C.G. Jacqueline

Les exploiteurs de la révolution

1871

Citoyens,

Les partisans désintéressés de la Révolution ne poursuivent, dans la réalisation des réformes sociales, d’autre but que le triomphe de la justice et de la raison.

Ses faux et intéressés amis, au contraire, se souciant très médiocrement du but final qu’ils ont en horreur et auquel ils ne croient pas, ne cherchent dans la Révolution qu’une occasion pour assouvir leurs passions et satisfaire leurs appétits.

Pour eux, la Révolution a atteint son but dès qu’ils sont en place ; aussi s’aperçoit-on, lorsqu’on se donne la peine de les observer que leur attitude et leur langage se modifient, pour ainsi dire, à vue d’œil, et que leurs actes en apparence les plus énergiques, ne sont que des faux-fuyants qu’ils imaginent pour donner le change à leurs trop confiants concitoyens.

Les premiers de ces hommes n’ont jamais dévié de la ligne droite.

Les seconds, véritables caméléons, malgré l’audace de leurs déclarations, varient sans cesse au gré des circonstances et suivant les suggestions de leur intérêt ou de leur vanité.

Quand nous signalions, dès les premiers jours du mois de septembre, les manœuvres suspectes de Trochu et de ses complices, ces grands pontifes de la démocratie se bornaient, au nom de la concorde, à nous prêcher la confiance et l’union contre l’ennemi commun ; comme si l’union pouvait être cimentée sur d’autres bases que celles de la vérité et de la loyauté !

Aujourd’hui ces mêmes hommes, que l’on trouve toujours au jour du triomphe et que l’on ne rencontre jamais le jour de la défaite, ont eu la précaution d’envahir toutes les fonctions publiques, et paraissent vouloir réduire le rôle des démocraties au soin de défendre leurs précieuses personnes contre toute attaque.

Eh bien, non, nous ne serons pas les dupes de ces nouveaux mystificateurs, dussions-nous devenir leurs victimes !

Non, la Commune, ce n’est pas cette réunion d’individualités que le hasard des circonstances et l’appui de la camaraderie ont placés à la tête des affaires et qui se montrent en général si peu dignes de la mission qu’ils ont acceptée ; que si les choses continuent d’aller leur train, on ne saura bientôt plus s’ils méritent mieux la qualification de soliveaux que celle de complices, suivant l’énergique expression de Blanqui.

Non, l’organisation de la Commune ne consiste pas seulement dans la nomination des mandataires du peuple, parmi lesquels on compte quelques bons citoyens, mais dont le plus grand nombre à de graves reproches à s’adresser.

La Commune, c’est le peuple même manifestant sa volonté par la délibération légale sur les actes de ses agents.

Pourquoi donc feint-on de l’ignorer à l’Hôtel-de-Ville, et repousse-t-on par le silence le plus majestueux les plus légitimes revendications des citoyens ?

Le bureau des pétitions est-il devenu une fosse aux oubliettes comme du temps des sénateurs à l’engrais, et ne s’y occupe-t-on que des réclamations relatives à l’intérêt privé ?

Mais, citoyens, nous avons tort de nous en prendre aux dépositaires momentanés de l’autorité populaire.

C’est à nous qu’appartient l’initiative des mesures révolutionnaires. Faisons tout par nous-mêmes, et n’attendons pas la pression du mors ou le stimulant de l’aiguillon pour nous indiquer la marche à suivre.

La puissance communale réside dans chaque arrondissement, partout où se trouvent réunis des hommes qui ont horreur du joug et de la servitude.

Laissons à nos élus d’hier toute cette mise en scène et ces réminiscences grotesquement puériles auxquelles ils paraissent prendre tant de plaisir.

Qu’ils arrondissent des périodes et jouent aux décrets et aux écharpes comme les enfants jouent aux osselets ; c’est leur affaire, et non la nôtre.

Quant à nous, nous avons des devoirs plus sérieux à remplir.

Ne craignons pas d’aller de l’avant.

S’ils nous voient prendre cette voie, soyez sûrs qu’ils ne tarderont pas à nous suivre et même à nous précéder, comme ils l’ont fait déjà tant de fois quand ils ont senti que la popularité allait leur échapper.

Ne vous rappelez-vous pas les conversions et les volte-face si rapides des libéraux en radicaux, des radicaux en démocrates, des démocrates en socialistes ?

L’avenir nous en promet bien d’autres.

Remarquez déjà comme en présence du mouvement qui tend à s’accentuer de jour en jour avec énergie en faveur de la sanction des lois par le peuple, remarquez, dis-je, comme les journaux soi-disant socialistes, toujours à l’affût des fluctuations de l’opinion publique, commencent à traiter la question de l’appel au peuple et reconnaissent la nécessité pour la Commune de tenir compte des aspirations populaires.

Mais nous ne nous laisserons pas prendre au piège.

Des habiles rêvent sans doute de surprendre la bonne foi des électeurs à un troisième plébiscite qui n’aurait rien à envier à ses aînés du 8 mai et du 3 novembre.

Si l’on veut une dictature militaire, qu’on le dise franchement, au moins nous saurons à quoi nous en tenir ; mais qu’on la confie à un seul homme et non à une foule de bavards jaloux et vaniteux. Que cet homme et ses agents soient astreints à rendre es comptes et qu’ils soient sans cesse sous la main du peuple.

Mais la dictature militaire ne dispense pas de sauvegarder l’édifice révolutionnaire qui doit demeurer intact et à l’abri des coups de main ; car le jour où le peuple, trompé par ses mandataires, n’aurait plus fois dans la Révolution, l’armée n’aurait bientôt plus aucune force et la République serait perdue !

Mais la République subsistera ; nous en avons pour garant le témoignage de tous les bons citoyens et notre propre conviction.

C.G. Jacqueline


Consulté le 20 novembre 2016 de archivesautonomies.org
Le Prolétaire n° 3 (19 mai 1871)