Titre: Anarchisme révolutionnaire et organisation
Sous-titre: Étude historique de la question organisationnelle
Contribution à l'élaboration d'un programme anarchiste
Auteur·e: Groupe Emma Goldman
Date: juillet 1978
Notes: Texte issu de « La revue anarchiste » n°4, juillet 1978 (revue éditée par le groupe Emma Goldman de la FA, Paris). Numérisation : SP.

INTRODUCTION

Depuis plus d'un an, particulièrement au Congrès de Toulon de Juin 77, un débat important et riche en interventions a lieu au sein de la Fédération Anarchiste.

Une activité militante extérieure plus suivie, plus cohérente explique essentiellement cette confrontation positive entre les groupes et les militants, cette recherche d'analyse, afin de s'intégrer mieux encore aux luttes sociales. Le congrès extraordinaire de novembre 77, fut à cet égard significatif.

Cette constatation d'une évolution positive, très nette, au cours de ces deux ou trois dernières années, nous permet d'affirmer que la Fédération Anarchiste Française, qui traversa une longue période de stagnation, depuis sa création, semble aujourd'hui renaître d'un élan nouveau.

Cependant, un certain enthousiasme pourrait faire que l'on sous-estimât les questions qui sont aujourd'hui posées ; car les problèmes qu'elles soulèvent ne sont pas nouveaux pour le mouvement anarchiste international et en particulier pour la fédération anarchiste française.

Brièvement quelles sont ces questions ?

  1. L'organisation anarchiste : ses structures (synthèse, plate-forme ...) son rôle, (minorité agissante, avant-garde ? …) ses modes d'intervention. ..

  2. Définition des différentes conceptions, tendances ou courants de l'Anarchisme.

  3. L 'actualisation de l'Anarchisme compte-tenu de l'évolution de la société capitaliste étatique.

  4. L'unité éventuelle de tous les anarchistes organisés ou non.

L'énumération des questions principales sur lesquelles s'interrogent aujourd'hui les camarades, malgré l'intérêt qu'elles suscitent n'apportent pas, hélas, de considérations nouvelles dans l'élaboration idéologique de notre mouvement.

Il semblerait que nous recommencions - à zéro - ce que plus d'un siècle d'histoire du mouvement anarchiste - en remontant à son origine à la scission de la première internationale et précisément lors du premier congrès de l'Internationale Anti-Autoritaire de St-Imier le 15 septembre 1872 - a défini théoriquement, pratiquement et de manière organisée les bases spécifiques de l'anarchisme social et révolutionnaire.

Ceci démontre une perte des acquis élaborés par le mouvement anarchiste durant son développement, dû à une profonde méconnaissance de son histoire et à un refus de mémorisation des expériences révolutionnaires, où le mouvement anarchiste représentait une force non négligeable, qui s'inscrivait alors entièrement dans la lutte des classes.

I. ÉTUDE HISTORIQUE DE LA QUESTION ORGANISATIONNELLE

A - RAPPEL IDÉOLOGIOUE : AFFIRMATION DU COMMUNISME-ANARCHISTE

Rappelons tout d'abord quelques points de la résolution consacrée à la « Nature de l'action politique du prolétariat » du Congrès de St-imier (1872) :

« Considérant,

que vouloir imposer au prolétariat une ligne de conduite ou un programme politique uniforme comme la voie unique qui puisse le conduire à son émancipation sociale, est une prétention aussi absurde que réactionnaire. (…) que les aspirations du prolétariat ne peuvent avoir d'autre objet que l'établissement d'une organisation et d'une fédération économique absolument libres, fondées sur le travail et l'égalité de tous et absolument indépendantes de tout gouvernement politique et que cette organisation et cette fédération ne peuvent être que le résultat de l'action spontanée du prolétariat lui-même, des corps de métiers et des communes autonomes ; considérant que toute organisation politique ne peut être rien que l'organisation de la domination au profit des classes au détriment des masses, et que le prolétariat s'il voulait s'emparer du pouvoir politique deviendrait lui-même une classe dominante et exploitante :

Le congrès réuni à St-imier déclare :

1) que la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat.

2) Que toute organisation d'un pouvoir politique soit-disant provisoire et révolutionnaire pour assurer cette destruction ne peut être qu'une tromperie de plus et serait aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements existant aujourd'hui.

3) que repoussant tout compromis pour arriver a l'accomplissement de la révolution sociale, les prolétaires de tous les pays doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise, la solidarité de l'action révolutionnaire. »

Rappelons encore, que cinq ans lus tard, en sept 1877, au congrès de Verviers (le dernier de l'Internationale Anti-Autoritaire), il était affirmé une résolution sur « les tendances de la production au point de vue de la propriété» :

« ... le congrès considère la réalisation de la propriété collective, c'est à dire la prise de possession du capital social par les groupes de travailleurs, comme une nécessité ;

le congrès déclare en outre qu n parti socialiste vraiment digne de ce nom doit faire figurer le principe de la propriété collective, non dans un idéal lointain, mais dans ses programmes actuels et dans s manifestations de chaque jour. »

D'autre part, il était précisé dans une résolution sur l'« Attitude du prolétariat à l'égard des partis politiques» :

« ... qu'en réalité la société actuelle est divisée non pas en partis politiques, mais bien situations économiques : exploité et exploiteur, ouvrier et patron, salarié et capitaliste ;

considérant, en outre, que l'antagonisme qui existe entre ces catégories ne peut cesser de par la volonté d'un gouvernement ou pouvoir quelconque, mais bien par les efforts réunis de tous les exploités contre les exploiteurs.. . »

Plus loin on insistait sur la nécessité de « l'organisation des travailleurs » dont le but était « L'ABOLITION DU SALARIAT».

L'anarchisme s'affirmait dès lors comme une tendance révolutionnaire du mouvement ouvrier, découlant directement de la lutte des classes, pour « l'abolition du salariat», inscrivant dans son programme, « la destruction de tout pouvoir politique » (gouvernements,états) « la propriété collective du capital social», et pour « une organisation et une fédération économique absolument libres et des communes autonomes».

ORIGINE DU COMMUNISME-ANARCHISTE

Le congrès de la section italienne de l'Internationale, tenu à Flore e en 1876, approuve une motion - communiste- sur la proposition d'Errico MALATESTA.

En 77, l' Arbeiter Zeitung de Berne élabore les statuts d'un« Parti anarchiste-communiste de langue allemande».

En 1880, au Congrès de la Chaux Fonds, de la Fédération Jurassienne (section suisse de l'AIT) « qui est devenue le refuge organisationnel de nombreux anarchistes » internationaux (russes, français, italiens ...) les délégués approuvent le mémoire proposé par Carlo Cafiéro, « L'Anarchie et le Communisme», et se prononcent pour le « COMMUNISME comme BUT » [1] et « l'abolition de l'état».

Pierre KROPOTKINE présentera également un rapport sur le thème « L'idée anarchiste au point de vue de sa réalisation pratique», qui sera repris la même année (1880) dans sa brochure « Anarchie et communisme » et qui synthétise les idées essentielles du COMMUNISME-ANARCHISTE, comme seul courant véritablement révolutionnaire de l'Anarchisme. [2]

Il est intéressant de relever, pour cette période (depuis 1864, date de la première internationale), l'inexistence au sein du mouvement ouvrier, d'un courant « individualiste», même anarchiste. Cette manifestation d'une forme de « pensée » alors étrangère au mouvement ouvrier international, se manifestera par la suite, à l'occasion du recul du mouvement révolutionnaire, dû à la répression de la fin du XIXe siècle créant toutes les confusions que connut le mouvement anarchiste particulièrement lors des attentats.

B - LE PROBLÈME DE L'ORGANISATION SPECIFIQUE

La permanence du débat sur le thème de l'organisation, monopolisa toutes les énergies militantes sur le « comment » et le « pourquoi » de l'organisation spécifique.

Les débats souvent houleux qui animèrent les congrès nationaux ou internationaux, bloquant parfois toute activité réelle de ces « embryons d'organisations», mirent en évidence le caractère anti-autoritaire de l'anarchisme, mais niaient en conséquence toute forme « structurée » d'un regroupement de militants révolutionnaires.

Ces débats peuvent s'expliquer, en partie par l'apparition du syndicalisme comme structure de lutte des classes des travailleurs (C.G. T. 1895), qui absorba la majorité des militants anarchistes, et le courant "individualiste», qui pulvérisa les quelques groupes spécifiques, restés en dehors des syndicats.

Remarquons aussi, que la prise de position, unanime, en faveur de « la propagande par le fait » au congrès de Londres de 1881, sera un facteur d'éclatement d'une certaine homogénéité, dû à la répression qu'une telle « propagande » avait fait apparaître sur le mouvement anarchiste.

a) Organisationnels et anti-organisationnels

Si le débat idéologique, sur la définition politique de l'Anarchisme, semble clos, pour l'option du COMMUNISME ANARCHISTE, un autre débat se fait jour entre organisationnels et anti-organisationnels.

Dès 1900, à l'occasion du Congrès Ouvrier International Révolutionnaire qui devait se tenir à Paris mais qui fut interdit (lapériode des attentats se terminait), dans les propositions présentées « deux tendances se font jour ... Celle exprimée par les ESRI (Etudiants Socialistes Révolutionnaires Internationalistes) qui préconisent la création d'une Fédération Communiste Révolutionnaire Internationale, et celle de Jean GRAVE plutôt favorable à une simple liaison d'informations. » [3]

De 1881 (Congrès de Londres) à 1900, dans l'étude de Jean MAITRON, il est noté, en conclusion, qu'« il n'y a en France ni « parti anarchiste national, ni fédérations régionales, il n'existe que des groupes locaux sans liens entre eux», et cela malgré les tentatives de fédération aussi bien à Paris qu'en Province. [4]

En 1902, Jean GRAVE affirmait dans les TEMPS NOUVEAUX son refus d'un certain modèle d'organisation.

« De quoi se plaint-on ? Que les anarchistes manquent de cohésion, qu'ils tiraillent un peu au hasard, sans lien d'aucune sorte, perdant ainsi une partie de leur force, faute de solidité pour donner plus de suite à leur action.

Il est vrai que bien souvent, groupes ou individus ont bataillé chacun de leur côté sans chercher à relier leur action avec celle d'autres qui bataillent à côté. Il est bien vrai que les anarchistes manquent, en apparence, de cohésion, qu'en plus d'une occasion on s'est trouvé embarrassé pour trouver des camarades dont on avait besoin. Mais je ne crois pas que cela soit un si grand mal. C'est la méthode des partis autoritaires de décréter l'entente, la fédération, en créant des organisations et des groupements qui avaient pour but d'assurer cette union et cette unité de but. Les anarchistes combattent cette façon de procéder, il était tout naturel qu'ils commençassent à lutter chacun de leur côté... »

Il proposait néanmoins une structure souple et réaliste où :

« l'entente et l'union ne pourrait découler que de la communauté de but et d'action... C'est des groupes eux-mêmes, se reliant peu à peu les uns les autres que doit sortir la Fédération anarchiste, et non pas parce que l'on aura décidé de créer un groupement chargé de l'organiser . » [5]

Errico MALATESTA ainsi que Luigi FABBRI, ont mené en Italie et sur le plan international lors du congrès anarchiste d'Amsterdam (24/31 août 1907) une vaste campagne en faveur de l'organisation fédéraliste et libertaire. Le refus individualiste de la nécessité organisationnelle (l'individu étant contraint dans le collectif, même anarchiste) pesa lourdement dans la confrontation du moment et retarda tout espoir de voir naître rapidement les premières organisations spécifiques anarchistes.

En juin 1907, un rapport sur l'ORGANISATION ANARCHISTE est présenté au congrès anarchiste de Rome par Luigi FABBRI, sur la nécessité et le rôle de l 'organisation spécifique, et qui sera repris lors du congrès d'Amsterdam en août.

« ... Dire que l'organisation est une méthode et non une fin... est une erreur. Le principe de l'organisation n'est pas proposé parce que s'organiser aujourd'hui c'est pouvoir mieux préparer la révolution, mais aussi parce que le principe de l'organisation est un des principaux postulats de la doctrine anarchiste ! » [6]

En août, au congrès d'Amsterdam, un débat important a lieu sur la question « ANARCHISME et ORGANISATION». On verra s'affronter. à cette rencontre internationale, les communistes-anarchistes ayant fait le choix de l'organisation spécifique et le courant minoritaire individualiste qui niera le principe de l'organisation.

Amédée Dunois, premier intervenant, fera une sévère critique d'un certain anarchisme qui « avec ses incessants appels à la réforme de l'individu, apparaît comme le suprême épanouissement du vieil individualisme bourgeois. »

Il analysera le développement du communisme anarchiste né de « l'Internationale, c'est à dire en dernière analyse, du mouvement ouvrier».

Il affirmera que cet « anarchisme n'est pas individualiste, il est fédéraliste, « associationniste » en premier chef ... une modalité du socialisme révolutionnaire. »

Appelant à un regroupement des anarchistes, en précisant « ceux de notre tendance qui ne séparent pas l'Anarchisme du prolétariat», il conclura ainsi :

« Ce mouvement anarchiste sortira de notre action commune de notre action concertée, coordonnée. Inutile de dire que l'organisation anarchiste n'aurait pas la prétention d'unir tous les éléments qui se réclament, bien à tort parfois, de l'idée d'anarchie. Il suffirait qu'elle groupât autour d'un programme d'action pratique, tous les camarades acceptant nos principes et désireux de travailler avec nous ».

A quoi le camarade CROISET, représentant le courant individualiste à ce congrès répondit :

« Ma devise, c'est : Moi, moi, moi... et les autres ensuite ! L'organisation a pour résultat fatal de limiter, toujours plus ou moins, la liberté de l'individu. L'Anarchie est donc opposée à tout système d'organisation permanente. »

Liant le débat organisationnel et l'action anarchiste au sein du mouvement ouvrier, Georges THON AR insistera sur la proposition d'action directe :

« Organisons-nous,- non seulement pour la propagande, mais encore et surtout pour l'ACTION DIRECTE... »

Errico MALATESTA conclura le débat par une longue intervention en faveur de l'organisation :

« Pour accomplir un travail réellement utile, la coopération est indispensable, aujourd'hui plus que jamais. Sans doute l'association doit laisser une entière autonomie aux individus qui y adhèrent, et la fédération doit respecter dans les groupes cette autonomie ; mais gardons-nous bien de croire que le défaut d'organisation soit une garantie de liberté. Tout démontre qu'il en est autrement. »

La motion DUNOIS, pour l'organisation, obtient 48 voix contre 5. [7]. Elle précisait entre autre :

« Les anarchistes réunis à Amsterdam...

Considérant, que les idées d'Anarchie et d'Organisation, loin d'être incompatibles, comme on l'a quelque fois prétendu, se complètent et s'éclairent l'une l'autre...

que l'action individuelle, pour importante qu'elle soit, ne saurait suppléer au défaut d'action collective de mouvement concerté ; pas plus que l'action collective ne saurait suppléer au défaut d'initiative individuelle...

Sont d'avis que les camarades de tous les pays mettent à l'ordre du jour la création de groupes anarchistes et la fédération de ces groupes déjà créés. » [8]

En août 1913, une Fédération Communiste Révolutionnaire Anarchiste se constitue à Paris, et opte pour un manifeste révolutionnaire élaboré par Sébastien FAURE. Cette fédération n'eut pas de suite ; la guerre de 1914 interrompit la seule tentative organisationnelle de l'avant-guerre. Notons qu'elle fut surtout un rassemblement de camarades où "l'indépendance des individus au sein du groupe et l'autonomie des groupes au sein de la fédération" étaient respectée. Mais rien de concret ne fut véritablement tenté.

Jean GRAVE n'avait-il pas affirmé en 1911 dans une brochure "L'entente pour l'action" :

« Il est absurde... de vouloir amener les anarchistes à se concerter en vue d'un programme commun d'action! »

Cependant, en Italie, au congrès constitutif de l'U.A.I. (Union Anarchiste Italienne) de juillet 1920, se crée une organisation COMMUNISTE ANARCHISTE et RÉVOLUTIONNAIRE, faisant suite à l'Union Communiste Anarchiste Italienne de 1919, où un PROGRAMME est élaboré par Errico MALATESTA et un PACTE D'ALLIANCE rédigé par Luigi FABBRI, et acceptés de tous :

« L'Union Anarchiste Italienne est constituée dans le but d'étendre avec la propagande l'idée de l'ANARCHISME COMMUNISTE et RÉVOLUTIONNAIRE, de faciliter cette propagande avec l'accord de ses propres forces associées et coordonnées, de promouvoir et d'aider toutes les initiatives qui sont inhérentes à une telle propagande. »

Les anarchistes se prononçaient fermement sur le principe de l'organisation :

« Si PARTI signifie l'ensemble des individus qui ont un but commun et s'efforcent d'atteindre ce but, il est naturel qu'ils s'entendent. qu'ils réunissent leurs forces, qu'ils se partagent le travail et qu'ils prennent toutes les mesures nécessaires pour atteindre ce but. » (Errico MALATESTA)

Le programme anarchiste reste toujours d'actualité. Il est aujourd'hui le programme minimum de la F.A.I. (Fédération Anarchiste Italienne) la plus Importante organisation nationale.

Conclusion :

Si le principe de l'organisation semble être acquis pour l'ensemble du mouvement anarchiste de cette époque il ne se dégage pourtant pas d'accords véritables sur le mode d'organisation que se proposent les anarchistes révolutionnaires.

b) 1920-1940 : La synthèse et la plateforme

La période 1920-1925 connaît un renouveau de l'Anarchisme suite à la Révolution russe de 1917, au développement de mouvements sociaux radicalisés en 1919 et 1920, dans les Conseils allemands, italiens, hongrois... qui présentent des caractères libertaires incontestables pour l'ensemble des militants anarchistes, quand ce ne sont pas pour les uns la réalisation de leur idéal.

L'Union Anarchiste Française qui s'est constituée en 1920 et qui regroupe toutes les tendances, toutes les variantes du mouvement libertaire, connait un surcroit d'activité qui resserre les liens entre tous les militants dans la lutte révolutionnaire. Le LIBERTAIRE organe de l'U.A. deviendra même quotidien, de 1923 à 1925...

Mais bientôt, le recul général du mouvement ouvrier européen devant la montée du fascisme en A11emagne, en Italie, après l'échec du mouvement des Conseils, les désillusions faisant suite au succès des Bolchéviks avec l'écrasement des insurrections en Ukraine, de Cronstad, entraineront conséquemment un recul du mouvement libertaire, créant de graves divergences entre les militants et au sein des groupes anarchistes.

C'est dans ce contexte social de repli de la lutte révolutionnaire que seront élaborés, d'une part, collectivement, la "PLATEFORME D'ORGANISATION DE L'UNION GÉNÉRALE DES ANARCHISTES - Projet - par le groupe d'exilés russes "Diélo Truda", formé principalement de Pietr ARCHINOV, Nestor MAKHNO, VALEVSKY, LINSKY et Ida METT , brochure qui parut en Juin 1926 à Paris, en Français et en Russe ; d'autre part la "SYNTHÉSE ANARCHISTE"opuscule écrit par Sébastien FAURE en 1928 et édité à Limoges.

De ces deux textes allait naître un débat important sur la structure organisationnelle que doit adopter le mouvement anarchiste, polémique suivie de réalisations pratiques, qui se poursuit, quoique très atténué encore aujourd'hui sur le plan international.

Les projets et réponses firent se scinder le mouvement, schématiquement entre organisationnels et anti-organisationnels, entre communistes libertaires et "humanistes" et individualistes, entre révolutionnaires et éducationnistes...

1 – Quels sont les traits distinctifs de ces deux projets organisationnels ?

Ils ont en commun le constat de dispersion des anarchistes et de la faiblesse de leur implantation dans les luttes sociales.

« ...il faut se demander comment il se fait que, ces dernières années surtout, en France particulièrement, l'existence de ces trois éléments anarchistes (syndicaliste, communiste, individualiste) loin d'avoir fortifié le mouvement libertaire ait eu pour résultat de l'affaiblir ... » (La synthèse anarchiste)

Sébastien FAURE cherchera la cause de cet "affaiblissement de la pensée et de l'action anarchiste..." dans le conflit de tendance « ... position de guerre ouverte, acharnée, implacable... »

« Il est très significatif qu'en dépit de la force et du caractère incontestablement positif des idées libertaires, de la netteté et de l'intégrité des positions anarchistes face à la révolution sociale, et enfin de l'héroïsme et des sacrifices innombrables apportés par les anarchistes dans la lutte pour le Communisme libertaire, le mouvement anarchiste est resté toujours faible ... » (Plateforme)

« Un tel état de l'anarchisme révolutionnaire, si nous le prenons dans son ensemble, ne peut être qualifié autrement que comme une - désorganisation générale chronique - » (Plateforme)

Devant ce constat, deux modes différents, contradictoires, d'organisation sont proposés.

La plateforme ne prétend pas, ni ne désire réunir tous les anarchistes de toutes les tendances et dans ce sens, les militants de la plateforme rejettent :

« ...comme théoriquement et pratiquement inepte l'idée de créer une organisation d'après la recette de la "synthèse" c'est à dire réunissant des représentants des différentes tendances de l'anarchisme. »

Au contraire, la synthèse anarchiste qui sera définie par Sébastien FAURE entend réunir les trois tendances principales de l'anarchisme car "... ces trois courants sont appelés à se combiner" afin de reconstituer "... au plus tôt l'immense famille" divisée par les circonstances.

Pour les plateformistes "l'unique méthode menant à la solution du problème d'organisation générale est, le ralliement des militants actifs de l'anarchisme sur la base de positions précises : théoriques, tactiques et organisationnelles, c'est à dire sur la base plus ou moins achevée d'un programme homogène."

Sebastien FAURE dans son appel pour un regroupement de listes, entre révolutionnaires et éducationnistes... tous les militants libertaires, et qui fait suite à la Synthèse, précise :

« Le champ est vaste. Que chacun y ,choisisse sa place, mais que d'efforts peuvent être associés ! Antiparlementaire, anti-capitaliste, anti-religieux, anti-étatiste, anti-militariste, est-il un anarchiste, un seul qui ne soit pas tout cela ? »

Dès lors, le projet plateformiste consiste à un regroupement autour d'un « programme homogène », révolutionnaire, et celui de la synthèse, à un rassemblement hétéroclite qui s'appuie sur une multitude de négations.

A noter, outre les structures rigoureuses quasi centralistes (comité exécutif) avançées dans les statuts organisationnels de la Plateforme, cette dernière affirme son caractère "avant-gardiste" en précisant que :

« ... le rôle des anarchistes ,en période révolutionnaire ne peut se borner à la seule propagande des mots d'ordre et des idées de l'anarchisme..

... il ne suffit pas que les masses prennent le chemin de la révolution, il importe encore de savoir maintenir cette tendance de la révolution et son but... »

Et pour cela l'Union Générale doit :

« devenir l'avant-garde organisée de leur processus émancipateur. »

Conclusion

Ainsi à une conception "anarcho-léniniste" de l'organisation, fortement influencée par le succès bolchévik pendant la Révolution Russe, répondra une conception « humaniste » et « pluraliste » , « a-classiste » (homme abstrait au-dessus des classes) toute contenue dans l'expression "l'immense famille" [9]

2 - Quelles seront les réalisations concrètes, en France, de ces conceptions organisationnelles ?

a) De 1920 à 1939

L'Union Anarchiste Française qui s'était constituée en 1920 subit très rapidement les répercussions du débat international sur le plateforme des exilés russes. L'U.A. qui constituait un regroupement d'anarchistes autour du journal LE LIBERTAIRE devait bientôt être le lieu des conflits de tendances.

Au congrès d'Orléans du 11 au 14 juillet 1926, l'U.A. Adopte un manifeste qui tente de concilier individualistes et communistes, révolutionnaires et éducationnistes. L'U.A. devient U.A.C. Union Anarchiste Communiste [10]

L'année suivante au congrès de Paris (30 oct./1er Nov.1927) la tendance plateformiste s'affirme nettement contre" l' individualisme irresponsable" et "l'incohérence et la dispersion des efforts", et réclame au sein de l'organisation l'application du principe de la responsabilité individuelle et collective [11]

Un courant minoritaire avec Sébastien FAURE quitte l'UAC et constitue l'A.F.A. Association des Fédéralistes Anarchistes.

C'est dans ce climat que FAURE rédige son projet "LA SYNTHESE ANARCHISTE".

L'UAC devenait l'UACR (Union Anarchiste Communiste Révolutionnaire) , 'pour se différencier des autres tendances se réclamant de l'anarchisme" (Nicolas FAUCIER [11])

Cette nouvelle organisation se dotait de statuts qui répondaient au projet d'organisation générale des anarchistes, avec cartes d'adhésion, commissions administratives et découpage régional de l'UACR en fédérations et groupes. Les décisions étaient prises à la majorité et déterminaient les positions de l'organisation.

Après trois ans de difficile développement de l'UACR, plateformiste, dû aux agressions de l'AFA, le Congrès de Paris de 1930 annula les statuts et revint au manifeste de 1926.

Suite à la situation politique particulière (montée du fascisme) des années 33-35, l'AFA et l'UACR firent l'unité et reconstituèrent l'UA en mai 34. La tendance synthésiste revenait majoritaire dans la nouvelle organisation et entrainait d'autres scissions... La FCL (Fédération Communiste Libertaire) plateformiste, de 1934 à 1936, et la FAF (Fédération Anarchiste de Langue Française) qui rejetta l'UA jugée "... sectaire et résolument et uniquement communiste... ne peut intéresser, ni satisfaire les autres tendances..." en particulier les "individualistes" !. Son organe était' 'Terre Libre" et avait comme principaux rédacteurs VOLINE et PRUDHOMMEAUX.

La situation reste inchangée jusqu'à la deuxième guerre mondiale.

Conclusion

Le débat organisationnel entre plateformistes et synthésistes se poursuivra après la guerre et sera encore l'une des causes principales des nombreuses scissions et divisions du mouvement anarchiste, jusqu'à nos jours.

Ni la Synthèse de Sébastien FAURE, ni la Plateforme des camarades russes, ne fut la "panacée" : elles furent toutes les deux incapables de résoudre efficacement la question organisationnelle dans le mouvement libertaire, et ne purent éviter le morcellement.

b) Depuis 1945

Octobre 1945:une nouvelle organisation est créée, la F.A., qui tente le regroupement de toutes les individualités (ou groupes) dispersées par la guerre.

Elle n'adopte pas de manifeste ou de principes clairs (des motions « chèvre-choux » - Maurice JOYEUX in L'HYDRE DE L'HERNE).

Dès 1950, un courant dont le principal représentant est Georges FONTENIS, s'appuyant sur les thèses archinovistes, développe une pratique autoritaire en constituant une organi- sation secrète OPB qui investit tous les rouages de l'organisation et finit par exclure tous les oppositionnels à ce courant (congrès

de Bordeaux juin 1952). Une nouvelle structure centraliste mise en place par une méthode stalinienne, donne naissance à la FCL, Fédération Communiste Libertaire (Mai-Juin 1953).

Cette nouvelle organisation adopte un Manifeste du Communisme Libertaire rédigé par FONTENIS et dont les principes sont les suivants :

« Unité idéologique... unité de programme et unité tactique définie par les congrès... la position majoritaire étant l'expression de l'organisation à défaut d'unanimité. »

Ce manifeste déclare en outre :

« ... la FCL se considère l'AVANT-GARDE ... exprimant dans son idéologie et son action les aspirations du prolétariat ... (et tend) à donner... et contribuer à développer la conscience révolutionnaire des masses. »

Des statuts sont adoptés où des structures centralistes donnent à l'organisation un caractère bureaucratique, autoritaire, allié à une conception léniniste du rôle de l'organisation.

Cette organisation disparait vers 1958, dans !'indifférence générale après avoir présenté des candidats aux élections législatives de 1956. [12]

LA FÉDÉRATION ANARCHISTE

Reconstituée en décembre 1953, à partir des groupes exclus de la FA-FCL, elle met en place une association qui est le propriétaire légal des biens matériels (journal et librairie étant passés entre les mains de la FCL) et moraux (éviter toute « aventure fonteniste » ou « archinoviste » ...) de la FA.

Elle adopte comme principe organisationnel, la synthèse anarchiste (pluralité des tendances) et rejette la responsabilité collective. Elle ne détermine pas de programme ou de manifeste anarchiste, mais s'appuie sur des « principes de base » qui donnent un aperçu global de l'idée d'anarchie.

En 1961, au Congrès de Montluçon, des groupes anarchistes communistes issus des G.A.A.R. (Groupes Anarchistes d'Action Révolutionnaire) qui éditent une revue NOIR et ROUGE, rejoignent la FA et constituent une fédération de tendance au sein de la FA, l'U.G.A.C. (Union des Groupes Anarchistes Communistes).

Cette tendance insistera « sur la nécessité de l'organisation, organisation révolutionnaire spécifiquement libertaire, dans le cadre de la lutte des classes des travailleurs contre les bourgeoisies et les bureaucraties, le capital d'état ou privé ».

Cette tendance essaie de clarifier les pratiques anarchistes révolutionnaires au sein de la FA et tente de développer théoriquement le courant communiste-libertaire.

« Nous entrions à la FA, organisés sur nos propres principes. Nous avions confectionné une déclaration de principe et des statuts.. nous pouvions continuer notre travail d'organisation des anarchistes communistes sans nous couper du mouvement anarchiste général qui nous permettait de nous exprimer dans le MONDE LIBERTAIRE et dans bulletin intérieur. Quant à nous, nous gardions notre vie propre et notre propre bulletin interne que les autres tendances ne pouvaient pas lire. » [13]

Ce souci de l'UGAC de réactualiser l'Anarchisme Révolutionnaire rencontre au sein des « structures » de la FA de nombreux barrages, le « sectarisme » de la plupart des vieux militants, et un confusionnisme idéologique entretenu par les différentes tendances existantes. [14]

A partir de 1964 l'UGAC se retire peu à peu de la FA et en 1966 réalise une brochure « LETTRE AU MOUVEMENT ANARCHISTE INTERNATIONAL » qui définit les principes organisationnels et programmatiques de l'Union des Groupes Anarchistes Communistes.

Les grandes lignes seront les suivantes :

  • L'UGAC tirait la conclusion qu'il était impossible de créer une organisation groupant toutes les tendances de l'anarchisme ;

  • elle ne prétendait pas représenter à elle seule l'Anarchisme et désirait entretenir des relations fraternelles avec les autres tendances, et s'unir avec elles si besoin est sur des objectifs communs ;

  • elle souhaitait organiser et fédérer tous les anarchistes communistes ;

  • elle se donnait des statuts et des principes, un « pacte liant les groupes anarchistes d'accord avec ses objectifs et ses méthodes».

  • elle déclarait être une organisation révolutionnaire basée sur « l'unité tactique et idéologique, selon les principes de la plate-forme d'Archinov». [15]

En 1968 l'UGAC disparait sans avoir créé le mouvement qu'elle souhaitait.

La FA n'en restait pas moins secouée par le problème organisationnel et les scissions que cela entrainait, thème qui était débattu de congrès en congrès, en particulier par le camarade Maurice FAYOLLE.

Au congrès de TRELAZE en 1960, FAYOLLE fait une critique sévère, rigoureuse de la FA. Ce sera le début de son incessante activité constructive, pour définir ce que pourrait être une organisation révolutionnaire anarchiste.

Sa contribution a l'élaboration d'un manifeste révolutionnaire et d'un minimum de structures organisationnelles sera à l'origine de l'O.R.A. (Organisation Révolutionnaire Anarchiste), tout d'abord comme tendance au sein de la FA vers 1967, puis comme organisation autonome en avril 1969.

L'ORA reconstituait, à quelques nuances près, ce que l'UGAC avait tenté quelques années auparavant. L'ORA adoptait également la plateforme d'Archinov comme structure organisationnelle ...

L'ORA en 1975, remet en cause certaines de ses pratiques gauchistes et devient O.C.L. (Organisation Communiste Libertaire). [16]

Conclusion

Ce court tracé historique nous a semblé nécessaire à une analyse des problèmes organisationnels que rencontre encore aujourd'hui le mouvement anarchiste et en particulier la Fédération Anarchiste, organisation à laquelle nous adhérons.

II. CONTRIBUTION A L'ÉLABORATION D'UN PROGRAMME ANARCHISTE

A. PRÉLIMINAIRE : SITUATION ACTUELLE

a) Le groupe Emma Goldman

Le groupe Emma Goldman créé fin 1975, élabore quelques mois plus tard, dans la recherche d'une plus grande cohésion entre les militants, un minimum d'accords idéologiques – notre projet révolutionnaire - (Revue Anarchiste N° 1) qui sera développé (et l'est encore) point par point dans cette revue et au sein de débats publics (Luttes autonomes, Régionalisme, Violence révolutionnaire.. .).

Cette démarche a pour effet de clarifier notre compréhension de l'anarchisme et de faire preuve de cohérence dans notre intervention militante.

Nous nous affirmions communistes anarchistes et révolutionnaires.

Notre adhésion à la FA allait de soi, considérant celle-ci comme une organisation révolutionnaire efficiente.

Nous acceptions la synthèse anarchiste comme principe organisationnel : les différentes tendances pouvaient cohabiter et entretenir des relations fraternelles et solidaires.

Les expériences scissionistes du passé nous étaient étrangères, ou restaient dans le flou historique.

Notre groupe pouvait se développer et acquérir les bases d'une formation militante par ses rapports avec les autres groupes de la FA, et dans son action de quartier.

Aujourd'hui, après deux ans d'existence et ayant approfondi cette démarche idéologique et pratique, nous ressentons la nécessité de redéfinir l'Organisation - rôle et structures – à laquelle nous adhérons.

Nous nous interrogeons :

  • Quelle organisation ?

  • Quelle Fédération Anarchiste ?

Pour nous, la Question de l'organisation est liée à notre projet révolutionnaire. Le choix d'un type d'organisation est fondamental dans et pou l'action que nous menons ou que nous avons à mener contre le capital et l'État.

Bien qu'historiquement le mouvement anarchiste ait laissé apparaitre une certaine part de refus à s'organiser sur un schéma structuré, le besoin d'association et de création de rapports humains différents l'emporta en avançant l'idée d'une « organisation nouvelle » qui serait la préfiguration de la société anarchiste.

Le fédéralisme proudhonien, l'idée du contrat libre, fut une réponse à cette recherche d'équilibre, dans le combat entre l'autorité et la liberté, entre la nécessité de « contraintes » organisationnelles et le respect de l'autonomie de l'individu.

L'organisation spécifique anarchiste utilisa le fédéralisme comme le lien et la coordination entre les groupes, entre les individus, sur une base idéologique de refus, anti-capitaliste, anti-étatique, et anti-autoritaire, et sur le terrain de lutte qui permet de « ... promouvoir un milieu social où chaque individu puisse réaliser au maximum ses possibilités intellectuelles et matérielles, milieu dans lequel l'égalité sociale devra être réalisée. » (principes de base de la FA)

b) Ni synthèse, ni plateforme

Nous avons constaté, et constatons encore, par notre présence au sein de la FA, organisation synthésiste, que cette structure, ainsi que la plateforme d'Archinov, n'ont pas été des modes organisationnels efficaces et féconds du mouvement anarchiste ; que ni l'un ni !'autre n'ont pu éviter les scissions successives, qui

provoquèrent un morcellement du mouvement, une désagrégation de la pensée libertaire dans le mouvement social.

Du pluralisme "humaniste" et a-classiste de la, synthèse, détournant le mouvement anarchiste de la lutte des classes, a la pratique bolchévisante d'un certain courant communiste libertaire, il n'a pas été possible en France, en tenant compte du contexte historique, de développer et d'enraciner l'anarchisme au sein du mouvement social, suffisamment pour présenter une alternative réaliste de changement radical et profond de la société.

Mai 1968 a fait rejaillir l'idéal libertaire, insufflant un élan nouveau à ce courant socialiste...

Aujourd'hui, 10 ans plus tard, bénéficiant peu ou prou des retombées des événements de Mai, le mouvement anarchiste se reconstitue.

Au delà des querelles entre les formations "historiques" (FA, OCL, -ex aRA-), depuis un ou deux ans, un comportement différent s'est établi entre anarchistes. La rencontre dans les luttes locales, sur le quartier, dans les entreprises, autour de luttes spécifiques ou de solidarité, de militants engagés directement dans des conflits d'exploitation ou de domination, a donné lieu à des relations permanentes, créant dans les faits une coordination (bien qu'informelle) liant les militants en dehors de leurs groupes ou organisations particulières.

Le dialogue alimente aujourd'hui un débat important sur une possible "RECOMPOSITION DU MOUVEMENT LIBERTAIRE" , où déjà la question organisationnelle est posée.

c) La situation politique et sociale en France

Comme nous l'avons vu lors du développement de mode organisationnel particulier (Internationale anti-autoritaire, Synthèse, Plateforme...) le type d'organisation correspond et reflète l'état de 1utte des exploités.

Actuellement en France la situation politique et sociale globale fait apparaitre un double mouvement des travailleurs ; tout d'abord, une composante déterminante assujettie aux organisations politiques et syndicales, traditionnelles, réformistes, d'obédience marxiste, qui contrôlent et règlent la vie du "monde du travail" à l'intérieur du système capitaliste ; d'autre part une frange non négligeable de travailleurs mécontents, déçus ou insatisfaits de leurs organisations représentatives, ou bien en marge de ces dernières et qui participent à un mouvement de grèves sauvages, de luttes radicalisées (« dures ») de manière autonome (indépendamment des partis et des syndicats) et spontanée, qui va croissant.

Par ailleurs, et s'interpénétrant au mouvement précédent, l'apparition de luttes spécifiques (femmes, écologie, régionalisme, immigrés, insoumis...) qui mettent en avant des caractères anti-autoritaires, anti-hiérarchiques, anti-centralistes, autogestionnaires, intégrant leur spécificité dans un projet global socialiste pour un changement radical de société...

d) Un terrain favorable pour le mouvement anarchiste

Cette situation offre au mouvement anarchiste un terrain favorable à son développement, par la concordance de ses propositions avec celles développées dans ces mouvements, lui donnant la possibi1ité de se réinsérer dans la 1utte sociale ou d' élargir ses bases libertaires. Cette situation réunit en outre les conditions "objectives" minima à une rupture :'"évolutionnaire à forte potentialité libertaire. Elle conditionne le débat sur une possible "recomposition du mouvement anarchiste", mouvement qui doit déterminer en fonction de la confrontation et de l'échange d'analyses et d'informations entre les groupes, sur la réalité sociale,un projet révolutionnaire global, et axer son intervention dans les luttes sociales (quartiers, travail, culture, idéologie) en organisant la présence militante anarchiste autour de ce projet.

B. UN PROGRAMME ANARCHISTE RÉVOLUTIONNAIRE

Pour nous, l'ANARCHISME est un mouvement social né de la LUTTE DES CLASSES, ayant comme perspective l'instauration d'une société COMMUNISTE basée sur la GESTION DIRECTE.

Ce projet anarchiste est RÉVOLUTIONNAIRE, parce que la constitution d'une société ÉGALITAIRE et LIBERTAIRE n'est possible qu'à travers une RÉVOLUTION.

Comme mouvement organisé nous réaffirmons aujourd'hui les position historiques prises en 1872 à la conférence internationale anti-autoritaire de St-imier.

Nous réaffirmons la nécessité de l'Organisation développée par Michel BAKOUNINE, Errico MALATESTA, Luigi FABBRI et Maurice FAYOLLE.

Aujourd'hui, l'exemple italien d'un "Programme Anarchiste" révolutionnaire, réactualisé, élaboré par les camarades des G.A.F. (Groupes Anarchistes Fédérés) peut présenté une base cohérente et solide pour le regroupement du courant anarchiste révolutionnaire. [17] [18]

Dans cette optique, le groupe Emma GOLDMAN a proposé l'étude d'un manifeste lors du congrès de Toulon de juin1977 de la Fédération Anarchiste.

ARTICULATION DES THÉMES
  1. Définition et bases de l'anarchisme révolutionnaire

    • Etude de son évolution historique

  2. Analyse des condition socio-économiques actuelles, nationales et internationales et des rapports de domination

    • Les classes sociales - recomposition

    • L'État - son rôle politique, social, économique, idéologique (Ecole, Justice, Armée, Famille, Média, Culture, sports,...)

    • Le Capital - financier, industriel, petite et moyenne industrie, foncier - artisanat

    • Les services sociaux

    • L'agriculture

    • Le mouvement ouvrier et paysan - ses organisations politiques et syndicales

    • Les luttes réformistes, autonomes, spécifiques

  3. Perspectives d'une révolution

    • Les exemples historiques

    • Les possibilités d'une révolution sociale à potentialité libertaire

  4. Le mouvement anarchiste

    • Son intervention

    • Ses méthodes de lutte

  5. L'internationalisme

Remarques

Les études déjà réalisées par des groupes ou des fédérations peuvent fournir une somme importante de réflexions et d'analyses qui serviront de bases à l'élaboration de ce programme.

Nous pensons en particulier aux résolutions du congrès extraordinaire de la FA de Novembre 77, au congrès international de l'IFA de Mars 78. au programme des GAF, sans oublier toutes les contributions des camarades organisés ou non qui participent d'une manière pratique ou théorique au débat sur la "recomposition du mouvement anarchiste". [19]

III. CONCLUSION : VERS L'ORGANISATION DE LA TENDANCE COMMUNISTE ANARCHISTE

Cette courte étude constitue notre contribution au travail de clarification nécessaire au sein du mouvement anarchiste, afin d'accentuer notre critique du Capital et de l'Etat, toujours en évolution, et de nous insérer comme militants révolutionnaires, au sein des luttes avec plus d'efficacité.

Dés lors, le groupe Emma GOLDMAN se propose de participer au travail de regroupement et d"organisation de la tendance communiste anarchiste.

[1] - Communisme et collectivisme - La conception COMMUNISTE de la société se résume dans la formule « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » et tranche avec le COLLECTIVISME qui adopte la suivante : « A chacun le produit de son travail». Les collectivistes et les communistes sont d'accord dans la lutte contre le monopole de la propriété et veulent ensemble la socialisation de la terre et des moyens de production et d'échanges. Ils se divisent sur le mode de répartition de la production.

[2] - Pierre KROPOTKINE poursuivra sa réflexion sur le communisme anarchiste dans son livre "La conquête du pain » paru en 1892.

[3] - Chronologie des Internationales Libertaires -1864/1914 - Roland BARDY Documents N° 2 publié par l'ORA en 1974

[4] . Le Mouvement Anarchiste en France - T 1 ch. 2. - Jean MAITRON

[5] . Cette pratique organisationnelle née d'une nécessité dans la lutte existe actuellement en Italie, où les groupes anarchistes dans leur ensemble, fédérés ou non, organisent des campagnes ou des actions unitaires.

[6] . L'Organizzazione Anarchica - Luigi FABBRI - Génova 1971 - Page 25 Rapport présenté au congrès anarchiste italien de Rome Juillet 1907 et au congrès anarchiste international d'Amsterdam d'août 1907.

[7] - Le vote était une pratique courante lors des congrès anarchistes. Il était utilisé à titre consultatif, afin de connaître l'opinion du congrès.

[8] - Rapport analytique du congrès anarchiste international d'Amsterdam.

[9] - Plateforme d'organisation de l'Union générale des anarchistes - projet - Supplément à Front Libertaire organe de l'ORA, 1er mai 1972. - La synthèse anarchiste - Sébastien FAURE - Le Monde Libertaire juin 1971 A propos de la Synthèse - Maurice LAISANT - Le Monde Libertaire juin 1973 A propos de la "Plateforme d'Archinov » - Maurice JOYEUX - Le Monde Libertaire avril 74 La LANTERNE NOIRE N° 9.

[10] . Le mouvement anarchiste français - Jean MAITRON - T 2

[11] - Nicolas FAUCIER : Souvenirs d'un permanent. LE MOUVEMENT SOCIAL N° 83

[12] - Bulletin intérieur N°1 Nelle série [8] - Compte-rendu du congrès constitutif de Paris (23/25 mai 1953) - Nature de l'organisation et statuts – MUSÉE SOCIAL.

[13] . Itinéraire d la tendance "anarchiste-communiste » - Recherches Libertaires - juillet 71

[14] . T .A.C. (Tribune Anarchiste Communiste) N° 7

[15] . T.A.C. N°7

[16] . Roland BIARD : Histoire du mouvement anarchiste 1945/1975 ; Jean MAITRON : Le mouvement anarchiste en France T 1 et 2 ;TAC N° 7 - Lettre au mouvement anarchiste international - (UGAC)

[17] . UN PROGRAMME ANARCHISTE - traduction française.

[18] Indépendamment du Programme rédigé par les GAF, cette fédération s'est dissoute pour mieux s'insérer dans la lutte sociale et poursuivre une réflexion collective au niveau du mouvement libertaire italien et international.

[19] - Motions et résolutions du 3ème congrès de l'IFA - Le Monde Libertaire (13 avril 1978) et UMANITA NOVA (9 avril 78)