Titre: Vers un Autre Anarchisme
Auteur·e: Grubacic Andrej
Date: 2003
Source: Consulté le 6 mai 2016 de http://forum.anarchiste-revolutionnaire.org/viewtopic.php?p=82922#p82922
Notes: Traduit par digger. Texte original : Towards Another Anarchism, ZNet, 25 février 2008 : http://www.zcommunications.org/towards-another-anarchism-by-andrej-grubacic Retranscription sommaire de l’intervention de Andrej Grubacic dans le cadre du forum Life After Capitalism (WSF3, Porto Alegre, 2003.)

        CARACTERISTIQUES :

Un des mes amis a écrit récemment « Personne n’a besoin d’un autre -isme du 19ème siècle, d’un autre terme qui emprisonne et fige la pensée, qui séduit un certain nombre de personnes à l’intérieur de la clarté et du confort d’une boîte sectaire et qui en conduit d’autres devant un peloton d’exécution ou des tribunaux. Les étiquettes conduisent si facilement au fondamentalisme, elles engendrent inévitablement l’intolérance, délimitent des doctrines, définissent des dogmes et limitent les possibilités de changement. »

Il est très difficile de ne pas être d’accord avec ce point de vue. Cependant, aujourd’hui, mon travail agréable consiste précisément un à vous présenter un -isme, et c’est le — isme qui est la perspective dominante du mouvement social mondial actuel post-marxiste. C’est l’ anarchisme. Cette idée, l’idée d’anarchisme, a enjolivé la sensibilité du « mouvement des mouvements » dont nous sommes les participants, et l’a imprimé de sa marque d’une inscription indispensable. L’anarchisme, son paradigme éthique, représente aujourd’hui l’inspiration fondamentale de notre mouvement, qui est moins de s’emparer du pouvoir d’état que de dénoncer, délégitimer et démanteler les mécanismes du pouvoir tout en gagnant des espaces toujours plus grands d’autonomie et de réelle autogestion.

Mon intention est, dans ces quelques minutes dont je dispose, de vous présenter brièvement l’histoire de l’anarchisme, afin de pouvoir, dans un second temps, vous suggérer un modèle d’anarchisme moderne et les implications stratégiques qu’impliquent l’acceptation d’un tel modèle.

Je suis enclin à être d’accord avec celles et ceux qui voient l’anarchisme comme une tendance dans l’histoire de la pensée et les pratiques humaines, une tendance qui ne peut pas être englobée dans une théorie idéologique générale, qui s’efforce à identifier les structures hiérarchiques sociales coercitives et autoritaires en posant la question de leur légitimité : si elles ne peuvent pas répondre à cette remise en question, ce qui est le cas la plupart du temps, alors l’anarchisme devient l’effort pour limiter leur pouvoir et pour élargir les espaces de liberté.

L’anarchisme est, par conséquent un phénomène social, par son contenu et ses manifestations au sein de l’activité politique changent avec le temps. Ce qui est spécial avec l’anarchisme , c’est que, contrairement à toutes les grandes idéologies, il ne pourra jamais avoir une existence stable et continue de terrain, en étant présent dans un gouvernement ou dans un système politique de parti. Son histoire et ses spécificités contemporaines sont donc déterminés par un autre facteur — les cycles des luttes politiques. En conséquence, l’anarchisme comprend des tendances « générationnelles » dans le sens où il est possible d’identifier des phases plutôt discrètes de son histoire selon la période de lutte dans laquelle celles-ci s’inscrivent. Naturellement, comme toute tentative de conceptualisation, celle-ci est aussi vouée à simplification. J’espère que, malgré cela, cela sera utile pour comprendre ce phénomène social.

Historiquement, la première phase a été modelée par les luttes de classe du 19ème siècle en Europe et est illustrée, à la fois en théorie et en pratique par la faction Bakouniniste dans la Première Internationale. Elle commence dans la période qui précède 1848, culmine avec la Commune de Paris (1871) et décline durant les années 1880.

C’est une forme assez embryonnaire d’anarchisme, mélange de tendances anti étatiques , anticapitaliste et athéiste, tout en étant essentiellement tributaire du prolétariat urbain qualifié comme agent révolutionnaire. Bakounine, ce rêveur magnifique, cette « dynamite, pas un homme », qui, en 1848, s’est écrié que « la Neuvième Symphonie de Beethoven devrait être sauvée des incendies prochains de la révolution mondiale au prix d’une vie humaine »,nous a légué les plus belles et peut-être les plus précises descriptions d’une simple idée maîtresse au sein de la tradition anarchiste : « Je suis un amant fanatique de la liberté, la considérant comme l’unique milieu au sein duquel puissent se développer et grandir l’intelligence, la dignité et le bonheur des êtres humains ; non de cette liberté toute formelle, octroyée, mesurée et réglementée par l’état, mensonge éternel qui en réalité ne représente jamais rien que le privilège de quelques-uns fondé sur l’esclavage de tout le monde ; non de cette liberté individualiste, égoïste mesquine et fictive prôné par l’école de J.J. Rousseau ainsi que par toutes les autres école du libéralisme bourgeois et qui considère le soit disant droit de tout le monde, représenté par l’état comme la limite du droit de chacun, ce qui aboutit nécessairement et toujours à la réduction du droit de chacun à zéro Non, je pense à la seule sorte de liberté qui en mérite le nom, la liberté qui consiste dans le plein essor de toutes les capacités matérielles, intellectuelles et morales qui sont latentes chez chaque individu ; la liberté qui ne reconnaît aucune autres restrictions que celles déterminées par les lois de notre propre nature individuelle, qui ne peuvent pas être à proprement parlé considérées comme des restrictions puisque ces lois ne sont pas imposées par un quelconque législateur extérieur égal ou supérieur à nous, mais qu’elles sont immanentes et inhérentes, formant la base même de notre être physique, intellectuel et moral – elles ne nous limitent pas mais sont les conditions indispensables et immédiates à notre liberté ».

La seconde phase, à partir des années 1890 jusqu’à la guerre civile russe voit un considérable déplacement vers l’Europe de l’Est et prend donc une orientation clairement agraire. Sur le plan théorique, c’est l’époque ou l’anarcho-communisme de Kropotkine est la caractéristique la plus dominante. Il connait un pic avec l’armée de Makhno et engendre, après la victoire bolchévique, un sous courant en Europe centrale. La troisième phase, des années 20 jusqu’à la fin des années 40, est de nouveau centrée sur l’Europe centrale et de l’ouest et est à nouveau orienté vers l’industrie.

Sur le plan théorique, l’anarcho-syndicalisme est à son pic, avec une grande partie du travail réalisée par des exilés russes. A ce moment, la différence entre deux traditions fondamentales dans l’histoire de l’anarchisme est devenue clairement visible : l’anarcho-communisme et l’on pourrait penser à Kropotkine comme un de ses représentants- et, de l’autre côté, l’anarcho-syndicalisme qui considère seulement les idées anarchistes comme un mode approprié d’organisation de sociétés industrielles avancées très complexes. Et cette tendance dans l’anarchisme fusionne, ou interagit avec une variété de marxismes gauchistes, le genre que l’on trouve disons dans les Conseils communistes qui se développent dans la tradition de Luxembourg et qui est représentée plus tard, de manière très intéressante, par des théoriciens marxistes comme Anton Pannekoek.

Après la deuxième guerre mondiale, l’anarchisme connait une importante baisse d’audience due à la reconstruction économique et surnage seulement de façon marginale dans les luttes anti impérialistes dans le Sud, luttes qui sont cependant largement dominées par l’influence pro- soviétique. Les luttes des années 60 et 70 ne voient pas une sérieuse résurgence de l’anarchisme, qui porte encore le poids mort de son histoire et qui est incapable encore de s’adapter au nouveau langage politique, qui n’est pas centré sur les classes. On trouve par conséquent des tendances anarchistes dans les mouvements contre la guerre, féministes, situationnistes, black power etc., mais rien qui ne soit absolument identifiable comme anarchisme. Les groupes explicitement anarchistes de cette période n’étaient plus ou moins qu’une redite des deux précédentes phases (communistes et syndicalistes révolutionnaires) et quelque peu sectaires- au lieu de rejoindre ces nouvelles formes d’expression politique, ils se sont renfermés sur eux-mêmes et ont généralement adopté des chartes très rigides comme l’anarchisme appelé « plateformiste » dans la tradition de Makno. En cela, il s’agit d’une quatrième génération « fantôme ».

Arrivé de nos jours, nous avons deux générations coexistantes au sein de l’anarchisme : des gens dont la formation politique a eu lieu dans les années 60 et 70 (une réincarnation de la seconde et troisième génération, en réalité), et des personnes plus jeunes qui sont plus imprégnés, entre autres, de la pensée indigène, féministe, écologiste et contre culturelle. Les premiers existent à travers différentes Fédérations Anarchistes, les IWW, l’IWA, le NEFAC et autres. Les seconds s’incarnent dans les réseaux les plus en vue des nouveaux mouvements sociaux. De mon point de vue, Peoples Global Action est l’organe principal de la cinquième génération de l’anarchisme. Ce qui est parfois déroutant est que l’une des caractéristiques actuelles de l’anarchisme est que les individus qui la composent ne se revendiquent pas eux-mêmes comme anarchistes. Ils en en a quelques-uns qui prennent tellement au sérieux les principes anarchistes d’anti-sectarime et d’ouverture d’esprit qu’ils sont parfois peu disposés pour cette raison même à se définir comme « anarchistes ».

Mais les trois points essentiels qui traversent toutes les manifestations sont sans aucun doute présents ici — anti-étatisme, anti-capitalisme et modes d’organisations politiques préfiguratives (ex. modes d’organisation qui ressemblent volontairement au monde que vous voulez construire. Ou, comme un historien anarchiste de la révolution espagnol l’a formulé « un effort pour penser non seulement les idées mais aussi les réalités du futur ».) Cela existe partout, des collectifs contre culturels jusque dans Indymedia, qui peuvent tous être qualifiés d’anarchistes, si l’on admet que l’on se réfère à une nouvelle forme. Il existe un degré de confluence très limité entre les deux générations coexistantes, la plupart du temps sous la forme d’un suivi et de ce que fait chacune d’entre elle – mais pas beaucoup plus.

Le dilemme fondamentale qui imprègne l’anarchisme contemporain par conséquent, est entre les conceptions traditionnelles et modernes. Dans les deux cas, nous sommes les témoins d’un « échappatoire à la tradition » dans son genre.

J’oserai avancer que les « anarchistes traditionnels » n’ont pas entièrement compris cette tradition. Le terme même de « tradition » a deux sens historiques : A savoir, l’un est plus courant et plus répandu et c’est le sens de folklore – « des normes de récits, de croyances, d’habitudes, de comportements », alors que le second est moins habituel et signifie : transmettre, léguer, exprimer, discuter, conseiller.

Pourquoi est-ce que j’attire l’attention sur, mais aussi insiste sur, cette différence dans l’explication de ce terme tradition ? Justement parce qu’il existe la possibilité que ce terme peut , dans l’histoire des idées, être compris des deux manières. La première (probablement la plus répandue) est que la tradition est acceptée comme une structure achevée qui ne peut pas ou ne doit pas être modifiée plus avant, mais préservée dans en l’ état matériel et transmise inchangée aux générations futures. Une telle interprétation de la tradition est liée à cette partie de la nature humaine que l’on appelle conservatrice et qui est sujet à un comportement stéréotypé, Freud dirait même « la compulsion de la répétition ». L’autre sens de tradition, dont je me fais l’avocat ici, se rapporte à la nouvelle et créative façon de revivre l’expérience de la tradition. Une telle façon, disons-le tout de suite, positive de communiquer, trouve ses racines de l’autre côté de la nature humaine, provisoirement appelée révolutionnaire, celle d’une vérité exprimée de tout temps de façon paradoxale : un souhait de changement et,en même temps, un besoin salutaire de rester le même.

Une autre forme de « l’échappatoire à la tradition » est celle qui trouve refuge dans différentes interprétations post-modernes de l’anarchisme.

Je pense qu’il est grand temps pour une certaine « dés-illusion » , pour citer Max Weber, de l’anarchisme, un réveil face au rêve du nihilisme post-moderne, de l’anti-rationalisme, du néo-primitivisme, du terrorisme culturel, « simulacres ». Il est temps de rétablir l’anarchisme dans le contexte politique et intellectuel des Lumières qui n’est rien d’autre que la compréhension que « la connaissance objective est un outil qui doit être utilisé afin que les individus puissent prendre les décisions appropriées par eux-mêmes. La raison, a dit le célèbre peintre Goya, ne produit pas des monstres quand elle rêve mais quand elle dort

Je dirais qu’aujourd’hui, le dialogue est nécessaire entre les différentes générations de l’anarchisme moderne. Ce dernier est imprégné d’innombrables contradictions. Il n’est pas suffisant de se rallier aux habitudes de la majorité des penseurs anarchistes contemporains qui insistent sur les dichotomies. Il serait souhaitable d’abandonner la façon de penser du « ou — ou », et de commencer à discuter pour rechercher une synthèse. Est-ce qu’une telle synthèse est possible ? Il me semble que oui.

Un nouveau modèle d’anarchisme moderne, que l’on peut discerner aujourd’hui à l’intérieur du nouveau mouvement social, insiste sur l’élargissement du sujet de l’anti-autoritarisme, tout en désertant le réductionnisme de classes. Un tel modèle tente de reconnaître la « domination dans sa totalité », c’est à dire, « mettre en lumière non seulement l’état mais aussi les relations entre sexes pas seulement l’économie mais également les relations culturelles et l’écologie, la sexualité, la liberté sous toute ses formes et tout cela pas seulement à travers le seul prisme des relations autoritaires , mais également enrichi par des concepts plus riches et variés. Cette approche ne dénonce pas seulement la technologie per se mais elle se l’approprie et l’emploie de différentes manières si cela est approprié. Elle ne se contente pas de contester les institutions per se, ou les formes d’organisations politiques per se, elle essaie de concevoir de nouvelles formes d’institutions et d’organisations politiques pour le militantisme et la société nouvelle, incluant des nouvelles formes de réunions, de prises de décision, de coordination, de la même façon qu’ont déjà été revitalisés des groupes affinitaires et de paroles. Et elle ne dénonce pas seulement les réformes per se, mais lutte pour définir et gagner des réformes non réformistes, attentive au besoins immédiats des gens et à l’amélioration de leur vie ici et maintenant , tout en recherchant des gains plus lointains et, finalement, une transformation totale. »

L’anarchisme peut devenir efficace que si il comprend ces trois composantes inséparables : des organisations de travailleurs, des militants et des chercheurs. Comment créer une base pour un anarchisme moderne englobant ces niveaux, syndicale, populaire et intellectuel ? Il existe plusieurs solutions en faveur d’un autre anarchisme qui seraient capables de promouvoir les valeurs citées ci-dessus. La première est je pense qu’il est nécessaire que l’anarchisme devienne réfléchi. Qu’est-ce que j’entends par là ? Le combat intellectuel doit réaffirmer sa place dans l’anarchisme moderne. Il apparaît que l’une des faiblesses fondamentales du mouvement anarchiste actuel est, par rapport à l’époque disons de Kropotkine, Reclus, ou Herbert Read, est précisément la négligence du symbolique et la domination de l’efficacité de la théorie.

Au lieu de critiquer le populaire conte de fée marxiste post-moderne d’ « Empire », ils devraient écrire un Empire anarchiste. La religion marxiste s’est référée, pendant longtemps, à la théorie et, ce faisant, s’est donnée une apparence scientifique et la possibilité d’agir comme une théorie. Ce dont a besoin l’anarchisme aujourd’hui c’est de dépasser les deux extrêmes que sont l’anti-intellectualisme et l’intellectualisme. Comme Noam Chomsky, je n’ai ni sympathie ni patience pour de telles idées. Je pense que l’antagonisme entre science et anarchisme ne devrait pas exister : « Dans la tradition anarchiste, il a existé un certain sentiment qu’il y avait quelque chose de l’ordre de l’enrégimentement et de l’oppression dans la science en elle-même. Je ne connais aucun argument face à l’irrationalité. Je ne pense pas que les méthodes scientifiques aspirent à autre chose qu’à être raisonnable, et je ne vois pas pourquoi les anarchistes ne devraient pas être raisonnables ». Comme Chomsky, j’ai encore moins de patience envers une tendance bizarre qui s’est développée, sous différentes formes, au sein de l’anarchisme : « Il me semble remarquable que les intellectuels de gauche aujourd’hui devraient chercher à priver les personnes opprimées des joies de la compréhension et de la perspicacité, mais également d’outils d’émancipation, en nous informant que le projet des Lumières est mort, que nous devons abandonner les illusions de la science et de la rationalité — un message qui fera chaud au cœur des puissants... »

Devant nous, à l’avenir, se dessine la tâche de concevoir le profil du chercheur anarchiste. Quel serait son rôle ? Pas de donner des conférences magistrales, certainement, comme le font les vieux intellectuels de gauche. Il ne serait pas un enseignant mais quelqu’un qui s’inscrirait dans un rôle nouveau et difficile : celui de présenter les intérêts de l’élite dominante soigneusement cachés derrière des discours prétendument objectifs.

Il doit aider les militants et les alimenter en faits. Il est nécessaire d’inventer une nouvelle forme de communication entre les militants et les chercheurs militants. Il est nécessaire de créer un mécanisme collectif qui relierait les scientifiques, les travailleurs et les militants libertaires. Il est nécessaire de fonder des instituts, des revues des communautés scientifiques libertaires internationales. Je pense qu’ainsi le sectarisme, un phénomène malheureusement très répandu dans l’anarchisme moderne, perdrait de sa vigueur. Parmi les tentatives organisées pour résister à ce sectarisme, l’esquisse d’une nouvelle internationale anarchiste, que l’on m’a communiqué dernièrement et que je vais vous présenter maintenant.

L’ INTERNATIONALE ANARCHISTE est une initiative ayant pour but d’offrir un lieu pour des anarchistes de toutes les parties du monde qui souhaitent exprimer leur solidarité mutuelle, faciliter la communication et la coordination, apprendre mutuellement des efforts et des expériences des autres, et donner un écho plus grand à la parole et aux perspectives anarchistes dans les milieux politiques radicaux, mais qui souhaite le faire d’une façon qui rejette toute trace de sectarisme, d’avant-gardisme et d’élitisme révolutionnaire.

Nous ne considérons pas l’anarchisme comme une philosophie inventée au 19ème siècle en Europe, mais plutôt comme la pratique et la théorie mêmes de la liberté – cette liberté authentique qui n’est pas construite sur le dos des autres – un idéal qui a été perpétuellement redécouvert, rêvé, pour lequel on s’est battu sur tous les continents et à toutes les périodes de l’histoire humaine. L’anarchisme aura toujours des milliers de courants, parce que la diversité fera toujours partie de l’ essence de la liberté, mais créer des réseaux de solidarité peut les rendre tous plus puissants.

CARACTERISTIQUES :


  1. Nous sommes anarchistes parce que nous croyons que la liberté et le bonheur humain seraient mieux garantis par une société basée sur des principes d’auto-organisation , d’ association volontaire, d’assistance mutuelle et parce que nous refusons toute forme de relations sociales basées sur la violence systémique , telles que l’état ou le capitalisme.

  2. Nous sommes cependant profondément anti-sectaires, ce qui signifie que :

    1. nous n’essayons pas de faire valoir aucune forme particulière d’anarchisme au détriment des autres : Plateformiste, Syndicaliste, Primitiviste, Insurrectioniste ou toutes autres. Ni ne voulons exclure personne sur ces bases – nous considérons la diversité comme un principe en lui-même, limité seulement par notre refus commun des structures de domination racisme, sexisme, fondamentalisme, etc.

    2. b) puisque nous ne considérons pas tant l’anarchisme comme une doctrine que comme un processus, un mouvement, vers une société libre, juste et durable , nous pensons que les anarchistes ne devraient pas se contenter de coopérer avec ceux qui s’identifient comme anarchistes , mais devraient rechercher activement à coopérer avec quiconque travaille à créer un monde basé sur ces mêmes grands principes libératoires, et, en fait, apprendre d’eux. L’un des buts de l’Internationale est de faciliter cela :à la fois de faciliter la mise en relation de ces millions de personnes à travers le monde qui sont, en réalité, anarchistes sans le savoir, avec les réflexions de ceux qui ont travaillé dans cette tradition même, et, en même temps, d’enrichir la tradition anarchiste elle-même à travers les contacts avec ces expériences.

  3. Nous rejetons toute forme d’avant-gardisme et nous pensons que le rôle réel de l’intellectuel anarchiste ( rôle qui devrait être ouvert à tous) est de prendre part au dialogue en cours : apprendre des expériences de luttes et de constructions communautaires populaires et offrir en retour les fruits de la réflexion sur ces expériences, non pas dans un esprit de diktat, mais comme un cadeau.

  4. Quiconque acceptant ces principes est membre de l’ Internationale Anarchiste et tout membre de celle-ci est habilité à agir comme porte-parole si il le souhaite. Puisque nous apprécions la diversité nous ne nous attendons pas à une uniformité de d’opinions autre que l’acceptation des principes eux-mêmes (et bien sûr, la reconnaissance de l’existence d’une telle diversité )

  5. L’organisation n’est ni un bien ni un mal en elle-même ; le niveau de structure organisationnel approprié à tout projet ou tâche précise ne peut jamais être décidé à l’avance mais ne peut être que déterminé par ceux qui y sont engagés. En ce qui concerne donc tout projet initié au sein de l’Internationale : il reviendra à ses initiateurs de déterminer la forme et le niveau d’organisation appropriés. En ce sens, une structure de prise de décision n’est pas nécessaire pour l’Internationale en elle-même mais si, à l’avenir, des membres ressentent le contraire, il leur appartiendra de déterminer son type de fonctionnement, étant entendu que cela respectera l’idée générale de décentralisation et de démocratie directe.

  6. En outre, l’anarchisme doit se tourner vers les expériences d’autres mouvements sociaux. Il doit s’inclure dans les évolutions des sciences sociales progressistes. Il doit être en collusion avec les idées émises par les cercles proches de l’anarchisme. Prenons par exemple l’idée de l’économie participative (1) qui représente une vision économiste anarchiste par excellence et qui complète et rectifie la tradition économiste anarchiste. Il serait avisé d’écouter ces voix qui avertissent de l’existence de trois classes principales dans le capitalisme moderne , et non pas seulement deux. Il existe également une autre classe sociale, appelée classe coordinatrice par ces théoriciens. Son rôle est de contrôler le travail de la classe ouvrière. Elle inclut la hiérarchie des cadres les consultants professionnels et les conseillers, qui occupent une place centrale dans leur système de contrôle – tels les avocats, les ingénieurs, les agents financiers, etc. Ils bénéficient de leur position de classe grâce à leur monopolisation relative de la connaissance, des compétences et des relations. C’est ce qui leur permet d’avoir accès aux positions qu’ils occupent au sein des hiérarchies des entreprises et des gouvernements.

Autre point à prendre en compte, la classe coordinatrice est capable d’être une classe gouvernante. C’est en fait la vraie signification historique de l’Union Soviétique et des autres pays prétendus communistes. Ce sont en fait des systèmes qui donnent le pouvoir à la classe coordinatrice.

Enfin, je pense que l’anarchisme moderne doit se tourner vers une vision politique.

Cela ne signifie pas que les différences tendances de l’anarchisme ne plaident pas pour des formes très précises d’organisation sociale, bien que souvent nettement différentes les unes des autres. Pour l’essentiel, cependant, l’anarchisme dans son ensemble soumet une « liberté négative », c’est à dire une liberté qui « s’oppose à », plutôt qu’une liberté substantive « pour ».

Bien sûr, l’anarchisme salue souvent son attachement à la liberté négative comme la preuve de son pluralisme, de sa tolérance idéologique ou de sa créativité. Cependant, l’échec de l’anarchisme pour énoncer les circonstances historiques qui auraient pu rendre possible l’établissement d’une société anarchiste sans état pose un problème à la pensée anarchiste qui reste irrésolu à ce jour. Un ami me disait, il y a peu, que « vous autres anarchistes vous débrouillez toujours pour garder les mains propres, de telle manière que vous vous retrouvez sans mains du tout. » Je pense que cette remarque résume exactement le manque d’une réflexion plus sérieuse quant à une vision politique.

Pierre Joseph Proudhon a essayé de formuler une image concrète d’une société libertaire. Sa tentative s’est révélée être un échec et, selon mon opinion, totalement décevante. Cependant, cet échec ne doit pas nous décourager souligne la voie suivie par les écologistes sociaux, par exemple, en Amérique du Nord – une voie menant à la formulation d’une vision politique anarchiste sérieuse. Le modèle anarchiste devrait également essayer de répondre à la question : « quelles sont les alternatives constructives anarchistes aux législatures, tribunaux, forces de police, et diverses instances exécutives » pour « offrir une vision politique qui inclut la législation, la mise en œuvre, l’adjudication et la défense et qui montre comment chacune de ces tâches pourraient être accomplies de façon anti-autoritaire. Promouvoir des perspectives positives ne fournirait pas seulement un espoir à long terme si nécessaire à notre militantisme, mais informerait aussi sur nos alternatives immédiates face aux systèmes actuels électoral, législatif, judiciaire et de maintien de l’ordre nos réponses immédiates, et, par conséquent, sur de nombreux choix stratégiques de notre part

Enfin, quelles seraient les implications stratégiques de la promotion d’un tel modèle ?

Lors de contacts avec des militants anarchistes, j’ai entendu plusieurs fois une proposition avec laquelle je n’ai aucune sympathie et pour laquelle je n’ai aucune explication. Nous devrions, disaient-ils faire un effort et vivre moins bien pour que les choses aillent mieux. A l’inverse de cette logique extraordinaire, qui signifie « plus c’est pire et meilleur c’est », je pense qu’il serait plus raisonnable et beaucoup plus pratique d’écouter l’avis d’anarchistes argentins qui plaident pour « l’élargissement de la cage ». Une telle stratégie impliquera, au contraire, de se battre pour et d’obtenir des réformes, faute de révolution, de manière à, en même temps, améliorer les conditions et les options des gens immédiatement et de créer également des opportunités pour de futures victoires à l’avenir. Elle indiquera que, plaider pour une société nouvelle n’implique pas d’ignorer les difficultés et les souffrances actuelles mais que lorsque nous travaillons à combattre des maux actuels, pour rendre la situation meilleure immédiatement, nous devrions le faire de façon à éveiller les consciences, renforcer nos communautés et développer nos organisations et que cela conduit par conséquent à une trajectoire de changements continuels aboutissant à l’élaboration de nouvelles structures économiques et sociales. Élargir la cage n’exclut pas les luttes populaires à court terme, pour des augmentation de salaires, la fin d’une guerre, la discrimination positive, de meilleures conditions de travail, un budget participatif, un impôt progressif ou radical, une semaine de travail plus courte à plein traitement, l’abolition du FMI, ou quoi que ce soit d’autre — parce que cela tient compte de la réalité du développement de la conscience et de l’organisation des gens à travers les luttes et évite le genre de mépris parmi les militants envers les efforts courageux des gens pour améliorer la qualité de leurs vies.

En guise de conclusion, je pense qu’un tel modèle d’anarchisme moderne pourrait jouer un rôle constructif, à construire, face aux actuelles horreurs du capitalisme, un mouvement post-marxiste qui pourrait se réclamer des valeurs des Lumières et qui pourraient finalement en réaliser le potentiel entier.

Merci.

J’aimerais remercier mes amis David Graeber, Uri Gordon et Michael Albert.Toutes les idées que vous avez pu lire pourraient très bien avoir été inventées par l’un d’eux.