collectif
De l’esclavage au salariat, deux facettes d’une même exploitation
Introduction
Paroles d’anciens esclaves
« Les esclaves ont été maintenus en servitude et enchaînés à la terre. [...] Voilà la prétendue liberté offerte à l’homme de couleur par les Yankees. »
« On a félicité Lincoln de nous avoir libérés. Mais qu’a-t-il fait en vérité ? Il nous a donné la liberté mais sans nous laisser aucune chance de vivre par nous-mêmes, et nous avons continué à dépendre de l’homme blanc du Sud pour le travail, la nourriture et les vêtements. Il nous a laissés dans un état de nécessité et de besoin. Un état de servitude à peine meilleur que l’esclavage. »
A propos de John Brown et de la tentative de prise de Harper’s Ferry
« Un tel gouvernement national ne pouvait évidement pas permettre qu’une insurrection soit à l’origine de l’abolition de l’esclavage. Tant qu’à mettre fin à l’esclavage, il fallait du moins que ce fût dans des conditions totalement maîtrisées par les Blancs et uniquement lorsque les intérêts économiques et politiques des milieux d’affaires du Nord l’exigeraient. En fin de compte, c’est Abraham Lincoln qui incarnera à la perfection cette alliance entre les intérêts des milieux d’affaires, les ambitions politiques du nouveau parti républicain et la rhétorique humaniste. Il saura placer l’abolition de l’esclavage non pas au sommet de sa liste de priorité mais assez près tout de même pour qu’elle y soit propulsée sous la double pression des abolitionnistes et d’intérêts politiques plus pragmatiques. » (Extraits d’Une histoire populaire des États-Unis, « Chap IX : Esclavage sans soumission, émancipation sans liberté » / Howard Zinn / 1980 / textes tirés de l’édition d’Agone, 2002.)
Quand le 19 février 1861 le tsar Alexandre II promulgua par l’ouskase l’abolition du servage en Russie il eut ces mots :
« Mieux vaut donner la liberté par en haut que d’attendre que l’on vienne la prendre par en bas. »
La fin de l’esclavage en Russie témoignait alors d’une volonté des élites de ramener la paix sociale dans le pays. En effet, propriétaires terriens, patrons d’usines, capitalistes en général et politiciens craignaient un soulèvement majeur et terrible, la paix sociale étant fortement menacée par la colère qui grondait depuis de nombreuses années. En 1826–29 sont comptées 88 agitations [1] pour 207 en 1845–49, chaque année en moyenne 7 seigneurs se faisaient trucider, des villages entiers disparaissaient pour échapper aux impôts et durant la guerre de Crimée (1854–55) de grandes émeutes éclatent. Il était donc nécessaire que la pression retombe sous peine de voir la situation exploser. De plus, cette réforme n’avait pas pour seule considération la situation sécuritaire, chose qui aurait pu être réglée en accentuant la répression, mais obéissait autant à des volontés capitalistes. Comme partout dans le monde, l’industrialisation se développait à grande vitesse et les usines nécessitaient de plus en plus de main-d’oeuvre. Le servage fut un frein immense à cette expansion : la Russie était alors un pays essentiellement composé de paysans et les serfs des campagnes était attachés à vie aux seigneurs locaux, en conséquence de quoi ils n’avaient aucune liberté de circulation. Une fois cette contrainte du servage, et donc du déplacement des populations, levée par l’ouskase les paysans devenus « libres » purent aller grossir les rangs des travailleurs des usines.
S’il nous a semblé important de revenir sur l’exemple historique de la Russie tsariste et de la fin de l’esclavage dans divers contextes, c’est qu’aujourd’hui les mêmes mécanismes de contrôle de la paix sociale et de la pérennité de ce système basé sur le fric et le pouvoir sont à l’oeuvre. A travers tous les textes réunis il est chaque fois possible de discerner un ou plusieurs aspects qui ont motivé les puissances coloniales et les Etats à mettre fin au servage : paix sociale à restaurer, motivations capitalistes et nécessités politiques, chacun d’entre-eux étant liés les uns aux autres.
L’existence de troubles et de mouvements sociaux qui mettent en danger les systèmes dominants ont toujours existé. La répression sous toutes ses formes est un moyen qui tend à écraser toute volonté de révolte qui remet en question l’organisation sociale et le contrôle qu’exerce tel ou tel gouvernement sur la population. Mais quelques fois le bâton n’est plus efficace, il ne provoque plus la peur mais alimente le brasier, c’est alors que la carotte entre en action. On la retrouve quand il est offert à tel meneur un petit pouvoir personnel, de l’argent et des privilèges, quand un gouvernement cède sur telle revendication et concède quelques miettes par-ci par-là à un mouvement, quand un Etat lance des réformes sociales (assurance maladie, aides sociales...), etc. Le but commun du bâton et de la carotte est de faire baisser une tension sociale et l’un comme l’autre ont prouvé leur efficacité. Les motivations capitalistes sont très liées à cette dimension de la paix : sans un certain calme les affaires tournent mal, ou pas du tout. Si dans l’esprit réactionnaire raciste de beaucoup d’entrepreneurs des USA il valait mieux avoir sous sa botte des esclaves, ce sont des capitalistes tels que Lincoln qui comprirent le danger que représentaient les Noirs asservis depuis trop longtemps. Certains patrons virent vite où leurs intérêts se plaçaient dans la fin de l’esclavage : de un les Noirs se croiraient libres et perdraient une raison de se révolter, de deux ils resteraient enchaînés au travail désormais salarié sous peine de crever de faim. Pour parachever le tout ces ordures capitalistes ont alors pu faire les fiers et se vernir de beaux atours faussement humanistes servant leurs calculs politiques et de pouvoir. Pour la classe dominée le passage de l’esclavage au travail salarié fut comme passer d’une cage avec des barreaux en fer forgé à une cage où, là, les barreaux sont invisibles mais pourtant bien réels. Si le seigneur s’était mué en patron et le contremaître en flic, leurs rôles étaient toujours d’exploiter ce qui fut l’esclave et après le travailleur et de le réprimer dans ses élans de colère et de liberté. Les prolétaires n’ont rien gagné dans l’abolition de l’esclavage si ce n’est qu’un os à ronger, jeté par les puissants pour qu’ils se tiennent un peu plus tranquilles. Désormais ils étaient « libres » de bosser ou de crever de faim mais ils étaient calmés [2]. Ce mythe de la « liberté » est quelque chose de très fort qui sert toujours et ce dans de plus grandes proportions à l’heure actuelle. Quelconque émancipation ne peut jamais venir d’en haut, si ce n’est quelques miettes. L’Etat et le Capital tiennent à leur pouvoir et tentent à tout prix de le maintenir, c’est pour cela, et c’est l’unique raison profonde qui les anime, qu’ils ne laisseront jamais le prolétariat s’émanciper par lui-même et hors de son contrôle. D’une manière générale le fait de lâcher du lest par des réformes et des concessions est un moyen très efficace de casser un mouvement de lutte, même si celles-ci sont des freins dans la course au profit et au contrôle de la population. C’est pour cela qu’aujourd’hui il existe des droits démocratiques, des partis et des syndicats. En nous faisant croire que nous sommes libres de faire ce que bon nous semble ces ordures nous maintiennent dans le carcan de cette « liberté » créée par et pour les intérêts des dominants. Ce n’est pas une tare de ce système que l’existence de classes sociales qui s’affrontent, c’est sa constitution propre et obligatoire à son bon fonctionnement et à sa pérennité : il faut des dominants et des dominés, des exploiteurs et des exploités. Cet état des choses ne peut être détruit que par un bouleversement de l’ordre dominant et une destruction des rapports capitalistes et de pouvoir quels qu’ils soient.
Pour un monde sans esclaves, salariés ou non.
— « La Propagande Démocratique », Journal des intérêts populaires, Novembre 1839
De l’émancipation de nos esclaves dans nos colonies
Nos philanthropes gouvernementaux roulent, dit-on, dans leurs têtes, le projet d’émanciper les 250 000 esclaves des colonies françaises, et cela dans un délai très rapproché. Faut-il leur savoir gré de ce projet ? En d’autres termes, l’émancipation pure et simple est-elle une mesure suffisante et donne-t-elle amplement satisfaction aux imprescriptibles droits de l’humanité ? C’est ce que nous allons examiner.
Et d’abord, qu’est-ce que la liberté telle que nous l’ont faite les lois qui nous régissent ? Depuis l’abolition des jurandes et des maîtrises, l’industrie n’a plus d’entraves, à ce que l’on assure, en quoi consiste cette concurrence industrielle tant vantée ?
Admirez la magnanimité des bourgeois de l’Assemblé constituante, ils ont dit : désormais chacun sera libre de produire. Et la foule abrutie s’est mise à battre des mains et a reçu cette liberté comme un bienfait ineffable. Cette liberté, c’était un fléau destructeur ; la fameuse formule d’Adam Smith : Laissez faire, laissez passer que l’Assemblé constituante inscrivait en tête de la nouvelle législation industrielle, c’était la sentence de mort des prolétaires.
Chacun est libre de produire, sans doute, mais chacun en a-t-il les moyens ? Voilà toute la question. Avec l’extrême inégalité des fortunes telle qu’elle existait il y a 50 ans et telle qu’elle existe encore aujourd’hui, n’est-ce pas une cruelle et sanglante dérision que de dire à ceux qui n’ont que leur intelligence et leur bras : produisez.
Toute production suppose trois agents principaux : l’intelligence, le travail et l’argent ; il est donc aussi impossible au prolétaire de produire sans argent, qu’au capitaliste sans bras.
Que devait être et quel a été le résultat de la concurrence illimitée en matière d’industrie proclamée par l’Assemblé constituante ? L’asservissement des travailleurs aux détenteurs de capitaux, l’esclavage des pauvres et la dictature des riches. Étrange et fatale contradiction ! Ces mêmes hommes qui, d’une main, avaient détruit le servage féodal, de l’autre, instituèrent le servage industriel. Il n’y eut plus de serfs, il y eut des prolétaires. Les noms seuls avaient changé, les termes étaient restés les mêmes. Et ils appelaient cela de la liberté ! Oui, une liberté qui comme Saturne, dévorait ses enfants.
L’homme qui a faim n’est pas libre ; et le prolétaire, sans cesse aux prises avec la faim, est nécessairement esclave. Je sais bien que vous me direz qu’il a la faculté d’aller et de venir, que ses mouvements ne sont gênés en rien, qu’il peut se lever et se coucher quand bon lui semble. Je vous en conjure, ne jouons pas sur les mots. L’homme n’a pas été mis sur la terre uniquement pour errer à l’aventure comme les bêtes des bois ; il est une autre liberté à laquelle il a droit de prétendre, c’est celle qui est basée sur la satisfaction de tous ses besoins légitimes. Cette liberté-là est la première et la plus précieuse de toutes, ou plutôt, elle seule est la liberté, tout ce qui n’est pas elle n’est qu’esclavage.
Ils sont libres, dites-vous, ces infortunés prolétaires que nous voyons, le teint hâve, les yeux creusés, les vêtements en lambeaux, se traîner sur nos places publiques comme des spectres échappés de la tombe ? Vous voulez dire qu’ils sont libres de mourir.
Eh bien ! Voilà la liberté qui attend les esclaves de nos colonies quand une loi aura proclamé leur émancipation. Ils ne seront plus esclaves, ils seront prolétaires ; ils auront cessé d’appartenir à un homme, sans s’appartenir à eux-mêmes. Aujourd’hui le maître, dont ils sont la chose, la propriété, et qui les a achetés à beaux deniers comptants, est intéressé à leur conservation ; il pourvoit à tous leurs besoins ; quand ils sont malades, il les soigne ; quand la vieillesse commence à affaiblir leurs muscles, il diminue leur tâche, et il proportionne toujours la somme de leur travail à la somme de leurs forces ; enfin, le planteur traite son esclave avec la même sollicitude que le fermier son boeuf ou son cheval. Mais il n’en sera plus ainsi lorsque l’esclave sera devenu un salarié, lorsqu’il sera libre, pour parler comme messieurs les philanthropes. Alors il rentrera dans la classe commune de ceux qui, pour manger, vendent leur sueur aux détenteurs des instruments de travail, et qui sont forcés de subir leurs conditions quelques dures qu’elles soient, sous peine de mourir de faim. Et l’on prétend que leur condition sera changée ? Sans doute elle sera changée, mais en pis.
Sur les 250 000 esclaves de nos colonies, 160 000 seulement sont valides, les autres sont trop jeunes ou trop âgés pour être capables d’un travail continu. Nous demanderons d’abord à nos hommes d’Etat ce qu’ils ont l’intention de faire de ces 90 000 malheureux hors d’état de travailler pour vivre ? La question est assez grave, ce nous semble, pour fixer l’attention de nos aigles administratifs. Mais ce n’est pas tant encore le sort des enfants et des vieillards qui nous préoccupe, que celui des hommes valides, car, enfin, on pourra ouvrir aux premiers de vastes établissements de refuge où ils seront nourris et habillés aux frais de l’État. Mais les seconds, dans quelle affreuse situation ne se trouveront-ils pas ? Physiquement dans toute la vigueur de l’âge, ils seront moralement au même niveau que les vieillards et les enfants ; ils n’auront pas la force d’esprit et le bon sens nécessaire pour se conduire. Ignorants et sans nulle expérience des choses, ils seront à peu près dans le même cas que ces aveugles de naissance qui recouvrent tout à coup la lumière, et qui éprouvent un tel éblouissement qu’ils ne peuvent en jouir. La liberté des prolétaires est une liberté menteuse qui n’existe que dans la bouche de ceux qui les exploitent ; ah ! combien plus mensongère encore sera celle des esclaves émancipés qui non-seulement dépendront encore de leurs maîtres devenus leurs patrons, mais ne seront en garde ni contre les mille nécessités de la vie, ni contre les mille privations qui sont le partage et comme le patrimoine des travailleurs. Leur esclavage n’aura réellement pas cessé, il continuera sous un autre nom.
Les esclaves sont aujourd’hui vis-à-vis des sublimes philanthropes qui rêvent leur émancipation ce que les serfs de l’ancien régime étaient vis-à-vis des réformateurs de l’Assemblé constituante. À qui leur émancipation profitera-t-elle ? À leurs maîtres seulement, qui continueront de prélever sur eux la dîme du sang, et qui seront dispensés du soin de leur jeter un morceau de pain quand la maladie ou l’âge ne leur permettra plus de travailler.
Est-ce à dire que l’émancipation des esclaves soit une chose intempestive et qu’il faille prolonger indéfiniment l’esclavage dans nos colonies ? Nous n’avons pas besoin d’affirmer que telle n’est pas la conclusion à laquelle nous voulons arriver. Émancipez les esclaves, et nous applaudirons de toutes nos forces ; mais ne vous bornez pas à une demi-mesure, il ne suffit pas de rendre la liberté à tant de malheureux qui en sont privés, mais d’assurer leurs existences en brisant le monopole industriel qui pèse sur le travail, en les reliant les uns aux autres par le lien puissant de l’association : il ne suffit pas de leur dire : Marchez ; il faut les débarrasser des entraves qui retiennent leurs pieds captifs. Isolés, ils seront à la merci de quiconque voudra les exploiter ; associés, ils ne dépendront que d’eux-mêmes et ils seront véritablement libres, et votre émancipation ne sera pas un vain mot.
La question de l’émancipation des esclaves dans nos colonies se rattache donc invinciblement à l’immense question des salaires, qui fait trembler le sol de la vieille Europe, et qui annonce par de terribles craquements que l’édifice vermoulu des siècles menace ruine de toutes parts. Cette question brûlante et formidable se pose plus nettement de jour en jour d’une solution que tout esprit sain et lucide entrevoit facilement.
La Guerre Servile
« La propriété, c’est le vol. L’esclavage, c’est l’assassinat. » (P. J. Proudhon)
« Nous sommes des abolitionnistes du nord venus pour prendre et délivrer vos esclaves. Notre organisation est considérable et doit réussir. J’ai beaucoup souffert au Kansas, et je m’attends à souffrir encore ici pour la cause de la liberté humaine. Je regarde les propriétaires d’esclaves comme des voleurs et des meurtriers, et j’ai juré d’abolir l’esclavage et de délivrer mes semblables. » (John Brown)
Une poignée de free soilers vient d’essayer une levée d’esclaves sur les frontières de la Virginie et du Maryland. Ils n’ont pas vaincu et ils sont morts, mais ils sont morts du moins en combattant ; ils ont semé dans le sillon de la défaite la victoire future. John Brown [3], qui a combattu précédemment au Kansas, où un de ses trois fils a été tué par les esclavagistes et dont les deux autres viennent de périr à ses côtés ; John Brown est le Spartacus qui appelait les modernes Ilotes à briser leurs fers, les Noirs à prendre les armes. La tentative a échoué. Les Noirs n’ont pas répondu en nombre à l’appel. L’étendard de la révolte s’est affaissé dans le sang de ceux qui le portaient. Cet étendard... c’était celui de la liberté... et je le salue ! et j’en baise les plis sanglants sur le sein déchiré des vaincus, sur le front mutilé des martyrs ! — Qu’il brille à mes yeux, debout ou abattu ; qu’il provoque les esclaves noirs ou les esclaves blancs à la révolte : qu’il se déploie sur les barricades du vieux et du nouveau continent ; qu’il serve de cible aux soldats de l’ordre légal ; qu’il soit troué par les balles des bourgeois assassins de Washington ou de Paris ; foulé aux pieds par les gardes nationales et mobiles de France ou d’Amérique, insulté par les prostituées de presse de la République modèle ou de la République honnête et modérée ; de loin comme de près, qu’il y ait péril ou non à s’en approcher, ce drapeau, c’est le mien ! Partout où il apparaît, je me lève à son appel ; je réponds : présent ; je me range à sa suite ; je revendique la complicité morale, la solidarité de tous ses actes. Qui le touche me touche : — Vendetta ! !
L’insurrection de Harper’s Ferry a passé comme un éclair ; le nuage est redevenu sombre ; mais le nuage recèle l’électricité. Après tes éclairs éclatera ta foudre, ô Liberté !...
En France, en 39, un autre John Brown, Armand Barbès, fit aussi une échauffourée. Cette émeute politique fut un des éclairs précurseurs dont Février fut le coup de foudre. (Juin 48, le premier soulèvement exclusif du Prolétariat, commence la série des éclairs sociaux précurseurs de la Révolution libertaire.) Les privilégiés ont traité Barbès de fou et d’assassin, comme ils traitent Brown d’insensé et de bandit. L’un était bourgeois, l’autre est un blanc, enthousiastes tous les deux de l’affranchissement des esclaves. Comme Barbès en 39, Brown est un héroïque fanatique, un chaleureux abolitionniste qui marche à l’accomplissement de ses desseins sans consulter mûrement les causes de succès ou d’insuccès. Plus homme de sentiment que de connaissance, tout entier à l’impétueuse passion qui l’enflamme, il a jugé le moment opportun, le lieu favorable pour agir, et il a agi. Certes, ce n’est pas moi qui l’en blâmerai. Toute insurrection, fût-elle individuelle, fût-elle vaincue d’avance, est toujours digne de l’ardente sympathie des révolutionnaires, et elle en est d’autant plus digne qu’elle est plus téméraire. Ceux qui aujourd’hui renient John Brown et ses compagnons, ou les insultent de leur bave : — les faiseurs de banalités abolitionnistes qui mentent le lendemain à leurs tartines de la veille, devraient au moins avoir la pudeur des lèvres, à défaut du cœur qui leur manque ; — les mercenaires de l’empire français, ces sbires du trône, ces scribes de l’autel, ces vendus qui chantent quotidiennement Te Deum à la gloire des armées et aspergent d’encre-bénite les braves moissonneurs de lauriers, les héros de champ de bataille couronnés du turban des zouaves ou des turcos ; ceux-là surtout devraient se souvenir que les free soilers de Harper’s Ferry, ces lutteurs de la liberté, ont au moins une vertu qui mérite leur feint respect : la vaillance en face de l’ennemi ! N’est-ce donc qu’aux soldats des empereurs ou des rois qu’ils savent dire : « Honneur au courage malheureux » ? Ces insurgés, que les soldats et les volontaires de l’esclavage ont assassinés martialement ou que les juges soldés vont assassiner légalement, ils se sont battus un contre cent, pourtant... et ceux qui ont été laissés pour morts et qui, comme Brown, ont survécu à leurs blessures, vont être pendus, dit-on... Infamie ! que ces plumes vénales qui s’acharnent avec une froide rage sur le cadavre des vaincus et en dénaturent les traits à pleines dents. Hideux folliculaires, ils n’ont de l’homme que le visage ; leur crâne ne recouvre que des instincts de hyène. Ce sont eux ou leurs pareils qui, il y a dix-huit cents ans, et devant un autre gibet, jetaient à la face de Jésus, et de Jésus saignant, la boue sanglante de leur parole ! !
Mais laissons ces filles de presse à leur abjection. Il y a des insultes qui honorent comme il y a des baisers qui flétrissent : ce sont les insultes et les baisers de la prostitution !
Examinons les faits et tirons-en les enseignements. Pour qu’une insurrection réussisse dans les Etats à esclaves, suffit-il de l’initiative de quelques chauds abolitionnistes libres et blancs ? Non. Il faut que l’initiative vienne des Noirs, des esclaves eux-mêmes. L’homme blanc est suspect à l’homme noir qui gémit dans l’ilotisme et sous le fouet des Blancs, ses maîtres. Dans les Etats soi-disant libres, l’homme de couleur est regardé comme un chien ; il ne lui est permis d’aller ni en voiture publique ni au théâtre ni ailleurs, si ce n’est pas un coin réservé : c’est un lépreux en lazaret. L’aristocratie blanche, l’abolitionniste du Nord le tient à distance et le refoule avec mépris. Il ne peut faire un pas sans rencontrer d’imbéciles, d’absurdes, de monstrueux préjugés qui lui barrent le passage. L’urne électorale, comme la voiture publique, comme le théâtre et le reste, lui est interdite. Il est privé de ses droits civiques, traité en tout et partout en paria. L’homme noir des Etats à esclaves sait cela. Il sait qu’il est matière et enjeu à toutes sortes d’intrigues ; que l’abolitionnisme, pour les maîtres du Nord, les exploiteurs de prolétaires et d’électeurs, les propriétaires d’esclaves blancs, cela veut dire bénéfices industriels et commerciaux, nominations aux emplois politiques, appointements d’Etat, piraterie et sinécures. Aussi se défie-t-il avec raison des Blancs ; de sorte que les bons, ceux qui lui sont sincèrement fraternels, pâtissent pour les mauvais. Et puis, cette liberté à laquelle on le convie généralement, quelle est-elle ? La liberté de mourir de faim... la liberté du prolétaire... Aussi montre-t-il peu d’empressement à exposer sa vie pour l’obtenir, bien que sa vie soit des plus misérables et que la liberté soit son plus grand désir. Beaucoup de nègres, du reste, sont tenus dans une si profonde ignorance, une si rigoureuse captivité, qu’ils ne savent guère ce qui se passe à quelques milles au-delà de la plantation où ils sont parqués, et qu’ils en prendraient volontiers les limites pour les limites du monde !... La tentative de John Brown a cela de bon, que le récit en retentira d’échos en échos jusque dans les cases les plus reculées, qu’il y remuera la fibre d’indépendance des esclaves, les disposera à la sédition, et sera un agent de recrutement pour un autre mouvement insurrectionnel. Mais le soulèvement de Harper’s Ferry a un tort, et un tort grave : c’est d’avoir été d’une générosité insensée, alors qu’il était maître du terrain ; c’est d’avoir épargné la vie des malfaiteurs légaux ; de s’être contenté de faire des prisonniers, de prendre des otages, au lieu d’avoir mis à mort les planteurs qu’il avait sous la main, les trafiquants de chair humaine, et d’avoir ainsi donné des otages à la rébellion. La propriété de l’homme par l’homme est un assassinat, le plus horrible des crimes. En pareille circonstance, on ne parlemente pas avec le crime : on le supprime ! Quand on a recours, contre la violence légale, à la force des armes, c’est pour s’en servir : il ne faut pas craindre de verser le sang de l’ennemi. D’esclaves à maîtres, c’est une guerre d’extermination. Il fallait porter le fer d’abord, et, en cas de revers, la flamme ensuite sur toutes les Plantations. Il fallait — victorieux— que pas un planteur, — vaincu — que pas une Plantation restât debout. L’ennemi est plus logique, lui : il ne fait pas de quartier !...
Tout producteur a droit à l’instrument et au produit de son travail. Les Plantations du Sud appartiennent de droit aux esclaves qui les cultivent. Les maîtres en doivent être expropriés pour cause de moralité publique, pour crime de lèse-Humanité. C’est ce que John Brown semble avoir reconnu dans une Constitution qu’il voulait proclamer, élaborations d’idées peu lucides et pleines de ténèbres, mais qui témoignent du besoin de justice et de réparation sociales dont ce vaillant cœur est animé, et, par conséquence, dont le cœur des masses, source et foyer du sien, est animé. Tôt ou tard, la goutte deviendra fleuve, l’étincelle deviendra incendie ! Ainsi le veut le Progrès, Loi naturelle et imprescriptible.
1860 va bientôt se lever sur le monde, aurore de grands événements révolutionnaires. Toute l’Europe est sous les armes : c’est le dernier râle des rois... Rois de haut et de bas étage. Qu’en Amérique le prolétaire du Nord et l’esclave du Sud s’apprêtent pour la grande guerre, la guerre prolétarienne et la guerre servile, la guerre contre le « maître, notre ennemi » et, alors, que le vieux et le nouveau continents poussent d’une voix fraternelle ce cri d’insurrection sociale, ce cri de la conscience humaine : — Liberté ! ! !
Et vous, Martyrs ! John Brown, Shields, Aaron C. Stephens, Green, Copie, Copeland, Cook, vous ne serez plus, peut-être ! livrés au bourreau, égorgés par la corde des lois, vous aurez été rejoindre vos compagnons, tombés sous le fer et le plomb... Et nous, vos complices en idée, nous aurons été impuissants à vous sauver... que dis-je, nous aurons été les complices même de vos meurtriers !... en n’armant pas nos bras pour vous défendre, en n’agissant qu’avec la parole ou la plume, avec les fibres, au lieu d’agir aussi avec le glaive et le fusil, avec les muscles. Quoi ! nous, vos assassins ? Hélas ! oui... C’est horrible ! n’est-ce pas ? — Ah ! que ce sang retombe sur nous et nos enfants... que nos consciences et les leurs s’en imbibent... qu’il en fasse déborder la haine et l’insurrection contre le Crime Légal !... — Le temps de la Rédemption est proche. Captifs que nous sommes dans le réseau des institutions civilisées, nous rachèterons alors nos fautes forcées, notre douloureuse inaction... Martyrs ! vous serez vengés !...
Oh ! la Vendetta ! la Vendetta !!!...
— Le Libertaire n°18, « La Guerre Servile », Joseph Déjacque, 26 octobre 1859.
La Question Américaine
XI.
Le prolétaire blanc est le frère naturel de l’esclave noir, il lui doit son appui, et il le lui donnerait à coup sûr s’il n’était lié par la Constitution. Nul doute que si l’on prenait chaque Américain séparément et qu’on lui demandât son opinion sur l’esclavage, la très grande majorité ne répondit pas la condamnation de l’esclavage ; et cela, non-seulement dans le Nord, mais même aussi dans le Sud. La violence et l’astuce gouvernementales en empêchent seules au Nord comme au Sud la manifestation : au Nord, par les édits des gouvernants issus de l’intrigue et de la corruption, et qui relèguent au rang de parias les hommes de couleur libres, dans le but d’entretenir chez la plèbe blanche d’absurdes préjugés, de la rendre moralement esclave, afin de la gouverner plus aisément et à perpétuité ; si bien que, dans les Etats libres même, le prolétaire blanc n’ose traiter en égal son frère le prolétaire noir, de peur d’encourir le blâme des gentlemen, l’index de ses patrons et maîtres de toute sorte ; absolument comme celui qui, dégagé de toute superstition en Dieu, va néanmoins au temple, pour mariage, baptême ou enterrement, de peur de se faire remarquer des détenteurs du capital, de tous les tyranneaux politiques et religieux, et d’être, comme athée privé, par eux de son gagne-pain. — Au Sud, c’est pire encore.
Là, pour oser manifester une opinion abolitionniste, c’est la prison, c’est la potence qu’il faut affronter, c’est le poignard, le revolver, l’emplumement, d’atroces et barbares supplices, la loi de Lynch infligée par des bandes de loffers à la solde des Planteurs et de leur valetaille politique, les corps législatifs et exécutifs de l’Etat.
Il y a au Nord des hommes qui parlent de l’infériorité des Noirs. En supposant qu’ils ne soient pas eux-mêmes inférieurs aux Noirs (et je serais bien tenté de l’admettre sur la foi de leur pitoyable raisonnement) ; qu’ils veuillent prendre la peine de visiter certains quartiers de New-York ; qu’ils y contemplent un peu ces horribles faces irlandaises, ces hommes, ces femmes, ces enfants qui n’ont rien d’humain, et qui cependant jouissent du titre de libres citoyens, — opprobres de la République, esclaves de la Foi, et que le pasteur de l’Eglise romaine mène à coups de goupillon dans les sentiers du crétinisme !... Et après cela, qu’ils vantent encore, s’ils l’osent, la supériorité des Blancs sur les Noirs. Je les mets au défi de trouver rien d’aussi ignoble et féroce que les traits de ces brutes blanches, de ces êtres, nés pour faire des hommes, et dégénérés en animaux catholiques ! O Religion ! voilà pourtant ce que tu fais de la créature, humaine ! Quelle image de ton Dieu ! !... — Si les Noirs des Etats libres ne sont pas plus développés qu’ils ne le sont, la faute uen est à l’interdit que fait peser sur eux la législation blanche, et à la Religion qui leur enseigne la soumission envers les dominateurs, au lieu de la révolte.
Il y a au Sud des hommes qui parlent de la nécessité des esclaves noirs pour cultiver le coton ; et ce sont les propriétaires de plantations cotonnières. Le prolétaire blanc, disent-ils, ne pourrait faire ce travail : le soleil le tuerait. Touchante philanthropie, attendrissement de crocodile ! et qui sied vraiment bien à ces hôtes riverains des bayous ! Comment se fait-il alors que, dans le Sud, où soi-disant l’on craint si fort d’exposer les Blancs à la culture du coton, ce soit précisément ces mêmes Blancs qui fassent les travaux les plus meurtriers, et, qui plus est, le fassent à l’exclusion des Noirs ? Qui donc, s’il vous plaît, défriche Les terres vierges ! ? Qui perce les routes ? Qui creuse les canaux ? Qui, sur les levées infectes et brûlantes des fleuves, charge et décharge les steamboats ? Qui ? dites ! si ce n’est les Blancs ? — Ces Blancs sont-ils, oui ou non, alors à la merci des rayons foudroyants du soleil ? Sont-ils à l’abri des miasmes pestilentiels, quand ils remuent avec la pelle ou la pioche la terre fétide du canal qu’ils creusent ou du chemin de fer qu’ils remblayent ? Répondez, esclavagistes ! lâches imposteurs ! Est-ce que par hasard vous vous risqueriez à mettre les nègres de vos plantations à ces travaux. Non ! car, maquignons de chair humaine, vous savez que la fièvre les décimerait, et vous aimez mieux sacrifier la vie des prolétaires blancs que celle des esclaves noirs, attendu que les uns ont votre propriété, un bétail qui a un prix, et que les autres ne coûtent rien. A l’exemple de Napoléon le Premier, ce boucher de champ de bataille, qui, dans la sanglante arène où l’on comptait les cadavres, s’apitoyait sur le nombre des chevaux morts et restait impassible devant les monceaux de cavaliers tués, — vous aussi vous dites : Les prolétaires se remplacent ! la faim, cette conscription forcée, nous en renverra d’autres !...
L’esclavage direct des Noirs, cette abominable monstruosité moderne, est un anachronisme dans un siècle où s’agite la question d’émancipation des esclaves blancs, la délivrance du prolétariat. A vrai dire, ce n’est plus aujourd’hui par les arguments de la parole qu’on devrait répondre à ces énergumènes d’un autre âge, à ces échappés et revenants du bas empire romain, c’est par la pique et le canon. Les bénéficiaires et les souteneurs d’un pareil système sont hors la loi humaine. Il n’y a pas à discuter avec ces existences de cannibales, civilisés sudesques qu’on dirait pétris du limon des alligators... Il n’y a qu’à les supprimer ! Tout compromis avec l’esclavage est un crime. C’est Justice éclatante qu’il faut !
— Le Libertaire n°27, extraits de « La Question Américaine », Joseph Déjacque, 4 février 1861.
Esclavage sans soumission, émancipation sans liberté
pp. 199 et 200
Le soutien du gouvernement américain au système esclavagiste se fondait avant tout sur un indiscutable sens pratique. Aux environs de 1790, le Sud produisait un millier de tonnes de coton par an. En 1860, il en produisait un million de tonnes. Au cours de cette même période, le nombre des esclaves passait de cinq cent mille à quatre millions. Constamment en proie aux révoltes et aux conspirations (Gabriel Posser [4], 1800 ; Denmark Vesey, 1822 ; Nat Turner, 1831), les États esclavagistes du Sud développèrent un réseau de différents outils de contrôle qui s’appuyait sur les lois, les tribunaux, les forces armées et le préjugé raciste des responsables politiques de la nation.
Seul un soulèvement général des esclaves ou une guerre généralisée auraient pu abattre un système aussi solidement étayé. Un soulèvement général risquait de se révéler incontrôlable et de libérer des forces qui pourraient s’en prendre, au-delà de l’esclavage, au système d’enrichissement capitaliste le plus efficace du monde. En cas de guerre généralisée, en revanche, ceux qui la conduiraient pourraient en maîtriser les conséquences. Aussi est-ce Abraham Lincoln et non John Brown [5] qui affranchit finalement les esclaves. En 1859, John Brown fut pendu avec la complicité des autorités fédérales pour avoir tenté de faire, par un usage somme toute modéré de la violence, ce que Lincoln ferait quelques années plus tard après un déchaînement de violence généralisé : mettre fin à l’esclavage.
L’abolition se faisant sur ordre du gouvernement — sous la formidable pression, il est vrai, des Noirs libres et esclaves, et des Blancs abolitionnistes -, elle pouvait être orchestrée de manière à ce que l’émancipation restât limitée. Cette libération « venue du haut » ne pouvait dépasser les bornes fixées par les intérêts des groupes dominants. Mais, portée par la dynamique de la guerre et la rhétorique de la croisade, elle pouvait être ramenée vers un cadre encore plus sûr. Si l’abolition de l’esclavage entraîna, en effet, une reconstruction nationale sur les plans économiques et politiques, ce ne fut pas une reconstruction radicale mais une reconstruction sécurisante — et surtout rentable.
pp. 204 et 205
Les rares occasions au cours desquelles des Blancs pauvres avaient aidésdes esclaves avaient suffi à imposer la nécessité de les dresser les uns contre les autres. Genovese nous apprend que :
« Les propriétaires d’esclaves [...] suspectaient ceux qui n’en avaient pas d’encourager les esclaves à la désobéissance et parfois même à la révolte — non pas tant par sympathie pour les Noirs que par haine des riches planteurs et par ressentiment de leur propre misère. Certains Blancs étaient parfois impliqués dans les projets de soulèvements des esclaves et les craintes n’en étaient que plus vives. »
On comprend mieux alors la sévérité de la répression s’abattant sur les Blancs qui fraternisaient avec les Noirs. Herbet Aptheker cite un rapport adressé au gouverneur de Virginie au sujet d’une conspiration d’esclaves en 1802 :
« Je viens juste d’apprendre que trois individus blancs sont impliqués dans la conspiration. Ils avaient des armes et des munitions dissimulées sous leurs maisons et devaient apporter leur aide aux nègres lorsque ces derniers se seraient révoltés. »
L’un des esclaves de la conspiration affirma que seuls « de pauvres Blancs ordinaires » y étaient impliqués.
Il arrivait également que les Noirs aident les Blancs. Un fugitif noir évoquait le cas d’une esclave qui arrivait et reçu cinquante coups de fouet pour avoir nourri un Blanc pauvre et malade.
Lors de la construction du canal de Brunswick, en Géorgie, les esclaves noirs et les ouvriers irlandais travaillaient séparément, sous prétexte d’empêcher qu’ils se battent. C’est bien possible. Mais Fanny Kemble, actrice célèbre et femme de planteur, écrit dans son journal que :
« Les Irlandais ne sont pas seulement querelleurs, indisciplinés, cogneurs, soiffards et grands détestateurs de nègres devant l’Eternel ; ils sont aussi passionnés, impulsifs, avec un coeur grand comme ça, généreux et capables d’un sentiment de révolte indignée qui explose brutalement lorsqu’il ne peut rester contenu plus longtemps. En outre, ils sont fort compatissants et l’air américain qui emplit leurs poumons, mêlé à une exacte proportion d’esprit enflammé, nous interdit d’affirmer qu’ils sont incapables de prendre les esclaves en sympathie. Je vous laisse juger des conséquences d’une telle possibilité. Vous vous rendez compte, j’en suis certaine, qu’il ne peut être question de les laisser travailler ensemble sur le canal de Brunswick. »
Cette nécessité de contrôler les esclaves est à l’origine de l’invention d’un ingénieux système : payer les Blancs pauvres — eux-mêmes à l’origine de bien des troubles dans le Sud depuis deux siècles — pour surveiller le travail des Noirs et en faire l’objet premier de la haine des esclaves.
— Une histoire populaire des États-Unis, « Chap IX : Esclavage sans soumission, émancipation sans liberté », Howard Zinn, 1980. (Textes tirés de l’édition d’Agone, 2002.)
La charette
Les charretiers employés par don Laureano étaient des hommes libres. Lorsque l’un d’eux ramenait la charrette dans la cour de son maître, il avait le droit de lui déclarer sans ambages :
« Écoutez-moi, patron, je veux m’en aller ; j’ai trouvé un autre travail qui me convient. »
S’il était un bon charretier, don Laureano lui aurait dit :
« Pourquoi veux-tu me quitter, Julian ? Voilà quatre ans que tu es à mon service et nous n’avons jamais eu la moindre discussion. Bon, j’accepte de t’augmenter, tu auras un demi-réal de plus par jour. »
Neuf fois sur dix le charretier se décidait à rester. Pourtant, si l’augmentation offerte lui paraissait insuffisante, rien ne l’empêchait de partir. Don Laureano n’insistait jamais pour garder un de ses charretiers, si celui-ci avait vraiment envie de le quitter. Cet homme était libre, après tout. Et il ne tarderait certainement pas à découvrir que sa liberté était toute relative, que son nouveau patron le payait moins, le faisait travailler davantage et le maltraitait plus que son baudet ou que son chien. Mais comme il n’arrivait pas à se remplir l’estomac en se contentant d’ouvrir la bouche sous la pluie, il était obligé, bon gré mal gré, de trimer pour le maître qui voulait bien l’employer et lui payer de quoi acheter ses haricots et ses tortillas. C’est ainsi que le charretier libre apprenait à ses dépens que la liberté qu’il avait d’aller où bon lui semblait n’était qu’un vain mot, destiné à voiler les dures réalités de sa condition.
En creusant le problème, on découvrait aisément que les charretiers, étaient, eux aussi, liés à leurs maîtres par une contrainte, à peine différente de celle qui régnait dans les haciendas.
Les charretiers se croyaient libres d’aller où ils le voulaient, et quand il en auraient décidé ainsi. Par contre les péons savaient qu’ils ne l’étaient pas et qu’ils n’avaient pas le droit de partir s’ils en avaient envie. Et pourtant, au fond, ils étaient soumis, sous une forme différente, à un sort identique.
Les propriétaires amassaient leurs fortunes en maintenant une dictature de fer sur leurs péons, tandis que les hommes d’affaires de l’espèce de don Laureano obtenaient de gros gains en ayant à leur service des hommes dits libres. Le péon faisait uniquement ce que son maître lui demandait de faire. Il laissait au patron le soin de penser et d’assumer l’entière responsabilité des suites que pourraient avoir les ordres donnés par lui. Tandis que le charretier était obligé de penser par lui-même et d’endosser la responsabilité de ses propres actes. Car s’il s’était contenté de suivre à la lettre les instructions reçues, sans prendre la moindre initiative en vue d’éviter les dangers, aucune charrette, sans doute, ne serait jamais arrivé à destination.
Les propriétés ne peuvent exister, comme elles existent depuis quatre siècles, que grâce aux péons qu’elles exploitent. Un entrepreneur de transport par contre ne peut subsister que s’il utilise des charretiers libres ou se considérant comme tels. Car dans un système qui reconnaît la liberté du travailleur, on peut lui faire endosser la responsabilité de ses actes. Les patrons s’arrogent alors le droit de leur imposer des réductions de salaire ou des amendes, lorsqu’ils ont commis quelque erreur. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle un tel système est plus productif, dans certains cas, que celui du servage. C’est l’unique explication valable de l’abolition de l’esclavage. Les réformateurs et les philanthropes sont, en général, au retard d’un siècle, au moins. Ils suivent une voie qui leur fut tracée par l’astuce capitaliste. Un point, c’est tout.
— La charrette (extraits), B. Traven, 1931.
La Révolution Inconnue
Ce fut le fils et successeur de Nicolas Ier, l’Empereur Alexandre II, qui dut faire face à la situation difficile du pays et du régime. Le mécontentent général, la pression des couches intellectuelles avancées, la peur d’un soulèvement des masses paysannes, et enfin les nécessités économiques de l’époque l’obligèrent, malgré une résistance acharnée des milieux réactionnaires, à « jeter du lest », à prendre résolument la voie des réformes. Il se décida à mettre fin au régime purement bureaucratique et à l’arbitraire absolu des pouvoirs administratifs. Il entreprit une modification sérieuse du système judiciaire. Et, surtout, il s’attaqua au régime du servage. À partir de l’année 1860, les réformes se succédèrent à une cadence rapide et ininterrompue. Les plus importantes furent : l’abolition du servage (1861) ; la fondation des cours d’assises avec un jury élu (1864) à la place des anciens tribunaux d’Etat composés de fonctionnaires ; la création en 1864, dans les villes et à la campagne, des unités d’auto-administration locale (la gorodskoïe samo-oupravléniéi et la zemstvo : sortes de municipalités urbaines et rurales), avec droit de selfgovernement dans certains domaines de la vie publique (quelques branches de l’enseignement, hygiène, voies de communication, etc.).
Toutes les forces vives de la population — les intellectuels particulièrement — se ruèrent vers une activité désormais possible. Les municipalités se consacrèrent avec beaucoup d’ardeur à la création d’un vaste réseau d’école sprimaires, d’une tendance laïque. Naturellement, ces écoles « municipales » et « urbaines » étaient surveillées et contrôlées par le gouvernement. L’enseignement de la religion était obligatoire et la « pope » y jouait un grand rôle. Mais elles bénéficiaient malgré tout d’une certaine autonomie. Et le corps enseignant de ces écoles se recrutait, par les « zemstvos » et les conseils urbains, dans les milieux intellectuels avancés.
On s’occupa aussi avec ferveur de l’état sanitaire des villes, de l’amélioration des voies de communication et ainsi de suite.
Le pays respirait mieux.
Mais, tout en en étant importantes par rapport à la situation de la veille, les réformes d’Alexandre II restaient bien timides et très incomplètes par rapport aux aspirations des couches avancées et aux vrais besoins matériels et moraux du pays. Pour être efficaces et capables de donner au peuple un véritable élan, elles auraient dû être complétées au moins par l’octroi de quelques libertés et droits civiques : liberté de presse et de parole, droit de réunion et d’organisation, etc. Or, de ce côté, rien ne changea. C’est à peine si la censure devint moins absurde. Au fond, la presse et la parole restèrent muselées, aucune liberté ne fut octroyée ; la classe ouvrière naissante n’avait aucun droit ; la noblesse, les propriétaires fonciers et la bourgeoisie restaient les classes dominantes, et, surtout, le régime absolutiste demeura intact. (D’ailleurs, ce fut justement la crainte de l’entamer, qui, d’une part, incita Alexandre II à jeter au peuple cet os des « réformes », mais qui, d’autre part, lui interdit de pousser celles-ci plus à fond. Aussi furent-elles loin de donner satisfaction à la population.)
Les conditions dans lesquelles le servage fut aboli offrent la meilleure illustration de ce que nous avançons. Elles constituaient le point le plus faible des réformes.
Les propriétaires fonciers, après avoir vainement lutté contre toute atteinte au statu quo, durent s’incliner devant la décision suprême du tsar (prise, d’ailleurs, après de longues et dramatiques hésitations, sous la poussée énergique des éléments progressifs). Mais ils firent leur possible pour que cette réforme fut réduite au minimum. Ils y réussirent d’autant plus facilement qu’Alexandre II lui-même ne voulait, naturellement, léser en rien les intérêts sacrés de « ses chers nobles ». Ce fut surtout la peur d’une révolution qui, finalement, lui dicta son geste. Il savait que les paysans avaient eu vent de ses intentions et de la lutte qui se livrait à ce sujet autour du trône. Il savait que leur patience était, cette fois, vraiment à bout, qu’ils attendaient leur libération et que s’ils apprenaient l’ajournement de la réforme, l’effervescence qui suivrait pourrait les porter à une immense et terrible révolte. Dans ces dernières discussions avec les adversaires de la réforme, le tsar prononça cette fameuse sentence qui en dit long sur ses véritables sentiments :
« Mieux vaut donner la liberté par en haut que d’attendre qu’on vienne la prendre par en bas. »
Aussi fit-il tout ce qu’il put pour que cette « liberté », c’est-à-dire l’abolition du servage, portât le moins de préjudice possible aux seigneurs fonciers. « Enfin la chaîne de fer cassa », écrira un jour le poète Nekrassoff dans un poème retentissant :
« Oui, elle cassa et frappa d’un bout le seigneur, mais de l’autre, le paysan. »
Certes, les paysans obtinrent enfin leur liberté individuelle. Mais ils durent la payer cher. ILs reçurent des lots de terre tout à fait dérisoires. (Il était tout de même impossible de les « libérer » sans leur octroyer des lopins de terre au moins suffisant pour qu’ils ne mourussent pas de faim). De plus, ils furent astreints à payer, pendant longtemps, en sus des contributions de l’Etat, une forte redevance pour les terres aliénées au préjudice de leurs anciens seigneurs.
Il est à noter que 75 millions de paysans reçurent en tout un peu plus d’un tiers du sol. Un autre tiers fut gardé par l’Etat. Et presque un tiers resta entre les mains des propriétaires fonciers. Une proportion pareille condamnait la masse paysanne à une existence de famine. Elle la maintenait, au fond, à la merci des « pomestchiks » et, plus tard, des paysans enrichis d’une manière ou d’une autre, des « koulaks ».
Dans toutes ces « réformes », Alexandre II fut guidé par le soin de céder le moins possible : le strict nécessaire pour éviter une catastrophe qui s’annonçait imminente. Aussi, les insuffisances et les défauts de ces « réformes » se firent sentir déjà vers les années 1870.
[...]
Le « peuple » était composé uniquement de « sujets » soumis à l’arbitraire de l’absolutisme. Cet arbitraire, tout en étant devenu moins féroce que sous Nicolas Ier, n’en restait pas moins entier.
— La Révolution Inconnue, « Livre Premier », Voline, 1947.
L’hydre aux milles têtes
À l’instar de l’émeute Knowles de Boston, en 1747, la révolte de Tacky [6] renouvelait et renforçait une tradition de pensée révolutionnaire qui remontait à Winstanley et à la Révolution anglaise. En 1760, après l’éclatement de la rébellion mais avant sa répression, un auteur connu sous le seul nom de J.Philmore publia un pamphlet intitulé Deux dialogues sur la traite humaine (Two Dialogues on the Man-Trade). Se considérant plus comme un « citoyen du monde » que comme un citoyen d’Angleterre, Philmore soulignait que « toute la race humaine était, par nature, sur un pied d’égalité », et qu’aucune personne ne pouvait être la propriété d’une autre. Il niait la supériorité du christianisme et apparentait la traite des esclaves au meurtre organisé. Philmore entendit probablement parler de la révolte de Tacky par les marins, car il fréquentait beaucoup les docks. L’essentiel de ce qu’il connaissait de la traite venait « de la bouche de quelques marins ».
Philmore apporta son soutien à Tacky et à ses compagnons dans leur lutte « pour se libérer du terrible esclavage dans lequel ils se trouvaient pris ». Sa conclusion principale était simple, directe et avait un caractère révolutionnaire :
« Tous les hommes noirs de nos plantations, qui sont privés par une force injuste de leur liberté et tenus en esclavages parce qu’ils n’ont personne sur la terre à qui en appeler, peuvent légalement répondre à la force par la force, et, pour recouvrer leur liberté, détruire leurs oppresseurs ; et outre cela, il est du devoir des autres, Blancs comme Noirs, d’aider ces misérables créatures et de les sauver des mains de leurs tyrans cruels. »
Philmore soutenait donc la lutte de ces hommes qui s’étaient lancés dans l’autodéfense révolutionnaire, exigeait une émancipation immédiate, si besoin par la force, et demandait à tous les hommes et à toutes les femmes de bien d’en faire de même.
— « L’hydre aux milles têtes », Marcus Rediker & Peter Linebaugh, 2001.
L’esclavage aujourd’hui, une forme subsidiaire du mode de production capitaliste
Article publié par le Groupe Communiste Internationaliste dans sa revue Communisme n°47 en mai 1998, initialement publié en juin 1981 dans le n°7 de sa revue en espagnol. Les notes de bas de pages sont des auteurs de l’article.
Il y a quelque temps de cela, on trouvait dans la presse latino-américaine des informations faisant état d’une recrudescence de l’esclavage aux Etats-Unis. Les sources citées étaient tout à fait officielles : l’agence EFE, le New York Times, etc., des sources qu’on ne peut pas vraiment accuser de subversion !
Citons par exemple La Prensa, quotidien péruvien ultra-conservateur qui, dans un article intitulé « Il y a encore des esclaves aux Etats-Unis, ce sont les immigrés hispanophones en situation illégale », affirme :
« Ils sont achetés, vendus, enchaînés pour éviter qu’ils s’enfuient. On les fait travailler 24 heures sur 24 sans les payer ; des milliers d’immigrants hispanophones illégaux viennent, chaque saison, faire les récoltes aux Etats-Unis et sont réduits à l’esclavage... Tout ça fait partie d’un trafic clandestin de contrebande de personnes auquel se livrent pour de l’argent les “coyotes”, tels qu’on les dénomme à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Ce trafic consiste à faire venir des immigrants illégaux du Sud. Ces esclaves sont ensuite répartis depuis les champs de culture de l’Arkansas jusqu’aux vergers de l’Etat de Virginie, en passant par les plantations de coton du nord du Texas et celles d’agrumes en Floride. En général, le “coyote” reçoit environ 500 dollars par immigrant livré aux fermiers. Le fermier aura sans doute proposé à l’illégal de le payer 15 dollars par jour, mais comme il lui fait payer le coût de son achat au ”coyote”, l’immigré en fin de compte ne reçoit rien du tout ou à peine de quoi s’acheter des cigarettes. Repas, logement et vêtements sont déduits de sa paie. S’il tente de s’en aller, on n’hésite pas à le rouer de coups, et pour éviter toute tentative de fuite, les fermiers ont pour habitude de l’enfermer, voire même de l’enchaîner. »
L’immonde réalité propre au capitalisme, à savoir, produire des esclaves, des esclavagistes, des marchandises, de l’argent, de la police, des lois, des gouvernements, des assistants sociaux, des fonctionnaires de l’immigration etc. ne peut évidemment être considérée par le quotidien La Prensa, et la presse en général, que comme quelque chose allant à l’encontre de la nature du capitalisme, comme quelque chose d’extérieur à son développement, qui serait le fait de quelques méchants hommes échappant au contrôle de l’Etat. Toujours dans le même article, on lit :
« Les autorités américaines, dans leur lutte contre cette forme moderne de l’esclavage auquel sont soumis des travailleurs en situation illégale, se heurtent à un problème grave : celui de la peur qu’ont les immigrants, de par leur situation dans le pays, de dénoncer ceux qui les exploitent. »
Le capital produit les lois, la police et les prisons pour instaurer la terreur et développer toutes les formes d’esclavage qui lui permettent de se valoriser, mais lorsque pour toutes ces raisons, on en arrive à des situations aussi cruelles que celle que l’on analyse ici, situations qui nous présentent le capital dans toute sa splendeur, celui-ci s’en lave les mains et rejette la « faute » sur les agriculteurs et la peur des immigrés... Telle est la seule thèse possible du point de vue de la bourgeoisie : les coupables sont les capitalistes excessifs et les prolétaires que la fatalité conduit à avoir peur. Quant au garant de la probité, c’est l’Etat.
Cette tendance qu’ont les médias latino-américains de nous présenter l’Etat américain comme le garant du salarié idéal, c’est-à-dire volontaire, relève d’abord d’une simple servitude pro-américaine. Effectivement, lorsqu’il est dit... :
« Le ministère de la justice américain a désigné des avocats pour coordonner, en collaboration avec des fonctionnaires du service de l’immigration et du ministère du travail, les enquêtes et les cas de prestations de service involontaire, que la justice américaine condamne sévèrement. »
...c’est bien l’Etat américain qui se voit caressé dans le sens du poil. Mais bien plus largement, c’est le capital dans sa totalité qu’on disculpe tout en faisant l’apologie de l’Etat considéré comme neutre et jouant le rôle d’arbitre entre les différents « groupes en conflit ». A en croire la réaction pro-américaine, à en croire aussi tous ceux qui dénoncent dans une prose ouvrière telle ou telle calamité du capital comme s’il s’agissait simplement du fruit de la volonté, de l’égoïsme, de la malhonnêteté ou de la méchanceté d’un petit groupe d’hommes (cf. « les 2000 familles qui contrôlent le pays », « le gouvernement vendu à l’or américain », etc.), l’Etat serait une espèce d’arbitre sur lequel on pourrait faire pression pour obtenir des « droits pour le prolétariat ». Mieux encore, ce serait un instrument qui, sans contenu ni programme propres [7], pourrait prendre en charge un gouvernement (« un gouvernement ouvrier » par exemple). On ne pouvait s’attendre à une autre analyse : l’interprétation de la bourgeoisie doit obligatoirement coïncider avec les actes de barbarie du capital et considérer ceux-ci comme des faits ne lui appartenant pas ou se situant en-dehors de lui.
Pour nous, l’esclavage tel qu’il se développe actuellement — tout comme il s’est développé au cours des quatre derniers siècles de régime capitaliste — n’est rien d’autre qu’un sous-produit du développement du capital, une partie moins camouflée de l’esclavage salarié en général. En ce sens, les esclaves d’aujourd’hui ne forment en rien une classe à part du prolétariat. En effet, dans la mesure où ces esclaves non seulement produisent des biens [8] mais, aussi et surtout, des valeurs, de la plus-value, du capital... Dans la mesure où leurs ennemis objectifs, les esclavagistes (ainsi que, bien sûr, toutes les lois, institutions, polices... qui composent l’Etat et les obligent à choisir librement les risques de l’esclavage) ne sont rien d’autre que les gestionnaires du capital c’est à dire la bourgeoisie — avec sa bureaucratie — et l’Etat bourgeois... Dans la mesure où leurs camarades de lutte sont les autres prolétaires... Dans la mesure où leurs conditions de vie contiennent la nécessité du communisme, puisque leur misère particulière (être vendu comme un vulgaire objet) est dérivée de leur misère générale (être obligé de vendre leur force de travail dans des conditions de plus en plus difficiles, être forcé à émigrer, à se retrouver en situation illégale, à se soumettre au « coyote » ou à un autre genre d’agent de placement...) dans la mesure où les conditions d’existence des esclaves sont celles qui régissent avec une violence extrême et profonde la vie de l’ensemble du prolétariat mondial et qu’ils n’ont donc rien à perdre, qu’ils sont la négation vivante de la patrie, de la grandeur de la nation et du développement économique... Dans la mesure où, en tant que tels, ils n’ont pas d’intérêt particulier, donc pas de solution particulière, et où ils tendent plutôt vers une solution universelle... Les esclaves ne forment pas une classe différente du prolétariat, comme on le prétend trop souvent dans des cas pareils et cela quelque soit le pays. Au contraire, ils sont et seront historiquement amenés à se constituer en classe avec le reste du prolétariat, à s’organiser et à centraliser leur mouvement au sein d’un parti mondial pour détruire le capitalisme et imposer le communisme.
Tout comme les esclavagistes d’aujourd’hui sont contraints d’être des capitalistes [9], les esclaves actuels sont contraints de s’organiser pour ce qu’ils sont : des prolétaires, à l’égal des autres composantes de prolétariat de par le monde. C’est parce qu’ils ne possèdent rien d’autre que leur force de travail, que les prolétaires se voient parfois obligés d’être tout simplement des esclaves, situation extrême où l’unique propriété dont ils disposent leur est également niée.
Un cas marginal ?
Il va de soi que pour ceux qui idéalisent le capital et qui puisent toutes leurs idées dans le monde de la circulation des marchandises en achetant et en vendant la force de travail de citoyens libres, égaux, propriétaires, etc. [10], ces situations, pour le moins désagréables, seront analysées hors du contexte capitaliste (ce qui est toujours bon à prendre pour la bourgeoisie) et présentées comme un phénomène tout à fait occasionnel, marginal et rare.
Pour illustrer notre propos, revenons-en à cet article de La Prensa : « Bien qu’il n’existe pas de statistiques sur le nombre de clandestins réduits à l’esclavage, des fonctionnaires du service de l’immigration, des avocats, des assistants sociaux et des porte-parole des syndicats de paysans ont annoncé au ’New York Times’ que, même s’ils pensent qu’il s’agit là d’une pratique peu courante, ce phénomène concernerait aujourd’hui quelques milliers d’immigrants ». [11]
Un minimum de connaissances sur la situation du prolétariat, persécuté comme illégal aux USA même quand il vend sa force de travail, permet de se rendre compte sans trop de difficultés que tous les chiffres communiqués par la racaille étatique (les contrôleurs des finances et les bienfaiteurs qui vivent de statistiques, du contrôle, de la « défense » et de « l’aide »... aux illégaux) sont franchement ridicules comparés à la réalité. Bien que nous ne disposions pas de statistiques, nous savons pertinemment bien que cette réalité concerne des centaines de milliers de prolétaires d’origine latino-américaine et que des dizaines de milliers d’entre eux sont obligés de recourir à toutes sortes de « coyotes » pour trouver un exploiteur. De plus, il est devenu quasiment impossible de travailler dans les régions agricoles des Etats-Unis (y compris au moment de la récolte de canne à sucre) sans recourir aux entreprises de « négriers », couvertes, comme on s’en doute, par toutes sortes de personnes agissant pour l’Etat et ses corps répressifs.
Ceci dit, il nous importe peu de discuter chiffres avec nos ennemis ; ce qui est important, c’est de les démasquer et de centraliser les forces pour en venir à bout. En ce sens, il convient de clarifier quelques points :
L’esclavage n’est pas l’apanage du pré-capitalisme ; disons qu’il a plutôt servi et qu’il sert encore de piédestal à l’esclavage salarié [12], lequel ne peut se développer sans revêtir diverses formes d’esclavage.
Sur l’ensemble du prolétariat aux USA, ceux qui sont soumis à l’esclavage pur et simple représentent une très faible minorité. Mais c’est précisément cette minorité d’ouvriers agricoles que le capital vend et achète à son gré, qui permet à l’ensemble du capital de disposer d’une main-d’oeuvre à bon marché. En effet, d’une part, la situation terrible dans laquelle se trouvent quelques immigrés fait pression vers le bas sur les salaires des immigrés (le racisme du capitalisme n’a rien d’un phénomène d’ordre idéologique ; il fait partie de son fondement, c’est ce qui lui permet de se reproduire) et sur tous les salaires en général, vu la concurrence que se font les ouvriers en tant que vendeurs de force de travail. D’autre part, cette force de travail à bon marché sera mise à la disposition de l’agriculture [13] à chaque fois que les capitalistes arriveront à imposer une intensité de travail exceptionnelle [14], ou, ce qui revient au même, une journée de travail nettement supérieure à la moyenne [15]. Ainsi cette réserve de main-d’oeuvre peu coûteuse fait baisser les prix (par un ensemble de mécanismes complexes [16]) de tous les produits dérivés de l’agriculture esclavagiste (tabac, pommes, coton, citron...), et partant, de toutes les marchandises qui contiennent ces produits sous forme de matières premières, et ainsi de suite... ce qui, à son tour, a pour effet de faire diminuer la valeur de la marchandise force de travail dans tous les secteurs. Dans tous les cas, c’est la totalité du capital qui tire profit de cette situation, et c’est donc l’ensemble des capitalistes qui en sont solidaires, même ceux qui se plaignent en envoyant des représentants syndicaux ou parlementaires pour édicter des règles et approuver des accords visant à mettre fin à la situation des « illégaux ».
Aussi minime soit donc le pourcentage de travailleurs qui se retrouvent dans cette situation, c’est toute la classe ouvrière qui est concernée. Il en va de même pour le volume de production que ces ouvriers réalisent : aussi petit soit-il, il aura un impact sur l’ensemble de la production de plus-value aux USA. L’effet boule de neige permet de maintenir un niveau élevé d’exploitation qui renforce la compétitivité de l’industrie américaine dans la bataille inter-impérialiste.
En ce sens, se borner à indiquer — comme le fait la bourgeoise de gauche — le pourcentage d’esclaves en rapport avec le nombre de travailleurs ou le volume de production que ceux-ci réalisent en relation avec l’ensemble de la production des USA est tout à fait est ridicule et absurde. Parce que l’impact de cette situation sur les quelques deux millions de travailleurs qui arrivent chaque année aux Etats-Unis pour travailler dans les champs de canne à sucre, et l’impact de ces derniers sur l’ensemble des travailleurs qui produisent aux Etats-Unis (impact auquel viennent s’ajouter tous les éléments de la compétitivité dans l’agriculture et par conséquence de la plus-value relative dans l’industrie américaine) vient complètement changer la face des choses. Même en plein 20ème siècle, dans ce pays phare du capitalisme et aux dires des capitalistes eux-mêmes, l’esclavage continue d’être le piédestal de l’esclavage salarié.
Persistance et forme moderne de l’esclavage
Nous avons choisi l’exemple des Etats-Unis précisément parce qu’il s’agit de démystifier ce qui nous est généralement présenté comme un modèle de développement du capital. Il s’agit pour nous d’illustrer un des aspects de notre Contre-thèse 4, « Contre la mythologie justifiant la libération nationale » (II) (cf. Le Communiste No.16). [17]
Il va de soi que les Etats-Unis ne constituent pas une exception dans le développement de l’esclavage, mais comme ils représentent un des plus importants centres du capital mondial -comme l’Angleterre par le passé [18]-, ils constituent aussi l’un des principaux centres de promotion, de commercialisation, de développement... de l’esclavage sous toutes ses formes.
Nous n’allons pas nous attarder ici sur les autres formes modernes d’esclavage qui existent également dans ce pays. Il nous semble néanmoins important de rappeler qu’en plus des formes d’esclavage officiellement reconnues comme telles (et considérées comme illégales), il en existe beaucoup d’autres ; c’est-à-dire qu’entre l’esclavage ouvert auquel nous avons fait référence et l’esclavage salarié sous sa forme pure (l’idéal même du capital), on trouve un ensemble de combinaisons possibles et à moitié légales dont l’apparition a coïncidé avec l’expansion de l’industrie modèle des Etats-Unis. Ce sont toutes ces formes d’exploitation où l’ouvrier n’a absolument pas la possibilité de décider à qui il vendra sa force de travail, celle-ci se trouvant à la libre disposition d’un autre (une entreprise de négriers) qui, comme tout esclavagiste, assurera dès lors la survie de l’esclave. Chose bien connue, parmi toutes ces formes intermédiaires entre l’esclavage sans fard et l’esclavage déguisé, l’occident chrétien prend pour modèle les Etats-Unis : contrat à vie, interdiction totale pour les ouvriers qui ont suivi une formation de quitter l’entreprise tant que les coûts de celle-ci n’ont pas été amortis, dépendance (qui va parfois jusqu’à se transmettre de génération en génération) vis-à-vis de la mafia (officielle ou non) et qui empêche toute autre recherche d’emploi, développement dans les pôles industriels du paiement direct du « patron », non plus à l’ouvrier, mais au créditeur de ce dernier, au prêteur bancaire, au « contractant », au « Coyote », au « syndicat », à l’agence de placement, à l’entreprise de sélection du personnel intérimaire, etc.
Et même si ces entreprises se dénomment « Business Selection » ou « Manpower », ou quelque chose du genre ; même si elles ne recourent pas quotidiennement à la violence directe (ce qui n’est d’ailleurs pas nécessaire puisque la police de l’Etat est à leur service), ce sont elles les VÉRITABLES NÉGRIERS.
Ces formes d’esclavage se sont répandues dans le monde entier même si c’est aux USA que l’on trouve les sociétés-mères des négriers modernes. Le développement du capital et ses différentes crises ont donné lieu à une augmentation du nombre de ces hommes qui se voient soumis à ces variantes plus ou moins manifestes de l’esclavage. En développant sa propre barbarie, le capitalisme s’éloigne de plus en plus de son idéal de jeunesse : abolition de l’esclavage, libre concurrence, un monde fait de richesses, le plein emploi, etc.
Contrairement à tout ce que l’on nous raconte, pour produire du capital, l’esclavage s’est développé dans le monde entier, tant sous ses formes manifestes que sous les variantes que nous avons citées. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer les exemples assez récents des camps de travail staliniens ou hitlériens via lesquels on assura une partie non négligeable de l’effort de guerre. Et ils n’ont pas disparu dans l’après-guerre, au contraire, ils ont rapidement refait leur apparition dans les territoires occupés d’Israël, au Cambodge, etc.
En Chine « socialiste », on ne parle pas trop du travail forcé auquel étaient soumis les esclaves noirs dans toute l’Amérique au cours des siècles passés. Et pour cause ! Ils pourraient bien se reconnaître dans ces esclaves, les quelques 13.000.000 de citadins chinois (selon les chiffres officiels, inférieurs à la réalité) forcés manu militari, à la fin des années ’60, à aller travailler à la campagne pour satisfaire les besoins d’accumulation du capitalisme et ce dans des conditions de vie monstrueuses. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent aujourd’hui, que ce soit en Asie, en Afrique ou encore ailleurs...
De plus, si on considère que le salarié se distingue de l’esclave par le fait qu’il possède sa force de travail et qu’il décide à qui la vendre [19], et qu’il s’agit là d’une des grandes différences historiques entre esclavage et esclavage salarié, il est indéniable que le développement du capitalisme est petit à petit venu à bout de ces différences au cours de ces dernières décennies, en continuant de subsumer le travail et en généralisant le système de rémunération par l’argent de sorte que les différentes formes de salariat se sont progressivement rapprochées de son idéal : le salariat pur.
Les différences entre esclavage salarié et esclavage tout court s’amenuisent de jour en jour : généralisation du travail forcé, nombre croissant d’entreprises intermédiaires de placement (y compris au niveau international) qui ôtent aux travailleurs la possibilité de décider à qui vendre leur force de travail, qui les dépossèdent de cette propriété, recours de plus en plus systématique au crédit à la consommation par lequel le prolétaire se voit contraint de renoncer à percevoir directement son salaire, que ce soit au profit de son créditeur ou d’une « banque neutre », transferts de main-d’oeuvre avec l’accord des gouvernements des pays concernés (« China export »)... Tous ces exemples sont des moyens pour le capital d’effacer les différences existant entre les deux formes d’esclavage.
Et même si, au nom du socialisme, le marché de la force de travail devient un marché géré au niveau central par l’Etat, comme ce fut le cas en Russie, à Cuba, en Hongrie, etc., il n’y a pas pour autant abolition des conditions capitalistes de production, comme le prétendent les défenseurs de ces Etats. Bien au contraire, c’est justement de cette façon que peut apparaître une des manifestations capitalistes de l’esclavage salarié où la différence avec l’esclavage ouvert est réduite à sa plus petite expression. En effet, si dans les camps de concentration ou de travail existant aujourd’hui aux Etats-Unis, ces différences n’existent plus et si on y retrouve l’esclavage pur et simple (en tant qu’authentique produit du développement du capital, en tant que sous-produit de l’esclavage salarié), il en va de même avec des prolétaires taillables et corvéables à merci qui n’ont plus la possibilité de choisir l’acheteur de leur force de travail, qui sont forcés par la violence physique (et non par les « lois du marché ») de travailler ; il en va de même avec ces salariés que l’Etat, conformément aux règles de la reproduction élargie du capital, répartit sans les consulter (comme on le faisait avec les esclaves qui arrivaient en Amérique) dans les régions pauvres en main-d’oeuvre, et qui, depuis l’enfance se voient contraints de faire valoir leur force de travail pour répondre à la volonté du capital centralisé dans l’Etat. Cet esclavage ouvert qui, comme nous l’avons vu, n’est rien d’autre que le piédestal et la continuation logique de l’esclavage salarié, est également celui que la bourgeoisie du bloc de l’Est [20] et de Cuba a tenté d’imposer à ses prolétaires. Ceci dit, même si à partir de ces tentatives sont nées des formes imposantes d’oppression, d’exploitation, de travail forcé..., cette fraction bourgeoise n’a pas du tout réussi à planifier la force de travail. Les hauts niveaux de centralisation du marché de la force de travail qu’elle a tenté d’assumer se sont violemment heurtés à l’impitoyable réalité de l’anarchie capitaliste de la production.
Si on avait voulu faire une analyse complète de l’esclavage dans le monde, de ses conséquences, du lien entre l’esclavage ouvert et l’esclavage salarié, un article comme celui-ci n’aurait pas été suffisant. Notre objectif était d’aller à l’essentiel pour que l’exemple de l’esclavage d’une partie de la main-d’oeuvre latino-américaine aux Etats-Unis ne soit pas considéré comme une exagération momentanée ou comme un phénomène marginal, mais pour qu’on saisisse au contraire que l’esclavage est un authentique produit du capitalisme, un produit que le capitalisme ne pourra jamais réellement abolir [21] et dont l’abolition ne peut être que l’oeuvre du communisme.
— Collectif
[1] Mot pour désigner des exemples de révolte qui vont des actes d’insubordination individuels ou collectifs à des émeutes. Ces chiffres sont à prendre avec des pincettes car fort imprécis.
[2] Et encore... Pour reprendre lʼexemple de la Russie : la fin de lʼesclavage entraînant une plus grande misère quʼavant, des troubles éclatent un peu partout, on dénombre 137 émeutes en 1861, 400 en 1862, 336 en 1863, année où un calme précaire revient. Et cela sans compter les fuites de villages, protestations, grèves, soulèvements.
[3] En 1856, dans le Kansas, la compétition entre abolitionnistes et esclavagistes prit l’aspect d’une véritable guerre civile. Un fermier, John Brown (1800–1859), ardent militant abolitionniste, conduisait les groupes armés qui tinrent en échec les bandes esclavagistes. Trois ans plus tard, le 16 octobre 1859, Brown et ses 22 compagnons dont 5 Noirs échouaient dans une tentative de soulever les esclaves de Harper’s Ferry. Les survivants furent jugés et pendus. L’action et la mort de Brown eurent un énorme retentissement en Amérique et à l’étranger. Note tirée d’A Bas Les Chefs aux Editions Champ Libre, 1971.
[4] Le 30 août 1800, Gabriel Posser, jeune esclave de 24 ans à la tête d’un millier de Noirs, tenta de prendre la ville de Richmond (Virginie). Dénoncée par 2 autres esclaves, sa tentative échoua. Il fut pendu quelques jours plus tard avec 50 de ses hommes. Cette insurrection, qui avait également pour partisans des Indiens et des Blancs pauvres, effraya particulièrement la population blanche.
[5] Voir la note sur John Brown dans le texte La Guerre Servile de Joseph Déjacque.
[6] Révolte qui commença le jour de Pâques en 1760 dans la paroisse de Saint-Mary, Jamaïque. Les esclaves étaient animés par la religion aka qui enseignait la possession spirituelle, l’accès aux puissances surnaturelles et la vivante présence des morts. Leur projet consistait à s’emparer des forteresses, des armes et à détruire les moulins. Des milliers d’entre eux se se soulevèrent à travers l’île et Tacky fut le leader du mouvement, qui dura plusieurs mois jusqu’à ce qu’une force militaire ne les écrase. Tacky fut décapité et la guérilla continua une année entière. Le carnage fut l’un des pires de toutes les révoltes d’esclaves : 60 Blancs tués, 300 à 400 esclaves assassinés par l’armée et 100 autres exécutés. La terreur s’accompagna de lois répressives. Pour plus d’informations, lire le bouquin dont est tiré le texte.
[7] L’Etat a pour contenu et programme propre de garantir l’ensemble des conditions d’accumulation capitaliste et plus particulièrement la reproduction de la force de travail.
[8] Comme c’était le cas du temps de l’Antiquité quand le mode de production esclavagiste n’était pas encore subsumé par le capital, puisque celui-ci n’existait que sous ses formes antédiluviennes (c-à-d. dans la circulation mais pas dans la production, qui constituaient des sphères séparées) et qu’il ne s’agissait donc pas, à proprement parler, de capital au sens qu’il allait prendre plus tard dans l’histoire.
[9] Et à l’inverse, en tant que bons gestionnaires avides de maximaliser leur profit, une partie des capitalistes deviennent en plus, esclavagistes.
[10] Cf. notre article dans Le Communiste No.10–11, intitulé « Le mythe des droits et des libertés démocratiques ».
[11] Rappelons que cet article a été écrit en 1981 (dans la version en espagnol du journal, nde) et que l’on sait maintenant qu’il existe aujourd’hui plus d’esclaves de par le monde qu’il n’en a jamais existé à aucune autre époque.
[12] C’est une expression classique utilisée par Marx pour souligner la nécessité historique du développement capitaliste de l’esclavage ouvert comme complément indispensable de l’esclavage couvert. Ainsi par exemple, Marx dit : « ...l’esclavage couvert des ouvriers salariés en Europe exigeait comme piédestal l’esclavage « sans phrase » dans le Nouveau Monde » (souligné par nous).
[13] Une disponibilité assurée par les accords implicites entre les gouvernements américain et latino-américains, tout particulièrement celui du Mexique.
[14] Les conditions de travail forcé tendent évidemment toujours à soumettre l’esclave à une intensité de travail croissante. Nous pensons néanmoins qu’on ne peut généraliser l’existence de cette augmentation de l’intensité de travail vu les limites physiques qui poussent aux formes primaires de résistance ouvrière. Si l’esclavage ouvert permettait toujours une augmentation de l’intensité, il se généraliserait en reléguant l’esclavage salarié au second plan ; ce qui n’est évidemment pas le cas : l’esclavage salarié, volontaire et libre, avec de bons syndicats, a fourni au capital d’excellents résultats quant à l’augmentation de l’intensité, et par là même, du taux d’exploitation.
[15] Dans tous les cas, on travaille du lever au coucher du soleil.
[16] L’explication de ces mécanismes dépasse les limites que nous avons fixées à ce texte.
[17] C’est dans cette perspective qu’il est plus important de traiter de l’esclavage aux Etats-Unis, qu’au Cambodge ou en Erythrée.
[18] L’Angleterre comme pôle de développement international du Capital pût s’imposer sur les autres Etats (p.e. l’Espagne) sur base de l’énorme développement des forces productives, de la contrebande, de l’esclavagisation du continent africain, de la traite des esclaves, etc. Ainsi par exemple ce grand centre qu’était « Liverpool s’agrandit grâce au commerce des esclaves » (Marx, Le Capital).
[19] C’est uniquement parce que le salarié est propriétaire de sa force de travail qu’il a, contrairement à l’esclave, la capacité d’être propriétaire.
[20] Il faudrait parler aujourd’hui de l’« Ex »-bloc de l’Est : rappelons que cet article a été rédigé en 1981.
[21] L’abolition juridique, la prohibition de l’esclavage correspondit à de nouvelles formes de développement de l’esclavage réel.