Titre: Manifeste anarchiste
Sous-titre: Liberté, Égalité, Fraternité
Auteur·e: Ferdinand Monier
Date: 1886
Source: https://www.libertarian-labyrinth.org/anarchist-beginnings/ferdinand-monier-manifeste-anarchiste-1886/

À vous qui produisez tout et qui n’avez rien que ce que vous laissent ceux qui ne produisent rien et qui ont tout.

COMPAGNONS,

Les hommes que s’intitulent « Parti ouvrier » viennent de nous adresser un manifeste, dans lequel nous invitent à nous rendre à Bruxelles le 15 août pour y réclamer le suffrage universel.

Examinons donc froidement et, sans parti-pris, la situation, et demandons-nous : Que peut le suffrage universel pour améliorer notre sort ?

A cette question nous répondrons catégoriquement : Rien !

En effet :

Considéré en lui-même, il ne changera absolument rien aux conditions sociales qui nous écrasent.

Considéré dans ses effets législatifs, il nous assurera, nous dit-on, une diminution des heures de travail, une augmentation des salaires, etc., etc. Et c’est surtout ici que la duplicité de ceux qui aspirent à nous gouverner est parvenue à fausser le jugement de certains d’entre nous, et à leur faire attribuer aux suffrage universel une vertu qu’il n’a pas.

Il est pourtant de la dernière évidence – même, en ne tenant pas compte de l’évolution des idées des masses souffrantes, qui, nous menant nécessairement et à très proche échéance, à une commotion violente, dépassera d’un bond l’évolution parlementaire – il est évident que le suffrage universel ne pourrait nous donner à bref délai la majorité :

Les exemples de la France, l’Allemagne, de la Suisse, de l’Amérique sont là pour le prouver.

Et sans majorité, quelle amélioration espérer à notre situation ? Mais cependant, nous dit-on, il y a des pays où il existe des lois quelque peu protectrices du travailleur.

Voici où éclate la mauvaise foi de nos aspirants députés : Nous savons nous pas, Compagnons, que jamais une loi sur le travail n’a été obtenue par l’intermédiaire des députés, et que toutes ce lois, si anodines qu’elles soient, n’ont été obtenues que par l’agitation, extraparlementaire ?

Le suffrage universel ne nous avancerait donc en rien.


« Nous voulons le suffrage universel » dit leur manifeste.

Eh bien ! nous ne nous soucions pas de votre suffrage universel !

Il nous importe peu.

Ce que nous voulons, nous, c’est du pain et du travail pour tous.

Nous voulons mettre réellement en pratique les grands principes proclamés par nos pères, les paysans révolutionnaires de 89-93 : Nous voulons non pas une vaine égalité politique, non pas cette hypocrite formule inscrite par la bourgeoisie sur ses drapeaux, et dont on voudrait, encore aujourd’hui, nous faire un idéal ; mais l’Egalité réelle – le communisme, la vraie Liberté – l’anarchie ; et, par là, la véritable Fraternité, c’est-à-dire la solidarité de tous les intérêts.

Plus de Propriété ! Plus d’Etat ! Nous voulons une société qui, suivant la parole de Platon, pratique à la lettre le vieux proverbe : « Tout est véritablement commun entre amis. ».

Voilà ce que nous voulons.

Et nous prenons pour nous ce que le parti soit-disant ouvrier dit de lui-même :

« Nous luttons, pour notre droit, pour obtenir justice, et nous réussirons :

« Rien ne peut arrêter un peuple qui veut une chose et la veut fermement. »

Rappelons-nous ces lignes de l’un des nôtres, le compagnon Kropotkine :

Qu’on ne vienne pas nous dire que nous ne sommes qu’une petite poignée, trop faible pour atteindre le but grandiose que nous visons.

Comptons-nous, et voyons combien nous sommes à souffrir de l’injustice.

Paysans, qui travaillons pour autrui et qui mangeons l’avoine pour laisser le froment au maître, nous sommes des millions d’hommes ; nous sommes si nombreux qu’à nous seuls nous formons la masse du peuple. Ouvriers qui tissons la soie et le velours pour nous vêtir de haillons, nous sommes aussi des multitudes ; et quand les sifflets des usines nous permettent un instant de repos, nous inondons les rues et les places, comme une mer mugissante. Soldats qu’on mène à la baguette, nous qui recevons les balles pour que les officiers aient les croix et les pompons, nous, pauvres sots, qui n’avons su jusqu’à maintenant que fusiller nos frères, il nous suffira de faire volte-face pour voir pâlir ces quelques personnages galonnés qui nous commandent. Nous tous qui souffrons et qu’on outrage, nous sommes la foule immense, nous sommes l’océan qui peut tout engloutir. Dès que nous en aurons la volonté, un moment suffira pour que justice se fasse.

Vive l’Anarchie !

Les groupes anarchistes de la partie de l’Humanité parquée sur la portion de territoire appelée « Belgique » par ceux qui nous exploitent.

Vive la Révolution sociale !