Titre: Eugène Varlin
Sous-titre: Aux origines du mouvement ouvrier et du syndicalisme
Auteur·e: Enragé-e-s
Date: 2015
Notes: lesenrages.antifa-net.fr · commune1871.org · raspouteam.org · commune-rougerie.fr · parisrevolutionnaire.com

“Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines.”

Eugène Varlin

Eugène Varlin naît le 5 octobre 1839 à Claye-Souilly en Seine-et-Marne, à 37 km de Paris, sur la route de Meaux.

Bien que vivant pauvrement, les parents Varlin envoient leurs enfants à l’école, payante à cette époque.

Eugène quitte l’école à treize ans, en 1852, pour faire son apprentissage de relieur à Paris, d’abord chez un confrère de son oncle, Hippolyte Duru, puis chez son oncle lui-même.

De 1855 à 1859, il parfait son apprentissage dans plusieurs ateliers. Il est ensuite embauché comme contremaître. En 1860-61, il complète son instruction générale en suivant les cours de l’association philotechnique. En 1862, il s’installe dans ses meubles, 33, rue Dauphine, dans le VIe arrondissement où il restera jusqu’en 1870. Il commence à apprendre le latin en 1864.

En 1857, Eugène Varlin participe à la fondation de la Société civile des relieurs, société de secours mutuels regroupant ouvriers et patrons. Il y fait son apprentissage de militant ouvrier.

En 1862, a lieu l’exposition universelle de Londres. Eugène Varlin ne fait pas partie de la délégation française mais il contribue à la rédaction du rapport publié à la suite de ce voyage.

Le 25 mai 1864 est votée la loi qui autorise les grèves en l’assortissant de sévères restrictions. Les ouvriers relieurs s’engouffrent dans la brèche et cessent le travail en août. Les patrons cèdent sur une partie des revendications. Varlin s’est beaucoup investi dans ce mouvement. Pour le remercier, les ouvriers relieurs lui offrent une montre en argent. Les conflits rendent impossible la cohabitation des ouvriers et des patrons dans la Société civile des relieurs. Eugène Varlin en est exclu en 1866.

Le militant ouvrier

Il est alors à l’initiative de la Société civile d’épargne et de crédit mutuel des ouvriers relieurs de Paris dont il est élu président. Dans le conseil d’administration de quinze membres, figure l’ouvrière relieuse Nathalie Le Mel.

Parallèlement, Varlin est à l’initiative, avec la Fédération des relieurs, de la Caisse fédérative de prévoyance des cinq centimes dite Caisse du sou dans laquelle les ouvriers versent cinq centimes par semaine pour constituer un fonds dans le but de venir en aide aux grévistes.

En 1864, a été créée à Londres l’Association internationale des travailleurs (AIT) plus connue sous le nom de 1re Internationale à laquelle Eugène Varlin adhère en 1865 quand est fondé le bureau parisien qui a son siège, 44, rue des Gravilliers dans le IIIe arrondissement.

Plus tard, le bureau sera transféré rue de la Corderie dans le même arrondissement. Les secrétaires correspondants sont des proudhoniens. Varlin fait partie de la commission de vingt membres chargés de l’administrer. Il collabore aux journaux de l’Internationale, la Tribune ouvrière puis la Presse ouvrière. En septembre, il assiste à Londres à la conférence de l’Internationale.

L’AIT se fixe comme première tâche d’unir et d’organiser les masses populaires de tous les pays. Son deuxième objectif consiste à informer les différentes organisations nationales du prolétariat sur tout mouvement de grève, afin de coordonner la lutte et la solidarité de classe contre l’exploitation du capitalisme mondial. Son but principal, à travers les luttes syndicales et politiques, est la conquête du pouvoir économique et politique de la classe ouvrière.

Seulement quatre nations sont représentées au congrès de 1866 : Angleterre, France, Allemagne et Suisse. Elles sont neuf en 1869 : États-Unis, Autriche, Belgique, Espagne et Italie ont rejoint les quatre premières. Des sections sont créées de surcroît en Hongrie, en Hollande, à Alger et jusqu’en Amérique du Sud. L’Internationale comptera en 1870 plus de 100 000 membres en Grande-Bretagne, près de 500 000 en France et quelques 5 millions dans le monde entier.

Pour l’amélioration des conditions de travail des femmes et l’instruction pour tous.

En septembre 1866, Varlin est délégué au premier congrès de l’Internationale à Genève.

Il y fait deux propositions qui sont refusées par la majorité proudhonienne de la délégation française.

La première concerne l’amélioration des conditions de travail des femmes en opposition à la notion de femme au foyer.

En second lieu, il demande l’enseignement par la société (et non par la famille), sous la direction des parents, et obligatoire pour tous les enfants.

Après ce congrès, Varlin devient l’un des trois secrétaires correspondants. Coopérateur, il fonde, en 1867, la coopérative de consommation La Ménagère et l’année suivante le restaurant coopératif La Marmite, rue Larrey, dans le VIe arrondissement dont trois succursales fonctionneront en 1870.

En présence de toutes ces grèves les militants socialistes ne demeuraient pas inactifs. De plus en plus leur rôle se précisait : ils devaient, selon l’idée même que la classe ouvrière se faisait de l’Internationale, secourir les travailleurs en lutte ; et ils devaient d’autre part les organiser, les entraîner dans la grande lutte qui se développait :

« Vous nous direz, écrivait encore Varlin à Aubry (8 janvier 1869), si les efforts faits par vous près des cotonniers des autres maisons (pour les décider à la grève) nous permettent d’arriver à un résultat favorable. Dites-leur bien qu’ils doivent se soutenir entre eux d’abord, afin de mériter l’appui de leurs frères des autres pays dans le cas où la lutte se généraliserait. Dites-leur surtout qu’ils doivent se grouper, s’organiser, se solidariser, entrer dans la ligne internationale des travailleurs pour s’assurer le concours de tous et pouvoir parer à toutes les mauvaises éventualités. »

De 1868 à 1870, les grèves se multiplièrent. En 1868, c’étaient les ébénistes, les tailleurs, les peintres, les mécaniciens qui s’étaient organisés. L’Internationale soutient les grèves et apporte une aide financière aux grévistes en utilisant la Caisse du sou.

Le pouvoir réagit en lançant des poursuites judiciaires contre les quinze membres de la commission parisienne de l’Internationale.

Ceux-ci démissionnent et quinze nouveaux membres sont élus. Parmi eux, on trouve Varlin qui reste secrétaire correspondant avec deux nouveaux venus, Benoît Malon et Emile Landrin.

Organisateur des travailleurs et initiateur du syndicalisme.

Varlin et ses compagnons sortent de prison en octobre 1868. Il leur faut reconstruire l’Internationale en France, qui a été déstructurée par les deux premier procès. Ils s’y emploient avec vigueur et succès en s’appuyant, en 1869, sur les importants mouvements de grèves en France et à l’étranger qui amènent à impulser la solidarité. La caisse du sou est mise à contribution. Varlin pense que l’organisation des forces révolutionnaires du travail est la question préalable à toute réforme et que la grève est une école de lutte. 1869 est aussi l’année du 4e congrès de l’Internationale à Bâle.

Varlin y représente les ouvriers relieurs de Paris où il incarne le mouvement ouvrier parisien. Il rend compte des travaux du congrès dans un article du Commerce, organe des Chambres syndicales ouvrières : les sociétés corporatives, résistance, solidarité syndicat, méritent surtout nos encouragements et sympathies, car ce sont elles qui forment les éléments naturels de l’édifice social de l’avenir.

Varlin l’Internationale

Des sections sont fondées à Marseille, Lyon, Le Creusot, Rouen et dans des dizaines d’autres villes.

Dès le 21 mars, les 1 500 mineurs du bassin du Creusot se mettent en grève pour protester contre une baisse de leurs salaires. Ils avaient soutenu, sans y participer le mouvement des ouvriers de janvier. Ce manque de coordination est une faiblesse dont Schneider tire parti. Dès le 23, il reçoit le concours de trois régiments. Les grévistes se rendent en cortège dans la localité voisine de Montchanin où ils font cesser le travail. Les soldats les poursuivent dans les bois et procèdent à quatorze arrestations. Le 24, un comité de grève est formé qui formule les revendications, Il est décapité par des arrestations et aussitôt reconstitué.

Benoît Malon, envoyé par l’Internationale, prend la direction du mouvement. Schneider repousse avec dédain toutes les revendications. Ce refus brutal renforce la combativité des grévistes. Ils sont soutenus par l’action énergique des femmes qui incitent les quelques non-grévistes à cesser le travail. Les gendarmes en arrêtent une ; ses compagnes la délivrent. Elles récidivent le lendemain. Pour protester contre l’arrestation de trois d’entre elles, elles déposent leurs jeunes enfants devant les gendarmes en criant : « arrêtez nous et nourrissez-les ». Puis elles se massent devant le train qui emmenait les prisonnières à Autun pour y être jugées ; elles obtiennent leur libération. Les grévistes tiennent grâce aux souscriptions qui arrivent de sections de l’Internationale de toute la France. La pression patronale et gouvernementale s’accentue.

En 1870, les mineurs et ouvriers du Creusot ne sont pas seuls à se mettre en grève. À Lyon, les ovalistes, employées dans les filatures, ont obtenu des salaires plus élevés et des journées de travail plus courtes. Aux élections de 1869, l’opposition républicaine a enregistré des progrès. Napoléon III riposte en organisant un plébiscite en mai 1870. Il confisque les libertés individuelles et gouverne par la terreur. Gardien de l’ordre, son régime est le moteur de l’économie capitaliste.

Au Creusot, les républicains s’unissent dans un Comité antiplébiscitaire animé par Dumay et Assi.

Le préfet fait arrêter Assi et Schneider licencie Dumay.

Mais le stratagème imaginé par Napoléon III ne trompe pas les habitants du Creusot. Dumay est candidat et recueille 77 % des suffrages, 3 400 à répondre non, contre 1 500 qui votent oui.

Sur l’ensemble de la Saône-et-Loire, la liste bourgeoise conservatrice emmenée par Thiers l’emporte. Le parti réactionnaire suscite des troubles et le gouvernement envoie des troupes au Creusot.

Le 19 mars, Dumay, syndicaliste et tourneur aux usines Schneider, fait une conférence aux ouvriers d’une fabrique de limes à Arnay-le-Duc : c’est là qu’il apprend le soulèvement, la veille, de la population parisienne contre le gouvernement Thiers. Le lendemain, le Comité républicain-socialiste du Creusot décide pour le 26 mars une revue de la Garde nationale et une manifestation en faveur du mouvement parisien. Sur la place de la mairie, le face-à-face entre gardes nationaux et soldats de ligne tourne à la fraternisation aux cris de « Vive la République ». Le colonel retire ses troupes. Dumay proclame depuis une fenêtre du premier étage de la mairie, sur laquelle est hissé le drapeau rouge : « Je ne suis plus le représentant du Gouvernement de Versailles, je suis le représentant de la Commune du Creusot ».

Eugène Varlin se rend dans les principales villes et centre industriels de France pour y implanter l’Internationale, notamment à Lyon, au Creusot et à Lille.

Le pouvoir impérial engage un troisième procès contre l’Internationale. Fin avril, Varlin, menacé d’arrestation, doit se réfugier en Belgique.

Varlin jouit alors d’une énorme popularité auprès des ouvriers. Il est condamné à un an de prison le 8 juillet. Il rentre en France après la proclamation de la République le 4 septembre.

Chronologie des évènements avant la Commune de Paris
  • 2 septembre 1870 : défaite de Sedan et reddition de l’empereur Napoléon III aux Prussiens.

  • 4 septembre 1870 : proclamation de la IIIe République sur la place de l’Hôtel de Ville, à Paris.

  • 18 septembre 1870 au 28 janvier 1871 : siège de la capitale et des parisiens.

  • 28 janvier 1871 : armistice entre le gouvernement provisoire et le IIe Reich allemand.

  • 8 février 1871 : élection de l’Assemblée nationale, installée à Bordeaux, qui doit voter le traité de paix. Celle-ci est composée de nombreux royalistes et d’une majorité prête à accepter les conditions du chancelier Bismarck. Les républicains radicaux et les socialistes parisiens qui trouvent les conditions humiliantes y sont opposés.

  • 26 février 1871 : signature des préliminaires de paix qui prévoient l’occupation de l’Ouest de Paris par les Prussiens.

  • 1er mars 1871 : défilé des Prussiens dans Paris.

  • 8 mars 1871 : l’Assemblée nationale supprime la solde des gardes nationaux ainsi que le moratoire sur les loyers et les dettes.

Ces derniers événements exaspèrent les Parisiens. La Garde nationale s’organise en une Fédération des bataillons avec pour mot d’ordre l’instauration de la République. Elle reçoit le soutien du Comité central des vingt arrondissements de Paris. L’Assemblée nationale, qui craint une rébellion, s’installe à Versailles.

Avec Benoit Malon (membre de La Revue socialiste et de l’Internationale), Varlin essaye d’en renouer les fils et de préciser la position de l’organisation face à la situation nouvelle : Par tous les moyens possibles, nous concourrons à la défense nationale qui est la chose capitale du moment.

Ce soir, les délégués de 200 bataillons de la Garde Nationale étaient réunis en assemblée générale au casino du Vauxhall. Ils ont approuvé les statuts définitifs de la fédération républicaine de la Garde Nationale , présentés le 3 mars devant plus de 1000 délégués. Eugène Varlin, ouvrier relieur et membre de l’Association Internationale des travailleurs, propose d’élire le Comité Central.

Depuis la proclamation de la République, l’épouvantable guerre actuelle a pris une autre signification ; elle est maintenant le duel à mort entre le monarchisme féodal et la démocratie républicaine… Notre révolution à nous n’est pas encore faite et nous la ferons lorsque, débarrassés de l’invasion, nous jetterons révolutionnairement, les fondements de la sociétaire égalitaire que nous voulons.

Eugène Varlin fait partie du Comité central provisoire des vingt arrondissements qui regroupe les comités de vigilance et a son siège à la Corderie. Il s’est engagé dans le 193e bataillon de la Garde nationale dont il a été élu commandant.

  • Le 15 mars 1871, il devient membre du Comité central.

  • Le 18 mars 1871, premier jour de la Commune, Eugène Varlin occupe, avec son bataillon, l’état-major de la Garde nationale, place Vendôme.

  • Le 12 avril, la Commune vote la proposition suivante :

« La Commune de Paris, considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brutale et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, décrète : Article unique. La colonne de la place Vendôme sera démolie. »

L’exécution de ce décret n’eut lieu que le 16 mai suivant.

Élu de la Commune

Adolphe Thiers s'était déjà illustré en avril 1834, en réprimant, au prix de 600 morts et 10.000 arrestations la seconde révolte des canuts, les travailleurs lyonnais de la soie. Chef du gouvernement en 1836, il fut écarté au profit de Guizot en 1840. Devenu républicain, il soutenait la révolution de 1848, puis fit campagne pour la droite contre les socialistes, et soutenait Louis-Napoleon Bonaparte et le Parti de l’Ordre. Lors de la Commune il n’avait pas prévu la défection des troupes. Pris de panique, il s’enfuit de Paris et ordonna à l’armée et aux administrations d’évacuer complètement la ville et les forts environnants.

Thiers voulait sauver de l’armée ce qu’il pouvait l’être en l’éloignant de la « contagion » révolutionnaire. Les restes de ses forces – certaines ouvertement insubordonnées, chantant et scandant des slogans révolutionnaires – se retirèrent dans le désordre vers Versailles.

Dans l’aube qui se levait on entendait le tocsin ; nous montions au pas de charge, sachant qu’au sommet il y avait une armée rangée en bataille. Nous pensions mourir pour la liberté. On était comme soulevés de terre. Nous morts, Paris se fût levé. Les foules à certaines heures sont l’avant-garde de l’océan humain…La butte était enveloppée d’une lumière blanche, une aube splendide de délivrance. La troupe fraternise avec le peuple, l’insurrection gagne Paris quartier par quartier, surprenant à la fois le gouvernement et le Comité central…

Louise Michel

L’armée se mutine et passe du côté de la révolution en fraternisant avec les gardes nationaux.

Avec l’effondrement du vieil appareil d’État, la Garde Nationale prit tous les points stratégiques de la cité sans rencontrer de résistance significative. Le Comité Central n’avait joué aucun rôle dans ces évènements. Et pourtant, le soir du 18 mars, il découvrit que, malgré lui, il était devenu le gouvernement de facto d’un nouveau régime révolutionnaire basé sur le pouvoir armé de la Garde Nationale.

« Le 18 mars 1871, » écrit Talès dans son livre La Commune de 1871, « n’a pas d’équivalent dans notre histoire révolutionnaire. C’est une étrange journée où l’on voit une foule, en général passive, provoquer l’écroulement, local sans doute mais total, des institutions bourgeoises. »

La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au Suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois.

Au lieu de continuer d’être l’instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration.

Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d’ouvrier. Les bénéfices d’usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l’État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les services publics cessèrent d’être la propriété privée des créatures du gouvernement central. Non seulement l’administration municipale, mais toute l’initiative jusqu’alors exercée par l’État fut remise aux mains de la Commune.

Une fois abolies l’armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l’ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le pouvoir des prêtres ; elle décréta la dissolution et l’expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l’instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d’instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l’Église et de l’État. Ainsi, non seulement l’instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l’avaient chargée.

Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n’avait servi qu’à masquer leur vile soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables.

Karl Marx

Eugène Varlin est élu membre de la Commune dans le VIe arrondissement le 26 mars 1871. Il est successivement membre des commissions des Finances, des Subsistances et à l’Intendance.

Pendant la semaine sanglante, il se bat sur les barricades dans les VIe,Ve et XIe arrondissements.

Benoît Malon, qui dirige les opérations militaires dans l’arrondissement des Batignolles, manque d’être cerné dans la mairie du XVIIème, où il est retranché avec une centaine de fédérés. Rejoints par une trentaine de femmes, dont Louise Michel et Elizabeth Dmitrieff qui ont dû évacuer la place Blanche, les derniers défenseurs des Batignolles se replient sur la butte Montmartre. À Montmartre, la situation est critique. Les renforts et les munitions promises ne s’y trouvent pas, quelques centaines d’hommes à peine tiennent la position. Pire, les artilleurs ont fui. Du haut de la butte, les fédérés se retrouvent incapables de pilonner leur adversaire qui approche. Le maréchal Mac-Mahon envoie à l’assaut ses meilleurs soldats.

24 mai 1871

Incendie de l’Hotel De Ville. Contrairement à ce qu’affirme la propagande réactionnaire, les premiers incendies particulièrement spectaculaires de la « semaine sanglante » furent provoqués par les bombardements versaillais sur le Champ-de-Mars et sur le ministère des Finances.

25 mai 1871

Les Versaillais, aidés de la cinquième colonne, ces parisiens contre révolutionnaires, ont pris la Rive Gauche. Les massacres des fédérés sont systématiques. À 19h heures, la place du Château d’Eau est déchirée par les bombardements et les incendies. Delescluze refuse de survivre à une nouvelle défaite. Résolu, il s’avance vers la barricade. Vermorel, qui le suit, est grièvement blessé. Le délégué à la guerre lui serre la main, et se dirige au pied de la barricade. Les gardes qui l’accompagnent sont contraints de reculer par les rafales de mitraille des versaillais. Delescluze gravit les pavés et se hisse au sommêt de l’ouvrage, le poing tendu vers l’ennemi. Puis il tombe mort. Quelques gardes nationaux qui veulent le relever tombent à leur tour.

Eugène Varlin remplace Delescluze, comme délégué civil à la guerre.

Les exécutions n’épargnent personne, hommes, femmes, enfants et vieillards. Les journaux de Versailles ont inventé pour justifier ces crimes le mythe des pétroleuses. Les femmes sont accusées de remplir de pétrole les caves des maisons, pour livrer Paris aux flammes et à la destruction. Sous ce prétexte mensonger, on exécute de nombreuses femmes, interpellées au hasard dans la rue.

26 mai 1871

La Bastille et la Villette tombent. Les exécutions sommaires des communards pris par les Versaillais sont maintenant “organisées”. Le peuple insurgé entrevoit le sort que les Versaillais lui réservent :

“Citoyens du XXème, si nous succombons, vous savez quel sort nous est réservé… Aux armes ! Prêtez votre concours au XIXème, aidez-le à repousser l’ennemi. En avant donc… Vive la République ! ”

Par réaction à la boucherie qui fait rage, les derniers otages aux mains de la Commune sont exécutés, malgré les récriminations de Varlin.

27 mai 1871

Les canons des Buttes Chaumont n’ont plus de munitions.

Les derniers membres de la Commune qui se battent encore, Trinquet, Ferré, Varlin, Ranvier et Jourde, assistent impuissants au désastre. A la mairie du XXème, les blessés affluent et il n’y a ni médecin, ni matelas, ni couvertures. Le sifflement des obus rythme les dernières heures de la ville insurgée.

28 mai 1871

Rue Ramponeau s’élève la dernière barricade de la Commune. Un seul fédéré la défend. Trois fois, par un tir ajusté, il casse la hampe du drapeau tricolore des versaillais, qui occupent la barricade de la rue de Paris. Grâce à son courage, le dernier défenseur de l’insurrection parisienne parvient à s’échapper.

Le 28 mai, vers midi, il combat, avec Jean-Baptiste Clément et Ferré sur la barricade de la rue de la Fontaine-au-Roi, l’une des dernières de la Commune.

Dans l’après-midi, épuisé, il se repose sur un banc, rue Lafayette, près de la place Cadet.

Varlin, hélas, ne devait pas échapper. Le dimanche 28, place Cadet, il fut reconnu par un prêtre qui courut chercher un officier. Le lieutenant Sicre saisit Varlin, lui lia les mains derrière le dos et l’achemina vers les Buttes où se tenait le général de Laveaucoupet. Par les rues escarpées de Montmartre, ce Varlin qui avait risqué sa vie pour sauver les otages de la rue Haxo, fut traîné une grande heure. Sous la grêle des coups, sa jeune tête méditative qui n’avait eu que des pensées fraternelles, devint un hachis de chairs, l’œil pendant hors de l’orbite. Quand il arriva rue des Rosiers, à l’état-major, il ne marchait plus ; on le portait. On l’assit pour le fusiller. Les soldats crevèrent son cadavre à coups de crosse. Sicre vola sa montre et s’en fit une parure.

Le Mont des Martyrs n’en a pas de plus glorieux. Qu’il soit, lui aussi, enseveli dans le grand cœur de la classe ouvrière. Toute la vie de Varlin est un exemple. Il s’était fait tout seul par l’acharnement de la volonté, donnant, le soir, à l’étude les maigres heures que laisse l’atelier, apprenant, non pour se pousser aux honneurs comme les Corbon, les Tolain, mais pour instruire et affranchir le peuple. Il fut le nerf des associations ouvrières de la fin de l’Empire. Infatigable, modeste, parlant très peu, toujours au moment juste et, alors éclairant d’un mot la discussion confuse, il avait conservé le sens révolutionnaire qui s’émousse souvent chez les ouvriers instruits. Un des premiers au 18 Mars, au labeur pendant toute la Commune, il fut aux barricades jusqu’au bout. Ce mort-là est tout aux ouvriers.

Prosper-Olivier Lissargaray,
Histoire de la Commune de 1871 (1876)

Ils furent nombreux, 30.000, 40.000 peut-être, ceux qui moururent autour de Paris, pour la cause qu’ils aimaient.

Ils furent nombreux aussi ceux qui, dans l’intérieur de la ville, tombèrent sous la décharge des mitrailleuses en criant : « Vive la Commune ! ». On sait par les débats de l’assemblée versaillaise que ce peuple égorgé sauva, par son attitude, la forme républicaine du gouvernement français.

Toutefois la présente République, bonne à tout faire pour le service du tsar et du kaiser, est tellement éloignée de toute pratique des libertés, qu’il serait puéril d’éprouver de la reconnaissance envers la Commune pour ce vain mot qu’elle nous a conservé.

Elle a fait autre chose.

Elle a dressé pour l’avenir, non par ses gouvernants, mais par ses défenseurs, un idéal bien supérieur à celui de toutes les révolutions qui l’avaient précédée ; elle engage d’avance ceux qui veulent la continuer, en France et dans le monde entier à lutter pour une société nouvelle dans laquelle il n’y aura ni maîtres par la naissance, le titre ou l’argent, ni asservis par l’origine, la caste ou le salaire. Partout le mot « Commune » a été compris dans le sens le plus large comme se rapportant à une humanité nouvelle, formée des compagnons libres, égaux, ignorant l’existence des frontières anciennes et s’entraidant en paix d’un bout du monde à l’autre.

Elisée Reclus

Eugène Varlin fait face avec courage au peloton d’exécution. Il meurt en criant :

Vive la République ! Vive la Commune !

Il a laissé l’image d’un militant sincère, irréprochable, fidèle jusqu’à sa mort héroïque, à ses idéaux de justice sociale, d’internationalisme [1] et de liberté.

Sources

[1] L’enthousiasme de l’auteur de ces lignes est à tempérer fortement à la lecture de cette déclaration de Varlin : « … qu’il ne s’agissait pas de révolution internationaliste, que le mouvement du 18 mars n’avait d’autre but que la revendication des franchises municipales de Paris…et qu’une fois le Conseil municipal élu le Comité central résignerait ses pouvoirs et tout serai fini ».