Se repentir de ses propres gestes ou de ses propres idées signifie, sans tourner autour du pot, prendre des distances avec ces derniers, s’en dissocier. De nos jours, le langage a changé, le sens des mots est plus dilué, l’écart entre ce qu’on dit et ce qu’on fait augmente toujours plus. Donner suite à ses propres mots semble quasi prétentieux et très souvent, malheureusement, tout est réduit à des slogans, des phrases toutes faites, des gestes imités. Mais agir de façon cohérente ne peut bien sûr pas être un geste de maniaque ou relever d’une sorte de rigidité mentale. Cela devrait plutôt être l’esprit qui anime ceux qui se mettent en route pour tenter de subvertir ce monde, ou au moins pour tenter de mettre des bâtons dans les roues de l’exploitation et de l’iniquité.

Mais ces propos semblent désormais des trucs de martiens, de casse-couilles ou de vieux compagnons liés à l’idéologie. On est à l’époque de l’absence de mémoire, de la communication rapide, du langage émietté, et tout cela ne peut que déterminer jusqu’aux gestes et aux idées de ceux qui sont immergés dans cette réalité, nous y compris. Cela ne signifie pourtant pas que tout puisse être justifié et toléré, au contraire même, car plus nous serons complaisants, peu attentifs et peu critiques, et plus cette réalité tendra à prendre le dessus.

Après qu’une agression fasciste à Cremona ait plongé dans le coma un membre du Centre social autogéré Dordoni [Italie, 18 janvier 2015], une grosse manifestation a parcouru les rues de la ville avec rage [24 janvier 2015]. Certains antifascistes ont été ensuite arrêtés. L’un d’eux, au cours de l’interrogatoire, a affirmé avoir été présent à cette manifestation et vouloir rembourser les dégâts, justifiant ensuite avoir pris cette décision parce qu’il était confus et avait été embobiné par l’avocat.

Personne n’a la prétention que les compagnons soient des héros, mais il est peut-être nécessaire de réfléchir un peu à ses propres actions. Comprendre que nos choix ont des conséquences semble incompréhensible pour beaucoup de monde, mais c’est pourtant une banalité de base qui devrait être évidente. Si ce n’était pas le cas, on devrait en conclure que rien n’est important, et que ne pas assumer la responsabilité de ce qu’on fait et de ce qu’on dit est valable aussi bien pour nous que pour ceux qui, dans ce monde, tentent d’écraser les autres. Une proposition inacceptable. Mais puisque personne ne prétend qu’il y ait des obligations ou des règles à imposer, il peut arriver qu’un compagnon comprenne, après avoir été arrêté, que ce n’était pas son chemin, qu’il veut faire autre chose dans la vie et qu’il se dissocie donc de son geste et de ses idées ; mais pourquoi alors le mentionner [sur des tracts, affiches, etc.] au même titre que ceux qui, à l’inverse, acceptent de façon cohérente les conséquences de leurs gestes –y compris la prison et la répression– sans s’excuser ?

Et qu’est-ce que cela signifie se déclarer antifasciste après s’être excusé en disant vouloir rembourser les dégâts ? Une sorte d’étiquette, une marque qui met à l’abri de toute critique ? Sans compter que se dire antifasciste sans avoir un minimum de réflexion sur le contexte dans lequel on se trouve est une formule vide et inutile, tout juste bonne pour avoir le sentiment d’appartenir à un groupe. Ce sentiment mène au grégarisme, faire et dire les choses parce que les autres les font et les disent. Le pire ensuite est de décharger sa propre responsabilité sur quelqu’un d’autre, dans ce cas-là l’avocat. Ces derniers temps, on a assisté à la présence toujours plus encombrante des avocats, qui ont souvent pris les rênes des procès en influant beaucoup sur la défense des compagnons. Mais l’avocat dit ce qu’on lui dit de faire au niveau politique, si c’est une personne sensible, un ami ou même parfois –si c’est possible– un camarade. Il ne dit pas ce que tu ne veux pas et il ne se substitue pas à toi si tu l’en empêches. S’il pose les choses de cette manière, ce qu’il reste à faire est de le révoquer ou de le menacer. Mais si l’avocat n’a pas agi ainsi, on ne peut pas jeter de la merde sur lui pour s’accrocher aux rideaux et tenter de justifier sa propre incapacité.

Est-il possible que beaucoup de ceux qui brassent dans la mouvance n’aient aucune réflexion sur la prison, sur ce qu’elle est et sur quoi faire si cela devait un jour leur arriver ? C’est un sale endroit, sans aucun doute, dans lequel on peut vivre des conditions très dures, mais duquel il faut parler pour comprendre de quoi il s’agit en sachant que rien ne peut nous anéantir si nos idées sont plus fortes (au-delà de l’acceptation ou pas de la condition personnelle d’enfermement), si la solidarité est un mot concret, et si nous nous sommes dotés de moyens pour affronter ce qui tente de nous isoler, de nous bloquer, de nous mettre en difficulté. Si toutes ces questions ne nous effleurent pas minimalement, alors nous devrions en tirer quelque conclusion, parce qu’éviter de finir dedans est beaucoup mieux, et que tenter de comprendre comment affronter la détention, si elle devait arriver, pourrait éviter de faire des choix comme celui de la dissociation.

La peur est un sentiment que nous éprouvons tous, et elle peut probablement être utile dans de nombreux cas pour nous faire comprendre jusqu’où nous pouvons aller. A notre avis, voilà ce que signifie faire attention à sa propre dignité et ne pas la vendre à la première difficulté venue.

Enfin, reste la question de l’amitié. Certains pensent probablement qu’en matière d’amitié on ne peut pas critiquer ou on ne peut rien dire, ou que la question doit être affrontée de manière différente. Inutile de s’accrocher aux rideaux. La problématique de la dissociation posée au début de ce texte était connue depuis un moment et a été passée sous silence et justifiée, quand elle n’était pas cachée, sous couvert de choix individuel. Faut-il encore répéter que déclarer vouloir rembourser les dégâts pose de fait une nette séparation entre nous, endossant le rôle du bon manifestant qui demande des excuses et les autres, les méchants, ceux qui ne payeront pas, et qui pensent même que ce qu’ils ont fait était le minimum de ce qu’ils pouvaient faire. Et puis, sommes-nous si sûrs que si un ami se trompe, faire mine de rien est un signe d’amitié, quand l’indifférence et la justification –même face à ce qui est lourdement erroné– ne sont que le ciment de rapports grégaires et aliénés ?

Mais bien sûr, ce sont des questions que seuls se posent les habituels pinailleurs et les rigides, pour tout le reste, il y a facebook.