Titre: L'insertion sociale de l'anarchisme
Source: http://theorie.anarchiste-communiste.over-blog.com/article-l-insertion-sociale-de-l-anarchisme-42379078.html

Pour tous les militants et toutes les militantes anarchistes qui considèrent la révolution non pas comme un "mythe mobilisateur" ou un élément d'un folklore qu'on tarde par nostalgie à remiser au placard des antiquités, tout en ayant abandonner toute perspective d'en voir la couleur, la nécessité d'une stratégie et d'une tactique révolutionnaire se pose.

Exception faite sans doute des anarchistes qui se rangent derrière un certain spontanéisme qui ne peut faire du mouvement anarchiste qu'un spectateur, au mieux une mouche du coche du mouvement révolutionnaire.

Pour les anarchistes révolutionnaires, c'est à dire celles et ceux qui pensent qu'une révolution est non seulement possible, mais nécessaire, parce qu'elle conditionne une émancipation réelle des individus, en brisant le carcan de la société capitaliste, autoritaire, patriarcale, raciste et étatiste, il s'agit non pas d’espérer à la manière religieuse qu'une révolution "se produise", c'est à dire, en quelque sorte, de l'attendre. L'attendre, comme un élément extérieur au processus révolutionnaire, souvent par peur de souscrire à une dérive avant-gardiste, toutn en créant les conditions précises d'une instrumentalisation du processus révolutionnaire par n'importe quel courant avant-gardiste, délégataire, étatiste.

Il s'agit bien au contraire, en tant qu'exploité-e-s parmi les exploité-e-s, de participer à se processus révolutionnaire, non pas comme détenteur d'une vérité absolue ("scientique" ou "historique"), non pas comme avant-garde méprisant les autres exploité-e-s ou les considérants comme subordonnés, mais comme acteurs et actrices, ayant intérêt à leur propre libération et y travaillant activement.

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Cela suppose bien évidemment la rupture avec la posture libérale qui consiste à parler de liberté individuelle sans aborder les conditions de sa réalisation effective, c'est à dire les conditions sociales d'une telle émancipation qui ne soit pas le luxe de quelques uns mais la réalité accessible et praticable part tous et toutes les exploité-e-s. Cela suppose d'en finir avec l'amalgame entre lutte/organisation collective et organisation hiérarchique, c'est à dire de réaffirmer que la lutte collective est la condition de la libération de l'individu, dès lors qu'elle développe dans son processus une rupture avec le système hiérarchique, et avec l'organisation sociale hiérarchique.

C'est cette nécessaire lutte collective, et la nécessité d'une rupture collective qui rompe l'isolement de l'individu face au pouvoir hiérarchique qui sape les conditions matérielle de la domination, qu'il s'agisse de la domination de classe, patriarcale ou raciste.

Dès lors, être acteurs et actrices du processus révolutionnaire, c'est travailler à renforcer les dynamiques de rupture avec le système hiérarchique, c'est à dire créer les conditions d'une force collective révolutionnaire qui permette la libération effective des individus (non pas métaphysique, mais concrète et réelle).

Cela suppose une conception de la liberté individuelle positive (ensemble de possibilité matérielles concrète pour l'ensemble des individus, qui ne considère pas comme contrainte les nécessité de la vie sociale qui permettent l'exercice concret de cette liberté pour l'ensemble des individus, et non pour une minorité au détriment de la majorité) et non négative (absence de contraintes, dans l'absolu, pour un individu, sans se préoccuper des conséquences des actes sur les autres individus, en terme de contrainte et de restriction de la liberté)

Créer les conditions d'une force collective révolutionnaire, c'est travailler à la convergence des exploité-e-s et des dominé-e-s contre l'Etat, le capitalisme et les systèmes de domination patriarcaux et raciste.

Cela signifie aussi défendre la perspective anarchiste, c'est à dire le refus de la domination, de la hiérarchie, portée non seulement à l'échelle interindividuelle mais aussi à l'échelle sociale.

Partir de nos conditions de vie

C'est en partant de nos conditions de vie que nous pouvons développer des luttes populaires, autour des nécessités quotidiennes qui font apparaître la contradiction entre nos intérêts et ceux des classes dominantes.

C'est dans ses luttes populaires que peut émerger l'idée qu'une rupture avec les systèmes de domination, le capitalisme et l'Etat, est nécessaire et possible. Que les idées libertaires trouvent un écho favorable. [1]

C'est ainsi, par exemple, que les luttes populaires sur le logement opposent d'un côté, l'intérêts des propriétaires, à ceux des locataires ou des squatters.

C'est ainsi également que les luttes salariales ou sur le lieu de travail opposent d'un coté l'intérêt des actionnaires et des patrons, et de l'autre ceux et celles des travailleuses et des travailleurs.

C'est ainsi en outre que les luttes pour défendre la santé des exploité-e-s nous oppose à la bourgeoisie qui pollue, à celle qui rackette les prolétaires à travers l'industrie pharmaceutique.

Partir de nos conditions de vie, c'est donc rompre avec une conception activiste de la politique, qui consiste à "courir" les manifestations, les mouvement sociaux ou les luttes sans participer à leur création, leur élaboration et leur développement, tels des mouches du coche.

La conséquence d'une telle approche, idéaliste, revient à remplacer la construction d'une force collective qui change notre réel vécu, par une agitation permanente sans prise sur le réel, qui ne peut jouer de rôle que dans la sphère de la représentation, et qui au final ouvre la voie aux perspectives délégataires et électoraliste.

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Partir de nos conditions de vie, cela ne signifie pas s'y enfermer, c'est à dire se replier sur notre situation personnelle, dans une forme plus ou moins élaborée de corporatisme qui aboutit à une "balkanisation" des luttes politiques.

L'enjeu de toute stratégie révolutionnaire (entendue comme la réflexion sur le moyen de contribuer le plus efficacement les conditions d'un processus révolutionnaire, à partir de la ferme volonté de ne pas l'attendre mais d'y contribuer), consiste à développer l'entraide entre les exploité-e-s, à l'articuler avec l'auto-organisation et la convergence des luttes qui confrontent les classes dominantes et les systèmes de domination dont elles tirent leur position de domination.

Partir de ses conditions pour lutter, mais se mettre en rapport avec les autres exploité-e-s, particulièrement si leurs conditions d'exploitations sont plus dures que les nôtres. Car il n'y pas de convergence réelle des luttes si l'on ne prend pas en compte les conditions des autres fractions des classes populaires, en commençant par les fractions les plus exploité-e-s et les plus dominé-e-s des classes populaires.

Pourquoi commencer par là ?

Parce que c'est le meilleur moyen de rompre avec une tendance à l'invisibilisation des luttes menèes par les fractions les plus exploité-e-s des classes populaires, qui du fait de leur situation rencontrent des difficultés plus forte dans la construction de leur luttes (difficultés économiques). Ces difficultés n'ont rien d'une incapacité et en cela l'approche révolutionnaire se distingue radicalement du paternalisme, du substitutisme ou de l'avant gardisme, mais tiennent aux conditions matérielles crées par la société de domination.

Se confronter de manière active à ces difficultés, faire vivre la solidarité sur une base égalitaire (c'est à dire sans imposer son aide mais en la proposant), de respect mutuel, c'est simplement se donner les moyens d'une réelle convergence qui ne consiste pas en l’alignement des fractions les plus exploité-e-s des classes populaires sur les fractions les moins exploité-e-s, leurs luttes et leur revendication. Cette tendance en effet conduit inévitablement non pas à créer les conditions du dépassement des contradictions des mouvements sociaux, mais au contraire leur accroissement.

Le moyen le plus efficace de faire converger les luttes, c'est donc d'aider au développement des luttes menées par les plus exploité-e-s et des plus opprimé-e-s d'entre nous. Non de manière paternaliste, non par charité bourgeoise ou par culpabilité religieuse, mais parce qu'il y a un enjeu décisif à ce que ces luttes gagnent, celles-ci jouant historiquement le rôle d'aiguillon dans les luttes. Il ne s'agit pas de "soutien", mais de la solidarité de classe, et plus largement de la solidarité entre exploité-e-s, basé sur la réciprocité d'intérêt et l'aspiration à l'égale dignité humaine, comme à l'égalité sociale.

Au sein des classes exploité-e-s, des groupes dominé-e-s règne une multiplicité de situation.La lutte contre le racisme, l'oppression des minorités nationale (qui découle de découle de l'idée nationale, et du racisme), la lutte contre la domination masculine, l'homophobie et la transphobie sont la condition de l'unité des classes populaires, étape indispensable pour en finir avec le capitalisme.

La lutte contre la société de classe est la condition d'une lutte réelle contre le racisme et le patriarcat, qui ne laisse pas de côté l'immense majorité des femmes et des personnes racisées, des minorités nationales (assigné-e-s à une catégorie raciale par le système raciste) issues des classes populaires.

Les systèmes de domination, s'il fonctionnent de manière relativement autonome, s'entretiennent et se renforcent mutuellement, puisqu'ils représentent les multiples aspects de rapports sociaux hiérarchiques, fondés sur le contrôle du corps et des pensées des individus, l'exploitation de leur force physique, de leur travail, la mise sous tutelle de leur vie pour le bénéfice des classes et des groupes dominants.

C'est autour de l'entraide et de la lutte collective que se créent les condition d'un dépassement des contradictions qui font exister entre dominés, des rapports de domination.

Cette entraide et ses luttes se construisent au quotidien.L'anarchisme, si on le conçoit non pas comme un dogme, un système de mythes, mais comme une réponse à l'aspiration des individus et des classes exploité-e-s et dominé-e-s à l'égalité politique, économique et sociale, c'est à dire à la liberté réelle, ne peut se développer comme force historique, comme outil de libération qu'à partir de ces luttes populaires, à partir des questions concrètes qu'elles posent, et non à partir d'une spéculation intellectuelle déconnectée du réelle. C'est ce que le courant "especifiste" [2] de l'anarchisme affirme : l'anarchisme doit être inséré socialement, et retrouver son vecteur historique, les luttes populaires portées par les exploité-e-s.

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Cela ne peut se faire que par la rencontre entre les acquis historiques issues des luttes révolutionnaires menées par le mouvement libertaire, (acquis qui ne doivent être pris comme un dogme mais comme une expérience accumulée à réactualiser sans cesse) et les mouvements populaires qui portent en eux une dimension anti-autoritaire, par la révolte qui les anime, les dynamiques d'auto-organisation qui s'y expriment, l'aspiration égalitaire et collective qui s'y trouve.

Cette rencontre n'est possible que si le courant anarchiste romp avec une logique strictement "propagandiste", de posture, ou une logique "spectaculaire" qui ne s'intéresse qu'à la radicalité formelle, ponctuelle, plutôt qu'à la dimension populaire, qui porte en elle les possibilités, d'une radicalité de masse, et d'une dynamique rupturiste qui ne soit pas l'apanage d'une avant-garde quelconqie, mais qui trouve ses racines dans les classes exploité-e-s, rendant la partie répressive beaucoup plus difficile au pouvoir en place, ainsi qu'aux éventuels aspirants au pouvoir.

Cette rupture avec la logique propagandiste ou spectaculaire commence par la lutte quotidienne sur les lieux de vie et de travail, ce qui passe par la construction de solidarité concrète, des luttes immédiates fondées sur la nécessité et l'aspiration à la dignité, autour d'objectifs, de revendications ou d'alternatives concrètes.

L'anarchisme n'a de dimension révolutionnaire que lorsque c'est une idée "insérée socialement c'est à dire portée par les mouvements populaires, à la fois par leur dimension anti-autoritaire (confrontation avec le pouvoir, tendance à l'auto-organisation), et existant au sein des mouvements populaires.

C'est ce à quoi doivent travailler les militant-e-s anarchistes, parce que nous ne devons pas oublier que ce qui fait de nous des anarchistes, c'est notre aspiration à en finir avec la hiérarchie, issue de notre révolte contre l'ordre inégalitaire existant, contre le capitalisme et la société de classe, contre l'état. Nous ne sommes pas anarchistes par spéculation métaphysique, mais parce que nous luttons pour nous libérer, puisque l'anarchisme est une réponse politique, philosophique, sociale, culturelle, stratégique et tactique aux questions qui se posent à nous dès lors que nous remettons en cause l'ordre hiérarchique.

[1] Le texte de Malatesta publié sur l'organisation (et notamment la Partie III ) en 1897 est à se titre encore bien actuel.

[2] L'especifismo est un courant développée par un certain nombre de camarades latinos-américains et d'organisations telles que la Fédération anarchiste uruguayenne, fondée sur l'expérience d'une cinquantaine d'année de luttes populaires. Il reprend la conception du "dualisme organisationnel", forgé par Malatesta, qui affirme la nécessité pour les anarchistes de s'organiser spécifiquement pour diffuser leurs idées, pour contribuer à défendre l'autonomie des luttes populaires (il ne s'agit pas d'en prendre la tutelle de manière entriste ou de les faire adopter l'étiquette "anarchiste", mais d'y affirmer, comme participant -non comme commentateur extérieur- le refus des récupérations politiciennes et électoralistes), et la nécessaire développement d'organisations populaires (syndicats de base, collectifs de luttes, coopératives...) autonomes, à partir de la nécessité des luttes. L'especifismo insiste sur le refus de l'activisme, c'est à dire sur la nécessité des anarchistes de construire avec d'autres les luttes populaires, et non de ne s'y intéresser que quand elles atteignent un pic, de manière uniquement propagandiste, pour ensuite les délaisser pour une autre, dans une stratégie de saut de puce. Pour plus d'info (en anglais) http://www.anarkismo.net/newswire.php?story_id=2999