Politique

Bien que tout squat soit "politique", dans la mesure ou —même de manière involontaire—, il critique en actes la propriété privée, la particularité de nombre d’entre eux est de sciemment se définir comme tel. Le squat est alors vécu comme un lieu de rupture avec l’ordre social et les institutions, comme le refus de la société capitaliste et de l’État, auxquels squatteuses et squatteurs s’attaquent en niant par leur action la valeur de la propriété privée. Cependant, les squats ne se contentent souvent pas de critiquer la société, mais se proposent également de mettre en pratique des alternatives. Au sujet de l’organisation collective comme des rapports inter-individuels, les squats fourmillent de remises en question et d’expérimentations. Avec pour bases, bien souvent, une critique du patriarcat, du capitalisme, de l’élitisme et de la hiérarchie, avec la volonté de briser la spécialisation et l’atomisation des individus, de se libérer des carcans moraux, de l’individualisme forcené, des conditionnements sociaux, pour essayer de vivre en cohérence avec ses idées et de s’épanouir. Plus qu’un simple constat critique, les squats sont la réalisation (forcément partielle, car immergée dans un "vieux monde" qui perdure) de ce que certain-e-s ne font que théoriser. Le mythe du grand soir est brisé, car c’est alors tous les jours que se construit la révolution, par une transformation individuelle et collective. Ce qui n’exclut pas des moments de confrontation violente avec le système, qui ne saurait accepter de voir éclore quelques îlots de liberté...

Médias

En tant qu’espaces contre-culturels, les squats sont non seulement victimes de la répression institutionnelle, légale et policière, mais aussi de la désinformation ou de l’ignorance des médias officiels à leur sujet. En conséquence, on trouve dans les squats la volonté de créer des médias alternatifs, autonomes, se faisant réellement l’écho des militant-e-s. Historiquement, mais intrinsèquement surtout, les squats sont très liés au militantisme anarchiste et de gauche radicale. En ce qu’ils catalysent les luttes contre tous les éléments du système, les squats sont confrontés aux mêmes problématiques que les mouvements révolutionnaires (auxquels souvent ils appartiennent), en ce qui concerne —entre autres— la répression, l’expression publique, la communication, le rapport aux médias.

Réaction

En conséquence, les squatteureuses produisent leur propre information, de manière alternative (fanzines, journaux, brochures, tracts & affiches, bombages), qui peinent cependant à dépasser le niveau local. Dans certains pays comme la Hollande, où les squatteureuses sont particulièrement organisé-e-s (le mouvement squat y a été très fort dans les années 70/80, et a accumulé de nombreux acquis au cours d’années de luttes parfois très dures contre le pouvoir), on trouve des radios pirates, des télévisions alternatives, entre autres grosses structures (c’est aussi le cas en Italie, en Espagne...). L’étape suivante, dans la volonté de communiquer de manière plus large, s’est logiquement trouvée être internet.

Internet

Certain-e-s squatteureuses se sont donc orienté-e-s vers l’utilisation d’outils de communication "modernes" et alternatifs, directs et difficiles à censurer comme internet, et ce dès ses débuts. En témoigne le site squat !net, en ligne depuis 1997, qui héberge quantité de pages de squats, de squatteuses et squatteurs, ou autres groupes politiques, initiatives alternatives lié-e-s aux squats. Très visité, ce site offre aux squats la possibilité de communiquer au delà du cadre restreint de leur environnement immédiat, ce qui outre la stricte diffusion de l’information peut constituer un instrument de pression supplémentaire dans la création de rapports de force entre les occupant-e-s et les autorités. Ses volumineuses archives de documents (tracts, brèves, livres, essais, etc.) permettent également à qui en a la curiosité de découvrir les squats hors des clichés dans lesquels ceux-ci sont généralement enfermés. Internet donne également une autre dimension aux initiatives orientées vers le local : aux textes mis en ligne, les squatteureuses d’Amsterdam ont ajouté les émissions de leurs radios et les programmes de leurs télés pirates, disponibles en direct. En France, les squats de Dijon rendent compte de leur actualité, entre autres actions militantes, par le biais d’une liste de diffusion (la malokaliste) et d’un site web. La page des squatteureuses de Lille, quant à elle, propose notamment un historique des occupations lilloises ainsi qu’un guide du squat.

Bien-sûr, internet est aussi un outil de communication entre squats. Squat !net et d’autres serveurs alternatifs hébergent des dizaines de listes de discussion et de diffusion permettant la coordination de groupes et l’échange d’infos. En France, où le réseau squat est bien moins développé et organisé que dans d’autres pays européens, des initiatives de connexion intersquat voient le jour, et sont concrétisées en partie grâce à internet. C’est le cas de l’intersquat francophone, qui fédère des squats de toute la France, de Suisse et d’ailleurs, autour d’un espace de débat, de communication et de solidarité utilisant internet comme instrument de liaison.

Problèmes

Sécurité : internet a un statut assez particulier dans la communication alternative. Ce peut être un formidable moyen d’échange libre, mais dont les militant-e-s ne peuvent avoir de "maîtrise" que partielle. Aussi retrouve-t-on de plus en plus la contestation radicale (squatteureuses inclus-es) dans les mouvements de lutte contre "big-brother" et le contrôle des télécommunications. Des sites comme squat !net ou TAO mettent l’accent sur la sécurité informatique, comme moyen de résister à l’espionnage systématique des communications électroniques et au fichage intensif qui en découle. Confronté-e-s à la répression depuis toujours, les squatteureuses "branché-e-s" doivent donc s’orienter vers le cryptage des données et autres connexions sécurisées. Internet devient un autre environnement à squatter, à occuper et à défendre, contre le pouvoir grandissant que les censeurs y exercent.

Élitisme : l’outil informatique, s’il permet une communication large et instantanée, n’en reste pas moins peu accessible pour nombre de personnes à l’heure actuelle. Au risque de voir émerger de nouvelles hiérarchies plus ou moins formelles, relatives au degré de connaissance et de maîtrise informatique, qui sont peu compatibles avec les volontés égalitaristes et exigences de non spécialisation du milieu. Face à cela, certain-e-s squatteureuses refusent d’abandonner le net aux flics et publicitaires, et tentent au contraire d’en favoriser l’accès. En Hollande, des cybercafés squattés comme ASCII à Amsterdam ou PUSCII à Utrecht mettent gratuitement à disposition des squatteureuses, militant-e-s et autres intéressé-e-s des connexions internet. On peut également y apprendre quelques bases en informatique, des langages de programmation, comment réaliser des pages web et diffuser ses infos sur le réseau, y découvrir des alternatives à la domination de Microsoft... par le biais d’ateliers (échange de savoir), d’actions (install-parties), de conférences-débats. Les machines utilisées proviennent de dons, de récupérations diverses, de l’assemblage de matériaux considérés obsolètes par la société de consommation mais parfaitement fonctionnels. Il est parfois possible d’y acquérir un ordinateur gratuitement, ou presque. D’autres projets similaires existent : dans le squat Egocity à Zurich, dans des squats à Barcelone, ou encore à Berlin (LOTEC). En Espagne, le serveur Sindominio, géré par des squatteureuses, constitue un véritable portail vers les luttes sociales autonomes. En Italie, militantisme et hacking se rencontrent et se mêlent régulièrement (Hacklabs) dans des centre sociaux squattés. De plus, ces différentes initiatives tendent à se connecter entre elles, comme en témoigne le "congrès" Plug’n’Politix qui se tiendra à Zurich en octobre prochain, et rassemblera divers "cafés-internet" squattés. A noter que le réseau de médias indépendants Indymedia est aussi lié aux squats par certain-e-s de ses participant-e-s.

Technique : internet —de même que l’informatique en général— pose le problème de l’utilisation d’outils conçus par et pour les dominants. C’est notamment le cas des produits Microsoft, qui s’imposent tous azimuts, et manifestent la volonté de contrôler internet et tout le monde de l’informatique. Pour les squatteureuses et autres militant-e-s libertaires, il s’agit donc aussi de lutter contre le terrorisme et l’arrogance de ces multinationales du logiciel, en se dotant d’outils "libres" et indépendants comme GNU/Linux (système d’exploitation gratuit, librement modifiable et transparent, développé par une communauté de plusieurs milliers d’utilisateurs et d’utilisatrices de part le monde). Si les contestataires ont tout à y gagner (sécurité, efficacité, éthique, liberté, évolutivité), la pratique nécessite des connaissances informatiques parfois non-négligeables. Pour palier à ce problème, les militant-e-s d’une informatique libre tentent d’en vulgariser les concepts et l’utilisation. Formations, coups-de-main & assistance, ateliers divers. Il s’agit de prendre le contrôle de son ordinateur, de ne plus dépendre des standards imposés (bourrés de bugs, d’espions et conditionnés par une logique commerciale).

Unanimité ?

Dans le développement d’internet, les squatteureuses ne sont donc pas en reste, loin de là. Bien que soumise à un certain nombre de contraintes, l’utilisation d’internet s’est imposée à nombre de contestataires, et les efforts semblent plus tournés vers sa "démocratisation" que vers son rejet. De puissants outils de communication existent d’ores et déjà, qu’il convient d’utiliser. La société a beau complexifier ses instruments, elle n’a pas encore su damer le pion aux révolutionnaires...

Cependant, l’usage d’internet et des nouvelles technologies ne va pas de soi pour tou-tes les squatteureuses. Si certain-e-s y voient des perspectives intéressantes, cherchant à renverser des préjugés et à reconsidérer le rapport à l’ordinateur (la technologie au service de la collectivité, l’informatique comme vecteur de création, support d’une expression personnelle singulière, nouveau terrain d’action et outil d’une subversion moderne), d’autres tendent à envisager son utilisation comme purement contextuelle, et posent la question de la comptabilité entre informatique et "société libérée" (l’industrie moderne comme condition nécessaire à la production d’ordinateurs, fonction sociale de l’informatique, mais aussi nécessité d’autonomie face au pouvoir et à ses outils, etc.).

Note

Le terme "squatteur" a ici été remplacé par "squatteureuse", contraction de "squatteur" et "squatteuse", dans le soucis de visibiliser la présence des femmes dans les squats. Cela me semble d’autant plus important que l’informatique est "traditionnellement" associée aux hommes. Si cela reste malheureusement souvent une réalité (au sein même des squats, les hommes ont plus tendance que les femmes à maîtriser l’outil informatique), ce n’est pour autant pas du tout systématique. Le collectif hollandais "genderchangers", par exemple, est uniquement constitué de femmes, qui montrent que l’informatique n’est pas et ne doit pas être l’apanage de mecs, en mettant en relation féminisme et informatique alternative, dans le cadre d’ateliers de formation et d’échange non-mixtes. A noter également, l’existence d’un groupe non-mixte femmes au sein de LOTEC, autre espace d’informatique libre installé dans un ex-squat berlinois.

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