analyse anarchiste-communiste

La crise économique et le fascisme en France

19 Février 2010

        La crise économique

        Réalité de la menace fasciste

        Quels enseignements en tirer ?

La crise économique

La bourgeoisie a anticipé la crisé économique capitaliste. Pour préserver son taux de profit et continuer à s’enrichir sur notre dos, en exploitant notre travail, elle a mis en place un certain nombre de dispositifs :

Elle a d’abord menée une politique visant à s’approprier une plus grande part des richesses créées aux détriment des travailleuses et des travailleurs :

Gel des salaires, exonérations de cotisations patronales créant artificiellement le trou de la sécu, et parrallèlement déremboursement, et baisse des allocations chômages et des pensions retraites…

Gains de productivité obtenus par des licenciements et l’augmentation des candences pour ceux qui restent.

Hausse des prix, et notamment des loyers, liée à la spéculation immobilière, mais aussi à des ententes visant à créer des situations de monopole permettant d’augmenter les prix (on garde des logements vides pour faire augmenter les loyers, on se met d’accord entre entreprise pour proposer des prix élevés pour les denrées d’usage)

privatisation massive des services publics, visant à conditionner l’accès à la santé, à l’instruction, aux transports, à la poste, à l’énergie… à la possibilité de payer, et à créer ainsi la source de nouveaux profits, en créant de nouveaux marchés. Cela achève une tendance qui consistait, auparavant, à introduire dans ces services publics les logiques de rentabilité, et cela aggrave le caractère inégalitaire de ces services publics qui n’ont jamais été réellement égalitaires…

Faire payer les travailleuses et travailleurs à la fois comme contribuables (TVA, impôts directs), comme salariés (cotisations sociales) et comme usagers (franchises, déremboursement, mutuelles…) la part qu’elle était auparavant obligée de payer du fait du rapport de force de classe dans l’après guerre…

Tout cela à permis de faire passer la part des richesses créées appropriées par le capital de 30 % à 40 % en 30 ans… Cette tendance s’accroit.

Cette politique a pour conséquence un appauvrissement de l’ensemble des travailleuses et des travailleurs, et plus particulièrement les fractions les plus exploité-e-s des classes populaires : prolétariat ouvrier et employé-e-s, et parmi celui-ci, les femmes, les travailleurs immigrés et plus particulièrement les travailleuses et travailleurs sans papier.

Cet appauvrissement a provoqué des révoltes populaires, qui se sont traduit autant par une reprise des luttes populaires de masses et des luttes ouvrières (contre la casse de la sécu, des retraites, contre le licenciements, contre la casse des services publics, précarisation/CPE), mais aussi par les émeutes de 2005, et plus largement les émeutes suite à des exactions policières.

Ces différents mouvements n’ont pour l’instant que très peu convergé, du fait des situations très diverses que connaissent les classes populaires, liées aux systèmes de domination raciste et patriarcal, mais aussi au poids de l’idéologie dominante qui entretient une oeuvre de division visant à séparer les différentes fractions des classes populaires afin de prévenir toute remise en cause de l’ordre capitaliste et étatique, et donc de la poursuite de l’exploitation et de la domination…

Cependant le CPE, en réalisant sur le terrain de la lutte une convergence des différents secteurs de la jeunesse populaire, ainsi que des secteurs très divers du salariat, a résonné pour les capitalistes et l’Etat comme une lourde menace. En effet, si une telle convergence tendait à se développer, un retour à l’offensive des exploité-e-s dans la lutte des classes devenait possible, car cela permettait le retour d’une identification du réel antagonisme social, celui qui oppose exploiteur et exploité, c’est à dire l’antagonisme de classe. En effet, sur le terrain de la lutte économique se réalise la conscience d’appartenir à des classes ayant une communauté d’intérêt, car subissant une communauté d’exploitation, par opposition à des classes ayant en commun l’appropriation de la force collective sociale, sous la forme d’une appropriation des richesses produites par le travail des exploité-e-s, et d’une appropriation du pouvoir de décision par les classes dirigeantes.

Ceci représentait la première étape pouvant ouvrir la voie à un processus révolutionnaire, pouvant remettre en cause l’ordre capitaliste et étatique.

Au moment de la grève générale en Guadeloupe, un tel risque a refait surface, l’expérience guadeloupéenne ayant fortement inspiré le mouvement social en métropole, rendant crédible plus que jamais la perspective d’une grève générale.

Cette menace a été très nettement perçue par une partie de la bourgeoisie : comme le montre, par exemple, les propos de Dominique de Villepin le 19 avril 2009 sur Europe 1, affirmant qu’il « existait un risque révolutionnaire en France » (Emission le grand Rendez vous, Europe 1, Le Parisien/aujourd’hui en France »).

La lutte des classes dans un contexte de crise du système capitaliste se fait de manière de plus en plus aigue. Pour l’instant, l’avantage de la bourgeoisie repose sur plusieurs aspects :

Principalement un affaiblissement de la conscience de classe, qui rend plus difficile toute perspective de remise en cause du système politique économique et social capitaliste et étatique.

C’est justement un « rebond » de cette conscience de classe qu’ont représenté les deux périodes fin 2005/2006 (emeutes et CPE) et début 2009 (guadeloupe/ mouvement de grève privé/public associé au mouvement étudiant/lycéen jusqu’en mars 2009)

L’accroissement de l’appareil de contrôle de l’Etat. La tendance au durcissement de l’appareil répressif, inspirée par la doctrine de la guerre révolutionnaire, s’est accéléré depuis 2001, : loi sur la sécurité quotidienne, LOPSSI 1 et 2 : la gauche comme la droite au pouvoir ont brandi la peur de l’insécurité et du terrorisme pour accentuer les dispositifs répressifs et renforcer les forces de répression. Plus de 400 unités de l’armée sont ainsi entrainées à faire face à la guérilla urbaine, avec la création d’un centre de formation dédié, le Cenzub, à Sissonne, dans l’Aisne, en 2006 [1].

Les services de renseignement sont fusionnés au sein de la DCRI, alliant "renseignement intérieur" et "extérieur" : C’est le retour assumé de l’association entre "ennemi intérieur et extérieur" tel qu’identifié durant la guerre d’Algérie [2]

A ces aspects s’ajoute une stratégie qui s’inscrit comme le quadrillage policier des populations dans la doctrine "contre-insurrectionnelle" (Doctrine de la guerre révolutionnaire), telle qu’elle a été développée lors des guerres coloniales : la création d’un ennemi intérieur autour de plusieurs figures stéréotypiques :

La réactivation du discours nationaliste et ce qui lui est indissociablement lié, racisme et antisémitisme [5], ainsi que le soutien idéologique ou pratique à des mouvements de type fasciste. Nationalisme, racisme et antisémitisme sont présents dans la quasi totalité du spectre politique à l’état plus ou moins diffus, mais leur diffusion est assurée à la fois par les médias bourgeois, le racisme d’Etat, et par le discours d’un certain nombre de politiciens et d’intellectuels, mais aussi par les courants idéologiques et les officines fascistes.

La création d’un ministère "de l’immigration et de l’identité nationale", ainsi que le débat sur l’identité nationale réactive le discours nationaliste et dans le même temps, comme conséquence, la xénophobie, c’est à dire l’hostilité à l’égard des étrangers. Ce discours vise à protéger la bourgeoisie en divisant les travailleuses et travailleurs sur la base de la nationalité : en transférant la responsabilité des difficultés sociales sur les travailleurs immigrés, la bourgeoisie dévie ainsi la colère populaire en montant les travailleuses et travailleurs les un-e-s contre les autres. Dans le même temps, la politique anti-immigré a pour effet d’accentuer la précarisation des travailleuses et travailleurs immigrés, et ainsi de tirer vers le bas les salaires, les conditions de travail de l’ensemble des prolétaires. C’est à ce titre que la revendication de régularisation des tou-te-s les travailleurs et travailleuses sans papiers prend son sens, car elle permet de briser cette dynamique de précarisation, et créer le conditions d’une lutte commune et offensive entre travailleuses et travailleurs, face à la bourgeoisie. Le débat sur l’identité nationale permet de masquer les vrais problèmes qui se posent à l’ensemble des classes populaires, quelle que soit leur nationalité : difficultés à se loger, loyers en hausse, licenciement, appauvrissement, problèmes d’accès à la santé, et d’évacuer les vraies questions : le partage des richesses, l’organisation économique, politique non pas au service d’une minorité exploitant la majorité, mais au service de la collectivité. [6]

La diffusion d’un discours raciste masqué derrière un discours pseudo-laique dévoyé, qui s’attaque non pas à l’influence religieuse en général sur la société et la vie politique, mais à une seule religion minoritaire, permettant ainsi de faire passer un discours raciste masqué derrière la critique d’une religion. C’est le cas avec l’islam, comme cela avait été le cas avec le judaisme à une autre époque, ou nombre de critiques de la religion juive ne s’attaquaient pas à son caractère d’idéologie religieuse mais à une religion fantasmée et auquelle étaient assignés des stéréotypes racistes de type antisémite. Ce discours est tenu par le gouvernement (il trouve cependant des relais dans l’ensemble de la classe politique, y compris à l’extrême gauche ou dans le courant libertaire), pour mobiliser la population en faisant passer un discours raciste sous une forme "présentable". Cela n’empêche ni l’Etat par ailleurs de financer activement divers cultes de manières indirecte, à travers notamment l’enseignement confessionnel privé, mais aussi les organismes religieux "représentatifs", ni pour celui-ci de se créer une clientèle au sein des institutions religieuses des différentes religions afin d’assumer un travail de contrôle social. L’hypocrisie de ce discours (décallage entre stigmatisation publique d’une religion et pratiques en contradiction avec la laicité)en souligne toute la dimension raciste.

Le soutien aux courants fascistes, comme prolongement du nationalisme, visant à la fois à dévier la révolte populaire, et à créer des mouvement pouvant suppléer l’Etat dans la répression des révoltes populaire, s’affranchissant au besoin des contraintes de la légalité bourgeoise. du nationalisme français classique, qui joue un rôle de division des classes populaires fondé sur la nationalité ou la couleur de peau, se développent des mouvements de type authentiquement fascistes, qui adoptent des stratégies d’alliance différenciées.

Ainsi en est il des différentes courants, tendances et groupes se réclamant du nationalisme révolutionnaire :

Ces 3 tendances se revendiquent du même patrimoine idéologique nationaliste révolutionnaire ou « socialiste nationale » (pseudo-anticapitalisme, racisme "ethno différencialiste" [10], antirationalisme, utilisation des mythes et de la « psychologie des foules » inspirée du fasciste Gustave Le bon comme moteur de l’histoire [11], sexisme, homophobie.

L’homophobie de ces courants les a d’ailleurs amené, malgré leurs différences idéologiques et stratégiques, à se retrouver sur une ligne commune d’agression envers les homosexuels, comme en témoigne la présence commune des identitaires et d’Egalité et réconciliation au rassemblement contre le Kiss-in à Saint Jean. C’est également pour la même raison qu’ils se retrouvent dans les mouvements d’opposition à l’IVG. Dans les 2 cas, il s’agit de défendre une vision essentialisée des femmes, assignée au rôle de reproductrices soumises, afin d’assurer la « reproduction des forces vives de la nation, les hommes étant quant à eux assigné au virilisme guerrier. Pour celles et ceux qui sortent de cette norme sociale c’est la répression sous forme de violence physique, et le fascisme historique a montré que la dimension génocidaire n’est jamais loin dans cette logique sexiste et eugéniste (auquel s’ajoute par ailleurs l’eugénisme vis à vis des personnes non valides).

De même, ces 3 courants ont en commun une révolte caractéristique du fascisme contre le rationalisme des « lumières », le mépris de « la foule » conçue comme menée essentiellement par ses émotions, le rejet de la démocratie (non pas de la pseudo-démocratie bourgeoise, mais de la démocratie comme principe) liée au rejet de l’égalité comme valeur, à la promotion de la hiérarchie comme principe d’organisation sociale. « Révolte « contre la culture de la société bourgeoise et le libéralisme, ils n’en défendent pas moins ses fondamentaux économiques (capitalisme, propriété privée) et donc jouent dans un contexte de crise le rôle de chien de garde de l’ordre capitaliste, quand bien même ils se vivent et se voient comme « révolutionnaires », « révoltés contre le système ».

Ces 3 courants au patrimoine idéologique commun ne se différencient que par des axes tactiques et par des appréciations idéologiques secondaires :

Les identitaires (et la tendance "sociale et nationale" du FN) s’adressent en priorité à la petite bourgeoisie et aux travailleuses et travailleurs "blancs",’ pour prévenir leur révolte. De manière secondaire, ils tentent de mobiliser la minorité nationale juive pour la dresser contre les autres minorités au nom d’une lutte contre "l’islamisation", au nom de "l’occident judéo-chrétien". Les identitaires sont racistes et antisémites, mais il désignent comme "ennemi principal" les arabes, les noirs et toutes les populations qu’ils désignent comme "non blanches" "allogènes", ce qui les amènent à mettre en avant principalement le racisme contre les noirs, les arabes, les turcs (désignés comme "musulmans"), en laissant leur antisémitisme au second plan pour attirer la fraction de la minorité nationale juive nationaliste française assimilationiste, et les sionistes (nationalistes juifs) dans un "front uni contre l’islamisation".

La mouvance ethnodifférentialiste autour de Kemi Séba et le "Parti solidaire français" et la mouvance "antisioniste" autour de Soral-Dieudonné-Gouasmi visent à mobiliser, dans un front uni antisémite, les classes populaires et la petites bourgeoisie blanche, ainsi que les minorités nationales noires et arabes, contre les juifs. Il s’agit ici également de dresser les minorités nationales les unes contre les autres. Le racisme colonial, partagé par la composante nationaliste "de souche" passe ici au second plan au profit de l’antisémitisme, afin de dresser les minorités nationales noires et arabes contre la minorité juive, et ainsi diviser les classes populaires, tout en protégeant la bourgeoisie, en désignant un bouc émissaire faisant figure de "pseudo-bourgeoisie" grâce aux stéréotypes antisémites traditionnels.C’est cette tactique qui sous-tend la séparation artificielle faite entre "capitalisme industriel" (le bon capitalisme enraciné, selon cette rhétorique) et "capitalisme financier", dans la droite ligne du fascisme historique, qui du fait de la permanence de l’idéologie antisémites et des stéréotypes qu’elle véhicule (association entre les juifs et la banque, la finance), permet de protéger le capitalisme et la bourgeoisie d’une remise en cause, en désignant des boucs émissaires.

La différence tactique entre ces deux mouvances, c’est que Séba et le PSF affirment une conception ouvertement racialiste du nationalisme, alors que la mouvance Soral-Dieudonné mixe la conception nationaliste française racialiste avec celle de la "communauté de destin" telle que définie par Ernest Renan (théoricien de la conception française de la nation).

Mais les deux partent d’un constat partiel de la réalité des classes populaires aujourd’hui, c’est à dire de l’existence de minorités nationales noires et arabes, et cherchent à prévenir leur révolte contre le système raciste et le capitalisme et l’Etat, en s’adressant à elle, en les mobilisant de manière à préserver la bourgeoisie française et l’Etat de la révolte populaire et d’une éventuelle unification des différentes fractions des classes populaires (la fraction des classes populaires "blanche" et les fractions des classes populaires appartenant aux minorités nationales), affirmant une unité de classe face à la bourgeoisie. Une telle unification reviendrait à replacer l’affrontement sur le terrain de l’affrontement entre les classes et comporte un risque révolutionnaire évident pour la bourgeoisie.

C’est en conscience de cela qu’elle s’efforce de masquer les antagonisme de classe et d’y substituer les antagonismes racistes. Les nationalistes révolutionnaires représentent le groupe le plus explicite et déterminé portant cette idéologie nationaliste et raciste qui influence l’ensemble de la classe politique française. Dans un contexte de crise, leur " radicalité d’apparence" permet de canaliser la révolte populaire, pour conserver le caractère "horizontal" de la violence, au sein des classes populaires et entre ses différentes fractions, pour éviter que cette violence ne devienne "verticale", c’est à dire dirigée contre les classes dominantes, la bourgeoisie, le capitalisme et l’Etat.

Les nationalistes révolutionnaires, suprémacistes blancs français trouvent des alliés naturels au sein des courants nationalistes spécifiques aux minorités nationales, ou avec des mouvements nationalistes et réactionnaires alliés de l’impérialisme français, comme le montre l’alliance ou entre le PSF et Kémi Séba, le rapprochement entre les identitaires et les sionistes fascistes de la LDJ, entre Soral, UOIF et Gouasmi du centre Zahra France.

Les nationalismes se renforcent mutuellement, même s’il paraissent s’opposer en apparence (tout en partageant le même fond idéologique, et la même fonction de défense de la bourgeoisie) puisque la montée de la violence au sein des classes populaire liée à la diffusion des discours racistes et nationalistes alimente dans le même temps le replis nationaliste, les différents nationalistes s’appuyant sur les nationalismes prétendument antagonistes pour justifier leur théories.

Réalité de la menace fasciste

La période récente a vu se développer à une vitesse rapide, en France comme en Europe, des mouvements de type fasciste, notamment ceux précédemment évoqués associant une activité d’implantation sociale, une forte activité de diffusion idéologique à travers notamment la culture (musique, internet,…), se basant sur une relecture fasciste de Gramsci, qui insiste sur l’importance du métapolitique, c’est à dire de l’hégémonie culturelle, dans la stratégie politique, ainsi qu’une activité de rue agressive. Dans un certain nombre de pays d’Europe, cela s’est traduit par une augmentation des attaques racistes, homophobes, xénophobes mais aussi des agressions de militant-e-s révolutionnaires, des attaques contre les luttes populaires. En cela on peut constater le rôle de supplétif de l’Etat que jouent ces groupes fascistes, comme en témoigne par exemple l’agression à coup de barre de fer d’un rassemblement contre la venue de Besson à Lyon.

En France cette tendance est donc de plus en plus perceptible, comme en témoignent les exemples de Lyon, Tours, Arras, Lille et bien d’autres lieux… Cette tendance a une voie royale pour se développer dans un contexte de crise capitaliste, et la bourgeoisie, qui pour l’instant cantonne les fascistes dans un rôle de supplétif, (parce que le masque de la démocratie lui est pour le moment moins couteux comme mode de gouvernance et de gestion des classes populaires),peut tout à fait leur accorder un soutien politique et financier le jour où elle se sent menacée.

Pour l’instant nous sommes au stade du développement d’une influence culturelle et idéologique de masse, et la violence de rue des fascistes, si elle augmente, reste mesurée, parce que la bourgeoisie et l’Etat lui fixent des limites, mais nous risquons de nous retrouver rapidement face à une une dynamique pogromiste, si la bourgeoisie et l’Etat lâchent la bride au fascisme. Si le fascisme se développe plus encore, l’histoire nous a montré qu’il possédait une dynamique génocidaire intrinsèque.

On constate également que les groupes fascistes s’appuient sur une stratégie de passerelles, notamment sur internet, ou ils mobilisent des "idiots utiles" pour diffuser une partie de leur discours, prendre leur défense voire relayer leur discours au nom de la "liberté d’expression", faire la promotion de leur site au moyen d’un système de liens internet.

C’est le cas par exemple d’intellectuels comme Michel Collon ou comme Jean Bricmont : le site du premier sert de Passerelle vers des sites fascistes (Alterinfo tenu par un militant de Vox NR, structure nationaliste révolutionnaire, clap36 tenu par des proches de Dieudonné, etc…) et son dernier livre « Israel Parlons-en » accrédite Paul-Eric Blanrue, antisémite auteur d’un livre « Israel, Sarkozy et le juifs ». Il a par ailleurs participé au réseau conspirationiste « Axis for peace » au côté des fascistes que sont Dieudonné et Jacques Cheminade.

Le second, Jean Bricmont, se fait le porte de voix de la « liberté d’expression » pour les négationistes et les antisémites sous couvert « d’ouvrir le débat » sur le sionisme, en leur donnant ainsi une caisse de résonance au delà des sphères de l’extrême droite classique.

Certains sites se présentant comme « pro-palestiniens », tels « Palestine Solidarité », « infos Palestine » ou le site de l’ISM relaient de manière complaisante les discours de Dieudonné ou d’un antisémite comme Gilad Atzmon (qui a fait la promotion du livre négationiste de Paul Eisen).

Ils s’appuient pour cela sur un certain nombre de brèches, que sont notamment la faiblesse de l’analyse et de la réflexion politique en France y compris dans les milieux révolutionnaires. La stratégie consiste par exemple à surfer sur les ambiguités d’un discours "anti-impérialiste" et "anti-libéral" ou "anti-capitaliste" a-classiste, pour développer un pseudo anti-capitalisme qui insiste sur l’opposition au "capitalisme financier" pour mieux préserver le capitalisme comme système d’exploitation économique et social, et pour mieux préserver l’impérialisme français (en insistant sur la dénonciation de l’impérialisme américain ou israélien pour masquer la violence de l’impérialisme français).

L’opportunisme d’un certain nombre d’organisations d’extrême gauche qui par paternalisme et parce qu’elles essentialisent les prolétaires racisés des minorités nationales cautionnent des organisations réactionnaires se réclamant de l’islam politique, ou des organisations qui servent de passerelle telles qu’Europalestine, cet opportunisme ouvre aussi la voie au développement de ces tendances fascistes.

Enfin, cette stratégie est rendue possible par la faiblesse de la réflexion sur le racisme et l’antisémitisme à l’extrême gauche et au sein d’une partie du mouvement libertaire. Voir, dans le cas de l’antisémitisme, à sa négation ou à sa minimisation sous prétexte que le discours antisémite est officiellement condamné par l’Etat. Le fait que les sionistes aient instrumentalisé l’antisémitisme est utilisé pour disqualifier systématiquement toute mise à jour de la réalité de l’antisémitisme, des discours et pratiques qui s’y rattachent. L’antisémitisme est considéré comme l’apanage de quelques groupes nazis folklorique ou, dans une perspective raciste, de la minorité nationale arabe en France, alors qu’il irrigue la société française dans toutes les couches sociales, remontant à la surface à la faveur de la crise qui remet au goût du jour les grands thèmes de l’antisémitisme politique (fantasmes sur les juifs et les médias, ou les juifs et les banques et le communautarisme juif). L’antisémitisme est pourtant une constante de la vie politique française, de l’extrême droite à l’extrême gauche [12], depuis longtemps. La crise est l’occasion pour celui-ci de remonter à la surface, planqué derrière des "critiques" du sionisme qui quittent rapidement le terrain de l’anticolonialisme pour recycler les vieux thèmes antisémites, ou derrière des pseudo-critiques de la religion juive qui mèlent clichés antisémites à la critique antireligieuse. [13]

L’autre tendance consiste également pour les fascistes à s’appuyer sur des discours conspirationnistes [14] qui représentent la première porte d’entrée vers les discours fascistes, puisqu’ils exonèrent la classe capitaliste, et les rapports sociaux capitalistes et hiérarchiques, ainsi que le système étatique de tout discours critique et de toute responsabilité dans l’appauvrissement et l’exploitation des classes populaires, ainsi que dans la logique de terrorisme d’Etat à l’oeuvre à l’échelle internationale. Au nom d’un "anti-impérialisme" de façade, au nom d’un "antisionisme" qui n’a rien à voir avec l’opposition au colonialisme israelien (qui sert seulement éventuellement de prétexte) mais tout à voir avec l’antisémitisme, au nom d’un discours pseudo-laique voire pseudo-féministe, ils introduisent le venin idéologique nationaliste et raciste, et développent leur influence culturelle, idéologique et sociale.

Cette stratégie a du succès parce qu’il n’existe pas d’alternative politique à l’appauvrissement généralisé, au terrorisme d’Etat, qui soit envisageable pour la majorité de la population, et qui lui apparaisse comme crédible. Cela tient notamment à la faiblesse des organisations antihiérarchiques, mais aussi au fait que le projet de société et les idées portées par les anarchistes révolutionnaires apparaissent souvent comme déconnectées des préoccupations concrètes des classes populaires. C’est lorsque notre mouvement répondait à ces préoccupations qu’il avait une influence populaire de masse, et qu’il constituait une force révolutionnaire. C’est lorsque la population partageait l’idée qu’une alternative à l’Etat et au capitalisme était possible, tout en envisageant des réponses concrètes et autonomes à ses préoccupations que la rupture avec le nationalisme apparaissait comme une nécessité émancipatrice, que la révolution, seule alternative réelle au fascisme, devenait possible.

Quels enseignements en tirer ?

C’est ce constat qui pose la question d’une stratégie efficace face au fascisme de la part des anarchistes révolutionnaires.

Cela signifie à mon sens rompre avec un certain "folklore" qui réduit l’antifascisme au mieux à la lutte contre les fascistes, au pire à une lutte bande/groupe contre bande.

Cela passe également par la mise en avant d’une approche de classe, qui visibilise l’antagonisme réel, celui qui oppose la bourgeoisie et l’Etat d’un côté, les classes populaires de l’autre, et qui pose la question de la nécessité révolutionnaire d’une rupture avec le capitalisme et l’Etat. Cela passe par une lutte idéologique contre le fascisme, associé au développement de luttes autonomes partant des nécessités concrètes des classes populaires, qui mettent à jour cet antagonisme réel et démasquent les fascistes pour ce qu’ils sont : les instruments de la bourgeoisie en période de crise.

Cela passe par la promotion d’un projet de société et de la nécessité d’une rupture révolutionnaire avec le capitalisme et l’Etat, comme alternative au replis nationaliste.

Cela passe enfin par la compréhension du fait que ce phénomène n’est pas réductible à "l’effet de l’affaiblissement du front national" libérant la place à des groupes radicalisé, mais à une tendance à l’autodéfense idéologique de la part de la bourgeoisie pour prévenir toute menace en période de crise.

Cela passe enfin par la promotion et l’organisation d’une autodéfense antifasciste qui passe par la construction d’une résistance populaire à ces tendances, contre les attaques physiques mais aussi contre l’idéologie fasciste, c’est à dire d’une vigilance face à la diffusion de discours racistes et antisémites, y compris dans les milieux "progressistes", ainsi que la diffusion d’un contre-discours brisant l’idéologie fasciste. Cette approche est la condition du développement d’un antifascisme populaire, qui élargisse le champs de la lutte contre le fascisme, et qui ouvre des perspective de rupture avec l’ordre capitaliste et étatique qui nourrit le fascisme.

Un grand merci aux camarades de l’Action Antifasciste pour leurs remarques qui ont contribué à enrichir ce texte.

Berckman

[1] Voir l’article du monde diplomatique "Comment les armées se préparent au combat urbain".

[2] Voir L’ennemi intérieur, La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, Mathieu Rigoust

[3] Le terme "islamophobie" étant l’objet de nombreuses polémiques (voir notammentlink), une précision s’impose : Il ne s’agit pas ici de défendre l’islam comme religion (il est clair que toutes les religions sont des idéologies qui justifient la hiérarchie et servent de justificatif aux rapports de domination) mais de refuser le discours du "deux poids deux mesure" dans la critique des religion qui masque en général un discours raciste. Si il faut rejeter le discours de certains religieux musulmans tentent d’assimiler toute critique de la religion musulmane à de l’islamophobie (comme stratégie de défense de l’idéologie religieuse), il n’en reste pas moins qu’un certains nombre de critiques de l’islam se situent sur le terrain du fantasme raciste et non celui de la critique rationaliste et matérialiste de la religion.

[4] Coir article du monde.

[5] Le racisme et l’antisémitisme sont ici utilisés dans leur sens politique et historique. Le racisme consistant dans l’affirmation simultanée d’une division de l’humanité en races (le plus souvent, à l’exception de l’antisémitisme, sur la base d’un critère sélectionné arbitrairement, la couleur de peau), et la hiérarchisation des groupes auxquels on assigne une race, ce qui se traduit par un rapport d’oppression, d’exploitation et d’humiliation pour les personnes auxquelles on a assigné une race considérée comme inférieure. L’antisémitisme quant à lui est un racisme spécifique, qui n’est pas fondé sur la couleur de peau mais sur la racialisation d’une culture et d’une religion, définie comme figure négative de la nation, comme "antination". Le racisme classique se base sur la couleur de peau (un critère arbitraire et absurde mais"visible") , alors que l’antisémitisme est un racisme qui lui se développe justement à partir de l’idée de l’impossibilité de distinguer les juifs alors qu’ils constitueraient une "race à part" (sur la base d’un critère tout aussi absurde et arbitraire, mais "invisible"), ce qui entraine les préjugés racistes spécifiques sur "l’omniprésence", la "richesse" et le "pouvoir occulte" prétendu des juifs.
Dans le système capitaliste, la théorie raciste classique et l’antisémitisme, même si elles ont été forgé par les mêmes théoriciens, (du nationalisme, du colonialisme du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme), au même moment, donc avec la même matrice idéologique, dans l’europe du XIXème siècle, n’ont pas exactement la même fonction : le racisme classique visait à diviser les classes populaires mais aussi à justifier une politique impérialiste et coloniale (indigénat et esclavagisme), alors que l’antisémitisme visait à protéger la bourgeoisie en créant un bouc émissaire, tout en renforçant l’idée de nation par opposition à un "symbole" "antinational", forgé de toute pièce par la rhétorique nationaliste.Dans les deux cas, ce qu’ils ont de commun c’est d’être un outil au service de la domination.

[6] Voir sur ce point "A quoi sert l’identité nationale", de Gérard Noiriel, édition Agone.

[7] On peut distinguer 2 principales fractions : Les assimilationistes, qui à l’instar d’Eric Zemmour, se fondent dans le nationalisme français et européen, par volonté d’assimilation.On peut faire le parallèle entre cette tendance et celle d’une fraction de la population juive algérienne, qui naturalisé par le pouvoir colonial français, s’est solidarisé avec le parti colonial contre les algériens, assimilant le racisme colonial français anti-arabe.En Algérie, le pouvoir colonial avait ainsi déjà utilisé la stratégie qui consiste à dresser 2 minorités nationales l’une contre l’autre, pour perpétuer le système coloniale et le système raciste de l’indigénat (voir point 3).
Les sionistes fascistes de la "Ligue de Défense Juive" qui affichent une sympathie de plus en plus marquée pour les identitaires, au nom d’un "front commun" contre "l’islamisation".

[8] Sur ce point, voir "La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme", Zeev Sternhell

[9] Voir également « la naissance de l’idéologie fasciste » de Zeev Sternhell, Mario Sznajder, Maia Ashéri.

[10] Que certains de ces courants se revendiquent d’un prétendu "antiracisme" ethnodifférencialiste ne doit tromper personne : en acceptant l’assignation à une "race" ou une "ethnie" des personnes, il valident à la fois l’opposition au sein des classes populaires sur la base de critères biologiques ou culturels sélectionnés arbitrairement, mais aussi l’ensemble des stéréotypes qui sont liés à cette assignation ethnique et qui servent précisément de base à l’oppression raciste. Ils ne voient pas -refusent de voir ou font semblant de ne pas voir _que c’est aussi la classification racialiste qui reproduit dans le même mouvement la hiérarchisation raciste.

[11] Les travaux de Gustave Le Bon affirment « l’irrationalité de la foule », c’est à dire que les individus lorsqu’ils sont regroupés cessent de ce comporter de manière rationnelle. Ces travaux ont inspiré Georges Sorel, qui forge sa théorie des mythes comme outils de « mobilisation de la foule » dans l’histoire, une histoire conçue comme rapport de force, affrontement permanent dans une lecture darwiniste sociale (c’est à dire qui considère que les groupes humains s’affrontent pour la survie, les « meilleurs » dans la lutte survivant. C’est notamment cette approche antirationelle, associée au refus de remettre en cause la propriété privée, qui fera de Sorel l’un des contributeur principaux à la synthèse qu’est l’idéologie fasciste. En effet, il voit la lutte des classes non pas comme un phénomène existant du fait des intérêts contradictoire entre les classes sociales, mais comme un mythe qui permet de mobiliser, à l’instar de la grève générale, le prolétariat dans la lutte contre la société bourgeoise. Ce qu’il critique dans la société bourgeoise, ce n’est pas le capitalisme et la propriété privée qu’il considère comme indépassable, mais l’idéologie libérale, la démocratie, l’idée de l’égalité et du droit issu des lumières. L’antisémitisme joue un rôle dans son évolution puisqu’il considère que l’affaire Dreyfus, la mobilisation d’une partie du mouvement ouvrier contre le racisme antisémite au côté de la bourgeoisie libérale a amené à une atténuation de l’antagonisme de classe, et donc émoussé les capacités révolutionnaire du prolétariat, en rupture avec sa perception darwiniste sociale.
Cette approche associée au reflux des luttes du prolétariat, et la puissance mobilisatrice de l’idée de nation à la veille de la première guerre mondiale, l’amène à considérer que la nation est un mythe mobilisateur beaucoup plus efficace contre la « société bourgeoise » que l’approche classiste internationaliste. Il va dès lors se rapprocher des nationalistes de l’Action française à la recherche d’une « synthèse nationale » qui englobe le prolétariat, et qui transpose la lutte de l’affrontement entre les classes à l’affrontement, la guerre entre nations. C’est cette évolution à partir d’un socialisme « antirationaliste », anti-intellectualiste qui va conduire les partisans italiens de Sorel à le rejoindre dans la synthèse d’un socialisme idéaliste, mystique et du nationalisme, et à former le mouvement fasciste. Mussolini se réferera ainsi à Sorel comme l’un de ses maître à penser.

[12] Voir sur ce point "l’antisémitisme à gauche", de Michel Dréyfus, qui recense les expressions de l’antisémitisme à gauche, depuis l’émergence du mouvement socialiste. Si son approche est criticable pour certains amalgames sur la période récente, il n’en constitue pas moins une source très documentée qui relève la constance d’un discours antisémite au sein de la gauche (qui n’englobe pas toute la gauche mais qui existe de manière constante, plus ou moins fortement selon les époques) ,qui selon lui ne provient pas de la gauche mais qui reflète l’influence persistante de l’idéologie dominante à gauche.

[13] La stratégie de défense des racistes antisémites, dans ce cas, est d’amalgamer tous ceux et toutes celles qui soulignent le fait que tout ou partie de leur discours ne fait que recycler des thèmes antisémites récurrent avec des sionistes tentant de faire taire toute critique vis à vis d’Israel, ou avec des religieux ou des communautaristes visant à faire taire toute critique de la religion. On notera la proximité avec les tactiques des racistes islamophobes visant à faire passer toute critique soulignant le fait qu’ils recyclent des thèmes racistes à travers une prétendue critique de la religion musulmane pour des "islamogauchistes" ou des partisans des régimes réactionnaires religieux et théocratiques et des courants qui s’y rattachent. C’est un fait que les sionistes amalgament toute critique du sionisme et d’Israel à de l’antisémitisme, et que les réactionnaires religieux amalgament toute critique de l’islam à de l’islamophobie.Il faut s’opposer à cette double tentative de faire taire les critiques antiracistes, anti-antisémistes, antireligieuse et anticolonialiste, d’un point de vue émancipateur. Cela ne doit pas conduire ni à cautionner des discours antisémites ou racistes, ni des discours réactionnaires religieux ou pro-colonialistes. L’anarchisme conséquent critique la religion comme idéologie, mais ne rentre pas dans une logique de hiérarchie entre religions et pour cela la critique de la religion comme idéologie de pouvoir peut et doit se tenir à l’écart des préjugés racistes et antisémites. De même, l’anticolonialisme anarchiste conséquent n’amalgame pas critique du sionisme, opposition au colonialisme israelien et antisémitisme, et refuse et dénonce toutes les tentatives de recycler un discours raciste antisémite sous prétexte "d’antisionisme".

[14] Rappelons que la plupart des théories conspirationnistes actuelles qui circulent sont principalement diffusées par les fascistes américains, même si elles s’inspirent de théories identiques forgées notamment par les services secrets de la russie tsariste (L’okhrana, auteur notamment du faux antisémite, le "protocole des sages de sion", repris tout ou partie par une partie des conspirationnistes aujourdhui), ou par les nazis. Cela fait apparaître les prétendus "anti-impérialistes" qui les diffusent pour ce qu’ils sont : des alliés objectifs des capitalistes et des Etats.