Que répondre à un ami en train de basculer ?

Les conspirationnistes recrutent partout. Vous n’êtes donc pas à l’abri de voir une ou un ami en train de s’interroger : ne sommes-nous pas tous manipulés ? Une fastidieuse discussion vous attend ! Quelques conseils…

Essayer de démontrer le caractère charlatanesque d’une quelconque théorie du complot est toujours une position inconfortable. Si vous prenez, en apparence, la défense de vos ennemis de classe, n’est-ce pas parce que, vous-mêmes, faites partie – même inconsciemment – du complot ? À tout le moins, n’êtes-vous pas trop naïf pour percevoir « l’effroyable imposture » sous-tendant les agissements des puissants ? Prenons le cas le plus courant : le 11 septembre 2001. Voici quelques billes pour retourner à votre ami quelques questions dérangeantes.

Refuser le débat d’expert bidon. « Les tours ne pouvaient pas s’écrouler le 11 Septembre, elles étaient conçues pour résister à tout, elles ont en fait été dynamitées, etc. » N’essayez pas de contester la litanie de chiffres, de données physiques, mécaniques, architecturales ou autres glanées sur internet. Vous n’êtes pas ingénieur, votre ami non plus. Le Titanic « ne pouvait pas » couler, il était réputé insubmersible. Pourtant il a coulé. Alors quoi ? Le complot sioniste ?

Opposer les centaines de témoignages. Pour le pape du conspirationnisme, Thierry Meyssan, ce n’est pas un avion mais un missile qui s’est abattu sur le Pentagone. Pourtant des centaines de témoins ont vu un avion de ligne leur passer au-dessus de la tête et se crasher sur le bâtiment. Alors ? Ils ont tous été payés par la CIA pour mentir ?

S’inquiéter de la simple faisabilité d’une telle opération. Imaginons un instant l’énorme logistique qu’il aurait été nécessaire de déployer pour une opération top secrète combinant le recrutement d’islamistes prêts au suicide, manipulés par la CIA, puis leur formation au pilotage pendant des mois, puis le détournement simultané de plusieurs avions de ligne, venant exploser dans deux tours en même temps qu’on déclenche des explosifs dont on aurait au préalable truffé la structure… Une opération qui aurait nécessité la mobilisation de plusieurs centaines d’agents secrets pendant des années, qui seraient bien sûr tous restés bouche cousue pendant huit ans… Est-ce que vraiment les États-Unis avaient besoin d’un scénario aussi abracadabrant, et surtout aussi compromettant… pour attaquer l’Afghanistan ?

Demander quel était le mobile. Sans mobile, pas de crime. Les États-Unis sont une superpuissance qui a des dizaines d’interventions militaires à son actif depuis bientôt deux cents ans. Des prétextes montés en épingle lui suffisent d’ordinaire. Les droits des femmes en Afghanistan, la persécution de quelque minorité en Irak… Votre ami est-il assez naïf pour imaginer que la Maison-Blanche avait besoin de la destruction des tours jumelles pour déclencher une guerre de plus ou de moins ? Évidemment, non. Imaginer les dirigeants américains s’ingéniant à échafauder une telle machination pour déclencher une « simple » guerre c’est, au contraire de l’intention des conspirationnistes, les dépeindre meilleurs, ou moins cyniques, qu’ils ne sont...

Vincent Nakash (AL Paris-Sud)

Conspirationnisme : le boulet de la critique sociale

« J’ai des doutes sur les attentats du 11 Septembre. » Qui n’a déjà entendu cela ? Les théories du complot n’ont cessé de se développer depuis dix ans, et cela n’a rien de réjouissant. Car, après les superstitions et les religions, elles constituent de nouvelles œillères, une nouvelle entrave à la révolte, en obscurcissant la compréhension du capitalisme et de l’impérialisme.

« La vérité est ailleurs ». Au début des années 1990, la célèbre série télévisée X-Files mettait aux prises deux agents du FBI affectés au « département des affaires paranormales »avec un monde inquiétant régi par des forces occultes. Fox Mulder et Dana Scully – c’est leur nom – affrontaient au fil des épisodes un double complot : l’un gouvernemental fomenté par des élites malfaisantes, l’autre par des extraterrestres conquérants dont les élites voulaient précisément cacher l’existence. Atmosphère paranormale, thèmes ufologiques (ufologie = étude des objets volants non identifiés), cynisme et dissimulation des puissants « qui savent », décryptage accessible aux seuls initiés : la série se taillait un vrai succès en jouant sur tous les ressorts de l’imaginaire conspirationniste. Depuis, la veine a été largement exploitée, le Da Vinci Code de Dan Brown n’étant que l’exemple le plus connu. Or, si avec le mystère et le complot on peut faire de la bonne télévision et un cinéma distrayant, on ne peut faire que de la mauvaise politique. Et c’est tout le problème que pose le « conspirationnisme », cette sorte d’aliénation de la pensée qui imagine qu’à l’origine de tout événement historique, il y a la conspiration d’un groupe occulte suffisamment puissant pour tirer d’innombrables ficelles, tout en restant bien entendu hors de la vue du commun des mortels.

À l’explication visible – soit officielle, soit communément admise – comme à l’inexpliqué temporaire, le conspirationnisme oppose une explication cachée, accessible uniquement à ceux et celles qui sauront en décrypter sans fin les indices alimentant une grille de lecture globale. Dans l’imaginaire conspirationniste, aucune place n’est laissée à l’imprévu, au non-intentionnel, au hasard, à l’erreur. Toute coïncidence est révélatrice. L’enchaînement des évènements relève obligatoirement d’une causalité parfaite et maîtrisée par ses protagonistes secrets.

Dénonçant des manipulations, la théorie du complot fonctionne elle-même en boucle, sur un mode manipulatoire, en ce sens que sa grille de lecture est préétablie. La conspiration et ses bénéficiaires préexistent aux indices qui sont censés leur donner corps.

Pensée policière de l’histoire

Pensée policière de l’histoire, elle n’est jamais très loin de la véritable critique sociale et politique, et la parasite plus qu’elle ne la concurrence. Ainsi, quand on s’interroge par exemple sur les conditions dans lesquelles les multinationales pharmaceutiques vont profiter de l’épidémie de grippe A, on est dans le politique. Quand on les désigne, sans preuve, comme étant à l’origine de l’épidémie « parce que cela leur rapporte », il y a glissement, on est passé dans le conspirationnisme.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont dopé le conspirationnisme. À cette occasion, il a, de façon désolante, accédé au statut de « pensée » subversive, non conforme. Paradoxalement, c’est aux États-Unis que la version officielle du 11 Septembre est la plus mise en doute. Il faut dire que la méfiance instinctive à l’égard du gouvernement fédéral y est culturellement telle que toutes les théories du complot y prolifèrent. Dans ce cas précis, un réflexe patriotique et raciste semble avoir joué. Que des Arabes avec des cutters puissent avoir porté un tel coup à la superpuissance mondiale est du domaine de l’impensable pour beaucoup de citoyennes et de citoyens des États-Unis. Le scénario ne peut donc être qu’autre, la Maison-Blanche et la CIA sont nécessairement impliquées.

De Bigard à Rockin’Squat

On mesure l’expansion du conspirationnisme quand des personnalités prennent le risque de faire état publiquement de leur proximité avec ces thèses. C’est le cas de l’humoriste Bigard, de l’actrice Marion Cotillard, du cinéaste Mathieu Kassovitz, des rappeurs Rockin’Squat et Keny Arkana… ainsi que de Jean-Marie Le Pen et même de l’ex-ministre Christine Boutin.

Signe des temps, comme à chaque poussée de conspirationnite aiguë, les Illuminatis (voir le best-of ci-contre) sont de retour. Ou plus exactement leur mythe. Le Mouvement des damnés de l’impérialisme (MDI), groupe d’extrême droite de Kemi Seba, les place au cœur de son combat contre les « puissances occultes ». Le Libre-Penseur, un dentiste marseillais qui, entre deux plombages, est devenu l’un des conférenciers vedette d’Égalité et Réconciliation, autre groupe d’extrême droite piloté par Alain Soral, en fait une obsession.

Quête de sens

Pour Jean-Bruno Renard, sociologue à l’université Montpellier-III, la déstructuration sociale et culturelle des sociétés modernes constitue le terreau de développement des théories du complot. Les causes en sont pour lui le « relativisme cognitif », la « fragmentation en sous-cultures », la dévalorisation des « canaux officiels de communication » (politiques et médias), ou la confusion accrue entre l’image et le réel. Pierre-André Taguieff, dans La Foire aux illuminés (Fayard, 2005), évoque lui la fin des grandes religions politiques ou institutionnelles et la quête de sens qui en découle. « Tout se passe comme si le Complot était en passe de chasser le Progrès comme sens de l’histoire », écrit-il.

Le conspirationnisme, en inventant des causes fantaisistes à des événements bien réels, obscurcit en fait les véritables mécanismes du marché, du capitalisme et de la globalisation, qui, pour révoltants qu’ils soient, sont tout ce qu’il y a de plus logique. Comme si les conspirationnistes ne pouvaient pas admettre que le capitalisme est en soi un système pervers, et qu’ils avaient besoin d’en faire porter la responsabilité à des groupes occultes. Un exemple ? Le groupe Bilderberg. Celui-ci existe réellement. C’est un séminaire qui rassemble une fois par an la crème des classes dirigeantes occidentales pour des conférences et des pourparlers divers. C’est typiquement une institution qui, par sa seule existence, nous en apprend sur le caractère de classe et non démocratique du système capitaliste. Mais sa confidentialité suscite la curiosité. Les conspirationnistes lui attribuent du coup des pouvoirs démesurés et maléfiques. Le sommet de Davos est de même nature : c’est un lieu où un grand patron se doit d’être vu pour prouver qu’il compte ; idem pour un politicien. D’ailleurs, il n’est nullement besoin de Bilderberg ou de Davos pour que les milieux des affaires, politique et médiatique se fréquentent. Les réseaux de sociabilité et de reproduction de la bourgeoisie suffisent amplement. Tout cela ne relève pas du complot, mais d’une connivence de classe établie. Des sociologues l’étudient. Il suffit même de lire Point de vue pour le constater : capitaines d’industrie, politiciens, aristocrates et stars de la télévision se fréquentent et marient leurs enfants ensemble. Vous voulez un groupe plus influent en France que les francs-maçons et les illuminatis réunis, sans complot ni société secrète ? Ça s’appelle le Medef, l’UMP et le PS…

Un nouveau « socialisme des imbéciles »

Pour l’extrême gauche, le conspirationnisme pose problème, comme l’antisémitisme a posé problème au socialisme du XIXe siècle. L’aversion populaire pour l’image du « banquier juif » avait bénéficié d’une certaine complaisance chez les socialistes et les anarchistes, qui, bien que n’en étant pas dupes, pensaient que l’antisémitisme populaire pouvait alimenter l’anticapitalisme. L’Affaire Dreyfus leur montra qu’il alimentait en fait surtout l’extrême droite. Ils s’en mordirent les doigts et déclarèrent que l’antisémitisme était en fait « le socialisme des imbéciles ». Aujourd’hui, le conspirationnisme est le nouveau « socialisme des imbéciles », qui sous couvert de subversion, simplifie le monde, instille de l’irrationnel dans la pensée, discrédite la critique sociale radicale, et au bout du compte décourage toute action collective – à quoi bon agir en effet puisque « tout est joué d’avance » par les « maîtres occultes » ? Comme les diverses religions et superstitions, le conspirationnisme est un ennemi, et il est temps de le dire.

Emma Klotz

Le best-of des absurdités conspi

À chaque société, à chaque époque sa théorie du complot.

  • Les Protocoles des sages de Sion. Ce célèbre texte secret est censé révéler un complot des Juifs pour la domination du monde. Il fut en fait confectionné par un faussaire à la fin du XIXe siècle, pour le compte de la police secrète tsariste. L’extrême droite antisémite l’utilisa jusque dans les années 1930, et il continue aujourd’hui de circuler au Moyen-Orient.

  • La Révolution française. Selon une théorie construite par l’abbé Barruel dès 1797, la Révolution ne serait pas due à un mouvement populaire, mais à un complot international de la franc-maçonnerie dirigé contre la monarchie et l’Église catholique.

  • Illuminatis de Bavière. Cette confrérie de libres-penseurs exista une dizaine d’années avant d’être dissoute par l’État bavarois en 1784. C’est aujourd’hui un des musts du conspirationnisme de considérer qu’elle existe toujours et qu’elle dirige le monde ! Pour servir leurs desseins, les Illuminatis auraient ainsi successivement provoqué la Première et la Seconde Guerre mondiale, la Révolution russe et la crise de 1929, etc. Les braves bourgeois anticléricaux du XVIIIe siècle qui formèrent cette société ne soupçonnaient pas quelle serait leur immense célébrité deux cents ans plus tard !

  • Apollo XI. Les Américains n’auraient pas marché sur la Lune en 1969. Les images auraient secrètement été tournées en studio, dans le but de prouver la supériorité technologique états-unienne. La thèse est tellement ridicule que même l’URSS ne l’a jamais soutenue.

  • Le « nazisme magique ». Ainsi désigne-t-on les diverses théories – nées en Grande-Bretagne dans les années 1940 – qui voient dans le IIIe Reich l’instrument d’un groupe ésotérique occulte. Le plus souvent on cite la société Thulé, un cercle intellectuel qui a réellement existé, et que certaines théories connectent à… un ordre de magie noire tibétain préparant l’avènement d’une ère nouvelle (gasp !).

  • Les affiches Maggi. En 1913-1914, L’Action française fit campagne contre la firme de potage Maggi. Le journal nationaliste prétendait que ses affiches publicitaires portaient des numéros de code renseignant l’espionnage allemand. La rumeur gagna une partie de l’appareil d’État français. À la déclaration de guerre, les magasins Maggi furent mis à sac par la foule.

  • Le 11 Septembre 2001. Malgré qu’Al-Qaeda en revendique la paternité, un nombre important d’Américains persiste à penser que des Arabes sont incapables de réaliser un tel attentat, et qu’il ne peut être qu’un coup monté par la Maison-Blanche, le Mossad, la CIA ou les trois en même temps.

  • L’extra-terrestre de Roswell. La chute d’un ballon-sonde en 1947 à Roswell au Nouveau-Mexique a entraîné une volumineuse littérature au sujet d’un Ovni qui se serait écrasé sur Terre, et dont l’armée US aurait confiné les passagers pour les étudier. L’autopsie de l’extra-terrestre aurait même été filmée en secret – un film, qui circula en 1993, s’avéra être un canular.

  • Le Plan hima-tutsi de colonisation des Grands-Lacs. C’est l’équivalent « Hutu Power » des Protocoles des sages de Sion, mais dirigé contre les Tutsis, accusés de vouloir se tailler un empire incorporant le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda et le Kivu. Le texte circule toujours dans les milieux négationnistes rwandais.

  • Le sida. Le sida a nourri plusieurs théories du complot. Dans les années 1980, certains groupes de gauche américains y ont vu un mythe créé pour stigmatiser les gays et les toxicomanes. En Afrique, la rumeur veut qu’il ait été inventé par des scientifiques blancs pour dépeupler le continent. Même certains chefs d’Etat (Gambie, Afrique du Sud) l’ont a un moment reprise à leur compte, de même qu’en 2004… Dieudonné.

  • Les vaccins qui font bip. La grippe H1N1 a revigoré cette théorie propagée par certaines « sectes guérisseuses » ou intégristes catholiques : la vaccination de masse aurait en fait pour but d’affaiblir la population mondiale (voire de provoquer une hécatombe) pour renforcer le pouvoir des multinationales pharmaceutiques et les États capitalistes. Selon certains, le vaccin permettrait même d’inoculer des micropuces détectables par satellite, qui permettraient ensuite de prendre le contrôle des individus via leur ADN transformé en circuit informatique !! !

Il existe encore pléthore de théories du complot expliquant chaque événement historique par l’action occulte des Juifs, des jésuites, des francs-maçons, des Illuminatis, etc. Les conspirationnistes prennent plaisir à relier toutes ces théories entre elles.

La bande à Dieudo : Ex-gauchos, néofachos, via la théorie du complot

« Ils sont partout ! » Qui ? La CIA, les sionistes, les Juifs, les francs-maçons, etc. Le conspirationnisme est aussi une passerelle vers l’extrême droite, et la bande à Dieudo un cas d’école.

Qu’est-ce qui pousse certains militants de gauche à se rallier à l’extrême droite ? Souvent, à l’origine, on trouve une quelconque théorie du complot mettant en cause la Maison-Blanche. Puis, comme une pelote qu’on dévide, la suite ne tarde pas à venir : complot maçonnique, complot sioniste, puis complot juif tout court, illuminatis, parfois extra-terrestres… La liste Dieudonné aux Européennes 2009 est un véritable cas d’école.

Dans son numéro d’été, Alternative libertaire a évoqué le melting-pot d’extrême droite qui composait la campagne dite « antisioniste » menée par Dieudonné et Alain Soral aux Européennes 2009. On y retrouvait des néonazis, des nationalistes catholiques, des islamistes, des négationnistes et un certain nombre d’illuminés et de rescapés du FN. Au milieu de ce panier de crabes, quelques individus se réclamant de la gauche progressiste, du syndicalisme ou de l’altermondialisme… Diantre ! Comment expliquer cette association ? On a dit que l’antisémitisme était le seul lien unissant tout ce beau monde. Il y en a un autre : le conspirationnisme.

Effroyable imposteur

De la dénonciation du « complot sioniste » pour la domination du monde à la dénonciation du complot mondial fomenté par les illuminatis, il y a une même logique. Le pseudo psychologue Christian Cotten, présent sur la Liste antisioniste en 2009, se croit perpétuellement persécuté par un complot siono-maçonnique. Pour lui, les attentats de Madrid de 2004 ont été orchestrés par José María Aznar, George W. Bush, Sarkozy et l’État d’Israël. George W. Bush (encore lui !) serait à l’origine des attentats du 11 septembre 2001.

Autre colistier de Dieudonné, le réalisateur Francesco Condemi, « ancien de la LCR, des Verts et militant libertaire » selon ses dires, a commencé à dériver à partir de 2001, en présentant les talibans comme des « alliés » dans la lutte anti-impérialiste... Parmi ses productions, citons État de guerre, film documentaire avec le pape du conspirationnisme : Thierry Meyssan.

Meyssan est, en la matière, le gros morceau de la bande à Dieudo. Ancien membre dirigeant du Parti radical de gauche, ancien animateur du réseau Voltaire (défense des libertés publiques), Meyssan est devenu célèbre en 2002 avec son livre L’Effroyable Imposture sur le 11 Septembre. Dans ce livre, il fait de fréquentes citations du documentaire états-unien Loose Change, réalisé par Dylan Avery, qui lui-même reprend des théories diffusées par le journal d’extrême droite antisémite American Free Press, pour qui le Mossad (services secrets israéliens) est à l’origine des attentats du 11 septembre.

Le livre de Meyssan rencontre un grand succès dans les pays où les États-Unis n’ont pas très bonne presse : Amérique latine, monde arabe et Russie notamment. En 2006 un voyage au Liban pour une tournée « anti-impérialiste » réunissait justement Dieudonné, Thierry Meyssan, Alain Soral (ex-PCF, ex-FN), Frédéric Châtillon (ancien du Gud, groupuscule fasciste des années 1970-1990) ou encore Marc Robert (ex-PS, ex-FN). Le voyage avait pu se faire grâce aux connexions entre l’ex-Gud et certains réseaux syriens, notamment celui du général Tlass, ancien ministre de la Défense et auteur en 1987 du livre L’Azyme de Sion [1], consacré aux… crimes rituels perpétrés par des rabbins ayant besoin de sang humain pour fabriquer du pain azyme (!), reprenant certains mythes chrétiens médiévaux.

Fascistes blancs et fascistes noirs

D’autres membres de la Liste « antisioniste » empruntent également au conspirationnisme. Ainsi le Parti solidaire français (PSF), un groupuscule rouge-brun dont Emmanuel Grilly, colistière de Dieudonné, est une des responsables, pourfend entre autres le complot des réseaux occultes contre la France : les « sectes maçonniques » et la « république sioniste et cosmopolite qui a assuré la ruine de la France depuis deux cents ans » [2].

Le PSF est l’équivalent blanc du Mouvement des damnés de l’impérialisme (MDI), groupe suprématiste noir dirigé par l’inénarrable petit führer Kemi Seba, qui dans sa profession de foi prétend « mettre un terme à l’hégémonie des impérialistes (axe américano-sioniste, illuminatis et autres groupes occultes impérialistes) ». La boucle est bouclée !

Guillermo (AL Angers)

Un business devenu lucratif

Le conspirationnisme est une petite entreprise prospère. Révélations de vérités cachées, ouvrages sur les sociétés secrètes qui guident le monde ou autres complots occultes assurent succès de librairie, de cinéma et bien sûr espèces sonnantes et trébuchantes.

On passera rapidement ici sur le nouvel opus du romancier Dan Brown qui, d’ici quelques jours, risque de saturer tout ce que la France compte de têtes de gondole et dont la mise en place obéit à un savant marketing du secret (on ne sait jamais : les francs-maçons pourraient assassiner l’éditeur sur commande de la CIA pour contrer le Prieuré de Sion !).

Dans un autre registre, Thierry Meyssan fait carton plein depuis 2002 avec son livre L’Effroyable imposture, best-seller, traduit en 28 langues suivi par un second livre, Le Pentagate, histoire d’exploiter le filon. Installé au Liban, Thierry Meyssan mène depuis quelques années une sorte de diplomatie parralèlle conforme aux intérêts de l’Iran et de la Syrie, où il est devenu une sorte de notable.

Aux États-Unis, Loose change, une série de documentaires écrits et réalisés par Dylan Avery à partir de 2005, et qui avance que les attaques du 11 Septembre relèvent d’une action émanant du gouvernement américain, serait devenu selon le magazine Vanity Fair le premier blockbuster du web. Un million de DVD ont été vendus dans le monde, assurant la notoriété et la fortune du groupe d’étudiants qui sont entrés dans le business d’Avery.

E. K.

[1] Réédité sur Internet en 2007 par l’Aaargh, un groupe négationniste.

[2] Nota : l’idéologie sioniste n’existe en fait que depuis environ 120 ans.