Titre: Plate-forme d’organisation des communistes libertaires
Date: 1926
Source: Consulté le 30 avril 2016 de http://www.nestormakhno.info/french/platform/org_plat.htm
Notes: Groupe « Dielo Trouda » (Cause Ouvrière). Plate-forme organisationnelle de l’union générale des anarchistes (projet).

Préface

En 1926 un groupe d’anarchistes russes en exil en France, le groupe Dielo Trouda (Cause Ouvrière), a publié cette brochure. Elle émergeait non d’une étude académique mais de leur expérience de la Révolution russe de 1917. Les membres de ce groupe avaient pris part au renversement de la vieille classe dirigeante, faisaient partie de la floraison d’autogestion paysanne et ouvrière, avaient partagé l’optimisme largement répandu quant à un monde nouveau de socialisme et de liberté... et avaient vu son remplacement sanglant par le capitalisme d’État et la dictature du Parti bolchevique.

Le mouvement anarchiste russe avait joué un rôle loin d’être négligeable dans la révolution. À l’époque il y avait environ 10 000 militantEs anarchistes en Russie, sans compter le mouvement en Ukraine dont le chef de file était Nestor Makhno. Il y avait au moins quatre anarchistes sur l’organisation qui a organisée la prise du pouvoir en octobre, le Comité militaire révolutionnaire dominé par les bolcheviques. De façon plus importante, les anarchistes étaient impliqués dans les comités d’usine qui s’étaient multipliés après la révolution de février. Ces derniers étaient basés dans les lieux de travail, étaient élus par des assemblées ouvrières de masse et avaient pour rôle de voir à la bonne marche de l’usine et à la coordination avec d’autres lieux de travail de la même industrie ou de la même région.

Les anarchistes étaient particulièrement influentEs dans les mines, sur les docks, dans les postes, dans les boulangeries et ont joués un rôle important lors du Congrès pan-russe des conseils ouvriers qui s’est réunit à la veille de la révolution. C’était ces comités que les anarchistes voyaient comme base de la nouvelle autogestion qui serait mise en place après la révolution.

Cependant, l’esprit et l’unité révolutionnaire d’Octobre 1917 n’ont pas duré longtemps. Le Parti bolchevique était impatient de supprimer toutes les autres forces de gauche qu’il voyait comme autant d’obstacles bloquant la voie au pouvoir « à parti unique ». Les anarchistes et quelques autres à gauche croyaient que la classe ouvrière était capable d’exercer le pouvoir par ses propre comités et soviets (conseils de déléguéEs éluEs). Le Parti bolchevique ne le croyait pas. Il défendait la position voulant que la classe ouvrière n’était pas encore capable de prendre le contrôle de sa destiné et que donc il allait prendre lui-même le pouvoir par « interim » pendant la « période transitoire ». Ce manque de confiance dans les capacités des gens ordinaires et la prise autoritaire du pouvoir allait mener à la trahison des intérêts de la classe ouvrière et de tous ses espoirs et ses rêves.

En avril 1918 les centres anarchistes de Moscou furent attaqués, 600 anarchistes furent emprisonnéEs et des douzaines tuées. L’excuse était que les anarchistes étaient « incontrôlables », peut importe ce que cela pouvait bien vouloir dire à moins que ce ne soit simplement qu’ils et elles refusaient d’obéir aux ordres des dirigeants bolcheviques. La vrai raison était la formation des Gardes Noires qui avaient été mis sur pied pour combattre les provocations brutales et les abus de la Cheka (l’ancêtre du KGB).

Les anarchistes durent choisir un côté. Une section du mouvement a travaillé avec les bolcheviques, et a fini par se joindre à eux, sur la base de l’efficacité et de l’unité contre la réaction. Une autre section s’est battue durement pour défendre les gains de la révolution contre ce qu’elle voyait correctement comme une nouvelle classe dirigeante en formation. Le mouvement makhnoviste en Ukraine et l’insurrection de Kronstadt furent les dernières grandes batailles. Dès 1921, la révolution antiautoritaire était morte. Cette défaite eut des effets profonds et durables sur le mouvement ouvrier international.

Les auteurs avaient l’espoir qu’un tel désastre n’arrive pas de nouveau. Leur contribution fut ce qu’on a fini par appeler la « Plate-forme ». Cette brochure examine les leçons du mouvement anarchiste russe, son échec à construire une présence assez importance et efficace dans le mouvement ouvrier pour contrer la tendance des bolcheviques et de d’autres groupes politiques à se substituer à la classe ouvrière. Elle expose une ébauche de guide suggérant comment les anarchistes devraient s’organiser, Bref comment nous pouvons être efficace.

Elle disait des vérités toutes simples comme qu’il est ridicule d’avoir une organisation qui contient des groupes qui ont des définitions mutuellement antagonistes et contradictoires de l’anarchisme. Elle soulignait le besoin de structures formelles sur lesquelles on s’entend et couvrant des politiques écrites, le rôle des exécutants, la nécessité de cotisations des membres et ainsi de suite ; le type de structure qui permettent des organisations démocratique larges et efficaces.

Lors de sa première publication, la « Plate-forme » fut attaquée par certaines des personnalités anarchistes les plus connues de l’époque, comme Errico Malatesta et Alexander Berkman. Ils l’ont accusés d’être « à un cheveu du bolchevisme » et d’être une tentative de « bolchéviser l’anarchisme ». Cette réaction était exagérée mais était peut-être partiellement le résultat de la proposition d’une Union générale des anarchistes. Les auteurs n’avaient pas clairement définis quelle serait la relation entre cette Union et les autres groupes anarchistes qui lui seraient extérieurs. Il va sans dire qu’il ne devrait pas y avoir de problèmes avec des organisations anarchistes séparés travaillant de concert sur des problèmes sur lesquels ils s’entendent.

Pas plus, comme cela fut dis par les détracteurs du projet et certains de ses supporters plus récents, que ce n’est un programme pour « passer de l’anarchisme au communisme libertaire ». Les deux termes sont complètement interchangeables. Ce texte fut écris pour souligner l’échec des anarchistes russes, leur confusion théorique et, ce qui en découle, leur manque de coordination nationale, leur désorganisation et leur incertitude politique. En d’autre mots leur inefficacité. Ce texte fut écris pour ouvrir un débat à l’intérieur du mouvement anarchiste. Ce texte pointe non pas vers un compromis avec des politiques autoritaires, mais vers la nécessité vitale de combiner une activité révolutionnaire efficace avec des principes anarchistes fondamentaux.

Ce n’est pas un programme parfait maintenant, pas plus que ce ne l’était en 1926. La « Plate-forme » a ses faiblesses. Elle n’explique pas certaines de ces idées avec assez de profondeur, on pourrait argumenter qu’elle ne couvre pas du tout certains points importants. Mais gardons à l’esprit que c’est une petite brochure, pas une encyclopédie en 26 volumes. Les auteurs ont d’ailleurs clairement dis dans leur introduction qu’il ne s’agit pas d’une sorte de « bible ». Ce n’est pas une analyse ou un programme complet, c’est une contribution à un débat nécessaire — un bon point de départ.

Au cas ou qui que ce soit douterait de son à propos aujourd’hui, il faut dire que les idées de bases de la « Plate-forme » sont encore en avance sur les idées dominantes dans le mouvement anarchiste international. Les anarchistes veulent changer le monde pour le mieux, cette brochure nous pointe la direction de certains des outils dont nous avons besoin pour cette tache.

par Alan MacSimon du Workers Solidarity Movement, 1989

Introduction historique

Nestor Makhno et Piotr Arshinov avec d’autres anarchistes russes et ukrainiens en exil à Paris ont lancés en 1925 l’excellent bimensuel Dielo Trouda (Cause Ouvrière). C’était une revue théorique anarcho-communiste de grande qualité. Des années plutôt, quand ils étaient tout deux emprisonnés à la prison de Butirky à Moscou, ils avaient couvé l’idée d’une telle revue. Maintenant il s’agissait de mettre l’idée en pratique. Makhno a écris un article dans pratiquement chaque numéro pendant une période de trois ans. En 1926 le groupe fut rejoint par Ida Mett (l’auteur de la dénonciation du bolchevisme, « La Commune de Kronstadt »), qui avait récemment fuit la Russie. Cette année là fut aussi l’année de la publication de la « Plate-forme Organisationnelle ».

La publication de la « Plate-forme » fut accueillie avec férocité et indignation par plusieurs dans le mouvement anarchiste international. Le premier à l’attaquer fut l’anarchiste russe Voline, [1] qui était maintenant aussi en France, fondateur, avec Sébastien Faure, de la « Synthèse », une méthode organisationnelle cherchant à justifier un mélange d’anarcho-communisme, d’anarcho-syndicalisme et d’anarcho-individualisme. Avec Molly Steimer, Fleshin, et d’autres, il a écris une réplique affirmant que « maintenir que l’anarchisme n’est qu’une théorie de classe c’est le limiter à un seul point de vue ».

Cela n’a pas empêché le groupe Dielo Trouda de lancer, le 5 février 1927, une invitation à un « congrès international » ainsi qu’une rencontre préliminaire qui devait se tenir le 12 du même mois. Était présents à cette rencontre, en dehors du groupe Dielo Trouda : un délégué des Jeunesses Anarchistes Françaises, Odeon ; un bulgare, Pavel, à titre individuel ; un délégué du groupe d’anarchiste polonais, Ranko, et un autre polonais à titre individuel ; plusieurs militants espagnols parmi lesquels Orobon Fernandez, Carbo et Gibanel ; un italien, Ugo Fedeli ; un chinois, Chen ; et un français, Dauphin-Mercier, tous à titre individuel. Cette première rencontre eu lieu dans la petite arrière boutique d’un café parisien.

Une commission provisoire, composée de Makhno, Chen et Ranko, fut mise sur pied. Un circulaire fut envoyé à tout les groupes anarchistes le 22 février. Un congrès international fut convoqué et se tint le 20 avril 1927, à Hay-les-Roses, près de Paris, dans le cinéma Les Roses.

En plus de ceux qui avait assisté à la première rencontre, il y avait un délégué italien favorable à la « Plate-forme », Bifolchi, et une autre délégation italienne du magazine « Pensiero e Volontà » composée de Luigi Fabbri, Camillo Berneri et Ugo Fedeli. Les français avaient deux délégations, une organisée autour d’Odeon, favorable à la « Plate-forme », et l’autre autour de Severin Fernandel. Une proposition fut déposée visant à :

  1. Reconnaître la lutte de classe comme la facette la plus importante de l’idée anarchiste ;

  2. Reconnaître l’anarcho-communisme comme la base du mouvement ;

  3. Reconnaître le syndicalisme révolutionnaire comme la méthode principale de lutte ;

  4. Reconnaître la nécessité d’une « Union générale des anarchistes » basée sur l’unité théorique, l’unité tactique et la responsabilité collective ;

  5. Reconnaître la nécessité d’un programme positif pour réaliser la révolution sociale.

Après une longue discussion certaines modifications à la proposition originale furent proposées. Cependant rien ne fut adopté parce que la police à interrompue la rencontre et arrêté toute l’assistance. Makhno fut menacé de déportation et seule une campagne menée par les anarchistes français a put l’empêcher. Mais la proposition de mettre sur pied une « Fédération Internationale d’Anarchistes Communistes Révolutionnaires » avait été mise en échec et certains de ceux qui avaient participé au congrès refusaient de la supporter plus longtemps.

D’autre attaque contre la « Plate-forme » venant de Fabbri, de Berneri, de l’historien de l’anarchisme, Max Nettlau, et du célèbre anarchiste italien Malatesta ont suivi. Le groupe Dielo Trouda a répliqué dans une « Réplique au confusioniste de l’anarchisme » et ensuite dans une nouvelle déclaration d’Arshinov sur la « Plate-forme » en 1929. Arshinov fut aigri par la réaction à la « Plate-forme » et est retourné en URSS en 1933. Il fut accusé de « tentative de restaurer l’anarchisme en Russie » et exécuté en 1937, durant les purges de Staline.

La « Plate-forme » a échoué à s’établir au niveau international, mais elle a quand même eu un effet sur plusieurs mouvements. En France, la situation fut marqué par une série de scissions et de fusions, les « plate-formistes » contrôlaient parfois les principales organisations anarchistes et d’autres fois étaient forcés de les quitter pour mettre sur pied leur propres groupes. En Italie, les supporters de la « Plate-forme » ont mis sur pied une petite « Union Anarco-Comunista Italiana » qui s’est rapidement écroulée. En Bulgarie, la discussion sur l’organisation a causé la reconstitution de la Fédération anarchiste communiste de Bulgarie (F.A.C.B.) sur une « plate-forme concrète » « pour un organisation anarchiste spécifique permanente et structurée » « bâtie sur les principes et les tactiques du communisme libertaire ». Cependant, les « plate-formistes » purs et durs ont refusé de reconnaître la nouvelle organisation et l’ont dénoncé dans leur hebdomadaire « Prouboujdane », avant de s’effondrer peu de temps après.

De façon similaire, en Pologne, la Fédération anarchiste de Pologne (FAP) a reconnu le renversement du capitalisme et de l’état par la lutte classe et la révolution sociale ; la création d’une nouvelle société basée sur des conseils ouvriers et paysans ; une organisation spécifique construite sur l’unité théorique mais a rejeté la Plate-forme en disant qu’elle avait des tendances autoritaires.

En Espagne, comme Juan Gomez Casas le dit dans son livre Anarchist Organisation, The history of the FAI :[2] « l’anarchisme espagnol se préoccupait de savoir comment garder et augmenter l’influence qu’il avait depuis l’arrivé de l’Internationale[3] en Espagne ». Les anarchistes espagnols n’avaient pas à s’inquiéter à ce moment là de sortir de l’isolation et de compétionner avec les bolcheviks. En Espagne, l’influence des bolcheviks était encore minime. La Plate-forme n’a pas vraiment affecté le mouvement espagnol. Quand l’organisation anarchiste, la Fédération anarchiste ibérique (FAI), fut mise sur pied en 1927, la Plate-forme ne put pas y être débattue, bien qu’elle fut à l’ordre du jour, parce qu’elle n’avait pas encore été traduite. Comme J. Manuel Molinas, secrétaire à l’époque des groupes anarchistes espagnols en France, l’a plus tard écris à Casas : « la Plate-forme d’Arshinov et d’autres anarchistes russes a eu très peu d’influence sur le mouvement en exil ou au pays... La Plate-forme était une tentative de renouveler, de donner plus de caractère et de capacité au mouvement anarchiste international en lumière avec la révolution russe... Aujourd’hui, après notre propre expérience, il me semble que cet effort ne fut pas pleinement apprécié ».

La guerre mondiale a interrompu le développement des organisations anarchistes, mais la controverse autour de la Plate-forme a réémergée avec la fondation de la Fédération communiste libertaire (FCL) en France et les Groupes anarchistes d’action prolétarienne en Italie au début des années 1950. Tout deux utilisait la Plate-forme comme point de référence (il y eu aussi une petite Fédération communiste libertaire composée d’exilés espagnols). Cela fut suivi, à la fin des années 1960 et au début des années 1970 par la fondations de groupes tels que l’Organisation révolutionnaire anarchiste en France et son homologue en Angleterre.

La plate-forme continue d’être une référence historique de valeur quand les anarchistes luttes-de-classistes, recherchant une meilleure efficacité et une issue à l’isolation politique, à la stagnation et à la confusion, regardent autour d’eux cherchant des réponses aux problèmes auxquels ils font faces.

par Nick Heath de l’Anarchist Federation, 1989

[Traduit de la première édition irlandaise de la Plate-forme d’organisation des communistes libertaires.]

Post-scriptum à l’introduction historique

L’Introduction historique qui précède fut écrite en 1989 (date du premier tirage de l’édition irlandaise de la Plate-forme), normal donc qu’elle s’arrête avec une mention rapide des expériences des années 1960 et 1970 et qu’elle ne traite pas dutout des expériences nés dans les années 1980. À l’aube de l’an 2000, peut-être avons nous assez de recul pour analyser ses expériences.

À la fin des années 1960, ça brasse dans les vieilles fédérations synthésistes européennes. Une nouvelle génération de militants est déçu du travail purement idéologique d’organisations dont la raison d’être est de regrouper toutes les tendances de l’anarchisme. Dans un premier temps ces militants se regroupent en tendances à l’intérieur des vieilles organisations. Preuve qu’il existe une certaine coordination internationale, ces tendances prendront toutes à peu près Le même nom : Organisation révolutionnaire anarchiste. Il y a rapidement des tendances organisée en Angleterre, en France et en Italie. Ces dernières vont faire scission au début des années 1970 et se retrouver comme organisations à part entière dans leurs pays respectifs. Sous l’impulsion des français une coordination internationale se créé et toutes adoptent la Plate-forme comme référence historique et organisationnelle centrale.

D’après de nombreux militants ayant participé à ces organisations, l’expérience sera marqué par un certain gauchisme et une logique partidaire de concurrence avec les autres organisations d’extrême-gauche.[4] Au milieu des années 1970 les ORA éclatent en France et en Angleterre, tandis que l’organisation s’étiole en Italie.

En France, le congrès de 1976 prend acte d’une scission et change le nom de l’organisation qui devient l’Organisation communiste libertaire. L’OCL continuera son petit bonhomme de chemin jusqu’à aujourd’hui. Elle sera traversé de débat sur l’organisation et le fédéralisme, rejettera la vision plate-formiste des choses et finira par bâtir un modèle unique d’organisation très décentralisée et fonctionnant sur un mode assembléiste. L’OCL développe une pratique d’intervention qu’elle nommera mouvementiste et rupturiste qui donne priorité au travail local, critique les syndicats et toute institutionnalisation des luttes.

L’autre tendance française à émerger des décombres de l’ORA se rebaptisera Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL). Elle fonde sa pratique sur une intervention dans les entreprises et les syndicats ainsi que sur les luttes où son présentes les autres organisations d’extrême-gauche. L’UTCL contrairement à l’OCL, maintient la référence à la Plate-forme. En 1991, après un long processus de débat, l’UTCL décide de s’élargir et devient Alternative Libertaire (qui existe toujours). Alternative Libertaire maintient une tradition plate-formiste souple et fonde sa pratique, comme l’UTCL dont elle ne semble finalement n’être que le prolongement, sur une intervention dans les mouvements sociaux (avec priorité aux syndicats alternatifs). Depuis quelques années, Alternative Libertaire tente, tant bien que mal, de structurer un pôle libertaire international (essentiellement européen, en fait) regroupant des organisations politiques comme elle et des centrales syndicales libertaires exclue de l’AIT (comme la CGT en Espagne et la SAC en Suède).

En Angleterre, l’ORA a elle aussi subit de très nombreuses turbulences. [5] À la fin des années 1970, toute activité spécifiquement communiste libertaire est disparue du sol anglais. Puis, en 1986, un processus de débat sur la nécessité de l’organisation mène à la fondation de la Fédération anarchiste-communiste (ACF) qui reprendra des positions plate-formistes assez rigide. Au fil des ans la ACF développe toute une série de positions qui la rapproche de plus en plus de l’ultra-gauche (internationalisme intransigeant, rejet des syndicats, etc.). Sa pratique se fonde sur un développement théorique souvent impressionnant et une intervention dans le mouvement d’action directe radicale qui émerge depuis quelques années en Angleterre. Aujourd’hui, l’ACF ne se réclame plus strictement de la Plate-forme, qui est devenue pour elle une référence parmi tant d’autres, ni même de l’anarchisme classique mais également des communistes de conseils et autres marxistes libertaires. L’an passé (en 1999) l’ACF a changé de nom, elle se nomme maintenant la Fédération anarchiste (AF).

Quelques années après la fondation de l’ACF, une autre tendance communiste libertaire se réclamant de façon plus stricte de la Plate-forme, a également vu le jour. Cette tendance pris le nom de Groupe anarchiste ouvrier (AWG). Pendant quelques années, ils ont essayé de faire le même genre de trucs en Angleterre qu’Alternative Libertaire en France (intervention dans les syndicats et dans les luttes d’extrême gauche). Puis, après quelques succès, ils sont disparu sans laisser de trace et leurs derniers éléments ont été absorbé par un groupe trotskiste.

En Irlande, alors qu’il n’y avait jamais eu de présence anarchiste organisée, un groupe a vu le jour au milieu des années 1980 (à peu près en même temps que l’ACF en Angleterre). Ce groupe se nomme le Mouvement de solidarité ouvrière (WSM). Il s’agit d’une organisation plate-formiste traditionnelle qui fonde sa pratique sur une intervention dans les syndicats et dans les mouvements sociaux.

Il existe en Suisse une organisation qui maintient des liens cordiaux avec les deux organisations françaises, l’Organisation socialiste libertaire. Composée essentiellement de francophones à l’origine, il semble que l’OSL émerge de plus en plus en région germanophone depuis quelques années. L’OSL entretient une pratique à mis chemin entre celle de l’OCL et celle d’AL.

En Italie, un processus similaire à celui qui a mené à la création d’Alternative Libertaire en France, a aboutit à la création de la Fédération des anarchistes-communistes (FdCA) dont nous savons malheureusement très peu de choses si ce n’est que la fédération se réclame de la Plate-forme de manière plus stricte qu’Alternative Libertaire et qu’elle est elle aussi active dans le syndicalisme alternatif.

Il y a également eu des groupes se réclamant de la Plate-forme qui ont émergé dans le courant des années 1990 en Afrique (la Fédération de solidarité ouvrière, WSF, aujourd’hui dissoute, en Afrique du Sud, très proche de l’organisation irlandaise), dans le monde arabe (notamment au Liban ou subsiste une organisation très proche d’Alternative Libertaire), en Europe de l’est (notamment en République tchèque, ou il y a une organisation proche du WSM irlandais) et en Amérique latine (ou il y aurait de très vieilles organisations plate-formistes, en Uruguay notamment). Malheureusement, nous en savons très peu sur ces organisations.

Et au Québec ? Pas grand chose, si ce n’est à la fin des années 1980 une tentative de fonder une organisation socialiste libertaire (Socialisme et Liberté) qui semble-t-il reprenait certains des principes de la Plate-forme (sans le savoir?). Cette organisation, morte aujourd’hui, c’est transformée en collectif d’édition et depuis leur seule activité consiste en la publication du journal Rebelles (qui fêtait son dixième anniversaire en 1999). Ce groupe se retrouve sur des positions proche de celle de l’OCL, mais à abandonné depuis longtemps toute velléité organisationnelle.

Et puis, il y a nous... Notre groupe est composé d’ancien de Démanarchie et de Food not Bombs (FNB). Si FNB n’avait rien à voir avec la Plate-forme, Démanarchie par contre en appliquait, inconsciemment, les principes et tendait à agir souvent comme une organisation politique. Le réseau des collectifs de Démanarchie, présent dans trois villes à son apogée, est tombé il y a trois ans. Depuis notre groupe à vu le jour à Québec et un autre groupe (Main Noire) à vu le jour à Montréal. Les deux groupes se réclament des principes organisationnels de la Plate-forme et sont engagés dans un processus d’unité devant mené, on l’espère, à la création d’une organisation révolutionnaire anarchiste au Québec. À un autre niveau, notre groupe est également impliqué dans une tentative visant à former une Fédération des communistes libertaires du Nord-Est, elle aussi inspiré des principes organisationnels de la Plate-forme. Mais, dans les deux cas, il est décidément trop tôt pour en juger.

par Nicolas Phébus, Groupe anarchiste Émile-Henry

Introduction

Il est très significatif qu’en dépit de la force et du caractère incontestablement positif des idées libertaires, de la netteté et de l’intégrité des positions anarchistes face à la révolution sociale, et enfin de l’héroïsme et des sacrifices innombrables apportés par les anarchistes dans la lutte pour le communisme libertaire, le mouvement anarchiste est resté toujours faible malgré tout cela, et a figuré, le plus souvent, dans l’histoire des luttes de la classe ouvrière comme un petit fait, un épisode, et non pas comme un facteur important.

Cette contradiction entre le fond positif et incontestable des idées libertaires et l’état misérable où végète le mouvement anarchiste, trouve son explication dans un ensemble de causes dont la plus importante, la principale, est l’absence de principes et de pratiques organisationnels dans le monde anarchiste.

Dans tous les pays le mouvement anarchiste est représenté par quelques organisations locales préconisant une théorie et une tactique contradictoires n’ayant point de perspectives d’avenir ni de continuité dans le travail militant, et disparaissant habituellement presque sans laisser la moindre trace derrière eux.

Un tel état de l’anarchisme révolutionnaire, si nous le prenons dans son ensemble ne peut être qualifié autrement que comme une « désorganisation générale chronique ».

Telle la fièvre jaune, cette maladie de la désorganisation s’est introduite dans l’organisme du mouvement et le secoue depuis des dizaine d’années.

Il n’est pas douteux toutefois que cette désorganisation a sa source dans quelques défectuosités d’ordre théorique : notamment dans une fausse interprétation du principe d’individualité dans l’anarchisme ; ce principe étant trop souvent confondu avec l’absence de toute responsabilité. Les amateurs de l’affirmation de leur « Moi », uniquement en vue d’une jouissance personnelle, s’en tiennent obstinément à l’état chaotique du mouvement anarchiste et se réfèrent, pour le défendre, aux principes immuables de l’anarchisme et de ses maîtres.

Or, les principes immuables et les maîtres démontent justement le contraire.

La dispersion et l’éparpillement, c’est la ruine. L’union étroite, c’est le gage de la vie et du développement. Cette loi de la lutte sociale s’applique aussi bien aux classes qu’aux partis.

L’anarchisme n’est pas une belle fantaisie, ni une idée abstraite de philosophie : c’est le mouvement social des masses laborieuses. Pour cette raison déjà, il doit rallier ses forces en une organisation générale constamment agissante, comme l’exigent la réalité et la stratégie de la lutte des classes.

« Nous sommes persuadés, dit Kropotkine, que la formation d’un parti anarchiste en Russie, loin d’être préjudiciable à l’oeuvre révolutionnaire est au contraire souhaitable et utile au plus haut degré » (préface à la « Commune de Paris » par Bakounine éditions de 1892).

Bakounine ne s’opposait jamais non plus à l’idée d’organisation anarchiste générale. Au contraire, ses aspirations concernant l’organisation ainsi que son activité dans la première internationale ouvrière nous donne tous les droits de voir en lui un partisan actif, précisément, d’une telle organisation.

En général, tous les militants actifs, ou presque, de l’anarchisme combattirent toute action éparpillée et songèrent à un mouvement anarchiste soudé par l’unité du but et des moyens.

C’est pendant la révolution russe de 1917 que la nécessité d’une organisation générale se fit sentir le plus nettement et le plus impérieusement. Ce fut au cours de cette révolution que le mouvement libertaire manifesta le plus haut degré de démembrement et de confusion. L’absence d’une organisation générale amena beaucoup de militants actifs de l’anarchisme dans le rangs des bolchéviks. Elle est la cause de ce que beaucoup de militants restent actuellement dans un état de passivité, empêchant toute application de leurs forces qui sont souvent d’une grande importance.

Nous avons un besoin vital d’une organisation qui, ayant rallié la majorité des participants au mouvement anarchiste, établirait dans l’anarchisme une ligne générale tactique et politique, qui servirait de guide à tout le mouvement.

Il est temps pour l’anarchisme de sortir du marais de la désorganisation, de mettre fin aux vacillations interminables dans les questions théoriques et tactiques les plus importantes, de prendre résolument le chemin du but clairement conçu, et de mener une pratique collective organisée.

Il ne suffit pas, cependant, de constater la nécessité vitale d’une telle organisation, il est nécessaire encore d’établir la méthode de sa création.

Nous rejetons comme théoriquement et pratiquement inapte l’idée de créer une organisation d’après la recette de la « synthèse », c’est à dire réunissant des représentants des différentes tendances de l’anarchisme. Une telle organisation ayant incorporé des éléments théoriquement et pratiquement hétérogène ne serait qu’un assemblage mécanique d’individus concevant d’une façon différente toutes les questions du mouvement anarchiste, assemblage qui se désagrégerait infailliblement à la première épreuve de la vie.

La méthode anarcho-syndicaliste ne résoud pas le problème d’organisation de l’anarchisme, car elle ne donne pas la priorité à ce problème, s’intéressant uniquement à sa pénétration et à son renforcement dans les milieux ouvriers.

On ne peux cependant pas faire grand chose dans ces milieux, même en y prenant pied dans une certaine mesure, si l’on ne possède pas une organisation anarchiste générale.

L’unique méthode menant à la solution du problème d’organisation générale est, à notre avis, le ralliement des militants actifs de l’anarchisme sur la base de positions précises : théoriques, tactiques et organisationnelles, c’est à dire sur base plus ou moins achevée d’un programme homogène.

L’élaboration d’un tel programme est l’une des tâches principales que la lutte sociale des dernières années impose aux anarchistes. C’est à cette tâche que le groupe d’anarchistes russes à l’étranger consacre une part importante de ses efforts.

La « Plate-forme d’organisation » publiée ci-dessous représente les grandes lignes, l’armature d’un tel programme. Elle doit servir de premier pas vers le ralliement des forces libertaires en une seule collectivité révolutionnaire active, capable d’agir : l’Union générale des Anarchistes.

Nous ne nous faisons pas d’illusions sur telle ou telle lacune de la présente Plate-forme. Sans aucun doute, en a-t-elle, comme du reste toute démarche pratique nouvelle d’une certaine importance. Il se peut que certaines positions essentielles y soient omises, ou que certaines autres y soient insuffisamment traitées, ou que d’autres encore y soient, au contraire, trop détaillées ou trop répétées. Tout cela est possible. Mais ce n’est pas le plus important. Ce qui importe, c’est de jeter les fondements d’une organisation générale. Et c’est ce but qui est atteint, à un degré nécessaire par la présente Plate-forme.

C’est à la collectivité entière — l’union des anarchistes — de l’élargir, de l’approfondir, plus tard d’en faire un programme définitif pour tout le mouvement anarchiste.

Sur un autre plan aussi, nous ne nous faisons pas d’illusions. Nous prévoyons que plusieurs représentants du soit-disant individualisme et de l’anarchisme chaotique nous attaqueront la bave aux lèvres, et nous accuseront d’avoir enfreint les principes anarchistes.

Nous savons cependant que les éléments individualistes et chaotiques comprennent sous le titre de « principes libertaires » et « je m’en foutisme », la négligence et l’absence de toute responsabilité, qui portèrent à notre mouvement des blessures presque inguérissables et contre lesquelles nous luttons avec toute notre énergie, toute notre passion. C’est pourquoi nous pouvons en toute tranquillité négliger les attaques venant de ce camp.

Nous fondons nos espoirs sur d’autres militants : sur ceux qui restés fidèles à l’anarchisme, ayant vécu et souffert la tragédie du mouvement anarchiste, cherchent douloureusement une issue.

Et puis nous fondons de grandes espérances sur la jeunesse libertaire qui, née sous le souffle de la révolution russe et prise, dès le début, dans le cercle des réalités concrètes exigera certainement la réalisation de principes organisationnels et constructifs de l’anarchisme.

Nous invitons toutes les organisations anarchistes russes dispersées dans les divers pays du monde et aussi les militants isolés de l’anarchisme à s’unir en une seule collectivité révolutionnaire, sur la base d’une Plate-forme commune d’organisation.

Puisse cette plateforme servir de mot d’ordre révolutionnaire et de point de ralliement à tous les militants du mouvement anarchiste russe !

Puisse-t-elle poser les fondements de l’Union Générale des Anarchistes !

VIVE LA RÉVOLUTION SOCIALE DES TRAVAILLEURS DU MONDE.

Groupe DIELO TROUDA

Paris, 20 juin 1926

Partie Générale

1. La lutte des classes, son rôle et son sens.

Il n’y a pas d’humanité UNE. Il y a une humanité des classes : esclaves et maîtres.

De même que toutes celles qui l’on précédée, la société capitaliste et bourgeoise de nos temps n’est pas une. Elle est divisée en deux camps très distincts, se différenciant socialement par leur situation et leur fonction : le prolétariat (dans le sens étendu du mot) et la bourgeoisie.

Le sort du prolétariat est, depuis des siècles, celui de porter le fardeau d’un labeur physique pénible, dont les fruits reviennent cependant, non pas à lui mais à une autre classe privilégiée, détentrice de la propriété, de l’autorité et des produits de la culture (science, instruction, etc..) : la bourgeoisie. L’asservissement social et l’exploitation des masses laborieuses forment la base sur laquelle repose la société moderne, sans laquelle cette société ne pourrait pas exister.

Ce fait engendra une lutte des classes séculaire, prenant tantôt un caractère ouvert et violent, tantôt une allure insensible et lente, mais dirigée toujours, quand au fond, vers la transformation de la société actuelle en une société qui répondrait aux besoins, aux nécessités et à la conception de la justice des travailleurs.

Toute l’histoire humaine représente dans le domaine social une chaîne ininterrompue de luttes que les masses laborieuses menèrent pour leurs droits, leur liberté et une vie meilleure. Cette lutte des classes fut toujours dans l’histoire des sociétés humaines le principal facteur qui détermina la forme et les structures de ces sociétés.

Le régime social et politique de tout pays est avant tout le produit de la lutte des classes. La structure donnée d’une société quelconque nous montre l’état où s’est arrêtée et où se trouve la lutte des classes. Le moindre changement dans la situation mutuelle des forces de classe en lutte produit incessamment des modifications dans les tissus et les structures de la société.

Telle est la portée générale, universelle et le sens de la lutte des classes dans la vie des sociétés de classes.

2. Nécessité d’une révolution sociale violente

Le principe d’asservissement des masses par la violence constitue la base de la société moderne. Toutes les manifestations de son existence — l’économie, la politique, les relations sociales — reposent sur la violence de classe dont les organes de service sont, l’autorité, la police, l’armée, le tribunal. Tout dans cette société chaque entreprise prise isolément, de même de tout le système d’état, n’est que le rempart du capitalisme où l’on a constamment l’oeil sur les travailleurs, où l’on tient toujours prêtes les forces destinées à réprimer les travailleurs menaçant les fondements ou même la tranquillité de la société actuelle.

En même temps, le système de cette société maintient délibérément les masses laborieuses dans un état d’ignorance et de stagnation mentale : il empêche par la force le relèvement de leur niveau moral et intellectuel, afin d’en avoir plus facilement raison.

Les progrès de la société moderne, l’évolution technique du capital et le perfectionnement de son système politique, fortifient la puissance des classes dominantes et rendent de plus en plus difficile la lutte contre elles, faisant, ainsi, reculer le moment décisif de l’émancipation du travail.

L’analyse de la société moderne nous amène à la conclusion qu’il n’y a que la voie de la révolution sociale violente pour transformer la société capitaliste en une société de travailleurs libres.

3. L’anarchisme et le communisme libertaire

La lutte des classes créée par l’esclavage des travailleurs et leurs aspirations à la liberté fit naître dans les milieux des opprimés l’idée de l’anarchisme : l’idée de la négation du système social fondé sur les principes de classes et de l’État, et de son remplacement par une société libre et non-étatiste des travailleurs s’administrant eux-mêmes.

L’Anarchisme naquit donc, non pas des réflexions abstraites d’un savant ou d’un philosophe, mais de la lutte directe menée par les travailleurs contre le capital, des besoins et des nécessités des travailleurs, de leurs applications vers la liberté et l’égalité, aspirations qui deviennent particulièrement vives aux meilleures époques héroïques de la vie et de la lutte des masses laborieuses.

Les penseurs éminents de l’anarchisme, Bakounine, Kropotkine et d’autres n’ont pas créé l’idée d’anarchisme mais, l’ayant trouvée dans les masses, ont simplement aidé par la puissance de leur pensée et de leurs connaissances, à la préciser et à la répandre.

L’anarchisme n’est pas le résultat d’oeuvres personnelles ni l’objet de recherches individuelles.

De la même façon, l’anarchisme n’est nullement le produit d’aspirations humanitaires. L’humanité « une » n’existe pas. Toute tentative de faire de l’anarchisme l’attribut de toute l’humanité telle qu’elle est actuellement, de lui attribuer un caractère généralement humanitaire, serait un mensonge historique et social qui aboutirait infailliblement à la justification de l’ordre actuel et d’une nouvelle exploitation.

L’anarchisme est généralement humanitaire uniquement dans le sens que les idéaux des classes laborieuses tendent à rendre saines la vie de tous les hommes, et que le sort de l’humanité d’aujourd’hui ou de demain est lié à celui du travail asservi. Si les masses laborieuses sont victorieuses, l’humanité toute entière renaîtra. Si elles ne vainquent pas, la violence, l’exploitation, l’esclavage, l’oppression régneront comme auparavant dans le monde...

La naissance, l’épanouissement la réalisation des idéaux anarchistes ont leurs racines dans la vie et la lutte des masses laborieuses et sont inséparablement liés au sort de ces dernières.

L’anarchisme aspire à transformer la société bourgeoise et capitaliste en une société qui assurerait aux travailleurs les produits de leurs travail, la liberté, l’indépendance, l’égalité sociale et politique. Cette autre société sera le communisme libertaire. C’est dans le communisme libertaire que trouvent leur pleine expansion la solidarité sociale et la libre individualité, et que ces deux idées se développent en parfaite harmonie.

Le communisme libertaire estime que l’unique créateur des valeurs sociales est le travail, physique et intellectuel, et pas conséquent que seul le travail a le droit de gérer toute la vie économique et sociale. C’est pourquoi il ne justifie ni n’admet en aucune mesure l’existence des classes non laborieuses.

Tant que ces classes subsisteront en même temps que le communisme libertaire, ce dernier ne reconnaîtra pas de devoir envers elles. Ce ne sera que lorsque les classes non laborieuses se décideront à devenir productives et voudrons vivre dans la société communiste aux même conditions que tous les autres qu’elles y prendront une place analogue à celles de tout le monde, c’est-à-dire celle des membres libres de la société jouissant des même devoirs que tous les autres membres laborieux.

Le communisme libertaire aspire à la suppression de toute exploitation et de toute violence, aussi bien contre l’individu que contre les masses. Dans ce but, il établit une base économique et sociale qui unifie en un ensemble harmonieux toute la vie économique et sociale du pays, assure à tout individu une situation égale à celle des autres, et apporte à chacun le maximum de bien-être. Cette base est la mise en commun sous forme de socialisation, de tous les moyens et instruments de production (industrie, transports, terre, matières premières, ...) et l’édification d’organismes économiques sur le principe de l’égalité d’auto-administration des classes laborieuses.

Dans les limites de cette société autogérée des travailleurs, le communisme libertaire établit le principe d’égalité de la valeur et des droits de tout individu (non pas de l’individualité « en général », ni non plus de « l’individualité mystique ou du concept de l’individualité, mais de l’individu concret).

C’est de ce principe d’égalité, et aussi de ce que la valeur du travail fourni par chaque individu ne peut être mesurée ni estimée que découle le principe fondamental économique, social et juridique du communisme libertaire : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ».

4. La négation de la démocratie

La démocratie est une des formes de la société capitaliste et bourgeoise.

La base de la démocratie est le maintien de deux classes antagonistes de la société moderne : celle du travail et celle du capital, et leur collaboration sur le fondement de la propriété capitaliste privée. L’expression de cette collaboration est le parlement et le gouvernement national représentatif.

Formellement, la démocratie proclame la liberté de la parole, de la presse, des associations, tant qu’elles ne contestent pas les intérêts de la classe dominante, c’est-à-dire, la bourgeoisie.

La démocratie maintient intact le principe de la propriété capitaliste privée. Par là-même, elle laisse à la bourgeoisie le droit de tenir entre ses mains toute l’économie du pays, toute la presse, l’enseignement, la science, l’art, ce qui en fait, rend la bourgeoisie maîtresse absolue du pays. Ayant le monopole dans le domaine de la vie économique, la bourgeoisie peut établir son pouvoir illimité aussi dans le domaine politique. En effet le gouvernement représentatif, le parlement, ne sont, dans les démocraties, que des organes exécutifs de la bourgeoisie.

Par conséquent, la démocratie n’est que l’un des aspects de la dictature bourgeoise, voilée sous des formules trompeuses de libertés politiques et de garanties fictives.

5. La négation de l’autorité

Les idéologues de la bourgeoisie définissent l’État comme l’organe régularisant les relations complexes politiques civiles et sociales entre les hommes au sein de la société moderne, protégeant l’ordre et les lois de cette dernière. Les anarchistes sont parfaitement d’accord avec cette définition, mais ils la complètent en affirmant qu’à la base de cet ordre et de ces lois se trouve l’asservissement de l’énorme majorité du peuple par une minorité insignifiante, et que c’est à cela précisément que sert l’État.

L’État est, simultanément, la violence organisée de la bourgeoisie envers les travailleurs et le système de ses organes exécutifs.

Les socialistes de gauche et, en particulier, les bolcheviks considèrent eux aussi l’autorité et l’État bourgeois comme des serviteurs du capital. Mais ils estiment que l’autorité et l’État peuvent devenir, entre les mains de partis socialistes, un moyen puissant dans la lutte pour l’émancipation du prolétariat. Pour cette raison ces partis sont pour une autorité socialiste et un État prolétarien. Les uns veulent la conquête du pouvoir par des moyens pacifiques, parlementaires (les sociaux démocrates) ; les autres par la voie révolutionnaire (les bolcheviks, les socialistes, révolutionnaires de gauche).

L’anarchisme considère ces deux thèses comme foncièrement erronées, néfastes pour l’oeuvre d’émancipation du travail.

L’autorité est toujours liée à l’exploitation et à l’asservissement des masses populaires. Elle naît de cette exploitation, où elle est créée dans les intérêts de cette dernière. L’autorité sans violence et sans exploitation perd toute raison d’être.

L’État et l’Autorité enlèvent aux masses l’initiative, tuent l’esprit de création et d’activités libres, cultivent en elles la psychologie servile de soumission, d’attente, d’espoir de gravir les échelons sociaux, de confiance aveugle et des guildes, l’illusion de partager l’Autorité. Or l’émancipation des travailleurs n’est possible que dans le processus de la lutte révolutionnaire directe des vastes masses laborieuses et de leurs organisations de classes contre le système capitaliste.

La conquête du pouvoir par les partis sociaux-démocrates, par les moyens parlementaires, dans les conditions de l’ordre actuel, ne fera pas avancer un seul pas l’oeuvre d’émancipation du travail, pour la simple raison que la bourgeoisie qui tiendra dans les mains toute l’économie et toute la politique du pays. Le rôle de l’autorité socialiste se réduira, dans ce cas aux réformes, à l’amélioration de ce même régime bourgeois. (Exemples : Mac Donald, les partis sociaux démocrates de l’Allemagne, de la Suède, de la Belgique, parvenus au pouvoir dans la société capitaliste).

La prise de pouvoir à l’aide d’un bouleversement social et de l’organisation d’un soi-disant « État prolétarien » ne peut pas d’avantage servir la cause de l’authentique émancipation du travail.

L’État construit tout d’abord soit-disant pour la défense de la révolution, finit infailliblement par être gonflé des besoins et des caractéristiques propres à lui seul, devenant lui-même le but, produit des castes spécifiques privilégiées sur lesquelles il s’appuie : il soumet les masses par la force à ses besoins et à ceux des castes privilégiées et rétablit par conséquent le fondement de l’autorité et de l’État capitalistes : l’asservissement et l’exploitation habituelles des masses par la violence (exemple : l’ « état ouvrier et paysan » des bolcheviks).

6. Le rôle des masses et le rôle des anarchistes dans la lutte sociale et dans la révolution sociale.

Les forces principales de la révolution sociale sont la classe ouvrière des villes, les masses paysannes et une partie de l’intelligentsia laborieuse.

Remarque : tout en étant, de même que le prolétariat des villes et des campagnes une classe opprimée et exploitée, l’intelligentsia laborieuse est relativement plus désunie que les ouvrier et les paysans grâce aux privilèges économiques octroyés par la bourgeoisie à certains de ses éléments. C’est pourquoi, les premiers jours de la révolution sociale, les couches les moins aisées de l’intelligentsia seulement y prendront une part active.

La conception anarchiste de rôle des masses dans la révolution sociale et dans la construction du socialisme diffère d’une façon typique de celle des partis étatistes. Tandis que le bolchevisme et les courants qui lui sont apparentés estiment que la masse laborieuse ne possède que des instincts révolutionnaires destructifs, étant incapable d’une activité révolutionnaire créatrice et constructive — raison principale pour laquelle cette dernière doit se concentrer entre les mains de hommes formant le gouvernement de l’État ou le Comité Central du Parti — les anarchistes pensent au contraire que la masse laborieuse porte en elle d’énormes possibilités créatrices et constructives, et ils aspirent à supprimer les obstacles empêchant leur manifestation.

Les anarchistes considèrent l’État précisément comme obstacle principal, usurpant les droits des masses et leur enlevant toutes les fonctions de la vie économique et sociale. L’État doit périr, non pas d’un jour dans la société future, mais tout suite. Il doit être détruit par les travailleurs le premier jour de leur victoire, et ne doit pas être rétabli sous quelque forme que ce soit. Il sera remplacé par un système fédéraliste des organisations de production et de consommation des travailleurs unifiées fédéralement et s’auto-administrant. Ce système exclut aussi bien l’organisation de l’Autorité que la dictature d’un parti que qu’il soit.

La révolution russe montre précisément cette orientation du processus d’émancipation sociale dans la création du système des soviets des ouvriers et des paysans et des comités d’usines. Sa triste erreur fut de ne pas avoir liquidé en temps opportun l’organisation du pouvoir d’État du gouvernement provisoire d’abord, du pouvoir bolchevik ensuite. Les bolcheviks mettant à profit la confiance des ouvriers et des paysans, réorganisèrent l’État bourgeois conformément aux circonstances du moment et tuèrent ensuite à l’aide de cet État l’activité créatrice des masses en étouffant le régime libre des soviets et des comités d’usines qui représentaient les premiers pas vers l’édification d’une société non-étatiques, socialiste.

L’action des anarchistes peut être divisée en deux périodes : celle d’avant la révolution, et celle pendant la révolution. Dans l’un et dans l’autre cas, les anarchistes ne pourront remplir leur rôle seulement en tant que force organisée ayant une conception nette des objectifs de leur lutte et des voies menant vers la réalisation de ces objectifs.

La tâche fondamentale de l’Union Anarchiste Générale, en période révolutionnaire, doit être la préparation des ouvriers et des paysans à la révolution sociale.

En niant la démocratie formelle (bourgeoise), l’Autorité de l’État, en proclamant l’émancipation complète du travail, l’anarchisme accentue au maximum les principes rigoureux de la lutte des classes : il éveille et développe dans les masses la conscience de classe et l’intransigeance révolutionnaire de classe.

C’est précisément dans le sens de l’intransigeance de classe, de l’anti-démocratisme, des idéaux du communisme anarchiste, que l’éducation libertaire des masses doit se faire. Mais l’éducation seule ne suffit pas. Ce qui est nécessaire aussi, c’est une certaine organisation anarchiste des masses. Pour la réaliser, il faut oeuvrer dans deux sens : d’une part, dans celui de la sélection et du groupement des forces révolutionnaires ouvrières et paysannes sur une base théorique communiste libertaire (organisations spécifiques communistes libertaires) ; d’autre part, dans le sens du regroupement des ouvriers et paysans révolutionnaires sur une base économique de production et de consommation (organisation de production des ouvriers et paysans révolutionnaires, coopératives ouvrières et paysannes libres, etc...).

La classe ouvrière et paysanne, organisée sur une base de production et de consommation et pénétrée des positions de l’anarchisme révolutionnaire, sera le premier point d’appui de la révolution sociale. Plus ces milieux deviendront conscients et organisés d’une façon anarchiste, dès à présent, plus ils manifesteront une volonté d’intransigeance et de création libertaires au moment de la révolution.

Quant à la classe ouvrière en Russie, il est clair qu’après huit ans de dictature bolcheviste, qui enchaîne les besoins naturels des masses, l’activité libre, démontre, mieux que quiconque, la véritable nature de tout pouvoir ; cette classe recèle en elle des possibilités énormes pour la formation d’un mouvement anarchiste de masse. Les militants anarchistes organisés doivent aller immédiatement, avec toutes leurs forces disponibles, à la rencontre de ces besoins et possibilités, afin de ne pas leur permettre de dégénérer en réformisme (menchevisme). Avec la même urgence, les anarchistes doivent s’appliquer de toutes leurs forces à organiser la paysannerie pauvre, écrasée par le pouvoir étatique, recherchant une issue et recelant des possibilités révolutionnaires énormes en elle.

Le rôle des anarchistes en période révolutionnaire ne peut se borner à la seule propagande de mots d’ordre et des idées libertaires.

La vie apparaît comme l’arène non seulement de la propagande de telle ou telle conception, mais aussi au même degré comme l’arène de la lutte, de la stratégie et des aspirations de ces conceptions à la direction de la vie sociale et économique.

Plus que toute autre conception, l’anarchisme doit devenir la conception directrice de la révolution sociale car ce ne sera que sur la base théorique de l’anarchisme que la révolution sociale pourra aboutir à l’émancipation complète du travail.

La position directrice des idées anarchistes dans la révolution signifie une orientation anarchiste des événements. Il ne faut pas confondre, toutefois, cette force théorique motrice avec la direction politique des partis étatistes qui aboutit finalement au Pouvoir d’État.

L’anarchisme n’aspire ni à la conquête du pouvoir politique, ni à la dictature. Son aspiration principale est d’aider les masses à prendre la voie authentique de la révolution sociale et de la construction socialiste. Mais il ne suffit pas que les masses prennent la voie de la révolution sociale. Il est nécessaire aussi de maintenir cette orientation de la révolution et de ces objectifs : la suppression de la société capitaliste, au nom de celle des travailleurs libres. Comme l’expérience de la révolution russe de 1917 nous l’a montré, cette dernière tâche est loin d’être facile, à cause surtout des nombreux partis qui cherchent à orienter le mouvement dans une direction opposée à la révolution sociale.

Bien que les masses s’expriment profondément dans les mouvements sociaux par des tendances et des mots d’ordre anarchistes, ces tendances et mots d’ordres restent cependant éparpillés, n’étant pas coordonnés, et par conséquent n’amènent pas à organiser la puissance motrice des idées libertaires qui est nécessaire pour garder dans la révolution sociale l’orientation et les objectifs anarchistes. Cette force théorique motrice ne peut s’exprimer que par un collectif spécialement créé par les masses à cet effet. Les éléments anarchistes organisés constituent précisément ce collectif. Les devoirs théoriques et pratiques de ce collectif, au moment de la révolution sont considérables.

Il doit manifester son initiative et déployer une participation totale dans tous les domaine de la révolution sociale : celui de l’orientation et du caractère général de la révolution, celui des tâches positives de la révolution dans la nouvelle production, celui de la guerre civile et de la défense de la révolution, de la consommation, de la question agraire, etc...

Sur toutes ces questions et sur nombres d’autres, la masse exige des anarchistes une réponse claire et précise. Et du moment que les anarchistes prônent une conception de la révolution et de la structure de la société, ils sont obligés de donner à toutes ces questions une réponse nette, de relier la solution de ces problèmes à la conception générale du communisme libertaire et de consacrer toutes leurs forces à leur réalisation effective.

Dans ce cas seulement, l’Union Anarchiste Générale et le mouvement anarchiste assurent complètement leur fonction théorique motrice dans la révolution sociale.

7. La période transitoire

Les partis politiques socialistes entendent par l’expression « période de transition », une phase déterminée dans la vie d’un peuple, dont les traits caractéristique sont : la rupture avec l’ancien ordre des choses et l’instauration d’un nouveau système économique et politique, système qui, toutefois, ne représente pas encore l’émancipation complète des travailleurs.

Dans ce sens, tous les programmes minimum des partis politiques socialistes, par exemple le programme démocratique des socialistes opportunistes où le programme de la « dictature du prolétariat » des communistes, sont des programmes de la période transitoire.

Le trait essentiel de ces programmes-minimum est que, tous, ils estiment impossible, pour le moment, la réalisation complètes des idéaux des travailleurs : leur indépendance, leur liberté, leur égalité, et par conséquent, conservent toute une série d’institutions du système capitaliste : le principe de la contrainte étatiste, la propriété privée des moyens et instruments de production, le salariat, et plusieurs autres, selon les buts auxquels tel ou tel autre programme des partis se réfère.

Les anarchistes ont toujours été les adversaires de principe des programmes semblables, estimant que la construction de systèmes transitoires qui maintiennent les principes d’exploitation et de contrainte des masses mène inévitablement à une nouvelle croissance de l’esclavage.

Au lieu d’établir des programmes-minimum politiques, les anarchistes ont toujours défendu l’idée de la révolution sociale immédiate qui priverait la classe capitaliste des privilèges économiques et politiques et remettrait les moyens et instruments de production, ainsi que toutes les fonctions de la vie économique et sociale dans les mains des travailleurs.

Cette position, les anarchistes la gardent jusqu’à présent.

L’idée de la période transitoire, selon laquelle la révolution sociale doit aboutir, non pas à la société communiste, mais à un système X, conservant les éléments et les survivances du vieux système capitaliste est antisociale par essence. Elle menace de faire aboutir au renforcement et au développement de ces éléments jusqu’à leurs dimensions d’autrefois, et fait rétrograder les événements.

Un exemple éclatant en est le régime de la « dictature du prolétariat » établi par les bolcheviks en Russie.

Selon eux, ce régime ne devait être qu’une étape transitoire vers le communisme total. en réalité, cette étape a abouti de fait à la restauration de la société de classes, au fond de laquelle se trouvent, comme auparavant, les ouvriers et les paysans pauvres.

Le centre de gravité dans la construction de la société communiste ne consiste pas en la possibilité d’assurer à chaque individu dès le premier jour de la révolution la liberté illimitée de pouvoir satisfaire ses besoins, mais s’affirme dans le fait de conquérir la base sociale de cette société et d’établir les principes de rapports égalitaires entre les individus. Quand à la question d’une abondance de biens plus ou moins grande, elle ne se situe pas au niveau du principe mais se pose comme un problème technique.

Le principe fondamental sur lequel sera érigé la société nouvelle, principe sur lequel reposera, pour ainsi dire, cette société et qui ne devra être restreint en aucune mesure, est celui de l’égalité des rapports, de la liberté et de l’indépendance des travailleurs. Or, ce principe représente justement l’exigence première fondamentale des masses au nom de laquelle elles se soulèveront seulement pour la révolution sociale.

De deux choses l’une : ou bien la révolution sociale se terminera par la défaite des travailleurs, et dans ce cas : il faudra recommencer à se préparer à la lutte, à une nouvelle offensive contre le système capitaliste ; ou bien elle amènera une victoire des travailleurs et dans ce cas, ces derniers s’étant emparés des moyens leur permettant de s’auto-administrer — de la terre, de la production et des fonctions sociales — entameront la construction de la société libre.

C’est ce qui caractérisera le début de l’édification de la société communiste qui, une fois commencée, suivra alors sans interruption le cours de son développement, en se fortifiant et en se perfectionnant sans cesse.

De cette façon, la prise en main des fonctions productives et sociales pour les travailleurs tracera une ligne de démarcation nette entre l’époque étatiste et celle du non-étatisme.

S’il veut devenir le porte-parole des masses en lutte, le drapeau de toute une époque sociale révolutionnaire, l’anarchisme ne doit pas assimiler son programme aux survivances du monde périmé, aux tendances opportunistes des systèmes et périodes de transition, ni cacher ses principes fondamentaux, mais , au contraire, les développer et les appliquer au maximum.

8. Anarchisme et syndicalisme

Nous considérons comme artificielle, privée de tout fondement et de tout sens, la tendance d’opposer le communisme libertaire au syndicalisme et vice-versa.

Les notions de l’anarchisme et du syndicaliste appartiennent à deux plans différents. Tandis que le communisme, c’est-à-dire, la société libre des travailleurs égaux, est le but de la lutte anarchiste, le syndicalisme, c’est-à-dire le mouvement ouvrier révolutionnaire par profession, n’est que l’une des formes de la lutte révolutionnaire de classe. En unissant les ouvriers sur la base de la production, le syndicalisme révolutionnaire, comme du reste tout groupement professionnel, n’a pas de théorie déterminée ; il n’a pas une conception du monde répondant à toutes les questions compliquées sociales et politiques de la réalité contemporaine. Il reflète toujours l’idéologie de divers groupements politique, de ceux notamment qui oeuvrent le plus intensément dans ses rangs.

Notre attitude vis-à-vis du syndicalisme révolutionnaire découle de ce qui vient d’être dit. Sans nous préoccuper ici de résoudre à l’avance la question du rôle des syndicats révolutionnaires au lendemain de la révolution, c’est à dire de savoir s’ils seront les organisateurs de toute production nouvelle, ou s’il céderont ce rôle aux soviets ouvriers, ou encore aux comités d’usine, nous estimons que les anarchistes doivent participer au syndicalisme révolutionnaire comme l’une des formes du mouvement ouvrier révolutionnaire.

Cependant, la question telle qu’elle se pose aujourd’hui n’est pas de savoir si les anarchistes doivent ou non participer au syndicalisme révolutionnaire mais plutôt comment et dans quel but ils doivent y prendre part.

Nous considérons toute la période précédente, jusqu’à nos jours, lorsque les anarchistes entraient dans le mouvement syndicaliste révolutionnaire en qualité de militants et de propagandistes individuels — comme une période de relations artisanales vis-à-vis du mouvement ouvrier professionnel.

L’anarcho-syndicalisme, cherchant à introduire avec force les idées libertaires dans l’aile gauche du syndicalisme révolutionnaire, au moyen de la création de syndicats de type anarchiste, représente, sous ce rapport, un pas en avant ; mais il ne dépasse pas encore tout à fait la méthode empirique. Car l’anarcho-syndicalisme ne lie pas obligatoirement l’oeuvre d’« anarchisation » du mouvement syndicaliste avec celle de l’organisation des forces anarchistes en dehors de ce mouvement. Or, ce n’est qu’à la condition d’une telle liaison qu’il est possible « d’anarchiser » le syndicalisme révolutionnaire et de l’empêcher de dévier vers l’opportunisme et le réformisme.

Considérant le syndicalisme révolutionnaire uniquement comme un mouvement professionnel des travailleurs n’ayant pas une théorie sociale et politique déterminée, et par conséquent, étant impuissant à résoudre par lui-même la question sociale, nous estimons que la tâche des anarchistes dans les rangs de ce mouvement consiste à y développer les idées libertaires, à l’orienter dans un sens libertaire, afin de le transformer en une armée active de la révolution sociale. Il importe de ne jamais oublier que le syndicalisme ne trouve pas l’appui en temps opportun de la théorie anarchiste, il s’appuie alors, bon gré mal gré, sur l’idéologie d’un parti politique étatique quelconque.

Le syndicalisme français, qui a brillé jadis de mots d’ordre et de tactiques anarchistes, est tombé ensuite sous l’influence des bolcheviks d’une part , et surtout d’autre part des socialistes opportunistes de droite, en est un exemple frappant.

Mais la tâche des anarchistes dans les rangs du mouvement ouvrier révolutionnaire ne pourra être rempli qu’à condition que leur oeuvre y soit étroitement liée et conciliée avec l’activité de l’organisation anarchiste se trouvant en dehors du syndicat. Autrement dit, nous devons entrer dans le mouvement professionnel révolutionnaire comme une force organisée, responsable du travail accompli dans les syndicats devant l’organisation anarchiste générale, et orienté par cette dernière.

Sans nous borner à la création de syndicats anarchistes, nous devons chercher à exercer notre influence théorique sur le syndicalisme révolutionnaire tout entier, et dans toutes ses formes (les IWW, les Unions Professionnelles russes, etc...). Ce but, nous ne pourrons l’atteindre autrement qu’en nous mettant à l’oeuvre en tant que collectif anarchiste rigoureusement organisé, mais en aucun cas en petits groupes empiriques, n’ayant entre eux ni liaison organisationnelle, ni convergence théorique.

Des groupements anarchistes dans les entreprises et les usines, préoccupés par la création de syndicats anarchistes, menant la lutte dans les syndicats révolutionnaires pour la prépondérance des idées libertaires dans le syndicalisme, groupements orienté dans leur action par une organisation anarchiste générale : tels sont le sens et les formes de l’attitude des anarchistes vis-à-vis du syndicalisme révolutionnaire qui s’y rattachent.

Partie Constructive

1. Le problème du premier jour de la révolution sociale

Le but fondamental du monde du travail en lutte est la fondation, au moyen de la révolution, d’une société communiste libre, égalitaire, fondée sur le principe : « De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins ».

Cependant, cette société ne se réalisera pas d’elle même, uniquement par la force du bouleversement social. Sa réalisation se présentera comme un processus social-révolutionnaire plus ou moins prolongé, orienté par les forces organisées du travail victorieux sur une voie déterminée.

Notre tâche est d’indiquer d’ores et déjà cette voie, de formuler les problèmes positifs et concrets qui se poseront aux travailleurs dès le premier jour de la révolution sociale. Le sort même de cette dernière dépendra de leur juste solution.

Il va de soi que la construction de la nouvelle société ne sera possible qu’après la victoire des travailleurs sur le système actuel capitaliste et bourgeois et sur ses représentants. Il est impossible de commencer la construction d’une nouvelle économie et de nouveaux rapport sociaux tant que la puissance de l’État défendant le régime d’esclavage n’a pas été brisée, tant que les ouvriers et paysans n’auront pas pris entre leurs mains, dans le régime révolutionnaire, l’économie industrielle et agraire du pays.

Par conséquent, la toute première tâche de la révolution sociale est de détruire l’édifice étatiste de la société capitaliste, de priver la bourgeoisie et, en général, tous les éléments socialement privilégiés, des moyens du pouvoir, et d’établir partout la volonté du prolétariat révolté, exprimée dans les principes fondamentaux de la révolution sociale. Cet aspect destructif et combatif de la révolution ne fera que déblayer la route en vue des tâches positives formant le sens et l’essence de la révolution sociale.

Les tâches sont les suivantes :

  1. La solution, dans le sens communiste libertaire, du problème de la production industrielle du pays.

  2. La solution dans le même sens, du problème agraire.

  3. La solution du problème de la consommation (l’approvisionnement).

2. La production

Tenant compte du fait que l’industrie du pays est le résultat des effort de plusieurs générations de travailleurs, et que les diverses branches de l’industrie sont étroitement liées entre elles, nous considérons toute la production actuelle comme un seul atelier de producteurs, appartenant à tous les travailleurs dans leur ensemble, et à personne en particulier.

Le mécanisme productif du pays est global et il appartient à toute la classe ouvrière. Cette thèse détermine le caractère et la forme de la production nouvelle. Elle sera aussi globale, commune dans le sens que les produits réalisés par les travailleurs appartiendront à tous. Ces produits, de quelque catégorie qu’ils soient, constitueront le fond général d’approvisionnement des travailleurs, où tout participant à la nouvelle production recevra tout ce dont il a besoin, sur une base égale pour tous.

Le nouveau système de production supprimera totalement le salariat et l’exploitation sous toutes leurs formes, et établira à leur place le principe de collaboration fraternelle et solidaire des travailleurs.

La classe moyenne qui, dans la société capitaliste moderne, exerce des fonctions intermédiaires et improductives — le commerce et autres — de même que la bourgeoisie, devront prendre part à la nouvelle production, dans les mêmes conditions que tous les autres travailleurs. Dans le cas contraire, ces classes se mettront elles-mêmes hors de la société laborieuse.

Il n’y aura pas de patrons, que ce soit l’entrepreneur, le propriétaire ou l’État-propriétaire (comme c’est le cas aujourd’hui dans l’État des bolcheviks). Les fonctions organisatrices passeront, dans la nouvelle production à des organes administratifs créés spécialement à cet effet par les masses ouvrières : soviets ouvriers, comités d’usine ou administration ouvrières des entreprises et des usines. Ces organes, reliés entre eux sur le plan d’une commune, d’un district, et ensuite de tout le pays, formeront des institutions de communes, de districts, et enfin générales et fédérales de gestion de la production. Désignés par la masse et se trouvant constamment sous son contrôle et son influence, tout ces organes seront constamment renouvelés et réaliseront ainsi l’idée de l’autogestion authentique des masses.

La production unifiée, dont les moyens et les produits appartiennent à tous, ayant remplacé le salariat par le principe de la collaboration fraternelle et ayant établit l’égalité des droits pour tous les producteurs la production menée par des organes de gestion ouvrière, élus par les masses ; tel est le premier pas pratiqué sur la voie de la réalisation du communisme libertaire.

3. La consommation

Ce problème surgira dans la révolution sous un double aspect :

  1. le principe de la recherche des produits de consommation

  2. le principe de leur répartition

En ce qui concerne la répartition des produits de la consommation, les solutions dépendront surtout de la quantité des produits disponibles, du principe de la conformité au but, etc...

La révolution sociale, se chargeant de la reconstruction de tout l’ordre social actuel, prend sur elle même l’obligation de s’occuper des besoins vitaux de tous. La seule exception est le groupe des non-travailleurs — ceux qui refusent de prendre part à la nouvelle production pour des motifs d’ordre contre-révolutionnaire. Mais, en général, et à l’exception de cette dernière catégorie de gens, la satisfaction des besoins de toute la population du territoire de la révolution sociale est assurée par la réserve de consommation générale. Dans le cas où la quantité de produits est insuffisante, elle est répartie selon le principe de la plus grande urgence : c’est à dire en premier lieux aux enfants, aux malades et aux familles ouvrières.

Un problème beaucoup plus difficile sera celui de l’organisation du fonds de consommation même.

Sans aucun doute, aux premiers jours de la révolution, les villes ne disposeront pas de tous les produits indispensables à la vie de toute la population. En même temps, les paysans auront en abondance les produits dont les villes manqueront.

Les communistes libertaires ne peuvent avoir aucun doute sur le caractère mutuel des relations entre la ville et la campagne laborieuse. Ils estiment que la révolution sociale ne peut être réalisée autrement que par les efforts communs des ouvriers et des paysans. Par conséquent, la solution du problème de la consommation dans la révolution sociale ne sera possible qu’au moyen d’une collaboration révolutionnaire étroite de ses deux catégories de travailleurs.

Pour établir cette collaboration, la classe ouvrière des villes, ayant pris la production entre ses mains, devra immédiatement songer aux besoins vitaux de la campagne et tâcher de fournir les produits de la consommation de tous les jours, les moyens et les instruments pour la culture agricole collective. Les mesures de solidarité manifestées par les ouvriers à l’égard des besoins des paysans provoqueront le même geste chez ceux-ci qui, en retour, fourniront collectivement aux villes les produits du travail rural, dont en premier lieu ceux d’alimentation.

Des coopératives ouvrières et paysannes seront les premiers organes assurant les besoins d’alimentation et d’approvisionnements économiques des villes et des campagnes. Chargées plus tard de fonctions plus importantes et plus constantes, notamment de fournir tout ce qui est nécessaire pour assurer et développer la vie économique et sociale des ouvriers et paysans, ces coopératives seront par cela même transformées en organes permanents d’approvisionnement des villes et de la campagne.

Cette solution du problème d’approvisionnement permanent permettra au prolétariat de créer un fonds d’approvisionnement permanent, ce qui se répercutera d’une façon favorable et décisive sur le sort de toute la nouvelle production.

4. La terre

Nous considérons comme principales forces révolutionnaires et créatrices dans la solution de la question agraire les paysans travailleurs — ceux qui n’exploitent pas le labeur d’autrui — et le prolétariat salarié de la campagne . Leur tâche sera d’accomplir le nouveau remaniement des terres, afin d’établir l’utilisation et l’exploitation de la terre sur des principes communistes.

De même que l’industrie, la terre, exploitée et cultivée par des générations successives de travailleurs, est le produit de leurs efforts communs. Elle appartient aussi à tout le peuple laborieux dans son ensemble et à personne en particulier. En tant que propriété commune et inaliénable des travailleurs, la terre ne peut pas être, non plus, l’objet d’achat ou de vente, ni de fermage ; elle ne peut donc servir de moyen d’exploitation d’autrui.

La terre est aussi une sorte d’atelier populaire commun où le monde des travailleurs produit des moyens de vivre. Mais c’est un genre d’atelier où chaque travailleur (paysan) a pris l’habitude, grâce à certaines conditions historiques, d’accomplir son travail lui-même, de le réaliser indépendamment des autres producteurs. Tandis que dans l’industrie, la méthode collective du travail est essentiellement nécessaire et la seule possible, dans l’agriculture, elle n’est pas la seule à notre époque. La plupart des paysans cultivent la terre par leurs propres moyens.

Par conséquent, lorsque les terres et les moyens de leur exploitation passeront aux paysans, sans possibilité de vente ni de fermage, la question des formes de leur usufruit et des moyens de leur exploitation (communalement ou en famille) n’aura pas tout de suite une solution complète et définitive, ainsi qu’il en sera dans le domaine de l’industrie. Les premiers temps on aura recours, très probablement, à l’un et à l’autre de ces moyens.

Ce seront les paysans révolutionnaires qui établiront eux-mêmes la forme définitive de l’exploitation et de l’usufruit de la terre. Aucune pression du dehors n’est possible dans cette question.

Toutefois, puisque nous estimons que seule la société communiste au nom de laquelle sera, du reste, faite la révolution sociale, délivre les travailleurs de leur situation d’esclaves et d’exploités, et leur donne une liberté complète et l’égalité ; puisque les paysans constituent la majorité écrasante de la population (environ 85% en Russie) et que, par conséquent, le régime agraire établi par les paysans sera le facteur décisif dans les destinées de la révolution, puisqu’enfin l’économie privée dans l’agriculture amène de même que l’industrie privée, le commerce, l’accumulation, la propriété privée et la restauration du capital, notre devoir sera de faire, dès à présent, tout le nécessaire, afin de faciliter la solution de la question agraire dans un sens collectif.

Dans ce but nous devons dès maintenant, mener parmi les paysans une forte propagande en faveur de l’économie agraire collective.

La fondation d’une Union Paysanne spécifique de tendance libertaire facilitera considérablement cette tâche.

Dans ce sens, le progrès technique va avoir une importance énorme, facilitant l’évolution de l’agriculture, et aussi la réalisation du communisme dans les villes, surtout dans l’industrie. Si, dans leurs rapports avec les paysans, les ouvriers vont agir, non pas individuellement ou par groupes séparés, mais en tant que collectif communiste immense, embrassant des branches entières de l’industrie ; s’ils songent au surplus aux besoins vitaux de la campagne et s’il fournissent à chaque village en même temps que des objets d’usage quotidien des outils et machines pour l’exploitation collective de la terre, cela donnera certainement aux paysans une impulsion vers le communisme dans l’agriculture.

5. La défense de la révolution

La question de la défense de la révolution se rapporte aussi au problème du « premier jour ». Au fond, le moyen le plus puissant de la défense de la révolution est la solution heureuse de ses problèmes positifs : celui de la production, de la consommation et de la terre. Une fois ces problèmes résolus d’une façon juste, aucune force contre-révolutionnaire ne pourra faire changer ou vaciller le régime libre des travailleurs. Néanmoins, les travailleurs auront à subir, malgré tout, une lutte sévère contre les ennemis de la révolution, afin de défendre et de maintenir son existence concrète.

La révolution sociale, qui menace les privilèges et l’existence même des classes non-travailleuses de la société actuelle, provoquera inéluctablement, de la part de ces classes, une résistance désespérée qui prendra l’allure d’une guerre civile acharnée.

Comme l’expérience russe l’a démontré, une telle guerre civile sera l’affaire, non pas de quelques mois, mais de plusieurs années.

Aussi heureux que soient les premiers pas des travailleurs au début de la révolution, les classes dominantes conserveront néanmoins longtemps encore une énorme capacité de résistance. Pendant plusieurs années, elle déclencheront des offensives contre la révolution, essayant de reconquérir le pouvoir et les privilèges dont elles furent privées.

Une armée nombreuse, la technique et la stratégie militaire, — le capital — tout sera lancé contre les travailleurs victorieux.

Afin de conserver les conquêtes de la révolution, ces derniers devront créer des organes de défense de la révolution, afin d’opposer à l’offensive de la réaction une force combattante, correspondant à la hauteur de la tâche. Les premiers jours de la révolution, cette force combattante sera formée par tous les ouvriers et paysans armés. Mais, cette force armée spontanée ne sera valable que les premiers jours lorsque la guerre civile n’aura pas encore atteint son point culminant et que les deux parties en lutte n’auront pas encore créé des organisations militaires régulièrement constituées.

Dans la révolution sociale, le moment le plus critique est, non pas celui de la suppression de l’autorité, mais celui qui suit, c’est-à-dire celui où les forces du régime abattu déclenchent une offensive générale contre les travailleurs et où il s’agit de sauvegarder les conquêtes atteintes.

Le caractère de cette même offensive, ainsi que la technique et le développement de la guerre civile, obligeront les travailleurs à créer des contingents révolutionnaires militaires déterminées. L’essence et les principes fondamentaux de ces formations doivent être déterminés à l’avance. En niant les méthodes étatistes et autoritaires de gouvernement des masses, nous nions par cela le moyen étatiste d’organiser la force militaire des travailleurs, autrement dit, le principe d’une armée étatiste fondée sur le service militaire obligatoire. C’est le principe du volontariat, en accord avec les positions fondamentales du communisme libertaire, qui doit être mis à la base des formations militaires des travailleurs. Les détachements de partisans insurgés, ouvriers et paysans, qui menèrent l’action dans la révolution russe, peuvent être cités comme exemples de telles formations.

Toutefois, il ne faut pas comprendre le volontariat et l’action de partisan dans le sens étroit de ces mots, c’est à dire comme une lutte des détachements ouvriers et paysans contre l’ennemi local non coordonnés entre eux par un plan d’opération général et agissant chacun sous sa propre responsabilité, à ses propres risques et périls. L’action et la tactique des paysans devront être orientées, dans la période de leur développement complet, par une stratégie révolutionnaire commune.

Semblable à toute guerre, la guerre civile ne pourrait être menée avec succès par les travailleurs qu’en appliquant les deux principes fondamentaux de toute action militaire : l’unité du plan d’opérations et l’unité de commandement commun. Le moment le plus critique de la révolution sera celui où la bourgeoisie marchera contre la révolution en forces organisées. Ce moment critique obligera les travailleurs à recourir à ces principes de la stratégie militaire.

De cette façon, vu les nécessités, de la stratégie militaire, et aussi de la stratégie de la contre révolution, les forces armées de la révolution devront se fondre inévitablement en une armée révolutionnaire générale ayant un commandement commun et un plan commun d’opérations.

Les principes suivants seront mis à la base de cette armée :

  1. le caractère de classe de l’armée.

  2. le volontariat (toute contrainte sera absolument exclue de l’oeuvre de la défense de la révolution).

  3. la libre discipline (l’autodiscipline) révolutionnaire : le volontariat et l’autodiscipline révolutionnaire s’harmoniseront complètement ensemble, et rendront l’armée de la révolution moralement plus forte que n’importe quelle armée d’État.

  4. la soumission complète de l’armée révolutionnaire aux masses ouvrières et paysannes, en la période des organismes ouvriers et paysans communs pour tout le pays, placés par les masses aux postes dirigeants de la vie économique et sociale.

Autrement dit : l’organe de la défense de la révolution chargé de combattre la contre révolution, aussi bien sur les fronts militaires ouverts que sur ceux de la guerre civile interne (les complots de la bourgeoisie, les préparatifs des actions contre-révolutionnaires, etc...), sera entièrement du ressort des organisations productrices ouvrières et paysannes, auxquelles il sera soumis, et par lesquelles il sera orienté politiquement.

Remarque. Tout en devant être construite conformément à des principes communistes libertaires déterminés, l’armée elle-même ne doit pas être considérée comme un élément de principe. Elle n’est que la conséquence de la stratégie militaire dans la révolution, une mesure stratégique à laquelle les travailleurs seront fatalement amenés par le processus même de la guerre civile. Mais cette mesure doit attirer l’attention dès à présent. Elle doit être soigneusement étudiée, afin d’éviter, dans l’oeuvre de la protection et de la défense de la révolution, tout regard irréparable, car des retards pendant les jours de la guerre civile pourront s’avérer néfastes pour l’issue de toute la révolution sociale.

Partie Organisationnelle

Les principes de l’organisation anarchiste

Les positions générales constructives exposées plus haut constituent la plateforme d’organisation des forces révolutionnaires de l’anarchisme.

Cette plateforme contenant une orientation théorique et tactique déterminée apparaît comme le minimum auquel il est nécessaire de se rallier d’urgence à tous les militants du mouvement anarchiste organisé.

Sa tâche est de grouper autour d’elle tous les éléments sains du mouvement anarchiste en une seule organisation générale, active et agissante de façon permanente : l’Union Générale des Anarchistes. Les forces de tous les militants actifs de l’anarchisme devront être orientées vers la création de cette organisation.

Les principes fondamentaux d’organisation d’une Union Générale des Anarchistes devront être les suivants :

1) L’unité théorique

La théorie représente la force qui dirige l’activité des personnes et des organisations par une voie définie et dans un but déterminé. Naturellement, elle doit être commune pour toutes les personnes et toutes les organisations adhérant à l’Union Générale. Toute l’activité de l’Union Générale Anarchiste, aussi bien dans son caractère général que particulier, doit être en concordance parfaite et constante avec les principes théoriques professés par l’Union.

2) L’unité tactique ou méthode collective d’action

Les méthodes tactiques employées par les membres séparés ou les groupes de l’Union doivent être également unitaires, c’est à dire se trouver en concordance rigoureuse aussi bien entre elles qu’avec la théorie et la tactique générale de l’Union.

Une ligne tactique commune dans le mouvement a une importance décisive pour l’existence de l’organisation et de tout le mouvement : elle le débarrasse de l’effet néfaste de plusieurs tactiques se neutralisant mutuellement, elle concentre toutes les forces du mouvement , leur fait prendre une direction commune aboutissant à un objectif déterminé.

3) La responsabilité collective.

La pratique consistant à agir sous sa responsabilité personnelle doit être fermement condamnée et rejetée dans les rangs du mouvement anarchiste.

Les domaines de la vie révolutionnaire, sociale et politique sont avant tout profondément collectifs par leur nature. L’activité sociale révolutionnaire ne peut pas se fonder dans ces domaines sur la responsabilité personnelle des militants isolés.

L’organisme exécutif du mouvement anarchiste général — l’Union Anarchiste — se dressant de manière décisive contre la tactique de l’individualisme irresponsable, introduit dans ses rangs le principe de la responsabilité collective : l’Union toute entière sera responsable de l’activité révolutionnaire et politique de chaque membre ; de même, chaque membre sera responsable de l’activité révolutionnaire et politique de toute l’Union.

4) Le fédéralisme

L’anarchisme à toujours nié l’organisation centralisée, aussi bien dans le domaine de la vie sociale des masses que dans celui de son action politique. Le système de centralisation tient sur l’amoindrissement de l’esprit de critique, de l’initiative et l’indépendance de chaque individu et sur la soumission aveugle de vastes masses au « centre ». Les conséquences naturelles inévitables de ce système sont l’asservissement et la mécanisation de la vie sociale et de la vie des partis.

À l’encontre du centralisme, l’anarchisme a toujours professé et défendu le principe du fédéralisme, qui concilie l’indépendance et l’initiative de l’individu ou de l’organisation, avec le service de la cause commune.

En conciliant l’idée de l’indépendance et de la plénitude des droits de chaque individu avec le service des nécessités et des besoins sociaux, le fédéralisme ouvre, par cela même, les portes à toute manifestation saine des facultés de chaque individualité.

Mais assez souvent le principe fédéraliste fut déformé dans les rangs anarchistes : on le comprenait trop souvent comme le droit de manifester surtout son « ego », sans l’obligation de tenir compte des devoir vis-à-vis de l’organisation.

Cette fausse interprétation désorganisa notre mouvement dans le passé. Il est temps d’y mettre fin d’une manière forte et irréversible.

Le fédéralisme signifie la libre entente des individus et d’organisations pour un travail collectif orienté vers un objectif commun.

Or une telle entente et l’union fédérative basée sur celle-ci ne deviennent des réalités, au lieu d’être des fictions et des illusions, qu’à la condition sin equa non que tout les participants à l’entente et à l’Union remplissent de la façon la plus complète les devoirs acceptés et se conforment aux décisions prises en commun.

Dans une oeuvre sociale, aussi vaste que soit la base fédéraliste sur laquelle elle est bâtie, il ne peut y avoir de droits sans obligations, comme il ne peut y avoir de décisions sans leur exécution. C’est d’autant moins admissible dans une organisation anarchiste, qui prend sur elle exclusivement des obligations vis-à-vis des travailleurs et de leur révolution sociale.

Par conséquent, le type fédéraliste de l’organisation anarchiste, tout en reconnaissant à chaque membre le droit à l’indépendance, à l’opinion libre, à l’initiative et à la liberté individuelle, charge chaque membre de devoirs organisationnels déterminés, exigeant leur exécution rigoureuse, ainsi que l’exécution des décisions prises en commun.

A cette condition seulement le principe fédéraliste sera vivant, et l’organisation anarchiste fonctionnera correctement, et se dirigera vers l’objectif défini.

L’idée de l’Union Générale des Anarchistes pose le problème de la coordination et de l’accord des activités de toutes les forces du mouvement anarchiste.

Chaque organisation adhérente à l’Union représente une cellule vitale faisant partie de l’organisme commun. Chaque cellule aura son secrétariat, exécutant et orientant théoriquement son propre travail politique et technique.

En vue de la coordination de l’activité de toutes les organisations adhérentes à l’Union, un organe spécial sera créé : le Comité Exécutif de l’Union. Les fonctions suivantes seront à la charge de ce comité : exécution des décisions prises par l’Union dont celle-ci l’aura chargé ; l’orientation théorique et organisationnelle de l’activité des organisations isolées, conformément aux opinions théoriques et à la ligne tactique générale de l’Union ; mise en lumière de l’état général du mouvement ; maintien des liens de travail et organisationnels entre toutes les organisations de l’Union, et avec les autres organisations.

Les droits et obligations et les tâches pratiques du Comité exécutif sont fixés par le Congrès de l’Union.

L’Union générale des Anarchistes a un but déterminé et concret. Au nom du succès de la révolution sociale, elle doit avant tout reposer sur les éléments les plus révolutionnaires et les plus radicaux parmi les ouvriers et les paysans et les absorber.

Prenant la révolution sociale et, en plus, étant une organisation antiautoritaire qui aspire à l’abolition de la société de classe dès à présent, l’Union Générale des Anarchistes s’appuie de façon égale sur les deux classes fondamentales de la société actuelle : les ouvriers et les paysans. Elle servira de façon égale l’oeuvre d’émancipation de ces deux classes.

En ce qui concerne les organisations professionnelles et ouvrières et révolutionnaires des villes, l’union Générale des Anarchistes devra accentuer tous ses efforts afin de devenir leur pionnier et leur guide théorique.

Elle se trace les même tâches vis-à-vis de la masse paysanne exploitée. Comme points d’appui jouant le rôle que les unions professionnelles révolutionnaires des ouvriers. L’Union s’efforcera de réaliser un réseau d’organisations économiques paysannes révolutionnaires, et de plus, une union paysanne spécifique, fondée sur des principes antiautoritaires.

Issue du coeur de la masse des travailleurs, l’Union Générale des Anarchistes doit prendre part à toutes les manifestations de leur vie apportant partout et toujours l’esprit d’organisation, de persévérance, d’activité et d’offensive.

Dans ce cas seulement, elle pourra remplir sa tâche, sa mission théorique et historique dans la révolution sociale des travailleurs, et devenir l’initiative organisée de leur processus émancipateur.

Nestor Makhno, Ida Mett, Piotr Arshinov, Valevsky, Linsky 1926

[1] Pour la très simple et bonne raison qu’il avait amplement eu le temps d’étudier à fond le texte avant tout le monde puisque c’est lui qui s’est chargé de la première traduction française de la « Plate-forme », et que c’est sur cette version française que se sont basée toutes les adhésions et/ou dénonciations subséquente. (Note de la Traduction)

[2] Black Rose Books, Montréal, 1986

[3] La première.

[4] Voir la critique de l’OCL en France dans le document de présentation de l’organisation publié dans le deuxième hors-série de la revue Courant Alternatif ou encore le dossier publié dans Organise ! à l’occasion du dixième anniversaire de l’ACF en Angleterre (aujourd’hui AF).

[5] Expliqué en détails dans le dossier cité dans la note précédente.