres ni parce qu'il était d'accord avec son programme plutôt que celui d'une autre, mais parce que le premier le premier ouvrier qui devint son ami en faisait parti. Au moment du soulèvement, tou.te.s les membres de l'organisation de Manuel étaient dans les rues avec le reste de la population. En un seul jour, la population ouvrière de tout les quartiers de la ville, ayant transformé tout l’équipement viable en arme ont vaincu l'armée. L'espace d'un instant, seulement un, la population était sur le point d'écrire sa propre histoire. L'espace d'un instant, il semblait que la révolution allait s'étendre, qu'elle continuerait de grandir jusqu'à ce qu'elle comprenne toutes les populations travailleuses partout, jusqu'à ce que toutes les armées du monde soient vaincues. L'instant fût court. Alors que la fumée remplissait toujours l'air, les ouvrièr.e.s qui avaient risqué leurs vies toute la journée et venaient de voir d'innombrables de leurs ami.e.s et membres de leur famille se faire massacrer ne savaient pas qu'une réunion avait lieu. Il s'agissait d'une sorte de réunion privée entre le gouvernement qui venait de se faire sortir et détruire ce jour là, celui qui venait de perdre ses forces armées et cessé de fonctionner. Entre cet ancien gouvernement et quatre ou cinq ouvrièr.e.s. Ce n'étaient pas des anonymes. Ce n'étaient pas n’importe lesquel.le.s parmi des milliers. C'étaient des travailleur.se.s connu pour leur militantisme syndical intransigeant, pour leur intolérance à l'autorité qu'il s'agisse de patron.ne.s ou de représentant.e.s du gouvernement. Les politicien.ne.s de l'ancien régime défait offraient à ces travailleur.se.s leur place au gouvernement. Plutôt que de tourner leur dos à cette ruse politicienne en leur disant que les travailleur.se.s venaient de détruire les gouvernements et de devenir leur propres maîtres.ses, ces militant.e.s syndicalistes ont accepté l'offre. Illes se sont raconté à elleux même qu'un gouvernement où illes seraient présent.e.s n'était plus un gouvernement mais un simple organe de l'auto-détermination ouvrière. Illes ont dit aux autres travailleur.se.s qu'illes n'étaient pas un gouvernement du tout, mais un comité révolutionnaire, disant que l'état avait été aboli. Un grand nombre l'a accepté. Pendant des années illes avaient respecté et admiré ces militant.e.s, commençant à les regarder comme des meneur.se.s, les ayant vu comme les porteur.se.s de leurs propres aspirations. Illes acceptaient l'entrée de ces militant.e.s au gouvernement comme leur propre auto-détermination. Quand un membre de l'organisation de Manuel a accepté un poste dans ce comité révolutionnaire, il a rendu sa carte de membre, se retrouvant isolé. Progressivement, il a trouvé d'autre personnes comprenant et essayant d'exposer le fait que le syndicat n'avait pas servi les travailleur.se.s dans leur émancipation mais les avais remis en esclavage. Ironiquement, Manuel avait été arrêté peu après avoir quitté sa petite organisation, et la raison de son arrestation était sa participation à celle-ci. C'est grâce à cette arrestation qu'il était encore en vie quand je l'ai rencontré. Il a appris plus tard que les autres individu.e.s qu'il avait rencontré qui avaient essayé d'exposer l'incorporation du syndicat à l'appareil d'état avaient tou.te.s été fusillé.e.s. Dans mes conversations avec Manuel, j'opposais chacun de ses commentaires par une observation apprise de Luisa. Je n'ai aucune idée s'il est encore en vie aujourd'hui. Vers la fin de ma seconde année de détention, il avait été transféré vers une autre prison, et je n'ai plus jamais entendu parler de lui. Pendant le bref moment où je l'ai connu, j'ai défendu les points de vue de Luisa avec tant d'assurance qu'il devait savoir qu'il ne m'avait pas convaincu. Il devait même penser que je n'avais pas entendu un traitre mot de son témoignage. Je ne serais probablement jamais en mesure de lui dire que je l'ai bien entendu, des années plus tard, et que son témoignage m'a permis de comprendre, pas seulement les événements qu'il décrivait, mais aussi beaucoup de mes autres expériences. C'est Manuel qui m'a aidé à comprendre la différence entre le rebelle et le philosophe de la rébellion, entre une personne comme Ron et une comme Luisa, entre des ouvrièr.e.s et la représentation des ouvrièr.e.s par des syndicats, des conseils, des partis ou des mouvements. Il m'a aussi aidé a voir à quel point il était facile de se laisser emporter, de prendre l'un pour l'autre, à quel point il était facile de devenir les porteur.se.s des représentations et agent.e.s de notre propre répression. Mais ce n'est pas jusqu'à ma seconde détention que j'ai commencé à entendre ce que Manuel m'avait dit. C'est seulement à ce moment que j'ai commencé à comparer son témoignage avec celui de Luisa. Aussitôt que j'ai commencé à remplacer le récit de Luisa par celui de Manuel, j'étais capable de m'imaginer à participer aux événements que Manuel avait narré, de la même manière dont je m'étais imaginé participer à la narration de Luisa. Le jour où les travailleur.se.s sont descendu.e.s dans les rues et ont commencé à construire des barricades ne pouvait pas avoir été bien différent du premier jour de la résistance ici. Comme dans mon expérience, les barricades se sont levées dans chaque quartier de la ville. La principale différence était que dans le témoignage de Manuel, il n'y avait pas d'armées libératrices campant pas loin et observant notre massacre. Cette différence ne trouble pas les ressemblances entre ces événements pour moi parce que je ne savais rien de ces armées à l'époque. Imagine que nous soyons parmi nos voisin.e.s et nos ami.e.s, que pendant le cours d'une journée et demi nous débarrassions la ville des dernièr.e.s militaires. Imagine que la ville soit à nous à faire, de la même manière dont nous avons fait ces barricades. Nous organiserons nos activités sociales entre nous en accord avec nos rêves. Si les potentiels de rendre ces rêves possibles n'existent pas, il nous faudra les créer. Nous communiquerons entre nous, nous coordinerons, nous organiserons, sans politicien.ne.s pour parler à notre place, sans coordinateur.ice.s pour nous manipuler, sans bureaucrates pour organiser nos activités. Pour communiquer ensemble, nous tenons de grandes assemblées ou l'on échange nos suggestions, mettons en œuvre des projets, résoluons des problèmes. Aux plus grandes, nous écoutons attentivement les projets de chacun.e, les décisions de tou.te.s. Pourtant, quand on quitte ces grandes assemblées, on se sent trompé.e.s, on se sent comme dépossédé.e.s de quelque chose, que quelque chose ne tourne pas rond. À ces assemblées gigantesques, nous écoutons les discours donnés par les militant.e.s syndicalistes, par des travailleur.se.s qui se sont battu.e.s à nos côtés et avaient été les premièr.e.s à attaquer. Un bon nombre de celleux là étaient mort.e.s. Nous les écoutions comme nous les avions toujours écouté : Comme nos propres voix, comme la formulation de nos aspirations les plus profondes, comme des camarades, des travailleur.se.s, mes pairs qui avaient toujours mis en mots les décisions syndicales, les décisions de l'ensemble des ouvrièr.e.s. Et pourtant à cette assemblées, les décisions de l'ensemble des ouvrièr.e.s étaient différentes que nous avions prises les un.e.s avec les autres depuis le jour ou nous avions construit les barricades ; les projets de tou.te.s les ouvrièr.e.s étaient différent de ceux que nous avions entrepris entre nous, qu'il s'agisse de réparer des véhicules endommagés ou de collectiviser un restaurant de manière à préparer nous même nos repas. À cette assemblée, les plus militant.e.s, admirable et courageux.ses de nos camarades se tenant debout ou assis.e.s sur l'estrade se sont transformer en quelque chose que je ne peux pas vraiment comprendre. Nous y étions venu de manière à organiser nos activités sociales ensemble et nous avons trouvé notre organisation sur l'estrade. Nous étions venu.e.s coordonner nos activités ensemble et nous avons trouvé nos coordinateur.ice.s sur l'estrade. Nous étions venu pour formuler nos décisions collectives et nous avons entendu nos décisions collectives formulées depuis la plateforme. Avant ça, nous avions toujours écouté les décisions collectives formulées et exprimées depuis l'estrade. Pourtant maintenant nous étions en pause, à regarder autour de nous et nous demander qu'est-ce que nous avions écouté avant ça. Nous commencions à nous rendre compte que les décisions de l'ensemble des travailleur.se.s, les décisions du syndicat, étaient les décisions du secrétaire général du syndicat, d'un.e seul.e individu.e. Un.e, peut-être cinq, tout au plus dix individu.e.s avaient exprimé nos aspirations, formulé nos projets, pris nos décisions. Et pourtant qui sont ces militant.e.s influent.e.s que nous avions si grandement admiré ? Quel était ce syndicat ? Qui en était secrétaire ? Est-ce que c'est vraiment le notre ou une imposture ? C'est bien le vrai, le même syndicat qu'il avait toujours été. Les gens sur l'estrade sont celleux qui doivent l'être, ces militant.e.s qui ont dédié leurs vies à nous, qui se sont toujours battu à nos côté dans nos luttes pour l'émancipation, pour changer la forme de nos propres activités sociales, pour définir le contenu de nos vies. C'est le syndicat que nous avions connu et il ne s'est pas transformé en simulacre et ne nous a pas trahi. C'est nous qui avons changé, et ça s'est passé le jour avant hier. Pas tou.te.s, peut-être seulement une quantité misérable d'entre nous. Nous avons soudainement découvert nos propres humanité seulement hier et commencé à agir en tant que communauté humaine. Aujourd'hui nous réalisons soudainement que ce syndicat que nous avions lutté pour construire et dont la victoire avait été acquises le jour avant hier n'était absolument pas notre projet. Il ne s'agit pas d'une communauté humaine. C'est un pouvoir au dessus de nous, aussi étranger et hostile que les pouvoirs que nous venions d'abolir. Nous nous rendions maintenant compte que le projet des gens sur l'estrade est de remplacer ceux de milliers d'individu.e.s qui n'ont pris conscience qu'hier seulement de leur capacité à faire leurs propres projets. Ça nous a rendu nauséeux.ses de nous rendre compte que nous venions juste de prendre part aux événements qui nous avaient volés le fruit de nos lutte, un événement dans lequel les représentant.e.s du syndicat de l'ensemble des travailleur.se.s avaient remplacé le syndicat de l'ensemble des travailleur.se.s. Le syndicat avait volé des milliers d'ouvrièr.e.s leurs yeux, leurs oreilles et leurs voix un jour seulement après qu'illes aient appris à utiliser ces organismes qui s'étaient détériorés et affaiblis par manque d'utilisation. Nous apprenons, et nous avons la nausée parce que nous apprenons trop tard. L'un.e d'entre nous n'auraient pas pu se lever au milieu de cette gigantesque réunion et crié ? On n'aurait pas pu avoir demandé pourquoi ces militant.e.s influent.e.s étaient sur l'estrade le jour après que nous ayons éliminé le besoin pour ces militant.e.s influent.e.s aussi bien que l'estrade ? Est-ce que quelqu'un.e nous aurait entendu ? Était-ce alors déjà trop tard ? Si ces questions avaient été posées des années plus tôt, si nous leurs avions crié dessus pendant les jours ou nous aidions nous-même à construire les organisations ouvrières et ces militant.e.s influent.e.s auxquel.le.s nous étions maintenant exposé.e.s ? Lors de cette assemblée nous avons approuvé notre remise en esclavage et accepté la reconstitution de l'ensemble de l'appareil d'état. Les militant.e.s influent.e.s qui avaient avancé l'argument que leur présence dans cet appareil d'état était équivalente à son abolition se sont vite engouffré.e.s dans l'appareil et deviendront bientôt ministres. En tant que gouvernant.e.s, illes ne différeront en rien de celleux qui les ont précédé ou de celleux qui leur succéderont. Les politicien.ne.s laisseront nos militant.e.s les appeler ce qu'illes veulent, y compris représentant.e.s de l'abolition de l'état. Ces misérables politicards savent qu'illes ont besoin de l'influence que nos camarades ont sur nous pour reconstruire l'appareillage étatique. Aussitôt que la légitimité de cette appareil sera remis en place, ces politicien.ne.s endurci.e.s sauront utiliser à bon escient nos camarades de la manière dont les artisan.e.s utilisent des outils. Illes transformeront les militant.e.s syndicalistes d'alors en agent.e.s de l'état. Illes utiliseront les ancien.ne.s travailleur.se.s pour mettre en conflit un groupe de travailleur.se.s contre un autre. Illes les utiliserons comme fauteur.se.s de trouble, illes les enverront pour désarmer les ouvrièr.e.s, refaire de nous de faibles victimes de l'armée et la police. Comme des monarques classiques, les militant.e.s influent.e.s, nos camarades d'autrefois, vont nous endormir avec leurs discours dans lesquels illes glorifieront leur domination. Illes nous diront que leur présence dans l’appareillage étatique est l'équivalent de la victoire de la classe ouvrière et de la réalisation de l'Utopie sur terre. Certain.e iront aussi plus loin que n'importe quel monarque en disant : « Je suis le peuple. » Certain.e de ces ancien.ne.s camarades influent.e.s ne nous diront pas seulement que leur domination est la notre, mais aussi que leur présence dans le gouvernement est l'équivalent de la réalisation des aspirations les plus profondes de l'humanité. Le témoignage de Manuel a détruit la peinture que Luisa m'avait faite. Je ne suis évidement pas surpris de la réponse de Luisa à mon rejet de son analyse de sa première lutte. Je ne suis pas surpris qu'elle considère mon rejet de sa lutte comme un rejet de toutes luttes, ni qu'elle considère Manuel comme un réactionnaire. Le témoignage de Manuel montre que la série d'événement célébré par Luisa n'a pas mené au triomphe des ouvrièr.e.s mais à leur répression. Elle utilise le mot réactionnaire de la manière dont les politicien.ne.s l'utilisent : Tou.te.s celleux qui remettent en cause le rôle des politicien.ne.s sont des réactionnaires. Selon ma compréhension, un.e réactionnaire est une personne qui préfère le retour à un système de rapports sociaux antérieur, une modalité d'existence plus ancienne, une organisation politique précédente. Si le terme doit définir Manuel ou moi, il faut qu'il soit drastiquement redéfini. Toute ma vie j'ai rejeté les systèmes précédents d'organisation sociale, incluant celui dans lequel j'étais né, l'ensemble des modes de vies antérieurs et pendant les dix dernières années j'ai rejeté me propres formes d'engagement politique précédents. Puisque Luisa a introduit ce terme, je ne ressent plus aucune raison de me retenir de demander qui parmi nous glorifie, et s’enivre d'une forme antérieure d'engagement politique ? Qui parmi nous fait une utopie virtuelle d'une pratique misérable qui a mené a répétition vers la destruction physique et spirituelle de celleux qui s'y sont engagé.e.s ? Qui parmi nous utilise des activités répressives du passé pour nous orienter dans le présent et le futur ? Si j'y avais pensé au cours des dix dernières années, j'aurai su que je n'aurai jamais été à nouveau capable d'avoir une conversation amicale ou même polie avec Luisa a moins qu'elle aussi ai changé. Je l'ai su dès que j'ai commencé à comprendre le sens du récit de Manuel. Pourtant, j'apprend de ta lettre que Luisa l'avait su bien plus tôt, peut-être il y à vingt ans déjà. Tu ne sembles pas au courant de me l'avoir dit. Tu m'as écrit que George Alberts me considérait comme un voyou, me le disant pour illustrer les points communs entre son opinion et celui de mes geôlièr.e.s. Tu me dis aussi ce que Luisa pensait de cette opinion d'Alberts sur moi : « Il avait raison. » Me considérait-elle comme un voyou destructeur il y à vingt ans ? Manuel m'a aidé à me vider l'esprit de tout ce que j'avais appris de Luisa. Mais j'ai du survivre à un grand nombre d'autres chocs avant que je ne puisse en comprendre le sens. Pendant la troisième année de ma première détention, plusieurs mois après que Manuel ai été transféré dans une autre prison, toutes les cellules ont été remplies jusqu'à leurs limites. Des travailleurs d'une petite ville industrielle des environs étaient entassé dans chacune d'elles. J'ai eu l'impression que les habitant.e.s de l'ensemble de la ville s'étaient fait.e.s rafler et emprisonner. Ils étaient furieux. Je n'avais encore jamais vu autant de prisonniers avec autant d'énergie et autant de colère. Ils refusaient d'arrêter d'hurler, nuit ou jour. Ils donnaient l'impression d'être déterminés au point de plier les barres d'acier et de démanteler les murs prison pierre par pierre. Après quelques semaines, la plupart ont été relâché tandis qu'une poignée ont été séparé les uns des autres et condamnés à des peines de prison incroyablement longues. Pour la première fois depuis la résistance, les travailleur.se.s d'une ville entière s'étaient soulevé.e.s. Pour autant que je m'en souvienne il n'y avait rien eu d’extraordinaire en ce qui concerne les circonstances qui les y ont mené : Les conditions de travailles étaient allé de mal en pis, les emplois étaient dangereux, les véritables revenus s'effondraient et les logements se détérioraient Mais la réponse des ouvrièr.e.s a pris des proportion qui ont rendu cet événement unique dans notre histoire récente. Tou.te.s les travailleur.se.s de la ville se sont mis en grève et ont manifesté leur mécontentement. À la différence des autres dans les manifestations avant ou après, celleux-là ont appelé à l'abolition de la police politique, des gerrant.e.s d'usines et des représentant.e.s syndic.ales.ux. Dans la langue de Luisa, tou.te.s ces travailleur.se.s étaient des voyou et leurs demandes destructives. Illes ne voulaient rien de moins que l'abolition du système de domination. Un des travailleur m'a dit fièrement, « Quand un représentant syndical est monté sur la plateforme et commencé à faire des proclamations sur la victoire de la classe ouvrière, sur les travailleur.se.s administrant leur propres usines, on l'a sorti, avec le microphone aussi bien que l'estrade. Quand la police est venue dégager la rue des travailleur.se.s, on l'a nettoyé de la police. On pensait que partout les travailleur.se.s suivraient notre exemple. » Ceux-là étaient encore plus méfiant des politicien.ne.s et pédagogues qu'aucun autre que j'avais rencontré alors ou depuis. Ils ne faisaient confiance qu'à eux-même, et n'apprenaient que d'eux même. Ils avaient mis fin au pouvoir des représentant.e.s, peut-être pas à travers l'ensemble de la société mais au moins au dessus d'eux. « Nous étions capable de tenir nos positions contre ce que qu'illes appellent la milice populaire et la police du peuple, » m'a dit le même travailleur. « Mais on n'a pas fait le poids contre l'armée. » La plus grande réussite du progrès technologique, l'armée, les a vaincu. Approximativement la moitié des habitant.e.s de la ville ont été arrêté ou emprisonné ; au nom de l'auto-détermination des ouvrièr.e.s de leurs propres forces de production. Illes avaient été réprimé par les représentant.e.s officiel.le.s du mouvement ouvrier. La répression avait été organisé par des pédagogues dont le projet est la libération de la classe ouvrière. Ces raquetteur.se.s politique ont présenté leur répression comme un pas vers la libération des travailleur.se.s. C'était la prise de pouvoir totale sur les appareils répressif de l'état par les pédagogues, philosophes et rêveur.se.s qui ont créé les conditions dans lesquelles les travailleur.se.s étaient arrêté.e.s, emprisonné.e.s sous la banderole de leur propre libération. Les fanatiques d'aujourd'hui considérent les êtres humain.e.s comme des obstacles sur le chemin de leurs divinités. Les divinités d'aujourd'hui sont appelé.e.s des travailleur.se.s mais sont en fait des catégories mentales logées dans les esprits de pédagogues qui n'ont rien à voir avec des êtres vivant.e.s. Au nom de ces divinités, leurs représentant.e.s sur terre, les politicien.ne.s, ne reconnaissent aucune limite humaine ou naturelle. C'est pour elles qu'illes dépeuplent des villes et même des régions entières. Ces divinités sont plus jalouses que le patriarche despote Jahweh ; ne demandant pas seulement la destruction d'autres divinités mais menacent de se tenir à côté deux et appellent à la liquidation de tou.te.s les êtres humain.e.s qui refusent de se prosterner devant elles. J'ai tiré ces conclusions d'expériences douloureuses. Je n'y suis pas arrivé facilement et je pense que je peux donc comprendre pourquoi tu n'y es pas arrivée non plus. Ces expériences de ma première détention n'ont pas eu d'effet sur mes perspectives que bien des années plus tard. Pendant ces années j'avais appris comment les travailleur.se.s avaient été transformé en des détachements de police réprimant d'autres travailleur.se.s ; j'avais rencontré des gardes de prison dont la conception avait autrefois été identique à la mienne, j'avais appris que ce que nous avions embrassé comme des libérateurs ceux qui avaient permis à nos camarades d'être massacré.e.s. De Manuel j'avais appris que tout les groupes et organisations personnifiant les aspirations des autres ne peuvent être victorieux.se.s qu'en réprimant ces aspirations. J'avais rencontré des travailleur.se.s s'étant soulevé.e.s contre toute forme de représentation et s'étaient retrouvé confronté à l'ensemble de l'appareillage répressif de la société. Et pourtant, après toutes ces expériences, j'ai quitté la prison comme un nouvel organisateur. C'est à la fin de ces quatre années que j'ai apporté mes perspectives et mon projet à Mirna et ses parents, déterminé à leur communiquer non pas ce dont j'avais fait l'expérience en prison, mais les activités qui que mon expérience carcérale avaient saboté. Je suis allé vers eux comme un pédagogue qui n'avais rien appris de la signification de ses propres enseignements : Je me suis rendu vers elleux déterminer à reproduire le même drame une fois encore. Je pense que je comprends la manière dont tu utilises ce que tu appelles ton standard de comparaison. Tu compares la société répressive qui nous entoure avec une expérience du passé qui reproduit la même répression. Il me semble que cette expérience t'as fourni un étalon défectueux. Ce que tu m'as dit de ton ami Ron m'a fait penser que son acte de rébellion véritable fourni un standard de comparaison bien supérieur aux orchestrations d'activités de masse plaçant la machinerie répressive aux mains des représentant.e.s de la libération humaine. Te comparer à Vesna et ton environnement à sa cage était très touchant, mais je suis convaincu que les expériences dont tu te souviens avec autant d'attention ne te donnent pas de l’avantage en dehors de la cage. Je suis convaincu que tu cherches une cage avec un avantage intégré. Tu fais précisément ce que tu dis que les détenu.e.s permanent.e.s d'une prison ne peuvent pas s'empêcher de faire : confondre les recoins d'une prison avec le monde extérieur. J'aimerai en savoir plus à propos de ta vie. Je trouve tes descriptions fascinantes et certaines de tes analyses profondes et pleines d'information. Mais je ne serais pas converti au projet central de ta vie. Je l'ai été autrefois, par Luisa, et je lutte toujours pour m'en défaire. Je peux honnêtement dire que je t'admire pour t'y être tenue si férocement et pour aussi longtemps.

Yarostan * * Troisième lettre de Sophia

Cher Yarostan,
Tu seras heureux d'apprendre que le commentaire de Sabina après qu'elle ai lu ta lettre était, « Il a absolument raison. » Avec ce commentaire, elle a allumé la mèche d'un bâton de dynamite. Son commentaire a éveillé une discussion qui dura toute la nuit, et l'une des disputes les plus amères qu'il m'ai été donné de faire l'expérience. Lors de cette discussion, Sabina et Tina m'ont forcée à admettre que j'avais en fait fait un choix du genre que tu décris, un choix entre Luisa et Ron, entre la pédagogie que tu condamnes, et « l'acte individuel de rébellion » que tu glorifies. J'avais invité Luisa à souper aussitôt que ta lettre était arrivée. Elle l’a lu dès son arrivé, mais son seul commentaire lors du repas a été, « sois sure de lui dire à quel point j'étais ravie d'apprendre pour Jasna. » Tina a lu la lettre quand elle est rentrée du travail. Pendant que nous mangions, elle n'a pas quitté Luisa des yeux, ne pouvant cacher son impatience de voir sa réponse aux critiques que tu avais fait d'elle. Sabina ne montra aucune impatience du tout et demanda « Est-ce que l'on a institutionnalisé la fête de lecture des lettres ? » Ni Tina ni elle n'avaient lu tes lettres précédentes à leur arrivée ; et quand les a finalement lu après que j'ai envoyé ma réponse, mais elle avait été très excitée d'apprendre que « La Mirna qu'il a marié était la sœur de Jan ! » m'a t-elle dit, « Je la connaissais, elle c'était une beauté ! » L'ensemble de notre discussion a tourné autour des questions soulevées dans ta lettre. Je ne peux pas penser à une meilleure manière de te répondre que de te raconter la discussion. Le commentaire d'ouverture de Sabina a provoqué la réponse attendue de Luisa : « Absolument raison à propos de quoi ? Manuel, Zdenek et Anton ? C'est évident qu'ils s'agit de personnages de fiction. Il ne fait que donner des noms à ses arguments ridicules. Après tout, il peut nous raconter ce qu'il veut. Il peut nous dire que la lettre de Sophia a provoqué son arrestation. Il peut nous dire que Marc Glavni et Adrian Povrshan sont des célébrités de télévision. D'ici nous ne pouvons pas prouver le contraire. » « Il a fait beaucoup d'efforts pour me dire qu'il ne pensait pas que ma lettre ai provoqué son arrestation, » j'ai insisté. Tina attrapa la lettre en disant, « pas exactement, » et retrouvant le passage, elle pointa, « Il demande ce que Lem faisait là en plus de délivrer ta lettre. » J'ai dit à Tina qu'autant que j'en sache, c'était tout ce que Lem faisait. « Ça ne t'exempte pas pour autant, » remarqua t-elle. Luisa ajouta que « Lem m'a dit que les enquêteur.ice.s l'ont torturé pour savoir pour qui d'autre il avait des lettres. Tes lettres étaient précisément ce qui les intéressaient. » « Et qu'est-ce que ça prouve ? » je lui demande, « Que j'étais en fait responsable pour l'arrestation de Yarostan ? » « Cela prouve, » dit Luisa avec insistance, « que Yarostan utilise cette ancienne lettre à toi pour soutenir ces argument que Sabina considère absolument vrai. Spécifiquement ceux réactionnaires comme quoi les victimes sont responsable de leur propre oppression. » J'essaye de te défendre. « Il ''n'utilise'' pas la lettre de cette façon, et il ne veux probablement que cette argument soit pris personnellement. Ce qu'il explique est parfaitement clair pour moi. Nous ne connaissons pas toujours les conséquences de nos actes. Il ne dis pas que ma lettre a provoqué son arrestation. Il dit qu'elle aurait pu, et il a raison quand il dit que je n'aurai pas pu imaginer qu'elle ai une telle conséquence. » « Tu t'excuses pour lui, » insiste Luisa. « Son argumentaire est de nous rendre tou.te.s responsable pour l'établissement d'un état policier. » Maintenant, c'est Tina qui prend ta défense en pointant que « Il ne dit pas non plus exactement ça. » Luisa insiste, « C'est exactement ça qu'il dit ! Il l'insinue à travers toute sa lettre. Même la référence cryptique à George Alberts n'ayant pas été emprisonné est une accusation... » « Laisse tomber, » objecte Tina. « Il écrit que c'était la référence de Sophia à Alberts qui était cryptique. Elle lui a dit qu'Alberts n'avait pas été arrêté, et je suis franchement aussi surprise que Yarostan a dû l'être. La dernière fois que tu étais ici, tu m'as dit qu'Alberts avait été renvoyé de son boulot juste avant que vous ne soyez tou.te.s arrêté.e.s, donc j'ai évidement supposé qu'Alberts avait été arrêté comme le reste d'entre vous. » « Alberts n'a évidement pas été arrêté ! » nous dit Luisa. « Qu'est-ce qu'il y a de si évident la dessus ? » demande Tina. « C'était Alberts qui a permit notre sortie ! Il n'aurait pas pu faire enfermé, » dit Luisa. « Mais est-ce que Yarostan sait ça ? » demande Tina. « Bien sur qu'il le sait ! » insiste Luisa. « Et il se comporte comme si nous étions tou.te.s suspect.e.s à cause de ça, comme si nous avions tou.te.s conspiré pour le maintenir en prison. » « C'est faux, » dit Tina, lui tendant ta lettre. « Relis la. Tu te comportes avec cette lettre la même manière que tu le fais avec ton passé, en ignorant les faits. » « Vraiment, Luisa, tu lui fais dire l'opposé de ce qu'il dit, » ai-je fait remarqué. « Dans ses deux lettres, Yarostan montre clairement qu'il n'avait aucune raison au monde pour soupçonner Alberts, et que ce soupçon avait été créé par Claude. » « Vous m'éloignez toutes les deux de là où je veux en venir, » insiste Luisa. « Quand Yarostan parle de son soupçon à propos d'Alberts, il utilise invariablement les mots comme ''soupçon'' et ''ennemi'' de la même manière que le fait la police. » « Ce n'est pas la question, » lui dit Sabina, nous servant à toutes du café. « Ne m'interrompt pas ! Dans ses deux lettres il traine ses soupçons sur Alberts... » « C'est quand même une question différente ! » lui dit Tina. « Alors laisse moi finir cette question différente ! » crie Luisa. « Il dit qu'à chaque fois que nous soupçonnons une personne, nous les livrons à la police pour être abattu.e ! Qu'à chaque fois que l'on considère une personne comme un.e ennemi.e, on fait un pogrom ! Sophia lui a bien dit que notre projet est de communiquer, et non d'excommunier, mais il m'a complètement retourné.... » Tina l’interrompit à nouveau. « Il a seulement dit qu'il avait vu beaucoup de gens accepter passivement l'arrestation de leurs ami.e.s » « C'est de ça que je parle ! Arrestations et emprisonnements font l'ensemble de son cadre de référence. C'est la façon de penser de la police. Quand j'ai des soupçons sur quelqu'un.e, je ne pense pas à des arrestations et des emprisonnements. Le but est de détruire l'institution, non pas l'individuel. » « Et comment est-ce que tu fais ça ? » demande Tina. « Si tu ne peux pas distinguer l'institution de l'individuel, ton éducation peu-orthodoxe n'aura pas servie à grand chose ! » J'avale mal l'insulte car je suis embarrassée pour Tina, et mon embarras grandit quand Tina demande, « Et comment est-ce que tu les distingue ? » Sa question naïve transforme Luisa en la pédagogue dont tu te rappelles si bien. « Un prêtre sans habit ou église est seulement un individu. Un tel prêtre est comme un enfant qui ne saurait rien faire d'utile. Il mérite d'être traité comme un.e enfant et enseigné à faire des choses utiles. » « Qu'en est-il des soldats, patron.e.s et bureaucrates ? » demande Tina. « Un soldat sans arme ni armée est comme un prêtre sans habit ou église. Il devrait être tenu à l'écart des équipements dangereux comme un enfant du feu, mais devrait se faire donner la chance de se développer d'autres façons. » « Et s'il s'accroche à ses équipements et menace de te tuer ? » Exaspérée, je demande à Tina, « o est-ce que tu veux en venir? » « Soit je défend la violence, sois je suis perdue, » me dit Tina. Elle s'enfonce dans son fauteuil quand Luisa et moi en rions. Sabina ne rie pas. « O est-ce que tu veux en venir, Luisa ? Yarostan utilise des termes comme soupçon et ennemi de la même manière que le fait la police. Et ? » « Il peut utiliser des mots de la manière dont il le souhaite. Je n'en ai pas la même définition, » lui dit Luisa. « Une personne qui dit quelque chose, en voulant dire quelque chose d'autre est un.e hypocrite. » et cette déclaration résume ce que Sabina pense de Luisa. « Prends le slogan ''les usines devraient être administrées par les travailleur.se.s elleux-mêmes. » « Qu'en est-il ? » demande Luisa. « Qu'est-ce que tu entends par ça ? » lui demande Sabina. « Je n'entend certainement pas ''Genghis Khan pour patron !'' Je le prend exactement pour ce que le slogan dit ! » crie Luisa. « Et pourtant toutes ces usines sont maintenant gouvernées par Genghis. » « Ce n'est pas à cause de moi ! » hurle Luisa. « Qui les a mis là ? » demande Sabina. « Les nouvelle-aux patron.e.s n'ont de toute évidence pas été placé là par les mêmes gens qui se sont battu.e.s contre elleux ! » répond Luisa. Sabina demande, « As-tu jamais rencontré quelqu'un.e qui se soit battu.e pour mettre en place un.e nouvelleaux patron.e ? » « Des gens se sont battu.e.s sans rien d'autre que des mots ! En pratique... » « En pratique illes portaient les mêmes pancartes que toi, » lui dit Sabina. J'interviens en faveur de Luisa. « Ce n'est pas juste, Sabina. Certaines de ces personnes qui portaient des pancartes savaient parfaitement bien que les chef.fe.s de leur parti s'installeraient comme nouvelleaux patron.e.s. » « Est-ce que certain.e.s de ces personnes étaient des travailleur.se.s ? » me demande Sabina. « Je n'ai pas dit qu'illes ne l'étaient pas. Certain.e.s travailleur.se.s se languissaient du jour où leur politicien.ne.s gouverneraient, » j'admet. « Mais la grande majorité des travailleur.se.s s'opposaient à l'établissement de nouvelleaux dirigeant.e.s ? » elle me demande. « Bien évidement ! » j'insiste. « Tu le sais aussi bien que moi. » « Alors pour quoi cette grande majorité ne les a t-elle pas foutus dehors aussitôt après qu'illes se soient installé.e.s ? » me demande Sabina. « D'après Yarostan, seul.e.s les travailleur.se.s d'une seule ville se sont soulevé.e.s contre ces dirigeant.e.s au cours des vingt dernières années. » J'ai soutenu que « le fait que ces travailleur.se.s se sont soulevé.e.s prouve que certain.e.s étaient opposé aux nouvelleaux dirigeant.e.s, » « Vraiment ? » demande Sabina sarcastiquement. « Est-ce que ça ne prouve pas que tou.te.s les autres se sont soumis.e.s aux nouvelleaux chef.fe.s ? » « Illes ont été dépassé.e.s » j'insiste. « Illes l'étaient ! Précisément parce que tou.te.s les autres acquiesçaient ! Si les travailleur.se.s s'étaient soulevé.e.s dans toutes les villes, il n'y aurait pas eu de force capable de les dépasser. » Tout en disant ceci, Sabina bondit de sa chaise et m'attrapa moi, puis Tina par la taille, et commença à nous pousser toutes les deux vers la cuisine. « Votre place est dans la cuisine ! » criait-elle. « Laisses moi tranquille ! » cria Tina, se dégageant pendant que je criait, « Sabina ! Qu'est-ce qui t'arrive ? » Sabina me laisse partir. Puis elle pointe la porte de la cuisine et, essayant de se comporter comme un officier de l'armée donnant un ordre, dit « Luisa ! Tina ! Emmenez Sophia à la cuisine ! Et plus vite que ça ! » « Pourquoi diable ? » proteste Luisa. « Es-tu devenue folle ? » « Et tu me dis qu'une poignées de politicien.ne.s ne peuvent pas donner d'ordres à une majorité de travailleur.se.s sans leurs accord ? » demande Sabina. Pendant que Sabina fixe Luisa avec triomphe, Tina se faufile derrière elle, et se met à quatre pattes, en me faisant un signe du menton. Je pousse légèrement Sabina, qui se retrouve a terre sur le dos. Tina se dégage de sous ses jambes et soulevant sa main proclame, « La perdante ! » Luisa ri et j'applaudis. Ce sera le seul moment de soulagement de Luisa. Toujours étendue sur le sol, Sabina nous dit à Luisa et moi que « C'est ce qui arrive à un.e geôlièr.e quand la majorité n'en veulent pas. Tu penses que la majorité ne voulait pas de geôlièr.e.s, mais Yarostan a raison. Tu nourris une illusion. Sophia, tu ne croyais pas Lem quand il t'a raconté qu'il avait été torturé. Mais toi Luisa, as-tu perdu les illusions que tu avais de ces camarades travailleur.se.s quand Lem t'a parlé des tortures ? » « Lem n'a pas été torturé par des travailleur.se.s mais par des inquisiteur.ice.s, par des officiel.le.s la prison, » insiste Luisa. « Par des travailleur.se.s qui obéissaient aux ordres de ces officiel.le.s. » « C'est comme ça que Yarostan le voit, » lui dit Luisa. « Pourquoi m'as-tu désobéi quand je t'ai ordonné de trainer Sophia à la cuisine ? » lui demande Sabina. « Petite... » « Essaye encore ! » lui cri Sabina. « Est-ce que vous voudriez régler ça toutes les deux avec des couteaux, ou est-ce que vous voulez des flingues ? » demande Tina, mais sa blague ne fut pas appréciée. « Tu as passé l'ensemble de ta vie parmi des voyous. Tu n'as aucun droit de respirer le moindre mot contre des travailleur.se.s s'étant battu.e.s pour se libérer elleux même. » En disant cela, Luisa se lève, tournant le dos à Sabina, et se dirige vers la bibliothèque. Sabina se tourne vers moi. « La prochaine fois que tu écris à Yarostan, demande lui de t'en dire plus à propos de Manuel. Demande lui combien d'ami il avait quand il a refusé d'obéir aux ordres des chef.fe.s du syndicat. Demande lui s'illes étaient la majorité. Demande lui si ces ami.e.s étaient des voyous, comme Ron et moi. » Gardant le dos tourné à Sabina, Luisa craque, « Il n'y a pas de voyou comme Ron et toi parmi d'authentiques travailleur.se.s révolutionnaires. » « Demande à Yarostan, » Sabina continue, « si les ami.e.s de Manuel voulaient tirer à l'aveuglette sur les dirigeant.e.s du syndicat de la même manière que les combattant.e.s de la résistance ont tiré sur les nouvelleaux envahisseur.se.s. Demande lui s'iles voulaient s'occuper des officiel.le.s du syndicat de la même manière que toi et Tina t'êtes occupé de moi... » « Qu'est-ce que ça prouvera ? » je demande. « Demande lui quel camps à liquidé celleux là de ses ami.e.s. Demandes lui s'illes ont été abattu.e.s par les généraux des armées ou par les révolutionnaires qui ont parlé au nom des travailleur.se.s. « Il est parfaitement clair qui les a tué ! » j'insiste. « Qui ? » demande Sabina. Au même instant ou je dis « les généraux, » Tina dit simultanément, « les révolutionnaires. » Sabina gagne à nouveau, et, comme si elle avait soudainement changé de côté, Luisa explose, « Il y avait évidement des ennemi.e.s à l'arrière aussi bien que de l'autre côté des tranchées. » « Vraiment? » se précipite Sabina. « Des ennemi.e.s qui ont été abattu ? Je pensais que les ennemi.e.s étaient défroqué.e.s et traités comme de jeunes enfants ! » « Il y avait des agent.e.s ennemi.e.s payé.e.s qui ont assassiné des travailleur.se.s révolutionnaires et saboté la production, » continue Luisa. « Et que leur est-ille arrivé.e ? » demande Tina. « Illes ont été fusillé.e.s ! » « Mais il y a un instant tu disais que tu n'utilisais pas le mot ennemi de cette façon ! » C'est au tour de Tina de mettre Luisa dans l'embarras. Sans être affectée le moins du monde, Luisa continue, « Si ces saboteur.se.s et assassin.e.s n'avaient pas été arrêté.e.s, la révolution aurait été vaincue dès le départ. » « Alors pourquoi riais-tu de moi avant ? » demande Tina. Ignorant Tina, Sabina se jette. « De tel.le.s saboteur.se.s et assassin.e.s étaient une plus grande menace pour les révolutionnaires que les militaires attaquant, n'est-ce pas ? » J'e tente de prévenir Luisa que Sabina la mène toute droit dans un piège, mais Luisa insista pour s'y rendre. « C'est ça, ces gens là étaient le plus grand danger. Les soldats étaient des ennemi.e.s visibles, ouvertement réactionnaires, de l'autre côté des tranchées tandis que la vermine était indistinguable des travailleur.se.s. Illes avaient infiltré les réunions syndicales et les milices ouvrières ; illes paradaient comme de grand.e.s révolutionnaires. On ne les trouvait habituellement qu'après qu'illes aient fait leurs méfaits ou proclamé leurs programmes réactionnaires. » « Tu viens juste de dire qu'il n'y avait pas de gens comme ça dans la révolution, » observe Tina. « Il n'y en avait pas, » dit Sabina, « parce que les voyous destructeu.ice.s comme Ron avaient tou.te.s été fusillé.e.s par les bon.ne.s révolutionnaires. » Je proteste. « Yarostan n'a rien dit de la sorte. » « Demande lui ! » insiste Sabina. « Demande lui comment étaient les ami.e.s de Manuel et qui les a fusillé ! » Luisa a bien l'intention de continuer son argumentaire. « Yarostan compare un grand soulèvement historique avec les petits larcins d'un voyou. Il méprise les révolutionnaires et glorifie les gangsters. Jan, Manuel, Ron, et Yarostan lui même sont du genre à devenir les troupes de choc de mouvements réactionnaires. » Ignorant délibérément la dernière observation de Luisa, Sabina me demande, « Qu'est-ce que tu lui as dit à propos de Ron ? » Luisa dit, « Tu as de toute évidence glorifié Ron dans ta lettre à Yarostan. » « Non, ce n'est pas le cas, » je lui dis. « J'en ai seulement fait une description. Je lui ai dit que Ron volait des vélos. Pour Yarostan, ces vols étaient des actes individuels de rébellion C'est Yarostan qui l'a glorifié. » « Et tu ne l'as jamais vu comme un rebelle ? » me demande Sabina. « Beh oui, c'était le cas au début, » j'admet. « Je l'ai comparé à Yarostan et j'idéalisais les deux. Mais j'avais tort à propos de Ron. » « Quand est-ce que tu l'as su ? » me demande Sabina. « Je l'ai su juste avant cette nuit quand je me suis éloigné de vous deux, la nuit où tu m'as dit que j'étais tout à fait comme Luisa. » « Et tu as pris la peine de t'en rappeler toutes ces années ? » me demande Sabina. « Je l'ai écrit de manière à ne jamais l'oublier. Tu n'avais aucun droit de dire ça. » Luisa demande, « Est-ce que c'était insultant pour toi ? » Ne me laissant aucune chance de répondre, Sabina dit, « Tu l'as écrit mal. Je t'ai dis ça avant que tu t'éloignes de nous, avant que l'on plante la voiture. T'étais une plaie cette nuit là. » « Je pensais que toi et Ron venaient de faire l'amour sur la plage ! » « Ron et moi avons nagé ensemble et c'est tout ! J'espère que tu sais ça maintenant ! Mais il savait ce que tu penserais. Il a dit que si tu suspectais tes meilleur.e.s ami.e.s sans rien leur demander, il en avait fini avec toi. » Luisa me dit, « C'est une bonne chose que tu les ais quitté ou tu serais restée dans ce nid de... » Tina l'interrompit. « Ne le dis pas, s'il te plais. Tu parles de gens qui m'ont nourri, aimé et donné ; qui ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Ce n'était pas un nid. C'était les grand.e.s sages de l'époque. » Feignant un air aristocrate, elle continue, « Si tu venais à comparer mon astuce avec celle de ta propre protégée assise à ta gauche, je serait ravie de faire une démonstration... » « Tina. » Je chuchote, embarrassée pour Luisa parce que Sabina se tord de rire. J'ai véritablement du mal à m'en retenir moi aussi, mais Luisa a l'air misérable. « Je suis ici aussi, tu sais, » plaide Tina. Quelque chose en moi explose. « Je sais ça. Moi aussi. Luisa. Tu n'as aucun droit d'appeler nos ami.e.s un nid de quoi que ce soit. Mes semaines passées avec Ron étaient le seul moment heureux jusqu'à ce que je parte pour l'université. Oui, heureux, remplis d'activités, d'humour, de vie. Quand j'ai quitté Ron et Sabina, tout ce que j'avais en moi s'est vidé. J'ai passé mon temps les yeux fixé comme une chouette. Tu pensais que tout allait bien parce que nous parlions du passé tous les soirs. S'il-te-plais ne te lève pas pour partir, Luisa ! J'appréciais nos discussions, et elles avaient une grande signification pour moi, mais je ne voulais pas vivre seulement dans le passé. Je voulais aussi un présent. Non, tu ne m'as jamais privé de rien, tu ne m'interdisais rien. Je savais que je pouvais faire ce que je voulais et que j'aurai pu partir quand je le voulais, mais je ne t'ai jamais dit que nos discussions du soir n'étaient pas assez pour moi, Je ne voulais pas te dire que j'avais aimé Ron... » Sabina m'interrompt, « Je ne pensais pas... » « Je n'ai pas terminé ! » je lui dit. « Si Ron m'a aimé, il n'a aimé que la moitié de ce que je suis, il en rejetait l'autre. Je savais ça déjà longtemps avant cette nuit où nous sommes allé sur la plage. Ron le savais, et tu le savais aussi!C'était si évident pour moi cette nuit du vol à l'école quand toi et Ron êtes venu à la maison avec ces deux vélos que vous vouliez que je garde pour vous. Je n'avais pas vu aucun.e d'entre vous depuis presque un an et Ron n'a même pas montré son visage. Tu ne m'as pas dit ce que vous faisiez, ou où vous alliez. Vous m'avez utilisé mais vous ne me faisiez pas confiance. Ce n'est pas comme ça que l'on traite ce que tu appelles tes meilleur.e.s ami.e.s. » Luisa demande à Sabina, « Est-ce que tu as pris part à ce vol à l'école? » Je me tourne avec colère face à Luisa, « Est-ce que c'est tout ce que tu m'as entendu dire ? Oui, elle y a prit part ! Moi aussi ! Et même toi tu en étais complice ! » « Ne joue pas aux jeux de Sabina sur moi ! » hurle Luisa. « Je ne joue pas à quoi que ce soit ! » j'hurle en retour. « Une nuit, après que tu sois partie te coucher, je me suis réveillé en alerte parce qu'une personne jetait des gravillons à ma fenêtre. J'ai regardé par la fenêtre et vu Sabina, grimaçant innocemment, comme s'il état parfaitement normal de jeter des cailloux aux fenêtres à cette heure-ci de la nuit. Je pensais que quelque chose d'horrible s'était passé, mais Sabina a calmement roulé deux bicyclettes à l'intérieur. ''Est-ce que ça te dérangerais d'en prendre soin une demi-heure ? Et laisses ta porte ouverte.'' C'est exactement ce que tu as dit à ce moment là, Sabina ! Et tu l'as dit avec le même sourire. Étant donné que tu t'en souviens si bien, dis moi alors pourquoi t'es venue seule ? Pourquoi Ron n'étais pas avec toi ? Qu'étais-je pour Ron à ce moment là ? Est-ce que tu te souviens de l'état dans lequel vous m'avez laissé ? Je suis restée à la porte à trembler pendant toute cette demi-heure, sentant comme si des heures venaient de s'écouler. J'étais certaine que tu m'expliquerai ce qu'il s'était passé aussitôt que tu serais revenue. J'étais si certaine que tu m'expliquerais tout que je n'étais pas prête à te laisser partir avant que tu m'ais tout dit. Mais tu es revenue avec le même sourire démoniaque et tout ce que tu as dit était, non ne me le rappelles pas, comment est-ce que j'aurai pu l'oublier ? : ''Merci beaucoup.'' C'est tout ! Tu as disparu avec les vélos avant que je n'ai l'occasion d'ouvrir ma bouche. Je ne m'étais jamais sentie aussi humiliée. Je pensais que tu venais de terminer le coup que tu avais commencé à me porter cette nuit où nous sommes allé.e.s sur la plage. Le matin suivant, j'ai préféré penser que tout ça avait été un cauchemar » Luisa pointant un doigt tremblant à Sabina. « Tu as eu l'audace d'utiliser ma maison pour ce vol ? » et se tournant vers moi, m'a demandé « et tu l'as aidé ? » « Ce n'est pas ce qui m'as dérangé ! » je cri. « Ron était en prison avant que je n’apprenne ce qui s'était passé. C'est ça qui me gênait. Sabina, pourquoi ne m'as-tu pas dit ce que Ron et toi aviez fait ? Pourquoi est-ce que j'ai du courir pour te voir après que Luisa m'ai raconté qu'il y avait une histoire dans le journal sur ''cet affreux Ron''. » Sabina me rappelle, « Tu es venue chez Alberts avant le procès. L'histoire ne s'est retrouvée dans le journal qu'après. » « Mais je savais déjà à propos du cambriolage quand je suis venue te voir. » « C'est Lem Icel qui t'en a parlé, » me rappelle t-elle. « C'est vrai. La police avait appelé Debbie Matthews. Elle l'a dit à Lem, et Lem me l'a dit à la fin d'un cours ''qu'illes ont chopé le lumpen ; il sera en procès la semaine prochaine.'' Je suis partie de l'école et j'ai couru jusqu'à chez toi. » « Chez George Alberts » dit-elle pour me corriger « Pour moi, c'était ta maison. J'étais furieuse. Je voulais que tu saches à quel point j'étais enragée pour m'avoir laissé en arrière, tremblante derrière la porte à fixer des yeux ces deux vélos. Tu m'as dit ''Entre'' de manière nonchalante comme si rien ne s'était passé. J'étais furieuse. » « Et donc, qu'est-ce que tu as fait ? » me demande Tina. « Rien, parce que j'ai vu un paquet minuscule et couinant sur le canapé et j'ai aussitôt oublié tout ce que j'avais l'intention de crier. J'ai demandé à Sabina à qui c'était... » « Tu as demandé ce que c'était, » me rappelle Sabina. « Ce paquet c'était toi, Tina, toute neuve. » « Oh ! Quelle histoire excitante ! » dit Tina de manière sarcastique. « Est-ce que tout ça n'était qu'une introduction pour mon entrée triomphale au monde ? » « Désolé de te décevoir, Tina. J'ai perdu tout intérêt en toi aussitôt que j'ai appris ''ce'' que tu étais. Je n'ai jamais été fascinée par des gens ne sachant que baver et pisser. » « Moi non plus, donc tu n'as pas besoin de t'excuser, » dit Tina. « Je me suis souvenue de ma raison pour me retrouver là et une partie de ma colère m'est revenue. Sabina continuait à se comporter comme si rien ne s'était passé. Elle ne m'avait toujours pas dit... » « Te dire quoi ? » demande Sabina, se comportement délibérément de la même manière qu'elle l'avait fait alors. « C'est ce que t'as dis ! ''Te dire quoi ?'' Bien sur que je savais à propos du cambriolage à ce moment là. Je voulais que tu me dises pourquoi tu m'avais laissé plantée là derrière la porte à attendre dans l'ignorance. Mais sans dire un mot, tu m'as entrainée dans la cave. J'étais abasourdie. Elle était pleine de pièces de vélo, de moteurs, et tout un tas d'autres trucs. Ça sentait la graisse et la peinture. J'ai à nouveau oublié ce que j'étais venue demander. J'ai demandé si vous aviez volé toutes ces choses et tu m'as dit que la moitié l'était. Quand j'ai demandé à quoi tout ça vous servait, tu m'as dit que vous répareriez des trucs, en changeaient d'autres puis les vendaient. Ma colère s'était dissipée. Pour une raison ou une autre, je pensais que tout était clair, même si rien ne l'était. » Luisa marmonna, « Est-ce que c'est ça que Yarostan considère comme des actes héroïques de révolte individuelle ? Voler à des travailleur.se.s et des écolièr.e.s est pire que de briser une grève. » « Je pensais pareil quand je suis rentré de chez Sabina après qu'elle m'ai montré sa cave, » j'admis. « Je comprenais que Ron n'était pas ce que je pensais qu'il était. Il n'était pas un rebelle, et n'était certainement pas différent de n’importe quel autre businessman sans scrupule. » « Ron et moi savions tou.te.s deux ce que tu en pensais, » me dis Sabina. « Est-ce que c'est pour ça que vous ne m'avez rien dit ? Vous aviez peur que je balance Ron à la police ? » je demande. « Si c'est la limite de sa confiance en moi, comment est-ce que tu peux me dire que j'étais sa meilleure amie ? Quelle différence est-ce que ça aurait fait si j'avais su ? C'étaient ses propres empreintes digitales qui l'ont donné. » « Ron n'a pas été arrêté ou condamné à cause de ces empreintes, » dit Sabina mystérieusement. « Le procureur n'avait aucun moyen de connecter ces empreintes au cambriolage. » « Tu veux dire que c'est toi qui as volé cet objectif ? » je demande à Sabina. « On l'a tou.te.s les deux fait » dit-elle. « Ron a grimpé jusqu'au bureau du principal à travers sa fenêtre. Je suis resté de l'autre côté de la rue à faire le guet. » « Et il a laissé ses empreintes tout autour du projecteur. » je pointe. « C'était l'objectif d'un tout nouveau projecteur de film, » dit Sabina. « L'école l'avait principalement acheté pour les cours de sciences de George Alberts. » « Mais comment est-ce que Ron le savait ? » je demande. « Il n'y allait plus. » « Il l'avait vu quand il est arrivé, » elle explique. « Très peu de temps avant qu'il ne décroche, il avait été convoqué dan le bureau du principal pour avoir effrayé un.e prof. Il s'était fait enfermé dans le bureau pendant plus d'une heure. Seul avec le projecteur. Il l'avait étudié, dévissé l'objectif, mais il le remis en place car il savait qu'il se ferait prendre s'il le prenait. » Tina lui demande, « Mais pourquoi est-ce qu'il a laissé ses empreintes la nuit où il l'a volé ? Est-ce qu'il ne savait pas... » Sabina répond, « Il ne les a pas laissé cette nuit là. Il portait des gants quand il a grimpé jusqu'au bureau du principal. Il en est ressorti avec les objectifs, me les a montré, et les a balancé dans une poubelle. Il a été emporté par le ramassage du matin suivant. » Tina anticipe ma question, « Quoi ? Il les a jeté ? Pourquoi les voler alors ? » « Parce que Debbie s'était faite renvoyer de son boulot, » explique Sabina. « Ron a décroché de l'école quand ça s'est passé, mais il voulais faire plus. Il parlais de brûler l'école, puis il s'est souvenu des projecteurs. » « Pourquoi est-ce que tu n'avais pas pu m'en parler à l'époque ? » je plaide. « Parce que nous pensions que ta réponse serait identique à celle de Luisa : Voler les enfants de la classe ouvrière. Nous ne pensions pas que ça aurait été astucieux. Nous voulions que le procès expose les officiel.le.s de l'école qui avaient renvoyé Debbie comme des subversifs. Lors du procès, nous allions montrer que Ron avait été arrêté sans aucune preuve, simplement parce qu'il était le fils d'une subversive. » « Comment est-ce que vous auriez fait ça ? » je demande. « Illes ont trouvé ses empreintes sur toute la machine. » « Ron n'avait encore jamais été arrêté, donc illes ne connaissaient pas quelles empreintes illes avaient trouvé, » explique Sabina. « Illes l'ont arrêté parce qu'il était Ron Matthews, le voyou notoire et fils de Debbie Matthews la subversive. » « Mais les empreintes retrouvées étaient bien les siennes, » j'insiste. « Elles ne pouvaient pas l'être si il portait des gants le jour du cambriolage, » pointe Tina. « Debbie avait dégoté un avocat à Ron, » dit Sabina. « Ron lui a dit qu'il avait été enfermé dans le bureau du principal avec le projecteur pendant une heure. Celui-ci l'a vérifié et il a trouvé que c'était vrai. Ron lui a dit qu'il avait joué avec le projecteur par ennui pendant ce temps là. L'avocat n'était pas seulement convaincu de l'innocence de Ron. Il disait aussi qu'il n'y avait aucun moyen qu'illes puissent prouver qu'il ai volé ces objectifs. Ron n'a pas été condamné à cause de ses empreintes mais à cause du connard qu'il avait pour père. » « Je m'en souviens maintenant ! » crie Tina. « José m'a tout raconté de ce procès. Le père de Ron a menti comme un flic et a fait que le juge a pu condamner Ron sans même écouter les témoignages. * * * Tout d'un coup, je me souviens de ce procès aussi. Tout ce que j'avais trouvé de si étrange à l'époque deviens clair. Le plus étrange était qu'à l'exception du juge et de Tom Matthews, je semblais être la seule personne dans la salle à penser que Ron était coupable. Je suis allé au procès avec Lem. Sabina était déjà dans la salle, seule. Elle était au premier rang, près du banc où Ron allait s'assoir quand il serait amené J'ai reconnu Tom Matthews quand il est entré. Il s'assit à l'opposé du premier rang. Je pensais à sa voiture cabossée et frissonna Il ne me reconnu pas. Une femme de l'âge de Luisa entra, visiblement ivre. Elle se tenait au jeune homme entré avec elle. Lem me donna un coup de coude pour me dire que c'était Debbie Matthews. Je lui dit que je voulais la rencontrer et l'enfoiré me présenta comme la sœur de Sabina. Debbie marmonna qu'elle ne savait pas que George Alberts avait deux filles et me toisonna avec haine. J'ai essayé de lui dire que je n'étais pas exactement la sœur de Sabina, mais échoua a communiquer quoi que ce soit. Le jeune homme avec elle dit, « Salut, je suis José, pas exactement le frère de Ron. » Un homme avec un attaché-case entra et murmura quelque chose à Debbie. Puis il s'assit au centre du premier rang, et y étala ses papiers. Il s'agissait évidement de l'avocat. Après que le juge soit entré et ai demandé à tout le monde de se lever, Ron fut amené escorté par un policier. Il regarda a travers la pièce et sourit quand il me vit. Je ne lui rendit pas. Je lui en voulais de ne pas m'avoir parlé du cambriolage Son sourire s'est transformé en froncement et il détourna son regard. Quand il vit José, il ricana et leva son poing comme pour dire « On les aura ces batard.e.s. » J'entendit José murmuré à Debbie, « Ne t'inquiètes pas, illes ne l'auront pas. » Je ne comprenais pas. Je savais que Ron l'avait fait et pensais que la seule chose en question était la durée de sa condamnation. » * * * Luisa répond au dernier commentaire de Tina en criant, « Comment peux-tu avoir une image si tordue ? Ron a volé cette machine, pas son père ! Ce voyou a eu exactement ce qu'il méritait ! » Tina lui rappelle, « Je pensais que d'après toi personne ne méritait d'aller en prison. » « Si d'innombrables travailleurs sont emprisonné au quotidien pour voler de la nourriture pour leurs enfants, » rétorque Luisa, « Ce serait l'injustice la plus crasse si ce garçon avait été relâché après avoir volé à une école publique. » * * * Était-ce ce que je pensais à l'époque ? Si c'est le cas, je ne peux pas en vouloir à Ron et Sabina pour ne rien m'avoir dit. Je pensais que le procès était nul, mais que personne n'aurait pu s'attendre à une autre conclusion. Ça semblait être une simple formalité. Le procureur a donné un court discours, avançant que les preuves prouvaient la culpabilité de Ron sans l'ombre d'un doute ; Il dit que Ron était un criminel endurci de longue date et que son comportement devait être réformé de manière à ce qu'il ne continue pas de mettre en danger la vie d'honnêtes citoyen.ne.s et leurs enfants. La défense de Ron me semblait mesquine. Je considérais les arguments de son avocat comme prétentieux et insignifiants. Quand Ron fut appelé à la barre, son avocat lui demanda où est-ce qu'il avait vu le projecteur. Il raconta l'histoire de son enfermement dans le bureau du principal. Il admit avoir joué avec le projecteur à ce moment là. L'avocat demanda à Ron s'il avait vu le projecteur après ça et Ron répondit que non. Je n'en voulais pas à Ron de dire ça, mais je ne voyais pas comment n'importe qui pourrait le croire. L'avocat à appelé l'enquêteur de police à la barre et lui a demandé si ses empreintes pouvaient être trouvées où que ce soit d'autre dans la pièce. Ils n'avaient rien trouvé. L'avocat s'assit, de toute apparence satisfait de lui, bien que je ne pouvais pas imaginer pourquoi. Le procureur appela Ron à la barre. Il lui a demandé s'il était à l'école. Non. S'il travaillait ? Non. C'est tout ce qui lui fut demandé. Il appela Debbie Matthews. Elle n'y était de toute évidence pas préparée. « Moi ? » demanda-t-elle. Elle pouvait à peine marcher jusqu'à l'estrade. L'avocat de Ron émit une objection mais le juge l'annula. Le procureur demanda à Debbie si elle était la mère de Ron et elle dit que oui. Il lui demandât ensuite deux autres questions : Avait-elle été renvoyée du lycée ? Oui, elle l'avait été. Pouvait-elle décrire les raisons de son renvoi ? L'avocat objecta à nouveau mais fut encore annulé. Elle a proclamée avec défiance qu'elle avait été renvoyée pour avoir incité des écolièr.e.s à renverser le gouvernement, violemment. La pensée me vint que de tou.te.s les personnes dans la salle, Debbie et Lem étaient probablement les plus grand.e.s partisan.e.s d'un gouvernement ; illes adoraient l'État ; quelle ridicule ironie ! C'était tout ce que le procureur voulait savoir de Debbie. Il a appelé Tom Matthews à l'estrade. Il lui a demandé si Ron vivait à la maison. Matthews répondit « Non, ce n'est pas le cas. Je lui ai demandé de partir il y a environ un an, votre honneur, parce que j'ai découvert qu'il volait et entreposait la marchandise dans la cave de ma maison. » J'ai entendu José murmurer, « Quel bâtard ! » Le juge a du l'entendre aussi parce qu'il s'est tourné vers lui en frappant son marteau de bois sur la table. Le juge dit à Matthews de continuer. « J'aurais du le dénoncer à l'époque, votre honneur, particulièrement parce qu'il se pavanait en disant qu'il allait mettre un bâton de dynamite dans le mur de l'école. » Le juge frappa à nouveau de son marteau. Il déclara qu'il n'entendrait plus aucune preuve ; que le procès était terminé. Il condamna Ron à six mois d'école de réformation et une grosse amande. (Debbie l'a payé plus tard.) L'avocat de Ron avait l'air abasourdi. Il a hurlé son objection, mais le juge se leva et quitta la salle. Pendant que Ron se faisait escorter, il regarda en détresse dans la direction de José et Debbie. Les yeux de José étaient rouges de colère ; et Debbie était pâle comme une feuille. Tom Matthews s’échappa de la salle du tribunal aussitôt que le juge sorti, avec un air victorieux : Il avait eu sa revanche pour la voiture détruite. Je n'étais pas surprise de ce qu'il avait fait. Sabina resta assise dans son coin, sanglotant. Je ne l'avais jamais vu pleurer. Debbie et José n'en démordaient pas. Illes regardaient le juge absent ; ayant tou.te.s deux l'air hypnotisé, ou comme s'illes venaient juste de voir quelqu'un.e se faire renverser par un camion. Lem et moi nous sommes levé, et on s'en alla. Personne ne nous regarda. J'avais l'étrange sensation que quelque chose venait de se passer que je n'avais pas compris. Le jour suivant, Luisa me tendit le journal en demandant, « Est-ce que ce n'est pas le garçon que tu as ramené à la maison ? » J'ai joué la surprise. J'ai tenté de lui donner l'impression que je n'avais pas pensé Ron capable d'un tel acte. Je ne lui ai pas dit que les vélos avaient été chez nous la nuit du cambriolage, ni que j'avais été au procès. Je lui dit que j'avais eu tort à propos de Ron. Et c'était exactement la manière dont je me sentais. Dans le tort, trompée, lésée. Le Ron que j'avais à un moment recherché, trouvé, et aimé n'était pas celui que je venais de voir dans ce tribunal. J'avais cherché le Ron décrit dans tes lettres : l'insurgé, le rebelle rejetant toutes les institutions sociales à travers ses actes. Je l'avais trouvé ; et mon image de lui n'était pas détruite quand j'ai appris qu'il volait des vélos ; étant donné qu'il ne les volait pas aux garçons qui ne pouvaient pas se permettre d'acheter des chaines. Mais le Ron que je vit au procès n'était pas un insurgé. Il ne volait pas les riches mais ses ''pairs''. Il était un gangster qui volait pour de l'argent. La seule chose qu'il avait en commun avec un véritable insurgé était qu'il allait devenir un fugitif à se cacher en permanence de la police ; qu'il allait mener sa vie dans un environnement constitué de prisons et de tribunaux. Mais à la différence d'un insurgé, ses activité allaient demeurer inconséquentes dans la luttes contre les institutions dont les prisons et les tribunaux sont de simples symptômes. J'étais soulagée de ne pas être Sabina, assise et sanglotante dans cette salle de tribunal. J'étais soulagée que six ou sept mois plus tard, je quitterai ce lycée, ce quartier, et Luisa, soulagée que j'allais déménager dans un nouvel environnement, où je trouverai de nouveaux problèmes, peut-être de nouvelleaux ami.e.s, et peut-être même des projets pertinents, projets qui de manière significatives pourraient être ceux d'un.e insurgé.e. J'ai vu Ron pour la toute dernière fois juste avant la fin de l'année scolaire. Sabina jeta à nouveau des gravillons à ma fenêtre la nuit. Elle et Ron étaient tou.te.s deux dehors, et ont refusé d'entrer. Je me suis habillée et sorti. En dépit de tout ce que j'avais ressenti, en dépôt de toute ma colère accumulée, j'étais remplie de joie de les voir. J'ai pris Sabina dans mes bras et pleuré. C'était la première fois que je lui faisais savoir que je ne la détestais pas. Elle avait du être aussi surprise que je l'étais. J'ai donné ma main à Ron, il me tira à lui et m'embrassa. Luttant contre les larmes et essayant de sourire, j'ai dit, « Est-ce que je ne t'avais pas dit que je sortirai pour te rencontrer à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit ? » ; « Peut-tu répéter ça, très chère ? » il demanda. « Seulement si tu prononces mon nom correctement. » je sanglotait. « Sophie Nachalo, » il dit et m'embrassa à nouveau. Tout d'un coup, il demanda « Est-ce que ça veux dire que tu me fais confiance ? » Je me souvins d'à quel point j'avais été en colère parce qu'il ne m'avait pas fait confiance. Je ne répondis pas. Il se durcit et me laissa aller. On a commencé à marcher. Sabina brisa le silence. « Ron voulait te raconter les gens qu'il a rencontré à l'école de réformation. » Je dit, « Vraiment ? » dans une indifférence feinte. Je l'ai regretté immédiatement. J'aurais adoré écouter les commentaires de Ron sur l'école de réformation ; j'avais toujours apprécié écouter ses observations. Ce « Vraiment » me priva de ma dernière chance de les entendre. Ron entendit chaque nuances du sens que j'avais mis dans ce seul mot. Avec une hostilité non-masquée, avec un ton dans lequel il aurait pu aussi bien dire, donc tu as rejoint la police !, il dit « J'ai cru comprendre que tu allais à l'université. » Ce fut la dernière chose qu'il me dit. Il n'attendait pas une réponse ou une explication. Il semblait qu'il était devenu sourd et idiot. Nous continuâmes à marcher en silence. Tout avait été dit. Mais Sabina devint impatiente. « Vas-y, dit lui ! » elle insistait, mais Ron secouait la tête. Il n'avait pas l'intention de prononcer un autre mot ce soir là, pas plus que je n'avais eu l'intention d'accepter de me faire transporter sur le guidon de son vélo la nuit de l'accident de voiture. C'est Sabina qui fit toute la discussion. Elle me dit qu'il avait rencontré des adolescents scientifiques, ingénieures, artistes et acrobates. « Les esprits les plus brillant de notre époque sont dans les écoles de réformation. » L'un de ces esprits avait particulièrement impressionné Ron : un garçon nommé Ted. Sabina essayait sans succès d'imiter Ron, décrivant Ted comme un génie qui pouvait piquer la serrure de n'importe quelle voiture neuve et la démarrer en moins d'une minute, et que le gars avec qui il bossait conduisait la voiture dans son garage, là où lui et Ted les démantelaient en pièces ; Ted avait été pris seulement parce qu'il avait volé un coupé et s'en était servi pour se balader à travers la ville avec sa copine en plein jour. Sa copine avait seulement dix ans, et Ted n'avait pas l'air beaucoup plus vieux. Aussitôt que Sabina commença, j'étais désolée qu'elle me dise tout ça à la place de Ron. À quel point j'avais envie d'entendre l'histoire de sa bouche, avec ses commentaires caractéristiques et ses digressions. La narration érudite et parfaitement grammaticale de Sabina sonnait si artificielle ; elle enlevait tout l'esprit de Ron de ses expériences. Je me sentais misérable d'avoir ruiné mes chances de les entendre de lui. J'étais contrariée d'avoir a entendre un témoignage de seconde main. À chaque fois que Sabina faisait une pause, je la coupais avec Ron avec ce même mot : « Vraiment ? » Mon ton communiquait immédiatement à Ron, et je n'aurai pas pu être plus explicite si je leur avait dit que je n'appréciai pas de me faire réveiller tard dans la nuit pour me faire raconter des banalités si ennuyantes. Ron dit à Sabina, « Merde, on rentre à la maison. » Illes m'ont ramenée à la maison. Personne ne dit quoi que ce soit. Je voulais demander à Ron de me raconter encore ce que Sabina venait de dire, mais l’écart entre nous était devenu trop grand. Nous le savions tou.te.s les deux. Seulement une moitié de moi voulait entendre Ron décrire ''les plus grands esprits de notre époque.'' L'autre voyait Ron qui passait des vélos aux voitures, un Ron qui était en train de devenir un criminel professionnel. Je voyais une personne qui n'était aucunement un rebelle, une personne qui ne ressentait aucune camaraderie et aucune solidarité avec ses pairs, une personne pour qui les autres sont seulement des objets pour être utilisé de la manière dont il m'a utilisé cette nuit du cambriolage de l'école. Cette nuit là, Ron savait aussi bien que moi que seulement une moitié de moi voulait l'entendre parler de ses dernières aventures, partager ses observations, en rire avec lui et explorer les projets possibles avec ses nouvelleaux ami.e.s. Il a reconnu l'autre moitié comme la moitié dominante, la véritable Sophia. Cette moitié ci lui était étrangère, une étrangère hostile, une inconnue. Quand il me dit, ''J'ai cru comprendre que tu allais à la fac', c'était un équivalent à ''Merde, quand est-ce que j'ai eu quoi que ce soit à voir avec quelqu'une comme toi ? » J'étais étrangère à son monde, à ses ami.e.s et ses projets. Me parler de ses nouvelles expériences était une erreur. ''Merde, on rentre à la maison'' voulais dire ''Merde, ne perdons pas notre temps à parler avec ce professeur ; cassons nous d'ici ; c'est comme raconter à un.e flic ce qu'on à l'intention de voler ensuite.'' * * * J'ai demandé à Sabina, « Est-ce que tu n'aurais pas pu au moins me dire que Ron n'avait volé ces objectifs que pour ce qu'illes avaient fait à Debbie ? » « Ce n'était pas à moi de te dire quoi que ce soit, » Sabina répondit. « Ron ne pouvait pas se retenir de te le dire. Mais tu n'es jamais allé le voir en prison avant le procès, ni même une fois quand il était à l'école de réformation. Je savais qu'il aurait voulu que tu nous rejoigne quand il en est sorti, mais je savais aussi que tout ce que tu dirais serait, ''Vraiment ?'' Tu passais tout ton temps avec ce crétin de Lem Icel. Il était clair pour tout le monde sauf Ron que tu avais fait ton choix. La lettre de Yarostan le décrit parfaitement. Tu avais déjà choisi de rejoindre les moralisateur.ice.s, les prêtres, les juges. Il était idiot de ne pas le voir. Au moment du procès, tu étais aussi dégoutée de lui que Luisa l'était. Si nous t'avions dit que nous avions l'intention de gagner le procès, et que Ron en sorte innocent, si nous t'avions dit que notre intention était d'exposer la persécution de Debbie, qu'est-ce que ça aurait changé ? Je m'attentais à te voir crier à propos d’injustice et de l'immoralité à pousser à la persécution d'une pauvre travailleur pour un crime que Ron avait commis. » * * * Sabina a probablement raison. Au moment du procès de Ron, j'avais déjà fait mon choix. Mais je ne pense pas que ni toi ni elle aient raison sur la nature de ce choix. Je ne pense pas avoir choisi entre Ron et ce que tu appelle ''pédagogie.'' Je n'ai certainement pas choisi la ''pédagogie'' au sens conventionnel du terme. Ce type là ne m'attirais pas du tout. Les gens que j'admirais, toi, Luisa, Nachalo, Sabina, Ron ; n'avaient jamais terminé le lycée. George Alberts était le seul pédagogue dont j'avais jamais été proche et je ne pouvais pas le supporter. Peut-être que Luisa était aussi une sorte de pédagogue. Je comprend ce que tu veux dire dans ta lettre, mais je ne peux pas l'appliquer à ma propre vie. Lors de ma dernière année de lycée, je n'ai pas vu Luisa de la manière dont tu la décris. Je n'ai pas non plus choisi entre Ron et Luisa. Si j'avais rejeté Ron à l'époque, j'avais aussi rejeté Luisa. J'avais rejeté la perspective de passer mes journées dans une usine à rêver du jour où la grève générale mettrait fin au salariat. Ce furent précisément les expériences et les espoirs que j'avais appris de Luisa qui m'ont rendu en permanence incapable d'accepter l'ennui, la routine programmée, la supervision et la soumission. J'avais rejeté à la fois Ron et Luisa mais sans approuver la ''pédagogie'' officielle. Je n'ai pas remis en question les observations de Ron, comme quoi les brillant.e.s scientifiques, ingénieur.e.s et artistes étaient dans les écoles de réformation. Je savais déjà que la grande littérature n'était pas créée par les auteur.e.s de manuels scolaires ni les expert.e.s en écriture créative ; que les grandes découvertes n'étaient jamais faites par les bureaucrates appelé chercheur.se.s ; que les révolution n'étaient jamais menées par les universitaires qui rêvaient de gouverner la société de la même manière qu'illes le faisaient en classe. Ron, le cancre du lycée, avait une meilleure perception et était plus débrouillard que je ne le serait jamais. Et pour ce qui est d'information pure, Sabina en savait déjà plus à l'époque que tout ce que j'allais apprendre pendant mes années d'université, même si elle n'avait jamais terminée l'école élémentaire. Elle avait extrait de George Alberts chaque moreau de physique, chimie et biologie qu'il ai jamais appris. Elle et Alberts avaient converti le second étage de leur maison en un laboratoire et une bibliothèque. Puis Sabina abandonna tout ça pour rejoindre les ''brillant.e.s esprits de notre époque,'' des esprits capables de s'enfuir en conduisant une voiture neuve en moins d'une minute en plein jour dans une rue bondée. Elle a passer plusieurs années à vivre dans un monde sous-terrain que tu sembles abstraitement glorifier. Tu considères comme ''actes individuels de rébellion'' ce qui me semblait plus comme du vol, une fuite constante et de la prostitution. Peut-être que j'ai toujours été aussi étroit que Luisa sur cette possibilité. Sabina m'a offert cette alternative deux ans après la mort de Ron et je l'ai rejetée pour la seconde fois. Peut-être que je ne l'ai jamais vraiment compris. Tout ce que je sais c'est qu'à un moment, elle l'a aussi rejetée. Peut-être que je n'ai pas autant d'assurance sur le choix que j'ai fait à l'époque, mais ni toi ni Sabina ne m'avez convaincu avoir eu tort. Ce que je cherchais n'était pas en lien avec les buts officiels de l'université, même si j'admet avoir eu de vagues espoirs qu'en étudiant l'histoire et la sociologie, j'aurais pu clarifier mes expériences passées et celles de Luisa. Les premiers mois de cours ont tué ces espoirs pour moi. Là dessus au moins, je ne suis pas en désaccord avec toi. Les fonctionnaires d'état voient le monde comme leur bureaux. Tous leurs manuels et leurs cours célébraient l'ordre social existant ; l'appareillage qu'illes appelaient ''connaissance'' semblait avoir été créé avec l'objectif explicite de rendre le renversement de l'ordre social impensable. Tout ce que je valorisais était considéré comme dangereux et violent. Je suis entrée à l'université à l'époque où la vie similaire aux baraquements de l'institution monastique médiévale se voyait remplacer par une forme moderne de militarisation. Un grand nombre des professeur.e.s étaient directement employé.e.s par les forces armées. Des secteurs entiers d'activité qui avaient autrefois été des domaines d'érudition étaient transformé en usine de développement d'armes : Physique, chimie, biologie, anthropologie, sociologie et psychologie. À la place d'apprendre à formuler des questions, les étudiant.e.s étaient bombardé.e.s de réponses. Des apologistes du Capital et de l'État traitaient ouvertement leurs salles de classes comme des chaires desquels donner des sermons faisant l'éloge de la religion officielle. Les étudiant.e.s se faisaient laver le cerveau jusqu'à penser que les ennemi.e.s de l'État étaient leurs ennemi.e.s. Des critiques de tout horizons, y compris d'autres sortes d'adorateur.ice.s de l'État étaient systématiquement empêché de prendre la parole. Les étudiants mâles étaient en fait directement recrutés dans l'armée au moment de leur inscription à l'université ; et l'entrainement militaire devint une autre discipline académique. Plusieurs professeur.e.s ont été renvoyé pour refuser de jurer à servi l'État inconditionnellement ; tou.te.s celles restant ont signé un serment, promettant de mentir systématiquement, altérer ou falsifier tout ce qui pourrait menacer les intérêts de l'État. Non, je ne suis pas allée à l'université pour quoi que ce soit qu'elle avait à offrir. J'y suis allé parce que je rejetais le monde de Ron et celui de Luisa, et non parce que j'ai vu une communauté dans l'enclave armée qui existait seulement pour en détruire d'autres. J'y suis allé dans l'espoir de trouver d'autres comme moi, d'autres qui avaient rejeté ce que j'avais rejeté. La communauté que je voulais trouver état une de gens dont les choix avaient été similaires au miens. J'étais à la recherche de gens avec qui formuler des réponses significatives au monde que nous rejetions, des réponses qui allaient au delà des opportunismes évident dans l'intention de survivre. J'ai fait l'erreur d’emménager dans un dortoir, et y suis restée pour trois mois. C'était la chose la plus proche de l'emprisonnement prolongé dont j'ai jamais fait l'expérience. J'ai appris à jouer des tours, mais même dans ces moments là, j'avais du mal à endurer un régime de règles et régulations auxquelles je n'avais jamais été soumises de toute ma vie. Je ne pouvais pas me permettre de louer un appartement toute seule. J'ai ensuite trouvé des femmes étudiantes qui possédaient une maison et la géraient de manière coopérative ; celles qui pouvaient payer moins faisaient plus de tâches ménagères. J'ai lavé des plats et logé gratuitement. Ma première amie était ma coloc à la co-op, Rhéa Morphen. Je l'ai d'abord beaucoup appréciée, surtout parce qu'elle était si enthousiaste à mon sujet. Je suppose que tu apprécies toujours les gens qui t'estiment beaucoup. Elle m'a fait raconter au moins une douzaine de fois l'histoire de ma vie pendant mes premières semaines à la co-op. Le fait que ma ''mère'' travaille dans une usine automobile et soit capable de me supporter était déjà une recommandation pour Rhéa. Elle était d'autant plus impressionnée par le fait que ma ''mère'' n'avais jamais terminée le lycée, que ma ''sœur'' n'avait jamais fini l'école élémentaire et que mon ''père'' n'avait jamais passé un jour de sa vie dans une école. Son commentaire perpétuel était, ''Je n'y crois pas !'' mais après quelques semaines à être admirée comme une prolétaire parfaite, j'ai eu marre de son admiration et j'ai appris qu'elle faisait parti de la même église politique que Lem Icel, qu'illes étaient ami.e.s et qu'il était responsable du fait que nous Rhéa et moi étions coloc. Rhéa correspond parfaitement à ton portrait d'un.e politicien.ne. Son monde était peuplé de constituant.e.s et de dirigeant.e.s. À ses yeux, j'étais la constituante parfaite, une cadre potentielle, une potentielle cheffe intermédiaire, une prolétaire parfaite et assez intelligente pour comprendre la dialectique et comment l'interpréter à mes pairs. Son père était un avocat qui devint plus tard un politicien municipal. Lem était la partie de mon passé dont j'avais échoué à me débarrasser Il était dans l'un de mes cours. C'était de lui que j'avais appris l'existence de la co-op quand j'ai voulu quitter le dortoir C'était aussi en grande partie à cause de Lem que j'ai rencontré les gens qui allaient êtres mes ami.e.s à travers mes années d'université. Lui et Rhéa ont plus ou moins conspiré pour me recruter dans leur organisation. Il m'a fallu plusieurs semaines pour me rendre compte que j'étais une mouche prise dans une toile d'araignées. J'en ai eu ma première intuition quand, lors de l'une de ses sessions d'admiration, Rhéa commenta, « Tu as vraiment une conscience hautement développée ; tu vois beaucoup de choses de la même manière que moi, » impliquant qu'il y avais encore quelques choses sur lesquelles je devais encore être corrigée. Je lui ai immédiatement demandée s'il se pouvait qu'elle connaisse Lem Icel. Le moment de silence qu'elle prit pour répondre révéla son jeu. Quand elle dit enfin, « Oui, c'est un bon ami à nous, » Je savais qu'elle avait su à propos de moi avant que je ne déménage dans la co-op. Elle a admise avoir eu besoin d'une colocataire et que j'avais l'air idéale ; elle demanda si je lui en voulais ? Pas vraiment. J'avais détesté le dortoir et j'étais contente d'avoir trouvé de nouvelleaux ami.e.s. Alec Uros, l'ami de Rhéa lui rendait visite un jour sur deux et elle lui récitait invariablement mes vertus prolétaires. Alec était au moins aussi impressionné que Rhéa. Il était une autre personne pour quoi la fille d'une travailleuse était aussi exotique qu'un.e martien.ne. En fin de compte, leur conspiration se retourna contre elleux. À cause de moi, leur petit groupe universitaire s'effondra. Il l'aurait probablement fait quoi qu'il arrive, mais pas de la manière dont ça s'est produit. Rhéa était le membre ''publique'' de l'organisation. Elle allait à tout un tas d'événements et de réunions dans lesquelles elle annonçait la position de l'organisation sur les sujets discutés. Alec et Lem étaient des membres ''clandestins''. Tou.te.s trois se rendaient fréquemment à des réunions de l'organisation, souvent tenues dans la maison de Debbie Matthews, mais quand Alec et Lem se faisaient demander s'ils étaient membres, ils le niaient. Tou.te.s trois m'ont pressé de venir au moins une fois à l'une de leurs réunion, ne serait-ce que pour voir à quel points illes étaient des ''gens formidables'', mais j'ai immanquablement refusé leurs invitations, ratant mes chances de rencontrer tou.te.s ces gens magnifiques. Quand il venait rendre visite à Rhéa, Alec nous racontait ses projets dans l’équipe éditoriale du journal de l'école. Au plus il en parlait, au plus cela m'intéressait. Il parlait des professeur.e.s se faisant renvoyer pour refuser de signer le serment de loyauté envers l'état, d'étudiant.e.s qui refusaient de prendre part aux programmes d'entrainement militaire, des dernièr.e.s conférencier.e.s qui ont été empêché de prendre la parole sur le campus. Il percevait son rôle dans l'équipe de rédaction comme d'un fouille-merde exposant les infractions à la liberté d'expression et de rassemblement des étudiant.e.s. Il ne voyait aucune contradiction entre ses campagnes de presse et le déni de tout droit semblable par son organisation. La naïvité d'Alec me recruta, non pas dans son organisation, mais pour ses campagnes. C'était un projet que je reconnaissais et dans lequel je voulais prendre part. J'ai rejoint l'équipe de rédaction. Lem aussi. Yarostan, tes lettres m'inhibent. Non, je ne suis plus en colère. Je suis frustrée. Pendant vingt ans, j'ai eu envie de te raconter des choses sur moi, sinon dans des lettres alors dans un roman qui t'aurait été adressé même si il n'aurait pu t’atteindre Je voulais te raconter ma vie parce que je pensais que j'aurais vécu de la manière dont tu aurais voulu. Je me regardais à travers ce que je prenais pour tes yeux et je n'avais pas honte. J'étais en fait en quelque sorte fière de moi. Pas complètement. Je n'avais pas pris part dans le renversement du système dominant. Mais je n'y avais pas succombé non plus. Je ne m'en étais pas sortie indemne mais je n'étais pas non plus anéantie À la différence de Luisa, je n'avais pas vendu mon énergie productive. À la différence de Sabina, je n'avais vendu ni mon corps ni mon âme. Jusqu'à ce que tes lettres remettent en question mon auto-évaluation, j'avais pensé ne m'en être pas trop mal tirée. Mon activité dans l'équipe de ce journal étudiant était l'un des points culminant de mon histoire. Je la voyais comme une continuité de l'activité que j'avais une fois partagé avec toi. Et pourtant, maintenant que je peux enfin te raconter mes petites victoires, je me sens embarrassée et inhibée. Je ne peux pas m'empêcher de me voir à travers ces lunettes que tu portes maintenant, et je me sens grotesque. Les mots exacts que j'aurai utilisé pour me vanter de mes activités sont ceux que tu utilises pour les ridiculiser. Si mon désir de communiquer et défendre mes intuitions et expériences passées était de la pédagogie, alors c'est précisément l'opportunité de m’engager dans de la pédagogie qui m'a attiré vers l'équipe de rédaction du journal. Je pense que tu vas trop loin quand tu considères chaque aspects de cette activité comme autant de tentatives de convertir des gens à une religion. Je comprends la manière dont ton analyse s'applique à Lem, Rhéa et Alec ; je les reconnaissais comme missionnaires d'une religion répressive. Je peux même voir comment ton analyse s'applique à certains aspects de la relation de Luisa au monde. Mais je ne vois pas comment elle s'applique à moi. Pour communiquer une religion il faut avoir des certitudes et je n'en ai jamais eu. Tout au plus, j'avais des ami.e.s passé.e.s et des expériences, mais les réponses de ces ami.e.s et expériences m'ont donné dans n'importe quel contexte donné n'ont jamais été claires. Même si je reconnais que ta description de moi était exacte jusqu'à ta caractérisation de mon activité pédagogique comme un type d'activité de missionnaire, je ne peux toujours pas dire que j'ai choisi la pire des alternatives qui m'était offerte. En y repensant, je suis toujours convaincu que dans ces circonstances, je m'en suis plutôt bien sortie, étant donné que je sais maintenant quelles sont les autres alternatives qui me sont données. J'ai eu quelques occasions d'avoir un avant-goût des alternatives de Luisa aussi bien que celles de Sabina. Peut-être que j'ai avec le temps réussi à me réconcilier avec la situation de Luisa, mais je n'aurais jamais pu retenir la quantité d'énergie qu'il lui a fallu pour rester en vie. Je ne pourrais jamais avoir été Sabina ; Je n'aurai pas survécue ,ni physiquement ni psychologiquement. D'une certaine manière, c'est ironique que tu décrives l'activité que j'ai choisi comme religieuse. J'ai rendu visite à Luisa peu de temps après avoir commencé à travailler au journal. Elle venait juste de se faire convoquer pour témoigner dans une inquisition officielle, se faisant demander d'où elle était, ce qu'elle avait fait, ce qu'elle pensait. Elle appris plus tard que cette enquête ne la concernait pas elle mais George Alberts. Son tour était venu de subir le traitement dont il avait fait souffrir Debbie Matthews. George Alberts, la personne que j'avais toujours considéré comme l'opportuniste modèle, se faisait appeler un subversif et s'était fait renvoyer de son emploi de prof. (N'ai pas de larme pour lui ; il commença immédiatement une sorte d'organisation de recherche connectée à l'armée, et vendit à nouveau ses talents au même gouvernement qui venait de le renvoyer.) Quand Luisa me dit ça, j'avais l'impression de faire parti de la pitoyable poignée de personnes engagé.e.s dans la lutte contre la religion d'état et son inquisition. Je me voyais comme une athée lors d'une chasse au sorcière, dirigée non seulement contre les gens jouant aux révolutionnaires, mais aussi contre des individu.e.s complètement dénué.e.s de principes comme Alberts qui une fois dans leur vies avaient été porté par la marée d'un soulèvement révolutionnaire. Certain.e.s de mes ami.e.s du journal étaient dévoué.e.s à une contre-religion aussi répressive que celles contre laquelle nous nous battions, et ont tenté de me convertir. L'objectif de Lem, et d'une moindre manière celui d'Alec était de convertir tou.te.s les étudiant.e.s de l'université à leur type d'adoration de l'État. Mais mon approche, influencée par Luisa et par mes expériences avec toi était significativement différente de la leur. Je ne pense pas que tu puisse vraiment la qualifier de religieuse. À la différence de Lem et d'Alec, je n'écrivais pas d'article sur les professeur.e.s renvoyée de manière à prouver qu'illes ne l'auraient pas été si la contre-religion était en place. Je savais parfaitement bien que les professeur.e.s n'auraient pas été embauchées dès le début. Mon seul but était de décrire les classes militaires, le bannissement des conférencièr.e.s et le renvoi des professeur.e.s, et laisser les lecteur.ice.s tirer leurs propres conclusions des faits. Pour moi, la réalité elle même était si scandaleuse que j'étais certaine que de nombreux.ses étudiant.e.s se mettraient à agir aussitôt qu'illes sauraient les faits. J'avais tort mais pas complètement. Plusieurs années plus tard, un grand nombre d'étudiant.e.s ont en fait répondu au scandale ; mais ce mouvement est aujourd'hui noyé par des variations de la religion véhiculée alors par Rhéa et Lem. Je n'ai pas seulement résisté les tentatives de Rhéa et Lem pour me recruter et m'utiliser, mais en leur résistant, j'ai aussi aidé à ruiner leurs autres plans et leur organisation minuscule. L'éditeur du journal du campus, Hugh Nurava était un étudiant très réservé et très classe-moyenne J'ai immédiatement été fascinée par lui. Les mots qu'il employait le plus souvent étaient ''responsable'' et ''juste''. Il semblait convaincu qu'il y avait toujours deux, mais jamais plus de deux aspects pour chaque question. La tâche de l'éditeur ''responsable''était d'être ''juste'' vis-à-vis des ces deux côtés. Une fois, Alec écrivit un article sur des étudiant.e.s qui avaient refuser de faire leur serment de loyauté à l'État, et avaient été forcée de marcher lors d'une parade militaire dans leur vêtements civils. Illes avaient l'air ridicules, même pour leurs propres ami.e.s et tou.te.s le monde ria d'elleux. Hugh fit beaucoup d'efforts pour donner un espace équivalent à l'autre côté de la question. Il fit une interview d'un professeur ''militaire'', et publia côte à côte avec l'article d'Alec, un article aussi long décrivant les dangers d'un.e ennemi.e omniprésent.e et dont les étudiant.e.s en uniforme protégeaient la civilisation d'une invasion imminente. J'ai une fois écrit un article sur un pacifiste qui devait parler dans un amphithéâtre de l'université, mais qui s'était fait refuser la permission de prendre la parole juste avant que l'événement ai lieu. Par soucis de ''justice'', Hugh téléphona à l'administration de l'université et publia côte à côte avec mon article le communiqué officiel de l'administration comme quoi la politique de l'université était de ne jamais empêcher quiconque de parler sur le campus étant donné que la liberté d'expression était une condition indispensable pour l'éducation. Le fait qu'un article contredisait absolument l'autre ne prouvait pas à Hugh que l'un d'entre eux puisse être faux ; mais que ''la vérité'' se trouvait ''quelque part entre les deux extrémités''. La seconde personne sur l'échelon du journal était Bess Lach. Elle gérait l'édition. C'était la seule personne de l'équipe à part moi à ne pas venir de la classe moyenne. J'avais appris que sa mère travaillait comme femme de ménage pour les gens qui étaient les gerrant.e.s dans l'usine ou Luisa travaillait. Son père s'était tiré quand elle n'était qu'une enfant. Si pourtant elle était encore plus ''prolétaire'' que moi, ni Lem ni Alec n'avaient le moindre intérêt pour elle. Il était impossible de communiquer avec elle. Elle était littéralement une machine. Je suis certaine qu'elle fut la meilleure éditrice que le journal ai eu, avant ou depuis. Elle lisait, mesurait, comptait avec la vitesse et la précision d'un ordinateur. Mais à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche, elle articulait une loi. ''Ne fais pas'', ''ne peux pas'', ''pas permis'', ''contre les règlements'' apparaissaient dans chacune de ses assertions. Elle avait internalisé tou.te.s les codes de l'État et de l'université, écris ou non, et aussi longtemps que Hugh fut l’éditeur, elle acquis aussi les codes de ''justice et responsabilité''. Bess et Hugh sortaient ensemble quand je les ai rencontré. Je ne peux pas imaginer ce qu'illes auraient pu se dire l'un.e à l'autre et je ne lui ai jamais demandé. Peut-être qu'en énumérant les règlements, elle a familiarisé Hugh avec ses ''responsabilités''. Je doit admettre que je n'a jamais été capable d'avoir la moindre solidarité pour ma collègue Bess. Le membre le plus étrange de l'équipe de rédaction du journal était Thurston Rakshas. Il venait du plus haut de la hiérarchie sociale et je suis sure que c'est là qu'il est encore aujourd'hui. Il se considérait supérieur au reste d'entre nous en astuce, connaissance aussi bien qu'en apparence. Il se pensait lui même comme un humoriste. Il écrivait une colonne régulière de blague qui se trouvait en fait être très ingénieuse ; et écrivait occasionnellement un article. Je riait à chaque fois qu'il disait quoi que ce soit. Il pensait que j'appréciai son brillant sens de l'humour mais en fait je riais de lui. Je pensais que ses postures était ridicules et hilarantes. Je n'avais jamais été aussi proche d'un véritable dilettante, d'un véritable héritier de la fortune arraché au travail de millions de salarié.e.s. Il ne vit jamais à travers mon jeu, véritablement convaincu que mon rire exprimait une appréciation de son esprit, et un jour m'a demandé de l'accompagner à un bal qui devait avoir lieu plusieurs semaines plus tard. J'ai accepté son invitation immédiatement. J'avais immédiatement trouvé que c'était ma chance de m’échapper de l'attention non-désirée de Lem aussi bien que de celle de Rhéa. J'ai bien insisté sur le fait d'annoncer à toute l'équipe que j'avais accepté l'invitation de Thurston au bal. Mon stratagème fut un succès complet, mais de manières que je n'avais pas prévu. Quand je l'ai dit à Rhéa, elle me dit, « Je suppose que j'ai surestimé ta conscience de classe. » Cela mit fin à son admiration pour sa coloc prolo. Elle ne m'a plus jamais demandé après ça sur le contexte de l'éducation de ma ''famille''. Et elle ne m'a plus jamais non plus demandé de rejoindre son organisation. Lem me trouva une après-midi quand j'étais seule dans le bureau du journal à taper un article. Il s'assis à côté de moi et commença à pleurer. « Est-ce que tu vas vraiment faire ça ? » il demanda. « Quoi, Lem ? » J'ai demandé innocemment « Est-ce que tu va sortir avec ce réactionnaire, cet exploiteur de la classe ouvrière ? » il demanda. « C'est une personne fantastique quand tu le connais un peu, Lem, » je mentais. À ses yeux, j'étais ''perdue''. Ma stratégie fut un succès instantané. À partir de ce jour là, je n'ai plus eu de missionnaire personnelle me suivant partout comme une ombre. Lem se retira vers Debbie Matthews et les réunions de son organisation. Ce qui me pris complètement de surprise fut la réponse d'Alec à mon flirt hypocrite avec Thurston. Il était jaloux. Il ébaucha un plan pour me ''sauver'' des griffes du ''dangereux réactionnaire''. Au cours de ce plan conçu avec excellence, il jeta par dessus bord tout ses engagements politiques, ruina les plans et projets de son organisation et créa le chaos le plus complet dans l'équipe du journal. Alec ne me confronta le problème directement avec moi. En fait il eu une approche si évitante que je me rendis compte de ce qu'il avait fait seulement plusieurs mois plus tard. Sa stratégie était brillante, mais comme toutes les stratégies brillantes, elle apporta des conséquences complètement inattendues Il commença par rompre sa relation avec Rhéa. Il lui dit qu'il avait perdu ses illusions sur l'organisation et déchira sa carte de membre en sa présence. Rhéa me blâma pour ça. Elle m'accusa de lui avoir lavé le cerveau avec mes arguments réactionnaires. J'ai défendu du fond du cœur n'avoir rien eu avoir avec la désillusion d'Alec. Je me sentais désolée pour elle. Je ne savais pas du tout la place que j'occupais dans la manigance d'Alec. J'ai déménagé en silence dans une autre chambre dès lorsque j'ai commencé à le comprendre. La défection d'Alec de l'organisation, et ma déficience comme cadre ont laissé Lem isolé dans l’équipe du journal. Pour remédier à ça, Rhéa elle même rejoint la rejoint. Après sa rupture avec Rhéa, Alec forma une clique avec Minnie Vach et Daman Hesper, les deux autres membres de l'équipe de rédaction du journal. Minnie et Daman étaient membres d'une secte politique indiscernable de l'organisation de Lem en terme de relations internes, mais considéraient l'organisation de Lem et Rhéa comme le plus grand fléau corrompant l'humanité. J'étais d'accord avec une grande part de ce qu'illes disaient. Un grand nombre de leurs vues avaient même une similarité superficielle avec celles que tu exprimes dans tes lettres. Par exemple, illes tenaient que toute organisation de révolutionnaires professionnel.le.s qui prétendrait émanciper les travailleur.se.s ne ferait que les réduire à nouveau en esclavage. ; que les révolutions ouvrières ne pouvaient être menées que par les travailleur.se.s elleux même. Ce que je ne pouvais pas comprendre à l'époque, et ne peux toujours pas maintenant est la manière dont illes voyaient leur propre secte. Illes ne s'épuisaient jamais de me dire que le rôle de leur organisation n'était pas de diriger les travailleur.se.s mais de les éduquer. Il ne semblait jamais leur apparaître que l'éducateur.ice dirige et que l'étudiant.e suit. La résignation d'Alec de la secte de Lem et Rhéa était une précondition pour son alliance avec Minnie et Daman. Si je me réfère à Minnie et Daman comme une seule personne c'est parce qu’à l'époque, illes étaient comme des jumeaux siamois.e.s, Minnie formulant les arguments, Daman ne faisant que les accentuer. Alec eu une longue discussion avec Minnie et Daman quelques jour avant sa rupture avec Rhéa. Il leur dit qu'il était enfin convaincu par leurs arguments et qu'il avait quitté son organisation. Il leur prouva en leur montrant sa carte de membre déchirée. Il s'est même rendu à quelques réunions de la leur, même s'il m'a dit plus tard qu'il n'était pas du tout d'accord avec leurs pratiques d'organisation. Aussitôt qu'il eu gagné leur confiance, tou.te.s trois commencèrent à planifier une série d'articles qui exposeraient systématiquement les biais de l'éducation, l'ampleur avec laquelle les officielles militaires et de l'État dominaient les politiques de l'université, la lâcheté de l'administration et des professeur.e.s, l'apathie des étudiant.e.s. Chaque jours, l'un.e d'elleux soumettait des exposition du cursus militaire, des articles sur les professeur.e.s renvoyé.e.s, des entretiens avec des pacifistes. Hugh ne pouvait absolument pas suivre avec ''l'autre côté'' de chacune des questions soulevées par leurs articles. En conséquence, il y avait de vives confrontations dans le bureau du journal presque tout les jours. Bess et Thurston déclaraient que si ''l'autre côté'' ne se faisait pas donner un espace équivalent, le journal deviendrait une feuille de propagande et qu'en conséquence les articles de Minnie, Daman ou Alec devraient être supprimés quand une contrepartie ne pouvait pas être publiée pour les accompagner. La position d'Hugh n'était pas aussi évidente que ça. Aussi motivé qu'il soit à publier les deux aspects de chaque question, il avait en revanche encore un autre principe : Aucun article ne devrait être supprimé. Étant donné qu'il ne pouvait résoudre le conflit entre ses deux principes, il mettait la question à un vote de l'équipe. Au début, le résultat du vote était que Minnie, Daman et Alec surpassaient en nombre Bess et Thurston car Hugh, Rhéa, Lem et moi nous abstenions. En conséquence de quoi tous leurs articles étaient publiés. La raison pour laquelle Lem et Rhéa s'abstenaient était qu'illes refusaient d'être du même côté que Minnie, Daman et Alec ''le renégat''. Je m'abstenais parce que si j'étais en faveur de l'inclusion des articles sans les opinions de l'autre côté, mon vote n'était pas nécessaire à leur inclusion. Mais cet ordre des choses ne dura pas longtemps. Une fois, Minnie écrivit un article contenant une critique de l'organisation de Lem et Rhéa. Dès ce moment, à la fois Rhéa et Lem ont formé un bloc ridicule avec Bess et Thurston et voté contre l'inclusion de chaque article écrit par Alec, Minnie ou Daman, qui étaient surpassé.e.s en nombre, trois contre quatre. Je fut forcée à prendre parti. Bien sur, je votais en faveur de l'inclusion de chaque article sans distinction, donnant lieu à une égalité : quatre pour, et quatre contre. La colère grimpa et les clique se figèrent. Après un échange particulièrement houleux qui pris part quelques jours avant le bal auquel je devais accompagner Thurston, il me dit très poliment qu'il préférerait ne pas y aller avec moi. J'étais soulagée. Alec savais que tôt ou tard j'aurai à prendre parti et qu'à ce moment là je m'opposerai à Thurston. Je n'étais plus bloquée à rejoindre ouvertement la ''clique''. Mais décision finale concernant l'inclusion ou non des article revenait toujours à Hugh. Il trouva une nouvelle fois une manière d'être justice avec les deux côtés. Il votait avec nous un jour, et contre nous le suivant, de manière à ce qu'un de nos articles sur deux deux était supprimé. En dépit de l'exclusion de presque la moitié de nos articles, j'avais l'impressions que mes nouvelleaux ami.e.s et moi étions engagé.e.s dans une croisade virtuelle pour exposer l'ambiance répressive de l'université. Ma tolérance pur ces nouvelleaux ami.e.s n'étaient pas inconditionnelle. Je me disputais rarement avec Minnie et Daman. Illes étaient infiniment mieux renseigné que je ne l'étais, et les phrases dans lesquelles ils plaçaient leurs arguments m'intimidaient. Et pourtant en dépit de leur érudition et de leurs talents rhétoriques, je voyais à travers leur jeu. Leurs affirmations selon quoi les travailleur.se.s étaient parfaitement capable de s'occuper de leurs affaires n'étaient qu'un slogan dans lequel ni Minnie ni Daman ne croyait vraiment. L'aptitude des travailleur.se.s à gérer elleux même leurs affaires semblait dépendre de leur capacité à l'apprendre de l'organisation de Minnie et Daman. Et illes étaient convaincu.e.s, crois le ou non, que leur secte avait découvert la capacité des travailleur.se.s à gérer leurs affaires ; que leur secte avait découvert les conseils ouvriers, et que leur secte avait découvert l'aspect réactionnaire du rôle des politicien.ne.s révolutionnaires. Nachalo, Margarita et Luisa l'avaient tou.te.s appris d'expériences vécues ; et cette connaissance s'était répandue dans leur sang ; illes avaient appris lors de guerres contre-révolutionnaires douloureuses à quel point les politicien.ne.s révolutionnaires transformaient les mouvements ouvriers en bandes de bureaucrates gouvernementaux. Pour Minnie et Daman, ces expériences difficiles n'avaient été rien d'autres que des phrasés découverts par leur secte hier seulement, et en rien appliquées à leurs relations les un.e.s avec les autres au sein de l'organisation. Je ne pouvais pas les respecter. Mais j'appréciais fouiller la merde avec elleux. J'acceptais Alec avec moins d'appréhensions. Il était politiquement informe. Il avait rejoint la secte de Rhéa pour les mêmes raisons que tu dis Manuel avait rejoint son organisation. Alec avait été le petit ami de Rhéa et l'avait suivi dans l'organisation comme à un rendez-vous. Quand il commença à s'intéresser à moi, il abandonna Rhéa et tout le credo de son organisation. Après sa sortie de l'organisation, il élabora un pot-pourri politique consistant en des observations de Minnie et moi-même mises dans des slogans qu'il avait retenu de ses engagements précédents. Alec n'avait rien du tout en commun avec toi ou Jan Sedlak ou Ron Matthews. Mais en dépit de sa naïveté, et peut-être à cause de celle-ci, je l'appréciai beaucoup. Une nuit, quelques semaines après que j'ai déménagé de la chambre de Rhéa, Sabina me surpris par une visite. Elle fit irruption dans ma chambre à la co-op tard dans la soirée. Alec venait juste de me raccompagner. Lui et moi avions apporté le journal à l'imprimeur cette nuit là ; nous avions fait toute la relecture de dernière minute, coquilles et raccourcissement des articles. Sabina avait attendu dehors qu'il s'en aille. J'étais morte de fatigue, la tête toujours remplie des événements de la journée. Minnie avait soumis un très long entretien avec un général du campus qui s'était vanté en lui montrant les dossiers qu'illes tenaient sur l'ensemble des étudiant.e.s de l'université. Il classait les étudiant.e.s en terme de leur degré de patriotisme, de loyal.e.s à apathiques, déloyal.e.s, dangereux.ses et subersif.ve.s. L'article était l'une des plus grande exposition de l'année. Hugh avait voté avec nous quatre pour l'inclure. Je n'étais pas forcément réjouie de voir Sabina cette nuit là. Je savais que je m'étais tournée contre elle et Ron longtemps avant qu'illes me laissent derrière avec leurs vélos. Je savais que mon hostilité à leur encontre n'était qu'en partie motivée par le fait qu'illes n'avaient pas eu confiance en moi à l'époque du cambriolage. Je savais que j'avais rejeté Ron bien avant notre excursion sur la plage dans la voiture que Ron a mis dans le fossé. C'était vraiment clair pour moi quand j'ai vu Sabina cette nuit là, parce que j'étais alors impliqué dans des activités et des amitiés que j'avais espéré trouver quand je me suis d'abord tourné contre Ron. Pour moi il était clair que j'avais déjà rejeté Ron à l'apogée de notre relation, à l'époque de nos premières excursions en vélo. Il l'avait su aussi vite que moi. Ça avait été évident pour lui autant que pour moi qu'il ne pouvais pas prendre mon chemin que ne pouvais le sien., qu'il aurait suffoqué dans une atmosphère de querelles mesquines masquées sous un langage érudit et n'aurait pas pu combattre ses batailles sur ce terrain là. Oui, Yarostan, je savais à quel moment j'ai fait le choix que tu décris. Ce n'était pas le domaine de Ron ni de celui de Sabina, mais je savais que c'était le mien. Et ce n'était pas seulement des querelles mesquines. Cette nuit là, j'avais déjà combattu des batailles significatives. Je ne veux pas exagérer leur importance, mais je suis certaine qu'elles l'étaient bien plus que celles que j'aurai pu accomplir dans le domaine de Ron. Alors que j'étudiais Sabina, me demandant pourquoi est-ce qu'elle était venu, je ne regrettais pas d'avoir rejeté leur chemin ; ne pouvant m'imaginer quoi que ce soit de socialement pertinent sortant de voitures volées. Ce fut la seule fois que je la vis jusqu'à ce que je me fasse renvoyer de l'université. Le matin suivant, je me souvint de sa visite comme d'un mauvais rêve. Sabina parla comme un robot. Elle regardait à travers moi et ne semblait pas se soucier de savoir si je l'entendais ou non. « Ron est mort. » « Mort ! Comment ? Quand ? » Je demandais. « Toi et George Alberts êtes responsable, » bourdonna-t-elle. Je pensais que sa froideur et son semblant d’indifférence étaient des symptômes d'hystérie. Je ne donnais aucun crédit à l'accusation et répéta mes questions. « Porté disparu, » répondit-elle. « Illes n'ont pas dit quand ou comment. » « Mais quand est-ce qu'il a rejoint l'armée ? » Je demandais incrédule. « L'aviation. Il s'est engagé à cause de toi, » me dit-elle sans élever sa voix, sans sembler être au courant qu'elle me disait quoi que ce soit d'extraordinaire. « Sabina ! » je criais. « Je ne comprend pas ! » j'explosais en sanglot. « Je ne pensais pas que tu le ferais. Mais je pensais que tu méritais de savoir. » En disant cela, elle parti aussi abruptement qu'elle était arrivée. Je pleurais dans l'incompréhension jusqu'à ce que je m'endorme, sans me déshabiller ni me laver. Le matin suivant, c'est Alec frappant à la porte qui me réveilla. Il était irrité. « Qu'est-ce qui va pas chez toi ? » demanda-t-il. « C'est pas vraiment le jour pour une grasse matinée. » Nous avions eu l'intention de nous précipiter jusqu'aux boites dans lesquelles le journal était distribué pour voir la manière dont les étudiant.e.s répondaient à l'article de Minnie. Nous avons passé la journée à interviewer des étudiant.e.s souhaitant exprimer leurs réponses à l'article. La visite de Sabina et la mort de Ron se retirant dans ma mémoire. *** « Tu a absolument raison, » j'admet à Sabina. « Au moment du procès de Ron, j'avais déjà fait mon choix. Je m'était détournée de Ron. Mais pourquoi est-ce que tu m'as dit que j'étais responsable quand tu es venue me dire qu'il était mort ? » « Toi et George Alberts étaient responsables, » dit Sabina avec le même ton qu'elle avait utilisé quatorze ans plus tôt. « Comment peux-tu répéter cette accusation aujourd'hui ? Je lui demande. « Quand tu l'as dit cette nuit où tu m'as rendu visite à la co-op, je pensais que tu étais hystérique. Que Ron t'avais quitté et qu'il venait juste de se faire tuer à la guerre. » « Ron ne m'a jamais quitté, » dit-elle. « Il t'a quitté toi. Et il n'a pas été tué à la guerre. » « Est-ce que tu pourrais arrêter d'être si cryptique et mystérieuse ! » je crie. « Ce que tu dis n'a aucun sens pour moi ! » Tina me demande, « Es-tu certaine que c'était Sabina qui était hystérique cette nuit là ? » « Qu'est-ce que t'en sais ? » je lui demande. « Tu n'avais que quatre ans à l'époque. » « J'en sais foutrement plus que toi là dessus, » proclame Tina. « Tout d'abord, j'avais presque cinq ans, et ensuite José m'a raconté ses derniers jours avec Ron au moins une douzaine de fois avant que tu ne viennes au garage. Et t'étais toujours la méchante de l'histoire. Je pensais à toi, George Alberts et Tom Matthews comme les personnes méchantes de ce monde. » « Si t'en savais autant, pourquoi est-ce que tu ne m'as rien dit après que tu sois partie du garage ? » je lui demande. « Est-ce que tu te moques de moi ? Tu était tout aussi intéressée par Ron que Luisa l'est, » dit Tina. « À chaque fois que je le mentionnais, tu prenais une posture professionnelle ''oh, vraiment ? Qu'est-ce qu'il a encore volé ?'' » Luisa en rajoute : « Qu'est-ce qu'il à d'autre à dire de lui ? » « Rien, » je lui dis, « absolument rien. » « Donc pourquoi est-ce que Sophia aurait voulu entendre quoi que ce soit sur Ron ? » demande Luisa à Tina. « Parce que je veux entendre des choses sur lui maintenant, voilà pourquoi. Je veux savoir ce que c'est que Tina savais de Ron pendant toutes ces années. » « Le jour où Ron est sorti de l'école de réformation, José et Sabin sont allé le chercher, » commence Tina. « À la place d'être heureux de voir ses deux meilleur.e.s ami.e.s, Ron entra dans la voiture et demanda ''Où est Sophie ?'' » Je demande à Sabina, « Est-ce que Tina invente tout ça ? » Elle secoue la tête. José pensait que Ron blaguait, » continue Tina. « Il demanda à Ron qui était Sophie. Puis s'énerva contre lui pour s’attendre a ce que quelqu'un.e d'autre que lui vienne le chercher à sa place, mais il vit les larmes dans ses yeux et demanda à Sabina à qui d'autre est-ce que Ron s'attendait. Sabina lui dit que tu n'étais pas au courant de la date à laquelle il était supposé sortir. » « Tu ne m'a jamais rien dit là dessus, » dis-je à Sabina. « Nous t'avons rendu visite après sa sortie et tout ce que tu a dit était ''Vraiment ?'' » « Ron ne m'a presque rien dit cette nuit là, » j'insiste. « Tu faisait toute la discussion. Il semblait être dans un autre monde. » « Différent de qui ? » demande Sabina. « Du mien ! Du mien ! » je répond avec colère. « Tu avais tellement raison ! As-tu jamais eu tort, Sabina ? Sur quoi que ce soit ? » Tina continue, « José disait que Ron avait changé après que lui et Sabina t'aient rendu visite cette nuit là. José pensait que c'était à ce moment là que Ron avait décidé qu'il y avait deux-trois choses de plus qu'il voulait faire de sa vie avant d'en finir. » « Ça ressemble toujours à ça après qu'une personne meure, » je lui dis. « La dernière chose qu'elle fait ressemble toujours à la dernière chose qu'elle avait l'intention de faire. » « José ne venait pas juste de le rencontrer, tu sais ! » s’exclame Tina. « Il a eu cette impression là avant sa mort, et pas après. » « Je sais depuis combien de temps José connaissais Ron, » j'admet. Tom et Debbie Matthews l'avaient adopté pendant la dépression. C'était principalement José qui l'avait élevé quand Tom et Debbie avaient tou.te.s deux des boulots pendant la guerre. Quelques années après, Tom accusa José d'apprendre Ron a être un criminel. Il quitta la maison des Matthews en colère et ne le revit pas jusqu'au procès de Ron. Tina continue, « La première chose que Ron voulait faire après t'avoir rendu visite était de trouver Ted, qui avait quitté l'école de réformation quelques mois avant Ron. » « Pour ouvrir le garage : pièces volées à prix réduit et héroïne pour la santé des plus pauvres, » je dis avec sarcasme. « Mais tu es vraiment comme Luisa ! » me dit Tina. « Je suis désolée, » je lui dis. « Continues s'il-te-plais. » « Ron et José se sont mis à la recherche de Ted parce qu'il était bon à voler des voitures. » dit Tina. « Depuis le procès, une idée avait été dans leurs deux esprits : Prendre leur revanche sur Tom Matthews. Ron aurait voulu que tu y participe. C'est pour ça qu'il est venu te voir avec Sabina. » « Pour prendre part à la vengeance ? » demande Luisa. « Est-ce que c'est l'acte de révolte individuelle que Yarostan couvre de louanges dans ses lettres ? » Tina ignore l’interruption de Luisa et continue, « Tom Matthews s'était acheté une voiture toute neuve juste après le procès. Il la garait juste en face de sa cantine et il passait la moitié de ses journées à regarder par la fenêtre pour voir si elle était toujours là. José, Ron et Ted se sont cassé avec en plein jour quelques secondes après qu'il ai regardé et probablement quelques secondes avant qu'il ne regarde à nouveau pour voir qu'elle n'y était plus. Le premier commentaire que Ron fit quand ils s'en allèrent était ''Je parie que Sophie aurait adoré voir la tête du vieux quand il a vu que sa voiture n'était plus là. Je donnerai mon bras droit pour entendre ce qu'elle aurait dit ; si seulement elle avait pu se tenir de l'autre côté de la rue pour regarder sa réaction, ça aurait été parfait.'' » « Bon débarrât ! » crie Luisa. « Pourquoi toi ? » Je répond « Parce que le vieux de Ron m'a presque tiré dessus la nuit où Ron m'a amené chez lui. Oui, Ron avait raison, j'aurait vraiment apprécié voir le visage du vieil homme. » Tina continue, « Ils l'ont conduite puis démantelée si complètement que Matthews lui-même n'aurait pas pu reconnaître sa voiture s'il était entré dans le garage et l'avait directement regardé. Il a perdu la tête quand il a vu que sa nouvelle voiture avait disparu, et s'est mis en chasse de Ron à travers toute la ville. Un jour, il est même venu chez nous... » « Chez Alberts, » corrige Sabina. « Il est venu avec un flingue, à la recherche de Ron. Il aurait tiré sur Sabina si je n'avais pas hurlé, » dit Tina fièrement. « Est-ce que tu te souviens de ça ? » demande Tina. « Presque, » dit Tina. « De toute façon je pensais m'en souvenir quand tu me l'as d’abord raconté. Tu lui riais au visage. Tu lui as dit... » «...que Ron venait juste de devenir un tueur professionnel, » dit Sabina, « et qu'il larguerait une bombe sur la baraque de Matthews. » « Ça l'a rendu fou, » continue Tina. « Il secouait son flingue au visage de Sabina. Il l'a pointé vers moi quand j'ai crié, puis il s'est enfui de la maison. » « Tu as eu les nerfs de rire de lui quand il était dans un état pareil ! » je dis à Sabina. « Il aurait pu vous tuer toutes les deux ! » « Et pourtant on est toutes les deux encore là, » dit Tina. « Matthews a fermé sa cantine pendant les semaines qu'il a passé à la recherche de Ron. Quand il l'a ouvert à nouveau, presque aucun.e de ses ancien.ne.s client.e.s y sont retourné. La plupart allaient à un restaurant franchisé de l'autre côté de la rue, qui ne s'en était pas trop bien sorti jusqu'à ce que Matthews ferme. À la fin de ce mois là, il n'avait plus assez pour payer toutes ses factures. Quelques mois plus tard il était ruiné. Sa cantine fut vendue aux enchères. » « Est-ce que Debbie n'aurait pas pu trouver une sorte de boulot ? » je demande. « J'étais avec toi un jour quand nous avons vu dans quel état elle était, » me rappelle Tina. « José m'avait dit qu'elle était une sorte d'ivrogne depuis qu'elle s'était faite virer de son boulot syndiqué après la guerre. Quand elle perdit son emploi de prof, elle était saoule tous le temps. Matthews essaya de trouver un emploi d'usine. Il en eu des mal payés mais s'est fait virer en quelques semaines ; peut-être que c'était qu'un emploi temporaire, José ne m'a jamais raconté les détails. Ce que Debbie dit à José c'est qu'un jour elle entendit un tir. Elle se traina jusqu'à la cave. Matthews était étendu sur le sol, il s'était tiré dessus lui-même. » Luisa murmure, presque à elle-même, « Il a été assassiné par son propre fils. » « Oh merde ! » s'exclame Sabina. J'objecte aussi. « Ce n'était pas exactement ce que Tina a dit. » Je n'ai pas dit qu'il s'est tué parce que sa nouvelle bagnole avait été volé, » explique Tina. « C'est seulement une partie de la raison... » J'ajoute, « L'alcoolisme de Debbie a dû aussi y jouer un rôle. Plusieurs années plus tôt, Ron m'avait dit à quelle point elle était aigrie de s'être faite renvoyer du syndicat qu'elle avait aidé à construire. Je peux comprendre pourquoi ça l'a brisée quand c'est arrivé une seconde fois. Je me souviens encore de la haine avec laquelle elle me regardait au procès de Ron parce qu'elle pensait que j'étais la fille de George Alberts. » « Est-ce que tu ne vois pas encore de connexion ? » Demande Sabina à Luisa. « Ne sais-tu pas comment toi, Sophia et moi sommes sorties de prison seulement deux jours après avoir été arrêté, et pourquoi notre émigration fut si facile ? » « Je ne vois pas ce que ça viens faire la dedans. » dit Luisa. « Pourquoi penses-tu qu'il avait un travail qui l’attendait, et aussi une maison pour nous trois quand nous sommes arrivé.e.s ? » lui demande Sabina immédiatement après avoir répondu à la sienne. « Alberts à sauvé ta peau en vendant son âme ! Debbie Matthews ne fut que l'une de ses victimes. Quand Debbie s'est effondrée, elle a entrainée Tom Matthews dans sa chute jusqu'au fond du trou. T'es arrivée ici au frais du diable, Luisa ! » Luisa objecte, « Si t'es en train de suggérer que j'avais quoi que ce soit à voir avec le suicide de cet homme, t'es complètement dérangée. Ton raisonnement est aussi distordu que celui de Yarostan. » « Je ne suggère rien, » dit Sabina. « Je ne fais qu'énumérer des faits. » « D'accord, je te concèdes bien ça, » je dis à Sabina. « Mais tu ne m'as toujours pas dit ce que j'avais à voir avec la mort de Ron. » « Ne l'avons-nous pas fait ? » elle demande. « Non, vous ne l'avez pas fait, » j'insiste. « Je n'en sais pas plus maintenant que j'en savais cette nuit où tu es venue dans ma chambre à la co-op étudiante ; criant que j'étais responsable de la mort de Ron. » « Je ne criais pas, » dit Sabina. « et j'ai dit toi et Alberts. » Je deviens impatiente. « Est-ce que ça te dérangerais de me l'expliquer, Sabina ? Je me moque du temps que ça prendra. » Remarquant l'expression endolorie de Luisa, je dis à Sabina, « Je me moque de si Luisa reste ou non. Maintenant que tu as déterré les détails de ma relation avec Ron, j'aimerai en entendre le reste. Et s'il-te-plais ne demande pas quel bien ça pourrait me faire. » Luisa s'installe plus profondément dans le canapé, baille et ferme ses yeux comme pour nous communiquer à toutes qu'elle n'est pas intéressée par les détails de ma relation avec Ron. « Le jour précédent celui où je suis venue te voir à l'université, » commence Sabina, « Debbie Matthews s'est pointée à la maison d'Alberts. J'étais seule avec Tina, et Debbie s'est effondrée dans un fauteuil dès qu'elle est entrée. Elle était complètement bourrée. ''T'es une connasse,'' elle me dit, ''Pourquoi est-ce que tu t'es éloignée de mon fils quand il avait besoin de toi ? Et où est ton salaud de père ? Où est ce fils de pute d'Alberts ?'' Je lui ai demandé ce qui était arrivé et pourquoi elle voulais Alberts. Elle dit, ''Je veux voir son visage maintenant qu'illes l'ont dégagé de l'école, Je veux voir à quoi il ressemble maintenant qu'il a gouté au sort qu'il m'avait fait subir, Je veux lui demander s'il est heureux maintenant à propos de lui et moi ; où est-ce que ce bâtard dégueulasse qui s'est appelé mon ami puis m'a découpé en morceau membre par membre ?'' Je lui ai dit qu'il travaillait et j'ai demandé si quelque chose était arrivé à Ron. Elle dit, ''Il travaille ? Il peut pas travailler, ma petite, il est dehors dans un bar, il s'est foutre à la porte comme moi, il a pas le droit de travailler, s'est un subversif.'' J'ai décrit le travail qu'il faisait et Debbie devint hystérique. ''Ce bâtard fait de la recherche pour l'armée de l'air ?'' elle demanda ; puis se mis à hurler, ''Quel salaud sans principe ! Il travaille pour les gens qui ont buté mon fils.'' J'avais eu peur que ce soit la raison pour laquelle elle était venue. Elle se sortie de sa frénésie d'avoir appris qu'Alberts était à nouveau employé. Elle marchait à travers la maison, renversant des chaises et jetant des livres à terre. Elle hurlait, ''Qui êtes vous, là ? Qui vous a envoyé ? Vous êtes des sortes d'agent.e.s. Vous avez été envoyé pour vous débarrasser de nous. Et bien tue moi là maintenant, qu'on en finisse !'' Puis elle s'est effondrée sur le sol. Je ne pouvais pas dire si elle était endormie ou morte. Je lui ai glissé un oreiller sous la tête, mis une couverture sur elle et couru jusqu'au garage. Heureusement que José était là. » Tina me dit, « C'est là qu'illes se sont rendu compte de ton rôle... » « Qu'est-ce que tu veux dire ? » je lui demande. Tina dit, « Quand José a commencé à te connaître des années plus tard, il disait souvent ''Elle est aussi innocente qu'un enfant qui a allumé le feu qui brula une ville entière.'' » Je deviens impatiente. « Mais de quoi est-ce que tu parles Tina ? » « José m'a dit de ne jamais te le dire, » prétend-elle. Sabina dit à Tina, « Vas-y, dis lui ; il ne reste plus rien à dire qu'elle ne sache pas déjà. » « José disait que tu serais devenue une personne complètement différente si tu avais su la vérité, » me dit Tina. Exaspérée, je demande, « La vérité à propos de quoi ? Est-ce que tu ne confonds pas José avec Yarostan ? » « La vérité sur toi et Ron, » dit Tina. « José disait souvent qu'il n'aurait pas aimé ce que tu serais devenue si tu l'avais su. C'est exactement le contraire de ce que Yarostan dit. » « Tina, ne joues pas aux jeux de Sabina avec moi ! » je crie. Tina, rêvassant calmement, « Je me demande si ça aurait vraiment eu une différence si tu l'avais su. » Je l'attrape par l'épaule et la secoue en criant, « Arrête de le balancer au bout de mon nez, Tina ! Je ne suis pas un chat ! » Tina me cria dessus en retour, « C'est ça que José disait de toi ! Tu remuais un fil au nez de Ron et il n'arrêtait pas d'essayer de l’attraper Seulement tu n'as jamais su que tu le remuais. » Ma patience arriva à bout. « Va te faire foutre, Tina ! Si c'est une autre de tes blagues tu peux te la foutre au cul parce que je vais me coucher. » « Celle ci n'a pas de fin amusante, Sophia, » dit-elle. « Et je préférerais ne pas te la raconter si tu veux aller te coucher, ça me va, je suis vraiment crevée. » Je l'implore, « Mais qu'est-ce que c'est que tu préférerais ne pas me raconter ? » « Ce que tu demandes depuis presque deux heures, Sophia ! Ton implication dans la mort de Ron. » « Comment peux-tu savoir quoi que ce soit là dessus ? » je lui demande. « Il se trouve que Debbie Matthews n'était pas la seule à en savoir quoi que ce soit. Quand elle l'a dit à José et Sabina, tout ce qu'illes pouvaient dire était ''Mon dieu !'' » Je me tourne vers Sabina. « Tu n'a jamais dit un mot sur ce que Debbie t'a dit ! » Sabina dit, « Je t'ai tout dit cette nuit là quand je t'ai rendu visite à la co-op. Tu ne m'as pas demander d'entrer dans les détails et de toute façon c'était déjà trop tard pour y faire quoi que ce soit. » Tina ajoute, « Ron était déjà mort. » « Tout ce que tu m'as dit c'est que j'étais responsable pour la mort de Ron, » je répète à nouveau. Cette fois c'est Tina qui ajoute « Toi et Alberts » Elle continue. « C'était vraiment un résumé complet. Et s'il était déjà trop tard alors pour les détails, ça l'est vraiment maintenant ! Je dois aller au travail dans quatre heure et on devrait porter Luisa jusqu'à un lit. » « Ne t'inquiètes pas pour Luisa, » j'insiste. « Rien ne la réveille une fois qu'elle est endormie. S'il-te-plais, Tina, Je veux entendre ces détails maintenant. Tu dormiras au travail. » « Arrête de répéter que Sabina t'a dit être responsable de la mort de Ron, » me dit Tina. « Le rôle d'Alberts était bien plus important pour Sabina que le tien. Nous habitions toujours dans sa maison quand elle l'a appris. Ne sais tu pas ce qu'elle pensais d'Alberts à ce moment là ? » Sabina demande à Tina, « Est-ce que ça te gênerai de ne pas entrer là dedans ? » « Si je vais perdre ma nuit de sommeil à lui raconter, » dit Tina, « Je lui dirais au moins tout ce que je sais. Je suis certaine qu'elle n'aurait jamais appris cette partie là de toi. » Tina se tournant vers moi. « José m'a raconté que lui et Sabina étaient tou.te.s les deux choqués quand illes ont écouté ce que Debbie avait à dire, mais qu'illes l'avaient été pour des raisons différentes. Chaque fois que José disait ''Mon dieu !'' c'était pour quelque chose que Debbie disait sur toi, et quand Sabina le disait, c'était pour quelque chose à propos d'Alberts. Sabina ne t'a rien dit sur ton rôle là dedans parce que ce n'était pas ce qui importait pour elle, et elle l'avait de toute manière appris avant, de Ron. Ce qui importait pour elle était ce qu'elle avait appris sur le héros de sa vie. Toutes ces maths et physique qu'elle avais appris de lui depuis qu'elle n'était qu'une petite fille, toutes ces expériences de laboratoire qu'elle pensait révéler les secrets de l'univers. Elle ne les avait encore jamais connecté aux massacre de milliers d'êtres humain.e.s. Debbie déracina toute l'admiration de Sabina pour Alberts ; donnant à Sabina l'image d'un tueur au sang-froid de milliers de personnes, peut-être même des millions. Et pas seulement un meurtrier, mais de la pire espèce, un qui ne tue pas un.e seul opposant.e en combat face à face mais qui extermine des victimes sans les voir depuis la sécurité d'un laboratoire. Sabina est devenue complètement folle. Elle a laissée José chez Debbie et couru jusqu'à chez Alberts. Elle a complètement détruit le laboratoire qu'il avait construit pour elle à l'étage. Elle pris tout les livres qu'il lui ai jamais donné et les jeta dans l'incinérateur. Elle brûla tout ses vêtements et le mien, tous mes jouets, tout. Les vêtements sur elle sont tout ce qu'elle a gardé. Elle aurait même brulé la maison... » « Mon dieu ! » je m'exclame. « Sabina a déblatéré tout ça une fois, des années plus tard, mais seulement parce qu'elle était complètement défoncée. Le jour après qu'elle ne l'ai dit, elle a essayé de nous convaincre qu'elle avait menti. Elle ne s'est plus jamais défoncée après ça. José ne savait rien de tout ça à l'époque ; la seule chose qu'il savait était que Sabina avait décidé d'emménager dans le garage avec lui, Ted et Tissie. Elle n'a jamais revu Alberts depuis, et elle était plus calme le jour après qu'elle soit partie de chez lui, le jour où elle t'a rendu visite. Elle y était allée pour te dire que Ron était mort et c'est probablement tout ce qu'elle avait l'intention de te dire. Elle pensait que tu méritais de savoir. Elle n'avait probablement pas trop fait attention à ce que Debbie avait dit sur toi. C'était José qui a entendu ça. » Je supplie Tina. « Est-ce que ça te dérangerais d'être un peu plus cohérente ? Je sais que tu peux le faire. » Elle se vexa. « Tu n'as pas besoin d'être sarcastique ! C'est la première fois que je met bout à bout toute cette histoire des morceaux et restes lâchés par toi, Sabina et José. Je ne m'étais jamais rendu compte ce qu'elles donnaient ensemble. » J'essaye de m'excuser, « Je n'avais pas l'intention d'être sarcastique, je m'y suis perdue c'est tout. » Tina se retourne vers Sabina et demande. « Pourquoi est-ce que tu ne lui racontes pas toi ? T’y étais là aussi. Je ne sais ces choses que de seconde-main. » Sabina dit, « Continue Tina, tu t'en sors correctement. » « Ne t'y met pas non plus, » lui dit Tina. « Je suis désolé mais c'est très confus, Sophia. Il est abominablement tard. Pourquoi est-ce que tu ne te débrouilles pas pour que Sabina te raconte ces choses à un autre moment ? » J'objecte. « Tu m'as dit qu'il s’agissais précisément des choses qui n'avaient pas d'importance pour elle. Et puis je veux l'entendre maintenant et de toi. Sabina ne ferait que m'embrouiller davantage. » Tina dit, « Je vais essayer de raconter ça dans l'ordre. Sabina t'a déjà dit que Debbie était venu à la recherche d'Alberts. Ça c'est passé la veille du jour où elle t'a rendu visite à la co-op étudiante. Debbie était ivre et s'est effondrée sur le canapé. Sabina a couru pour aller chercher José. Elle voulait Debbie hors de la maison d'Alberts avant qu'il ne revienne. Elle ne pouvait le faire seule. Donc elle est aller chercher José pour l'aider à tirer Debbie jusqu'à sa voiture et la ramener chez elle. Illes se sont tou.te.s les deux assis.e.s à côté de son lit plusieurs heures pendant qu'elle dormait. Elle était relativement sobre quand elle s'est réveillée, et José lui fit du café. Pointant son doigt vers Sabina, Debbie dit à José : ''Tiens toi éloigné de ce serpent, gamin. Elle te poignardera dans le dos.'' José demanda ce que Sabina avait fait. C'est là où Debbie a sorti toute l'histoire. Son doigt n'était pas pointé sur Sabina mais sur toi. » Je commence à me sentir malade. Tina continue, « Elle pensait que Sabina était la fille sur qui Tom Matthews avait essayé de tirer cette nuit où Ron a essayé de t’amener jusqu'à sa chambre... » « Elle ne m'a pas vu cette nuit ; Debbie et moi ne nous sommes pas rencontrées jusqu'au procès de Ron. » dis-je à Tina. « Mais Lem m'a présenté à elle au procès ; elle n'aurait pas pu penser que Sabina et moi étions la même personne étant donné que nous y étions toutes les deux. » « Elle ne savait pas que tu avais quoi que ce soit à voir avec Ron quand elle t'a vu au tribunal, » me dit Tina. « C'est quoi l'histoire qu'elle a raconté ? » Je demande à Tina. « Quand José lui a demandé ce qu'elle avait contre Sabina, Debbie dit qu'elle avait rendu visite à Ron à l'école de réformation après le procès. Ron lui disait qu'aussitôt qu'il sortirait, il se vengerait de Matthews. Debbie disait qu'elle ne pouvait pas lui en vouloir parce que Tom Matthews était un bâtard qui avait emprisonné son fils. Ron lui dit qu'il n'allait pas se venger de lui pour ça ; parce qu'à ça il s'y était attendu. Il voulait se venger de Matthews pour avoir brisé sa relation avec cette fille. Ron dit à Debbie que quand Matthews a essayé de te tirer dessus, tu avais été effrayée et que ça t'avais changé, et que ça t'avait avoir peur de Ron. » « Si Ron a dit ça, alors il se mentait à lui même, » je dis à Tina. « Notre relation était déjà finie quand Matthews nous a menacé avec son flingue. Ron a rencontré Sabina le jour suivant... » Sabina essayant d'imiter Ron, dit « Oh merde. Sabina, tu sais que c'est Sophie que je veux, mais elle pense que je suis quelqu'un d'autre. Quelqu'un qu'elle a dû connaître ailleurs... » « Quand est-ce qu'il t'a dis ça ? » je demande à Sabina. « Une semaine après qu'il ai emménage avec moi, » dit-elle. « Si tôt après l'accident ! » je m'exclame. Je me tourne vers Tina pour lui demander, « Est-ce que c'est vrai ? » « Mais comment est-ce que je pourrais savoir ça, Sophia ? » « Tu sembles savoir tout le reste ! » Tina dit, « Je sais que quand Sabina et José ont récupéré Ron le jour de sa sortie de l'école de réformation... » J'interrompt, « Il a demandé pourquoi est-ce que je n'étais pas là. Je sais déjà ça. » Sabina dit, « Juste après sa sortie de l'école de réformation... » « ...toi et Ron m'ont réveillé à minuit, » j'interrompt encore. « Ron était aussi bavard qu'une momie. » « Il te parlais à toi, » dit Sabina. « Tu veux dire au début ? » je demande « J'ai essayé de blaguer avec lui. » « Qu'est-ce que tu a dit ? » demande Sabina. « Des banalités, » je dis. « Je lui ai rappelé notre premier rendez-vous. » « Tes mots ? » demande-t-elle. « J'avais dit que je le rencontrerai à n'importe quelle heure, » j'admet. « Tu lui as dit ça ? » demande Tina. « José avait raison ! T'étais vraiment à remuer un bout de ficelle devant son nez. José disait qu'avant et après qu'ils se soient enfuis avec la voiture de Matthews, il n'arrêtait pas de marmonner, ''Elle me rencontrerai à n'importe quelle heure.'' » « Je n'aurai pas pu le rejoindre dans l'armée de l'air ! » je m'exclame. « Ron ne voulait pas parler de l'aviation, » me dit Tina. « Il pensait que l'idée du garage ne t'attirerai pas. Si c'était le cas, il était près à quitter la ville avec toi après que la voiture de Matthews ai été volé. » « Quitter vers où ? » je demande. « Partir, voyager, voler et camper je suppose, » dit-elle. « Il était fou ! Je n'aurai jamais accepté de faire ça ! » je m'exclame. Tina dit, « C'est ce que lui a dit Sabina. Elle lui a dit qu'il était fou et que tu étais déterminée à devenir une professeure. » Je me mort la lèvre jusqu'au sang. Est-ce que j'aurai rejoint Ron si j'avais su ? « Sabina dit à Ron que tu serais heureuse de le rencontrer à n'importe quel moment, mais pas n'importe où ; elle lui dit que tu le rencontrerai à la fac,' ajoute Tina. « Et Ron a dû savoir qu'elle avait raison. C'est pour ça qu'il a rejoint l'armée de l'air. » « Qu'est-ce que tu veux dire par ''c'est pour ça qu'il a rejoint l'armée de l'air ?'' » je lui demande. « Est-ce qu'il n'aurait pas pu faire mille autres choses ? Est-ce qu'il avait à devenir un assassin professionnel pour l'État ? » « Peut-être qu'il pensait pouvoir te communiquer quelque chose en faisant ça, » dit Tina. « Est-ce que tu es en train de suggérer qu'il aurait rejoint l'armée parce qu'il savait que je le détesterait pour ça ? » je lui demande. « Je ne sais pas, » répond-elle, « Demande à Sabina. » Sabina dit, « La vengeance a toujours été importante pour lui. » Tina continue, « Je te disais ce que Debbie a dit à José après qu'il lui ai demandé ce qu'elle avait contre Sabina. Elle lu a parlé de sa conversation avec Ron en école de réformation. Puis elle est sortie du lit et a montré à José la lettre qu'elle avait reçue de Ron, quelques mois avant qu'il ne soit tué. José a gardé la lettre. Une fois, je l'ai vu la lire et pleurer. J'ai vu la lettre. Elle disait, « Chère maman, Je ne voulais pas que tu penses que je suis venu ici à cause de toi, ou même à cause du vieux. Tout ça est passé. Je suis venu ici pour corriger d'autres choses qui n'ont rien à voir avec vous. Mais je ne peux pas continuer avec ce qu'illes font ci. Ton fils qui t'aime, Ron. » « Il ne s'est pas suicidé ! » je m'exclame. « Des mois plus tard, Debbie a été informée qu'il était porté disparu, » me dit Tina. « Pourquoi ? » je demande. « Est-ce que tu veux que je répète ma lettre ? » demande Tina. « Je la connais par cœur. » « Je ne comprend pas ! » « Est-ce que tu le veux ? » elle demande. Non, je suppose que je ne veux pas comprendre que Ron s'est tué parce que j'étais fiancée à mes expériences passées, à toi. Ta pédagogie, tout ce que tu balayes maintenant comme des illusions. Est-ce que ça aurait vraiment fait une différence si j'avais su que j'aurais pu sauver la vie de Ron en cessant d'être ce que j'étais ? Je n'ai pas répondu à la question de Tina. C'était le matin quand notre discussion se termina. Tina et Luisa sont parties travailler. Sabina et moi sommes allé nous coucher. Je me suis réveillée à temps pour mon cours du soir. Nous n'avons pas reparlé du sujet depuis. Nos vies sont revenues à la normale. Je ne peux toujours pas répondre à la question de Tina. Est-ce que tu le peux ? C'étaient tes lettres qui ont donné lieu à la dissection systématique de mes choix de vie. Ta lettre semble les rendre si simple. D'après toi, j'aurai du choisir un véritable rebelle comme Ron et à la place, j'ai choisi de faire de moi une pédagogue. En choisissant ce que j'ai fait, j'ai poussé Ron au suicide. Mais est-ce vraiment si simple ? Apparement, même Ron ne pouvait pas rejeter toute la faute sur moi. Il a essayé de blâmer Tom Matthews pour créer un fossé entre nous. Il a essayé de se convaincre lui-même que si Matthews n'avait pas essayé de me tirer dessus, j'aurai été enchantée de partager ses actes individuel de rébellion pendant que nous aurions voyagé, volé et campé. Et pourtant, Ron savait parfaitement que ma peur de son père n'était pas ce qui m'avait séparé de lui. S'il plaçait la faute sur Tom Matthews, s'était parce qu'il savait que cette faute se plaçait quelque part hors de moi. Il savait que je n'aurai pas pu partir voler et camper avec lui, que notre vie ensemble aurait été une tentative misérable de s'adapter aux marges de la société. Il devait savoir qu'il ne s'est pas suicider à cause de moi mais à cause du manque de place dans cette société pour quelqu'un comme lui. C'était un romantique avec un objectif impossible. Il a fait de moi le symbole de ce but. Il s'est rendu compte qu'il n'atteindrait jamais ce but. C'est pour ça qu'il s'est suicidé. Quel était son but ? Peut-être était-ce celui d'un authentique rebelle : vivre libre, rejeter les contraintes de la société. Mais tu sais parfaitement bien que ce but ne peux être réalisé que par tou.te.s les êtres humain.e.s au même moment, ou pas du tout. Il ne peux être atteint par un.e individu.e. Ce que tu appelles des actes de révolte individuelle se transforment rapidement en leur opposé. Des vols individuels ne sont en fait pas des actes de révolte mais des formes d'adaptation à la propriété privée. Si tu pensais qu'elles étaient davantage, pourquoi n'as tu pas volé et vécu caché quand tu es sorti de prison pour la première fois, pourquoi es-tu parti à la recherche des Sedlaks, puis d'un travail ? Quand les travailleur.se.s s'approprient les forces productives, illes ne volent pas leurs ancien.ne.s propriétaires mais prennent ce qui est déjà leur : Ce sont les ancien.ne.s propriétaires qui sont les voleur.se.s En volant, on accepte la légitimité des propriétaires et en s’échappant on accepte la légitimité es forces armées avec lesquelles la propriété est protégée. Il est si facile de romantiser Ron, précisément parce qu’il était tellement un romantique. Mais la réalité quotidienne n'est pas romantique du tout. Tu attends pour ta chance et bondit. C'est stimulant parce que c'est un défi, audacieux. Si tu ne te fais pas jeter en prison, c'est une victoire. Puis tu attends pour une autre chance. Cette fois Ron pourrait avoir à prendre un risque énorme, la prochaine fois il aurait peut-être à m'envoyer comme appât Sabina peut t'en dire sur les chances à prendre. Et nous sommes maintenant de retour là où nous avons commencé, avant que ne se pose la question de la rébellion Là, nous sommes de retour aux étudiant.e.s de ma classe de ''l'université communautaire'' : Illes ne veulent plus se vendre comme de simples travailleur.se.s, s'est à dire comme des marchandises de faible qualité et pour ce faire, illes gèrent les problèmes pour se réparer, se peindre, afin de pouvoir se vendre à un meilleur prix. Là nous sommes de retour à George Alberts, dont les choix n'ont jamais fait parti de mon amplitude, dont j'ai toujours regardé la vie comme l'opposé de ce à quoi je voulais que la mienne ressemble. Toi, Sabina et Tina m'avez forcé à réexaminer mon passé. J'assume toujours mes propres choix. Appelles ça de la pédagogie si tu veux, mais s'il-te-plais n'appelle pas ça de la politique. Si Marc et Adrian sont des politiciens à succès maintenant, ce n'est pas parce qu'ils ont réalisé les aspirations que nous avons autrefois partagé, mais parce qu'ils les ont trahi. J'étais surprise et déçue d'apprendre ça d'eux. Je ne peux pas vraiment croire qu'ils aient été capable d'un tel retournement. Mais tu ne peux pas les utiliser comme preuve que chaque rebelle ''pédagogique'' aspire à un poste gouvernemental. Des ami.e.s que j'ai fait dans le journal universitaire, chacun.e est demeuré une sorte de proscrit social et rebelle pour aussi longtemps que j'ai eu des nouvelles. Au pire tu peux dire que nous étions des Don Quichottes ridicules, et que nos stylos et machines à écrire étaient des armes inadéquates avec lesquelles combattre les batailles dans lesquelles nous nous étions engagé.e.s. Mais les géant.e.s que nous avons confronté étaient bien réel.le.s. Nous avons essayé de faire face avec une réalité sociale pleine de sens. Parmi les alternatives qui m'étaient proposées, seule celle que j'ai choisi m'a permis de m'engager dans une activité un tant soit similaire à celle de la grève à laquelle tu viens de participer, et là où j'ai d'abord appris l'existence de telles activités. S'il-te-plais, dis m'en plus sur toi-même et les événements excitant se déroulant autour de toi, et moins sur moi. Et transmet, s'il-te-plais à Jasna mes salutations, et aussi celles de Luisa. Amour,
Sophia * * Quatrième lettre de Yarostan
Chère Sophia,
L'arrivée de ta lettre coïncida avec la première visite de Jasna Zbrkova chez nous. Jasna, Mirna et moi avons lu ta lettre simultanément ; chacun.e d'entre nous attendant anxieusement pour les autres de finir une page pour la faire passer. Chacun.e fasciné.e.s, surpris.e.s, déçu.e.s et énervé.e.s par ce que tu y racontes. Ma situation a considérablement changée depuis la dernière fois où je t'ai écris. Je suis retourné travailler dans l'usine de carton. Il en résulte que Yara fait maintenant la plupart des tâches ménagères ainsi que la cuisine. Le jour de l'arrivée de ta lettre, Jasna était venue aider Yara a préparer un banquet surprise pour Mirna et moi, afin de célébrer une ''grève'' victorieuse qui venait juste d'avoir lieu dans leur école. Quand Jasna commença à lire ta lettre, elle s’exclama, « Elles se souviennent de moi ! » Elle était flattée Mais au plus elle lisait, au plus elle devenait confuse. « Je n'avais jamais su ce qu'il était advenu de Sophia et Luisa après qu'elles aient été arrêté il y a vingt ans, et je n'arrive pas à comprendre cette dispute qu'elle décrit, elles ont été relâchées avant que leur temps soit terminé ? » me demande Jasna. Je lui dit que toi et Luisa n'avaient passé que seulement deux jours en prison, et elle était aussi choquée que moi. « Deux jours ! Même moi j'ai été emprisonnée pendant un an et je n'avais aucune idée de ce que je faisais ! » S'il te plais comprends bien, Sophia, que notre étonnement là dessus est seulement naturel ; après tout, Jasna a passé un an en prison et moi quatre. Luisa est extrêmement injuste quand elle interprête mes références à George Alberts comme des accusations. Je n'accuse pas. Je suis seulement très curieux sur le fait que George Alberts s'est débrouillé pour vous faire sortir toutes les deux après seulement deux jours de prison. Quels pouvoir est-ce qu'il avait pour accomplir ça ? Un des commentaires que fit Jasna en lisant le reste de ta lettre était, « Quelle monde étrange ça doit être. Je ne peux pas imaginer ce que j'aurai fait là bas. » Quand elle eu terminée la lettre, elle dit, « Sophia et Luisa ne semblent pas avoir la moindre idée de ce qui s'est passé ici après leur départ. » Nous étions tou.te.s dérangé.e.s parce que que Jasna a appelé ton monde étrange. L'ensemble du système d'alternatives et choix que tu décris semblaient étranges et irréelles. Les choix auquels tu avais du faire face m'étaient incompréhensible. Et pourtant ces choix semblent être à la base de ton attitude vis-à-vis de moi, vis-à-vis des gens que tu connaissais il y à vingt ans et des pédagogies qui étaient tes ami.e.s d'université. Tu dis qu'à un moment dans ta vie tu as été placée face au choix entre Luisa, Ron et l'université et tu as choisi l'université. Tu dis avoir rejeté la vie de Luisa, la vie d'une salariée, une vie d'ennui dénuée de perspective, seulement soutenue par le rêve que le travail salarié terminerait bientôt. Tu as éliminé certaine des contradictions et des anachronismes. Ça laisse la partie de la vie de Luisa qui consiste en un travail salarié quotidien. De quelle manière est-ce que tu as rejeté ça ? Le salariat est toujours la condition de ta survie physique. En fait, tu admets que ces cours du soir que tu enseignes sont une activité vendue de la même manière que le travail à l'usine de Luisa. Quelque chose ne tiens pas dans ta description de tes alternatives. Tu n'as pas rejeté la véritable vie de Ron mais la représentation que tu t'en fais. Tu l'as rendu évident en ajoutant les points de vues de Sabina et Tina sur lui en plus des tiens. D'elles, et aussi de tes lettres précédentes, j'ai eu une vue d'un individu qui rejetais sans compromis les relations répressives et essayait de les dépasser, même si ses tentatives avaient l'air puériles et vagues. Tu décris un individu qui ne voulait pas dépasser les contraintes, qui voulait s'adapter à la répression et en tirer un profit personnel, et après cette description erronée, tu nous dis que tu as préféré vivre ta vie parmi des journalistes. Tu choisis de passer ta vie parmi des gens que je considère opportunistes, et dans ta lettre tu as identifié ces journalistes avec des gens que nous connaissions il y a vingt ans à l'usine de carton. Tu as fait ce lien, pas moi. C'est ironique que l'arrivée de ta lettre ai coïncidé avec la visite de Jasna. Après notre banquet, Jasna nous a donné des détails sur les gens que tu es venue à considérer comme des modèles. La plupart des gens que nous connaissions autrefois se trouvent être des gens qui seraient prêt.e.s à vendre, non seulement les mouvements de leurs membres, mais leur volonté et leur conscience, pour un salaire. Je les appellerai des ''opportunistes''. Avant que je ne te raconte ce que nous avons appris de Jasna, j'aimerai essayer de te décrire deux des événements qui ont rendu son récit particulièrement significatif pour moi. Le premier est mon récent retour au travail, et le second est la visite de Zdenek Tobarkin quelques jours avant celle de Jasna. Dans le contexte de ces événements, le récit de Jasna m'a fait réaliser que toi et moi expérimentions des mondes complètement différents. Il n'est pas très clair pour moi quelle est la place que j'occupe dans ton monde, mais il deviens clair pour moi quelle place tu occupes dans le mien : La même que celle que nous occupions toi et moi lors de nos activités à l'usine de carton. Mais pendant ces vingt ans, l'usine a changé et moi aussi. J'en suis venu a réaliser que ma vie a déraillé précisément à l'intersection avec ce que tu considères l'accomplissement de ta vie. J'ai flirté avec ton monde de la même manière que Tina t'accuse d'avoir flirté avec celui de Ron. Dans cet aspect là, je ne suis pas comparable à Ron : Il ne t'a jamais accompagné dans ton monde, c'était toi qui t'es immiscée dans le sien. À la différence de Ron, je suis entré dans ton monde ; c'est Luisa qui m'y a introduit. Aujourd'hui je regarde cette expérience comme étrangère, comme si ma vie avait déviée de sa course. C'est grâce à mes rencontre lors de mon premier emprisonnement avec des individus comme Manuel et Zdenek que je me suis éventuellement réveillé et que j'ai réalisé que j'étais dans la direction de ma destruction en tant qu'être humain. Aujourd'hui j'ai honte du fait que j'ai à un moment pris part à ce genre d'activités. Ma correspondance avec toi me force à faire face à cette période de ma vie. Quelques jours après que je t'ai envoyé ma lettre précédente, j'ai accepté ''l'invitation'' des travailleur.se.s de l'usine de carton. J'ai récupéré mon ancien travail. Cette ''invitation'' est un résultat directe du ferment qui a lieu ici. Avant que la police politique ne soit suspendue pendant deux mois, j'étais inemployable et il en découlait que quand j'ai été relâché de prison, Mirna a eu une autre bouche à nourrir avec son emploi à l'usine de vêtements. Bien sur que j'aidais à préparer les repas, nettoyer la maison et faire les courses pendant que Mirna était au travail et Yara à l'école, mais ça ne soulageait pas vraiment le poids sur Mirna. Mon allocation de chômage ne payait même pas un quart du coût de la nourriture que je consommais moi même. L'invitation qui m'avait été faite par les travailleur.se.s de l'usine de carton n'était donc pas flatteuse mais aussi la solution à un besoin pressant. Il y a quelques jours, j'ai rapporté à la maison mon premier salaire hebdomadaire, qui était presque deux fois plus que celui de Mirna en dépit du fait qu'elle travaille à cette usine de vêtement depuis treize ans. Nous avons immédiatement eu une discussion presque identique à celle que nous avions eu il y à plusieurs années. Je suggérais qu'elle pouvait enfin quitter son travail. Mirna dit avec insistance qu'elle ne rêverait pas de démissionner « C'est seulement grâce à mon emploi que Yara et moi avons survécu pendant toutes ces années où tu étais en prison, et je n'ai pas l'intention de jeter tout ça parce que notre situation a été différente pendant une semaine. La dernière fois que tu as fait cette suggestion, tu t'es retrouvé emprisonné quelques jours plus tard. » Pour Mirna, notre situation présente est anormale et elle est convaincue qu'elle ne sera que temporaire, que la prison et la pauvreté sont notre situation normale. Mon rôle à l'usine est le même qu'il y à vingt ans, quand j'ai travaillé avec Luisa et t'ai rencontré. Je manipule un nouveau modèle de la presse qui imprime les étiquettes sur les cartons, l'ancienne ayant du rendre l'âme. Il y avais des postes à pourvoir pour beaucoup d'autres taches. Ils ont tous du être créé par le départ d'agent.e.s de police, ou plutôt de travailleur.se.s qui étaient payé.e.s par la police pour espionner d'autres travailleur.se.s. J'aurais pu choisir un autre poste, mais il n'y avait pas vraiment de raison de le faire étant donné qu'elle requéraient toutes une seule et même action : l'échange de mon temps de vie pour un salaire. Étant donné que toutes les tâches en questions requéraient le même nombre d'heures et étaient payé le même salaire, mon choix entre eux ne pouvait être de l'ordre du caprice. C'était donc sur la base de ce caprice que j'ai choisi. L'un d'eux a été de me familiariser avec une tache que je n'avais jamais fait avant. Un autre de ces caprices était de revenir à cette machine que sur laquelle j'avais travaillé à l'époque de l'expérience fondamentale de ta vie. J'ai choisi en faveur de ce second caprice, pensant que la familiarité des gestes et de l'environnement me rappellerait les expériences et les gens qui t'on accompagné dans ta tête pendant les vingt dernières années. La grève que j'ai décris dans ma dernière lettre à terminé peu après que je t'ai écris. Elle se solda par un compromis. Le gérant de l'usine accepta un représentant syndical élu par les travailleur.se.s, qui en retour apporta leur demande d'élire leur représentation syndicale tout les mois, avec leur demande originale de rotation du poste parmi tou.te.s les travailleur.se.s par ordre alphabétique. J'étais déçu par leur compromis avec le gérant. Je défendais qu'une victoire partielle comme celle ci était en fait une défaite parce qu'un compromis avec le gérant signifiait la reconnaissance de la légitimité de l'autorité de la gestion. Plusieurs travailleur.se.s ont dit être d'accord, mais soutenaient que dans les conditions du remous actuel, quand tant d'autres choses pourrait devenir possible, il était nécessaire de procéder avec précaution étant donné que nous pourrions entrainer la fermeture prématurée de ce champs de possibilités. Je soutenais que ces précautions étaient les premiers pas vers la défaite et exprimait l'opinion que le gérant aurait du se faire mettre dehors avec le représentant syndical, et que les deux postes devraient être alternés alphabétiquement ou tout bonnement éliminés, et que nous ne devrions examiner notre champs des possibles qu'après avoir déjà fait ça. Je me suis fait dire qu'une telle position avait été défendue mais qu'une immense majorité s'y était opposé. Plusieurs travailleur.se.s m'ont raconté le point de vue de la majorité : « Il est essentiel de voir ce que d'autres travailleurs font dans d'autres usines, d’attendre et voir s'illes réussissent, puis de faire pareil. Si l'on cours aux devants de tou.te.s les autres, on se retrouvera bientôt tou.te.s seul.e.s » Je suis en désaccord avec cette attitude, mais ces jours-ci, une telle attente n'est pas une activité si passive. Depuis que je suis retourné travaillé, je suis devenu conscient d'un grand nombre de changements ayant lieu autour de moi, pas seulement à l'usine, mais aussi à la maison ou dans d'autres fabriques et dans les rues de la ville. Je dois admettre que j'en suis venu à ressentir ce même mélange d'audace et de précaution exprimé par les travailleur.se.s de l'usine de carton. ''Audace'' et ''Précaution'' sont des mots si misérables. Ma sensibilité aux mots viens surtout de Zdenek Tobarkin. Déjà quand je l'ai connu en prison, il comprenait les manière dont le langage était utilisé pour déformer la réalité. Il m'a aidé à comprendre que les mots ne peuvent pas communiquer des réalités comme celles dont nous faisons ici l'expérience. Les mots ne peuvent que se référer à des choses ou des conditions qui ont un certain degré de permanence, ou au moins se reproduisent périodiquement. Il ne peut pas y avoir de mots pour décrire une condition qui n'a jamais existé avant, qui change d'un moment à l'autre et n'a pas d'étape connu ou de conséquence. Même le mot ''Révolution'' est misérable parce qu'il ne véhicule rien de plus qu'un sommaire des événements passés connu comme des révolutions, événements qu n'ont rien en commun avec le présent. Ce dont je fais l'expérience ne peut être exprimé par des mots comme ''Audace et précaution''. La condition que je décris n'est pas inexprimable, il ne s'agit pas d'une expérience mystique. C'est une expérience partagé par des milliers de personnes qui s'expriment en fait elleux mêmes, un bon nombre pour la première fois de leur vie. Mais cette communication ne prend pas seulement la forme de mots. Les mots acquièrent leur sens de gestes, d'actions et de pas. Les mots par eux même ne font que se référer à d'autres conditions, des périodes précédentes et même quand ils sont utilisés dans le contexte du remous présent, ils suggèrent des analogies défaillantes à des conditions antérieures. Ce que j'entend par ''audace'' est la promptitude à marcher dans ce terrain qu'aucun.e d'entre nous n'a exploré avant. Ce que j'entends par ''précaution'' est cette perception de notre aptitude à approcher ce terrain ne grandit qu'à la condition que tou.te.s celleux qui l'approchent comme nous le fassent avec la même audace. Nous cherchons à atteindre un champ de possibilité qui ne peut être qu'atteint que si nous y allons ensemble comme nous ne l'avons jamais fait et en le faisant avec précaution parce que si nous allons trop loin, nous nous feront prendre sans moyen de nous rattacher aux autres. Ce que je pense qu'il se passe autour de moi consiste en de petits pas pris par tou.te.s simultanément. Chacun d'entre eux crée les conditions permettant le suivant. N'importe quel mouvement qui empêcherait l'avancement de tou.te.s empêche la possibilité d'avancement de chacun.e. Tout autour de moi des êtres humain.e.s s'efforcent de revenir à la vie en tant qu'êtres humain.e.s, en tant qu'individu.e.s universel.le.s, en tant qu'espèce vivante, chacun.e avançant avec tou.te.s et toute.s en chacun.e. Un jour il y a vingt ans, pendant que j'opérais la même machine dans la même usine, je pensais que l'époque du salariat avait soudainement pris fin. J'avais répondu en formulant des slogans, en les imprimant sur des pancartes et en les exposant. Pendant la dernière semaine, j'ai fait l'expérience d'un tumulte bien plus grand, mais je n'ai ressenti aucun besoin d'imprimer ou de porter des pancartes avec des slogans. Je ne suis plus cette même personne que j'étais il y à vingt ans, la personne que tu as connu. Mon engagement dans des slogans, des mots, des programmes, abstractions faites de signes était un engagement dans la mort. Il y a vingt ans, j'étais victime de la mystification. J'ai commencé par un désir vague pour une activité libre, j'ai commencé par tendre vers des projets librement choisis mené au sein d'une communauté les rendant possible et les appréciant. Mais à la place de prendre part avec les gens autour de moi pour réaliser mes désirs, j'ai transformer mes désirs en ce qui me semblait être le premier pas vers leur réalisation, c'est à dire en programme d'action. Dans cette transformation, j'ai inversé mes véritables désirs, les remplaçant par des idées, des mots, par des concepts dans mon esprit. À la place de la vie, j'avait un credo. À la place de prendre part avec les gens autour de moi dans des projets véritables à mener dans la période de nos vies, j'ai pris pas à convertir d'autres gens à mon credo, ma religion, mes mots. J'ai remplacé les activités pratiques concrètes de l'ensemble de l'être humain par une activité seulement mentale, dans une combinaison de lettres écrites et de sonorités parlées, c'est à dire par une non-activité. J'ai inversé mon désir de vivre et l'ai transformé en son opposé. Mon désir pour une activité libérée devint une croyance dans l'activité libératoire. Mon envie pour une communauté humaine a été remplacé par l'envie pour une communauté de croyant.e.s, une communauté religieuse, une communauté de converti.e.s à mon crédo. Et à la place de me trouver parmi des individu.e.s vivant.e.s, indépendant.e.s et créatif.ve.s, je me suis retrouvé dans une robe de curé au milieu d'un troupeau. Il m'a fallu vingt ans pour réaliser que j'avais été un prêtre, même si j'étais un hérétique, de ce qui doit sans doute être la dernière religion de l'humanité, une religion de la libération des illusions religieuses, une religion qui était utilisé par un groupe de pédagogues pour établir un pouvoir sans précédent sur une population qui n'avait non pas désiré les mots du crédo, mais le monde que ces mots semblaient suggérer. Aujourd'hui comme il y a vingt ans, nous sommes quotidiennement bombardé.e.s de slogans et de programmes, de plateformes et de réformes, de révolution si bien planifiées par celleux qui vivent dans des mondes de papiers. Mais aujourd'hui, je ne fais pas partie de celleux qui impriment et portent des affiches avec des slogans, ni de celleux prenant la défense de l'une ou l'autre de ces plateformes. Dans les modèles de ton monde, j'ai rejoint les rangs des inarticulé.e.s. Je ne peux formuler ni mes objectifs ni mes moyens. Je ne peux te dire ni où je vais ni comment j'y irai. Et pourtant je me sens plus rayonnant, plus vivant que je ne l'étais quand je pensais connaître ma direction et ma destination parce que j'avais des mots pour les qualifier. Je me sens vivant précisément parce que je ne sais pas ce que le moment suivant apportera. Le temps est à nouveau devenu une dimension qui révèle des potentiels, et a cessé d'être un horrible aménagement d'événements attendus. Je suis revenu à la vie quand les événements auxquels j'avais appris à m'attendre ont soudainement arrêter d'être récurrents. Il y a quelques mois, Yara a participé à cette manifestation complètement inattendue. Il y a quelques semaines, des travailleur.se.s m'ont invité à les rejoindre. La semaine passée, ces travailleur.se.s ont dégagé le représentant syndical, et cette semaine, nous avons élu quelqu'un.e parmi nous pour le remplacer. La semaine prochaine nous apprendrons peut-être que des travailleur.se.s dans une usine environnante auront commencé à détruire les murs de leur usine. D'ici un mois, nous inviterons peut-être nos voisin.e.s, et particulièrement les enfants à l'usine pour commencer à démonter les machines en autant de pièces que l'ami voleur de voiture de Sabina démontait les voitures. À ce moment là nous pourrions commencer une vie complètement nouvelle sur un terrain duquel chaque trace de notre ancienne activité aurait été enlevé. Une vie humaine pourrait commencer, dénuée d'inhibition par des barrières externes à l'individu.e se développant. La réalisation des potentiels de chacun.e seraient alors accompagnée par la joie apporté par les potentiels infinis réalisés par celleux autour de chacun.e. Une telle perspective ne peut pas être le programme d'un.e individu.e ou d'un groupe, et ne peux pas non plus être articulée. Il ne s'agit pas d'une religion à laquelle les gens devraient être converti.e.s. C'est une pratique que moi et les gens qui m'entourent essayons d'inventer. Bien que je ressente que nous avançons, je me retrouve toujours à performer les gestes habituels à ma presse, je rentre chez moi après le travail et y retourne le matin suivant. La contradiction me rend tendu. C'est une tension que je partage avec tou.te.s autour de moi. À n'importe quel moment la normalité pourrait s'arrêter et nous plongerions en avant et traverserions une limite que nous ne pouvons pas voir aujourd'hui. Notre volonté de dépasser cette limite est ce que j'ai appelé ''l'audace''. Mais il y a aussi la ''précaution''. Il y a de l’appréhension. Mon cœur bat plus vite et je me sens étourdi et nauséeux, et l'anticipation est accompagnée par une sorte de peur. Je sais, et les gens autour de moi savent aussi que les conditions qui ouvrent les possibilités pour une vie nouvelle donnent aussi lieu aux forces en faisant la négation. La vie humaine elle même a cette dualité. La croissance a lieu à travers la division cellulaire, bien que la réalisation des potentiels soit contenue dans chacune des cellules. Pourtant les formes les plus abominables de la mort ont aussi lieu à travers la division cellulaire. Une telle mort est aussi une croissance, une qui annihile le potentiel et remplace les cellules vivantes par des monstruosités. Tout autour de moi, des gens essayent de se déplacer vers un terrain dans lequel le potentiel spécifique de chaque individu.e pourrait croitre, comme des plantes cherchant les rayons de soleil et la moiteur. Et les forces niant la vie nous accompagnent dans chacun de nos pas. De la même manière que le pouvoir d'une cellule à se diviser en deux est le pouvoir qui se retourne contre davantage de division cellulaire, le pouvoir qui rend possible de nous déplacer ensemble de l'esclavage vers un territoire dans lequel chaque individu.e pourrait se développer librement est le pouvoir qui nous immobilise. Le pouvoir de conceptualiser et communiquer, le pouvoir qui nous permet de nous mouvoir ensemble comme une communauté, est ce même pouvoir qui nous tourne les un.e.s contre les autres et nous prive de communauté. La réalité que nous nous efforçons d'atteindre nous reviens plusieurs fois par jour sous la forme de concepts, de choses irréelles sans substance, simples combinaisons de mots. Je pense que jusqu'à maintenant nous avons réussi à ne pas tomber dans ces pièges ; Je pense que nous sommes toujours en vie. Mais les pièges sont bien camouflés et nous n'avons toujours pas beaucoup d'entrainement pour les reconnaître. À n'importe quel moment, à la place de faire un autre pas en avant, nous pourrions aveuglément confondre le concept avec la réalité et nous épuiser à nouveau en nous efforçant d’atteindre du vide. Si cela devait recommencer à nouveau, alors notre fermentation présente donnerai à nouveau lieu à une division cellulaire négative, déformant les développement en des abominations exterminant nos véritables désirs. Si nous nous défaussons à nouveau de bondir dans l'inconnu pour prendre refuge dans le conceptuel ; nous nous retrouverons revenu.e.s au point de départ. Le plus mortel des pièges est préparé par celleux qui transforment ce bond en une phrase, celleux qui nomment notre destination et transforment nos véritables désirs en leur programme politique. Si nous nous défaussons des vrais gestes et développements en les remplaçant par des gestes et développements conceptuels dans la tête des prêtre.sse.s, nous ne produirons seulement qu'une autre religion avec ses églises et ses prêtre.sse.s. Nous cesserions à nouveau d'être des agent.e.s de notre propre lutte, nos désirs deviendraient à nouveau des concepts désincarnés se baladant dans les têtes des intellectuel.le.s La politique : C'est la religion d'aujourd'hui, c'est le cancer qui annihile chaque potentiel de communauté et met fin à chaque période de fermentation. C'est déformation se divise et se multiplie précisément pendant ces périodes. Parce qu'artificiel, il dépasse le développement naturel des potentiels. Il se plante à toutes les intersections bien avant que nous n'y arrivons. Les militant.e.s politiques sont ses missionnaires Les intellectuel.le.s engagé.e.s sont ses prêtres.se.s. L'état son église. Comme toutes les religion il transforme les communauté humaines en troupeau. Ses agent.e.s, ses organisateur.ice.s, ses pédagogues, sont les chef.fe.s spirituel.le.s des hordes d'animaux. Il croit, comme son équivalent biologique, dans ce même corps qu'il attaque. Il se reproduit dans chaque membre vivant.e.s des communautés humaines, les éteignant en tant qu'êtres vivant.e.s, détruisant la possibilité même de communauté. Ses instruments sont l'armurerie entière de gadgets destructeurs de vie inventés par la technologie, tout ce qui peut servir à policer le troupeau, des bombes aux walkies-talkies, en passant par les journaux qui prolifèrent les mots et les enceintes qui amplifient les voix des grand.e.s prêtre.se.s. Contrairement à ce que tu peux penser, je ne vois pas ton activité de journal comme similaire au ferment qui m'entoure mais comme une activité qui ne peut que tuer ce ferment. Nous portons en chacun.e de nous le potentiel aussi bien que sa négation. Au travail, nous écoutons la radio toute la journée. Même si chacun.e d'entre nous anticipe nerveusement notre prochain pas concret, nous nous sentons enjoué.e.s quand les mots d'un.e politicien.ne.s semblent exprimer la nature exacte du pas que nous nous apprêtons à prendre. Nous applaudissons aux phrases comme ''nouvelle démocratie'' ou ''nouveau socialisme'' ou ''véritables conseils ouvriers''. Nous marchons dans les pièges des politicien.ne.s comme des nouveaux.lles né.e.s qui n'ont jamais rien appris des innombrables générations précédentes. En applaudissant les intervenant.e.s et en louant les auteur.e.s nous oublions momentanément que nous n'avons pas été dans l'attente d'une nouvelle phrase mais d'une nouvelle vie ; nous oublions que nous n'avons fait que commencer à explorer de nouvelles possibilités, celle de créer nous même un monde. Lorsque nous applaudissons, nous devenons à nouveau des amas sans vie de matière organique que nous avons été à presque chaque moment de nos vies normales. Nous encourageons les pédant.e.s et nous retrouvons à nouveau démuni.e.s, comme les spectateur.ice.s d'un match de sport soutenant leurs équipes. Nous sommes hypnotisé.e.s par les duels et luttes entre les concepts, et attendons passivement d'admirer des reflets de nos véritables attentes, admirons passivement les politicien.ne.s nous renvoyant nos attentes sous la forme d'images. C'est pour ça que nous nous sentons tendu.e.s. Je suis convaincu que le ferment actuel porte un potentiel véritable pour la vie. Mais je suis aussi au fait que chaque fois que nous faisons un pas un avant, nous sommes également entouré de charognard.e.s idéologiques qui s'en nourrissent, se remplissent la panse de concepts de nos désirs et nous remettent en esclavage par une merveilleuse combinaison de mots qui semblent représenter le monde que nous échouons à réaliser. Quelques jours avant la visite de Jasna, j'ai eu une conversation très stimulante avec Zdenek Tobarkin. Lorsque je l'ai d'abord rencontré lors de mon premier emprisonnement, il était passionnément intéressé par quoi que ce soir que j'aurais pu lui dire sur la lutte ouvrière à laquelle Luisa m'avait familiarisée, celle à laquelle elle, Manuel, Titus Zabran et George Alberts ont pris part quand tu avais deux ans. Quand Zdenek nous a rendu visite il y à quelques jours, il a fait plusieurs comparaisons avec les luttes précédente qui m'ont aidé à comprendre certaines caractéristiques de la situation présente. J'ai raconté à Zdenek que dans les dernières années, j'avais complètement rejeté les opinions de Luisa sur cette lutte, celles que je lui avais exprimé alors que nous étions en prison ensemble. J'ai résumé les analyses de Manuel de ces événements. Zdenek a dit qu'il avait longtemps soupçonné que quelque chose comme ça avait manqué de mes récits précédents. « J'ai trouvé tes histoires précédentes passionantes parce qu'elles justifiaient mon attachement au syndicat, » me dit-il. « Mais quand j'ai commencé à ré-examiner mon engagement, j'ai aussi commencé à douter de tes récits. Le syndicat que tu décrivais avec tant d'enthousiasme était dirigée par des politicien.ne.s. Ces politicien.ne.s exprimaient probablement les besoins des travailleur.se.s avec davantage de précision que n'importe quel groupe précédent de politicien.ne.s. Les travailleur.se.s acceptaient ces politicien.ne.s en tant que leurs porte-paroles. C'est la raison pour laquelle les travailleur.se.s ont été vaincu le jour après leur victoire. C'est la raison pour laquelle la population ouvrière est venue à la vie seulement pour un jour, le jour du soulèvement contre les généraux. Au moment même de la victoire, le syndicat à consolidé le pouvoir qu'il avait déjà établi sur les travailleur.se.s. Les ouvrièr.e.s ont été remis en esclavage avant d'avoir le temps de réaliser qu'en l'espace de 24 heures, illes avaient commencé à vivre sans chaine. » Zdenek comparait la situation avec le ferment qui nous entoure ici aujourd’hui « Notre situation actuelle est unique. Quand tout ça a commencé, les politicien.ne.s, intelectuel.le.s organisé.e.s et bureaucrates de la libération étaient complètement discrédité.e.s. » Il a également comparé les origines du ferment actuel avec celles du soulèvement précédent. « Nous n'étions pas soudainement attaqué.e.s par l'armée en conséquence de quoi nous n'avons pas eu à concentrer toutes nos énergies dans un unique acte d'autodéfense. Nous avons eu le temps d'explorer le nouveau terrain, de considérer des alternatives, d'avancer lentement, absorbant les significations de chaque pas. Nous n'avons pas été attaqué.e.s pendant une journée mais tout au long d'une période de vingt ans. Celleux qui nous attaquaient n'étais pas des généraux militaires mais chaque espèce de représentant de la classe ouvrière, de la révolution, de la libération et de l'auto-détermination jamais craché par l'histoire. En conséquence, et bien que nos pas aient été petits et sans côté dramatique, nous avons avancé par nous même et non sous la domination de politicien.ne.s. Plutôt d'être attaqué, nous étions soudainement relâché, le pouvoir répressif de chaque représentant.e.s tout d'un coup suspendu. À la différence des travailleur.se.s qui ont été attaqué, nous avions la chance de nous soulever et de nous étirer, de tester les capacité de nos membres assourdis et d'explorer nos aptitudes à agir en commun. Nous n'avons pas bougé loin, mais nous avons bougé tou.te.s seul.e.s. » J'ai exprimé mes doutes sur la rapidité avec laquelle nous bougeons et sur le fait que les politicien.ne.s bougeaient beaucoup plus vite que le reste de la population. Zdenek a balayé mes arguments d'un revers de main. « Tu ne sembles pas te rendre compte qu'il s'agit là d'un des rares moments de l'histoire où la population s'est bougée sans politicien.ne.s. Je ne veux pas dire que les récupérateur.ice.s sont absent.e.s. Tu as parfaitement raison. Illes sont tou.te.s autour de nous. Chaque jour, de nouveaux groupes d'aspirant.e.s bureaucrates présentent de nouveaux programmes dans la presse et à la radio. Chaque jour, une nouvelle personne fait une tournée de conférences dans les usines, écoles et dans les salons de rencontre. Oui, illes sont omniprésent.e.s, mais pas omnipotent.e.s. C'est pourquoi il y des nouveaux programmes et de nouveaux.lle.s conférencièr.e.s tout les jours. Aucun groupe parmi eux.lles n'a pu établir une hégémonie sur la population. Les gens n'ont pas été infecté par le credo d'un.e seul.e politicien.ne. Illes sont rapides, oui, mais les gens se tiennent à l’écart. Les pas qui sont pris sont peut-être petits, mais ils sont réels, et ils ont lieu dans le monde concret et non dans le programme d'une organisation. Les politicien.ne.s sont tou.te.s discrédité.e.s. En raison du caractère idéologique du régime dont nous avons fait l'expérience au cours des vingts dernières années, les idéologues et théoricien.ne.s en tant que tel, les politicien.ne.s en tant que tel ont été discrédité. N'exagère pas les applaudissements que les intervenant.e.s reçoivent Il n'y a rien de mal à applaudir un bon discours Les applaudissement n'expriment rien d'autre que l'appréciation pour le talent de la personne à faire un discours. Le fait que les gens applaudissent ne veux pas dire qu'illes sont hypnotisé.e.s. » J'ai dit à Zdenek que seul.e.s les politicien.ne.s reconnu.e.s de l'ancien régime ont été discrédité.e.s. J'ai dit que tous les genre de politicien.ne.s avec une ''nouvelle gueule'' ont transformé le ferment présent en leur profession et qu'au moins en ce qui concerne mon usine, les travailleur.se.s n'étaient pas tou.te.s hostiles à des ''nouveaux.lles'' politicien.ne.s de ce type. J'ai admis qu'à présent, il n'y avait aucun grand nombre de personne répétant les formules de n'importe quel politicien.ne.s mais j'ai dit que je n’excluais pas la possibilité que l'une de ces ''nouvelles gueules'' pourrait ''réaliser nos objectifs'' en s'installant lui même dans l'appareil d'état. Zdenek pensait que j'étais injustifiablement pessimiste. « Tu es bien trop un Cassandre, » me dit-il. « Bien sûr que c'est vrai qu'une seule variation de la théorie du prolétariat a règné en maître pendant les vingt dernièr.e.s années. Mais je suis convaincu que le règne de cette variante a discrédité toutes les autres variantes de cette théorie, aussi bien les tyranniques que les versions auto-déterminées. Aujourd'hui, tou.te.s le monde voit à travers l'incarnation absolue, omnisciente et omnipotente du prolétariat. Peut-être que certaines personnes ne sont pas aussi ouvertement hostiles aux autres versions parce qu'elles n'ont pas eue à vivre sous leur joug, mais personne ne peux s'empêcher de les reconnaître comme des variations d'un même thème. Ton analyse est extrêmement pessimiste. Si l'humanité devait fait l'expérience de chacune des variations de la représentation avant de les rejeter toutes, elle ne sortirait jamais de ses déboires Je pense que tu as tord. Je pense que l'expérience de l'une des variantes nous a enseigné les leçons sur toutes. Je pense que l'humanité en est finalement à rejeter ce qui a toujours été un projet impossible, celui de la représentation. La prolifération actuelle de pharaons importants ou mineurs à travers le monde est la scène finale d'un acte ridicule de ce projet impossible. Ma vie ne peut pas être vécue comme une représentation ; mes représentant.e.s ne peuvent pas réaliser mes aspirations, faire mes pas ou prendre part à mes actions. Les pharaons sont la preuve finale et définitive de l'impossibilité de la représentation. Je pense que nous avons tou.te.s enfin appris ce qu'il m'a pris si longtemps à apprendre, c'est à dire que je me fais voler ma réjouissance si mon représentant en profite à ma place, que ma faim demeure s'il mange pour moi, que je ne m'exprime pas s'il parle à ma place, que mon esprit et mon imagination stagnent quand il pense pour moi et décide pour moi. Que je perd ma vie quand il la vie pour moi. » J'étais d'accord avec Zdenek mais j'avais toujours mes doutes. Je lui ai dit qu'il avait eu ses intuitions d'expériences très spécifiques qui n'avaient pas été partagées par un grand nombre de gens, et que les mystifications à travers lesquelles il avait pu voir n'étaient pas nécessairement si transparentes pour tou.te.s le monde. « Qu'est-ce que tu suggères ? » demande-t-il. « Que j'aille dans la rue comme un prophète et communique mes intuitions à propos du danger des prophètes ? Est-ce que tu te souviens de l'ancien politicien avec qui j'ai eu une dispute au club de prisonnièr.e.s, celui qui insistait sur le besoin de ressources organisationnelles et d'activités éditoriales. Nous serions à nouveau à reconstituer un groupe avec une théorie et une publication, et nous remplacerions à nouveau une activité concrète de milliers de personnes par l'image de cette activité communiquée à travers des mots par notre publication et notre groupe. J'ai eu des expériences spécifiques, toi aussi, mais ces expériences sont spécifiques à l'ensemble de notre période historique. Si je suis capable d'en tirer des conclusions, alors tou.te.s mes contemporain.e.s le peuvent aussi. Je ne peux pas comprendre mes expérience d'une quelconque autre façon. Si j'avais eu des expériences que personne n’aurait eu, alors je ne peux pas espérer les communiquer à qui que ce soit. Un.e être humain.e ne peut pas plus démystifier un.e autre que manger pour un.e autre. Mais je n'ai pas eu d'expériences que personne d'autre n'a eu. Les activités concrètes des gens autour de moi me le prouvent, aussi surement que mes activités communiquent mes expériences. Les ressources organisationnelles et publications ne feraient que me séparer des gens avec qui je veux communiquer. » Je pense que Zdenek a raison. La grève qui a récemment eu lieu à l'usine m'a montré que ces travailleur.se.s avaient du avoir des expériences et tirer des conclusions similaires aux miennes. Leurs actions concrètes m'ont communiqué ça. Illes ne portaient pas de pancartes ni ne proclamaient de programmes et ne s'engageaient dans aucune des activités qui te semblent si chères. Illes ont simplement virés les représentant locaux de l'appareil répressif, directement, sans plateforme, sans représentant.e.s. C'est chose faite et nous sommes prêt à prendre notre prochain pas concret. Les politicien.ne.s ont été démasqué, pas seulement par Zdenek et moi, mais par nous tou.te.s. À l'usine, nous écoutons des retransmissions de discours politiques à la radio, mais nous ne les transformons pas en action. Nous attendons le prochain pas fait par des gens comme nous ailleurs. Je pense aussi que Zdenek a raison de considérer le ferment actuel plus profond par bien des égards au soulèvement dont Luisa et Manuel m'ont parlé. Dans cet événement précédent, des êtres humain.e.s réprimé.e.s et auto-réprimé.e.s sont tout d'un coup revenu.e.s à la vie ; au cours d'une période qui dura moins de 24h. Ici, les pas concrets ont été petit et peu-théâtraux mais celleux qui sont venu.e.s à la vie le sont encore. Est-ce que ce ferment peut continuer de s'étendre sans se faire prendre dans les toiles des politicien.ne.s ? Pouvons nous aller ah delà des portes-paroles, coordinateur.ice.s et organisateur.ice.s qui avaient éteint la lutte précédente ? Mon premier réflexe est d'en douter. Un grand nombre de gens n'étaient encore jamais devenu indépendant.e.s sans provoquer un concentré de ressentiment de la part de celleux qui voulaient les dominer De telles activités ''spontanées'' et ''sans-but'' n’avaient encore jamais tenu bon face aux coups portés par le militant.e.s organisationnel.le.s et leurs chef.fe.s infaillibles. Manuel et Luisa, dans leurs descriptions des événements dont illes ont tou.te.s deux fait l'expérience s'accordent sur un seul détail : Le jour où les généraux ont attaqué, le peuple a acourru dans la rue par lui-même, et les ''chef.fe.s'' ont couru derrière pour se placer sur les lignes de front de manière à ne pas ''perdre leurs suite. L'espace d'un instant, ce fut les militant.e.s influentes qui se sont retrouvé.e.s perdu.e.s parmi les individu.e.s indépendant.e.s qu'illes ont plus tard prétendu avoir mené Les premièr.e.s individu.e.s sur les barricades n'étaient sont aucun autre ordre que les leurs. Chacun.e formulait ses propres taches et en les menant à bien, implémentaient le projet du groupe, qui était inséparable de celui de chaque individu.e. Chacun.e coordonnait et organisait, non pas parce qu'ille était le coordinateur.ice.s ou l'organisateur.ice officiel, mais parce que chacun.e étaient à un moment ou un autre le ou la plus proche d'un problème qui demandait d'être coordonné ou organisé. Des individu.e.s qui ont cette aptitude aux activités auto-déterminées pendant une insurrection sont en toute mesure identiques aux individu.e.s avec qui je travaille à l'usine, avec qui je partage la ville, avec qui j'habite cette planète. Des individu.e.s qui ont une aptitude telle que celle-ci au cours de 24h ont la capacité de s'approprier la vie humaine et d'en faire un projet de vie. J'ai essayé de te donnée une idée du ferment qui m'entoure. J'ai essayé de décrire mes espoirs aussi bien que mes appréhensions, et j'ai résumé les opinions que Zdenek se fait de cette activité. Il m'est parfaitement clair que cette activité n'a rien en commun avec l’activité journalistique à laquelle tu l'as comparé. Le type d'activité que tu as choisi a beaucoup en commun avec l'activité des politicien.ne.s nous faisant des discours à la radio et dans les journaux, elle n'a rien en commun avec les actions et les appréhensions des gens avec qui je travaille à l'usine de carton. Je n'apprécie pas le fait que tu compares le ferment autour de moi avec tes activités universitaires et journalistiques. Je pense que les deux projets ne sont pas seulement différent les uns des autres mais hostiles l'un à l'autre. Les projets que tu as choisi ne peuvent avoir lieu que si mes projets actuels font faillite. C'est pour ça que je ne peut me reconnaître dans tes choix ou tes enthousiasmes. Je peux comprendre le monde que tu décris, un monde dans lequel tu t'es si soigneusement orientée vers ton alternative de choix, seulement parce que j'ai autrefois mis les pieds dans ce monde, mais j'en suis ressorti il y a longtemps. Je pense que tu as raison de comparer les activités que tu as choisi avec celles des gens que tu connaissais il y a vingt ans. Jasna nous décrivait ces gens le jour même où ta lettre est arrivée. Pendant ces vingt dernières années j'ai changé et toi non. Tu as conservé les mêmes engagements que nous partagions il y a vingt ans. Les témoignages de Jasna sur les individu.e.s dont tu te souviens si chaleureusement rendent clair pour moi que les activités que tu as choisi on beaucoup en commun avec les leur, et non avec les miennes. Après le festin qu'elle et Yara avaient préparé pour célébrer la ''victoire'' à leur école, Jasna nous a raconté tout ce qu'elle savait des activités actuelles de ces individu.e.s. Jasna et Yara attendaient mon retour à la maison après mon troisième jour de travail. Jasna était anxieuse de lire ta lettre, mais Yara ne pouvait pas plus attendre de me raconter les événements du jour. C'est impressionnant à quel point le ferment se propage dès qu'une population regagne son initiative créative. Plusieurs étudiant.e.s, et parmi elleux Yara, ont commencé une campagne pour virer l'assistant-directeur de l'école, la personne responsable pour maintenir la discipline parmi les étudiant.e.s aussi bien que les enseignant.e.s. Tou.te.s les étudiant.e.s resté en silence dans les couloirs faisant savoir au directeur qu'illes n'entreraient pas dans leurs salles de classes jusqu'à ce que l’autoritaire démissionne. Illes ont été rejoint par chacun.e des enseignant.e.s. Même le directeur de l'école a fait un discours louant leur détermination. Jasna a dit avoir été profondément émeut par ce discours. La disciplinaire a démissionnée après avoir occupé son poste pendant vingt ans. Elle était sans aucun doute une agente de police, bien que ni Yara ni Jasna ne sache si elle avait jamais en fait été payée par la police. Mirna est rentrée tôt après moi et nous avons tou.te.s lu ta lettre. Après le dîner, Mirna a demandé à Jasna quand est-ce qu'elle avait d'abord rencontré Jan et combien de temps elle avait travaillé avec lui. « Il a été embauché juste après la résistance, » dit Jasna. « Nous avons travaillé ensemble pendant trois ans, trois, trois formidables années. » J'ai supplié Jasna de commencer son histoire plus tôt, de nous dire comment et quand est-ce qu'elle était venue travailler à l'usine de carton. « J'ai commencé là bas avant la guerre, » nous dit-elle. « Parmi les gens que tu connaissais, j'étais la première a y être. Je venais de terminer le lycée et j'avais toujours su que j'aurai à trouver un boulot le jour d'après. Mes parents travaillaient tou.te.s les deux à l'usine. Tout l'argent qu'illes gagnaient allaient pour payer la petite maison qu'illes avaient acheté. J'y habite toujours. Mon père était un homme horriblement dominateur. J'en avais peur. J'étais comme une servante dans la maison. Après que j'ai commencé à travailler, ça changea. Je suis allé dans plusieurs usines mais aucune d'entre elles n'avait de poste pour quelqu'un.e sans expérience. Quand je suis allé dans le bureau de M. Zagad, il m'a embauché même quand je lui ai dit que je n'avais aucune expérience. C'était un homme si décent. Je me sens toujours désolée pour lui. La guerre éclata quelques mois après que j'ai commencé à travailler et la ville fut occupé. Je suis allé travailler chaque jour et je suis rentré chez mes parents chaque soir. Je n'ai pas trop été dérangée par la guerre ou l'occupation au début. Je savais que quelque chose de terrible s'était passé mais je ne comprenais pas de quoi il s'agissait. Puis un jour, pendant la seconde année de la guerre, mon père a ramené à la maison un homme avec qui il travaillait. Il nous a expliqué que l'homme était sans abris et qu'il allait passer la nuit avec nous. Tard cette nuit là, la police est venue chez nous, ont cassé notre porte d'entrée et arrêté à la fois l'étranger et mon père, et nous ont insulté ma mère et moi pour cacher un Juif. Puis ils ont emporté les deux hommes dans une voiture de police. Je n'ai jamais revu mon père. Je n'ai jamais appris si il avait été fusillé ou envoyé dans un camp de concentration. Un an plus tard, un homme de l'usine de ma mère est venu à la maison me dire que ma mère était morte dans un accident. J'étais certaine qu'elle s'était suicidée, elle avait parlé de se tuer depuis que mon père s'était fait emporter. La guerre et l'occupation ont pris tout leur sens pour moi. Je les haïssais Je haïssais les occupant.e.s pour ce qu'illes avaient fait à mes deux parents. Mais quand je les voyais dans la rue, j'en étais mortellement effrayée. J'étais, je suis toujours, effrayée par chaque personne avec de l'autorité, de la même manière que je l'étais de mon père Mais les gens avec de l'autorité ne sont pas tou.te.s les mêmes. Je n'ai jamais eu peur de M. Zagad. Il était décent et j'ai lui ai toujours été reconnaissante. Quand il a appris pour l'accident de ma mère, il m'a dit de quitter le travail pour deux semaines, payées. Il est même venu à son enterrement. » « Je n'ai jamais compris pourquoi c'était M. Zagad contre qui toi et les autres s'êtes retourné. Peut-être que c'était une erreur pour lui d'avoir autant de pouvoir sur d’autres, mais ça ne peut pas être la raison de son évincement, étant donné que son successeur avait davantage de pouvoir. Mais je m'emporte. Soit très peu avant ou bien très peu après la mort de ma mère, Titus Zabran s'est fait embaucher. Il était revenu de l'étranger juste avant que la guerre ne commence. Pendant les pauses, il racontait à un grand nombre d'entre nous ses précédentes aventures et j'étais hypnotisée par ses histoires. Il nous parlait de travailleur.se.s qui s'étaient battu.e.s contre toute l'armée, non pas pendant trois jours, mais pendant trois ans, pour défendre leur propre gouvernement populaire. » J'étais abasourdi par le dernier commentaire de Jasna. « Est-ce que c'est la manière dont Titus comprenais cette lutte ? » j'ai demandé. Je ne l'avais jamais entendu dire quoi que ce soit à ce propos ou son rôle la dedans. « Bien sur ; je ne me rappelle pas des histoires exactes qu'il m'a raconté, » dit Jasna. « Je ne pense pas y avoir prêté trop d'attention de toute façon. Titus m'effrayait un peu. Je partageais sa haine des occupant.e.s Mais j'vais peur de ses prises de positions permanentes sur le besoin de s'armer et tirer. Il me semblait le genre de personne qui ferait tout ce qu'illes disent vouloir faire. Il me rappelait mon père. Je partageais sa haine, mais pas ses méthodes. Je me souviens que j'appréciais M. Zagad beaucoup plus. Je sentais qu'il détestait les occupant.e.s autant que Titus ou moi, mais qu'il n’aboyai pas et ne montrais pas ses dents comme un chien vicieux. Chaque fois que des soldats ou des inspecteurs venaient à l'usine, il était toujours courtois. Il ne rampait pas, juste courtois. » J'interrompit Jasna pour faire remarquer, « Si tout le monde avait été aussi courtois.e.s, ces occupant.e.s seraient toujours là. » « Je sais, » dit Jasna. « Je ne fais que te dire comment je l'ai ressenti à l'époque. Après la fin de la guerre, je pensais que Titus avait eu raison. En fait j'ai commencé à l'apprécier avant même que la guerre ne finisse, principalement pour sa connaissance. Il semblait tout savoir. Luisa Nachalo était une autre personne qui semblait tout savoir, mais je ne l'appréciais pas quand elle est d'abord arrivée à l'usine. Elle a été embauchée quelques mois après Titus. » À ce moment là Yara eu une question. « Est-ce que tu as dit que tu l'appréciais parce qu'il était intelligent, mais que tu la détestais parce qu'elle était intelligente ? » Jasna rit. « Tu m'as piégée, n'est-ce pas ? Non, je pense que je n'ai pas été tout à fait honnête. J'avais peur de Titus mais je l'appréciais quand même. Et je pense que je n'appréciais pas Luisa au début parce que j'étais jalouse. D'une certaine façon je suppose que j'aurai vouloir avoir une relation plus proche avec Titus mais il me considérait comme une ignarde, surtout après que Luisa commence à travailler à l'usine. À côté d'elle, j'en était une. Elle était si rapide, si informée, si futée avec son accent étranger et sa langue si acérée. Je savais que je ne pouvais pas m'y mesurer. Elle avait été mariée avant, avait déjà deux filles, et avait néanmoins réussie à devenir familière avec l'ensemble de l'existant, et semblait aussi indépendante qu'un oiseau. Ma mère n'avait eu qu'une seule fille, et elle m'avait utilisée comme une excuse à vie pour son ignorance abyssale. Oui, j'étais envieuse de Luisa. Mais je n'ai jamais essayé de me mesurer à elle. Je savais que j'aurait encore plus eu l'air d'une lignarde si je n'avais fait. J'ai arrêté de penser à avoir une relation plus intime avec Titus. » J'ai dit à Jasna que Titus et Luisa n'avaient été qu'ami.e.s et que Luisa vivait avec un autre homme quand nous l'avons connu. « Je pense que je savais ça, » dit Jasna. « Je me souviens vaguement l'avoir su, mais je me mentais à moi même. Titus ne s'intéressait pas à moi. J'étais blessée. Je m'étais convaincue qu'il ne s'intéressait pas à moi parce que je n'étais pas comme Luisa. Mais je n'ai pas passé trop de temps à m’apitoyer sur mon sort. À la place j'ai lu des romans. Plus tard, après avoir avoir abandonné l'idée de tomber amoureuse de Titus, j'ai commencé à apprécier Luisa. Mais ce fut seulement quelques mois avant que nous soyons tou.te.s séparé.e.s. J'ai toujours été désolée de ne jamais avoir eu de longue discussion avec elle. Nous n'avons été ensemble qu'un si court moment. » J'ai demandé à Jasna ce qu'elle avait fait pendant la résistance. « Rien, » répondit-elle. « Absolument rien. Pendant l'ensemble de la dernière année de la guerre, Titus m'avait demandé a répétition de venir participer à des réunions de l'organisation de résistance du quartier. Plusieurs fois j'ai promis d'y aller, mais mon corps entier commençait à trembler le moment venu. J'avais des visions de la police venant frapper à la porte et m'emportant, avec Titus et les autres, de me retrouver fusillée ou déportée vers un camp de concentration. Pendant les trois jours du soulèvement, je me suis enfermée dans ma maison et n'en suis sortie que plusieurs heures après avoir entendu le dernier tir. J'étais mortellement effrayée. Quand tout était terminé, j'étais heureuse que les tirs soient terminés autant que l'occupation. Le jour suivant, je suis retournée à l'usine. Un grand nombre des gens avec qui j'avais travaillé avaient été tués par une seule explosion alors qu'illes quittaient l'usine le dernier jour du soulèvement. De nombreux.ses autres avaient été tué dans les combats. C'est là que j'ai rencontré ton frère, » dit-elle à Mrna. « Illes ont tou.te.s été embauché au même moment : Yarostan, Vera Neis, Arian Povrshan, Claude Tamnich, Marc Glavni. » J'ai rappelé à Jasna que Marc avait été embauché trois ans plus tard. « Trois ans ! » s'exclama t-elle. « J'avais oublié. Ce fut les années les plus heureuses de ma vie. Je pense que j'aurais été heureuse de continuer ce boulot là avec ces gens. Toi, Titus et Luisa étaient les les gens les plus réfléchis et intelligent.e.s que j'ai connu. Récemment, j'ai connu surtout des enseignant.e.s, et aucun.e d'entre elleux ne sont aussi bien informé.e.s, éduqué.e.s et perspicaces que vous trois. Et ton frère, Mirna, était le plus gentil et chaleureux, le plus généreux des individus que j'ai jamais rencontré ou lu à propos. C'était le seul a ne m'avoir jamais traitée comme une ignarde Il faisait attention à ce que je disais même si je me contredisait souvent moi même. » « Il me prenais au sérieux même quand je ne le faisais pas moi-même. Il avait parfois les idées les plus absurdes, comme vouloir sortir les machines dans la rue et transformer l'usine en salle de bal, mais il n'était jamais mal intentionné Toutes ses suggestions semblaient amusantes et j'étais toujours la principale à soutenir ses plans fous. À l'époque, j'aimais aussi Vera et Adrien. Illes étaient si amusant.e.s. Je pensais qu'illes auraient du être des animateur.ice.s de théâtre. Je n'étais pas loin du compte. Vera était si amusante avec toutes ses histoires sur les arnaques de ce qu'elle appelait la classe dominante. J'étais pliée en deux pendant la moitié de chaque journée de travail. J'aimais aussi ce gros bœuf de Claude, principalement parce que je me sentais désolée pour lui, c'était la seule personne présente à être plus idiot que moi. Oui, Marc était le dernier. Et celui que j'aimais le moins. Il était fraichement sorti du lycée et si hautain. Je n'arrive pas a croire où il en est maintenant. Je devais en permanence lui montrer quoi faire, et presque chaque jour je réparais quelque chose qu'il avait détruit. Je ne pense pas qu'aucune de ces personne aurait pu être remarquable par elle-même. Quelque chose s'est passé pendant ces trois années. Nous étions tou.te.s si profondément affecté.e.s par quelque chose, peut-être par les un.e.s et les autres. Je pense que ces années ont fait de nous ce que nous sommes devenu.e.s. Je sais que Vera aurait fini par se calmer et devenir comme n'importe qui d'autre si Titus et Luisa ne l'avaient pas continuellement encouragée, et si Titus n'avait pas utilisé son influence pour l'empêcher de se faire virer. Toi, Yarostan, tu aurais été une personne si différente, si tu n'avais jamais rencontré Luisa. Le seul à ne pas avoir changé pendant ces années était ton frère, Mirna. Je pense que Jan était le seul d'entre nous qui aurait mené la même vie. » J'ai dit à Jasna que tu considérais ton bref contact avec ce groupe de gens comme l'expérience centrale de sa vie et lui ai demandé ce qu'elle pensait avoir été exceptionnel dans ces gens ou cette situation. Sa réponse m'a donné quelques pistes concernant les choix de vie que tu as fait. « Je n'ai jamais dans ma vie fait l'expérience d'un tel renversement, peut-être à l'exception de quand j'ai été arrêté, » a-t-elle dit. « Plus tard je suis allée à l'université mais je n'y ai pas appris autant que ce que j'avais appris pendant ces trois années. La véritable université où je suis allée était l'usine de carton après que toi, Jan et les autres aient été embauché. Je savais déjà à l'époque qu'aucune des personnes de notre groupe ne passerait sa vie dans l'usine de carton, ou n'importe quelle autre, peut-être à l'exception de Jan. Nous avons simplement été transformé par cette expérience. » Je lui ai demandé ce qu'elle pensait nous être arrivé pendant ces trois ans. « C'est quelque chose à quoi je n'ai encore jamais essayé de donner des mots, » dit-elle. « Pas que ce soit si mystérieux. Quand je suis allée à l'université des années plus tard, je savais qu'aucun.e de mes camarades étudiant.e.s ne retourneraient jamais à leurs boulot d'usine quelques soient leurs origines sociales. À l'université, c'était quelque chose de pris pour acquis. Dans notre groupe, ça n'a jamais été dit, mais ça me semblait tout aussi évident. Je suis surprise que tu travailles toujours dans une usine. J'avais tort à propos de toi. » Je lui ai dit que j'avais changé et lui ai rappelé que Luisa aussi travaillait toujours dans une usine. « Je ne suis pas surprise pour Luisa, » dit-elle. « Je m'attendais à ce qu'elle vive les mêmes changements. Elle était différente. C'est elle qui a tout fait commencé. Je ne pense pas que Titus seul aurait eu autant d'impact. Je pense que la présence de Luisa était si explosive qu'elle a causée une profonde transformation chez les gens qui l'entouraient. Je n'ai pas été la première à être influencée par elle. Manque de chance je fu l'une des dernières. Je pense que toi et Vera étaient les premièr.e.s. Elle n'avait de toute évidence pas le même effet sur tout le monde. Toi et Vera ont été affectées si différemment. Chaque personne l'était. Ce n'était pas seulement ce qu'elle disait, bien que ça soit très excitant. Je me souviens encore des histoires qu'elle nous racontait à propos des travailleur.se.s qu'elle avait connu et qui n'avaient pas seulement combattu dans une résistance comme la notre, mais étaient allé.e.s des barricades à leurs usines pour sortir leurs patron.ne.s et y installer leurs ami.e.s à tout les postes de gestion. Ces histoires étaient excitantes mais seulement comme sujets de conversations, comme histoires. Elles seules ne m'auraient pas transformées. Ce qui l'a fait c’était la manière dont elle se comportait : ses gestes, sa personnalité. Même si ses histoires n'étaient pas vraies, si les travailleur.se.s n'avaient jamais fait ce qu'elle disait, Luisa nous faisait ressentir qu'elle était déterminée de faire exactement ça, et dans notre usine. Dès le jour de son arrivée, elle a commencé à poser des question : D'où venaient les matières premières, qu'est-ce qui leur arrivaient dans l'usine, où est-ce que les produits étaient envoyés après. Peut-être posait-elle ces questions de manière a se familiariser avec chaque aspects de l'activité de l'usine, mais elle nous donnait l'impression d'en savoir bien plus sur le processus que M. Zagad, nous donnant l'impression qu'il était superflu et que nous pourrions gérer l'usine bien mieux sans lui. Elle nous communiquait son impatience. Avec tout ce qu'elle racontait et faisait, elle semblait demander au reste d'entre nous ce que nous attendions. Elle nous a fait nous sentir comme des lâches pour ne pas faire toutes ces choses faites par les travailleur.se.s qu'elle décrivait. Ca a eu un effet bizarre sur nous tou.te.s et en particulier sur toi. » J'ai admis avoir été affecté par Luisa la première fois que je l'ai rencontré. « Tu n'as pas seulement été affecté, mais complètement transformé. Tu es devenu exactement comme elle. Je pense que Luisa pourrait avoir quitté l'usine quelques mois après que tu sois arrivé et tu aurais toujours eu la même influence sur le reste d'entre nous. Tu as eu la même assurance, la même impatience. Tu nous a fait nous sentir comme des lâches pour ne pas aller de l'avant avec tous ces plans. Tu n'étais pas son disciple mais sa réplique exacte. Tu donnais l'impression d'avoir vraiment vécu toutes ces expériences qu'elle nous avait raconté, et tu étais aussi déterminé qu'elle à les voir se passer ici. Je pouvais te voir changer d'un jour à l'autre. Personne d'autre n'a été si complètement changé par Luisa. Vera était aussi profondément affectée, mais elle n'est pas devenue une autre Luisa. Je suis certaine que c'était seulement à cause de Luisa que Vera est devenue une telle animatrice, une telle radio comme tu l'appelais. La simple présence de Luisa a provoqué Vera. Comme si elle s'était sentie obligée d'entrée en compétition avec Luisa a chaque minute de la journée, d'avoir à la dépasser en intelligence, connaissance et même en confiance en elle. Je pouvais presque voir les changement qui se passaient en elle. Elle n'étais pas si bavarde quand elle est d'abord arrivée, et était capable de faire son travail. Mais après avoir écouté les récits de Luisa pendant un mois, elle commença a raconter ses propres histoires. Au début, elle nous bombardait de statistiques sur la production dont les travaileur.se.s étaient responsables et sur le salaire qu'illes étaient payé.e.s. Elle a dû passer ses nuits a fouiller à travers les publications gouvernementales et les documents officiels pour être capable de passer ses journées à nous raconter les négociations financières des banques et propriétaires d'usines. Les statistiques étaient appréciées par Titus mais n'ont pas vraiment trouvé d'auditoire chez le reste d'entre nous. Nous trouvions toujours les observations de Luisa plus excitantes Vera a alors commencé à collectionner tout un tas d'anecdotes, récits d'arnaques à faire hérisser les poils. Elle était déterminée à ne pas se faire dépasser par Luisa. Trois ou quatre fois, elle nous a même raconté les détails de scandales majeurs plusieurs jours avant que les journaux n'en parlent. Et Adrian, qui l'avait adoré depuis le lycée, devint quelque chose comme son homme de main. Vera faisait une déclaration grandiose, et Adrian bondissait avec une documentation pour l'étayer. Parfois, illes rejouaient même la scène d'un scandale récent. Penses-tu qu'illes auraient jamais fait une chose pareille dans des circonstances normales ? Ça m’influençait aussi. Tout semblait si amusant. J'ai été saisie dans toute cette excitation Même Marc n'y échappait pas, même s'il n'avait été là que brièvement avant que nous soyons arrêté.e.s. Aussi incapable qu'il était dans quoi qu'il fasse, il se considérait lui même comme quelqu'un en sachant plus sur l'autogestion des usines par les ouvrièr.e.s que n'importe qui d'autre, y compris Luisa. Un jour sur deux il décrivait un plan complexe dans lequel il avait déduit comment les gens allaient se fournir les un.e.s les autres en matières premières, électricité, hébergement et tout ce qui existe sous le soleil. Luisa semblait l'admirer pour les efforts qu'il mettait dans ces plans. J'étais surprise qu'elle ne voit pas à travers son jeu. Il n'était rien d'autre qu'un gamin essayant désespérément de prouver qu'il était meilleur que le reste d'entre nous. Il était peut-être intelligent, mais étant donné que c'était moi qui devait lui courir après pour réparer ce qu'il cassait, je n'étais pas impressionnée par ses aptitudes. Claude a aussi été affecté, mais d'une manière étrange. Il avait un esprit si superficiel. Sa réponse à toute l'impatience de Luisa et à son contact avec Vera était de vouloir liquider les obstacles, liquider les ennemi.e.s, et il parla même de liquider M. Zagad. Claude semblait déjà penser que toute notre excitation n'était qu'une préparation pour le jour où notre groupe lui demanderait de mener à bien ses liquidations. Je ne pense pas que je le savais déjà à l'époque, j'ai dû m'en rendre compte quand je l'ai revu des années plus tard. Ce que je ressentais à l'époque était qu'il planait au dessus de nous comme un nuage menaçant. À chaque fois que nous parlions, il transformait notre enthousiasme en quelque chose d'effrayant. Il transformait tout notre amusement en quelque chose chose comme les préliminaires d'une abomination. » J'interrompit la narration de Jasna pour lui dire que je pensais qu'elle exagérait l'amplitude de l'influence de Luisa. Je pense que ce n'était pas la seule expérience que nous avons partagé à l'usine de carton qui a transformé tou.te.s ces gens en ce qu'illes sont plus tard devenu.e.s. Les traits de caractère manifestés quand Jasna les a connu devaient déjà être des parties intégrantes de leurs personnalités. Jasna avait un désaccord profond. « Sans les expériences que nous avons partagé dans cette usine, aucune de ces personnes n'aurait pris les directions qu'illes ont pris depuis. Chacune de ces personnes auraient travaillé aujourd'hui dans une usine. Évidement, je ne peux pas en être certaine. Ce que je sais c'est que presque aucun.e d'entre elleux sont des travailleur.se.s dans une usine aujourd'hui et que ce qui les a changé fut ce temps que nous avons passé ensemble. Penses-tu que Claude aurait quitté son premier emploi à l'usine si quelque chose d'extraordinaire ne lui était pas arrivé ? Bien entendu qu'il sont tou.te.s arrivé.e.s avec leurs traits de personnalité. C'est pour cela qu'illes ont tou.te.s répondu si différemment. Quand j'ai connu Vera, elle se vantait d'avoir été une fauteuse de trouble au lycée pendant la guerre, qu'elle faisait des discours attaquant les occupant.e.s ? Mais la simple capacité de faire des discours n'était pas suffisante. Elle aurait perdu cette aptitude aussitôt qu'elle se serait faite virée pour l'avoir fait et aurait du trouver un autre boulot, et si elle en avait trouvé un dans un endroit noyé dans le bruit, ou dans un endroit où parler n'était pas permis, alors elle aurait été aussi silencieuse que n'importe qui d'autre. Elle parlait déjà beaucoup au lycée. Mais c'est seulement après sa rencontre avec Luisa qu'elle est devenue une réformiste sociale pleine d'assurance. Et quel trait de caractère est-ce que Marc avait ? Son autosuffisance venait d'avoir été l'un des étudiants les plus brillant d'une école de province dans laquelle plus de la moitié des étudiant.e.s manquaient plusieurs semaines chaque printemps et automne à cause des travaux de ferme et chaque hiver a cause du manque de transports. Son attitude lui aurait été arraché par n'importe quel groupe normal d'ouvrièr.e.s urbain.e.s aussi éduqué.e.s qu'il ne l'était. Si Luisa ne l'avait pas considéré comme un tel génie, il n'aurait jamais rêvé d'aller à l'université et ne se serait jamais pensé capable d'occuper les postes qu'il occupe aujourd'hui. Quand Marc a commencé à grimper jusqu'à ces positions haut-perchées, il m'est devenu clair quel genre de personnes s'y trouvent. Adrian n'aurait pas non plus pu se retrouver où il est maintenant par lui même. Il n'a fait que dériver dans la direction que le reste de nous ont pris, ce qui est tout ce que j'ai jamais fait. Ni Adrian ni moi n'aurions jamais abandonné les usines si nous n'avions pas été capable de dériver en compagnie des autres. » Mirna demanda pourquoi son frère n'avait pas été influencé par Luisa et par toute l’excitation que nous partagions. « Jan n'était pas comme le reste d'entre nous, » dit Jasna. « Et Titus non plus. C'est amusant. J'ai vu plus de Titus que n'importe qui d'autre. Je l'ai connu depuis la guerre et je l'ai revu fréquemment pendant les vingt dernières années. Mais je ne le comprend pas aussi bien que les autres. Je n'ai jamais vraiment réussi à le connaître. S'il a pris part à des discussions, c'était seulement pour conseiller aux autres d'être patient.e.s. Après sa première année à l'usine, il ne disait plus rien des expériences qu'il avait partagé avec Luisa. Je ne suppose pas qu'il ai beaucoup plus changé que Jan pendant ces années. Mais je ne sais pas à quel point Luisa l'a influencé avant que je ne le rencontre. Ce que je sais c'est que Jan n'a pas été affecté par Luisa. Il s'est opposé à elle dès le premier jour où il arriva à l'usine. Il la ridiculisa. Il disait que s'il avait été l'un des travailleur.se.s ayant viré les patron.ne.s et les gerrant.e.s, il ne pouvait pas s'imaginer pourquoi diable est-ce qu'il retournerait à l'usine le jour suivant à moins d'avoir une utilisation personnelle pour l'une des machines. Il disait ne pas pouvoir s'imaginer une situation dans laquelle les travailleur.se.s se débarrasseraient de toute autorité sociale pour ensuite continuer de faire ce qu'illes avaient fait avant. Il a même accusé Luisa de mentir. Il disait qu'aucun travailleur qu'il ai connu ne serait jamais retourné au travail s'il n'avait plus à le faire. Malgré mon admiration pour Luisa, j'étais convaincue par Jan à chaque fois qu'illes débattait avec elle. Si nous avions écouté Jan, aucun.e d'entre nous ne serait retourné à l'usine après le jour ou M. Zagad s'est fait mettre dehors. Où seulement pour virer aussi ses machines. Évidement, si nous avions fait ce que Jan voulait, nous aurions été arrêté.e.s bien plus tôt que nous ne l'avons été. » « Puisque tu n'as fait aucune de ces choses, pourquoi as-tu été arrêté ? » demanda Mirna. « Tu ne le sais pas ? » demanda Jasna. « Je l'ai déduit, ou plutôt, ça m'a été expliqué pendant mon année en prison. Chacune de nos pancarte était différente des officielles. Yarostan, Luisa et parfois Vera débattaient toutes la nuit de les rendre différents. Jan n'avait rien à voir avec ça. Il refusait même de prendre part à l'impression et à la distribution de nos pancartes après que l'on ai viré M. Zagad. Il marmonnait qu'en continuant de travailler à l'intérieur des murs de l'usine sans les abattre, nous ne faisions que nous emprisonner nous-même. Il a avait raison. » « Vous vous êtes fait.e.s arrêter parce que vos signes étaient différents ? » demanda Yara. « Et j'ai été si idiote de ne pas le savoir à l'époque, » dit Jasna. « Pendant l'une de mes premières journées en prison, dans la cantine, une femme m'a demandé pourquoi j'avais été arrêté. Je lui ai franchement dit que je n'en savais rien. Les questions des enquêteur.ice.s m'avaient été complètement incompréhensibles, et je ne comprenais pas non plus leurs accusations. La femme m'a ensuite demandé ce que j'avais fait pendant les jours du coup. Je lui ai dit que j'avais imprimé des slogans sur des pancartes et marchés en les portant comme tou.te.s le monde. Éventuellement, elle m'a demandé quels slogans étaient sur mes pancartes. Aussitôt que j'ai commencé à en décrire certains, toutes les femmes de la cantine ont commencé à rire de moi. Plusieurs jours plus tard, j'ai demandé à l'une des femmes pourquoi elles avaient toutes ris de moi. Il m'a demandé incrédule si je n'avais vraiment pas su que chacun de mes slogans était une parodie des slogans officiels. Chaque fois que la pancarte officielle avait le mot ''État'', les nôtres avaient le mot ''travailleur.se.s'' ; chaque fois que les pancartes officielles disaient ''parti'', les nôtres disaient ''syndicat'' ; chaque fois que leurs signes disaient ''pouvoir'' les nôtres indiquaient ''autogestion''. Je me sentais comme la dernière des idiotes. Je n'étais absolument pas aux faits de ces différences. Pour moi, toutes les pancartes dans la rue avaient l'air identiques. C'est seulement après avoir appris à propos de ces différences que je me souvint de tous les débats entre Luisa, Vera et Titus à propos des slogans qui devaient se retrouver sur nos pancartes. À l'époque, je pensais qu'illes débattaient dans une langue étrangère. Je ne comprends toujours pas qu'est-ce qu'il y avait de si important. Si je n'avais pas perçu nos signes comme différent de ceux des autres, j'étais certaine que personne d'autre ne l'aurait fait. Je suis sûre que la police étaient les seul.e.s a être au courant de ces différences, Yarostan, tu savais surement pourquoi nous avions été arrêté. Toi et Luisa prêtaient tant d'importance à ces différences. Pour Marc et Adrian, elles importaient que parce que vous y accordiez de l'importance. Je n'en savais rien. Quand j'ai été arrêtée, j'ai insisté sur le fait que je n'avais jamais rien fait de toute la vie ; je n'avais même pas eu le cran de prendre part à la résistance contre les occupant.e.s qui avaient tué mon père. Mais mes protestations étaient inconséquentes. Le procès me roula dessus comme une locomotive et quel que soit le volume auquel je criais, je ne pouvais en changer la direction. Je n'y comprenais rien. Je ne me souviens même pas de toutes les accusations qui m'ont été faites. À l'époque, je ne savais même pas ce que voulait dire le mot ''sabotage''. J'ai néanmoins été condamnée à un an de prison. Comment est-ce possible que Luisa n'y ai passé que deux jours ? Elle, au moins savait pourquoi elle y était. La vie en prison a été un cauchemar pour moi. La plupart des femmes que j'y ai rencontré étaient odieuses avec moi. Après m'être ridiculisée, je suis devenue la tête à claque de la prison. Une femme m'a dit qu'après ma première année soit terminée, je serait automatiquement condamnée à une autre peine étant donné qu'après ma première année, j'étais devenue une prisonnière, et donc une personne socialement dangereuse. Elle m'a dit qu'il n'y avais aucun moyen de savoir de quelle durée cette prochaine condamnation serait mais que personne n'avais jamait entendu parler de condamnation d'un an. Une autre femme m'a rempli la têtes d'horribles histoires de chambres de torture dans lesquelles je serais envoyée. Je tremblais de peur pendant chaque moment éveillé que j'ai passé la bas. J’étais si soulagée quand je suis finalement sortie de cet enfer. Par chance, ma maison était exactement comme je l'avais laissé. Elle n'avait pas été confisquée. J'ai décidé que je ne ferai plus jamais partie de groupes politiques. Que je ne porterai plus jamais de pancartes ni n'irai à des manifestations. Je me suis tenue à cette décision jusqu'à il y a quelques semaines. Mais je n'ai pris part aux activités dans notre école que parce que tou.te.s le monde le faisait, et que cette situation aurait requis de la bravoure pour rester à ne rien faire. » J'ai brièvement résumé à Jasna mon expérience misérable lors de ma première sortie de prison, et lui ai demandé si elle avait été capable de trouver un boulot. « J'étais si heureuse d'être sortie de cette prison que rien d'autre n'avait d'importance, » dit-elle. « Bien sur, j'étais chanceuse d'avoir cette petite maison. J'avais aussi mis de côté un peu d'argent. J'ai cherché du boulot, et ai eu une expérience similaire à la tienne. Je suis d'abord allée à l'usine de carton. Les gens qui s'en occupaient étaient des brutes comparé.e.s à M. Zagad. Bien sur illes ne m'ont pas acceptée. Ce fut la même chose dans trois autres usines, mais je n'en avais pas grand chose à faire. J'avais assez d'argent pour acheter mes courses pendant plusieurs mois et ma petite maison avait été payée avant la guerre. Je ne faisais que lire et attendre ce qu'il se passerait. J'enviais le courage de femmes comme Sophia et Sabina. Je n'avais pas les nerfs de quitter la maison et partir à la recherche d'aventures. Je me sentais désolée pour moi, j'étais complètement perdu. Je savais que mes économies s'épuiseraient éventuellement. Je savais que je ne pouvais pas juste rester chez moi. La peine de prison m'avait rendue inemployable. Il n'y avais rien que je puisse faire. Ce n'était que que quelques mois plus tard après ma sortie que j'ai commencé à me sentir de la manière dont tu as décrit. La peur m'a pris. J'avais peur de mes voisin.e.s parce qu'illes semblaient me regarder bizarrement, me penser étranger. Je me souvenais de ce que je m'étais faite dire à propos d'être devenue une dangereuse condamnée. J'avais peur de la police. J'avais peur des inconnu.e.s dans la rue. Je ne connaissais personne. J'avais vingt-huit ans et j'étais mortellement effrayée à l'idée de quitter ma maison. » Yara était émeut. « Nous ne savions pas ce que tu avais vécu quand nous t'avons appelé une traitre pour ne pas participer aux manifestations. Je suis désolé, » dit-elle à Jasna. « Ne soit pas désolée, » dit Jasna. « Toi et tes ami.e.s avaient raison. Les gens sont effrayé.e.s de leurs propres ombres ne sont pas vraiment admirables. J'avais de bonnes raisons d'avoir peur mais pas de tout ni de tou.te.s le monde, et pas tout le temps. Je n'ai pas penser à me suicider. Ça prend aussi du courage. Je ne savais tout simplement pas ce que je devais faire. J'ai donc attendu. Je ne sais pas si je m'en serait appelé si Vera ne m'avait pas littéralement sauvé d'une d'une mort atroce ou de la folie. Vera fut relâchée presque un an après moi. Son appartement avait été confisqué. Elle n'avait aucun parent en vie et n'avait pas été capable de retrouver aucune autre personne avec qui elle avait travaillée. Elle n'avait nulle part au monde où aller. À quel point a-t-elle dû être heureuse quand elle m'a vu ouvrir la porte de ma maison. Elle était remplie de joie quand elle a su que je vivais seule. Mais son bonheur de me voir n'était rien comparé au mien. Je l'ai prise dans mes bras et me suis comportée comme si mon père aussi bien que ma mère étaient revenu. Je l'ai suppliée de rester avec moi et de considérer ma maison comme si elle avait toujours été la sienne. Vera avait été complètement transformée par sa peine de prison. Elle était silencieuse et aigrie. J'étai reconnaissante qu'elle soit arrivée jusqu'à moi. Je faisais les courses, cuisiné et nettoyé la maison. Vera passait ses journées dehors, à rencontrer des gens, apprendre quelles ouvertures pouvaient exister pour elles. Je suis embarrassée d'admettre à quelle vitesse elle s'est orientée. Pendant un an, j'avais pris pour acquis que tout m'étais fermé, et n'avais rien fait. Vera n'avait seulement été avec moi une semaine qu'elle commença a parler de s'inscrire à l'université. Elle disait que ce soit le seule moyen de devenir qui que ce soit de nos jours, et puis s'était une alternative qui n'était pas fermée aux ancien.ne.s prisonnièr.e.s. Elle était inscrite quelques semaines plus tard. Elle a exprimé un soulagement à propos du fait de s'être faite montrer la porte dans chaque usine où elle avait candidaté pour un emploi, disant qu'elle aurait pu se retrouvée bloquée dans l'une d'elle. En s'inscrivant à l'université, elle a eu une petite bourse, et les grands espoirs de ne plus jamais avoir à voir une usine. » J'ai fait un commentaire sur ce passage vers la fin de ta lettre dans lequel tu décris les étudiant.e.s dans ta classe. J'ai comparé Vera a ces ancien.ne.s travailleur.se.s qui, d'après tes mots, se réparent et se peignent de manière à sortir de l'usine. » « La comparaison n'est pas vraiment honnête, » dit Jasna. « C'était littéralement la seule alternative qui nous était donnée, à elle et moi. Nous avons cherché du boulot dans des usines, et nous sommes faites refuser. Mais tu n'as pas complètement tort. Nous avions tou.te.s décidé d'en finir avec le travail à l'usine, mais des années plus tôt. Encore une fois, l'espoir de ne plus jamais travailler dans des usines était née pendant les journées où nous avons travaillé à l'usine de carton ensemble. C'était là que Vera a rêvé de devenir quelque chose comme une oratrice populaire, une sorte d'intervenante publique, exactement ce qu'elle est maintenant. Notre expérience dans l'usine de carton a appris à chacun.e d'entre nous que nous n'avions pas besoin de passer nos vies à faire ce travail. C'était là dessus que Jan tombait toujours en désaccord avec Luisa. Il répétait en permanence qu'aussitôt nous saurions que nous n'avons pas à faire ce boulot là, aucun.e d'entre nous n'y reviendraient jamais. » J'émis une objection concernant son interprétation de l'attitude de Jan. « Je sais que Jan ne voulais pas dire que nous irions à l'université et dans des boulot mieux payé, » admis Jasna. « Il voulait détruire l'usine de manière à ce que personne d'autre n'ai plus a y travailler non plus. Mais le reste d'entre nous n'allaient pas fair ça. Nous n'avons pas acquis le désir de mettre fin aux usines, mais de nous en sortir nous même. Et c'est ce que Vera a fait après sa sortie. Aussitôt qu'elle était inscrite à l'université, elle a commencé à me narguer et me tenter. Elle me disait que j'étais une vieille fille et que je deviendrai bientôt la sorcière du quartier si je restait enfermée dans la maison. Elle me disait que si je m'inscrivai à l'université, j'aurais une bourse pour ouvrièr.e.s et une pour orphelin.e.s de guerre, étant donné que j'étais les deux, et si je réussissais mon diplôme, je n'aurai plus jamais à travailler dans une usine, mais que si j'attendai davantage, je serais plus vieille que les professeur.e.s. J'avais peur. J’étais certaine d'être une lignarde et de ne pas avoir ma place dans une université. Je me souvenais de ces femmes qui avaient rit de moi en prison. J'imaginais que tou.te.s les étudiant.e.s riraient de moi ne serai-ce que pour m'inscrire. Un jour Vera m'a parlé d'une université spécifiquement conçue pour les ignard.e.s et les têtes à claques : l'université pour les enseignant.e.s. Elle m'assura que je n'aurais aucun soucis à y être accepté. Elle avait raison. J'ai fait ma candidature et je fut accepté. J'y suis allé pendant quatre ans et n'était pas plus ignarde que n'importe qui d'autre. À la fin, j'étais une professeure. Mais je vais encore trop vite. Pendant ma seconde année, j'ai eu une visite d'Adrian Povrshan. Il venait d'être libéré et avait besoin d'un endroit où rester. Tout d'un coup, ma petite maison était pleine pour la première fois depuis la guerre. Je m'attendais à ce que tu sois notre prochain visiteur. » J'ai dit à Jasna que je ne savais pas où est-ce qu'elle vivait. « Adrian non plus, mais il m'a quand même trouvé facilement, » dit-elle. Je doit admettre qu'il ne m'était jamais venu à l'esprit de la chercher. Je pensais qu'elle l'aurait mal prit. Mais elle rit. « Je ne sais pas ce qu'il se serait passé si tu étais venu ! Vera restait dans ce qui avait été la chambre de mes parents. Adrian emménagea dans le salon. Il pensait qu'il allait se remettre avec Vera là ou illes en étaient resté.e.s. La première chose qu'il fit fut de s'inscrire à l'université. Ce n'est pas moi qui le dit, mais Adrian est vraiment stupide. Il n'a jamais rien suspecté d'étrange. Ce n'est qu'après dix ans qu'il s'est rendu compte de la relation de Vera avec le professeur Kren. » Mirna et moi avons supplié Jasna de nous raconter les détails des aventures de Vera. « Je suis désolée de divaguer autant, » dit Jasna. « Je ne sais pas quoi dire en premier. J’avais su à propos de ce professeur longtemps avant qu'Adrian ne vienne rester avec nous.Pendant sa première année à l'université, Vera m'avait parlé d'un certain Professeur Kren qui enseignait une classe d'économie politique à laquelle elle allait. Elle l'avait décrit comme un politicien incroyablement soigné qui venait en classe dans un costume noir impeccable. Il faisait cour pendant deux heures sur les transformations de la société et sur les conditions de vies révolutionnaires des ouvrièr.e.s. Après la classe, ses étudiant.e.s s'alignaient dans la rue pour le voir entrer la limousine conduite par un chauffeur qui l'emmenaient au palais gouvernemental. Il était un officiel haut-placé de la banque d'état. Il est plus tard devenu le directeur de la banque. C'est amusant la manière dont l'opinion de Vera sur lui a changé pendant cette année. Quand elle m'a d'abord parlé de lui, s'tait pour le ridiculiser et l'appeler un révolutionnaire-à-domestiques. Progressivement, elle m'a de moins en moins parlé de son apparence et de sa limousine, et davantage de sa position, de son importance. Elle m'a aussi dit qu'il n'était pas marié. Deux ou trois mois avant qu'Adrien ne revienne, elle m'a dit être ''follement amoureuse'' de la limousine du Professeur Kren et de son pouvoir. Elle allait à chacune de ses classes à l'université. Elle est même retourné voir des cours qu'elle avait déjà écouté. Et Adrian qui avait deux années de retard par rapport à elle à l'école, et supposait simplement qu'elle était spécialisée dans les choses enseignées par le Professeur Kren. Quand elle obtint son diplôme, elle s'inscrit dans un programme d'étude supérieures sous la direction du Professeur Kren. Après avoir terminé l'université, j'ai eu mon premier poste d'enseignement dans une école primaire de l'autre côté de la ville. Mais la situation théâtrale de ma vie dans ma maison ainsi que ce premier travail se sont arrêté abruptement, avant que je n'ai pu enseigner un semestre. Nous avons été tou.te.s trois soudainement arrêté. » Mirna était étonnée. « Tu as été arrêtée une seconde fois ? Pourquoi ? » demanda-t-elle. J'étais moi aussi ébahi. « Je ne sais pas pourquoi, » dit Jasna. « et cette fois si personne ne me l'a expliqué. La première fois j'avais au moins fait quelque chose. La seconde, je ne faisais absolument rien. Ça s'est passé il y a douze ans. Tout d'un coup, tout prit fin et ce cauchemar terrible recommença au début : les fouilles, les enquêtes, les cellules. Et pour aucune raison. Pendant mes premiers mois comme professeure, j'avais tout fait exactement comme on me l'avait enseigné. J’étais arrivée à l'école à l'heure, avait seulement parlé aux gens que je connaissais et même là, je n'avais fais que dire bon matin et bonne nuit. Dans mes classes, j'avais répété ce que disaient les manuels et n'avait ajouté aucun mots à moi quand j'avais su que ceux-ci étaient faux. » Je lui ai demandé de quoi est-ce qu'elle avait été accusé. « Dieu seul le sait ! » dit-elle. « Illes me posaient des questions si ridicules, me demandant des choses que je n'aurais jamais pu avoir et mélangeant celles ci avec des choses que je ne pouvais m'empêcher de savoir. Illes demandaient si j'avais connu des espion.ne.s étrangèr.e.s notoires, et si je connaissais mes propres ami.e.s. C'était si idiot ! Illes m'avaient arrêté en même temps que Vera et Adrian et me demandaient si je les connaissais. Lorsque j'ai admis les connaître, illes ont insisté que devais connaître l'espion.ne, et le manège recommença. Illes avaient même le mauvais nom de famille écrit pour Sophia et Luisa mais je n'ai pas corrigé leur erreur. Les gens embauché.e.s pou ces interrogatoires sont encore plus idiot.e.s que moi. Mais tout d'un coup, alors que j'avais été en prison seulement deux jours, je fut relâchée ! » Mirna et moi avons une nouvelle fois exprimé notre surprise. « Oui, j'ai été libérée après deux jours, et je n'ai jamais su pourquoi nous avions tou.te.s été arrêté.e.s. Plusieurs années plus tard, j'ai quand même appris pourquoi nous avions été relâché.e.s si vite. Je n'ai de toute évidence pas fait beaucoup d'effort pour savoir pourquoi j'avais été libérée. Les mêmes officiel.le.s qui avaient été prêt.e.s à me couper la tête si je ne leur disais pas des choses que je ne savais pas étaient tout d'un coup très poli.e.s, plein.e.s de sourire et de poignées de main. Illes me faisaient des références et des excuses. Illes m'ont dit que mon arrestation avait été une ''erreur''. Des erreurs comme celle-ci ont lieu à n'importe quel moment plusieurs fois par an ! Il me fallu le temps de rentrer chez moi pour que ma peur revienne. Le jour après ma sortie, je suis retournée à l'école pour enseigner et le directeur m'a dit qu'après avoir appris à propos de mon arrestation, illes m'avaient déjà remplacé ! Il me dit aussi qu'il n'y avait plus d'autres postes dans l'école. J'avais le cœur brisé. J'avais perdu l'emploi pour lequel j'avais étudié pendant quatre ans. Ma maison était à nouveau vide. Adrian et Vera étaient tou.te.s deux parti.e.s, et dieu sait pour combien de temps. J'étais toute seule et à nouveau sans savoir ce que j'allais faire. Et comme si ma misère n'était pas encore complète, j'ai eu une mauvaise expérience quelques jours après ma sortie. On frappa fort à la porte. Je pensais que c'était la police qui était venu me chercher encore une fois. J'ai regardé par la fenêtre et ai reconnu Claude Tamnich. Il avait l'air bizarre Je tremblais quand j'ai ouvert la porte et ai immédiatement regretté de l'avoir fait entrer. Il claqua la porte et me gifla si fort que je suis tombée à terre. Il m'a accusé d'avoir mené à son arrestation. Je bégayais comme un bébé. Je lui ai dit que je venais juste d'être arrêtée moi même pour aucune raison, et que j'avais perdu mon boulot, mes deux seul.e.s ami.e.s et toutes mes raisons de rester en vie à cause de ça. Sa colère diminua un peu parce qu'il pouvait se rendre compte que j'étais prête à mourir là où j'étais. Il m'accusait de leur avoir dit qu'il était membre d'une cellule d'espion.ne.s organisé depuis l'étranger. Je lui ai dit qu'illes m'avaient demandé à propos d'espion.ne.s mais que je n'avais rien à voir avec n'importe quel.le.s espion.ne.s ; je lui ai dit qu'illes m'avaient demandé si je le connaissais lui et tou.te.s les personnes avec qui nous avions travaillé et que j'avais dit oui, que bien entendu je le connaissais, et qu'illes savaient parfaitement bien que nous avions travaillé ensemble. Mais Claude insistait qu'illes ne m'auraient jamais laissé sortir si vite si je ne leur avait pas dit qu'il était un espion. Quand j'ai dit à Claude qu'illes s'étaient excusé d'avoir fait une erreur, il m'a littéralement dit, ''Illes ne font jamais d'erreur''. Alors pourquoi, lui ai-je demandé, est-ce qu'il n'était pas allé leur demander pourquoi est-ce qu'illes m'avaient relâché et ce que je leur avait dit ? Je lui ai dit qu'illes ne m'avaient jamais giflé de la manière dont il venait de le faire. Claude marmonna que j'avais du leur dire quelque chose, mais il m'aida a me relever et s’excusa Des années plus tard, j'ai appris pourquoi j'avais été relâchée si soudainement. Ça n'aurait pas vraiment changé grand chose si je l'avais su à l'époque. Claude s'est jeté sur moi et m'a giflé avant même que j'ai pu lui dire bonjour. Je ne sais pas comment est-ce que je l'ai convaincu que j'étais innocente. Il a tout d'un coup perdu l'intérêt qu'il avait de savoir si j'étais coupable ou non. Il a demandé si j'avais quoi que ce soit à boire, et s'est ensuite mis à me poser des questions sur les gens que nous avions connu. Il a continué à boire jusqu'à ce qu'il ai avalé presque toutes les bouteilles d'alcool que Vera et Adrian avaient accumulé dans ma maison pendant les années où illes y avaient vécu. Il semblait toutes les verser dans un tonneau. Le plus il buvait, le plus il me parlait de lui même. Il s'était fait arrêter comme les autres à l'usine de carton à l'époque du coup, et s'était fait condamner à quatre ans. Mais il fût relâché après un an de sa sentence. Il s'en vantait. Il était terriblement ivre. Il disait que sortir de prison avait été la chose la plus facile au monde : Tout ce que tu as à faire est de remplir tes obligations vis-à-vis de l'état, comme n'importe quel.le bon.ne patriote. Je lui ai demandé ce qu'il voulait dire par là et il me répondit qu'en prison, il avait espionné d'autres prisonniers. À la fin de sa première année, un bureaucrate lui a demandé s'il voulait un emploi important. Claude ne l'a pas refusé. Il a dit qu'après avoir prit part à la défaite des ennemi.e.s de la classe ouvrière il n'allait pas passé quatre ans en prison pour retourner ensuite à son boulot à l'usine de carton, et qu'il n'allait certainement pas y retourner maintenant que Marc en était le directeur. Je lui ai demandé s'il parlait de notre Marc. C'était bien lui, dit-il, l'appelant un ver qui s'était faufilé jusqu'aux postes de direction de l'usine et de l'organisation du parti. Claude a donc accepté le boulot important qui lui offraient, et il est devenu un indicateur de la police. Il n'a pas décrit le travail qu'il avait fait, et je ne lui ai pas demandé. Il s'est quand même vanté d'avoir été assez bon pour avoir été promu quelques années après. Je ne peux pas me rappeler du poste qu'il a. Il est devenu une sorte de bureaucrate de la prison ou responsable de la sécurité, responsable d'autres gens faisant le travail d'espion qu'il avait fait avant. Puis il fut tout d'un coup arrêté, accusé de conspirer avec des agent.e.s étranger pour renverser l'état. Illes avaient aussi demandé à Claude s'il connaissait le reste d'entre nous, et quand il admit qu'il me connaissait, illes lui ont dit que moi, Jasna Zbrkova, avait avouée que lui et moi avions tou.te.s deux été membres d'un réseau d'espion.ne.s étranger. Je lui ai demandé pourquoi est-ce qu'illes m'auraient libérée si j'avais admise être une espionne étrangère, mais il était trop saoul pour me répondre. Il ne faisait que divaguer sur l'efficacité, il disait que c'était la manière dont il faisait les choses, la seule à être efficace. Puis il s’endormit sur sa chaise. Je me suis enfermé dans ma chambre. Quand je me suis levée le matin suivant, il était parti. Je ne l'ai pas revu ni ai entendu parler de lui depuis. Je ne sais pas si toutes ces choses qu'il m'a dit quand il était ivre sont vraies mais seule l'une d'entre elle avait de l'importance pour moi : Il m'a dit que Marc Glavni était devenu une personne importante dans l'usine de carton. » Yara avait commencé à bailler pendant le récit de Jasna, mais à ce moment là, elle se redressa et demanda « Est-ce que tu parles de Marc Glavni, l'officiel du gouvernement ? Est-ce que c'était lui le Marc qui a été l'un de vos ami ? » Elle était de toute évidence impressionnée par le fait que nous avions autrefois été ''ami.e.s'' avec ce provincial hautain qui avait considéré le reste d'entre nous comme des idiot.e.s. « C'est exactement le même Marc, » dit Jasna. « Je suis allée le voir le jour suivant la visite surprise de Claude. Il était bien là, dans le bureau de M. Zagad ! Il m'a reconnu, mais pas comme une ancienne amie. Il ne se rappelait pas de moi comme la personne qui l'avait aidé à apprendre son travail dans cette même usine, la personne qui avait réparé ses bourdes. Je suis certaine que si tu lui demandais, il n'admettrait jamais que Yarostan et moi aient jamais pu être ses ami.e.s. Il ne m'a reconnu que comme une personne qu'il avait vu avant, quelqu'une dont il connaissait le nom, et c'était tout. Il était froid. Enfin je ne veux pas suggérer ça. Il était tout aussi cordial et décent et courtois et distant que l'avait été M. Zagad la première fois que j'étais rentré dans ce même bureau dix-neuf ans plus tôt. La scène était une répétition exacte de la précédente, à l'exception du fait que le rôle de Zagad était joué par le prodige provincial que Luisa avait aussi apprécié. J'ai demandé s'il y avait aucun poste de libre. Marc dit qu'il y en avait justement un et qu'il serait très heureux de ''m'avoir''. M. Zagad ne l'aurait pas dit différemment La seule différence est que cette fois je n'ai pas eu à m'excuser pour mon manque d'expérience. Cette fois, j'en avais bien d’avantage que l'homme qui m'embauchait et je n'avais pas besoin de Luisa pour me dire que je pouvais remplir mes tâches plus efficacement sans le patron. C'est à ce moment là que je me suis rendu compte que Luisa avait eu tort et que c'était Jan qui avait raison. Sans le reste de vous autour de moi, je haïssais le travail dans cette usine. Si je n'avais pas eu besoin de ça pour vivre, je ne serais jamais retourné à cette routine ennuyante, même si tous les M. Zagads et les Marc Glavnis s'étaient fait virer. Jan avait raison. Ces huit heures par jour étaient ce qu'il y a de plus proche de la prison. Il s'était toujours opposé aux commentaires de Luisa en disant que seul.e un.e idiot.e ou un.e esclave mécanique écervelé.e serait retourné.e dans sa cellule après tout. Les grilles étaient ouvertes et tou.te.s les gardes parti.e.s. Je n'étais pas aussi contente de moi quand Marc m'a embauché que je l'avais été quand ce fut M. Zagad. J'en détestais chaque minute, et chaque jour ou j'avais à y retourner. La nuit, je rêvais de me remettre à enseigner, mais ce n'était qu'un rêve, et chaque jour je retournais à l'usine. Je suis une personne si timide. Je suis restée dans cette usine trois ans de plus. Mon corps et mon esprit se sont engourdis. J'étais devenue ce que Jan avait décrit : Une esclave mécanique écervelée. J'étais indiscernable de mon réveil. Je me réveillais à la même heure chaque matin, me remontait chaque soir et me réveillais à nouveau le matin suivant. Pendant ces trois ans, Marc est monté à encore un autre poste. Il est devenu membre de la commission de planification de la ville. Il avait le pouvoir de m'aider à trouver un autre emploi d'enseignement simplement en parlant dans son téléphone. Je ne sais pas comment est-ce que j'ai eu le cran d'entrer dans son bureau un jour et de lui demander son aide pour être transférée à un emploi d'enseignement. Je lui ai parlé du nombre d'année que j'ai passé à me préparer à devenir professeure. Et je ne sais pas comment est-ce qu'il a trouvé le cran de me refuser. Non, dit-il, sans autre explication. Je suis désolé camarade, mais ! Pour la première fois de ma vie j'avais envie de faire quelque chose de violent. J'avais un immense désir de pousser le bureau sur son estomac ; Le bureau vieux et lourd de Zagad. Je suis fière de ce que j'ai fait après ça. Je suis sortie de son bureau, à travers l'atelier, puis dans la rue et directement jusqu'à chez moi. Je ne suis pas une fois retourné dans cette usine depuis. Plusieurs des travailleur.se.s sont venu.e.s chez moi pour me demander si j'avais été renvoyé. Je leur ai dit que j'avais simplement démissioné parce que j'en avais assez, et chacun.e d'entre elleux m'ont applaudi pour mon courage Ce fut la seule fois de ma vie où ça arriva. » J'ai demandé à Jasna comment est-ce que Marc était devenu si important à l'usine de carton. « De la même manière que nous sommes tou.te.s devenu ce que nous sommes à présent, » dit-elle. « Il à commencé à devenir important le premier jour où il a participé aux discussions politique que nous avions il y a vingt ans, quand il élaborait ses plans que Luisa admirait tant. Les travailleur.se.s de l'usine étaient familièr.e.s avec chacune de ses avancées ; et m'ont tout raconté sur lui pendant ces trois années supplémentaires. Quelques temps plus tard, c'est Titus Zabran qui m'a raconté des choses amusantes sur lui. Marc aussi avait été arrêté il y a vingt ans. Il fût relâché après une demi année passée en prison. Je ne me suis jamais permise de me demander pourquoi est-ce qu'il était sorti si tôt. Cela ne fait que mener à me demander pourquoi la plupart des gens autour de moi n'avaient pas été arrêté, et dès que tu te mets à penser la vie comme ça, plus rien n'a de sens. Après sa sortie, Marc postula à son ancien boulot à l'usine de carton et se le fit refuser par les nouveaux responsables. Certain.e.s des travailleur.se.s avec qui j'ai travaillé plus tard avaient été là à ce moment et m'ont dit à quel point illes étaient surpris.e.s quand il est revenu à l'usine plusieurs mois plus tard. Illes pensaient qu'il devait déjà avoir eu à ce moment là des contacts important.e.s, si tôt après sa sortie de prison. Ce mystère me fut clarifié par Titus quelques temps après que je sois sorti du bureau de Marc. Après s'être fait renvoyer par les responsables de l'usine, Marc a appris que Titus avait une sorte de poste dans le syndicat. Il lui rendit visite et par un simple coup de téléphone, Titus fit embaucher Marc à l'usine de carton. Ce même marc qui refusa de faire de même pour moi quelques années plus tard. Aussitôt récupéré son ancien boulot, Marc a commencé à aller à des cours du soir à l'université. C'était un programme d'éducation financé par le syndicat pour donner aux simples travailleur.se.s des diplômes qui leur permettaient de postuler dans la bureaucratie syndicale. » J'ai commenté que Marc devait avoir suivi des programme aux objectifs et contenus similaire au programme de l'institution dans laquelle tu enseignes. « Et il l'a certainement pleinement employé à son avantage, » continua Jasna. « C'était un bon étudiant, il l'avait toujours été. Il s'inscrivit à un cours de planification économique, qui a dû le satisfaire pleinement. Après avoir suivi ce cours pendant un an, il s'est fait nommer au conseil de l'usine et y a eu son propre bureau. C'était tout ce dont il avait besoin. De là, il n'a fait que s'élever. Il continua d'être payé par l'usine de carton bien qu'il n'y fasse plus aucun travail. Il passait ses journée dans son bureau à étudier pour ses cours. Il s'en sortit si bien dans ses études qu'il se fit nommer secrétaire du parti au conseil de l'usine. Cette nomination en fit automatiquement un membre du conseil syndical. Quand il termina son cours, il avait des références académiques plus élevées que quiconque dans l'usine et s'éleva encore un peu, cette fois-ci pour se faire ''élire'' à la tête de l'organisation du parti de l'usine. Il a passé les deux années suivantes dans son bureau, à écrire une dissertation basé sur les statistiques recueillies pour lui par des responsables syndicaux mineur.e.s dans l'usine. Il devint Dr. Glavni. Ce qui lui est arrivé ensuite était amusant pour les travailleur.se.s qui me l'ont raconté. Tard un soir, une voiture s'arrêta en dehors de sa maison, et deux hommes frappèrent à sa porte. Ils l'ont arrêté de la même manière qu'ils l'auraient fait pour n'importe quel saboteur ordinaire, mais à la différence de n’importe quel saboteur, Dr. Glavni fut relâché immédiatement. Je me suis même faite dire que le secrétaire régional du parti s'était personnellement déplacé pour s'excuser de l'erreur. Après sa libération, Marc n'a pas seulement récupéré tous ses postes. Il est aussi devenu un représentant à la commission de planification de la ville. C'est à ce moment là que je suis allé dans son bureau et lui ai demandé son aide pour être transférée à un travail d'enseignante. Je ne l'ai pas revu depuis ce jour, mais deux personnes qui travaillent encore à l'usine ont des enfants dans l'école où j'enseigne et m'ont tenue informée sur ses succès continus. Peu de temps après que je suis sorti de son bureau pour ne jamais le revoir, Dr. Glavni est devenu le directeur général de l'usine de carton. L'année suivante il devint membre de la commission de planification d'état et aussi de celle sur le commerce extérieur. Même l'année dernière, j'ai lu dans un journal qu'il était devenu membre du comité central de la commission de planification d'état. Aujourd'hui, tu peux te tenir informé.e de ses titres simplement en lisant le journal. Il y est mentionné au moins une fois par jour. » Nous avons demandé à Jasna si elle avait trouvé un emploi d'enseignante toute seule après son départ de l'usine de carton. « Je n'ai même pas essayé, » dit-elle. « Je n'ai une nouvelle fois rien fait pendant plusieurs mois. J'avais pris l'habitude de passer des mois à la maison à ne rien faire. » « Tu ne faisais vraiment rien ? » demanda Yara incrédule. « Est-ce que tu ne faisais que t'asseoir chez toi et regarder dans le vide? » « Je veux dire que je ne faisais rien en dehors de ma maison, » dit Jasna. « Non je ne m'asseyais pas pour regarder dans le vide. Je ne me sentais plus le besoin de m’apitoyer sur mon sort. Mais ce que j'ai fait n'est pas grand chose. J'ai un faible pour les romans, particulièrement s'ils sont longs, et les périodes de ma vie quand je n'ai rien fait étaient en quelque sortes les plus pleines de ma vie. Ce furent les mois où j'ai vécu toutes les vies possibles que je n'allais jamais être capable de vivre dans la vraie vie. Pendant ce temps, j'étais vaguement au courant que Vera avait été libérée. Je me demandais pourquoi est-ce qu'elle n'était pas venue me rendre visite, mais ne fit aucun effort pour essayer de la voir. Je restais à la maison et lisais. Ma période de lecture se termina quand j'eu une autre visite surprise. Titus Zabran est venu me voir. Nous ne nous étions plus vu depuis plus de dix ans. Il venait juste d'être libéré de prison. Je pense que son arrestation avait été une autre erreur. Il travaillait dans la bureaucratie syndicale et avait semble t-il appris que j'avais démissionné de mon boulot à l'usine de carton. J'ai appris de Titus que Jan avait disparu et que tu étais toujours en prison, et que Mirna et vos deux filles vivaient dans mon quartier. » « Mais tu n'es jamais venue nous voir, » lui reprocha Yara. « J'en ai toujours eu l'intention, » nous dit Jasna. « Mais je suis une personne si timide. J'avais peur. Titus était choqué quand je lui ai dit que je ne faisais que rester à la maison et lire. Il m'a demandé pourquoi j'étais sortie comme ça du bureau de Marc. Quand je lui ai raconté, il me demanda avec tout le sérieux d'un vieux responsable quel genre de travail j'aimerai faire. Je lui ai dit que je voulais enseigner à nouveau. Deux jours plus tard il revint me rendre visite et me dit qu'il y avais un poste pour moi dans l'école élémentaire de mon propre quartier. J'étais pleine de joie. Je lui ai préparé un festin. J'étais si reconnaissante. Il me rendit visite fréquemment après ça. Mais je ne pouvais pas me rapprocher de lui comme quand nous avions travaillé ensemble bien des années plus tôt. Cette fois ce n'étais pas parce que j'avais à me mesurer à une incomparable Luisa Nachalo mais parce que Titus était devenu si fade, si robotique, si officiel. Il n'était guère plus humain qu'une table de bureau. Je lui posais continuellement des questions sur sa vie, mais à la différence de toutes les personnes que je connais, il n'avait aucun désir de parler de lui. Le moindre détail était comme lui arracher des dents. Il ne m'a rien dit que je ne lui ai pas spécifiquement demandé. C'est pour ça que je ne connais seulement que des fragments de sa vie. Après que nous nous sommes tou.te.s fai.te.s dégager de l'usine de carton, nous nous sommes dispersé.e.s dans de nombreuses directions différentes, et Titus a eu un poste au syndicat. C'était à ce poste qu'il a été capable d'aider Marc à se faire réembaucher à l'usine de carton. Il m'a dit qu'il avait été emprisonné pour ''cosmopolitisme'', quoi que ça puisse être. La seconde fois, il avait été arrêté et accusé de ''révisionnisme''. Je n'ai jamais entendu parler de ces choses dont il a été accusé. Il semblait extrêmement solitaire et m'a dit n’avoir aucun.e ami.e. Je pouvais comprendre pourquoi : il était aussi sociable qu'une pierre. Il y a environ quatre ans, quand j'avais été a enseigné à nouveau depuis un an, et après que Yara ai été inscrite dans notre école, Titus me dit qu'il avait vu Adrian qui venait juste d'être libéré de sa seconde condamnation, deux ans avant ta sortie. Adrian avait rendu visite à Titus pour lui demander son aide à trouver un emploi. Titus lui en trouva un dans le conseil syndical. Titus ne savait pas où Adrian vivait mais il me dit où était son bureau. J'étais irritée par le fait qu'Adrian ne soit pas venu me voir après sa sortie de prison. Je ne l'avais pas revu depuis que nous avions été arrêté chez moi six ans plus tôt. J'ai trouvé un.e remplaçant.e un jour pour l'école et je suis allé dans son bureau. Adrian et son bureau étaient terriblement déprimants. Adrian avait maigri comme un squelette. Des cercles sombres entouraient ses yeux. Son visage et ses mains ne semblaient constitués que de peau et d'os. Et son bureau était tout aussi sec que lui. La pièce était un peu plus grand qu'une cellule de prison moyenne, avec un bureau et une chaise. C'était tout. Rien sur les murs, rien sur le sol, rien sur le bureau. Nous nous sommes serré la main. Je ne pouvais me retenir de lui demander ce qu'il pouvait bien faire dans cette pièce. En regardant les murs nus il dit, ''C'est mon boulot, je suis un chercheur.'' Je lui ai demandé exactement ce que Yara viens de me demander : est-ce qu'il restait juste assis là à regarder les murs ? Est-ce qu'il lisait ? Il prit la section des sports dans un journal du tiroir supérieur de son bureau et me montra ce qu'il lisait. Je pouvais voir qu'il n'y avais rien d'autre dans ce tiroir. Comme si pour m'expliquer sa situation, il me dit qu'il attendait. Attendait pour quoi ? J'ai demandé. Tout les jours, chaque jours ? Il m'a rappelé qu'avant son arrestation il avait été à deux doigts de terminer ses études universitaires. S'il avais suivi trois classes et remis un examen de plus il aurait terminé. Son dossier était écrit et il attendais de passer son examen. Après ça il aurait un autre poste. Adrian était simplement assis là a attendre ce poste. Il n'avait littéralement rien a faire là. Il passait la plupart de ses journées dans ce bureau. Je lui ai demandé pourquoi est-ce qu'il n'était pas venu me voir après avoir été libéré. Je l'aurait volontiers mis dans la même pièce où il était resté avant. Il disait qu'il ne supportait plus rien qui lui rappelait Vera. Et puis, calmement, presque mécaniquement, il commença à me raconter ce qui lui était arrivé après avoir été arrêté. Je ne pouvais pas croire ce qu'il me racontait, bien que ça éclaircisse un peu pourquoi j'avais été relâché si rapidement et pourquoi je m'étais fait dire que j'avais été arrêté par erreur. Adrian avait aussi été accusé d'avoir des contacts avec un réseau d'espion.ne.s étrangèr.e.s et s'était aussi fait demander s'il connaissais les gens que nous connaissions tou.te.s, incluant Vera et Marc. Bien entendu il admis les connaître. Il fut condamné à deux ans. À la fin des deux ans, plutôt que d'être relâché, il fut pris dans un autre procès. Ça me rappelait l'histoire qu'une femme m'avait raconté pendant ma première condamnation : aussitôt qu'une première condamnation finissait, une seconde plus longue commençais. C'est ce qui arriva à Adrian. Il fut interrogé à nouveau. Cette fois-ci les interrogateur.ice.s voulaient qu'il nie avoir jamais connu Vera Neis ou Marc Glavni et dire qu'il avait menti lors du premier procès. » J'ai dit à Jasna que j'avais eu des expériences similaires lors de mon second emprisonnement. A un procès illes m'avaient demandé d'admettre connaître tou.te.s mes ami.e.s et je fus condamné à huit ans pour avoir refuser d'admettre avoir jamais connu aucun.e d'entre elleux. Je pensais que j'aurais des ennuis si j'admettais les connaître. À l'époque je ne savais pas qu'aucun.e des autres avaient été arrêté. C'est deux ans plus tard qu'un interrogateur m'a demandé de signer un papier affirmant que je n'avais jamais connu Vera ou Marc. Je l'ai signé car je leur avais de toute évidence déjà dit que je ne les connaissais pas. Je ne pensais pas possible que je pouvais faire du mal aux gens en admettant ne jamais les avoir connu. « Mais ce n'était pas la situation d'Adrian, » dit Jasna. « Déjà , lui, Vera et moi avions été arrêté ensemble donc les intérrogateur.ice.s savaient parfaitement bien qu'il mentait en disant ne pas connaître Vera. Ensuite, il était certain qu'illes essayaient de les piéger Vera et lui à se contredire les un.e.s les autres de manière à reconstruire leur dossier contre elleux. Il pensait la protéger en refusant de signer le papier. Il m'a dit qu'il avait été complètement abasourdi par le procès. Lors des quatre années de prison suivantes, il ne pouvait toujours pas comprendre ce qu’il s'était passé. Ça ne lui ai devenu clair qu'après sa libération, quand il retrouva le bureau de Vera et vit la plaque sur sa porte. Au procès, il avait été accusé de parjure, et diffamation intentionnelle à l'encontre de deux responsables étatiques important.e.s. Le procureur fit un réquisitoire contre Adrian en tant qu'espion étranger connu ayant tenté d'impliquer Vera Neis et Marc Glavni dans son réseau d'espion. Adrian était supposé d'avoir causé l'arrestation de deux camarades au delà de tout soupçons en prétendant qu'illes étaient membres de son groupe. Le procureur disait au tribunal que la Camarade Vera Neis, professeure agrégée d'économie politique avait été lavée de tout soupçons par l'intervention personnelle du Professeur Dr. Kren, directeur de la banque d'état. Le Camarade Marc Glavni, chef de l'organisation du parti à l'usine de carton et représentant de la ville dans la commission de planification, s'était fait laver de tout soupçons par le directeur de la commission d'état de planification. Pour cet affront malveillant, Adrian fut condamné à quatre ans de prison de plus. Pendant ces années, il a lutté avec la signification de ce procès. Tout ce qu'il avait pu déduire était que Marc et Vera avaient dû être libéré et qu'avoir nié les avoir connu aurait permis d'expédier leur libération, disant que s'il avait su ça pendant l'interrogatoire il aurait signé les papier avec plaisir. Tout est devenu clair après sa libération. Il est allé à l'université à la recherche de Vera Neis. Il s'y est fait dire qu'il n'y avait personne de ce nom, et quelqu'un.e lui dit de demander au bureau du recteur. Imagine sa surprise quand il vit sur la plaque de la porte : Recteur de la faculté d'économie politique, Professeure Dr. Vera Krena ! Adrian s'est alors souvenu du nom du responsable de la banque qui était intervenu personnellement pour la faire libérer. » Yara fut à nouveau impressionnée « Est-ce que tu parles de Vera Krena la ministre ? Est-ce qu'elle était la Vera Neis que vous avez connu ? » « Elle n'était pas encore ministre quand Adrian a trouvé son bureau, » dit Jasna. « Adrian m'a dit qu'il y était entré avec hésitation. Il y avait trois secrétaires. Illes lui ont demandé s'il avait un rendez-vous avec le recteur. Il leur dit qu'il ne voulait pas la voir, mais seulement leur demander quelque chose sur elle parce qu'il l'avait connu autrefois, au lycée, sous le nom de Vera Neis : il disait qu'il voulait savoir comment est-ce qu'elle était arrivée à sa position actuelle et s'illes pouvaient lui dire. L'une des secrétaires sorti du bureau avec lui et illes allèrent dans un café. Elle lui dit qu'elle avait été en cours avec Vera à l'université et savais exactement comment Vera était devenue recteur de l'université. D'elle, Adrian apprit que Vera avait commencé sa relation avec le Professeur Kren déjà pendant les jour où illes vivaient heureux.ses chez moi. Adrian ne dit pas à la secrétaire qu'il avait connu Vera après le lycée. Elle lui raconta qu'elle et Vera avait obtenu leurs diplômes, et qu'après ça elle avait eu le poste de secrétaire du recteur et l'avait gardé depuis. Mais quand elle reçu son diplôme, elle s'engagea dans une classe d'étude supérieures en économie politique de manière à se rapprocher du responsable de la banque, Professeur Kren. Vera et le professeur sont devenu.e.s inséparables pendant la journée, tandis que d'après la secrétaire, Vera retournait à un autre amant chaque nuit. La secrétaire a dit à Adrian que la carrière de Vera avait presque été arrêtée net aussitôt après son commencement, parce qu'un espion étranger avait proclamé qu'elle était membre de son réseau d'espion. Elle fut arrêtée et Kren lui même a eu à intervenir pour la faire libérer. Ma libération soudaine. Adrian était énervé quand je lui ai dit ça, parce qu'il avais été celui qui a souffrir de la libération de Vera. Il avait été laissé en prison de manière à ne pas se retrouver sur son chemin. La secrétaire lui a dit que Vera s'était plainte à la police pour l'avoir arrêté. Marc avait apparement fait la même chose. La manière dont la police s'est lavée de cette erreur a été de blâmer Adrian, lui rajoutant quatre ans à sa peine pour avoir impliqué Vera et Marc puis annoncé la raison de leur erreur. La femme raconta à Adrian qu'aussitôt que Kren réussi à faire sortir Vera de prison, elle abandonna son amant pour emménager chez le professeur. À partir de là, le tapis rouge lui était déroulé. Elle fini ses études sous sa direction et devint Dr. Vera Neis la même année où il devint directeur de la banque d'état. L'année suivante elle devint professeure d'économie politique. Un passage si rapide d'étudiante à maîtresse de conférence n'avait jamais été vu dans l'histoire de l'université, et elle était l'une des quelques femmes du corps enseignant permanent de l'université. La secrétaire dit que tous les professeurs hommes étaient charmés. Il y avais un grand nombre de discours sur l'égalité des femmes dans tout les domaines sociaux, mais c'était simulé. Un an plus tard, Vera maria le professeur et peu de temps après, la Professeure Dr. Vera Krena devint assistante recteur de la faculté d'économie politique. C'est là où le recteur se fit arrêter par la sûreté au milieu de la nuit. Ça arriva seulement un an avant la libération d'Adrian. La candidate du Professeur Kren pour le poste de recteur, sa femme, fut unanimement élue au poste. Il n'y avait pas d'autres candidat.e. Après avoir appris ça, Adrian a dû soupçonner que j'avais su pour la relation de Vera avec le Professeur Kren depuis le début, mais il ne me demanda pas. Après sa séance avec la secrétaire de Vera, Adrian voulait retrouver l'autre responsable d'état dont il avait sali la réputation en prétendant le connaître, le Camarade Marc Glavni. Il alla à l'usine de carton, mais Marc n'occupait plus le bureau de M. Zagad où je l'avais trouvé six ans plus tôt. Adrian se fit dire que Dr. Glavni était le gérant général de l'usine mais que son bureau se trouvait dans le bâtiment de la commission de planification d'état. Adrian alla au bâtiment gouvernemental, et y trouva le bureau de Marc mais n'alla pas plus loin que le bureau d'un.e secrétaire. Il se fit demander ses raisons pour vouloir voir Dr. Glavni. Quand il dit qu'il voulait candidater à un poste à l'usine de carton, la secrétaire lui dit que l'embauche était faite par un.e responsable sur place, dont elle lui écrit rapidement le nom et le numéro de bureau sur un bout de papier. Il essaya alors une autre approche. Il téléphone à son bureau et s'introduisit comme le Camarade Kren de la banque d'état et dit qu'il avait besoin de discuter d'affaires urgentes avec le Camarade Glavni. Il se fit donner un rendez-vous pour le lendemain. Quand Adrian entra dans le bureau de Marc en se présentant comme le Camarade Kren, le visage de ce dernier s'effondra. Il ne lui sera même pas la main, lui demandant simplement ce qu'il voulait. Adrian dit qu'il voulait un boulot à l'usine. Marc, rouge de colère lui cria : ''Tu veux mon aide après ce que tu m'as fait ? N'aurais-tu pas pu leur dire que tu ne me connaissais pas ? Tu as fait une tâche permanente sur mon nom !'' Adrian lui cria en retour. ''Une tâche sur ton nom ! T'es cinglé ! Je viens juste de passer six ans de ma vie en prison ! Qu'est-ce que je ne ferais pas pour avoir une tâche sur mon nom en échange pour ces six années !'' Marc ne répondit pas. Il se reprit, assis derrière son bureau, il appela sa secrétaire pour accompagner le ''Camarade Kren'' en dehors de son bureau, disant, ''Je suis désolé camarade, il n'y a pas de poste pour ton ami.e.'' Adrian était furieux quand il parti du bureau de Marc. Mais il ne savait pas quoi faire. Il fut misérable pendant plusieurs semaines. Puis il apprit d'une manière ou d'une autre que Titus Zabran était un responsable syndical, et alla le voir. C'est à ce moment là que Titus lui trouve la poste dans ce bureau où je l'ai trouvé. J'ai dit Adrian des choses sur ma propre vie depuis notre arrestation et l'ai invité à me rendre visite comme au bon vieux temps, mais il n'est jamais venu. Je ne l'ai pas revu pendant un an. Titus me rendit visite deux ou trois fois cette année là. J'allais à l'école tout les jours et lisait mes romans la nuit. Et puis, est-ce que c'était il y à trois ans ?, j'ai appris que votre fille aînée Vesna était malade. Je ne la connaissais même pas. Elle n'avait même pas été dans ma classe et je n'avais jamais essayé de lui parler. J'en ai parlé à Titus mais je ne suis pas venu. Quand j'ai appris qu'elle était morte à l'hôpital je me suis sentie mal. Je pleurais tout les soirs, j'ai même fondu en larmes pendant une classe. Mais je ne pouvais pas me forcer a venir te voir, Mirna. Je suis restée éloignée si longtemps et tu ne me connaissais pas. J'avais peur que tu ne me fasses pas confiance. Mais il fallait que j'aille quelque part, que je vois quelqu'un.e. J'ai pris la décision d'aller à nouveau voir Adrian. Rien n'avait changé dans son bureau. Les mûrs étaient toujours nus, et il n'y avait toujours rien dans la pièce mis à part son bureau et les chaises. Rien sur le bureau. J'ai demandé à Adrian s'il était toujours là a attendre. Il me dit qu'il lui restait un examen avant d'avoir terminé ses études. Il était certain qu'il serait promu aussitôt après avoir reçu son diplôme. Je lui ai demandé quelle genre de vie c'était, d'attendre dans une salle vide pour une promotion, comme un prisonnier attendant sa libération. Il m'a dit qu'il avait fait beaucoup de choses depuis la dernière fois où nous nous étions vu.e.s. Il avait revu régulièrement la secrétaire de Vera, celle qui lui avait parlé de ses succès, bien qu'il n'avait pas encore vu la Professeure Dr. Vera en personne. Il avait dit à la secrétaire qu'il avait été la personne responsable pour l'arrestation de Vera. Il a insisté à me raconter les détails de ce dévoilement. La secrétaire a piégé Vera a admettre qu'elle avait menti à propos de l'espion étranger qui avait causé son arrestation. La secrétaire lui dit que pendant ses études, elle avait rencontré un Adrian Povrshan qui lui avait raconté l'avoir connu au lycée. Elle admis avoir connu Adrian au lycée, lui racontant même qu'illes avaient grandi ensemble. Quand Adrian raconta à la secrétaire son arrestation, sa libération manquée puis ce nouveau procès, où il aurait dû admettre ne jamais l'avoir connu, la secrétaire était indignée. Elle réalisa que Vera avait été responsable de l'emprisonnement d'Adrian pour quatre années supplémentaires simplement pour réhabiliter son nom. Elle voulait exposer sa duplicité, en faire un scandale publique. Adrian m'a dit qu'il était très heureux de sa réaction, mais la supplia de n'en parler à personne. Il avait peur que le scandale interfère avec sa promotion imminente. J'avais un mélange de dégout et de honte quand je suis sortie de son bureau. Je ne suis jamais retournée le voir. Il me dégoutait. J'ai regretté d'être allé le voir après avoir appris la mort de Vesna. J'avais honte de moi-même, de ma vie, de mes ancien.ne.s ami.e.s. » J'ai demandé à Jasna si elle savait ce que faisaient ces gens aujourd'hui. « J'ai perdu trace de Claude il y a neuf ans, après le jour où il est venu chez moi pour m'accuser, » dit-elle. « Je ne sais même pas s'il est toujours en vie. S'il l'est, il est probablement un responsable de prison ou de la police. Tu n'as pas besoin de me demander pour les autres. Illes sont dans les journaux. Vera et Adrian apparaissent ensemble sur des estrades. Je n'ai aucune idée de comment ou quand est-ce qu'illes sont à nouveau devenu.e.s ami.e.s. Vera a accompli le rêve de sa vie : Elle est une oratrice populaire. Ses cours se font à un auditoire qui applaudit, elle parle à la radio au moins une fois par semaine à propos des tâches politiques urgentes du moment et du besoin de réformes. Et Adrian est toujours derrière elle à documenter les choses qu'elle dit. Je les écoute à la radio quand je peux. Ils ne sont pas aussi amusants qu'il l'ont été. Chaque fois qu'ils sont mentionnés dans les journaux, leurs noms sont accompagnés par des titres qui remplissent des paragraphes entiers. Vera est toujours recteur de l'université. Elle est aussi vice-ministre à la commission idéologique et je ne sais quoi d'autre à part ça. Adrian a eu toutes les promotions qu'il attendait ; il est le premier secrétaire de la commission aux problèmes de niveau de vie. Marc a plus de titres que chacun.e des deux autres. Il est membre du comité central de la commission de planification d'état. Il est dans la commission sur le commerce extérieur, et son nom est mentionné à chaque congrès de commerce international. Et moi : Je me lève tout les matins à la même heure pour enseigner mes classes à l'école élémentaire. Je ne suis ni une directrice ni une membre ni une secrétaire de parti ou de quoi que ce soit d'autre. Mais je me retrouve quand même l'une d'entre elleux. J'ai aussi abandonné des gens qui se sont fait.e.s tuer ou emprisonner, qui ont souffert parce qu'illes voulaient vivre un autre genre de vie. Je suis aussi une traitre aux gens comme Jan qui ont disparu il y à tant d'années, et à la petite Vesna qui n'a même pas eu la chance de survivre. Nos ami.e.s célèbres on réussi à avoir cette vie dont nous parlions autrefois. Illes l'ont pour elleux. » Il était très tard quand Jasna termina. Avant de partir elle me dit, « Fais en sorte de parler à Sophia des gens que nous connaissions il y a vingt ans. Illes ne méritent pas tou.te.s la sympathie qu'elle exprime pour elleux dans ses lettres. » Je soupçonne que tu sais qui nos ami.e.s étaient et que tu es l'une d'entre elleux. Mon soupçon est confirmé par des descriptions de ces gens et par tes descriptions de tes choix de vie. Tu décris Marc et Vesna comme des révolutionnaires impliqué.e.s. Luisa nous voit Jan et moi comme des téméraires. Tu reconnais les aspirations répressives de tes ami.e.s de l'université Lem et Rhéa, mais seulement parce que ces gens expriment ces aspirations ouvertement. Tu échoues à réaliser que celleux qui affichent leurs aspirations répressives ne sont pas les seul.e.s à mener cette répression. Tu échoues à voir à travers les gens qui ne portent pas ce monde de répression dans leurs bouches mais dans les gestes et les décisions qu'illes prennent chaque jour de leur vies. Aujourd'hui, il ne faut pas beaucoup d'intuition pour voir à travers des gens comme Lem et Rhéa. Des gens comme ça ont réalisé leurs projets dans un tiers du monde et le caractère répressif de ces aspirations est de notoriété publique. Tu rejettes Lem et Rhéa parce qu'illes sont vétustes, et non parce qu'illes sont répressif.ve.s. Tu glorifies leurs cousin.e.s modernes. Tu glorifie Marc, Vera, Adrian, Claude et celleux comme elleux dans ton entourage. Tu les décris comme des rebelles. Je voudrais penser comme le fait Jasna que tu ne sais pas quelle genre de personnes illes sont. Mais je pense que tu le sais bien. Je pense que tu utilises le langage de la même manière qu'illes le font : pas pour démasquer et clarifier, mais pour couvrir et assombrir. Je pense que tu sais que les mots avec lesquels tu les décris sont ceux derrière lesquels illes se cachent. Je pense que tu sais que les concepts comme indépendant.e.s, engagé.e.s, révolutionnaires ne décrivent pas le comportement ou les activités de ces gens. De manière plus directe, tu mens sur ces individu.e.s. Vera, Adrian, Claude et Marc sont des gens pour qui le système organisé de répression est la seule forme de vie possible. Illes perçoivent leurs propres développements personnels comme participation active dans la répression. Pour elleux, la hiérarchie universitaire, la hiérarchie syndicale, la hiérarchie d'entreprise et celle de l'état sont les serres dans lesquelles la vie humaine fleurie et s'épanouit, et c'est dans ces contextes qu'illes définissent leurs choix, leurs projets de vie et leurs accomplissements. Leur objectif dans la vie est d'occuper des postes dans ces hiérarchies, et de jouer un rôle défini par les occupant.e.s précédentes de leurs bureaux. Illes ont renoncé à leurs propres projets et leurs propres vies de manière à vivre ce qui avait déjà été vécu. Illes ont accouru pour se vendre où se sont placé.e.s comme des marchandises dans des vitrines, attendant d'être acheté.e.s. Et pendant qu'ils grandissent dans les hiérarchies à l'intérieur, le reste d'entre nous répandons l'engrais sur le sol et maintennons la température par notre soumission et notre admiration. Plusieurs fois pendant le récit de Jasna, Yara l'interrompit par des commentaires exprimant de l'admiration pour nos collègues d'autrefois. Jasna et moi sommes même devenu.e.s plus admirables pour elle parce que nous avions autre fois connu ces modèles d'intégrité et de solidarité ; nous brillions de la lumière reflétée de ces soleils. C'est vrai que Yara n'a que onze ans, mais son admiration m'a néanmoins déçu. Elle se trouve être l'individue qui avait tant à avoir avec le remous dans son école. Sa confiance en elle dans ce qui la concerne directement, ajoutée avec admiration passive pour les gens occupants des fonctions sociales est identiques au mélange de confiance en soi et de passivité parmi mes camarades de l'usines de carton, qui ont dégagés de manière intentionnelle un bureaucrate syndical puis applaudi les orateur.ice.s attendant de le remplacer au même poste. De sa propre expérience, Yara sait qu'elle et ses ami.e.s sont capable de faire avancer le monde, tandis que son éducation lui a inculquée des illusions comme quoi seul.e.s les gens en haut des hiérarchies peuvent le faire. Son admiration pour Vera et Marc a beaucoup en commun avec les mirages dont les gens dans le désert font l'expérience. L'illusion est due à la chaleur, la distance et la soif que la personne ressent. Le mirage continue de s'éloigner : quel que soit la distance que l'on parcours, on ne semble pas s'en rapprocher. La personne qui l’atteint en fin de compte n'y trouve pas de l'eau mais davantage de sable. L'aura qui semble entourer les gens admirables de notre société est une illusion due à la pauvreté des vies personnelles de tou.te.s en contraste avec la brillance de la vie publique de ces personnalités, mis en avant quotidiennement devant des milliers de personnes. Certain.e.s de celleux qui regardent condensent leurs projets vie en un but unique : être regardé.e, être vu.e quotidiennement par des milliers de personnes. Mais ce but est un mirage. Être regardé n'est pas plus une activité que de regarder. L'observé.e est aussi passif.ve que l'observateur.ice. Il me semble que les vies personnelles de celleux qui occupent les postes les plus hauts sont aussi misérables que les vies personnelles victimisées par ces responsables. Quand Marc a finalement atteint son but et devint un gérant de l'usine, il a renoncé à sa propre vie d'une telle manière que quand Jasna lui a rendu visite dans son bureau, elle a vu en lui non pas l'individu que nous avions connu, mais l'occupant précédent de ce bureau, M. Zagad. S'étant annihilé lui-même à ce point là, il a tourné le dos à Jasna et Adrian quand illes ont eu besoin de son aide. Adrian a du faire quatre ans de prison de manière à ce qu'une tâche soit enlevé de la réputation de Marc. L'emprisonnement prolongé d'Adrian a aussi servi les intérêts de Vera : Elle a pu marier son banquier sans rien avoir a expliquer à son ami d'enfance. Nous ne savons pas combien d'autres Marc a du réprimer de manière à s'élever à de telles sommets, mais il y a des bases solides pour penser que c'était Vera et son futur mari qui ont dégagé le recteur de l'université précédent de son poste. Et Adrian, après avoir été la victime à la fois de Vera et Marc, les a dépassé tou.te.s les deux : Son déni de lui même pour l'intérêt de son avancement de carrière est scandaleux. Il s'est simplement donné lui même à la bureaucratie. Il s'est dénudé de toutes ses caractéristiques internes et externes, de toute trace qui pouvait même superficiellement le définir comme un individu spécifique, et a attendu comme une bouteille sans étiquette de se faire remplir et vendre. Claude a réussi à atteindre son idéal répressif plus tôt et de manière bien plus vulgaire. Ayant réprimé leurs propres désirs de vivre dans une société sans structure bureaucratique, illes frappent à l'aveugle contre tou.te.s celleux qui n'ont pas réprimés ces désirs. Je pense que Luisa partage l'un de ces traits de caractère avec ses ancien.ne.s camarades. Je pense qu'elle aussi, il y a longtemps a abandonnée ses désirs pour sa propre émancipation et s'est perdue dans la dernière des institutions répressives, représentant.e de la libération, le syndicat. Elle a donnée sa vie dans un travail fastidieux et dénué de sens au nom de cette utopie répressive où les gens communs sont supposé.e.s gouverner quand gouverné.e.s par d'autres gens communs, où les travailleurs sont censé gérer dès lors qu'illes sont géré.e.s par un.e travailleur.se, où le peuple est dit victorieux.ses quand l'un.e des vainqueurs gouverne. Je pense que c'est la raison pour laquelle Luisa répond de manière si irrationnelle à chaque fois que Ron est mentionné, quand Manuel qu'elle n'a jamais rencontré est mentionné, quand Jan l'est. Je pense qu'elle répond de cette manière parce que ces individus n'ont pas refusé de réprimer leurs propres désirs, parce qu'ils ont refusé de se soumettre à la victoire de la répression appelée par un autre nom. J'étais impressionné par l'échange entre Sabina et Luisa à propos de tou.te.s celleux que Luisa appelle les ennemi.e.s derrière les tranchées. Luisa est directe quand elle parle de saboteur.se.s et assassin.e.s comme s'il s'agissait de ses cousin.e.s germain.e.s. Pour elle, les gens qui ont saboté la production sont les mêmes qui ont tué des travailleur.se.s révolutionnaires, et elle défend la répression des deux. N'est-ce pas parfaitement clair que si l'idéal de Luisa avait triomphé, les gens comme Manuel, Jan ou moi ne nous en serions pas mieux sorti que ce que nous avons fait ? Sabina a deviné ce que Manuel m'a dit : les saboteur.se.s révolutionnaires se sont fait.e.s tuer aux côtés des assassin.e.s payé.e.s, non pas aux ordres de généraux, mais aux ordres des équipes de révolutionnaires. C'est ce qui se serait passé pour Manuel s'il n'avait pas été arrêté plus tôt à cause de son appartenance à une organisation dont il ne faisait plus partie quand il a été arrêté. Le week-end est terminé et demain je retourne au travail. J'aimerai terminer cette lettre sur une remarque plus enjouée. J'aimerai véritablement continuer cette correspondance avec toi dans un esprit de compréhension mutuelle et d'entraide, non pas au nom de notre amitié passée, mais parce que la communication à travers des abîmes si gigantesques devront avoir lieu si nos maigres débuts vont continuer à grandir sans se faire noyer dans le sang versé par celleux d'entre nous qui sont toujours sous le charme de nos dirigeant.e.s. J'espère que ma lettre, et particulièrement le récit de Jasna aura au moins clarifié le caractère des individu.e.s et expériences sur lesquel.le.s tu bases un si grand nombre de tes choix de vie.
Yarostan * * Quatrième lettre de Sophia
Cher Yarostan,
Tant de choses se sont passées depuis que je t'ai envoyé ma dernière lettre, et la plupart n'a fait que confirmer ton affirmation selon laquelle toi et moi vivons dans des mondes complètement différents. Je n'ai aucune idée de la place que tu aurais dans le mien, et tu ne peux pas savoir celle que j'aurai occupé dans le tien. Mais ce ne serait certainement pas celle à laquelle tu m'assignes ! J'admet avoir été choquée par ce que Jasna a raconté sur les gens que j'avais considéré comme mes camarades. En particulier par le caractère impitoyable avec lequel Marc et Vera ont atteint leurs objectifs bureaucratiques. Je n'ai pas la moindre sympathie pour le chemin qu'illes ont pris. Rien en moi n'aurai pu accepter, ou même dériver dans cette direction. Je ne m'identifiais pas à Marc, Vera ou Adrien, et encore moins à Claude. Si je me suis reconnue dans qui que ce soit dans le récit de Jasna, c'était Jasna elle même, et avec toi, même si tu détestes me l'entendre dire. Je me suis reconnue en toi, Yarostan, non pas que ma vie ai quoi que ce soit à voir avec la tienne, mais parce que j'espère qu'elle aurait pu l'être, en particulier maintenant. Je suis véritablement comblée de joie que tu ais trouvé dans ta vie actuelle tout ce que j'ai cherché mais n'ai jamais pu trouver au cours de la mienne : Un projet réel et plein de sens avec des gens vivant.e.s ou qui veulent l'être. Je n'ai été proche de ce genre d'activité qu'une seule fois et tu viens de me convaincre que je ne l'avais pas été même à ce moment là. Depuis, je ne m'en suis pas plus rapprochée qu'une caricature ressemble à la manifestation originale. Mes expériences lors des deux dernières semaines ont été de telles parodies de celles que je recherche. Il y a deux semaines, il y a eu une manifestation à l'université où Daman Hesper enseigne. Daman était mon ami pendant mes années d'étudiante, où nous étions dans l'équipe du journal étudiant ensemble. C'est lui qui m'a aidé à trouver mon emploi de prof actuel. À la manifestation, une centaine d'étudiant.e.s environ se sont barricadé dans le bâtiment de l'administration de l'université et proclamé qu'illes n'en partiraient pas jusqu'à ce que celle-ci ai accepté une longue liste de réclamations. Le président de l'université a annoncé que si illes ne quittaient pas immédiatement le bâtiment, il appellerait la police pour les en expulser de force. En réponse à cela, plusieurs centaines d'étudiant.e.s et d'assistant.e.s se sont se sont installé devant le bâtiment administratif, pour faire office de ''tampon'' entre la police et les étudiant.e.s occupant le bâtiment. Un seul professeur se trouvait parmi les personnes devant le bâtiment : Daman Hesper. Ce soir là, la police a chargé. D'après Daman, ça ressemblait plus à une invasion de l'armée. La police, de loin dépassée en nombre par les gens à l'intérieur aussi bien qu'à l'extérieur, se frayant tout simplement un chemin de force vers l'intérieur de l'immeuble. Illes ont arrêté l'ensemble des étudiant.e.s de l'intérieur ainsi que la plupart des gens dehors, Daman y compris, et l'ont frappé. Il m'a appelé ce soir là pour me dire d'être prête avec l'argent de la caution pour le matin suivant. Je suis allée à la prison le matin suivant mais il était déjà sorti. Tout le monde avait été relâché Il avait une vilaine coupure en travers du visage. Nous sommes allé chez moi en taxi et j'ai appelé un médecin. C'est vraiment le seul bon ami que j'ai maintenant, à l'exception de mes deux cohabitantes. Il est le seul des gens avec qui j'ai travaillé au journal que je vois toujours. Sabina le méprise intensément et Tina n'en pense pas beaucoup plus non plus. Mon propre respect pour lui s'est considérablement écroulé au cours des deux dernières semaines et ta lettres y a beaucoup joué. Je pense que sans les observations que tu as fait, je n'aurai pas été aussi critique du rôle qu'il a joué lors des événements qui ont suivi la manifestation. Il y a une semaine, Daman est venu chez nous pour me dire que plusieurs étudiant.e.s allaient appeler à la grève en réponse à la répression policière des étudiant.e.s qui avaient occupé le bâtiment. Il m'apporta plusieurs copies du tract qu'illes avaient préparé, annonçant la grève générale étudiante. Je pensais qu'il s'agissait d'un bon tract. Il ne se contentait pas d'attaquer la répression des manifestant.e.s étudiant.e.s mais soulevait aussi des questions à propos des implications de l'université dans le développement d'armes et de stratégies militaires, des questions sur la nature dégueulasse des rapports entre l'université et la communauté ouvrière qui l'entoure, et des questions sur l'éducation elle-même, sur sa forme autoritaire et son contenu apologiste Bien que je ne sois plus liée à l'université, j'ai décidé de prendre part à la grève. Je suis devenue très excitée à l'idée d'être à nouveau impliquée dans une activité qui ressemblait d'une certaine façon à la grève que tu as décrit dans ta dernière lettre, et en fut intensément déçue. L'événement ne ressembla à une grève qu'en nom. Le jour après la visite de Daman, je suis allé au boulot au collège communautaire. Étant donné que le tract n'était pas seulement adressé aux étudiant.e.s de l'université, mais à tou.te.s les étudiant.e.s, et qu'il s'agissait d'un appel à la grève générale, je l'ai lu à ma classe. J'ai également annoncé que je n'étais pas une briseuse de grève et que je ne viendrai pas en cours le jour dit. Il s'agit probablement du plus long cours que j'ai donné à ma classe. Pas un.e seul.e des ''étudiant.e.s'' n'a exprimé la moindre sympathie pour le tract, la grève à venir, ou pour moi. La plupart étaient complètement indifférent.e.s et certain.e.s étaient même hostiles. Quelqu'un a critiqué les étudiant.e.s qui avaient occupé le bâtiment administratif pour être « illégalement entré dans une propriété privée » Ce qui était encore plus agaçant pour moi, c’était que je fus la seule à rire lorsqu'il l'a dit. Je devrais te rappeler que les gens dans ma classe sont des ouvrièr.e.s, et qu'illes n'ont pas encore atteint les postes de gestions auxquels illes aspirent, et travaillent encore dans des usines. « Puisqu'illes sont entré dans des propriétés privées, » la personne continua, « la police ne faisait que son travail en les arrêtant. » Un autre objecta que les grèves étaient pour de meilleurs salaires et conditions de travail, et donc que le tract n'appelait pas à la grève mais à l'émeute. Je dit que c'était aux grévistes de définir ce pour quoi illes faisaient grève, mais cette déclaration provoqua des protestations de la part de presque tou.te.s les travailleur.se.s dans la pièce, travailleur.se.s qui avaient tou.te.s participé à des grèves. « Si chacun.e définissait ses propres grèves, ce serait l'anarchie, » s'est plaint une étudiante. L'opinion dominante était que les syndicats et le gouvernement définissent les objectifs d'une grève. Il semble y avoir beaucoup de points communs entre les situations dans lesquelles les grèves sont illégales et celles où elles sont institutionnalisées Ici les grèves sont nominalement légales, mais seulement celles appelées par les syndicats et respectant la loi le sont dans les faits. En pratique, ça veux dire qu'une véritable grève est considérée comme illégale, comme ça l'a été pour toi au cours des vingt dernières années, et elles sont réprimées aussi sauvagement. Le simple fait que j'ai parlé de grèves comme celle-ci à ma classe m'a fait recevoir des intimidations. Ou plutôt, ce n'ai pas seulement été le fait d'en parler, mais aussi d'agir, d'y prendre part en annulant mon cours, qui a mené à cette intimidation. Ne faire que parler va très bien. Ma dernière classe avant la ''grève générale'' était morose. Personne n'a même mentionné l'événement qui arrivait. Tout le monde semblait savoir que quelque chose allait se passer. Plus tard, j'ai appris que plusieurs étudiantes de ma classe suivaient aussi un cours de psychologie et qu'illes y avaient parlé de moi. Lorsque mon cours se termina, certain.e.s étudiant.e.s sont parti.e.s, mais d'autres se sont tenu.e.s dans le couloir et y ont été rejoint par le professeur de psychologie comportementale, ainsi que d'autres membres du corps administratif du collège. Le professeur cria à mon attention alors que je quittais la salle : « J'ai cru comprendre que vous aviez décidé de ré-évaluer la durée de la période scolaire. » « Vous avez parfaitement compris, » lui dis-je. « Je ne suis pas une jaune et je ne viendrais pas travailler pendant la durée de la grève. » « Ces considérations sont déterminées par les autorités compétentes, Miss Nachalo, » dit-il. « Non, c'est faux ! Depuis quand est-ce que c'est aux patron.e.s de déterminer quand est-ce qu'une grève doit avoir lieu ? » « Vous encouragez la violence contre ce que vous appelez des patron.e.s, n'est-ce pas, Miss Nachalo ? » demanda-t'il. « Qu'est-ce que cela a à voir avec ça ? » j'ai crié. « Je prend part à une grève et vous n'allez pas m'en empêcher ! » « C'est exactement le sujet, Miss Nachalo, » dit-il, un sourire narquois. « Rien du tout ne va vous arrêter. Vous êtes une personne dangereuse, et vous ne devriez pas enseigner dans un collège, mais suivre un traitement dans un hôpital » Sa déclaration, son sourire idiot et son air satisfait me rendaient furieuse. Ces gens-là et leurs cousin.e.s dans la police sont appelé.e.s des « porcs »1 par certain.e.s étudiant.e.s radicales, et je sympathise évidement à la tentative d'appeler certaines personnes par leurs véritables noms. « Bandes de salauds ! » Je criais. « Je vais te montrer à quel point je suis dangereuse ! » et je l'ai giflé deux fois au visage de toute mes forces. Il n'a pas même levé la main pour se protéger. À la place, il a souri d'une manière encore plus stupide, comme un véritable masochiste. Il a dit : « Tout le monde peut voir que vous êtes une personne extrêmement violente, Miss Nachalo. » Un étudiant cria, « Houra ! » et le reste se dispersa comme des zombies. Je suis partie tremblante de rage et de frustration. Après ça, la ''grève'' en tant que tel a été une véritable déception. Ta lettre est arrivée le jour précédant la ''grève générale''. J'étais tellement excitée par certains passages que je les ai traduit et tapés. Je voulais montrer à Daman que des expériences similaires aux nôtres avaient lieu à l'autre bout du monde. Ce qui me frappa le plus fut ta description de ta situation à l'usine de carton, et je m'imaginais alors que ma propre situation était un peu comme la tienne. Je pensais que j'allais connaître une suite d'événements similaires à celle que tu as décrite : La semaine précédente avait eu lieu une manifestation sans-précédent ; le jour même devait voir le début de la grève générale étudiante ; la semaine suivante il aurait pu s'agir des travailleur.se.s et si le ferment prenait, alors une vie nouvelle aurait pu aussi être possible ici. Comme tu le dis : Une vie humaine ne connaissant pas de barrières externes au développement des individu.e.s. Ce n'était qu'un rêve, alors s'il-te-plais, ne prends pas ça comme une autre tentative erronée d'identifier ma situation à la tienne. Le matin de la ''grève'' j'attendais impatiemment que Daman vienne me chercher. Il ne commençait pas à enseigner avant midi et n'avait donc pas pour habitude de se lever tôt. Quand il est finalement venu me chercher aux alentours du déjeuner, je suis sortie de chez moi en oubliant ces pages que j'avais tapé pour lui, mais tu pourras voir que ces pages, et toute ta lettre en fait, ont fortement affecté ma perception des événements de la journée, particulièrement à propos de Daman. Ma déception le concernant commença dès son arrivée. J'étais irritée par son retard et sa nonchalance à propos de tout ça. Il semblait aller à l'université de la même façon qu'il ne l'aurait fait n'importe quel autre jour, à la même heure, et avec le même état d'esprit. Il semblait complètement indifférent à la grève et n'en parlait pas. Je me suis rendue compte que j'avais exagéré l'importance de ce qui allait avoir lieu, du fait de ce que j'avais déjà vécu. Je lui ai même demandé, « Mais tu n'es pas excité ? » « Non, » dit-il. « Je devrais ? » « Je ne sais pas, » dis-je. « Et si la police attaque à nouveau ? » « Qu'est-ce qui te fais penser qu'illes vont attaquer encore une fois ? » me demanda-t'il en ricanant. J'ai vraiment une imagination débordante dès que je pense à des grèves et des manifestations. C'est l'une de tes observations critiques qui a vraiment mit dans le mille. Je soupçonne que je tiens ça de Luisa. Chaque fois qu'un groupe se rassemble pour protester, je vois la révolution au coin de la rue. Les attentes que je m'étais construites pour moi même pour cette grève n'avaient absolument rien à voir avec ce qui s'est véritablement passé. C'était un beau matin de printemps, le premier véritablement chaud de l'année. La grève a en fait été un gigantesque picnic s'étalant sur les gazons du campus universitaire. Je dis ça sans aucune ironie. J'étais en quelque sorte réjouie. Rien de cette sorte n'était jamais arrivé dans l'université ou j'ai fait mes études. Le pique-nique semblait assez sympathique. Les étudiant.e.s étaient venu.e.s avec leurs déjeuners et leurs thermos. J'ai même vu des groupes d'étudiant.e.s avec de grandes glacières, et des boites pleines de victuailles. Certain.e.s avaient même apporté des chaises de jardin et des tables pliantes. Un pique-nique sympathique, mais qui n'avait rien à voir avec l'événement que j'avais anticipé d'après le tract qui avait annoncé une ''grève générale'', et ce n'était certainement pas l'émeute violente anticipé par les étudiant.e.s domestiqué.e.s qui venaient à mon cours. L’événement n'était pas particulièrement festif. Il n'y avait ni chant, ni danse, ni jeux de théâtre, seulement des groupes d'ami.e.s pique-niquant sur l'herbe. Il n'indiquait ni la fin de l'université, ni le commencement de quoi que ce soit de nouveau. Chacun.e savait que les classes reprendraient ''normalement'' le jour suivant. Je suppose que ça m'aurait dérangé si ta lettre n'était pas arrivée le jour même. Je scrutais pour apercevoir des signes de choses nouvelles, mais il n'y avait aucune trace de ce ferment que tes lettres ont décrites. Comme grève générale, cet événement était une mauvaise blague. Seul un détail me rappela qu'il ne s'agissait pas seulement d'un pique-nique. Une jeune femme accouru vers Daman pour annoncer fièrement, « Vous savez quoi, Monsieur Daman ? Un groupe d'entre nous a couru à travers le bâtiment de l'administration en criant ''Évasion !'' » Daman souri et dit, « C'est bien. Est-ce qu'il y avait qui que ce soit à l'intérieur ? » Perdant la plus grande partie de son enthousiasme, elle répondit « Les secrétaires et les doyens. » Plusieurs étudiant.e.s assis.e.s sur les marches du bâtiment administratif aperçurent Daman et commencèrent à le saluer, lui criant de les rejoindre. « Viens, » me dit-il. « Je vais te présenter aux étudiant.e.s politisé.e.s. » Normalement, j'aurai répondu que je suis enchantée de rencontrer ces étudiant.e.s politisé.e.s ; normalement, j'aurai préféré la compagnie de ces étudiant.e.s ''politisé.e.s'' à celle des apolitiques. Je ne veux pas dire ''normalement'', mais ''avant l'arrivée de tes deux dernières lettres''. À cause de tes lettres, j'ai commencé à entendre des mots que je n'avais jamais vraiment entendu avant, et commencé à voir un Daman que je n'avais jamais encore vraiment vu. Quand nous sommes arrivé au groupe, il me présenta : « Sophie Nachalo, voici les organisateur.ice.s de cet événement inhabituel. » L'un des de ces ''organisateurs'' dit « Je sais qui tu es. Tu es l'employée radicale qui s'est faite virée l'année dernière après l'émeute. » « Je te reconnais aussi, » je lui dit, en reconnaissant aussi deux ou trois autres. Il y a quelques années, juste après que j'ai eu mon premier boulot d'enseignante, je suis allée à une réunion de protestation qui avait été détruite par des politicien.ne.s manipulateur.ice.s qui s'étaient élu.e.s chef.fe.s du mouvement étudiant. Je pense t'avoir raconté cette réunion. Trois ou quatre de ces mêmes politicien.ne.s étaient parmi les ''étudiant.e.s politisé.e.s'' auxquel.le.s Daman m'a présenté. Ce qui s'est passé ensuite sur les marches du bâtiment administratif était si bizarre que je vais tenter de le décrire en détail, d'abord parce que j'aimerai le graver dans ma mémoire, et ensuite parce que j'aimerai te montrer que je lis tes lettres avec attention. Ce sont elles qui m'ont éclairci ce moment. C'était le jour de la grande grève contre l'Université. Le tract annonçait une grève qui avait spécifiquement décrit le caractère autoritaire de l'éducation comme l'une des cibles contre laquelle la grève avait été appelée. Pourtant, Daman s'est placé lui-même sur la marche du bas et à commencé à donner une leçon comme un orateur dans un colisée, le professeur omniscient faisant classe à ses admirateur.ice.s ignorant.e.s. Ce qui s'est passé sur les marches du bâtiment administratif a été la situation de cours la plus autoritaire qu'il m'ai été donné de vivre, et celleux qui l'ont subi étaient ces mêmes étudiant.e.s qui m'avaient été présenté.e.s comme les organisateur.ice.s de cette grève contre tout type d'autoritarisme. Daman s'est toujours présenté aux gens comme ''un simple travailleur''. Il avait travaillé dans une usine pendant plusieurs années avant d'être employé par l'Université. Dans ce contexte, parmi celleux qu'il appelait ''les étudiant.e.s politisé.e.s'', le fait qu'il se considérait lui même comme ''un simple travailleur'' en faisait leur idole. La leçon commença quand, après m'avoir présenté chacun.e.s des étudiant.e.s par leurs noms, Daman dit, « C'était facile ! Mais ce n'est pas ce qui compte ! » (Par ''ça'' il veut dire ''la grève étudiante''.) Une jeune femme que je ne reconnaissais pas le contredit dans sa réduction de la grève étudiante. « Je pense que ça compte. Un grand nombre d'étudiant.e.s viennent de la classe ouvrière et la plupart vont devenir des travailleur.se.s d'un type ou d'un autre. » À ce moment là, Daman commença une longue tirade. À d'autres moments, j'ai été d'accord avec la plupart de ce qu'il disait, et je suis toujours d'accord avec une grande partie. Mais il parlait avec un ton qui semblait terriblement intimidant et dans un contexte qui falsifiait complètement ce qu'il disait. Je me souvenais de ce que tu avais écrit sur les ''miroirs'' créés par les politicien.ne.s, miroirs qui reflètent les désirs des gens et les transforment en images, en mots. Daman se tourna vers la jeune femme et lui dit, « Cette théorie comme quoi les étudiant.e.s et les professeur.e.s feraient parti d'une soi-disante nouvelle classe ouvrière est une foutaise inventée par des sociologue universitaires petit.e.s-bourgeois.e.s. » Il parlait calmement, mais ce qu'il disait était si intimidant pour cette jeune femme, pour les reste du groupe et même pour moi qu'il aurait pu tout aussi bien crier à plein poumons. C'est probable que cette ''théorie de la nouvelle classe ouvrière'' est une foutaise inventée par des sociologues universitaires, mais la déclaration de Daman n'avait rien à voir avec ce que la jeune femme avait dit. Il l'a intimidé en identifiant son propos à une théorie avec laquelle elle n'était probablement pas familière, transformant ce qu'elle avait dit comme une déclaration de sympathie pour une théorie petite-bourgeoise. Il a ensuite continué à pousser son argument dans la même direction. « Le seul marqueur de classe est la relation de quelqu'un.e à la production. Les gens dont la fonction est d'en manipuler d'autres, comme les professeur.e.s, sont mieux défini.e.s comme classe moyenne. » Il me prit l'envie de crier et dire aux ''étudiant.e.s politisé.e.s'' qu'illes se laissaient prendre dans un canular, précisément de ceux que tu avais décrit. J'étais à nouveau d'accord avec les mots qu'il prononçait, mais comment est-ce que son audience et lui même les abordaient ? Il s'exprimait face à des étudiant.e.s dont certain.e.s étaient déjà des manipulateur.ice.s expérimenté.e.s. Il était lui même un professeur. Pourtant, il parlait comme si sa vie et ses fonctions et les leurs étaient complètement dissociées de ce qu'il disait, comme s'il parlait d'autres professeur.e.s, d'autres manipulateur.ice.s, d'autres membres de la classe moyenne. « Les ouvrièr.e.s les mieux payé.e.s et syndiqué.e.s des industries classiques et lourdes sont cruciel.le.s au potentiel révolutionnaire et ne peuvent pas être délaissé et remplacé par des employé.e.s administratifs, des étudiant.e.s, des professeur.e.s et ainsi de suite, » continua-t-il. « Le fait que les travailleur.se.s sont au point de production est la source de la capacité révolutionnaire de la classe ouvrière. Leur travail leur enseigne comment gérer la production. » Jusque là, je pensais être d'accord avec chacune des déclarations de Daman. Mais le fait est que si j'étais d'accord avec ses mots, je me rendis compte que cet accord n'avait rien à voir avec des engagements et projets communs. J'étais d'accord avec le contenu des déclaration, mais leur contexte me donnait envie d'hurler mon opposition. Ma frustration grandit à mesure que la leçon de Daman avançait. J'ai arrêté d'être d'accord avec lui, même si je n'ai pas articulé mes désaccords jusqu'à plus tard ce soir là, quand Tina déchirait l'argumentaire de Daman. Il a bien dû parler sans s'arrêter pendant au moins une demi heure. Les points les plus marquants de son discours étaient que le capitalisme, en concentrant les ouvrièr.e.s dans les industries de bases avait créé l'organisation et la discipline de la ''nouvelle société''. Je ne sais pas combien de fois j'avais déjà entendu tout cet argumentaire, et j'avais été d'accord avec. J'avais commencé a en douter avant de commencer à correspondre avec toi, mais grâce à tes lettres et en particulier tes brèves descriptions des intuitions de Jan Sedlak, je suis finalement capable d'exprimer ma compréhension de ce qui ne va la dedans. Daman fait l'apologie de la dégradation absolue de l'individu.e humain.e et de la communauté humaine dont le capitalisme est responsable. Il situe ''la nouvelle société'' dans les chaînes de montage, les fonderies et les mines. Son argumentaire est une glorification pour l'enfer inhumain sans précédent créé par le capitalisme. J'étais si énervée par ce que Daman a dit que je ne me suis pas souvenu avoir déjà entendu chacune de ces déclarations avant, avec exactement les mêmes mots. Il avait déjà dit les mêmes choses 14 ans plus tôt ! Le contexte était apparement sans importance ; rien de plus qu'une occasion de répéter la même scène. Les déclarations qu'il avait fait sur les marches du bâtiment de l'administration était les credo politique de l'organisation à laquelle il avait appartenu quand je l'ai d'abord rencontré dans l'équipe du journal. En dépit de tout ce qui s'était passé dans les dernières 14 années, Daman avait en quelque sorte réussi à ne pas changer ne serait-ce qu'une seule de ses idées ! Je peux maintenant comprendre pourquoi est-ce que tu étais si choqué quand tu as lu ma première lettre, y reconnaissant une personne et un point de vu que tu avais connu 20 ans plus tôt. J'espère ne pas avoir été aussi rigide que Daman ! C'est effrayant. Il pourrait avoir mit tout ses arguments dans un disque phonographe il y a 14 ans et si qui que ce soit qui aurait voulu le rencontrer n'aurait eu qu'à simplement jouer ce disque. C'est sinistre. Daman n'est pas vraiment une personne vivante. Il n'y eu pas de question quand Daman termina sa leçon. Il a simplement dit, « Et bien, à la semaine prochaine. » Ça m'était incompréhensible. Les étudiant.e.s se sont levé.e.s et ont rejoint les autres pique-niquant sur le gazon. J'ai demandé à Daman, « Qu'est-ce que tu veux dire quand tu leur dis ''à la semaine prochaine ?'' Vont-illes appeler à une autre grève générale juste pour t'entendre leur donner à nouveau la même leçon ? » J'étais furieuse contre lui. J'étais aussi furieuse contre moi-même pour avoir fait une scène pareille au collège communautaire au profit de cette parodie de grève, en particulier du fait des illusions dans lesquelles j'avais baignée en anticipant cette grande journée avec impatience. Soit il ignora ma colère et ma frustration, ou bien il ne s'en rendit pas compte. De manière très terre-à-terre, comme si tout se passait comme il le fallait, il me dit, « Je les reverrai la semaine prochaine parce que nous nous rencontrons un soir par semaine. Étant donné qu'il n'y avait pas classe aujourd'hui nous avions décidé de nous rencontrer pendant la journée. » Indignée, j'ai demandé, « Tu veux dire qu'il s'agissait d'un cours ? Et tu l'as conduite avec le précisément avec ce groupe qui a organisé une grève contre les classes ? » Toujours très terre-à-terre, comme si il était incapable de saisir la contradiction, il dit « Il ne s'agit pas d'une classe universitaire formelle. Il s'agit d'une affaire tout à fait informelle et c'était plus pratique pour toutes les personnes concernées de se rencontrer aujourd'hui. » « Hypocrite ! » j'ai crié. « Tu appelles les gens à une grève et tu es celui qui la brise ! C'était le cours universitaire le plus formel auquel j'ai jamais assisté. Informel mon cul ! C'était infiniment plus formel que mon cours et j'ai quitté mon boulot parce qu'il y avait grève ! » Il me regardera avec une surprise authentique et demanda « T’ai-je demandé de faire ça ? » Bien entendu qu'il ne m'avait pas demandé de quitter mon boulot, ni m'avait dit que cette grève serait la première étape d'une révolution. Il m'avait tout au plus donné un tract et je lui avait demandé de me conduire au campus le jour de la grève. Je ne lui avait pas demandé si le tract voulait dire ce qui y était écrit. J'ai demandé à Daman de me raccompagner chez moi. En marchant vers la voiture, j'ai l'ai questionné sur cette classe qu'il donnait à celleux qu'il appelait les ''étudiant.e.s politisé.e.s''. Il m'a dit que certain.e.s des étudiant.e.s que je venais de rencontrer étaient ''en cours de construire un genre pertinent d'organisation.'' Je pouvais deviner lesquelles. Il continua en disant qu'il y avait déjà eu des discussions à propos de publier un journal. « Un autre journal étudiant ? » j'ai demandé. « Non, pas un journal étudiant, » dit-il. Il était irrité. « J'ai eu mon lot de journaux étudiants, pas toi ? Ce dont je parle c'est d'une organisation qui s'organise pour publier un journal ouvrier. » « Mais tu viens juste de me convaincre que toi et tou.te.s les autres membres de ton organisation étaient tout sauf des ouvrièr.e.s, » dis-je. « Qu'est-ce que tu veux dire par journal ouvrier ? Tu viens de passer une heure à décrire les éditeur.ice.s de journaux comme des manipulateur.ice.s de la classe moyenne. » Feignant une véritable surprise, il demanda, « Quel rapport ? » La naïveté avec laquelle il me le demanda m'a fait soupçonner qu'il y avait quelque chose que j'avais du manquer, et devait paraître parfaitement évident à tou.te.s les autres. J'avais reconnu la source de son aptitude à intimider. Faisant écho à ton argumentaire, probablement mot pour mot, j'ai dit qu'un tel journal, publié par Daman et son groupe d'étudiant.e.s ''politisé.e.s'', ne pourrait que transformer une véritable activité ouvrière en un programme politique pour leur organisation, représentant et remplaçant une nouvelle fois les ouvrièr.e.s comme chaque politicien.ne.s parlant en leur nom. Daman perdit enfin son côté terre-à-terre. Il me parla sur un ton qu'il avait rarement utilisé avec moi avant ça, un ton paternaliste et condescendant. « He n'ai pas dit que nous allions écrire ce journal. Ce sont les travailleur.se.s elleux-mêmes qui le feront. Je ne suis pas en train de parler d'un journal pour travailleur.se.s. C'est toi qui parle de ça. Je parle d'un journal ouvrier. Son but ne sera pas de parler pour elleux, mais de les laisser parler elleux-mêmes. Il n'est aucunement question ici de représenter les ouvrièr.e.s, de les remplacer ou n'importe quelle autre de ces vieilles merdes. J'ai dit plus tôt que la société nouvelle est crée au point de la production, en particulier dans les industries de base, et non pas dans la tête des intellectuel.le.s. Le seul rôle de ce journal sera de reconnaître l'existence de la société nouvelle et de documenter les faits de son existence. » Cette déclaration me secoua complètement. Les mots décrivaient un projet que j'aurai embrassé sans aucune réserve dans d'autres circonstances. Pourtant, le contexte actuel en rendait chaque partie fausse. Un tel projet aurait requis un certain déni de soi, mais allait ici être mené à bien par des personnes parmi les politicien.ne.s les plus crasses qu'il m'ai été donné de rencontrer. Ce journal reconnaitrait non pas la nouvelle société, mais seulement l'idéologie de Daman, et documentait non pas les faits de lutte pour la création d'une nouvelle société, mais l'augmentation de l'influence de son organisation parmi les travailleur.se.s. Ça sonnait quand même comme quelque chose de complètement différent. Il m'est devenu apparent pourquoi Daman était demeuré si consistant au cours de tant d'années. Il avait réponse à tout, des réponses détaillées et documentées qu'il avait déduites et parfaites il y a des années, et au plus il les répétait, au plus elles se parachevaient. Il transportait un cadavre dans sa bouche. Ce jour là j'ai reconnu Daman comme l'un de ces pédagogues qui méritent toutes les critiques que tu as formulé. Je dois tellement à tes lettres. Je ne pense vraiment pas que j'aurai pu voir à travers son jeu toute seule. Il colle si parfaitement à ta description ! Lui et ses étudiant.e.s vont éditer un ''journal ouvrier, non pas un journal pour les ouvrièr.e.s.'' Daman est d'accord avec ta critique de la représentation. Il est d'accord à un tel point qu'il représentera la fin de la représentation. Il sait qui les véritables révolutionnaires sont et donc son journal sera véritablement révolutionnaire. Il sais que les professeur.e.s et étudiant.e.s sont de la classe moyenne et donc son journal ne sera pas un journal étudiant ou universitaire. Il sais que la nouvelle société se situe au point de production et donc son journal ne sera pas simplement une autre magouille politique ni son organisation une autre arnaque. Lui reflétera la nouvelle société. Sur le chemin vers chez moi, j'ai parlé à Daman de ma correspondance avec toi et je l'ai supplié de venir à l'intérieur et de lire des passages de tes lettres. Lorsque nous sommes entré.e.s, Sabina et Tina étaient assises dans le salon à discuter ta lettre. Daman prit les passages traduit et alla dans ma chambre pour les lire. J'ai dit à Sabina et Tina que j'allais appeler Luisa. Tina me demanda si je pensais vraiment que Luisa serait partante pour faire l'expérience d'une scène similaire à la dernière fois où nous avions discuté ta lettre. Je l'ai appelé, lui disant que ta lettre contenait de longs passages racontant la vie de Jasna Zbrkova. Luisa dit qu'elle voudrait emprunter la lettre et la lire seule chez elle. Je pense qu'elle a vraiment été énervée par notre nuit de discussion. Le première commentaire de Tina a été, « Wow ! Quel remise en place de tou.te.s tes ami.e.s Sophia ! » Tina, c'était prévisible en est enchantée. Elle part dans la cuisine ; c'est son tour de faire le souper. Quand je vais dans la cuisine pour me refaire du café, elle fait un autre commentaire en rapport avec ta lettre. Elle soulève le même point que toi et Jasna. « Tu sais, ni toi ni Luisa n'ont expliqué pourquoi vous aviez été libéré il y a vingt ans, après seulement deux jours en prison. Dire que George Alberts a permis votre sortie n'explique rien. Yarostan veux savoir quels pouvoirs avaient Alberts pour arranger ça, et j'en suis curieuse aussi. » Je ne peux répondre à Tina parce que je n'en sais rien. Je me souviens vaguement que la police se soit excusée. Peut-être nous ont-illes dit que notre arrestation avait été une ''erreur'', comme illes l'ont plus tard dit à Jasna. Je me souviens aussi vaguement que George Alberts n'ai pas été arrêté. Mais c'est Luisa qui a dit qu'Alberts a permis notre sortie, et je n'ai jamais pensé à lui demander comment est-ce qu'il avait pu faire ça, te transmettant simplement son commentaire. J’essaierai de me rappeler de lui demander. Quand je retourne dans le salon, Sabina me rappelle que tu n'as pas répondu aux questions qu'elle avait posé à propos de Manuel. Tu fais son éloge pour ''déduire'' que Manuel et ses ami.e.s avaient été réprimé.e.s par les chef.fe.s révolutionnaires, plutôt que par les généraux réactionnaires, mais tu ne développes pas. Elle dit que le commentaire qu'elle a fait n'était pas vraiment une supposition. Elle a appris un grand nombre de chose de George Alberts à propos de ce soulèvement, et c'est la raison pour laquelle elle n'a jamais accepté le point de vue de Luisa sur cette lutte. Bien qu'Alberts ne lui ai pas explicitement dit que des révolutionnaires avaient été emprisonné.e.s et abattu par le ''gouvernement révolutionnaire'', elle déduisait ça de ce qu'Alberts lui avait raconté. Ton récit de Manuel a confirmé ses soupçons. Elle me dit qu'Alberts voyait cette lutte comme une lutte pour l'industrialisation et rien de plus. De son point de vue, tout le reste n'était que romantisme ou obscurantisme idéologique. C'est aussi l'opinion de Sabina sur cette lutte. Je lui ai dit que j'étais un exemple du romantisme et Luisa de l'obscurantisme. Alberts lui a enseigné que la seule tâche de cette révolution était de se débarrasser pour de bon des âges sombres et de créer les conditions du progrès ; que tou.te.s celleux qui opposaient l'industrialisation devaient être écarté.e.s. Ces réactionnaires incluaient l'Église, les propriétaires terriens et l'armée. Ce qui avait toujours dérangé Sabina était qu'Alberts incluait aussi les ''saboteur.se.s réactionnaires parmi les ouvrièr.e.s et les paysan.ne.s.'' Alberts, comme Luisa, les appelaient ''lumpen'' et ''voyous''. Sabina a toujours été suspicieuse de cette inclusion des ''saboteur.se.s'' parmi les ''réactionnaires'' pour les mêmes raisons que celles que tu mentionnes dans ta lettre, mais elle n'avais aucun moyen de savoir qui étaient-illes vraiment et ce pourquoi illes avaient combattu. Elle avait pensé qu'illes étaient des ouvrièr.e.s et paysan.ne.s révolutionnaires qui s'étaient battu à la fois contre les deux régimes parce qu'illes voulaient s'industrialiser par elleux-mêmes, sans ''chef.fe.s révolutionnaires'', sans gérant.e.s comme George Alberts, sans ''armée révolutionnaire''. Manuel était apparement l'une de ces personnes qu'Alberts décrivait comme des saboteur.se.s et un lumpen. Mais ce que tu nous a dis sur lui jusqu'ici ne cadre pas tout à fait avec l'image qu'elle s'était faite de ces saboteur.se.s révolutionnaires. C'est pour ça qu'elle aimerait en savoir plus sur lui. Elle veux aussi que je pose à toi et Jasna une question à propos de sa seconde arrestation. Jasna dit que la police avait insisté sur le fait qu'elle ai connu un ''espion étranger notoire''. Illes lui ont aussi demandé si elle avait connu Luisa et moi, puis elle ajoute mystérieusement que ''illes avaient le mauvais nom de famille pour Sophia et Luisa.'' Sabina demande si Jasna se souviendrait du nom que la police avait pour nous, et si ce nom ne serait pas par chance ''Alberts'' ? Lorsqu'elle pose cette question, je lui demande si elle suggère que George Alberts était cet espion étranger. « Je ne suggère rien, » dit-elle, « J'aimerai seulement savoir si elle s'en souviens. » Nous appelons Daman quand le souper est prêt. Tina et moi le regardons avec insistance ; nous ne pouvons attendre d'entendre sa réponse. C'est la première fois qu'il mange chez nous et je peux voir que Sabina guette le moindre prétexte pour le tailler en pièce. Elle déteste les universitaires en général, et plus encore Daman parce qu'il prétend ne pas en être un. Daman commence à manger et son unique commentaire est « Hmm, c'est vraiment très bon. Qu'est-ce que c'est ? » Je me demande s'il va éviter ta lettre. Je l'ai déjà vu faire ça avant. À chaque fois qu'il est mis en face d'une situation qu'il ne voudrait pas affronter, il est comme une autruche avec sa tête dans le sable, et prétend simplement que la situation n'existe pas. Nous mangeons toutes les trois en silence, jetant des regards à Daman entre chaque bouchées. Enfin, je n'en peux plus d'attendre et j'explose, « Est-ce que tu l'as lu ? » « Chaque page, » dit-il. « Et ? » je demande. « Qu'est-ce que tu en penses ? » « Je ne comprends pas pourquoi tu m'as demandé de la lire, » dit Daman. « L'ensemble de l'exposé ravive cette vieille théorie du retard de la classe ouvrière. » Nous avons été toutes les trois surprises. « La quoi de quoi ? » demande Tina, crachant presque la bouchée de nourriture qu'elle venait de prendre. Prenant à nouveau sa posture pédagogique, Daman explique à Tina : « La théorie, ou soi-disante théorie, du retard de la classe ouvrière. Ce n'est rien de plus qu'une rationalisation des préjugés d'auteur.e.s petit.e.s-bourgeois.e.s, qui ne savent pas la moindre chose sur le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière. » Avant que Daman ai terminé de parler, Sabina jeta son couteau dans son assiette, se lève si brutalement qu'elle fit tomber la chaise derrière elle et pointe sa fourchette sur Daman en criant, « Tu ne dis que de la merde, professeur ! » Emportant avec elle la fourchette, elle part dans sa chambre en claquant la porte. Daman reste parfaitement calme. « Elle est de toute évidence d'accord avec lui, » dit-il, et continue de manger. Tina, restant calme aussi, lui demande « Comment est-ce que cette soi-disant théorie s'applique à ces passages de la lettre de Yarostan ? » « Est-ce que quelqu'un.e d'autre va secouer une fourchette sous mon nez ? » demande Daman, mais aucune de nous deux n'en rie. « Si les travailleur.se.s étaient aussi attardé.e.s que ce qu'il décrit, alors le socialisme serait impossible. » « Montres moi ou est-ce qu'il dit que les travailleur.se.s sont attardé.e.s ! » insiste Tina. Je suis si heureuse que Tina ne soit jamais allée à l'école et n'ai donc jamais appris à être intimidée par les pédagogues qui obligent les gens a présumer ce qu'illes s'empressent de prouver. « Veux tu que je te cite les lignes exactes où il dit ça ? » demande Daman, essayant de suggérer que le passage que j'ai tapé est plein de lignes comme celles-ci. « Quel autre moyen aurais-tu pour me montrer ce qu'il dit ? » demande Tina. « L'idée de retard des travailleur.se.s transparait dans l'ensemble de son argumentaire, » dit Daman sèchement, comme si par cette déclaration il avait fini de prouver son accusation, et il s'empressa de changer le sujet de conversation vers quelque chose d'autre : « La classe ouvrière est intrinsèquement révolutionnaire. Ce n'est pas un problème de... » « Hey ! » interrompit Tina. « Est-ce que tu ne vas pas me montrer où est-ce qu'il dit que les ouvrièr.e.s sont attardé.e.s ? » Daman n'est de toute évidence pas habitué à débattre avec une personne dont la perception n'a pas été émoussée par une éducation formelle, et il continua comme s'il avait réussi à changer de sujet. « La classe ouvrière développe perpétuellement sa capacité de créer une société nouvelle, là-bas comme ici. Les travailleur.se.s épuisent toujours et partout les possibilités disponibles. » Tina le fixe simplement du regard. « Attends une minute. Daman, » je dis, devenant aussi frustrée que Tina semble l'être. « Est-ce que tu penses que le régime policier sous lequel Yarostan a vécu au cours des vingt dernières années à épuisé les possibilités disponibles ? » « Je n'ai pas dit ça, » insiste Daman. « J'ai dit que les ouvrièr.e.s créent des organisations pour lutter pour ce qui leur semble utile. Ces luttes gagnent pour la classe ouvrière tout ce qu'il est objectivement possible de gagner. Ces victoires ne sont jamais concédées sans luttes, et elles ne sont jamais des parades pour tromper la classe ouvrière. » « Si tu n'es pas en train de dire que ce régime policier était une victoire de la classe ouvrière, alors qu'es-tu en train de dire ? » demande Tina, abandonnant apparement ses tentatives d'avoir une réponse à sa question précédente. « Ce qui ne va pas avec le commentaire de votre ami, » dit Daman, « c’est qu'il critique le rôle de toutes les formes d'organisations et chef.fe.s dans la contrainte et la limitation des capacités révolutionnaires des travailleur.se.s. Mais il n'adresse jamais vraiment la question de l'organisation et des chef.fe.s de manière fondamentale. À moins que tu acceptes une théorie historique conspirationniste, comme quoi les organisations et les chef.fe.s sont toujours et partout mis.e.s en place pour contraindre et vaincre les travailleur.se.s. » « Je suis perdue, » dit Tina. « Ou du moins je pense que je le suis. Tout ce que tu dis résonne comme une évasion et semble ne rien avoir avec ce que les autres disent. » « Je suis perdue aussi, » j'admet. « Où est-ce que tu veux en venir ? Que Yarostan n'adresse pas les organisations et les chef.fe.s de manière fondamentale alors que tu le fait ? » « C'est ça, » dit-il. « Sa critique des organisations et des chef.fe.s est totalement déplacée. » « Déplacée ! » je crie. « Il a fait l'expérience des effets de ces organisations et de leur police au cours des vingt dernières années ! » « Il n'est pas le seul à faire l’expérience de ces effets, des millions d'autres le font aussi, » dit-il. « Qu'est-ce que ça veux dire ? » je demande, commençant à trembler de frustration. Il n'y a aucun moyen de parler avec lui ! Je commence à penser que j'aurai dû m'en aller comme Sabina plutôt que d'essayer de communiquer avec lui. « Votre ami n'apprécie pas les véritables révolutions, » dit Daman. « Ça transparait dans chaque ligne. Il veux qu'une révolution soit pure, mais les véritables révolutions sont les seules qui aient lieu et les luttes ouvrières ne sont jamais pures. Votre ami est contre les véritables luttes. » « Tu es tout un numéro, professeur ! » dit Tina prétendant sans efficacité être amusée. « La prochaine fois que tu viens pour diner, je vais te faire frire une merde repêchée directement des toilettes, et si tu ne l'apprécie pas, je te demanderai « Qu'est-ce qui ne va pas, professeur ? Est-ce que tu n'apprécies la nourriture que lorsqu'elle est pure ? » Daman se tourne vers moi, prétendant être persécuté et demande, « Est-ce que j'ai vraiment à écouter ça ? » Sans une once de sympathie pour son commentaire, je lui dit, « Daman, tu n'as pas a écouter quoi que ce soit à l'exception de tes voix intérieures. » « J'essaye d'éclaircir un point, » il continue, « comme quoi votre ami est comme tou.te.s ces auteur.e.s petit.e.s-bourgeois.e.s qui condamnent les véritables révolutions parce qu’elles ne correspondent pas aux standards établis, non pas par les travailleur.se.s en lutte, mais par des auteur.e.s bourgeois.e.s. Les travailleur.se.s luttent toujours pour ce qui est objectivement possible, que ce soit pure ou pas, et que ce soit ou non aux standards établis par des auteur.e.s bourgeois.e.s » Je commence à bouillir. « Si jamais j'ai entendu une défense des états policiers c'est celle-ci ! » je crie. « Quoi que ce soit qui puisse arriver aux travailleur.se.s est pour toi une victoire de la classe ouvrière. Si les travailleur.se.s sont fusillé.e.s ou emprisonné.e.s, alors c'est la seule victoire qui était objectivement possible ! Quoi que ce soit qui arrive aux travailleur.se.s est tout ce qui était objectivement possible. Tu est un défenseur du status quo ! » « Yarostan n'est pas plus un auteur bourgeois que je ne le suis ! » hurle Tina. Daman montre enfin des signes de colère. Il se tourne vers moi, prétendant être blessé au plus profond de son être et dit, « Sophie, ta dernière déclaration est une distorsion complète de tout ce que j'ai jamais dit, et tu le sais. Tu sais parfaitement bien que je ne suis pas en train de parler de contre-révolutions alors n'ose pas m'appeler un défenseur des contre-révolutions. Je parle de révolutions qui ne sont pas à la hauteur des attentes des intellectuel.le.s de la classe moyenne. » « Tu n'as aucune idée de ce dont tu parles ! » hurle Tina. « Toi, un professeur d'université à part entière, appelle quelqu'un qui a passé la moitié de sa vie à travailler à l'usine un intellectuel de la classe moyenne ? Parles moi de distorsion ! Comment ôses-tu... » « C'est des foutaises ! » crie Daman en l'interrompant, perdant à l'occasion son détachement professoral. « Aucun.e ouvrièr.e d'usine que je connaisse n'aurait pu écrire quelque chose comme ça ! » « Wow ! » crie Tina. « Regardes donc qui parle de l'attardement des travailleur.se.s qui ne peuvent pas écrire et n'ont aucun standard ! » « Est-ce que tu veux discuter sérieusement ou est-ce que tu veux jouer à qui crie le plus fort ? » cri-t-il. « Si c'est la seconde, alors ce sera sans moi parce que j'ai mieux à faire et mes nerfs ne le supporteraient pas. Et alors, il a passé la moitié de sa vie à l'usine ? Moi aussi ! » « Et tu n'as pas manqué de capitaliser sur ce fait, » je commente sarcastiquement. « Qu'est-ce que ça viens faire la dedans? » cri-t-il. « Cela ne fait pas de lui un travailleur d'usine, pas plus que ça n'en fait un de moi ou de qui que ce soit d'autre dans cette pièce. C'est évident qu'il a passé l'autre moitié de sa vie à recevoir une éducation politique au moins aussi complète que la mienne. » Sans le moindre espoir de l'atteindre, je commente, « Mais Daman, cet après-midi, tu as dit que la relation de chacun.e à la production est le seul moyen de prouver sa classe. » Tina, dis avec aigreur, « Tu n'as pas à parler des distorsions des autres, professeur ! Tu parles de quelqu'un qui a passé l'autre moitié de sa vie en prison, et si tu appelles ça une éducation universitaire alors tu peux embrasser mon cul et appeler ça un coup de foudre parce qu'il est évident que dans toute ton éducation tu n'as jamais appris à appeler les choses par leur nom ! » Prétendant ne pas avoir compris ce qu'avait dit Tina, Daman se tourna vers moi et demanda, « Est-ce qu'il s'agit du niveau habituel de vos discussions politiques ? » « Non, pas du tout, » je répond avec une aigreur qui à ce moment là correspondait à celle de Tina. « Ni Tina ni moi n'avons jamais rien discuté à un niveau si bas. » « Je peux voir qu'il est l'heure que je m'en aille, » dit-il en se levant. Je me lève aussi, continuant sur le même ton, « Tu as évité chacune des questions de Tina avec des parades et des changements de sujets furtifs. Elle t'a demandé comment est-ce que tu pouvais appeler un travailleur qui avait passé la moitié de sa vie en prison un intellectuel de la classe moyenne. Et pas dans n'importe quelle prison, mais dans une prison créée par les organisations et chef.fe.s que tu défends. » Tripotant la poignée, il dit, « Je regrette de dire ça, Sophie, mais quant il en vient à la politique, tu es une ignorante totale. Si tu savais quoi que ce soit sur la classe ouvrière, tu saurais que les chef.fe.s ne font pas que simplement s'imposer sur elleux. Les chef.fe.s sont le produit de la classe ouvrière. Si les travailleur.se.s sont vaincu.e.s, ce n'est pas des mains diaboliques des chef.fe.s mais parce que la classe ouvrière est incapable de prendre le contrôle des moyens de production. Ce ne sont pas leurs chef.fe.s mais leur travail lui-même qui enseigne aux travailleur.se.s comment mener à bien la production. » Tremblante de frustration, j'essaye de parler calmement, « Daman, tu ne fais que répéter ça, mais tu n'y crois de toute évidence pas. Tu as appris l'ensemble de ton argumentaire, non pas du travail lui même mais des écrits de soi-disants chef.fe.s révolutionnaires. La moitié de tes déclarations sont des citations des écrits du premier dictateur de la classe ouvrière. » « Ta naïveté ne cesse de me surprendre, » dit Daman, tripotant toujours la poignée. « Il se trouve que les ouvrièr.e.s produisent leurs chef.fe.s les plus fort.e.s lorsqu'illes sont elleux mêmes les plus fort.e.s. La force des chef.fe.s dérive de celle de la classe ouvrière ! » « Enfin, tu le dis ! » je crie. « Le plus fort le chef, le plus grand le triomphe des travailleur.se.s. Tu es un défenseur dévergondé de l'État policier et tu le camoufles avec de tels boniment pour les travailleur.se.s elleux-mêmes. Pour toi, l'esclavage total des travailleur.se.s par le premier dictateur soi-disant prolétaire est le modèle pour la victoire ouvrière. C'est ce que tu appelles la nouvelle société. Le chef tout puissant est le signe de la force des travailleur.se.s. L'esclavage c'est la liberté. » Daman ouvrit la porte mais resta sur le seuil. « Ta critique du premier grand chef... » « Est déplacée ! » je le coupe. « Toutes les critiques des grands chefs sont déplacées, parce qu'après tout tu parles des travailleur.se.s au point de production et adore le grand chef. Le soleil se lève et se couche sur le grand chef ! » Pendant que je lui crie dessus, il marche à mi-chemin jusqu'à sa voiture, puis se retourne et crie : « C'est ça, déplacé ! En posant le problème des grand.e.s chef.fe.s de cette façon, tu supposes que rien n'a changé dans les dernières cinquante années. Tu ne fais que manifester ton ignorance complète du fait que la classe ouvrière aujourd'hui est davantage éduquée et mieux organisée, non pas par des organisations politiques mais par la production ! Avec les technologies modernes et des moyens de communication avancés, rien ne peut empêcher les travailleur.se.s de construire une société nouvelle et un nouvel État ! » « Un nouvel État ! Tu l'as dit ! Un État d'autant plus neuf et d'autant plus totalement dictatorial du prolétariat ! » j'hurle tandis que Daman se précipite vers sa voiture. Tina cours derrière lui. On aurait dit qu'elle allait se précipiter dans la voiture avec lui. Il claque la portière. Elle se plante devant lui, côté conducteur.ice.s et commence à lui crier dessus à travers les fenêtres fermées. « Maintenant je comprends mieux ce que tu es, professeur ! Tu es un bureaucrate conservateur qui pense que les travailleur.se.s sont tou.te.s des mangeur.se.s de popcorn et des fans de baseball qui ne sauraient pas qu'illes se font avoir lorsque quelqu'un se proclame leur chef. Pour toi, tou.te.s ces mangeur.se.s de popcorn sont impures et c'est la raison pour laquelle illes seront toujours enchaîné.e.s au point de production. Et c'est la raison pour laquelle il y aura toujours de la place pour des laquais comme toi dans les palais gouvernementaux... » Daman s'en alla. Tina, debout au milieu de la rue continue d'hurler à la voiture disparaissant rapidement : « ...Et qui que ce soit te disant qu'illes ne demeureront pas au point de production, qu'illes vont en sortir en masse pour détruire les palais gouvernementaux, est un petit-bourgeois intello déplacé et un.e ignorant.e qui ne sait pas que les travailleur.se.s sont impures. Et tu prends le pari qu'illes resteront impures. Et il faudrait sacrément qu'illes le restent si tu veux garder ton boulot confortable ! » J'éclate de rire. Tina a l'air si grotesque se tenant au milieu de la rue en criant dans le vide. Quand elle me vois, elle commence à rire aussi, et lorsque nous sommes parties, elle commenta « Classes, tes ami.e.s ! » Oui, j'ai de toute évidences des ami.e.s ''classes''. Toi et Jasna me l'ont rendu très clair. De toute évidence, je ne le savais pas avant que ta lettre n'arrive, mais je vois maintenant que Daman aurait été en bonne compagnie avec Marc Glavni, Vera Neis-Krena et Adrian Povrshan. Ta lettre a été l'instrument démasquant cet universitaire avec un cadavre dans la bouche. Ce poseur d'ouvrir qui se vante d'être un expert des ouvrièr.e.s d'usine cadre parfaitement dans l'image que tu as fait de lui avant de n'en savoir quoi que ce soit. Il est vraiment tout ce que tu dit de lui. La théorie rigide qu'il transporte avec lui depuis toutes ces années transforme les révolution en quelque chose comme son propre domaine personnel. Il est prêtre dans une secte de croyant.e.s. Cette organisation qu'il essaye toujours de fonder ne fera que propager sa propre rigidité cadavérique aux autres, et l'objectif de ce journal dont il parle est de mettre des cadavres dans la bouche des gens. Grace à ta lettre, je peux maintenant voir à travers Daman. Et je comprends évidement qu'Adrian, Vera et les autres sont des opportunistes. Mais je pense que tes commentaires sur moi sont injustes. Je me suis autrefois engagé dans des projets avec ces gens et ces projets étaient vraiment importants pour moi. Cela fait de moi l'une des leurs ? Est-ce que cela fait de moi une opportuniste aussi ? J'ai à un moment partagé un projet avec Daman. Est-ce que ça veux dire que je suis comme lui ? Je pense qu'il est mesquin que tu m'identifies à elleux. Ce que j'ai fait et qui j'étais ne peut pas être défini par ce que Daman est devenu ni Marc, ni Vera. Même si Jasna a raison, et même si Marc, Vera et Claude avaient déjà commencé à grimper les échelons bureaucratiques au moment où je les ai connu, ça ne veux pas dire que je grimpais ces échelles moi aussi. Daman était déjà le prêtre d'une secte quand je l'ai rencontré et d'abord commencé à travailler avec lui. Mais ça ne veut pas dire que j'étais la prêtresse d'une secte, ni que l'activité que nous partagions consistait à propager une religion. L'activité dans laquelle j'étais engagée, quel qu'aient été ses défauts étaient une sorte d'affirmation de la vie, et non une forme d'affirmation de la mort. Si Vera, Marc et Daman courraient à mes côtés, illes allaient ailleurs et tu ne peux pas dire que j'allais vers la destination qu'illes ont atteinte. Ce qu'illes sont devenu.e.s ne te dis rien du tout sur qui je suis, ni même sur ce que j'ai fait avec elleux. Oui, tout comme Daman, tout comme Marc, Vera et Adrian, je suis allée à l'université. J'ai ça en commun avec elleux, mais pas grand chose de plus. Jasna y est allé aussi, et elle n'est ni une officielle, ni une missionnaire. Et si tu appelles l'usine de carton notre ''première université'', alors tu as aussi ça en commun avec le reste d'entre nous. Mon point commun avec Vera et Daman s'arrête là où il commence. Ma vie à l'université n'a rien en commun avec les ambitions bureaucratiques de Vera, Adrian ou Marc, de la même manière que mes activités dans l'équipe du journal étudiant n'avait rien en commun avec les activités missionnaires de Daman. Quand j'ai d'abord rencontré Daman dans l'équipe éditoriale, sa relation avec Minnie Vach était très semblable à la relation d'Adrian avec Vera. Daman et Minnie étaient membres d'une secte politique du même type que celle que Daman tente de raviver aujourd'hui. Minnie était toujours la théoricienne et Daman était quelque chose comme son homme de main. Leur organisation publiait un journal, mais je ne l'ai jamais lu et je ne peux donc pas te dire à quel point leurs prophètes choisi.e.s auraient bien reconnu et documenté la nouvelle société tandis que les travailleur.se.s demeuraient au point de production. Ce que je peux te dire c'est que je n'ai pas contribué, et ne l'aurais jamais fait, au journal de leur organisation, et que Daman et Minnie n'ont pas transformé le journal de l'université en un organe de leur organisation. En ce sens, Daman et Minnie étaient bien plus décent.e.s que leurs énnemi.e.s politiques dans l’équipe, Lem Icel et Rhéa Morphen. Lem et Rhéa n'auraient aimé rien d'autre que de transformer le journal de l'université en une feuille de propagande pour leur organisation, et j'étais aussi hostile à leurs tentatives d'en faire ainsi que n'importe qui d'autre dans l'équipe. Tu as probablement raison en disant que j'ai reconnu les aspirations répressives de Lem et Rhéa, principalement parce qu'illes les ont exprimées de manière si ouverte. Mais tu as tort quand tu dis que je glorifie leurs cousin.e.s plus politiquement sophistiqué.e.s. Si j'ai ''glorifié'' Minnie et Daman dans ma dernière lettre, c'était parce que les moments que j'ai partagé avec elleux dans l'équipe éditoriale faisaient partie des moments les plus heureux de ma vie, et non parce que je partageais leurs engagements organisationnels. Je pense vraiment que tu te laisses emporter dans ta propre rhétorique. Dans ma dernière lettre je te disais que mon ami Alec avait du piétiner publiquement tous ses engagements politiques précédents avant que Minnie et Daman ne l'accepte comme ami et allié. En admettant que je n'ai pas fait de critique exhaustive de Minnie et Daman, le peut que j'en ai dit n'avait rien à voir avec une glorification. Et je n'ai certainement glorifié personne d'autre dans l'équipe. Je pense plutôt que j'ai rendu les autres plus ridicule qu'illes ne l'étaient vraiment. Je vais arrêter d'essayer de comparer mes activités aux tiennes. Je me rend compte que les circonstances sont trop différentes et que je vais de toute évidence échouer à communiquer les similarités que je vois entre les deux situations. Je comprend enfin ta critique, et je reconnais que certaines des personnes avec qui j'ai travaillé en sont la cible. Mais je ne pense pas que l'activité elle même était déterminée par ce que ces gens étaient, ni par ce qu'illes sont devenu.e.s depuis. Je pense que mes activité dans l'université étaient un acte de rébellion modeste mais authentique contre un système social répressif. Je vois que Daman correspond à ta description d'un ''révolutionnaire'' répressif, mais je ne pense pas que l'activité que j'ai partagé avec lui peut être décrite comme une ''rébellion répressive''. L'activité que je m'apprêtes à te décrire à commencé il y a quatorze ans. Nous étions parmi les premièr.e.s étudiant.e.s à faire entendre nos voix contre les chasses aux sorcières qui avaient lieu à notre époque. Notre activité n'a pas mit fin à la chasse et n'a de toute évidence pas détruit le système social qui l'a perpétré. Mais en haussant nos voix, nous avons encouragé d'autres à faire de même et c'est la raison pour laquelle je suis fière d'avoir prit part à cette activité. Des étudiant.e.s d'une autre université ont suivi notre exemple et sont même allé bien plus loin que nous n'avions rêvé le faire. À un moment, le mouvement de contestation est devenu si grand qu'il a joué un rôle à mettre fin aux chasses aux sorcières, tout en reproduisant simultanément les relations qui étaient au moins aussi répressives que celles que nous avions commencé à combattre. Nos efforts initiaux n'étaient pas aussi aboutis que ceux du mouvement qui allait grandir dans de telles proportions, mais les sous-entendus répressifs de nos activités ne l'étaient pas non plus. Ce n'est pas pour dire que des relations dégueulasses étaient absentes parmi nous. Malheureusement ce ne fut pas le cas du tout. C'était assez moche. Mais il y avait un trait que nous n'avons pas partagé avec le ''mouvement étudiant'' plus tardif, ou au moins avec ses portes paroles. Dans les activités que j'ai partagé avec elleux, ces individu.e.s ne se considéraient pas comme des portes-paroles ou des représentant.e.s en dépit du fait qu'au moins la moitié des gens de cette équipe étaient des membres d'organisations politiques qui prétendaient représenter les intérêts d'autres gens. Quoi que ce soit qu'illes ai pu faire dans leurs organisations, lorsque je travaillais avec elleux, illes ne se comportaient pas comme si l'histoire les avait élu pour refléter, représenter, reconnaître ou documenter les désirs des travailleur.se.s, étudiante.s ou qui que ce soit d'autre. Chacun.e d'entre nous se battait pour réaliser ses propres désirs. Nous ne représentions personnes d'autre que nous-mêmes. Non, non ne nous représentions pas nous-mêmes. Nous étions nous-mêmes. Dans ma dernière lettre je t'ai raconté quelque chose sur les articles que nous écrivions, des articles qui mettaient à jour la militarisation des professeur.e.s et des étudiant.e.s et documentaient la répression des radical-aux J'ai aussi mentionné le plus gros article de l'année, l'interview par Minnie du Général du campus qui gardait des fichiers sur tou.te.s les étudiant.e.s de l'université. Son article fit un scandale sur le campus. Alec et moi étions les éditeur.ice.s de nuit sur le numéro dans lequel l'article de Minnie avait été publié. C'est là dessus que nous travaillions cette même nuit où Sabina est venue à la coop me dire que Ron avait été tué. Le matin suivant, Minnie, Daman, Alec et moi sommes allé.e.s à quatre des boites desquels les étudiant.e.s prenaient le journal. Nous avons engagé des conversations avec elleux sur l'article et leur avons demandé la permission de publier leurs commentaires dans le journal. Nous avons publié une série d'entretiens avec des étudiant.e.s dans plusieurs parutions consécutives. Certains des commentaires des étudiant.e.s étaient inestimables, en particulier ceux qui exprimaient de la sympathie pour l'autorité militaire de l'Université. Je me souviens encore de bribes de ce qu'un athlète aux cheveux de soie m'a dit. Il disait qu'il n'était pas du tout surpris que l'armée et la police (l'article de Minnie n'avait rien dit à propos de la police) tienne des fichiers sur l'ensemble de la population. « Après tout, » il m'expliqua, « C'est leur boulot de protéger la société d'éléments dangereux.ses, et la seule manière dont illes puissent le faire est par la surveillance constante de tout ces éléments dangereux avérés ou potentiels. Illes se doivent d'utiliser ces fichiers qu'illes ont et commencer à regrouper tou.te.s les subversif.ve.s, homosexuel.le.s, pacifistes et autres cinglé.e.s afin de rendre la vie plus sûre pour le reste de la population. » Il s'aventura a supposer que « la raison pour laquelle le gouvernement n'a pas déjà commencer à arrêter tou.te.s ces pervert.e.s tordu.e.s est parce que le coût pour les emprisonner ou les exterminer tou.te.s seraient une charge trop lourde pour le budget gouvernemental actuel. » Il conclu en disant, que « Pour ma part, je serait heureux de payer davantage de taxes de manière a permettre au gouvernement de mener à bien cette entreprise. » J'ai effectué plusieurs autres entretiens aux points de vues similaires à celui ci, mais aucun n'était si enragé. Les interviews de Minnie étaient précisément à l'opposé des miennes. Elle disait qu'elle ne pouvait pas supporter les étudiant.e.s sympathisant avec l'armée et n'interviewait que les personnes dont les commentaires étaient hostiles aux fichiers du général. L'un des étudiants qu'elle a interviewé a dit qu'il ne serait plus capable de dormir parce qu'a chaque fois qu'il entendait une sirène de police la nuit, il penserait que la police viendrait pour l'arrêter. D'autres personnes qu'elle interviewa parlèrent longuement de ''l'inconstitutionalité'' des dossiers du général, et un.e autre fit un commentaire sur l'antisémitisme du général. L'une des ''déductions'' que le général avait tiré de ses fichiers était que les ''traits subversifs'' étaient plus fréquents parmi les ''juif.ve.s baltes'' que dans n'importe quel autre groupe ''facilement identifiable''. Je pensais que mes articles étaient bien plus intéressants que ceux de Minnie, particulièrement parce que je n'interviewais pas uniquement des étudiant.e.s qui disaient des choses avec lesquelles j'étais d'accord. Je trouvais que les étudiant.e.s qui défendaient le général l'exposaient avec bien plus d'efficacité que celleux qui l'attaquaient. Puis c'était si amusant d'interviewer ces réactionnaires. Je leur fit la faveur de rendre leurs témoignages cohérent et grammaticalement correctes. La plupart de ces protecteur.ice.s de la civilisation et de la culture, futures bureaucrates et gérant.e.s, n'ont jamais appris à utiliser leur propre langage. Daman et Alec ont été terriblement décevants. Ils n'ont pas contribué un seul article. À la place d'interviewer des étudiant.e.s, ils se sont contenté d'entrer dans des débats houleux avec elleux, et Alec s'est même blessé dans une bagarre avec l'étudiant qu'il était censé interviewer. Chacun des articles de Minnie et les miens ont été publié. Il était évident pour Hugh, l'éditeur, que mes articles reflétaient ''un côté'' tandis que ceux de Minnie reflétaient ''l'autre'', et donc il ne fut pas question d'exclure aucun des articles. Cette série d'entretiens fit autant de scandale que l'interview initiale de Minnie, et le scandale mena directement à la répression de l'équipe éditoriale. Professeur.e.s et étudiant.e.s discutaient ces articles dans leurs classes, et le journal de la ville a commença à s'intéresser à la question. Mais les deux journaux de la ville étaient possédés par des gens comme ce général qui tenait les fichiers, et n'étaient pas intéressés par notre exposition des dossiers du général, mais par nous. Illes ont commencé à publier des histoires racontant que le journal universitaire avait été ''pris par une clique de rouges et des gauchistes,'' dans l'intention de dénigrer et détruire ''l'Université, l'armée et le drapeau.'' Illes citèrent les témoignages les plus extrêmes des étudiant.es que nous avions interviewé et racontèrent que ces déclarations avaient fait parti d'éditos qui ''exprimaient les vues de l'équipe éditoriale.'' Je n'ai jamais su s'il c'était la campagne menée par les journaux de la ville, ou la pression de l'armée sur le campus, ou alors l'embarras de l'administration universitaire qui avait déclenché la répression. Probablement toutes ces choses à la fois, et d'autres dont je ne suis pas au courant. Quelques jours seulement après la parution de l'article initial de Minnie, nous avons reçu une note de l'administration ! Elle convoquait l'éditeur et son assistante dans le bureau du président de l'université « Immédiatement, et avant la préparation du journal du jour suivant. » Hugh et Bess se précipitèrent dans le bureau du président, et le reste d'entre nous continuèrent à travailler à la parution du jour suivant. Lorsqu'illes revinrent une heure plus tard, tout le travail s'arrêta. Bess dit que le président leur avait dit que le journal devait arrêter de publier des articles au sujet des dossiers du général. Que si de tels articles continuaient d'apparaître, il y aurait de ''graves conséquences''. Hugh dit qu'il s'était opposé à cette convocation, « sur la base que c'est complètement dans le giron des compétences de l'éditeur élu, » et qu'il ignorerait les menaces du président et continuerait d'éditer le journal « sur des bases strictement journalistiques » Chacun.e d'entre nous sursauta de soulagement et le félicité pour sa prise de position de principe. Il voulait néanmoins un vote de confiance. « Étant donné que j'ai été élu par l'équipe éditoriale, la décision finale doit être faite par l'équipe. Je pense que ces articles sont de grande qualité et d'un intérêt public manifeste, exprimant chacun des aspects différents du problème. Alors la question est de savoir si oui ou non l'équipe veux continuer à faire ce qui est parfaitement justifiable d'un point de vue journalistique, mais qui pourrait avoir de graves conséquences d'une nature incertaine pour nous. » Aucun.e de nous ne pouvait imaginer ce que les ''graves conséquences'' auraient pu être, et donc nous n'étions pas particulièrement inquièt.e.s. Minnie et moi avions toujours plusieurs interviews à publier et une grande majorité de l'équipe vota en faveur de leur publication. Lem et Rhéa s'abstinrent. Après que tous nos articles aient été publié, nous pensions tou.te.s que la crise était passée, bien que les journaux de la ville aient continué de propager des témoignages complètement fabriqués sur qui nous étions et ce que nous faisions. Environ deux semaines après la publication de mon dernier article, deux semaines durant lesquelles rien d'intéressant ne se passa au journal, l'administration universitaire frappa. Quelque chose appelé une ''directive'' fut publiée par l'administration à l'attention de la presse de la ville et du corps étudiant. Nous nous sommes regroupé.e.s dans le bureau pour le lire sans y croire. Minnie pleura, j'en avais l'envie aussi. Hugh semblait sous le choc, se balançant d'avant en arrière. D'après cette directive, le journal étudiant allait être ''rendu'' à la communauté étudiante à la fin de la semaine. Vu que la directive fut publiée un Jeudi, cela voulait dire que nous n'avions plus qu'un seul numéro à sortir. La directive continuait en disant qu'après un « bref délai, des journalistes compétent.e.s sélectionné.e.s parmi le corps étudiant reprendrons la publication d'un journal reflétant les intérêts de la communauté étudiante. » Cette phrase suggérait que nous n'étions ni compétent.e.s ni des étudiant.e.s, mais cela avait aussi une portée bien plus sinistre. Autant qu'aucun.e de nous le sache, les éditeur.ice.s du journal universitaires avaient toujours été élu.e.s par l'équipe éditoriale et ceci allait maintenant prendre fin ; les journalistes sélectionné.e.s allant de toute évidence être des gens placé.e.s là par l'administration. La déclaration transpira également le genre de gens qui allaient éditer le journal qui « réfléchirait les intérêts de la communauté étudiante » : De toute évidence pas des gens comme Lem ou Rhéa qui croient refléter les intérêts des étudiant.e.s, mais davantage des gens qui le feraient aux yeux de l'administration, c'est-à-dire des gens servant les intérêts de l'administration, soit des pantins qu'elle aurait placé là. La directive continua en expliquant les raisons de cette mesure, disant qu'une « clique d'agitateur.ice.s radical-aux auto-légitimée s'était saisie de la publication du journal étudiant, mettant ainsi en danger l'éducation et le bien-être du corps étudiant et causant un tord irréparable à l'image publique de l'Université. » Cette déclaration n'était pas tout à fait un mensonge éhonté. Il s'agissait d'une façon pour l'autorité de déclarer la vérité. ''Auto-légitimée'' voulait simplement dire que nous élisions nos propres éditeur.ice.s, à la différence du nouvel arrangement qui allait introduire une clique légitimée par l'administration. Mais l'expression de ''clique auto-légitimée'' faisait sembler l'arrangement électoral si sournois et manipulateur. C'était aussi exact qu'il y avait proportionnellement davantage de ''radical-aux'' dans l'équipe du journal que dans l'ensemble du corps étudiant. De ce que j'en sais, chacun.e des ''radical-aux'' de l'université à cette époque était dans l'équipe éditoriale. Mais il semble tellement évident pourquoi il en était ainsi. C'était une époque où toute auto-expression était férocement réprimée. Le peu d'étudiant.e.s qui refusaient d'être muselé.e.s étaient par définition des ''radical-aux'' étant donné qu'illes nageaient à contre-courant. Il s'agissait des seul.e.s étudiant.e.s qui essayaient de s'exprimer à un moment où l'auto-expression était tabou, et où seraient-illes allé.e.s sinon dans l'équipe éditoriale, le seul endroit de l'université où l'auto-expression était encore possible ? La directive disait également que l'équipe actuelle n'était pas renvoyée, bien au contraire, mais qu'elle était pressée à coopérer avec la nouvelle commission éditoriale pour faire un journal « étudiant représentatif qui serait un atout positif à la communauté universitaire. » Nous avons tou.te.s séché.e.s nos cours et passé la journée dans le bureau, à préparer notre dernier numéro. Il nous semblait qu'un événement historique majeur venait d'avoir lieu, comme si une guerre mondiale venait d'être déclarée. Hugh suggéra que nous écrivions chacun.e un édito exprimant notre côté de la question, disant que le biais de ce dernier numéro serait plus que compensé par le fait que tous les autres à partir de là exprimeraient l'opinion de l'autre côté. Je fit la suggestion que des bandeaux noirs soient placés autour de chaque page, exprimant le fait que la presse venait de mourir à l'Université. Bess Lach s'y opposa violemment à tout ça. « Juste parce que nous n'en seront plus les éditeur.ice.s ne signifie pas qu'il n'y aura plus de journal ! » dit-elle. Quelqu'un.e appela au vote et tou.te.s sauf Bess furent en faveur des bandeaux noirs. Rhéa suggéra d'utiliser la première page pour appeler à une grande manifestation contre la suppression du journal. Bess s'y opposa, « Tu ne peux pas utiliser le journal de l'école pour encourager une manifestation ! » et Hugh acquiesça J'ai essayé d'argumenter que nous n'étions plus tenu par des régulations que l'Université elle-même venait d'enfreindre, mais seulement Lem et Rhéa étaient d'accord avec moi. Tout d'un coup ce fut Thurston Rakshas, qui fit une suggestion qui semblait être similaire à celle de Rhéa, bien qu'elle ne l'ai pas pensé comme ça. Thurston affirma qu'il était parfaitement légitime d'annoncer un événement à venir, étant donné qu'il s'agissait de l'une des fonctions du journal. Nous pourrions annoncer que vendredi matin, les ancien.ne.s membres de l'équipe éditoriale du journal universitaire feraient une procession funéraire à travers le campus, transportant le corps du journal étudiant dans un cercueil. Ce dandy de la haute société avait toujours eu un sens de l'humour. J'étais immédiatement enthousiaste à cette idée. Hugh et Alec aussi, dès le départ. Minnie était en faveur d'une sorte de manifestation, mais défendait que des funérailles ne feraient que suggérer que nous avions perdu, et avions abandonné la lutte. Pour une fois, Lem et Rhéa étaient d'accord avec Minnie, tout comme Daman, évidement. Le débat sur la nature de la manifestation fut dévié par Bess, qui était devenue hystérique . « Nous ne pouvons qu'exprimer nos opinions sur la directive universitaire ! Nous ne pouvons pas utiliser ce journal pour défendre un mode d'action ou un autre. Ce serait trahir la confiance qui est mise en nous ! C'est un crime ! En appelant à une manifestation de cet ordre nous serions en train d'utiliser le journal comme notre propre organe de presse privé. Ce journal ne nous appartient pas, il appartient à tou.te.s les étudiant.e.s. Et il ne mourra pas simplement parce que certain.e.s d'entre nous n'y travaillent plus. » Thurston défendit son idée d'annoncer le faux enterrement en remarquant qu'au moment où il aurait lieu, les gens y prenant part ne seraient plus l'équipe éditoriale du journal, mais un simple groupe d'étudiant.e.s anonymes. Bess cria à Thurston, « Mais nous ne sommes pas des étudiant.e.s anonymes aujourd'hui. Nous sommes la commission éditoriale et l'équipe de rédaction du journal de l'Université, et aujourd'hui, tu ne peux pas transformer ce journal en un instrument pour votre propre manifestation. Demain, tu pourra porter tout les cercueils que tu veux ! » Thurston appela à un vote avec colère. Bess répliqua, « Ce n'est pas de notre ressort de voter sur les régulations universitaires ! » « Ah non ? » demanda Thurston. « Regarde ! Tou.te.s en faveur de la position de Bess. » Personne ne vota en faveur, pas même Bess étant donné qu'elle désapprouvait le vote. « Tou.te.s en faveur de la mienne ! » Les mains de tou.te.s le monde se levèrent, à l'exception de celle de Bess. C'était une manœuvre sournoise. Thurston n'avait pas seulement mit fin aux objections de Bess, mais avait aussi clôt toute discussion sur la nature de la manifestation. Nous en étions tou.te.s conscient.e.s mais personne ne rouvrit le débat. Je suppose que nous savions tou.te.s que si nous passions la journée a débattre, nous n'aurions pas le temps de préparer aucune sorte de manifestation, d’écrire nos éditos ou de sortir le dernier journal. Je suppose aussi que Minnie et Rhéa préféraient la suggestion de Thurston au fait de ne pas faire de manifestation du tout. Bess s'enfuit du bureau tandis que les vote proposé en hâte par Thurston avait lieu. Elle revint plus tard dans la journée, mais uniquement pour apporter son édito. Elle n'a pas prit part au travail sur le dernier numéro. Plus tard dans la journée, Rhéa suggéra que nous imprimions quelques tracts annonçant la manifestation et que nous les distribuions à tous les dortoirs étudiants. J'étais pour. Hugh s'opposa à ce genre ''d'agitation'' car pour lui la nature de la manifestation nous demandait d'être ''dignes et responsables''. Minnie dit que nous n'avions tout simplement pas le temps de faire ça, et elle avait raison. Nous avons travaillé d'arrache-pied. Étant donné que chaque personne rédigeait son édito, personne n'a commencé a taper ni éditer avant la soirée. Hugh fit la maquette en l'absence de Bess, et bien qu'il soit aussi bon qu'elle, il n'était pas aussi rapide. Tard cette nuit là, Rhéa fit une autre suggestion. Elle dit que l'ancienne équipe devrait commencer à publier un journal hors-campus aussi vite que possible. Seule une action telle que celle-ci permettrait de clarifier la véritable signification des bandeaux noirs sur les marges et de la marche funéraire. Le journal universitaire officiel mourait peut-être, mais pas les gens qui lui avait donné vie. Le contraste entre les deux aurait dû rendre évident à tou.te.s que la presse était toujours vivante dans notre publication, tandis que le journal étudiant serait devenu moribond. J'étais émue par sa proposition, mais personne ne la discuta. Nous étions simplement trop occupé.e.s. Nous n'avons pas apporté le journal chez l'imprimeur avant deux heures du matin, et nous n'en sommes pas reparti.e.s avant au moins cinq, et nous devions nous lever quelques heures plus tard pour cette manifestation que nous avions annoncé. Heureusement, Thurston ne s'était pas attendu à ce que le reste d'entre mette en place cette manifestation lorsqu'il l'avait proposé. Il arrangea tous les détails de ses fausses funérailles après être parti de l'imprimeur à cinq heures du matin. Un parent de ses ami.e.s tenait un funérarium. Il y alla a six heures du matin et expliqua au croque-mort qu'il avait besoin d'un cercueil, mais aussi de plusieurs couronnes et bouquets de fleurs pour une performance théâtrale. Il apporta tous ces accessoires en hâte sur le campus. Nous nous retrouvions tou.te.s, sauf Bess dans le bureau du journal à 8 heures, mais les copies du journal n'avaient pas encore été livrées à leurs boites étant donné l'heure tardive à laquelle nous avions apporté la maquette chez l'imprimeur. Elles n'arrivèrent pas avant 9 heures et nous avons passé cette heure là a les attendre anxieusement, étant donné que nos ''funérailles'' auraient été incompréhensible sans la moindre explication. Rhéa, nous rappela naturellement que des tracts auraient permit de résoudre tout ça. Nous étions tou.te.s épuisé.e.s, mais nous avons commencé plein.e.s d'enthousiasme. Thurston arriva en smoking, et Hugh portait un costume noir classique avec un chapeau noir comique. Daman et Minnie marchaient en tête en distribuant des exemplaires du journal. Hugh, Thurston, Alec & Lem portaient le cercueil qui était couvert de fleurs. Rhéa et moi étions à l'arrière avec des couronnes. Nous marchions très lentement, devant l'ensemble des bâtiments administratifs et des dortoirs. L'enthousiasme initial s'estompa. Ces fausses funérailles ont été une immense déception, même pour Thurston. Des étudiant.e.s s'arrêtaient brièvement, regardant le journal puis nous avant de reprendre leurs chemins. La réponse la plus commune était une indifférence glaçante Certain.e.s ont même dit des choses comme « retournez d'où vous venez ! » ou « qui est-ce que vous prétendez avoir ? » Personne ne dit quoi que ce soit de sympathique. J'avais espéré qu'il y aurait une longue procession d'un mile, mais pas un.e étudiant.e ne nous rejoint. Je ne pense pas que la faute en revienne à l'idée de Thurston. Nous aurions eu l'air encore plus ridicules à 8 si nous avions annoncé une ''manifestation de masse'' à la place de funérailles. Après avoir marché pendant deux heures, qui m'avaient semblé comme deux ans, la ''procession'' retourna là d’où elle était venue et le cercueil fut porté jusqu'au bureau des éditeur.ice.s. Lem et Alec en ressortirent, mais Hugh et Thurston restèrent à l'intérieur en fermant la porte derrière eux. Je me suis assise sur le banc. J'étais épuisée et j'avais envie de pleurer. Minnie demanda si nous avions tou.te.s lu la déclaration finale de la cheffe d'édition. J'ai commencé à lentement ramasser une copie et la feuilleter, pensant que j'avais déjà vu tous les articles la nuit précédente, quand j'éditais la maquette, mais je me suis souvenue que je n'avais pas vu l'édito de Bess. « Tu n'as pas besoin de fouiller Sophie, c'est en plein sur la première page, » me dit Minnie. Je me suis redressée. J'étais furieuse. Le titre au milieu de la première page disait « Nuances de gris. » La première ligne de l'édito de Bess disait, « Il n'y a pas de ''Noir et Blanc'', seulement des nuances de gris. » Mais ça ne s'appliquait pas aux directives de l'université, qui étaient le sujet de son article. Sa déclaration suivante disait, « Il y a des arguments en faveur de l'opinion de l'équipe éditoriale, mais il y en a aussi en faveur de celui de l'administration. » Ceux en faveur de l'équipe étaient qu'elle était constituée de ''journalistes relativement compétent.e.s'' et que la couverture avait été « généralement responsable et équitable. Mais la responsabilité et l'équité se sont effritées quand une partie des membres de l'équipe se sont engagé.e.s dans une campagne antimilitariste. » D'après Bess, les éditeur.ice.s, « incluant la soussignée assistante éditoriale, se sont convaincu.e.s qu'en imprimant des articles favorables au Général et a ses fichiers côte à côte avec ceux qui lui étaient hostiles, le journal exprimait les deux aspects de la question. » Mais il ne s'agissait pas vraiment de deux faces d'une même question, d'après Bess, étant donné que l'administration avait rendu clair que les deux genre d'articles créaient une image endommageant la réputation de l'université. « Pourtant, les éditeur.ice.s et l'équipe ont voté en faveur de l'exclusion du point de vue de l'Université. » J'ai demandé, « Qui a mit cette merde en première page ? » Alec répondit : « Hugh l'a tapé, édité et mis en page au milieu de la première page de manière à ce que le dernier numéro ne gâche pas la tradition d'équité du journal. » « Mais c'est plein de déformations et de mensonges éhontés ! » je dit. « Hugh a dû apprendre que nous aurions tou.te.s voulu le laisser de côté, » dit Alec. « C'est la raison pour laquelle il ne nous a pas laissé le voir avant de le mettre au milieu de la première page. » J'avais la nausée. Non seulement j'avais espéré qu'une procession longue d'un mile aurait suivi notre cercueil, mais j'avais aussi espéré que notre action semblerait parfaitement évidente lorsque la manifestation finirait. Que nous saurions quoi faire ensuite, mais rien n'était clair à l'exception du fait que mon projet était fini. Il avait fini aussi abruptement que mon activité à l'usine de carton avait fini quand nous avons été arrêté. À ce moment là, j'en voulais à Hugh pour l'échec de la manifestation : Je m'étais convaincue que nous aurions eu du soutien, une grande quantité, si l'argumentaire de Bess n'était pas apparu en plein milieu de la première page. Mais plutôt que de faire irruption dans le bureau d'Hugh, je me suis allongée et j'ai fermé les yeux. Ma fatigue était plus grande que ma colère. J'ai dû m'assoupir parce que je n'étais pas consciente jusqu'à bien plus tard de l'étrange suite d'événements qui allait avoir lieu. Hugh et Thurston avaient été dans le bureau de l'éditeur pendant plus d'une heure. Je savais vaguement qu'à un moment, Thurston avant demandé à Daman et Alec de les rejoindre et qu'un peu plus tard, Lem a aussi été appelé. Mais je n'ai pas réagi au fait que Rhéa, Minnie et moi avions été laissées dehors, moi endormie, Minnie et Rhéa se demandant pourquoi mais bien trop hostiles l'une envers l'autre pour en discuter. Je me suis réveillée quand Alec sorti en colère du bureau, claquant la porte derrière lui. « Qu'est-ce qui peut bien se passer là dedans ? À quoi correspondent tout ces cris et pourquoi est-ce que nous ne sommes pas à l'intérieur ? » lui demanda Minnie. Alec s'assit à côté de moi. Je pouvais voir qu'il était agité. « Est-ce que vous vous battiez à propos de cet édito stupide ? » j'ai demandé. « Je vais te dire ce qu'il s'y passe à l'intérieur ! » dit-il. « C'est la merde la plus sale que j'ai jamais vu. Hugh et Thurston avait préparé une stratégie dégueulasse quand Daman et moi avons été appelé. J'ai tellement insisté qu'ils ont abandonné, mais Thurston les a alors convaincu toux les quatre d'accepter un plan encore plus horrible alors je suis sorti. » « Est-ce que tu peux te calmer assez pour nous en parler ? » lui demanda Minnie. « Thurston a eu cette idée que nous devions publier un journal hors du campus... » commença Alec. Rhéa l’interrompit pour dire, « Ce n'était pas l'idée de Thurston, mais la mienne Alec ! » « Ça l'était ! Je m'en souviens maintenant. Sophie était la seule qui a répondu quand tu l'as suggéré. C'était ton idée. Maudis soient-ils ! » Disant ça, Alec remua son poing en direction de la porte du bureau. « Et bien ils te l'ont volé, Rhéa. C'est ce qui arrive. Thurston adore ton idée, mais il ne veut pas que tu en fasses partie. Il a convaincu Hugh que si toi et Lem étiez tou.te.s deux dans l'équipe, il abandonnerait rapidement, Hugh serait dépassé et le journal deviendrait une feuille de propagande, et quand Thurston parle de ''feuille de propagande'', il y donne l'air de parler de papier toilette souillé de merde. Même s'il ne l'a pas dit de cette manière, tu dois bien savoir qu'Hugh doit faire des cauchemars où il se retrouve piégé dans un journal aussi biaisé, juste et responsable. Il a ces putains de mots gravés dans le crane. Il pense qu'il édite toujours le journal universitaire. Quand ils nous ont convoqués avec Daman, Thurston nous a dit que nous allions publier ce journal hors-campus, nous tou.te.s, à l'exception de Lem et Rhéa. J'ai demandé ce qui n'allait pas avec Lem et Rhéa. Cet ordure de Daman grimaça sans rien dire. J'ai dit à Hugh et Thurston que je ne comprenais pas. Hugh me dit ces conneries à propos de ne pas publier une feuille de propagande, et là je comprends. Je commence à hurler, à dire à Hugh et Thurston de ramper jusqu'à l'administration pour leur demander pardon et leur supplier d'être réembauchés dans le journal publié par l'administration. Je leur dis qu'ils s'apprêtent à faire à Lem et Rhéa exactement ce que l'administration viens juste de nous faire. Hugh a prétendu qu'il n'y avait jamais pensé, et a dit que j'avais raison. Je défends que si nous allons publier ce genre de journal, nous nous devons d'inclure chaque membre de l'équipe renvoyée, même Bess, si elle ne s'apprête pas à se vendre à l'équipe éditoriale de l'administration. À ce moment là, Thurston a appelle Lem dans le bureau et j'ai eu l'impression d'avoir gagné la dispute. Mais Thurston est rusé comme un renard. Il explique l'idée à Lem et lui dit que tous les hommes de l’équipe vont publier un journal hors-campus. Ce borné de Lem lui dit qu'il comprend ça, et commence à parler d'à quel point il est dangereux de publier ce qu'il appelle un journal underground, beaucoup trop dangereux pour des femmes. Thurston a eu ensuite besoin de le calmer quand il a embrayé en parlant de journal révolutionnaire underground. Je lui ai hurlé dessus qu'il était un con. Je lui ai dit qu'une minute plus tôt, c'était lui qui était exclu, mais je peux voir qu'il se réjouit de son inclusion. C'est peut-être ton camarade et tout ça, Rhéa, mais tu peux pas nier que le salaud est un idiot ! Quelle petite merde ! C'est pas comme si je comprenais pas leur jeu ! Thurston pense que Lem et Daman ne voteront jamais pareil. Ça veux dire que le vote sera toujours 3 à 2 et Thurston et Hugh gagneront toujours. Si vous étiez toutes les trois inclues, ça pencherait la balance dans l'autre sens. C'est pour ça qu'illes vous laissent en dehors et que je me casse. Sans moi, le vote serait toujours 3 à 1 et ils ne peuvent pas le supporter ! » « Mais Daman n'a rien dit ? » demanda Minnie. « Ils peuvent avoir ce salaud là aussi ! » dit Alec. « Non, il n'a pas prononcé un mot. Il reste planté là à écouter. C'est pour ça qu'ils le voulaient lui là dedans plutôt que toi. » Alec me pressa la main et me dit, « Je te parlerai une autre fois, Sophie. Je ne peux plus supporter cet endroit. » puis il parti du bureau. J'ai commencé à pleurer. La porte du bureau de l'éditeur s'ouvrit et Lem en sorti, grimaçant et ayant l'air d'avoir l'intention de confirmer la description que venait d'en faire Alec. « La presse est morte ! Vive la presse ! » cria t-il. Aucune de nous trois ne répondit. Nous l'avons regardé avec une hostilité intense. Il continué, révoltant d'autosatisfaction : « J'aimerai annoncer la naissance d'une nouvelle publication née de la coquille de l'ancienne. Ce sera un journal underground, et deux noms sont considérés : L'étincelle que j'ai suggéré, et Omissions suggéré par Hugh. La majorité vota pour Omissions étant donné que la tâche spécifique de ce journal underground sera de publier des informations qui à partir de maintenant seront omises du journal officiel estropié. » « C'est un titre parfait, » lui dis-je. « Il a commencé sa carrière en omettant la moitié des gens qui auraient dû être dedans. » Rhéa s'est levée et à commencé à marcher lentement vers Lem. Elle avait l'air d'avoir envie de l'étrangler. À trente centimètre de lui, elle lui dit à travers les dent et avec la bouche presque fermée : « C'était mon idée de publier ce journal. » Elle s'est ensuite mise à trembler. Je lui ai demandé si ça allait. Elle est sortie du bureau, les yeux rouges de rage. Elle avait l'air hystérique. Aujourd'hui, il me semble étrange que Lem et Rhéa aient pu être si engagé.e.s dans ce journal. Le projet qu'il portait avait bien plus en commun avec mes idées qu'avec les leurs : C'était moi qui était en faveur d'imprimer les faits omis et de laisser les informations scandaleuses parler d'elles mêmes. Laisser les faits parler d'eux-mêmes et les lecteur.ice.s tirer leur propres conclusions entre en conflit avec leurs engagements politiques. Dès que Rhéa sorti, Lem se tourna vers moi et essaya de m'expliquer que l'idée d'exclure quiconque n'avait pas été la sienne. Ça avait été décidé sans lui, puis ils s'est mis à parler des dangers de publier et distribuer un journal ''underground'' : « Des réactionnaires pourraient attaquer les bureaux du journal à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, des gros bras pourraient nous attaquer pendant que nous le distribuons. » Je lui ai tourné le dos et il est sorti du local. Daman sorti du bureau de l'éditeur en ayant l'air d'un chien qui venait juste de se faire battre, trainant les pieds, sa tête se balançant d'un côté à l'autre. Thurston était derrière lui, lui tapant dans le dos en disant : « à la semaine prochaine, » se précipitant en dehors du bureau avec un sourire en coin victorieux. Minnie s'approcha de Daman en criant, « Traitre ! » le frappant deux fois au visage, si fort que j'ai sursauté chaque fois, et elle aussi partie en courant du bureau. Je suis restée sur le banc, fixant des yeux la machine à écrire que j'avais tant utilisée. Je me suis retournée quand j'ai entendu Hugh sortir de ce qui avait été son bureau aussi longtemps que j'avais fait partie de cette équipe. Il était surpris de me voir. Il portait une grande quantité de papiers qu'il avait récupéré. Il avait les larmes aux yeux. Détournant son regard du mien, il dit, « je suis vraiment désolé, » puis s'éloigna lentement. Il n'était plus qu'un autre étudiant maintenant. Pour moi, il était toujours l'éditeur. Je me suis retrouvée seule avec les machines à écrire, le bureau en forme de U au milieu de la pièce, les portes des bureaux de l'éditeur, et les pages punaisées au mur avec les erreurs entourées de rouge. J'ai pleuré. La machine à écrire, le bureau, les murs et les gens avec qui j'avais passé tant de journées trépidantes allaient me manquer. Je ne m'étais pas sentie si seule et exclue depuis la nuit où j'étais allée à la plage avec Ron et Sabina et que j'étais rentrée à la maison en marchant seule après que Ron ai encastré la voiture de son père. J'ai commencé à penser que le bureau leur manquerait à tou.te.s, mais la pensée qu'Alec ne nous avait pas dit la vérité à propos de ce qui venait de se passer dans le bureau d'Hugh m'est venue. Je m'étais convaincue qu'ils n'avaient pas voulu exclure Rhéa, mais plutôt Minnie et moi, et qu'elle n'avait été exclue que pour sauver les apparences. Ils s'étaient tous retournés contre Minnie et moi car nous étions celles qui avaient provoqué la répression par nos articles. Je m'étais convaincue que c'était de notre faute et que nous avions détruit le journal pour tou.te.s les autres. Je ne pouvais me résoudre à accepter l'explication d'Alec pour mon exclusion. Je ne pouvais me résoudre à croire que j'avais été exclue du journal ''underground'' parce que Thurston comptait les votes. Je ne pouvais accepter cette explication parce que cette exclusion voulait tant dire pour moi, et ses motifs semblaient si mesquins. Mon exclusion d'Omissions par mes propres ami.e.s était plus douloureuse que mon exclusion du journal universitaire par l'administration. Non seulement celle-ci était plus personnelle, mais aussi parce qu'il s'agissait d'un projet initié par des gens qui allaient s'y engager, là où le journal étudiant était une institution qui avait existé avant que n'importe qui d'entre nous ne le rejoigne et n'était donc pas notre projet. J'étais blessée parce qu'Omissions était précisément le genre de projet que j'avais espéré trouver quand je me suis inscrite à l'Université. Il me semblait qu'il était identique à celui auquel j'avais prit part des années plus tôt avec toi, Jasna et les autres à la fabrique de carton, lorsque nous formulions nos objectifs et nos stratégies, imprimions nos propres affiches et les distribuions nous-mêmes. Je me retrouvais exclue de la seule communauté authentique que j'avais trouvé ici, la seconde que j'avais trouvée au cours de l'ensemble de ma vie. Je reconnais maintenant la validité de ta critique de mes activités précédentes. Je n'en comprenais pas le contexte dans lequel elles ont eu lieu et je n'étais pas au fait des motifs qui animaient les gens autour de moi. Mais je ne pense pas que tu peux m'imputer leurs motifs. Les activités à la fabrique de carton n'étaient une marche sur une échelle bureaucratique pour moi, et à la différence de Véra et Marc, je ne me suis pas élevée dans aucune hiérarchie. Mon désir de participer à Omissions n'était pas motivé par aucune ambition bureaucratique. J'étais peinée par mon exclusion non seulement parce qu'elle me privait des d'opportunité ou conforts, mais parce qu'elle me privait d'un projet, d'une communauté, d'une activité indépendante authentique. J'étais assise dans le bureau à pleurer parce que mon projet avec toi, Jasna, Véra et Marc allait demeurer le seul projet authentique auquel j'aurais prit part. Je comprend le récit de Jasna. Je l'ai même continué en te racontant qui était Daman et ce qu'il était devenu. Je suis certaine que je serais tout aussi déçue si j'apprenais ce que les autres personnes de l'équipe éditoriale font aujourd'hui. Mais ce n'est pas le sujet. L'activité que je voulais partager avec elleux n'était pas composée de leurs traits de caractère, pas plus que l'activité à l'usine de carton était composé des ambitions bureaucratiques de Marc ou Véra, et quoi qu'illes soient devenu.e.s depuis, tu ne peux pas m'arracher ce que j'ai expérimenté, parce que ce dont j'ai fait l'expérience était mon projet et non leurs ambitions. Ce que je ne semble pas capable de te communiquer c’est que j'ai cherché toute ma vie quelque chose qui soit complètement mien. C'est un projet significatif inscrit dans une communauté. Lorsque je te dis que j'ai appris la possibilité d'un tel projet et d'une telle communauté lors de ces jours passés avec toi, je ne fais que te raconter un fait à propos de ma vie, un détail biographique. Je ne te dis pas ça de manière à glorifier ces gens spécifiques ni ce projet en tant que tel. La raison pour laquelle je me suis sentie si misérable quand j'ai été exclue du journal hors-campus était parce que je me retrouvais privée de quelque chose que j'avais appris à désirer plusieurs années auparavant. Ce n'avait rien à voir avec les titres de Véra ou Marc, mais avec l'activité et les relations humaines. Ce que j'avais appris à vouloir n'avait pas de rapport avec les affiches ou les journaux. Après mon exclusion d'Omissions, je suis devenue désespérée et j'ai papillonnée d'un monde d'activité à l'autre à la recherche d'un tel projet et d'une telle communauté Je l'ai recherchée avec Alec au sein de l'Université elle-même, et nous avons tou.te.s deux été renvoyées. Je l'ai recherché en essayant de correspondre avec toi et ai échoué à t'atteindre. Je l'ai recherché dans un monde fictif que je m'étais inventée mais je n'ai jamais terminé mon roman. Enfin, je suis allée dans le milieu dans lequel Sabina et les sien.ne.s vivaient, toujours à la recherche de ce genre de vie que j'avais appris à désirer durant ces quelques jours que j'ai passé avec toi il y a vingt ans. Il faisait nuit quand je me suis finalement résolue à sortir du bureau, et rentrer à la co-op. Je me suis endormie aussitôt après avoir atteint ma chambre, et j'ai dormi pendant l'ensemble du jour suivant, un Samedi. Alec est venu peu après que je me sois réveillée. Nous avons dîné dans un petit restaurant et sommes parti marcher à travers le campus. C'était le début du printemps, comme maintenant. Le campus était désert. Nous avons mécaniquement retracé les pas de la procession funéraire de la veille. Longtemps, nous avons seulement marché en silence. Puis Alec a commencé a exprimer des pensées qui faisaient parfaitement écho aux miennes « C'est amusant, » dit-il. « J'ai toujours pensé que publier ce journal était une quantité de travail immense et n'y ai jamais pensé comme quelque chose de terriblement amusant. Parfois, je me suis même demandé si ça valait la peine d'y mettre autant de nous. Mais maintenant que c'est terminé, je ne pense pas que je pourrais supporter de rester ici. » « Je sais que moi non, » dis-je. « Je sais que je vais détester ça. » Nous nous sommes assis.e.s sur les marches du bâtiment de l'administration, les mêmes que celles où étaient les étudiant.e.s en grève d'il y a quelques jours lorsque Daman leur donna un cours sur le point de production. « Pourquoi est-ce que nous ne ferions pas quelque chose ensemble, juste toi et moi ? » demanda Alec. « Je pensais justement à la même chose. Je pensais à ce professeur militaire et ses dossiers. » « Tu veux dire, écrire plus d'articles sur lui ? J'en ai marre de ça, » dit Alec. « Mais tu n'as pas écrit aucun de ces articles, » lui rappelais-je, en riant. « Non, je ne pensais pas à écrire plus d'articles. Je pensais que toi et moi pourrions assister à l'une de ses classes et lui poser des questions sur ses dossiers. » Ce n'était pas une suggestion si audacieuse. Dans les dernières années, des étudiant.e.s ont posé des bombes dans de tels dossiers. Alec fut enchanté par ma suggestion. « Ça va l'enrager ! » dit-il. « Il pourrait même essayer d'exterminer une poignée de rouges directement dans sa salle de cours. Est-ce que ça ne te fais pas peur ? » « Tu viens juste de dire que tu ne serais pas capable de rester ici plus longtemps si on ne faisait pas quelque chose comme ça, » lui ai-je rappelé. Alec devint tout excité. « Si ça fonctionne, nous pourrions aller rendre visite à d'autres cours et faire de même. Je peux déjà penser à au moins une douzaine dans lesquelles j'aimerai aller faire ça. Ces salauds suffisants sont toujours là à demander si quelqu'un.e à une question, et illes ont tellement l'habitude d'entendre des grattes papiers leur dire qu'illes n'ont pas eu la chance de pouvoir écrire chacun des mots sortis de leur bouche. Merde, peut-être que d'autres étudiant.e.s pourraient apprendre comment poser des questions. Cet endroit devrait fermer ! » Nous avons continué à spéculer sur les effets possible de notre activité jusqu'à tard dans la nuit et avons décidé de commencer notre projet le lundi suivant. Nous n'avons pas parlé du genre de questions que nous poserions, ni de de ce que nous ferions si nous nous faisions sortir ou si le professeur ne nous demandait pas. Nous n'avions rien préparé, et avions simplement décidé d'assister à la classe du général. Ce Lundi, j'ai décidé de sécher encore une fois l'ensemble de mes cours. Quand Alec est venu me chercher à la co-op, je pouvais voir qu'il était aussi nerveux que moi. Nous nous sommes à peine parlé.e.s. Nous avons trouvé la salle dans laquelle le cours du général était supposé avoir lieu et avons pris place comme si de rien n'étais, au dernier rang. Nous n'avons pas réussi notre tentative de passer inaperçu. La pièce c'est progressivement remplie de jeunes hommes à l'allure identique en costumes et cravates, tous avec des cheveux coupé courts. Alec portait un jean et un t-shirt et j'étais la seule femme dans la pièce. Les étudiants n'arrêtaient pas de se retourner pour nous regarder, et plusieurs d'entre eux on fait des gestes obscènes Je ne sais pas si ces gestes signifiaient qu'ils avaient deviné qui nous étions ou si les gens dans cette classe étaient automatiquement vicieux à l'encontre de femmes où d'hommes habillés ordinairement. Pour moi, ils avaient tous l'air de marines assoiffés de sang, et je suis certaine que tous ont maintenant exterminé d'innombrables êtres humain.e.s dans des champs de bataille distants. Le professeur ne nous prêta simplement pas attention, prétendant que nous n'étions pas là. Il fit cours pendant l'ensemble de l'heure et ne demanda pas s'il y avait des questions. Je ne pouvais pas croire ce que j'entendais. J'étais au courant que de telles personnes existaient, mais je n'avais jamais parlée avec l'une d'elle et n'avais jamais prêté attention à la littérature militaire. Cet homme parlait du massacre de millier de personnes comme s'il s'agissait d'un jeu d'échecs. Si quelqu'un.e ne peux pas distinguer les gens des cafards est un psychopathe lorsqu'il commence à parler d'exterminer la vermine, alors ce professeur était le plus dangereux que j'ai jamais vu. Je n'aurais pas pu lui poser une question même si j'en avais mémorisé une. Je me sentais exploser en morceaux, être brulée vivante ou transpercée de balles par les armes qu'il décrivait. Il m'a glacé les os. Je ne pense pas avoir jamais eu aussi peur. J'ai vomi en rentrant à la maison. Alec n'a pas perçu le cours de la même manière. Quand l'heure était presque terminée, il est devenu impatient et a levé la main. Comme le professeur ne l'a pas interrogé, il l'a interrompu en criant : « Pourquoi est-ce que vous ne parlez que de ces endroits aussi lointains, professeur ? Pourquoi est-ce que vous ne décrivez pas ce que ces armes pourraient faire ici dans cette ville, quand vous commencerez à tuer tou.te.s ces ennemi.e.s sur lesquel.le.s vous gardez des dossiers ? Parlez nous de brûler certaines parties de cette ville. Certain.e.s d'entre nous ont peut-être des parents qui y habitent. Ça nous aiderai à bien mieux comprendre le cours » Alec suait quand il termina, et commença a trembler comme une feuille. Le professeur s'arrêta tandis qu'Alec parla, puis il l’ignora complètement et continua son cours, comme s'il venait d'être interrompu par un psychopathe. Quand la cloche sonna, il s'approcha de nous et dit qu'il ne se souvenait pas nous avoir jamais vu dans son cours avant, et demanda si nous étions inscrit.e.s. Alec lui dit que nous considérions nous inscrire pour le semestre suivant, mais avant de faire ainsi, nous avions voulu entendre l'un de ses cours, et l'ayant fait nous n'étions plus intéressé.e.s. Le professeur dit alors que nous ne pouvions pas « juste entrer comme ça dans une classe, » et que nous devions d'abord avoir la permission des autorités compétentes. Quand nous sommes sorti.e.s, 5 ou 6 des étudiants nous attendaient. En dépit de leurs costumes et cravates, ils avaient l'air d'une meute de chiens vicieux, aux cheveux de soie. J'étais effrayée. Depuis ce jour, j'ai sympathisé avec quiconque préconisait que la population devait ''se procurer des flingues et se protéger'', même dans des situations où ce slogan était complètement inapproprié. Et j'ai certainement eu de la sympathie pour n'importe quelle guérilla n'importe où dans le monde qui a jamais abattu l'un de ces monstres. Alec avait peur aussi. Nous n'avons pas échangé de mots avec eux. Alec prit ma main et nous avons commencé a courir sans regarder en arrière pour voir s'ils nous suivaient. Nous avons couru vers la voiture d'Alec, conduit jusqu'à la co-op et je me suis précipitée aux toilettes pour vomir. Nous ne savions pas si nous devions considérer la première étape de notre projet comme une réussite partielle ou une erreur complète, et nous n'avons pas eu le temps de l'évaluer, ni la chance d'essayer une autre approche. Deux jours après notre visite au cours militaire, l'un des journaux de la ville publia une longue histoire sur notre escapade. L'histoire était si distordue que si nous n'avions pas connu la mentalité de ses auteur.e.s, nous ne nous serions pas reconnu dedans. Les quelques faits qui étaient dans l'histoire devait venir des dossiers du professeur, et mêmes ceux là étaient faux. Je me suis rendue compte que ces fichiers autour desquels nous avions fait autant de bruit n'auraient pas été d'une grande utilité pour quiconque. Le titre était ''Des agitateur.ice.s extérieur.e.s interrompent un cours à l'Université.'' le nom des agitateur.ice.s étaient ''Miner Vach'' et ''Sophia Narcalo,'' c'est-à-dire les auteur.e.s des articles qui étaient parus dans le journal de l'école, tels qu'appelés par les reporters de la ville ou celle du professeur. L'article décrivait les deux agitateur.ice.s comme chef.fe.s de la ''cellule'' qui avait temporairement noyauté la publication étudiante. D'après l'article, l'université avait prit des mesures rigoureuses pour débarrasser l'équipe du journal de tou.te.s ''communistes, homosexuel.le.s, leurs compagnon.ne.s de route et autres agitateur.ice.s extérieur.e.s'' et avait rendu la publication à ''la communauté étudiante''. En revanche, l'article observait critiquement que les mesures de l'Université n'avaient pas été assez vigoureuses, étant donné que des ''éléments dangereux étaient toujours permit d'errer dans notre université, parmi nos fils et nos filles, parmi les futur.e.s chef.fe.s''. Le dernier paragraphe déclarait que ''Miner Vach et consort'' n'étaient de toute évidence pas des étudiant.e.s, sans pour autant expliquer ce qui rendait la chose évidente, sans doute le nom qu'illes avaient choisi pour lui. L'article se concluait en décrivant Miner et son acolyte comme des éléments dangereux envoyé.e.s pour défigurer les esprits de l'ensemble des jeunes générations et qui ne s'arrêteraient à rien dans leur tentative détermine de mettre fin à l'Université. Il s'agissait là d'un exemple de journalisme tel que pratiqué en dehors de l'Université. Nous avions été renvoyé.e.s de l'équipe éditoriale de manière à être remplacé.e.s par des gens aspirant à faire ce genre de choses. Le matin suivant, Alec et moi nous furent servi des citations à comparaître de la part de l'administration universitaire, ou quelque chose juste comme ça. Un courtier nous apporta à tou.te.s les deux des feuilles nous disant de nous présenter dans le bureau du président ''immédiatement''. Alec arriva aussitôt qu'il reçu la sienne et nous avons discuté de ce que nous allions faire. Notre premier réflexe a été d’ignorer l'invitation du président, mais après coup, nous voulions tou.te.s deux avoir un goût de cette expérience. Aucun.e de nous n'avait jamais vu le bureau du président de l'université et nous étions certain.e que quoi qui puisse s’y passer, ça ne pouvait pas être aussi terrifiant que le moment où nous sommes sorti.e.s du cours du général pour faire face à une meute hargneuse de ses étudiants. Nous ne nous sommes pas habillé.e.s spécialement pour l'occasion, mais je dois admettre que le président aussi bien que sa secrétaire étaient très ouvert.e.s là dessus. La secrétaire nous dit, « Le président sera avec vous dans un instant, asseyez vous s'il vous plait, » indiquant que nous devions nous poser dans nos jeans sales sur les chaises rembourrées du bureau tapissé. Le président entra et se présenta en nous serrant la main tandis que nous sommes resté.e.s assis.e.s. Il nous a demandé si nous voulions du café. « Oui, s'il-vous-plait, » avons nous deux répondu simultanément. Plus tard, Alec me dit qu'il aurait espéré avoir pensé à lui demander aussi un petit déjeuner. Le président sorti lui-même et revint quelques minutes plus tard avec deux tasses de café, un pichet de crème et un bol de sucre. Apparement, il n'allait pas nous accompagner. « Est-ce que vous nous avez convoqué ici pour nous servir un café ? » demanda Alec. Sur un ton plein d'excuse, le président dit « Oh, cette note. Oui, elle était un peu excessive. Nous voulions simplement faire mieux votre connaissance. » Il souri en coin et ajouta, « j'espère que ça ne vous dérange pas. » « Oh non pas du tout, » dis-je. « Le café est excellent et cette pièce est merveilleusement décorée. Je ne serais pas dérangée d'avoir a venir chaque matin. » « Oui, bien, » continua le président, « Je devrais vous dire que je vous comprend parfaitement jeunes gens. J'étais moi même un fanfaron dans mes années étudiantes. » Alec ricana et le président fit une pause. « En revanche, » dit-il ensuite, « vous devez comprendre que nous devons faire face à certaines réalités. » Alec et moi ne comprenions évidement pas ça. Si ça avait été le cas, nous ne serions pas là à boire du café dans le bureau du président. « Réalités, comme l’hystérie militaire actuelle ? » demanda Alec. « S'agit-il d'une université où d'un baraquement de l'armée ? » « Je comprend parfaitement votre argument, » dit le président. « En revanche, il y a certaines considérations politiques, et aussi des financières. » « Les politiciens hystériques pourraient vous renvoyer et les entreprises profitant de la guerre paient votre salaire, c'est ça que vous voulez dire ? » demandai-je. Mon commentaire l'irrita légèrement. Il dit : « Je peux voir que vous êtes tou.te.s deux réluctant.e.s à faire face à ces réalités. » Puis il revint immédiatement à son ton précédent, ne voulant pas que nous pensions qu'il était diabolique. « Votre point de vue est justifié à bien des égards, je pourrais même dire admirable. J'ai malheureusement certaines responsabilité et l'Université aussi envers une communauté bien plus large et votre attitude sans compromis rend les choses difficile, pour moi, et pour l'université toute entière, de mener à bien ces responsabilités. » Je me suis énervée et ai dit : « Si vous pensez que nous allons compromettre nos attitudes... » « Oh, non, » dit-il en m'interrompant. « Rien de la sorte. Je voulais simplement mieux vous connaître. De mon point de vue, cet entretien a été complètement satisfaisant. » Il se leva et nous serra la main à nouveau, disant « Je vous souhaite honnêtement un grands succès dans vos efforts. » Je n'ai certainement pas regretté d'avoir accepter l'invitation du président : Je n'avais jamais jusqu'à présent rencontré une personne si dénuée de principes, un politicien si parfait. Le matin suivant, le même courtier qui nous avait apporté nos invitations apporta à Alec et moi des notes nous informant que nous étions renvoyé.e.s de l'université. Ni lui ni moi n'étions terriblement en colère pour ça. Nous nous étions déjà senti.e.s exclu.e.s lorsque la directive de l'administration nous avait fermé les portes du journal, et aucun.e de nous n'avais voulu demeurer dans l'université sans travailler dans au journal. Alec trouva un appartement et déménagea hors du campus le jour même de cette note, et quelques jours après ça, il avait déjà un boulot dans une usine. Il m'a demandé d’emménager dans son appartement mais je savais que j'aurais fait une erreur terrible en faisant ça. Nous n'avions jamais discuté la question du mariage et je savais qu'il serait déjà trop tard pour l'avoir le jour après avoir emménagée avec lui. Au delà de mon absence de désir de devenir une femme, je ne voulais pas quitter l’environnement universitaire si rapidement pour plusieurs raisons. Avant tout, parce que je voulais voir comment le journal fonctionnerai une fois purgé, mais aussi parce que je voulais être présente sur le campus lorsque le premier numéro d'Omissions paraitrait. Et puis j'avais commencé à écrire à nouveau pour mon roman, et cette fois-ci, c'était mon expérience dans l'équipe de rédaction qui était le sujet central, et j'avais peur que si je me retirais complètement de cet environnement, je perdrais tout désir de continuer à travailler dessus. Le journal universitaire ne parut pas pendant une semaine, mais quand il le fit, il avait l'air d'être exactement le même que celui que nous avions publié. Je dois admettre que ça m'a déçu. J'aurais pensé que par un moyen ou un autre, son apparence même aurait révélé ce qu'il était devenu. Bess Lach n'avait pas seulement été acceptée dans la nouvelle équipe, mais elle avait été nommée éditrice des nouvelles, une position seulement un cran en dessous que son poste précédent. Je supposais que le journal avait l'air si similaire au notre parce que Bess avait ait l'ensemble de l'édition aussi bien que la maquette, mais je ne donne peut être pas assez de crédit à ces dociles étudiant.e.s en journalisme sélectionné.e.s parmi les fraternités et sororités. Bien sûr le journal n'avait pas le genre d'articles que Daman, Alec, Minnie ou moi avions écrit, mais l'ensemble de nos numéros n'avaient pas eu de tels articles non plus, et tout nos articles n'avaient pas non plus été des chefs-d'œuvres. Quelques jours plus tard, le premier numéro d'Omissions paru. Ça m'a aussi déçu : C'était si petit ! Seulement deux pages de taille standard, avec des articles tapés à la machine. Mais la maquette était magnifique et les articles étaient amusants à lire. J’avais été particulièrement émue par la description d'intention qu'Hugh avait fait pour le journal et la colonne humoristique de Thurston était hilarante. J'avais appelée Minnie pour savoir si elle savait quand est-ce que ce premier numéro allait paraître. Elle m'a dit qu'elle et Daman étaient devenu.e.s ami.e.s à nouveau et qu'elle allait aider à distribuer le journal. Illes s'étaient vu refuser le droit de le distribuer sur le campus, en conséquence de quoi illes allaient le distribuer en face du bâtiment de l'administration, de l'autre côté de la rue, c'es à dire le côté qui n'est pas sur la propriété de l'université. J'y ai rejoint Minnie et Daman. Sans me le faire demander, j'en ai pris une pile et ai commencé à distribuer des exemplaires aux étudiants qui vivaient dans les maisons de fraternités en face du bâtiment de l'administration. Hugh et Lem en distribuaient à l'autre bout du campus aux étudiant.e.s qui venaient à l'école en voiture. Le journal était distribué gratuitement, comme la publication officielle de l'école, mais l'édito demandait aux gens de s'abonner de manière a aider a défrayer les coûts d'impressions, qui étaient payés par les éditeurs. Quand nous en sommes venu.e.s à manquer d'exemplaires, Daman m'a demandé de venir à la prochaine réunion qui aurait lieu chez Hugh. Je n'ai pas dit que j'irai. Je pensais à Rhéa et Alec. Je ne voulais pas être l'une de ces personnes qui les aurait trahi. Mais je ne pouvais pas rester éloignée. Minnie et Daman sont venu me chercher le jour où le second numéro devait être mis en page. Quand je suis rentrée avec elleux, Thurston et Hugh se sont comportés comme si ma présence était prise pour acquis. Je me suis assise en silence pendant qu'illes discutaient du contenu à inclure dans le numéro. Il n'y avait pas de débat, pas de cliques, ni majorité ni minorité, et aucune raison de voter. Hugh m'a demandé d'écrire un article, mais c'est là que j'ai posé ma limite : J'étais intéressée à aider avec la frappe et la distribution, mais je refusais de devenir l'une des éditeur.ice.s. Je sortais avec Alec une fois par semaine. Je lui ai dit que je prenais part à la distribution d'Omissions et lui ai donné un exemplaire à chaque fois qu'il sortait Je ne lui ai pas dit que je prenais aussi part à la production du journal. J'avais honte de lui dire ça. Je me suis aussi sentie honteuse plusieurs fois à la co-op lorsque Rhéa m'a vu partir avec Daman et Minnie pour chez Hugh. Elle devait savoir que j'allais travailler sur ce journal hors-campus qu'elle avait originellement suggérée. J'ai prit part à la production du journal tout en continuant d'y être étrangère, non seulement à mes yeux, mais aux leurs aussi. Après le second numéro, les quatre éditeurs aussi bien que Minnie n'ont pas cessé de me presser à écrire des articles et prendre part aux décisions, mais j'ai continué de refuser. Je ne pouvais simplement pas me résoudre à oublier la manière dont ce journal avait commencé et mon échec à participer dans ces activités ne les laissait pas le faire non plus. Illes me parlaient rarement, comme s'illes avaient peur que je soit contrariée par quelque chose qu'illes auraient dit, ou même le ton avec lequel illes l'auraient dit. Illes ne voulaient pas que je m'en aille. La production de ce petit journal était un travail difficile et j'étais devenu indispensable pour sa distribution à partir du troisième numéro. Daman et Lem avaient aidé à distribuer les deux premiers, mais ils avaient tous deux des cours le matin et Daman avait toujours été un bon étudiant. Lem retourna également à être un bon étudiant, bien que je ne puisse pas m'imaginer pourquoi étant donné qu'il a ensuite quitté l'université avant la fin de l'année. Puis bien sur, ce dandy bourgeois de Thurston n'y a jamais participé. Il aurait aussi tôt été un guérillero paysan. Distribuer un journal de l'autre côté de la rue de l'université était pour lui une activité digne d'agitateur.ice.s extérieur.e.s et d'organisateur.ice.s syndicaux et il était également hostile aux deux. La seule raison pour laquelle il s'est retrouvé en notre compagnie était la mentalité vouée à la chasse aux sorcières de l'époque interférant avec la capacité de la classe dominante à faire des blagues sur elle-même, ce qui était tout ce qu'il voulait faire. Il en résultait qu'Hugh, Minnie et moi étions les seules personnes à distribuer le journal. Minnie et moi avons continué à le distribuer de l'autre côté de la rue en face du bâtiment de l'administration, et Hugh de l'autre côté du campus. Quelle ironie. L'argument qui avait justifié notre exclusion avait été que la distribution d'un journal ''underground'' aurait été bien trop dangereux pour des femmes. J'ai bien vécu une expérience horrible avant que cette année ne se termine, que je te décrirai plus tard, mais celle-ci n'était en rien l'un des dangers anticipé quand notre exclusion avait été justifiée. Il y eu de nombreuses réponses favorable à la publication d'Omissions : plusieurs lettres d'encouragement, certaines discussions et questions posées par Omissions, une certaine croissance de la conscience politique dans l'équipe du journal officiel qui n'aurai jamais eu lieu si Omissions n'avait pas été publié et si il n'avait pas maintenu un standard de qualité si élevé. Je ne décrirais qu'une seule de ces réponses parce qu'elle est liée aux événements qui ont eu lieu longtemps après que le premier Omissions ai été oublié. Aux environs de la moitié de l'année, nous avons appris qu'un groupe d'étudiant.e.s dans une autre université avait eu vent de notre séries d'articles dans le journal de l'école, de la directive et des fausses funérailles. L'un.e de ces étudiant.e.s était l'un.e des abonné.e.s payant d'Omissions. Stimulé.e.s par notre exemple, ces étudiant.e.s ont commencé une publication similaire qu'illes ont aussi nommé Omissions. Illes n'étaient pas les ancien.ne.s éditeur.ice.s d'une publication officielle. Le journal officiel de cette université avait apparement toujours été auto-réprimée comme celle que celui d'ici est devenu après la directive. Une autre différence était que le genre d'articles qu'illes publiaient n'étaient pas comme ceux qui apparaissaient dans notre Omissions, mais plutôt dans le genre de ceux que Minnie et moi avions publié dans le journal officiel avant la directive., exposant les engagements militaristes et répressifs des professeur.e.s et départements académiques. Ce groupe d'étudiant.e.s ne se dispersa pas à la fin de l'année scolaire comme nous le firent. Illes ont continué leur publication. Son équipe aussi bien que son lectorat augmenta. Son nom changea plusieurs fois, de nouveaux. Les étudiant.e.s remplacèrent celleux qui terminèrent leurs études. Plusieurs années plus tard, l'ensemble de l'équipe éditoriale de la publication se retrouva élue au gouvernement étudiant. C'était la première fois de mémoire que des étudiants si radicaux étaient si prééminents. Ces étudiants. Devinrent les premiers porte-parole de ce qui devint ''le mouvement étudiant''. J'ai appris ça bien des années après la fin de l'Omissions originel, quand je me suis ré-inscrite à l'université. Je raconte tout ça parce que je comprends ce que tu veux dire quand tu décris notre activité à la fabrique du carton, ou la mienne dans l'équipe du journal, en tant que marche-pied vers une carrière politique. C'était ce dont il s'agissait pour Marc Glavni, Vera Neis et le groupe d'étudiant.e.s que je viens de décrire. Mais l'activité n'était pas un marche-pied en elle même, et je ne suis pas la seule à le savoir. Ces jour-ci, et que le mouvement étudiant est si grand, plusieurs de ses politicien.ne.s en écrivent l'histoire. Illes définissent invariablement l'origine du mouvement actuel dans la publication du premier numéro de l'Omissions publié dans cette autre université, qui paru plusieurs mois après le notre. Il y a une bonne raison pour laquelle illes situent là leurs origines : Ce groupe était un groupe de politicien.ne.s et les historien.ne.s sont des politicien.nes qui écrivent l'histoire de leurs ''pairs''. Illes ne mentionnent pas nos activités parce que nous n'étions pas des politicien.ne.s, parce que nous ne parlions que pour nous-mêmes. Illes le savent, je le sais, et je pense que tu devrais le savoir aussi. Si notre activité devait jamais être incluse dans une histoire, il ne s'agirait pas d'une histoire des politicien.ne.s mais une histoire bien plus vaste des tentatives des gens de combattre contre la répression par elleux-mêmes, pour elleux-mêmes et sans politicien.ne.s. Notre activité avait de nombreux défauts. Nos motivations n'étaient pas pures et nos réussites n'étaient pas si impressionnantes. Mais l'établissement de carrières politiques n'étaient pas ce qui nous motivaient et ce n'est certainement pas ce à quoi nous avons abouti comme résultat de cette activité. Quelques mois avant la fin de l'année scolaire, Lem Icel a annoncé qu'il allait quitter l'équipe d'Omissions ainsi que l'université. Il était l'un.e des étudiant.e.s sélectionné par son organisation politique pour assister à une conférence étudiante qui devait avoir lieu dans ta partie du monde. Je pensais que Lem avait quitté cette organisation au moment où il avait rejoint l'équipe d'Omissions et s'était embrouillé avec Rhéa, mais j'avais eu tort. À sa défense, il n'avaiT pas une foi laissé son engagement organisationnel définir ses relations avec les autres membres de l'équipe. Je m'étais admise à moi-même à contrecœur que les calcules de Thurston n'avaient pas été dénués de fondements : Si Lem et Rhéa avaient tou.te.s les deux été dans l'équipe, illes se seraient fait du chantage l'un.e à l'autre pour avancer les positions de l'organisation dans chaque question. Non pas que leurs positions auraient toujours été fausses. Mais illes auraient toujours été rigides et inflexibles en conséquence de quoi les discussions n'auraient pas eu les traits d'une authentique communication mais de gens hurlant à des disques phonographiques qui n'auraient fait que ce répéter. Mais même ça aurait été préférable au procédé d'exclusion qui avait eu lieu. Le voyage imminent de Lem me donna une idée. Je lui ai demandé s'il voudrait délivrer des lettres à tou.te.s les ami.e.s que j'avais connu 8 ans plus tôt. Je ne lui avais pas dit que j'avais été arrêté, ayant peur que Lem soupçonne que quelque chose n'allait pas avec mes ami.e.s, qu'illes étaient tou.te.s ''souillé.e.s'', tel que tu l'écriS dans ta seconde lettre. Lem était enchanté du fait que je lui ai demandé un service. Je ne lui avait jamais demandé de faire quoi que ce soit pour moi depuis le lycée. Il était également enthousiaste à l'idée de rencontrer des gens qui avaient autrefois été mes ami.e.s et étaient véritablement réjoui lorsque je lui ai dit qu'illes étaient des travailleur.se.s. J'avais deux semaines pour écrire des lettres à vous tou.te.s, à l'exception du jour que j'ai passé à travailler sur Omissions et le matin passé à le distribuer. Je n'ai rien fait d'autre pendant ces semaines. Le soulèvement de Magarna venait d'avoir lieu. Lem m'en avait parlé et les journaux de la ville avaient fait des articles de première page qui entraient en conflit avec chacun des détails du récit qu'il m'en avait fait. Je supposais que les deux récits étaient faux et certaines des descriptions du journal de la ville me donnaient l'impression que l'insurrection de Magarna était en quelque sorte une continuité de notre activité dans la fabrique de carton 8 ans plus tôt. En fait, l'intensité avec laquelle Lem nia certain détails m'a même poussé à supposer que ce qui se déroulait à Magarna allait bien au delà de tout ce dont j'avais pu faire l'expérience, et que c'était en fait une révolution qui avait lieu, aussi intense et profonde que celle que Luisa m'avait décrite. Ces soupçons ont bien sur été confirmé quelques années plus tard, quand j'ai lu des témoignages documentés sur la révolution de Magarna, mais à l'époque je n'aurai eu aucun moyen de connaître ces faits. Le plus proche que j'aurai pu atteindre aurait été de te contacter. J'ai fiévreusement écrit de longues lettres à chacun.e.s d'entre vous. Une fois, j'ai écrit tout au long de la nuit et continuer d'écrire pendant l'ensemble du jour suivant. La lettre qui t'était adressée était la plus longue. Dans mes lettres récentes, je n'ai fait que répéter la plupart de ce que je t'avais déjà dit. J'ai décrit l'intensité avec laquelle ces deux événements cruciaux avaient affecté ma vie, la révolution avec laquelle Luisa m'avait familiarisée, et l'agitation dans laquelle j'avais prit part avec toi et les autres à l'usine de carton. Je te racontais ma recherche de toute une vie de ces éléments qui avaient été significatifs pour moi, je te racontais tout ce que je viens de finir de te raconter sur mes activités dans les équipes des journaux, résumant aussi mes tentatives précédentes de te comparer à Ron. J'étais impatiente de lire sur ta vie et sur celles des autres, sur vos expériences, activités et projets. Je voulais en savoir plus sur le soulèvement à Magarna ; certaine que ces événements donnaient une nouvelle vie à la communauté que j'avais autrefois connu. J'étais désespérée de prendre contact avec celleux de mes ami.e.s avec lesquel.le.s j'avait été proche, je voulais faire partie de leur vie et elleux de la mienne. À l'époque, je me sentais toujours comme une partie intégrante de cette communauté. Je me pense toujours comme l'une des vôtres Si j'avais eu ta lettre la plus récente, et lu le récit de Jasna à ce moment là, j'en aurais eu le cœur brisé. Je m'imaginais que vous étiez tou.te.s toujours à l'usine de carton. Je n'avais aucun moyen de savoir les condamnations de prison horriblement longues que vous aviez tou.te.s déjà subies à ce moment là. Je pensais à vous de la même manière que je me souvenais de vous, comme vous aviez été quand je vous avait connu. Quand je vous ai écrit ces lettres, il n'y avais rien que je voulais davantage que de me faire demander de revenir, par l'un.e d'entre vous, ou vous tou.te.s. Mes lettres suppliaient presque pour une telle invitation. Dans chacune des lettres je décrivais ma vie depuis mon émigration comme la vie d'une étrangère, d'une marginale. Je décrivais mon environnement et la population qui m'avait accueillie avec ce slogan : ''Retourne d'où tu viens'', et l'université qui n'avais jamais vu en moi quoi que ce soit d'autre qu'une ''agitatrice extérieure''. J'avais également décrit mon exclusion de l'unique activité que j’avais trouvé ici que j’avais pu embrasser comme la mienne : un journal hors-campus. J'ai attendu pour une lettre, une carte postale, un mot, le moindre signe. J'étais prête à rentrer aussi abruptement que quand Alec avait quitté l'université le jour de notre expulsion. Mais rien ne vint. Même lettre ne rentra pas. Quand j'ai finalement revu Lem des années plus tard, son témoignage sur ce qui lui était arrivé était si dénué de lien des lettres que j'avais écrites que je n'ai presque pas écouté ce qu'il me racontait : J'étais convaincue que ça n'avait rien avoir avec moi. Pauvre Lem. Peu après notre renvoi avec Alec, j'ai recommencé à travailler sur mon roman, pour la seconde et dernière fois. À quel point est-ce que je comprends pourquoi Jasna lit des romans dès que possible dès lors qu'elle se retrouve exclue des activités des gens qui l'entourent : Vivre toutes les vies possibles qu'elle sait qu'elle n'aura jamais la chance de vivre. Je suppose que j'ai écrit pour des raisons similaires. À la différence de Jasna, je ne voulais pas me promener dans des mondes que d'autres avaient créé. Je me promenais dans le mien, et pendant ce temps là, je le changeais ici et là pour en faire le monde dans lequel j'aurai voulu être. J'y passais presque chaque jour, seule dans ma chambre à la co-op. Je voyais les autres gens d'Omissions seulement un jour toutes les deux semaines, et à aucun autre moment, étant donné l'activité qui nous regroupait que ce jour-ci uniquement, pour la préparation du journal, était celle là même qui nous séparaient le reste du temps. J'ai vu Alec les week-ends, car pendant la semaine, ce boulot qu'il avait trouvé employait toute son énergie et il ne faisait que manger, dormir et retourner au travail. J'étais heureuse d'être laissée seule dans ma chambre. J'étais encore assez proche des gens et expériences sur lesquelles j'écrivais pour continuer à écrire dessus, tandis qu'au même moment, j'étais capable de les regarder avec une certaine distance, la distance que mon exclusion avait créé entre nous. Mon second roman n'était pas une histoire d'amour, mais l'histoire de deux projets. Rom avait été remplacé par le groupe de gens avec qui j'avais partagé l'expérience dans l'équipe du journal, les gens qui m'avaient exclu d'Omissions. Je comparais ce projet avec mon expérience à l'usine de carton huit ans plus tôt. Je décrivais le premier groupe comme une véritable communauté, une qui ne m'aurait pas exclu et essayait d'explorer les raisons qui avait fait que l'autre l'avait fait, essayant de découvrir les raisons qui m'avaient vu poussées en dehors d'Omissions, les raisons que je ne retrouvais pas dans le compte des votes de Thurston, mais dans le caractère des participant.e.s. Étant donné que j'utilisais mes propres expériences avec toi comme modèle, je glorifiais de toute évidence les gens que j'avais connu à l'usine de carton aussi bien que le projet que j'avais partagé avec elleux. Le témoignage de Jasna sur qui ces gens étaient vraiment et ce qu'illes sont devenu.e.s depuis n'a pas vraiment quelque chose à voir avec la manière dont je les ai décrit. Les personnages de mon roman étaient les produits de mon imagination. D'une certaine manière, mes personnages étaient tou.te.s des facettes de moi-même. À travers elleux, je mettais en contraste avec les gens autour de moi avec une image de ce que j'aurais voulu que ces gens soient. À travers ces personnages, j'ai essayé de dire que le monde autour de moi n'était pas le seul monde possible et n'était certainement pas le meilleur. Je n'ai jamais accepté la philosophie de Daman d'après laquelle tout ce qui arrive est explicable après coup comme ce qui était ''objectivement possible''. Maintenant je comprend pourquoi Daman n'avait pas dit un mot quand Rhéa, Minnie et moi avions été exclu d'Omissions. Avec tout son langage révolutionnaire, la philosophie de Daman n'est rien qu'une autre version du destin de soumission que tu attribuais à la mère de Mirna. En décrivant des personnages qui ressemblaient d'une certaine façon à toi, Vera et Marc, j'essayais de décrire une communauté possible. Je n'essayais pas de décrire une communauté qui avait véritablement existé, précisément parce que je ne me soumettais pas aux communauté défaillantes qui existaient comme les seules ''objectivement possibles''. Malheureusement, mon second roman ne fut pas plus abouti que mon premier. Je fus contrainte à l'abandonner soudainement et à ne jamais y revenir. Je l'ai relu avant de t’écrire sur mes expériences dans l'équipe du journal, et je dois admettre que certains des événements que je viens de décrire proviennent directement de ce manuscrit. Je m'excuse pour ça, mais je ne peux pas me souvenir de la véritable suite d’événements. Mon projet fut coupé-court par un incident dont je me souviens de manière très vive. Ça se passa plusieurs semaines après que Lem parte avec les lettres que je vous avais écrites à tou.te.s. Minnie et moi étions en train de distribuer des exemplaires du numéro le plus récent d'Omissions en face du bâtiment de l’administration. Les étudiants qui sortirent des maisons de fraternités s'alignaient pour des exemplaires. Minnie et moi étions réjouies. Nous pensions qu'il y avait eu une révolution là dedans. Les fois précédentes, seul.e.s des étudiant.e.s occasionnel.le.s avaient bien voulu accepter un exemplaires, d'autres nous avaient soit insultées, ou bien nous avaient évitées. Étant donné que nous étions assaillies de gens voulant des exemplaires, nous n'avons pas vu ce qui allait se passer. Tout d'un coup, nous avons entendu la sirène d'une voiture de police. Les étudiant.e.s autour de nous se sont reculé.e.s et nous avons vu des exemplaires d'Omissions éparpillé.e.s à travers la rue et le trottoir, sur les pelouses du bâtiment de l'administration, sur les toits et les poignées de portières des voitures. Minnie et moi nous sommes retrouvées là, portant des liasses d'exemplaires de la publication qui étaient éparpillés comme des feuilles d'automne à travers le paysage. La police nous attrapa et nous fourra dans leur voiture. Tout le truc avait été manifestement arrangé, probablement par l’administration universitaire étant donné que les événements qui ont suivi faisaient clairement parti d'un plan bien ficelé. Ces garçons des fraternités avaient toujours été de ''bons'' étudiants, c'est dommage qu'un mot comme ''jaune'' n'existe pas pour eux. Au commissariat, ils nous ont demandé nos noms. La police a appelé quelqu'un.e à l'université, et donna nos noms pour apprendre que je n'étais plus étudiante. Nous nous sommes faites donner une longue leçon qui m'était directement adressée à propos de ''joncher de détritus et abimer la propriété publique et privée''. Nous nous sommes faites dire que si on nous y reprenait, nous devrions apparaître devant un juge et nous retrouver condamné à des sentences de prison. Ça voulait simplement dire que nous pourrions être arrêtées pour essayer de distribuer Omissions à nouveau. Minnie se fit convoquer et réprimander dans le bureau du président de l'université, mais elle ne fut pas suspendue. Ce qui m'arriva fut bien pire. La co-op où j'habitais était gouvernée par un comité constitué de quatre étudiant.e.s qui étaient élu.e.s par tou.te.s les occupant.e.s. Deux jours après l'incident des ''détritus'', l'université de l'administration envoya une note menaçante au comité de la co-op disant que ''l'hébergement approuvé par l'université sont destiné exclusivement à l'usage des étudiant.e.s et non pour le public. L'université ne peut pas reconnaître des aménagement gérés comme des hôtels où autres accommodations publiques.'' En d'autres termes, si je n'étais pas expulsée de la co-op, celle-ci perdrait sa ''reconnaissance par l'université''. Je n'ai toujours pas appris de quoi il s'agissait. Je pense que sans ça, la co-op n'aurait pas été placée sur une liste de logement étudiant ''approuvés par l'université'', mais personne n'y était parce que c'était approuvé, nous y vivions parce que c'était pas chèr. Le comité de la co-op appela à une assemblée de tou.te.s les occupant.e.s. Personne n'avait encore été expulsé.e de la co-op avant ça. Un grand nombre d'étudiant.e.s allaient à l'école un semestre et travaillaient pendant l'autre, et il y avait donc un grand nombre de non-étudiant.e.s vivant là. Mais aussitôt que les membres du comités ont commencé à parler, je savais que toute cette histoire tournait autour de moi. L'un.e des membres du comité dit que la perte de la reconnaissance causerait un tort irréparable à la co-op et deux autres que cela ferait de même pour les carrières de tou.te.s les étudiant.e.s y vivant. Les trois membres du comité qui parlèrent (le quatrième ne dit rien) étaient des étudiant.e.s en droit. Ce n'était pas une coïncidence. Les étudiant.e.s en droit étaient habituellement les seul.e.s à concourir pour les postes dans les comités, car personne d'autre ne voulait y être. Elleux comptaient au nombre de leurs faits d'armes avoir été dans le ''comité de direction d'un dortoir universitaire coopératif'' : Illes étaient des politicien.ne.s. J'avais entendu que quand la co-op avait d'abord été organisée, elle avait été un lieu de rencontre pour les étudiant.e.s radicale-aux, mais ça avait été cessé d'être le cas longtemps avant que je n'y arrive. Ces membres du comité pensaient apparement que ma présence allait raviver cette réputation perdue depuis longtemps. Dans ce cas, illes ne pourraient plus lister la co-op parmi leurs accomplissements. C'est en ce sens là que ma présence portait atteinte à leurs carrières. La discussion fut très brève. Seulement deux étudiant.e.s exprimèrent une opposition à la menace de l'université. Les autres sont simplement resté.e.s assis.e.s là à ne rien dire. J'ai regardé désespérément en direction de Rhéa. Elle aurait été la prochaine dont la présence aurait été une menace à leurs carrières d'avocat.e.s. Elle évita mon regard et ne dit rien. C'est arrivé si vite que je n'ai pas pu me mettre les idées en place. Quelqu'un.e appela à un vote. Je voulais dire « Mais vous ne pouvez pas... » Je ne pouvais pas en dire plus. Je me suis étouffée et ai commencé à pleurer. Illes ont voté. Deux étudiant.e.s ont voté contre, environ un tiers se sont abstenu.e.s et l'ensemble du reste, Rhéa incluse, ont levé leurs mains en faveur de mon expulsion C'était sa revanche pour le fait qu'Alec l'ai abandonné aussi bien que leur organisation, et probablement aussi pour le fait qu'elle avait été exclue de ce qui, en quelque sorte, avait été sa création, un journal hors-campus. Avec ce vote, elle se vengeait également d'elle-même pour avoir admiré cette ''parfaite prolétaire'' lorsque nous nous sommes d'abord rencontrées. Peut-être même que d'une certaine façon elle servait aussi d'instrument à la vengeance de Debbie Matthews sur George Alberts, bien que Rhéa n'aurait jamais pu connaître ma connexion à Alberts. Je comprenais comment Debbie avait du se sentir quand elle avait été renvoyée, en particulier lorsqu'elle avait appris le rôle que son ancien ami avait joué dans ce renvoi. Après cet affreux vote, j'ai commencé à beugler. Tout le monde quitta la pièce. Personne ne resta avec moi, même pour me consoler. Je me sentais comme une lépreuse. Je me suis trainée jusqu'à ma chambre pour pleurer jusqu'à m'endormir de la même manière que je l'avais fait quand j'avais été exclue d'Omissions. Quand je me suis réveillée le matin, j'ai recommencé à pleurer. Combien il est terriblement cruel d'expulser quelqu'un.e. J'ai regardé ma chambre familière, impuissante : mon manuscrit pas terminé, ma pile de journaux. Je n'avais nulle-part où aller et je n'aurais pas été capable d'aller où que ce soit même si je l'avais voulu. Je n'avais pas d'argent. J'avais eu une bourse pendant mes trois années et demi d'études à l'école et mon logement et accommodations à la co-op avaient été gratuites. Luisa m'avait donné de l'argent quand j'avais commencé l'université mais je lui avais toujours rendu, étant donné que je n'en avais pas véritablement besoin. Le peu que j'avais gardé à l'insistance de Luisa était dans un compte épargne, et je n'en avais rien dépensé. Mais toute cette épargne n'aurait pas pu payer ne serai-ce qu'une seule semaine de loyer ou de nourriture. Je n'avais presque rien a emporter à l'exception de manuscrits, cahiers de notes, journaux et livres. Je n'avais pas acheté de vêtements depuis le lycée et certains étaient si vieux que je les ai jeté à la poubelle plutôt que de les empaqueter. Je suis allée à la gare routière et ai fourré toutes mes possessions dans une consigne. J'ai erré dans cette gare laide et dérivé dans la foule des rues du centre ville. J'étais comme une personne venant juste d'arriver dans la ville, qui ne saurait pas ce qu'elle y ferait, qui elle rencontrerait et ce qu'elle deviendrait. Je suis allée dans un drugstore et j'ai sirotée une tasse de café. C'est seulement à ce moment là que je me suis mise à penser à ce que je pourrais faire ensuite. Mais je ne pouvais pas penser de façon cohérente. Des images n'arrêtaient pas de me venir en tête : Celles de la procession funéraire décevante ; celle d'Alec nous disant pourquoi nous avions été exclu d'Omissions, celle de la main de Rhéa se levant en faveur de mon expulsion. La chose la plus évidente à faire aurait été d'aller chez Luisa, mais je ne pouvais pas supporter l'idée de faire ça. Je savais que j'aurai passé tout mon temps assise dans ma chambre à fixer les murs comme je l'avais fait au lycée. Dans cette chambre, je n'aurais pas été capable de continuer mon roman à propos du journal de l'université, et je n'aurais certainement pas pu ressortir le manuscrit de mon premier livre. Et la pensée de m'effondrer en beuglant devant Luisa m'effrayait. J'aurais alors recréé une relation qui n'avait pas existé entre nous depuis aussi longtemps que je puisse me souvenir. Je serait devenue aussi impuissante et dépendante qu'un enfant et elle serait devenue ma mère protectrice. Je ne savais pas si elle aurait été capable de jouer se rôle, mais si elle l'avait fait, je l'aurais détestée après coup parce que j'aurais été terriblement humiliée d'avoir à réaffirmer à nouveau mon indépendance. J'aurais pu aller chez Alec. Il m'avait déjà demandé d’emménager avec lui. Mais dans l'état où j'étais, ça aurait été pire que de revenir chez Luisa. Incapable, complètement perdue, je serait aussi vite devenue son ''poids'' et sa ''responsabilité''. Je pouvais déjà l'imaginer dire, ''vas-y, pleure sur mon épaule, Sophie, et tout ira très bien''. Rapidement, je serais devenu sa femme puis sa ''vieille''. À ce moment là, n'importe quelle forme de séparation aurait été extrêmement douloureuse sinon impossible. J'ai donc pris la décision de ne pas prendre contact avec Alec avant d'avoir résolu mes problèmes de logement. Bien sûr, j'aurais pu penser à aller travailler comme n'importe quelle personne ''normale'', mais je ne l'avais encore jamais fait et la simple pensée de chercher un boulot me donnait la nausée. Est-ce qu'il s'agit d'un trait répulsif que j'ai en commun avec les gens que Jasna a décrit, ou est-ce que ça a à voir avec la nature du ''travail'' dans cette société ? Lem se serait réjoui de m'héberger, et j'aurais pu facilement dérouter n'importe quelle attente qu'il aurait pu avoir, mais Lem était déjà à ce moment là dans ta partie du monde. Et je ne voulais pas demander de l'aide de n'importe qui dans l'équipe d'Omissions. Mon exclusion du journal était bien trop semblable à celle de la co-op. Tandis que je considérais et rejetais toutes ces alternatives, la solution était déjà une arrière pensée. J'allais aller voir Sabina. À ce moment là, elle me semblait être la seule personne au monde vers qui je pouvais me tourner. Elle ne poserait aucune question. Elle deviendrait ma protectrice Je pourrais aller et venir comme et quand il me plairait. Et je savais qu'elle ne me rejetterai pas. Je n'avais aucune idée d'où elle était. Je ne l'avais pas vue pendant deux ans, depuis cette nuit où elle était venue à la co-op pour me dire que Ron avait été tué. Je ne savais même pas comment me mettre à sa recherche. J'avais une intuition qui se révéla exacte. Je soupçonnais qu'elle devait toujours être en contact avec les ami.e.s de Ron, où même directement avec Debbie Matthews étant donnée que c'était probablement comme ça qu'elle avait appris la mort de Ron. Je me souvenais aussi que Sabina était autrefois resté chez Debbie. Debbie Matthews est donc soudainement devenue très importante pour moi. Je n'étais jamais allé la voir quand elle avait été renvoyée du lycée, et j'ai particulièrement regretté ne pas être allée la voir quand j'ai appris pour la mort de Ron. J'étais si convaincue que Debbie saurait où était Sabina que je suis retourné à la gare routière pour récupérer mes affaires de la consigne. C'était toujours le matin quand j'ai sonné chez les Matthews, avec toutes mes possessions dans les bras. Debbie ouvrit la porte. Nous nous étions vu au procès de Ron, mais elle ne m'avait pas reconnue Elle m'a demandé ce que je voulais, ivre. je lui ai dit que j'étais une amie de Lem Icel et la sœur de Sabina Nachalo, que j'étais autrefois sortie avec Ron et que j'étais désespérée de trouver Sabina. « Tu es l'autre fille Alberts ! » s'exclama t-elle, mais elle me fit quand même entrer. Aussitôt à l'intérieur, je suis devenue folle. Je criais que je n'étais pas la fille de George Alberts, que celui-ci n'avait jamais été ni mon ami ni mon père, que je le haïssais autant qu'elle. Je lui ai dit que je détestais Alberts plus que jamais à ce moment là parce que les propres ami.e.s de Debbie, Lem Icel et Rhéa Morphen m'avaient fait exactement ce qu'Alberts lui avait fait à elle. Je beuglais. Je me comportais exactement de la manière dont je n'avais pas voulu le faire devant Luisa. Je lui ai parlé du rôle de Lem dan mon exclusion d'Omissions et de celui de Rhéa dans mon exclusion de la co-op. Je lui ai dit que Sabina était la dernière personne que j'avais au monde et que je n'avais aucune idée de ce qui m'arriverait si je ne la trouvais pas. Debbie me servit un verre et dit presque exactement ce que je m'étais attendu qu'Alec me dise si j'étais allé chez lui. « Calme toi, gamine. Tout va bien se passer. Il n'y a pas de raison de t'énerver, ça n'aidera personne. » Elle sortie de la pièce pour se laver et mettre une robe. Elle avait l'air presque sobre quand elle revint. « Viens, » dit-elle. « Leur garage est juste en bas de la rue. Je n'y suis jamais allé et maintenant est une occasion comme une autre. » Lorsque nous sommes sorties de chez elle, elle portait la plupart de mes affaires. Je devais être celle qui avait l'air saoule. Au moment où nous avons atteint le garage, j'aurais pu tout aussi bien être en territoire étranger où je n'aurais connu ni la langue ni les coutumes. J'avais tellement pleuré qu'une couche de larmes s'était formée sur mes yeux et tout me semblait trouble. J'étais comme quelqu'une marchant dans mon sommeil ou sous hypnose. Rien ne m'aurai surpris. J'avais arrêté de répondre à ce qui se passait autour de moi. L'un des mécaniciens s'avança vers Debbie et demanda, « Quelque chose qui ne va pas ? » Debbie répondit, « Pas avec moi. Cette fille dit qu'elle est la sœur de Sabina. Elle a besoin d'un endroit où rester. » « Donc t'es Sophie ! » dit le mécano. « Ron n'arrêtait pas de parler de toi. Je me souviens de t'avoir vu à son procès. » Je me souviens de l'y avoir vu aussi. C'était José. Pointant dans la direction des autres mécaniciens il dit « Là bas c'est Vic Turam et ici Ted Nasibu. » « Je me souviens de Ted, » dis-je en essayant de sourire « C'est le voleur de voiture dont Ron m'a parlé. » José avait l'air embarrassé par mon commentaire. Apparement Debbie ne savait pas de quel genre de garage il s'agissait. Je voulais m'excuser juste quand une petite fille couru vers nous. Elle devait avoir six ans. José nous dit à Debbie et moi « C'est la gamine de Ron. » Debbie a embrassé la petite fille et dit, « Elle ne lui ressemble pas du tout. » C'était Tina. Je ne l'avais pas vu depuis qu'elle n'avait été qu'un baluchon sur le canapé de la maison de George Alberts. Elle couru vers la maison et en revint quelques minutes plus tard avec Sabina. Aussitôt que je la vit, je couru pour la prendre dans mes bras. Je n'avais pas été aussi heureuse de voir quiconque depuis cette nuit, quatre ans plus tôt, quand Sabina avait jeté des graviers à ma fenêtre, la nuit où elle et Ron étaient venu.e.s me parler des expériences de Ron à l'école de correction. Je me suis accroché à Sabina et ai laissé le reste de mes larmes couler le long de son épaule. « J'ai été exclue de tout le reste, » je pleurais, « je suis une complète étrangère. » Sabina se relâcha de mon emprise. J'ai vu des larmes dans ses yeux. Elle passa son bras autour de moi et m'aida jusqu'à l'appartement derrière le garage. Après m'avoir laissée me reposer sur une chaise de la cuisine, elle y retourna pour demander à Debbie si elle voulait nous rejoindre pour un café. Apparement, celle ci ne voulait pas se faire divertir par les deux filles ''Alberts'' because Sabina revint seule. Elle me donna une serviette humide pour laver les larmes de mon visage. Puis elle me donna une tasse d'un café noir très fort et un bol d'une épaisse soupe. Je me sentais bien mieux, bien que je sois toujours aussi désorientée qu'une touriste dans un lieu exotique. Une jeune femme, ou plutôt une fille, elle ne devait pas avoir plus de 14 ans, fit irruption dans la cuisine depuis une autre pièce, se précipita jusqu'à la cuisinière et se versa un café. Ses mains tremblaient et elle avait des cernes noires autour des yeux. « Tissie, c'est Sophia. Elle va rester avec nous » dit Sabina. Tissie se tourna vers moi et dit « Alors tu es la sœur étudiante ! » puis s'en alla rapidement de la pièce avec sa tasse de café. J'ai demandé à Sabina si Tissie était malade et elle me répondit de manière très terre à terre « C'est une accro à l'héroïne. » Je n'en avais encore jamais rencontré. Sabina me dit qu'il y avait un lit supplémentaire dans sa chambre mais aussi dans celle de Tina, et suggéra que je reste dans cette dernière car elle avait des heures de sommeil inhabituelles. Je lui ai demandé si elle prenait part au vol de voitures. « Plus maintenant, » dit-elle. « C'est surtout Ted qui fait ça. Tina l'aide à réparer les voiture. Elle est assez bonne à ça. Vic est spécialisé dans l'héroïne. Il la vend a des riches dans un bar tenu par un ami a nous et aux pauvres ici au garage. » Tissie entra dans la pièce et se resservit une autre tasse de café. « Tissie et moi travaillons au bar, » continua Sabina. Tissie se tourna vers Sabina et lui dit, « Tu devrais amener ta sœur avec toi et lui montrer ce que l'on fait. » Sabina repris brutalement Tissie : « Sophia peut bien faire ce qu'elle veut et je ne l'amenerais nulle-part. » Quand Tissie s'en alla nouveau, j'ai demandé quelle genre de travail elles faisaient. « C'est comme le reste de ce que l'on fait ici, Sophia » répondit Sabina. « Plus facile que beaucoup d'autres choses, ça paye mieux que la plupart, il n'y a pas de corvée, parfois beaucoup d'aventures et nous pouvons travailler quand bon nous semble. » Je n'ai pas demandé à Sabina si elle et Tissie étaient serveuses. J'ai dit « Ça ne fait rien, tu sais. Je suis venu de demander de l'aide, pas te juger. » « Ne t'inquiètes pas pour moi, » dit-elle. « Pourquoi est-ce que tu ne va pas te reposer. T'as l'air d'une accro à l'héroïne. » Elle avait raison. J'étais épuisée. Je me suis endormie aussitôt allongée. Quand je me suis réveillée, Tina était déjà endormie. Je suis retournée dans la cuisine pour chercher quelque chose à manger. Il était minuit passé. Tissue était assise à la table de la cuisine, sirotant un café. « Dormi toute la journée, So ? » demanda-t-elle. « Moi aussi. Je commence plus tard. Tu veux m'accompagner ? » « Au bar ? » j'ai demandé, regardant autour de moi nerveusement. « Où est Sabina ? » « Elle a du partir il y a deux ou trois heures, » dit Tissie. « Elle ne t'y emmènera jamais. Elle me l'a dit. Tu veux venir ? » « Je n'ai pas de robe. » J'avais peur, mais j'étais aussi curieuse. Toute la journée je m'étais sentie comme une touriste, mais j'avais été trop énervée et trop fatiguée pour absorber mon nouvel environnement. Après avoir dormi et m'être un peu débarbouillée, je voulais en voir davantage. « Tu peux porter une des robes de Sabina. Elle en a des dizaines et on se les échanges tout le temps. Ça ne lui manquera pas, » dit Tissie. Je ne peux pas dire que j'étais intriguée par la perspective, parce que ce mot suggère un état bien plus actif que celui dans lequel j'étais. J'étais à demi-stupéfiée. Je pense qu'à ce moment là j'aurais laissé n'importe qui m'emporter où que ce soit. Je voulais voir tout ce qu'il y avait à voir ; prendre part à tout ce qui se passait autour de moi. Alors que nous partions du garage, Tissie me dit, « Ne leur laisse jamais savoir que je t'ai emmené, ni Sabina, ni José ni Ted ne me le laisserait jamais oublier. » « Mais est-ce que Sabina ne me verra pas là bas ? » j'ai demandé. Tissie dit, « Elle sera déjà partie d'ici là. Je te dis, elle ne le saura pas à moins que tu lui dises. » Le seul bar dans lequel j'avais jamais été avant ça était un bar proche du campus où Alec m'avait amené Des étudiant.e.s y buvaient des bières, assis.e.s sur des sièges couverts de plastiques, en regardant la télévision. Celui dans lequel je suis entrée avec Tissue ressemblait plus à l'idée que je me faisais d'une boite de nuit. Il y avait des chandeliers, des musiciens et un.e chanteur.se, des fauteuils rembourrés et des serveur.se.s professionnelles. Je n'avais jamais rien vu de si luxueux. Tissie m’asseya sur un tabouret à l'un des bouts du bar. « Mais qu'est-ce que je suis censée faire ? » je lui ai demandé. « Ça va te venir, So, » dit-elle condescendante, avant de s'en aller parler à quelqu'un.e. J'ai du entrer dans une sorte de transe. Quand j'en sorti, je me suis retrouvée dans une voiture conduite par un chauffeur. À côté de moi était un gros homme d'âge moyen qui devait être un politicien de la ville où un cadre d'entreprise. Ce qui me passa dans la tête était un chaos absolu. J'ai commencé à trembler de peur. Le chauffeur, l'homme à côté de moi, le bruit, les signes en néons, les lumières de la voiture me terrifiaient. Je sentais mon cœur battre dans mon estomac et je voulais vomir. L'homme avait du se rendre compte de mon agitation. « Quelque chose ne va pas ? » demanda-t-il. Je ne pense pas avoir jamais pensé si rapidement dans une crise. « Oui. J'ai oublié mes pilules tranquillisantes Je dois m'arrêter dans une pharmacie. » Il dit au chauffeur de s'arrêter à côté d'une pharmacie, puis me dit, « J'ai besoin de cigarettes de toute façon. Je prendrais tes cachets. C'est quel genre ? » « Oh, j'ai une ordonnance pour ça, » aussi calmement que je pouvais, « et je suis la seule à pouvoir l'utiliser. Je te prendrais tes cigarettes. » Il commença à essayer d'attraper son portefeuille mais je me suis précipitée hors de la voiture avant qu'il n'ai eu la chance de me donner l'argent pour les cigarettes. J'ai immédiatement espéré que j'aurais demandé quelle marque est-ce qu'il fumait, ou au moins attendu l'argent. J'avais peur qu'il me courre après. J'ai tenté de marcher avec nonchalance jusqu'à l'entrée de la pharmacie, mais aussitôt à l'intérieure, je me suis précipitée vers l'homme habillé en blanc derrière le comptoir. Il était seul. J'ai commencé à le secouer par les épaules. « Quelqu'un me suit. » Je bredouillais. « S'il-vous-plait, où est votre sortie de secours ? » Le pauvre vendeur avait l'air air aussi effrayé qu'il l'aurait été si quelqu'un.e l'avait braqué. Je suppose qu'il était soulagé que je ne lui demande pas son argent. Il s'est précipité vers la sortie de secours, retira énergiquement plusieurs verrous et enleva une barre de métal. Se cramponnant à la barre, il ouvrit la porte et jeta un œil pour voir si personne n'était dans l'allée. Je soupçonne qu'il ai pensé que j'aurai pu le mener dans une embuscade. Satisfait qu'il n'y ai personne il ouvrit la porte. Je me suis précipitée à travers sans le remercier. J'ai couru à travers les allées et les rues désertes comme un animal pourchassé. Je voulais courir jusqu'à la co-op de l'université, jusqu'à un environnement familier, mais ce n'était plus mon monde. J'ai couru vers le garage et ai frappé hystériquement à la porte. José me fit entrer. Ted et lui étaient toujours à travailler. « Merde ! » murmura José. « Est-ce que Tissie t'a emmené là-bas ? Où est-ce que c'était Sabina ? » Je me sentais terriblement honteuse. J'avais trahie mes nouvelles hôtesses. « S'il-vous-plait, ne parlez pas de ça à Sabine ou Tissie ! Il ne s'est rien passé du tout. J'ai eu peur et je me suis enfuie. » José et Ted rigolèrent tout les deux. Puis Ted dit, « tant mieux pour toi gamine. » José dit « Écoute, Sabina aurait dû te dire ça : Personne ici ne s’attend à ce que tu fasse quelque travail que ce soit. La copine de Ron est notre invitée, tu comprends ça ? » J'étais blessée et humiliée par la déclaration de José. J'allais être une invitée, une personne en permanence en visite. J'étais une étrangère à nouveau, seulement quelques heures après mon arrivée. Mais je ne pouvais simplement pas me résoudre à faire les choses que j'aurais dû faire pour faire partie de cette communauté. Ces choses avaient pu faire partie du monde de Ron, mais elles ne faisaient pas partie de ce dont j'avais été à la recherche quand je me promenais ou faisais du vélo avec lui. Je ne pouvais pas me transformer en prostituée professionnelle. Pourquoi ? Est-ce pour les raisons que toi et Jasna racontez dans vos lettres ? Est-ce parce que mes activités à l'usine de carton m'ont pourries, m'ont transformée en une traître pour ma classe en m'enseignant à rechercher mon rôle dans la classe supérieure ? Je ne pensais pas ça comme ça cette lui là quand je suis rentrée en courant au garage, et je ne le pense toujours pas. Je ne pensais pas qu'en quittant l'université, j'avais abandonné les opportunistes et rejoint la classe ouvrière. Je ne pensais pas non plus qu'il était opportuniste de refuser de participer dans l'activité de Tissie et Sabina. Pour toi il semble si clair et évident où se trouve l'opportunisme. Pour moi ça ne l'est pas autant. Mes activités dans l'équipe du journal ne m'ont donné ni argent ni gloire et elles n'ont pas sécurisée mon ascension future dans aucune hiérarchie bureaucratique, tandis que les activités de Sabina m'aurait procuré de l'argent, probablement même ma propre voiture, aussi bien qu'un certain genre d'aventures. Ce n'est pas que je considère Sabina une opportuniste. Elle avait toujours voulu s'immerger dans tout, et vivre chaque aventure possible. Elle n'a jamais posée aucune limite, traçant aucune démarcation. Je l'ai toujours fait. Et pourtant, même si j'avais été celle qui le faisait, elle s'était toujours retrouvée celle avec le plus de principes, parce que les limites que je fixait étaient arbitraires. Je redoutais d'avoir à vendre mon esprit, mon temps et mon énergie bien que je l'ai fait au final. Je m'étais néanmoins convaincue que vendre mon corps état pire et c'est là que j'ai tracé la limite, parce qu'il s'agit de l'endroit où la trace la moralité dominante. Les activités qui me restaient étaient celles que j'avais voulu. Pour moi ces activités avaient à voir avec ce qui se déroulait à Magarna ; le genre de projet que j'avais essayé de décrire dans mon roman et dans les lettres que je vous avait écrit à tou.te.s. C'était au nom de tels projets et d'une telle communauté que je rejetais le monde auquel Tissie m'avait introduite. Après mon expérience à l'usine de carton, je n'ai jamais été capable de trouver quoi que ce soit qui ressemblait au genre de projet que j'avais recherché, et quand quelque chose de similaire naquit avec Omissions, j'en fut exclue. Ce que j'ai cherché se passe autour de toi maintenant, et tes lettres me disent que tout ce à quoi je crois est étranger à cette activité. Ça me va. Peut-être que c'est ce que je suis devenue, et peut-être que c'est ce que j'ai toujours été. Mais je veux que tu saches que du fond de mon cœur, j'espère que toi et tes ami.e.s êtes maintenant en train de créer la communauté que je n'ai fait que chercher partout, jusqu'aux environnements les plus clandestins, la communauté que j'ai tenté d'inventer dans mon roman parce que je ne l'ai jamais trouvée dans ma vie. Tout mon amour pour Jasna, Mirna, Yara et toi.

Sophia 1Ndt : Pigs en anglais. Poulets, Bœufs et autres métaphores animales en français ne véhiculent pas le même dégout que celui injustement attribué aux cochons...