Titre: Les étoiles n’en ont rien à foutre de ta gueule, ni de la mienne, ni de quoi que ce soit
Sous-titre: Contre l’astrologie
Date: 2019
Source: Traduction originale
Notes: Traduit de la brochure The stars don’t give a fuck about you publiée en ’19 par The Tower In-print, Hamilton, Kanada. Cette traduction en français par Bus Stop Press, Marseille, Printemps ’20.

Je ne suis pas ici dans l’accusation. Je pose seulement une question et cherche une réponse. Ça donne ça :

Nous dérivons dans un cosmos indifférent, ce qui est une bénédiction, essayons de nous en souvenir. Personne ne peut simultanément regarder dans tous les recoins, ou compter tous ces recoins. Il y a de la place pour bouger. Nous vivons dans un vide que nous nous précipitons si volontairement à remplir de signifiant. J’aimerais te demander pourquoi, quand nous regardons le ciel, nous cherchons à le remplir d’images que nous interprétons comme étant un dynamisme rigide et prédictif ? Pourquoi cette impulsion à arranger, à contrôler ? Je comprends ce que c’est que de voir des formes, des motifs, de les remplir d’histoires sauvages, d’amour et de souffrance. Inventer, mentir et chroniquer sont après tout indubitablement propres à l’humanité. Mais pourquoi confiner nos rotations spatiales à une seule doctrine, essentiellement basée sur le travail d’un seul homme pourrissant depuis presque 2000 ans ? Et pourquoi nous laisser dicter nos actions et interpréter nos futurs par ces histoires que nous avons, nous mêmes, écrites ? Pourquoi ces créations qui sont les nôtres continuent-elles de dominer la façon dont nous vivons nos vies ? Mon Ursa Major n’est pas la tienne. Mon Orion n’est pas la tienne, Ni mon Cygne. Et cetera ad-infinitum. Aucune de ces constellations n’appartient à qui que ce soit d’autre que moi. Alors pourquoi pourrais-tu disséquer et interpréter mon Scorpion, et de quel droit serait-elle la mienne à posséder et gérer ?Ma vie s’appartient à elle-même, comme tout le reste. Dénuée de sens et en dérive, comme le reste d’entre nous et tout ce qui existe. L’absence de sens en vigueur implique que nous puissions donner n’importe quelle signification à n’importe quoi, mais pourquoi le voudrions-nous ? Pourquoi prendre ce pouvoir entre nos mains ? Je voudrais que nous puissions être capables de regarder quelque chose, n’importe quoi, simplement pour ce qu’elle est et rien de plus. Pas de symboles. Observer ce qui est. Accepter, comprendre et aller de l’avant en ayant appris et en restant aussi stables que la chose vue. Simplement apprécier les lumières dansantes dans le ciel si lointaines de nos yeux est déjà bien suffisant.


Les signes du zodiaque ont infiltré le commun autant que les sports professionnels, la mode, les médias de masse et la « pop culture » geek. Tellement que je n’ai pas besoin d’expliquer ce que j’entends par « les signes ». Mais illes ne reçoivent pas autant de dédain dans nos milieux que ce qui s’empile sur ses autres sujets de préoccupations. Pourquoi ? Qu’est-ce qui vient en aide à ces horoscopes dans n’importe quel torchon local ? Dans les mêmes ? Dans les conversations que nous avons avec nos ami.e.s ? Pourquoi acceptons-nous simplement ce cosmos ordonné et domestiqué pour une vérité ? Et compréhensibles et intelligibles ces sphères gazeuses enflammées, ces mottes de terre tourbillonnantes, cette danse élaborée et désordonnée de chaos dépareillé ? Est-ce que tu l’acceptes ? Penses-tu que ce soit si facile ? Réduire les merveilles tout autour et au-dessus de nous à des lignes dans nos cartes de naissances est une insulte. Essayer de parquer les étoiles et planètes dans des schémas faciles à comprendre pour y projeter nos désirs humain.e.s est un affront. L’obsession répandue de notre espèce avec les réseaux et leurs pièges et tout leur charabia ne devrait pas pouvoir se permettre de déborder jusqu’aux étoiles. Il ne faudrait pas que ça déborde tout-court. S’il te plaît, ne te méprends pas. Je ne suis pas non plus du côté des blouses blanches. Je ne trouve pas utile de mesurer les étoiles dans un spectromètre, ni d’en comprendre la radiographie. De les numéroter les unes en fonction des autres et de les diviser en parcelles. Autant d’effort pour le « comprendre » en éjectant dans l’espace des minéraux rares extraits par des esclaves est le sommet de la folie. L’ordre, sous n’importe quel nom que ce soit est tout aussi acerbe, mais « aussi mauvais que » ne devrait jamais être notre justification pour répéter des erreurs. Est-ce qu’il ne faut pas faire mieux après tout ? Je pensais qu’il s’agissait de construire quelque chose, mais tout ce que nous continuons de construire rencontrent les mêmes écueils, pour les recouvrir avec des feuillages légèrement différents. Nous continuons d’en revenir aux mêmes champs maltraités, aux mêmes chemins faciles mais désolés. Regarder les cieux remplis de flammes et ne voir que le reflet de notre propre visage est l’obsession de soi humaine à son nadir absolu. Partons de là. Imagine une seconde que tu ne sois pas ici sur Terre à regarder un ciel familier. Imagine-toi que tu es loin plus loin peut-être que tu ne le penses possible. Peut-être Pluton, ou encore plus loin de chez toi, en-dehors du système solaire ou même de la galaxie. Où sont passés ces motifs du ciel familiers ? Où sont ces points de lumière auxquels tu as l’habitude d’attacher du sens ? Ces boules de terres et de gaz, si pleines de signifiant ont disparu. Rien ne t’est familier. Tu n’es en sécurité nulle-part dans ce nouveau firmament qui s’agite autour de toi. Aucune pierre de touche à laquelle t’ancrer. Et maintenant demande-toi pourquoi cet arrangement aléatoire et non-cartographié aurait plus de sens que celui auquel tu es habitué.e sur Terre ? Ou n’importe où ailleurs d’ailleurs. Pourquoi est-ce que cette étoile, faisant chez-nous partie du Cancer ne fait plus partie de ce gigantesque crabe stellaire qui gouverne les mois de juin et juillet ? Pourquoi est-ce que Mercure ne fait plus sa rotation au-dessus des maisons habituelles ? Où sont mêmes passées ces maisons ? Dans cette nouvelle perspective, la fumée s’évente et le miroir se brise. Tu peux maintenant voir l’insignifiance nue dans le ciel. L’égo qu’il faut pour harnacher le chaos au-dessus et « le comprendre » comme lié a des préoccupations principalement humaines est démontré comme une impossibilité. Ça n’a rien à voir avec nous. Ça ne l’a jamais été. Ça ne le sera jamais.


Le projet humain se positionne comme directement opposé aux étoiles. Contre la liberté évidente et indifférente promise chaque soir par le ciel. Tu peux le voir dans la manière dont nous couvrons les villes de halos de pollution lumineuse, pour essayer de remplir chaque ombre et barricader le plafond étoilé. Tu peux le voir dans les nombreuses entreprises se piétinant les unes les autres pour propulser des satellites publicitaires et en projeter sur la lune. Tu peux voir ça à Chengdu en Chine où des plans insensés ont été mis en oeuvre pour créer une lune artificielle de manière à réduire ses dépenses en électricité.1 Aussi fou que ça puisse paraître, ce n’est pas si tiré par les cheveux. La Russie en a fourni la preuve dans les années 1990 avec les Znamia 1 & 2, de petits réflecteurs solaires qui éclairaient plusieurs villes canadiennes et européennes lors de leurs brèves orbites.2


Même si ces visions d’un futur où des publicités pour Walmart flottent dans le ciel au dessus de ton feu de camp seraient normales ne se réalisent jamais, l’intention de le faire parle déjà d’elle-même. Et ces choses irréfutablement terribles ne sont que l’une des lames du couteau planté dans le ciel. L’autre, cette chose que nous appelons l’astrologie est aussi, sinon plus dangereuse étant donné qu’elle pénètre même les rangs de celles et ceux prétendant vouloir quelque chose de différent. Tout au long de son existence, l’État a utilisé l’astrologie à la fois pour apaiser et intimider les personnes rêvant de lendemains meilleurs. La Mésopotamie antique, lieu de naissance de cet horrible monstre se détruisant jusqu’à la mort autour de nous coïncide aussi avec le premier contact avec cette chose que nous appelons l’astrologie. Et quelle coïncidence ! L’idée d’un cosmos ordonné et intelligible s’élevant en tandem avec une populace établie et contrôlable. Un grand nombre de dominant.e.s du temps ont cultivé le concept et utilisé d’innombrables laquais pour lire à partir des étoiles des présages politiquement utiles. Il est facile d’avoir des conspirateur.ice.s assassiné.e.s, des temples construits, et des guerres menées lorsqu’il est possible de convaincre les gens que ce n’est pas juste ordonné depuis en haut mais également qu’elles sont destinées à arriver quelles que soient les objections qui pourraient être soulevées. Ce schéma continue à travers l’histoire. Guido Bonatti conseillait Frédérique II du saint empire romain-germanique sur la façon de mener des guerres et remplissait ses propres poches de pièces ensanglantées. Du « mandat céleste » de la dynastie Zhou de Chine nécessitait un contrôle complet des histoires racontées par les étoiles. Louis de Wohl travaillait pour le MI5 au cours de la seconde guerre mondiale devisant des horoscopes pour des personnages importants, tout en ignorant complètement l’Holocauste et les personnes l’ayant conçu.3 Sima Qian, l’astrologue de la cour des débuts de la Dynastie chinoise des Han fut castré et emprisonné pendant 3 ans sur un désaccord mineur avec l’Empereur, e t a continué à préparer le calendrier stellaire qui garantissait à ses employeurs leur légitimité sur le peuple ordinaire. Tycho Brahe, avec la bénédiction explicite des rois danois, a taillé un observatoire massif sur l’île de Hven sur le dos de ses habitant.e.s libres, et à partir duquel il a décrit dans les termes les plus vagues la mort d’Ivan le Terrible au passage d’une comète. John Dee, conseiller en astrologie de la reine Elizabeth Ière d’Angleterre, a eu l’idée et inventé les principes de base de l’Empire Britannique maritime. Dans l’histoire, l’astrologie suit, engendre et permet au pouvoir de fonctionner. Il ne s’agit pas là d’exemples de gens détournant l’utilisation d’un outil pour causer du tort : c’est ce pourquoi l’outil a été conçu. Un outil ésotérique et inutilement compliqué conçu explicitement pour te convaincre que les choses que tu pourrais voir et comprendre par toi même ont à la place besoin de t’être expliquées. Qu’il te serait impossible de saisir la véritable signification de ce que tes yeux te montrent.


Mais qu’en est-il de maintenant ? Et alors ? Qu’en est-il de cette façon de comprendre les étoiles qui a été utilisée depuis le début contre les gens recherchant la liberté hors du Léviathan ? Tout ça est bien trop ancien pour avoir de l’importance, et les gens se seraient servi de n’importe quoi pour faire avancer leur cause de toute façon. Ce n’est pas la faute de l’astrologie ! Même sous cet aspect, cela n’a qu’un seul but : déconcerter et embrouiller tout en prétendant comprendre et expliquer. Parler des signes du soleil, du retour de Saturne, de Mars dans quelque maison qu’ils soient, avec des ami.e.s dans des soirées ou des inconnu.e.s rencontrés par hasard, est aussi utile que construire un mur là où il faudrait un pont. C’est une béquille conversationnelle, une façon de ne parler de rien et de pourtant ressentir une connexion dans notre culture de plus en plus distante et aliénée. Dire que « Cette personne a telle personnalité du fait de l’emplacement des planètes dans notre orbite particulière au moment de sa naissance » est aussi utile que de pisser sur une maison en feu. À la place, nous devrions parler de choses qui se sont produites où sont en train de nous arriver, de nos expériences vécues et endurées. Pour comprendre, il faut après tout savoir écouter. Pour construire, nous avons besoin de bases, et cette fondation c’est la confiance. Pour avoir confiance nous avons besoin d’être vulnérables. Pour être vulnérables, nous avons besoin de nous débarrasser de ce derrière quoi on se cache et d’interagir véritablement les un.e.s avec les autres. Qu’est-ce qui est plus important au tempérament d’une personne : la phase de la lune ou la quantité de sommeil manquée à cause de l’exploitation qu’elle subit à son boulot ? La région dans laquelle Vénus flotte en ce moment ou le spectacle du plastique flottant avec la marée, jour après jour ? Les étoiles brillant au dessus du ciel où elle est née ou les lampes-torches des flics brûlant ses

yeux la nuit dernière ? Tes sentiments de colère, de tristesse et de frustration sont réels et ont des causes physiques qui peuvent être vues, non pas dans les étoiles là-haut dessus, mais ici bas, à un niveau auquel contre-attaquer reste réellement possible. Nos problèmes sont les nôtres, sont humains et ne sont pas au-delà de notre capacité à prendre en main notre destin. Si tu ne penses pas que ce soit le cas, alors quoi ? Une seule vie humaine est un désordre horrible de causes et conséquences, de choses apprises, innées ou imposées et généralement indescriptibles dans leur ensemble, même par la personne qui les vit. Et des gens prétendent avoir à dire quelque chose qui vaudrait la peine d’être écouté juste en suivant quelques corps célestes inconséquents à travers le ciel nocturne. Nous sommes mieux que ça. Nous devons l’être.


Alors, qu’est-ce que je demande à la place ?

Qu’elle est l’alternative que je propose ?


Un retour à la chair et la boue. Se préoccuper de nous, ici, au niveau du caniveau.4 Nos problèmes ne vont pas se résoudre si l’on se tourne vers les étoiles, ou si l’on se concentre sur nos nombrils. Ils ne vont pas non plus se résoudre en nous échappant vers Mars ou au-delà des limites de notre Soleil. Nous ne pouvons pas nous échapper. Nous ne l’avons jamais pu. Il n’y a jamais eu d’ailleurs où aller, et ce n’a jamais été aussi vrai que ce l’est maintenant. Le moment vient toujours quand il faut se retourner et faire face aux dents, et ce moment est venu il y a déjà longtemps. Soit nous faisons face et nous nous battons, soit nous nous ruons la tête la première dans le néant et la dissolution. Je propose de croire en inspirer et expirer, et c’est tout. Dans le changement du vent et l’abandon de la garde. Dans la survie, et la prise de tout ce que nous pouvons attraper quand c’est à notre portée. De ne pas accepter de capitulation, étant donné qu’il n’y a pas d’autre option. Au final, ma politique sont des dents de chiens. Ce sont le sang, la salive, la crasse, la rage et la sueur. Ce sont l’odeur de la terre et la sensation de la pluie sur la peau. Ma politique consiste à laisser advenir les meilleures choses, la croissance végétale, le conflit et l’opposition permanente. C’est de « croître en dépit de ». Brouiller notre monde plus qu’il ne l’est déjà le dessert lui tout autant que nous-mêmes. Nous pouvons nous ancrer au pourpier qui pousse dans les interstices des trottoirs, aux bosquets de papayes cachées, aux savanes de chênes éparses. Regarder autour de soi et voir la guerre que toute vie mène à l’encontre du béton et des lampadaires. Nous pouvons être inspiré.e.s en rentrant chez nous. Dans le fait qu’il n’y ait rien que nous n e puissions trouver comme motif incontestable. Ce qui est autour de nous est assez merveilleux pour nous satisfaire mille fois. Ce qui est autour de nous est suffisant pour nous faire refuser d’être gouverné.e.s par qui que ce soit, ou par des arrangements de points dans le ciel, comme seule conclusion possible. Ce qui est plus important que tout est de se battre là où l’on est, les pieds fermement plantés dans un sol que l’on connaît et aime. Ce ne sera jamais facile, et oui, parfois la liberté a un arrière-goût du sang. Rien n’est jamais « tout bon, tout le temps », et si nous ne nous battons que par facilité, alors on se fera avoir bien avant la fin. Il n’y a pas d’autre possibilité. Si tu cherches du confort, je suis désolé mais il n’y en a pas. Ni ici, ni ailleurs. Il faudra t’y faire. Abandonne, ou réagis. C’est tout ce qu’il y

a, il n’y a rien de plus. Tu es un.e animal.e et tu ferais mieux de commencer à te comporter ainsi. Fais face au vent, inspire-le profondément. Ferme ta gueule et écoute vraiment pour une fois. Ça hurle, et c’est tout ce que ça fait depuis des plombes.

Il a toujours été trop tard.

Il est temps de commencer à agir en tant que tel.

1Ndt : Capitale de la province du Sichuan en Chine centrale. Cette première lune, constituée de panneaux réfléchissants à 500km de la terre. Prévue pour 2020, elle s’avérait une réussite, 3 autres seraient lancée... Les articles datent de l’automne 2018. www.franceinter.fr

2Ndt : Le projet a été abandonné après le lancement de Znamia 2.5, un réflecteur d’un diamètre de 25m en 1999. Un satellite Znamia 3 aurait dû mesurer 60 à

70m. L’objectif était d’apporter aux villes de l’arctique russe de la lumière en hiver.

3Ndt : Le MI5 est le service de renseignement du Royaume-Unis.

4Ndt : « Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles » – Oscar Wilde