Une écologie cohérente est nécessairement anticapitaliste.

L’idée d’un capitalisme vert, l’idée de « développement durable », sont des contradictions dans les termes.

Si des dirigeants du monde entier se réunissent pour, prétendent-ils, « sauver le climat » (COP21), alors de deux choses l’une : soit ils sont en cohésion avec toute écologie digne de ce nom, et alors c’est une économie post-capitaliste qu’ils projettent de mettre en place ; soit ils ne sont là que pour parader, et pour esquiver les problèmes écologiques fondamentaux, et alors ils nous éloignent réellement d’alternatives écologiques radicales dans la mesure où ils monopolisent les discours et la visibilité médiatique. Plus simplement, cela s’appelle un écran de fumée. C’est bien sûr la deuxième option qui prévaut aujourd’hui, ce pourquoi il s’agit, si l’on défend une écologie cohérente, de ne pas se laisser impressionner par ces babils spectaculaires.

Pourquoi tout capitalisme est-il en soi anti-écologique ?

Une certaine interprétation des analyses marxiennes peut nous aider à le comprendre.

Le capitalisme, d’abord, est fondé sur l’accumulation du capital, ou de la valeur. Cette accumulation est purement quantitative. Or, la quantité, dans son accroissement, ne connaît pas de limite : elle peut augmenter à l’infini. Les PIB, par exemple, peuvent croître à l’infini, sans jamais rencontrer de limite formelle, précisément parce qu’ils ne sont que des chiffres. Le projet de société du capitalisme est indissociable de cette croyance selon laquelle une certaine croissance, entendue en un sens quantitatif, pourrait se poursuivre à l’infini. Seulement, là où il y a un problème (et cela Marx l’avait bien identifié) c’est que la valeur, ou les capitaux, ne sont pas indépendants des valeurs d’usage, c’est-à-dire des marchandises réelles, avec leur corps concret de marchandises. Autrement dit, pour qu’il y ait accumulation quantitative de valeur abstraite, il faut qu’il y ait aussi, en parallèle, une accumulation de marchandises réelles, en un sens qualitatif. Seulement cette sphère réelle ou qualitative demeure quant à elle limitée : la force de travail humaine, d’une part, n’est pas disponible à l’infini ; il y a une limite dans la faculté d’épuisement psychique et physique des travailleurs ; d’autre part, et surtout, les ressources naturelles qui servent à produire les marchandises réelles ne sont pas non plus disponibles à l’infini. Elles sont intrinsèquement limitées (notons que Marx, tout de même, n’avait pas anticipé ce fait).

Le capitalisme, au niveau écologique, intrinsèquement fonce droit dans le mur : son projet est l’accumulation infinie d’une quantité abstraite, mais ce système ne voit pas que, pour permettre cette accumulation quantitative à l’infini, il aurait besoin d’une réalité naturelle elle-même illimitée, illimitation qui dans les faits n’est absolument pas constatable. Tant que perdure le capitalisme, tant que perdure ce monde qui creuse sa propre tombe chaque jour, nulle écologie constructive ne saurait être établie. Le développement durable est une contradiction dans les termes si l’on conserve la définition abstraite, c’est-à-dire capitaliste, du développement. Le capitalisme "vert" n’est qu’un concept marketing pour rendre plus « sexy » certains produits sur le marché de la consommation, mais il est une pure absurdité si l’on essaye de comprendre son sens.

Une réunion de dirigeants sur le climat est certainement une démonstration de pur cynisme, si ces dirigeants ne sont pas là pour déconstruire l’économie capitaliste, mais s’ils sont là simplement pour représenter des intérêts capitalistes parmi d’autres. Et, s’il ne s’agit pas là de cynisme, alors la situation est peut-être encore plus grave : ces dirigeants n’auraient pas même conscience de l’aberration du système qu’ils défendent, et c’est avec de bonnes intentions qu’ils nous précipiteraient tous vers le pire. Or, lutter contre les bonnes intentions d’individus aveugles et inconscients qui détiennent le pouvoir, cela serait peut-être plus nécessaire encore que de lutter contre leur cynisme. Mais peut-être y a-t-il dans ce contexte présent une bonne dose de ces deux éléments : cynisme et aveuglement, au sein d’une pensée confuse et mutilée.

D’autres individus plus conscients, et plus soucieux du devenir de la « planète », qui auraient découvert les mécanismes de cette « double pensée », pourraient utiliser la situation à leur avantage. Ils pourront dire, aux agents de la valeur, déployant cette « double pensée » : « Voulez-vous vraiment un monde écologique, vous les représentants du capitalisme mondial ? Mais alors, si vous prétendez être cohérents, vous voulez l’abolition du système économique que vous représentez. Dans ce projet nous vous aiderons. Nous saurons dévoiler votre souhait inconscient de renverser votre propre pouvoir, lequel empêche la réalisation de vos aspirations « humanistes » ». Ce genre de « stratégies rhétoriques », hélas, ne fonctionne que rarement. Car les « puissants » se soucient-ils seulement de la cohérence ?