L’hiver s’amène officiellement le 20 décembre, — mais le charognard n’a pas attendu jusque-là pour nous geler les arpions et le bout du nez, — fichtre non !

Nous voici à la saison où le soleil a grise mine, il a des gueules de papier mâché et n’est pas plus faraud qu’un fromage blanc. Comme chaleur, il ne nous envoie guère plus qu’un glaçon et ça, parce qu’au lieu de nous servir ses rayons d’aplomb, l’animal ne nous les expédie qu’en biseau — de sorte qu’ils se tireflutent par la tangente, sans se donner la peine de dégeler nos abattis.

C’est aussi l’époque de l’année où les jours sont les plus courtauds et où les mouches blanches font leur apparition.

Le populo ne rigole pas de tout ça ! Pour lui, c’est une sacrée rallonge à la mistoufle. Les croquemorts en savent quelque chose ; le turbin abonde, — les fosses communes s’emplissent !

Ce qu’il en défile, des prolos, quand vient l’hiver ! Malheur de malheur, si on en connaissait la litanie complète, notre sang ne ferait qu’un tour.

Et on aurait bougrement raison de se fiche en colère car, y a pas à tortiller, y a mèche de s’aligner pour éviter ce déquillage.

Il suffirait que chacun ait des godillots qui ne soient pas à soupape, des frusques chaudes, une tenue galbeuse et du bon frichti pour se garnir le fusil.

C’est-il impossible ?

Non pas ! rien de plus simple que d’arriver à ça : il s’agit de le vouloir !

Du coup, les croquemorts pourraient se rouler les pouces ; leur clientèle diminuerait en un clin d’œil !

C’est en hiver, — un jour quelconque, choisi au hasard de la fourchette par des pantouflards de la haute, — que s’amène le commencement de l’année crétine : le premier Janvier, en style esclave.

Il tombe moins de mouches blanches en tout l’hiver qu’il ne se débite de faussetés ce jour-là.

On se rend des visites à contre-cœur, on s’expédie des bouts de carton en ronchonnant et on s’écrit des babillardes jésuitiques où le sucre et la pâte de guimauve cachent le fiel.

C’est la journée des mensonges, des fourberies, des hypocrisies et des reniements.

Nivôse, le mois de la neige, brouh ! Ohé, les fistons, prenez soin de votre blair : si vous ne voulez pas qu’il coule, kif-kif une fontaine Wallace, collez-lui un caleçon.

Et vous autres les niguedouilles qui, pour prendre femme, avez demandé permission au mâre ou au ratichon, tenez vos moitiés à l’œil. L’insigne du mois étant le Capricorne, les bougresses auront le diable au corps et voudront être chauffées de partout. Quoique le printemps soit encore loin, elles ne rateront pas une occase de faire pousser cornes au front de leur mari… Si celui-ci a seulement pour quat’ sous de philosophie dans son sac, il se consolera, — le désagrément qui lui arrive étant preuve que sa femme est gironde.

Ce mois-là, la bise buffera ferme, coupant les visages en quatre, — tandis que le gel fendra les pierres et emboudinera les doigts des prolos.

Finaud sera, le mariole, qui fera le compte des mouches blanches voletant dans l’air. A celui-là, le père Peinard promet pour étrennes trente centimètres de ruban wilsonien.

Heureux seront les bidards qui auront pour couverte autre chose que le grand édredon qui emmaillotera la terre.

Turellement, ces sacrés bidards seront ceux qui méritent le moins cette veine. Ceux qui ne souffleront pas dans leurs doigts, parce qu’ils auront des gants et des mitaines, — qui ne battront pas la semelle, parce qu’ils auront leurs pieds de cochons bien au chaud, — ce sont les richards ! Ces birbes-là ne se plaindront pas du frio ; engoncés dans leurs fourrures, ayant dans leurs caves du soleil en bouteilles, c’est-à-dire du chauffage pour se roussir à gogo leurs poils du creux de la main, ils trouveront la saison admirable.

Pour ce qui est des déchards, nom d’une pipe, ce sera une autre paire de manches : les refileurs de comète se patineront ferme pour arriver aux asiles de nuit, avant qu’on ne colle à la porte, kif-kif au cul des omnibus, le triste mot « complet ! »

C’est en Nivôse que les crétins et les jean-foutre de la gouvernance font commencer leur année. Turellement, elle débute par une chiée d’hypocrisies et de menteries.

Des birbes de tout calibre s’enfarineront la gueule, pour faire des mamours à des types qu’ils ne peuvent voir en peinture.

Les fils souhaiteront à leurs vieux de vivre kif-kif Mathieu-Salé, jusqu’à 834 ans, — tandis qu’en réalité ils voudraient les voir crampser illico, afin d’hériter vivement.

Et tous feront pareillement, mille dieux : du plus gros matador au plus petit larbin, c’est à qui fera sa bouche en cul de poule, disant le contraire de ce qu’il pense.

L’année s’ouvrira donc par des mensonges. Quoi d’étonnant qu’elle se continue par mille misères, par des crimes, par des horreurs sans nom, dont sera victime le populo…, tant qu’il sera assez poire pour se laisser faire.

Pluviose, le mois de la flotte. S’il pleut ferme, bons bougres, ne vous en foutez pas la tête à l’envers : y aura moins de poussière par les chemins. Ceux qui ne geindront pas, si ça dégouline comme vache qui pisse, ce sont les campluchards. Pour eux, pluie de février, c’est jus de fumier. En fait de fumier, que je leur dise : y a rien d’aussi bon que les carcasses de richards et de ratichons, mises à cuire six mois dans le trou à purin. Ça dégotte tous les engrais chimiques du monde. En effet, le jour où les culs-terreux utiliseront ces charognes, ils n’auront plus ni impôts, ni dîmes, ni rentes, ni hypothèques, ni foutre, ni merde, à payer, — conséquemment, aussi maigre que soit la récolte, elle sera toujours assez grasse pour eux.

Il se peut qu’au lieu de nous verser de l’eau à pleines coupes, Pluviôse nous amène un temps humide, brouillasseux, avec des bourrasques de neige à la clé, — ceux qui ne suceront pas les pissenlits par la racine m’en diront des nouvelles.

Sûrement, les purotins trop nombreux, qui auront des ribouis à soupapes, ne trouveront pas chouette d’avoir les pieds à la sauce. S’ils sont malins, ils se trotteront à la grande cordonnerie à 12 fr. 50 ; puis, une fois gantés à leurs pieds, ils se tireront des flûtes vivement, prouvant ainsi au marchand que sa camelotte est extra.

Dans la deuxième décade, mardi gras s’amènera, rudement maigre pour le populo. Les bouchers étaleront des bœufs, des moutons, des veaux à leurs devantures : cette carne dodue mettra l’eau à la bouche du pauvre monde et ce sera tout… Ces tas de mangeaille iront entripailler les bourgeois.

Un tas de jean-foutre, qui vivent déguisés d’un bout de l’an à l’autre, n’auront pas à se fiche en frais, pour être en costumes de carnaval.

Primo, c’est la frocaille : moines moinillant, nonnes et nonnains, évêques, curés, vicaires, cagots et ostrogots… au total tout le paquet de la puante ratichonnerie.

Deuxièmo, c’est leurs copains, enjuponnés comme eux, les marchands d’injustice : chats-fourrés, grippe-minauds, chicanous, avocats-bêcheurs, et toute la vermine qui vit de leur maudit métier.

Troisièmo, c’est les militaires : les ronchonnot, les vieilles badernes, les culottes de peau, depuis l’adjuvache jusqu’aux généraux, tous ces massacreurs patentés, baladant leur ferblanterie en plein soleil, — avec beaucoup de rouge, sur leurs frusques théâtrales, afin que le raisiné du populo qu’ils ne se privent pas de faire giscler, ne fasse pas tâche dessus.

Puis c’est les polichinelles de la politiquerie : quoique n’étant pas costumés, ces birbes-là n’en sont pas moins des pierrots de carnaval.

A toute cette engeance, — et à celle que j’oublie de citer, — l’année sera mauvaise ; sera-t-elle aussi mauvaise que le souhaite le grand gniaff ? C’est là le grand hic !…

Ventôse, aura beau faire venter le vent, il ne déracinera pas la Tour Eiffel, ne rasera pas la foêt de Bondy, ne changera pas de place les rochers, ne rendra pas les poids de vingt kilos aussi légers qu’une plume d’oie, ne fera pas voleter les hippopotames et les éléphants kif-kif les oiseaux-mouches. Par contre, les petits capels de plus d’une gironde fille s’envoleront par-dessus les moulins, présageant la prochaine venue des hirondelles.

Les pointilleux prouveront que si les capels des jeunesses sont si batifoleurs, la faute n’en est pas au vent, mais bien à de gros boufils à cul doré.

A ces tatillons, je répliquerai, que si les gosselines pouvaient s’attiffer gentiment, s’enrubanner à leur fantasia, sans besoin de pièces de cent sous, elles ne se laisseraient pas conter fleurettes, ni chatouiller le menton, par les vieux birbes, non plus que par les singes.

Du coup, on ne verrait point pr les rues et les chemins de pauvres filles bedonant du tiroir ou remorquant un môme.

Être mère, sans permission des autorités, ne serait plus une honte !…

En Ventôse, le soleil nous montrera une frimousse encore pâlotte, mais chaude quand même ; pour chasser le brouillard, le vent lui soufflera dans le nez.

Cependant, faudra pas avoir trop de confiance ! Gare aux bons bougres qui se baladeront sans pépins ! S’ils reçoivent sur le râble quelques giboulées de mars, qu’ils ne s’en prennent qu’à eux. Il est vrai que, s’ils en pincent pour l’équilibre, ils pourront, après l’arrosage extérieur des averses, s’humecter l’intérieur d’une choppe de bière de mars.

Ce mois-là, le soleil vadrouillera dans le signe des poissons : les gouvernants, les rentiers, les patrons et leurs contremaîtres, les aristos et les feignasses, étant tous de la famille des maquerautins, seront heureux de vivre trente jours sous leur emblême.

De bonnes bougresses, qui n’étant pas de la même parenté, non plus que de celle des canards, n’ont pas le goût de l’eau chevillé au corps, ce sont les blanchisseuses. Fatiguées de barbotter dans le liquide, sans que jamais leur battoir ou leur savon soient mordus par une baleine, elles profiteront de ce que la mi-carême s’amènera un jeudi, 1er mars, pour s’en donner à cœur joie. Mince de chahut qu’elles se paieront ce jour là ! On pourra se croire arrivés à la semaine des quatre jeudis.

Pour ce qui est de nous, bon populo, en fait de poissons, nous continuerons à avaler des couleuvres, — et aussi à trimer pire que des galériens afin que les mornes de la haute se baladent dans de riches falbalas.

Si seulement nous suivions l’exemple que nous donneront les paysans !

A ce moment, ils finiront l’échenillage des arbres, enlèveront les mousses, les lichens et autres salopises qui sucent les troncs et les branches.

Jusqu’au gui des pommiers, qui malgré sa gueule verte, ne trouvera pas grâce : ils lui couperont la chique carrément