Titre: UN PLAGIAT TRÈS SCIENTIFIQUE !
Sous-titre: A propos de deux manifestes :
Auteur·e: W. Tcherkesoff
Date: 14.04.1900
Source: http://antimythes.fr/individus/tcherkesoff_warlaam/tw_tn_1900_51.pdf
Notes: Les Temps nouveaux - n°51 14 avril 1900

UN PLAGIAT TRÈS SCIENTIFIQUE !

http://antimythes.fr/individus/tcherkesoff_warlaam/tw_tn_1900_51.pdf

UN PLAGIAT TRÈS SCIENTIFIQUE !


A propos de deux manifestes :


- Principes du Socialisme ; Manifeste de la démocratie au dix-neuvième siècle, seconde édition (1847), par Victor Considérant ;


- Manifeste du Parti communiste, 1848, par Karl Marx et Frédéric Engels.
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« Ce qu’il faut attaquer, ce sont les chefs égoïstes et les organes aveugles qui mènent et exploitant les partis, s’eff orçant de les retenir dans des idées étroites et exclusives, et en état d’hostilité, pour les mieux dominer ». Victor Considérant.


Dans un de mes articles où je traitais de la théorie de la valeur basée sur le travail, j’ai démontré, par des citations nombreuses (1), que la prétention de Marx à réclamer la paternité pour cette théorie si admirablement exposée par Adam Smith juste un siècle avant l’apparition du Capital, que cette prétention n’était pas très « scientifi que ».


Pas plus que cette affi rmation faite par Engels, et répéter par toutes les publications social-démocrates, par tous les prétentieux « scientifi ques » à savoir que la plus-value défi nie par Sismondi, exposée par W. Thompson (1824), adoptée par Proudhon en 1845, avait été aussi découverte par Marx ; ou que l’explication évolutionniste de l’histoire conçue par Vico, formulée par les encyclopédistes, par Volney et par Auguste Comte ; développée si magistralement par Bentham, de notre temps par Herbert Spencer et par toute la philosophie évolutionniste, que cette explication, étrangement appelée par Engels matérialiste, est due aussi au génie exceptionnel de Marx et d’Engels lui-même.


Il y avait de quoi s’étonner devant cette eff ronterie silongtemps pratiquée par deux personnages aveuglés par un sentiment néfaste de grande manie. Mais leurs lecteurs allemands ne pouvant pas s’en apercevoir, tout simplement parce qu’ils ne connaissaient pas l’existence de toute cette littérature anglaise et française. D’autre part, MM. les chefs de la social-démocratie de tous les pays, étant engagés dans les intrigues parlementaires, sont bien contents de n’avoir à lire que deux ou trois brochures d’Engels et quelque exposé populaire du Capital, pour pouvoir parader ensuite devant les ouvriers comme les seuls, les vrais représentants de la science moderne. Tout allait bien, et la[gloire de Marx, comme fondateur d’une science sociale toute à lui, se répandait dans le monde entier. Il arriva que chaque révolutionnaire communiste qui se basait dans ses arguments sur la vraie science de l’humanité était immédiatement proclamé bourgeois ignorant, et souvent même traité d’agent provocateur. Car, disait-on, hors du marxisme, ni science, ni socialisme n’existent ; tout ce que le socialisme contemporain enseigne a été formulé et exposé par Marx et Engels, spécialement dans leur fameux Manifeste du Parti communiste.


Tel fut jusqu’à ces derniers temps ce préjugé que l’ignorant Kautsky pouvait publier dans son journal (Neue Zeit, IXème année, n°8) et les autres ignorants répéter en russe, en français et autres langues, que ce manifeste était une vraie bible du socialisme. Il y a de ça deux ans, dans toutes les langues européennes, on fêtait le cinquantenaire de sa publication. Tous les députés « scientifi ques » ont déclamé de pompeux discours où ils glorifi aient l’apparition de ce manifeste qui, à les entendre, marquerait une ère nouvelle dans le développement de la science et même de l’humanité.


(1) Voir les Temps Nouveaux, n°16 et 17 du 14 et du 21 août 1897.


Qui pouvait les contredire ? Est-ce qu’Engels n’écrivit pas à Dühring (1879) que « ... si Dühring entend - - dire que tout le système économique de nos jours... est le résultat de l’antagonisme entre les classes, de l’oppression... alors il répète des vérités devenues lieux communs depuis l’apparition du Manifeste communiste » ? Personne n’a le droit d’en douter, car c’est le « grand » Engels lui-même qui affi rme, et avec lui les députés « scientifi ques », y compris Guesde, Lafargue, Vandervelde, Ferri et autres savants, qui témoignent que cette nouvelle révélation, ce Nouveau Testament fut donné à l’humanité par Marx dans la bible nouvelle du genre humain, dans le fameux Manifeste du Parti communiste.


Imaginez-vous, lecteurs, l’état d’un fi dèle du Prophète habitué à répéter : « Dieu est grand et Mahomet est son prophète ! » - et qui, un beau jour, trouve sur son divan, au lieu de son Coran sacré, l’ouvrage d’un infi dèle giaour où tout ce qu’il y a de plus sacré dans le livre de Mahomet est exposé avec beaucoup plus de clarté, de précision, de largeur de vues, de profondeur d’idées, mais surtout avec un talent littéraire incomparablement supérieur... Et il sait, ce fi dèle stupéfait, indigné, humilié, que l’ouvrage de l’infi dèle giaour a paru avant le Coran, et que Mahomet, ce grand prophète du fatalisme, l’avait connu.


Pareil à ce fi dèle, je me suis senti stupéfait, indigné et même humilié, il y a de ça à peu près un an, quand j’ai eu la chance de lire l’ouvrage de Victor Considérant : Principes du Socialisme ; Manifeste de la démocratie au dix-neuvième siècle, écrit en 1843, publié en 1847. Il y avait de quoi l’être. Dans une brochure de 143 pages, Victor Considérant expose, avec sa clarté habituelle, toutes les bases du marxisme, de ce socialisme « scientifi que » que les parlementaires veulent imposer à tout le monde. A proprement parler, la partie théorique, où Considérant traite les questions de principes, n’excède pas les premières cinquante pages ; le reste est consacré au fameux procès que le gouvernement de Louis-Philippe intenta au journal des fouriéristes, La Démocratie pacifi que, et que les jurés de la Seine acquittèrent. Mais, dans ces cinquante petites pages, le fameux fouriériste, en vrai maître, nous donne tant de généralisations profondes, claires et brillantes, que seulement une infi me partie de ses idées contient complètement toutes les lois et théories marxistes, y compris la fameuse concentration du capital et le Manifeste du Parti communiste tout entier. Ce fameux manifeste, cette bible de la démocratie légalement révolutionnaire, est une paraphrase bien médiocre des nombreux passages du Manifeste de V. Considérant. Marx et Engels non seulement ont puisé le contenu de leur Manifeste dans le Manifeste de V. Considérant, mais aussi la forme, les titres des chapitres ont été retenus par les imitateurs.


Le paragraphes du deuxième chapitre (p.19) chez V. Considérant porte le titre : La situation actuelle et 89 : la bourgeoisie et les prolétaires.


Bourgeois et Prolétaires est le titre du premier chapitre chez M. & En. (2).


V. C. examine diff érents partis socialistes et révolutionnaires sous le nom général de démocratie (les fouriéristes sont nommés démocratie pacifi que) et ses paragraphes portent les titres : - La démocratie immobiliste (p.33) ; - La démocratie rétrograde (p.41) ; - Parti socialiste de la démocratie rétrograde (p.44).


Les titres chez M. & En. sont : - Le socialisme réactionnaire (p.25) ; - Le socialisme conservateur et bourgeois (p.31) ; - Le socialisme et communisme critico-utopique (p.32).


N’est-ce pas qu’on croirait tous ces titres comme appartenant au même ouvrage ? En comparant le contenu, nous verrons que réellement ces deux manifestes sont tout à fait identiques.


Avant de commencer la comparaison des textes, il faut renseigner le lecteur sur la bonne foi historique d’Engels. Au commencement de leur manifeste, M. & En. déclarent que : « déjà (en 1848) le communisme est reconnu par toutes les puissances d’Europe comme une puissance » (p.1).


Au Congrès de Zurich de 1893, le même Engels disait : « A ce moment (1843-45), le socialisme n’était représenté que par de petites sectes... ». Les petites sectes ou la puissance ! Qui a ici raison : M. & En. ou Engels tout seul ?...


(A suivre).


Waarlam TCHERKESOFF. -


- (2) Manifeste du Parti communiste, édition de l’Ère Nouvelle, Paris. - Pour éviter des répétitions innombrables, nous emploierons : V.C., pour Victor Considérant ; M. & En., pour Marx et Engels ; M.D., pour Manifeste de la Démocratie ; M,C.,