Titre: L'unité ouvrière
Auteur·e: Sovieticus
Date: 1947
Source: Consulté le 19 novembre 2016 de armandrobin.org
Notes: Paru dans Le Libertaire n° 92, 28 août 1947, signé Sovieticus (probablement pseudonyme d'Armand Robin).

Socialistes ou communistes de toutes obédiences, anarchistes de toutes nuances, ou simplement hommes de bonne volonté sans confession politique déterminée, l'ensemble des éléments constituant l'avant-garde ouvrière consciente, se retrouve sur un terrain politique et social commun : la volonté de créer une société où n'existera plus l'exploitation de l'homme par l'homme.

Malheureusement, depuis les temps héroïques où le socialisme naissant concevait cette pensée généreuse, un phénomène nouveau est venu qui divise et continuera de diviser les hommes de bonne volonté, aussi longtemps qu'il subsistera dans sa forme actuelle : la création à l'est de l'Europe, d'un état ouvrier (dans l'esprit de la majorité des éléments prolétariens conscients) ou soi-disant tel (dans l'esprit de la minorité). Avec son corollaire inévitable : l'instauration d'une terreur policière jusqu'alors inconnue dans l'histoire.

Entraînés par la logique dictatoriale, des éléments révolutionnaires, loin de s'indigner de cette terreur, l'admettent, la justifient, la préconisent. Mais d'autres éléments, non moins révolutionnaires dans leurs intentions comme dans leur action, font passer la logique dictatoriale après le sentiment de la dignité humaine et s'attristent de cette terreur policière qu'ils combattent de toutes leurs forces et qu'ils combattront tant qu'elle et eux existeront.

Si bien que l'unité ouvrière, nécessité indispensable au triomphe de la lutte ouvrière, se heurte dès à présent à la nécessité de la rompre, dès l'origine, et avant même qu'elle existe, si l'on veut que cette lutte ait un sens socialiste véritable.

Aveugles volontaires, les socialistes de gauche, les uns complètement stalinisés, les autres sincèrement révolutionnaires, mais qui se trompent fondamentalement sur la conception bolchevique du socialisme, sont donc amenés à concevoir l'unité ouvrière, non plus comme la fusion de deux thèses qui se font des concessions mutuelles, mais comme un ralliement pur et simple à la plateforme stalinienne. Et il ne peut y avoir aucune autre solution, car il n'y a pas de conciliation possible, de concessions à envisager, entre la tyrannie et la liberté. On est avec l'un ou avec l'autre. Libre à Guy Mollet, à Dechezelles, aux jeunes socialistes exclus, aux trotzkystes honteux, de s'asseoir entre deux chaises.

Pour les éléments prolétariens qui se tiennent en dehors des partis, et qui se félicitent chaque jour d'y être, cette conclusion qui constate l'impossibilité de l'unité, ne saurait cependant suffire.

Dans les conditions actuelles, c'est une obligation révolutionnaire de combattre au sein des masses le mythe de l'unité, la mystique unitaire. Mystique dangereuse parce que tentante pour un esprit superficiel ou simplement mal éclairé, comme c'est, hélas ! le cas des neuf dixièmes des éléments composant la classe laborieuse. L'unité d'action, qui se crée naturellement dans la lutte révolutionnaire pour la satisfaction des revendications quotidiennes ne saurait, sans danger, aller plus loin. Car, dès qu'intervient l'organisation ouvrière de masse, que ce soit le parti ou le syndicat (il va de soi que l'intervention de la C.N.T., inspirée par des motifs tout différents de ceux de la centrale syndicale politisée, n'est pas à mettre dans le même panier), l'unité d'action ouvrière est faussée à la base par l'utilisation politique qu'en font aussitôt les organismes en question.

Si l'unité ouvrière a été sciemment rompue sur le plan syndical par l'apparition de la C.N.T. et de Fédérations syndicales autonomes, c'est que les éléments de l'avant-garde prolétarienne en ont ressenti la nécessité inéluctable.

C'est le cas aujourd'hui. Les propagandistes prolétariens véritables doivent être les ennemis acharnés d'une unité ouvrière, qui dans les circonstances actuelles, ne peut avoir d'autre but final que la défense d'un Etat soi-disant ouvrier en URSS ou sa création dans d'autres pays. Il n'y a pas, en fait, d'Etat ouvrier, et l'expérience prouve qu'il ne peut y en avoir. Il y a l'Etat tout court. L'Etat, avec sa police brutale, avec sa justice qui sera toujours une justice contre l'homme, avec son armée qui sera toujours une armée de répression, avec ses frontières, qui seront toujours des frontières à abattre, avec ses lois qui seront toujours des lois destinées à maintenir le prolétariat dans l'obéissance, l'Etat qui sera toujours notre maître, donc notre ennemi.

SOVIETICUS