Titre: Les promesses brisées du Vietnam
Sous-titre: Critiques d’un anarchiste Vietnamien
Date: 2021
Source: Consulté le 13 octobre 2021 de https://sea.theanarchistlibrary.org/library/meo-mun-les-promesses-brisees-du-vietnam-fr.
Notes: Les critiques d’un anarchiste Vietnamien envers le soi-disant socialisme au Vietnam. Traduction d’un article du site Libcom.org. Traduction du Blogue du Collectif Emma Goldman

Traduction d’un article du site Libcom.org : Vietnam 2021, l’humeur général semble être à l’optimisme. La poursuite sans relâche d’une stratégie Zéro-Covid a reçu une approbation répandue autant à l’intérieur du pays qu’à l’international. L’économie a réussi à s’en tirer avec une croissance positive là où ses voisins ont souffert d’un déclin en raison de la pandémie. Mais en dessous de toutes ces fanfaronnades, quelqu’un aurait raison de sentir qu’il y a quelque chose qui cloche. Il y a ce sentiment tenace que personne ne semble être capable de mettre le doigt dessus. Presque comme s’il y avait un spectre qui hantait le Vietnam, le spectre du communisme – le vrai communisme, sans cloche, ni sifflet.

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Une toile de Diêu Hâu inspirée par une peinture traditionnelle vietnamienne.

Comme Emma Goldman l’avait astucieusement noté, il n’y avait aucun communisme en URSS. La même chose peut être dite du Vietnam d’aujourd’hui. Le parti au pouvoir – le Parti Communiste du Vietnam – a depuis longtemps dévié du chemin vers le communisme.

Avant que le présent chef du Parti ne commence son troisième mandat (2020–2025), il a formulé une ambitieuse feuille de route dans laquelle en 2045 le Vietnam deviendrait un pays « développé », à égalité avec le Japon, la Corée du sud et Singapour. Pour nous, les radicaux et radicales, il s’agit d’une trahison envers la classe ouvrière, les peuples Autochtones et les groupes marginalisés qui ont tant sacrifié pour la révolution vietnamienne. Mais, comme les marxistes-léninistes aux yeux clairs et aux convictions inflexibles vous le diraient, tout cela fait partie du plan© et 2045 sera l’année tant attendue où le Vietnam évoluera finalement en un pays sans classe sociale, sans argent et sans État.

Quoiqu’il en soit, un regard plus approfondi sur la société vietnamienne d’aujourd’hui démontre que ce plan est complètement illusoire et que les promesses ne sont que de simples justifications pour la classe dirigeante et la classe capitaliste pour continuer de vampiriser le Vietnam encore plus longtemps. La différence entre ce que les élites du Parti prêchent et ce qu’ils permettent d’arriver dans la réalité est comme le jour et la nuit.

Tandis que l’économie du Vietnam croît par bonds, ainsi croît l’écart abyssal entre les riches et les pauvres. Et aucun montant d’aide sociale et de régulation ne peut arrêter l’accumulation du capital ou le flot inversé de la richesse des mains de la majorité vers celles de quelques-uns. Nulle part cette accumulation ne se manifeste de manière aussi omniprésente que dans le système de propriété des terres. Ce système permet que le contrôle des terres soit arraché des mains des paysans et des gens ordinaires en échange de compensations minimes et donné aux capitalistes qui font souvent plusieurs fois plus de profit grâce à celui-ci. Partout dans le pays, de riches bâtiments résidentiels ont poussé, mais très peu parmi les gens déplacés par eux peuvent se permettre d’y emménager. Le milliardaire Pham Nhât Vượng, dont la famille possède la même richesse que 800 000 Vietnamiens et Vietnamiennes, ne pourrait avoir bâti son empire sans que des propriétés publiques soient glissées dans ses poches de cette façon.

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Le milliardaire Phạm Nhật Vượng (à gauche) sur un panel de conférence avec Nguyễn Mạnh Hùng (à droite) — l’ancien PDG de Viettel (maintenant ministre de l’Information et des Communications du Vietnam). À leur côté, une statue de Hồ Chí Minh et le symbole du marteau et de la faucille.

Les écosystèmes et les communautés Autochtones déjà précaires du Vietnam paient également un lourd tribut pour ce développement économique rapide. Le plan pour le secteur de l’électricité jusqu’en 2045 a octroyé certaines concessions aux énergies renouvelables tout en soutenant la construction de nouvelles centrales électriques au charbon, soit en ignorant leur énorme empreinte de CO² et les nombreux avertissements quant au lien entre l’énergie du charbon et le brouillard de PM 2.5 [Ndt. les particules fines] qui couvre les grandes villes, menaçant le bien-être de millions de personnes. Vers le milieu des années 2010, des centaines de petites centrales hydroélectriques ont été construites dans les zones montagneuses à travers le pays pour rassasier l’appétit en électricité des villes et des usines. Ces centrales n’ont pas seulement perturbé le réseau de rivières et privé les terres agricoles en aval des sédiments essentiels, mais elles ont aussi causé de grands ravages dont on ne parle pas dans les milieux où vivent les communautés Autochtones durant leur construction et leur opération. Les centrales d’énergie solaire à Ninh Thuận ont volé aux Autochtones Chăm leurs terres de pâturage. Le Delta du Mékong, la principale zone de culture du riz du Vietnam voit présentement son existence menacée par les nombreux barrages qui sont construits en amont en Thaïlande et en Chine. Et, en même temps qu’un projet national de planter un milliard d’arbres est ratifié, les capitalistes ont reçu un grand nombre d’approbations pour leur permettre de transformer des milliers d’hectares de fermes et de forêt en des terrains de golf et des stations balnéaires.

Derrière tout cela se cache un profond sentiment de nationalisme – un outil efficace pour restreindre au silence toute critique significative contre l’État, une valeur qui peut être utilisée pour saper les autres luttes populaires au nom d’un intérêt supérieur abstrait. Le nationalisme est devenu la valeur qui détermine ce que vaut un citoyen Vietnamien / une citoyenne Vietnamienne.

C’est le nationalisme qui a catapulté le Việt Minh [NDT. Ligue pour l’indépendance du Viêt Nam] dans les années 1940. C’est le nationalisme qui a poussé des millions de jeunes Vietnamiens et Vietnamiennes à placer l’intérêt de la nation au-dessus de leur propre intérêt alors qu’ils et elles se sont battu-e-s corps et âme contre l’impérialisme. Depuis les premiers jours du Parti, il y a eu un effort constant pour cultiver un fort sentiment de nationalisme partout. Le nationalisme fait partie du curriculum des enfants du Vietnam, dans nos chansons, nos poèmes, notre art et partout dans les médias. L’un des plus grands succès du Parti a été de semer la confusion entre identité nationale et loyauté au Parti. Chez les capitalistes Vietnamiens contemporains comme VinGroup ou BKAV, on peut observer l’inspiration tirée de la machine de propagande de l’État et l’incorporation d’éléments nationalistes dans le marketing de leurs produits.

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Deux affiches de propagande à Hanoï. Celle de gauche se lit ainsi : « Célébrons le printemps 2021 ». Celle de droite illustre une femme issue d’une minorité ethnique avec son enfant célébrant le Parti.

Ironiquement, ce sont les nationalistes qui affirment être les héritiers de la révolution « communiste » du Vietnam alors qu’il s’agit pourtant du groupe le plus fermement opposé aux idées radicales comme la libération animale, le genre et la libération sexuelle, l’autonomie des peuples Autochtones, la décriminalisation du travail du sexe et la solidarité internationaliste, avec des luttes comme celles de Hong Kong ou du Myanmar par exemple. La persuasion nationaliste s’est prévisiblement transformée en une force contre-révolutionnaire et réactionnaire se drapant de rouge.

Les victimes du nationalisme vietnamien incluent (non exhaustivement) :

  • Les personnes Queer, qui continuent d’être confrontées à un haut niveau de discrimination au Vietnam. Les progrès récents en lien avec le genre et la libération sexuelle sont en grande partie venus d’éléments libéraux, comme le mouvement de la Fierté, qui n’est rien d’autre qu’un stratagème de marketing pour les compagnies locales et étrangères. Des changements substantiels, tels que la reconnaissance de l’homoparentalité et la reconnaissance des besoins médicaux des personnes trans comme des droits passent toujours après « les enjeux qui pressent davantage ».

  • Les travailleuses et travailleurs du sexe, qui sont stigmatisé-e-s et ciblé-e-s par la police. Aux yeux de la société patriarcale vietnamienne, le travail du sexe n’est pas reconnu comme du travail, mais comme une simple pathologie morale à éradiquer. En conséquence, le travail du sexe est blâmé pour la propagation d’infections transmissibles sexuellement comme le VIH et les travailleuses et travailleurs du sexe, tout spécialement celles et ceux qui sont Queer, sont marginalisé-e-s.

  • Les communautés Autochtones, qui ont subi les assauts des politiques expansionnistes des Viêt depuis la période féodale, ne retrouvent aucune paix sous le régime « anti-impérialiste » de l’État actuel. Pire encore, l’oppression qu’elles subissent s’est intensifiée alors que l’État se dote de nouveaux outils plus efficaces pour neutraliser toute résistance ainsi que pour surveiller proactivement la population Autochtone.

À l’étranger, plusieurs défenseurs et défenseuses du « socialisme » au Vietnam ont été témoins de ces signaux d’alarme évidents, mais les ont ignorés en les considérant comme justifiés au nom du développement de leur État « socialiste » préféré. Cela démontre l’apathie et l’ignorance témoignée envers la lutte continue du peuple Vietnamien pour une société juste, ainsi qu’un soutien au capitalisme tant qu’il est drapé d’un drapeau rouge et qu’il se prétend être opposé aux ambitions impérialistes de « l’Ouest », particulièrement celles des États-unis, même si tout indique que le communisme n’est et n’a jamais été dans les plans.

En terminant, exister est en soi une victoire, voire ainsi un rôle manifeste, un rôle de représenter les voix des militantes radicales et militants radicaux au Vietnam. Nous nous portons vers la prochaine classe ouvrière, la jeunesse, qui à la fois perpétue et est opprimée par le capitalisme et l’État pour qu’elle puisse se libérer des chaînes de l’oppression.