Le 30 janvier 2018, nous publiions une traduction du texte italien À propos d’anarchisme et (de crise) d’identité - Pour un anarchisme sans dépendances, en réponse à la traduction sur le site Lundi Matin du texte espagnol « Contre » l’anarchisme. Une contribution au débat sur les identités. A peine quelques heures après la publication de ce texte, nous recevons le message suivant de la rédaction de Lundi Matin : « Vous publiez aujourd’hui un article dont le chapeau précise : "publié sur le site lundi.am (organe non officiel du Comité Invisible)". Cette information erronée ne peut qu’émaner de votre lecture de la presse bourgeoise, de rapports de la police ou de fantasmes qui ne regardent que vous. Merci de la faire disparaître, immédiatement. ** ». Nous publions ci-après une réponse à ce message sous forme de lettre ouverte à Lundi Matin, organe de propagande, pour sûr, afin de couper court aux méthodes autoritaires et aux prétentions de ce dernier.


Les auteurs de ce texte dont nous avons choisi de publier la traduction (à laquelle nous n’avons pas ajouté un « chapeau » comme vous dites, puisque nous en partageons fortement le contenu) ont en effet pu trouver cette « information » dans « leur lecture de la presse bourgeoise », puisqu’elle y est, mise en scène et relayée par vos bons soins, lors d’interviews organisées, elles aussi, par vos soins. Précisons que, sous le vocable qui est le vôtre aujourd’hui (« presse bourgeoise »), en plus des quelques grands titres nationaux et locaux avec lesquels vous travaillez sur une base régulière, nous incluons évidemment Lundi Matin et son « million » de followers (plus imaginaires, ou plus invisibles encore que le Parti) que vous affichez dans la presse bourgeoise [1], entre autres éminents bobards ; sauf à les payer, mais sans doute en avez vous les moyens, dans votre budget com’ ? Probablement d’ailleurs qu’il y a plus de « presse bourgeoise » dans Lundi Matin que dans Le Parisien et L’Iskra rassemblés.

Il apparaît donc impulsif et de mauvais ton de lapider un mail de cet acabit dans une telle situation, et dans un tel état d’émotivité. Si toutefois vous souhaitez objecter ou répondre au texte de Finimondo, vous pouvez le faire, comme tout le monde. Vous savez faire écrire, vous savez faire lire, vous trouverez certainement un intellectuel bien placé ce mois-ci pour réaliser une tribune de katangais de la plume. Peut-être un fermier le jour et homme de main de manif sauvage la nuit, au vocabulaire misogyne particulièrement vulgaire et aux pratiques à l’opposé de toute noblesse ?

La presse bourgeoise et la police ont pour habitude de nous envoyer leurs mises en demeure, les vieux marxistes-léninistes, des fatwas sous forme de bons encaissables le jour du Grand Soir, et vous, des menaces ? Vous dont les amis préconisent de « tisser furtivement des complicités inattendues jusqu’au cœur de l’appareil adverse » (Cf. un best-seller « anonyme »), allez donc prendre un apéro chez Valls !

Une « information » n’est une information qu’à partir du moment où elle informe. Difficile de voir ici qui a été informé par qui de quoi. On assiste probablement à un avant-goût de défense judiciaire à venir, et l’on peut déjà pleurer à la simple idée de la voir venir. Or, vous ne parviendrez pas à aligner les gens, ni derrière vous, ni contre un mur. Le parti, c’est fini, depuis toujours.

Quelle idée par ailleurs, d’envoyer cette missive, si vous tenez tant à ce que cette « information » soit considérée comme « erronée » ? Occupez-vous de vos propres langues, elles sont déjà bien assez pendues.

Vous ne répondez jamais à aucune des critiques qui vous sont faites (comme au casino, le bourgeois de Deauville calcule ses risques, ses mises et sait préserver sa position), et pourtant de conséquentes critiques ont été écrites et discutées à propos de votre realpolitik [nous ajoutons quelques liens pour information à la suite de ce texte], de notre point de vue et de bien d’autres encore. Cette manière de ménager la possibilité de toujours pouvoir bluffer ne vous empêche pas de chouiner dans les chaumières en menant vos petites enquêtes bien peu discrètes sur qui diffuse ou qui écrit le moindre opuscule qui vous égratigne. Là encore, votre intérêt pour l’anonymat est à géométrie variable. Mais voilà que par-dessus le marché extraparlementaire, vous faites des menaces de racketteurs ? Où sont passées vos bonnes manières ? Peut-être ne les réservez-vous qu’à vos juges et vos mécènes, et des injonctions pour les autres.

Que les choses soient claires : ce site ne cède aux injonctions ou aux menaces de personne. Il ne l’a jamais fait, en dix ans. « Plutôt crever », a-t-on pour habitude de dire. Hors de question donc que nous cédions aux injonctions sous-mafieuses de pseudo-« camarades » qui relayent la prose racialiste, homophobe, misogyne et antisémite de leurs amis de maison d’édition [2], qui défendent les options de la connivence et de l’innocentisme (Cf. Post-scriptum de ce texte) face à la justice, en dépit de la guerre sociale et de leurs injonctions publiques, qui sont parvenus, dans la lignée de Netchaiev et Lénine, à théoriser le confusionnisme, la connivence et l’ambivalence politique avec l’ennemi tels de vulgaires tute bianche, qui ont abandonné la critique de l’État et de la religion, etc..

Nous ne nous rabaisserions pas à vous demander de retirer la moindre des multiples crasses ou inepties que vous écrivez et que vous faites écrire sur les mots, les choses et les gens depuis tant d’années, cela nous incluant, en tant qu’anarchistes, en tant que justiciables et justiciés, en tant qu’êtres humains. Car oui, c’est bien dans ces proportions là que vous crachez sur la liberté humaine, comme vos écrits avariés sur les attentats qui ont frappé les habitants de Paris en témoignent.

Sur la méthode et non son discours. Nous ne prétendons pas intervenir, encore moins par décrets comminatoires, sur la ligne éditoriale ou sur les traductions de quiconque, et ce quels que soient les désaccords ou l’inimitié en présence. C’est une vieille manie, acquise sur les bancs de la première internationale, un principe anti-politique : l’anti-autoritarisme. Cela protège des attitudes de petits tyrans gâtés, amateurs de méta-barbouzeries et d’injonctions paradoxales.

Il y a des méthodes pour assurer l’anonymat d’un texte (ou d’un site, si on le souhaite), elles sont documentées et utilisées depuis des siècles. Vous les connaissez, mais vos enjeux sont ailleurs : on ne vous apprend rien. L’anonymat est le cadet de vos soucis, il est même formellement et fondamentalement un obstacle à votre ascension politique.

Dans votre auto-présentation (de Lundi Matin, entendons-nous bien), vous dites à propos de ce site, alors que personne ne vous a rien demandé : « Considéré par les services de renseignement comme l’émanation culturelle et hebdomadaires [sic] des positions du Comité Invisible ». Ça fait probablement froid dans le dos de vos grands-parents et d’Eric Hazan, c’est l’effet recherché, mais il vous manque encore de la douteuse maestria situationniste.

C’est vous qui avez choisi de jouer aux cons. Vous voulez capitaliser sur l’odeur de souffre d’un « livre de l’été » 2007 de la Fnac (et d’Alain Bauer) ? Grand bien fasse au Parti, son marketing ne nous concerne pas. Mais que votre mise en scène du sulfureux vous revienne à la gueule n’est pas notre problème, et encore moins notre fait. Précisons.

Dans un article de votre site, où vous balancez un de vos confrères qui pourtant, jusque là, était passé totalement inaperçu (Julien Coupat), on peut lire : « malgré de nombreuses années d’enquête et l’audition du directeur de leur maison d’édition, l’élite de la police française n’est pas parvenu à arrêter ces « scribes » [du « Comité Invisible »] et dû [sic] relâcher l’un de leur plus éloquent lecteur, Julien Coupat. » . Vous êtes décidément aussi caustiques que du Monsieur Propre.

Que Lundi Matin soit l’organe non officiel du « Comité Invisible » ne nous intéresse pas plus que ça, en effet et à proprement parler, car nous ne sommes pas captifs de votre offensive marketing qui consiste à teaser la curiosité du client de librairie qui se fait enquêteur en herbe l’espace d’un instant (un peu comme dans un polar du meilleur d’entre vous, Serge Quadruppani, grand astre de la politique), et nous ne sommes dupes d’aucun mystère mousseux entretenu sur votre compte, ni par les flics ni par vous-mêmes. Lundi Matin est autant l’organe non officiel du « Comité Invisible » que Le Monde serait l’organe non officiel du gouvernement Macron, c’est-à-dire qu’il ne l’est pas (for the record) mais que cela n’y change rien et n’est pas digne d’intérêt. C’est un peu comme quand le porte-parole de LREM réussit à décrocher une tribune dans Le Monde, il n’a pas besoin de demander. A l’aise partout, tout lui est dû, il se croit tout permis, c’est à ça qu’on reconnaît le bourgeois : c’est toujours le monde ou rien.

Après tout, si « le comité invisible a eu la gentillesse de nous laisser publier l’un des chapitres de leur dernier ouvrage » (Lundi Matin #103, 9 mai 2017), pourquoi les journalistes du Monde offriraient-ils la moindre résistance ? A vous comme à LREM, qui ne publie pas beaucoup moins que vous dans cet immonde torchon policier qui véhicule l’idéologie armée du pouvoir depuis des décennies.

En ce qui nous concerne, nous n’avons pas un traitement différencié pour les médias de la « presse bourgeoise » comme vous dites. Il n’y a pas d’occasion de nature à enfreindre le refus de ces modalités politiques et spectaculaires de communication, en effet « bourgeoises », dans le cas de Libération comme dans celui de Lundi Matin, c’est pour nous, toujours un peu la même soupe politique, avec plus ou moins de sel. Si le texte s’est trompé, c’est peut-être que, si l’on en croit cette interview du « Comité Invisible » dont l’exclusivité a été donnée à Die Zeit pour assurer la promotion du lancement de leur nouveau best-seller anticapitaliste sur le marché allemand (traduite sur Le Nouvel Obs et Lundi Matin), c’est en effet ce media-là, de « la presse bourgeoise », qui se trouve institué comme organe officiel du « Comité Invisible », et quel honneur !

Voila pour vos baveux.

Mais ce n’est rien, comparé au reste, et si vous désirez tant vous exposer, alors exposez vous au ridicule comme conséquence de votre « demande ».

Lorsque Mathieu Burnel se présente comme « activiste proche du Comité Invisible » dans une petite sauterie de Mediapart (« 6 heures contre la surveillance : Combattre pour nos libertés » disponible sur Youtube) en compagnie d’Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT Police (qui l’appelle par son petit prénom avec une familiarité toute kawai, mais déconcertante) ;

Lorsque vous laissez apparaître dans une interview, sous le titre « L’Ami invisible », la biographie du meme Burnel en quatre dates comme suit : « 22 octobre 1981 Naissance à Rouen (Seine-Maritime). 2007 Publication de l’Insurrection qui vient par le Comité invisible. Novembre 2008 Arrestation du groupe de Tarnac par la police. 2014 Sortie d’A nos amis par le Comité invisible » (Cf. la quatrième de couverture de Libération, 8 juin 2015) ;

Lorsqu’on ajoute à cela l’information publique qui fait de vous l’administrateur de votre site Lundi Matin, information que vous avez rendue disponible vous-mêmes également (et qui a en effet été relayée par les médias avec toute votre bienveillance complice - comme disent les reporters de guerre : « don’t shoot the messenger »), on se retrouve dans l’obligation sérieuse de rire à gorges déployées devant votre main courante. Et nous ne parlons même pas de l’époque ou un vieux patron retraité était missionné pour venir crier sur tous les plateaux TV que son fils était l’auteur de votre premier (et dernier) best-seller, et qu’un « auteur » ne pouvait qu’être « innocent » (voilà qui tient en respect tout le monde sauf la police, au plaisir d’Eric Hazan).

Fort heureusement, nous ne sommes pas du genre à tenir et garder sous la main des dossiers sur les gens et nous nous arrêterons à ces quelques exemples faute de goût à la tâche. Chacun aura le loisir, entre deux revues à 16€, de taper « Comité Invisible » ou « Lundi Matin » sur sa tablette à l’aéroport avec un Nespresso (car what else ?), ou les deux en même temps en claquant trois fois des mains avant pour créer un effet. Le délateur originel, c’est vous, et le complot n’origine ni des comptoirs ni des bancs.

On comprend donc ce qu’on peut de vos pantomimes contradictoires et de vos diapasons fissurés, et on en a surtout rien à faire. Vous nous fatiguez.

Peut-être vous êtes-vous habitués à une certaine forme d’obéissance, en interne, mais n’externalisez pas trop vos compétences, HEC déconseille. Votre impérial « immédiatement » (impérial comme une perruche sait l’être) sonne comme un roucoulement de mécanique de cour d’école ou de prison - vous n’êtes pas seuls à connaître ce genre de mécaniques. Les menaces sont un jeu dangereux, pour ceux qui les profèrent également. Pas sûr que vous vous soyez penché sur la question avant d’envoyer impulsivement un message de ce type. Et la « signature » ? Ces mystérieuses doubles astérisques sont-elles le signe du démon ? D’un sort vaudou ? Alors « ** » sur vos aïeux !

Que les traductions que nous publions vous déplaisent ou non, nous jugeons pour nous même de ce qui est « erroné » ou non sur les pages du site que nous administrons, et aucune autorité - même discursive - ne peut faire autorité sur nos choix, qui n’apparaissent, en ce qui nous concerne, que dans nos publications, car nous sommes des anonymes sans paillettes et sans histoires, mais toujours prêts à faire la fête, mème quand elle est finie, pour reprendre le titre d’un livre presque anonyme, lui.

Donc, au lieu de jouer les vierges effarouchées de la sécurité et de l’anonymat d’un côté tout en cherchant à sentir le souffre en jouant avec la violation permanente de ce dernier de l’autre, faites les choses que font les gens comme vous des partis comme le vôtre : avertissez la nomenklatura du cataclysme, embauchez quelques intellectuels en vue du futur (ou du présent) régime pour la propagande de crise et purgez vos amis, votre propre site, vos parents, votre parti, vos salles de bains, vos vidéos, vos conférenciers, vos ôteurs, vos conférences de presse, vos textes, vos philosophes et vos interviews, et puis clarifiez votre plan de communication en interne (dans l’opacité offensive de vos brainstormings de staff) avant d’aller embrouiller les gens.

C’est un problème du socialisme des intellectuels, à régler par votre département des Ressources Humaines, pas de quelques anarchistes.

Une remarque, cependant. Tout dénouement sera nécessairement tempétueux. Aller du Parti à la vie peut faire l’effet d’un cambriolage quand on a tout à y perdre. Mais face à cette ineffable situation, une porte de sortie reste ouverte, quoique inconfortable : abandonner les figures d’auteurs, les identités célébrées, les grands noms, les mondanités, la gauche, son fric, son pouvoir, ses intellos, arrêter de taper des mains trois fois avant chaque sophisme, arrêter de mendier de la thune (pour un site internet !) dont on déborde [3], se défendre dignement face à la justice pour ne pas enfoncer ceux qui le font en leur assurant la place du « méchant », communiquer par voie de praxis et/ou par ses propres moyens, cesser de donner des ordres et de salir les couloirs du monde, puis appliquer un cataplasme de vigne rouge sur ces chevilles enflées, et, enfin, quitter le Parti Imaginaire et rejoindre la lutte pour la liberté réelle de tous et toutes.

La route sera longue comme un lundi matin au quartier latin… Mais le vent nous portera, et tout disparaîtra.

Quelques éloquents lecteurs du comité rédactionnel de la XIIe section du régiment « répandre l’anarchie » de Cronstadt-les-Bains, circonscription 1892, division blindée.

P.-S.

Post-Scriptum sur l’innocentisme.

L’innocentisme n’est pas, comme vous cherchez à le faire croire en entretenant une confusion mensongère, le fait de se défendre d’avoir commis ce dont on est accusé, ce qui est très banal et n’empêche pas une défense offensive. C’est au contraire précisément cette manière de se présenter comme intrinsèquement innocent, de faire de l’innocence aux conditions de la justice une essence, une nature, en connivence avec la justice et son monde, comme les meilleurs de vos amis le font en se présentant comme des épiciers maintenant des liens sociaux dans les campagnes, et, de manière plus crédible (et pour cause…), en bons bourgeois qui ont pignon sur rue et les garanties de représentation qui vont avec. L’innocentisme est absolument anti-subversif, il obéit au monde et à sa justice, en même temps qu’il contribue à incriminer ceux qui ne sont ni épiciers, ni étudiants, ni bourgeois. Votre innocentisme tonitruant a l’air de profiter à vos chefs, qui ne sont effectivement pas autre chose que ce qu’ils prétendent être devant la justice, et qui brassent assez d’air pour jouer aux échecs avec leurs juges, mais quand il devient une consigne de parti pour la piétaille envoyée au casse-pipe judiciaire, ce sont des mois ou des années de prison pour très peu que certains endurent, sans panache ni indignation… On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, bon appétit !

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[1] Cf. Lundi matin, le foyer insurrectionnel du web (Les Inrocks, 2016/10/04).

[2] Cf. Intersection n°4 : « Appellistes et racialistes : mariage blanc, mariage de raison ou mariage d’amour ? » dans l’ouvrage La race comme si vous y étiez !, Une soirée de printemps chez les racialistes, Les amis de Juliette et du printemps, novembre 2016.

[3] Attention, bijou de magouille : « Ce que nous vous demandons aujourd’hui, ce n’est donc pas de nous donner de l’argent contre la promesse de telle ou telle contrepartie, ce n’est pas non plus de nous aider à financer une nouvelle machine à café, une tondeuse électrique ou des bureaux à proximité de la tour Eiffel, quoique. Ce que nous vous proposons c’est de financer nos activités sans savoir précisément comment l’argent sera utilisé, c’est-à-dire de nous faire confiance. Il s’agit moins de faire appel à votre générosité qu’à votre complicité » (extrait de Lundimatin a 3 ans et besoin de votre argent, Lundi Matin n°129, 15 janvier 2018). Précisons toutefois qu’un site, c’est gratuit, et qu’on peut faire le choix de payer quelques dizaines d’euros par trimestre pour plus d’options.